EXAMEN EN COMMISSION

Au cours d'une réunion tenue le mercredi 18 juillet 2012 , sous la présidence de M. Philippe Marini, président , puis de Mme Michèle André, vice-présidente , la commission a entendu une communication de M. Michel Berson, rapporteur spécial, sur le crédit d'impôt recherche (CIR) .

M. Michel Berson , rapporteur spécial . - En 2010, trois rapports sur le crédit d'impôt recherche (CIR) ont été publiés : celui de notre ancien collègue Christian Gaudin, celui de la mission d'évaluation et de contrôle de la commission des finances de l'Assemblée nationale et celui de l'inspection générale des finances. En 2011, la Cour des comptes s'est également penchée sur le CIR. Dès lors, pourquoi ce nouveau rapport alors que nous disposons déjà de suffisamment d'éléments pour apprécier l'efficacité de ce dispositif fiscal ? Il m'a semblé utile que notre commission puisse donner son avis sur le bilan de la réforme de 2008, qui a fait passer le montant du CIR de 1,5 à 5 milliards d'euros par an, d'autant qu'une réforme de ce dispositif est évoquée, peut-être dès la loi de finances pour 2013.

De plus, nous avons entendu des affirmations peu fondées sur le CIR, qui faussent le débat public. En revanche, il serait utile de corriger le dispositif, du fait de certaines incohérences.

Quelques mots, tout d'abord, sur le crédit d'impôt recherche : nous devons distinguer le coût budgétaire des créances des entreprises. En 2012, la créance de ces dernières s'élevait à 5,3 milliards alors que le coût budgétaire ne se montait qu'à 2,3 milliards. Le dispositif est en effet conçu pour que le remboursement du CIR soit étalé sur quatre ans. Le décalage est aujourd'hui d'autant plus important que le plan de relance a prévu en 2009 et 2010 le paiement par l'Etat de la totalité de sa dette vis-à-vis des entreprises. Nous avons donc assisté à des remboursements importants durant ces deux années, suivis d'un creux. A partir de 2014, les montants devraient s'équilibrer entre 5 et 6 milliards d'euros par an. L'évolution sera ensuite fonction de la croissance du PIB.

Je veux revenir sur six affirmations contestables concernant le CIR.

Le CIR, dit-on, bénéficierait essentiellement aux services, et pour environ 20 % aux banques et aux assurances. Ces chiffres figuraient dans un rapport de l'Assemblée nationale, mais il s'agissait de chiffres transmis par le gouvernement de l'époque, qui avait classé avec les banques et les assurances les holdings industrielles. En réalité, le CIR bénéficie au secteur industriel pour ses deux tiers, le tiers restant allant à des services souvent très proches des branches industrielles, les banques et les assurances ne représentant que 1,8 % de la dépense fiscale.

Deuxième critique : le CIR ne bénéficierait qu'aux grandes entreprises. Là encore, l'affirmation est contestable : les bénéficiaires d'au moins 5 000 salariés ne perçoivent que 32 % du CIR, contre 37 % pour ceux de 250 à 4 999 salariés et 29 % pour ceux de moins de 250 salariés.

Troisième critique non fondée : le coût du CIR augmenterait de façon incontrôlable. A l'automne 2007, le coût du crédit d'impôt recherche avait été estimé à 3 milliards par an au terme de la réforme qui devait être engagée en 2008. Le rythme est plutôt de 5 à 6 milliards. Cette difficulté à en apprécier précisément le coût tient notamment à l'effet de levier qui peut aller de 1 à 2. Pour l'instant, une étude économétrique réalisée en 2011 pour le ministère de la recherche évalue cet effet de levier à 1,3 : pour un euro de CIR, il en résulterait 1,3 euro d'investissement supplémentaire en R&D.

Autre critique : le CIR ferait l'objet de fraudes et d'optimisations importantes. Là encore, l'affirmation est contestable. L'éligibilité de la dépense au CIR est assez complexe. Craignant les contrôles fiscaux, les entreprises tendent plutôt à sous-estimer le montant de leurs dépenses en R&D. L'ensemble de celles-ci s'élève à 26,3 milliards. Or, seuls 17 milliards sont déclarés au CIR. Cela vient certes notamment du fait que les dépenses réalisées par des sous-traitants sont plafonnées ; mais cet écart ne peut être expliqué sans supposer une certaine sous-déclaration de la part des entreprises.

M. François Marc , rapporteur général . - Notre commission s'est déjà penchée maintes fois sur la question : certains cabinets spécialisés dans le conseil aux entreprises leur auraient permis d'optimiser diverses dépenses sans lien direct avec le CIR. Qu'en est-il ?

M. Michel Berson , rapporteur spécial . - Il existe bien sûr des pratiques de fraude et d'optimisation, mais le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche estime que s'il faut être « attentif à de possibles créations artificielles de filiales à des fins d'optimisation fiscale, l'administration n'a pas constaté d'abus à cet égard  ». Il ne semble donc pas y avoir de fraude à grande échelle, comme on a pu l'entendre dire. Pour ce qui concerne les cabinets spécialisés, des mesures spécifiques ont été prises dans la loi de finances pour 2011 afin de maîtriser le phénomène. Le problème de l'optimisation est le fait de grandes entreprises dont le taux marginal de CIR baisse à 5 %, dès le seuil de 100 millions de R&D franchi. On cite parfois le cas d'un grand groupe pétrolier qui a créé une centaine de filiales pour bénéficier du taux de 30 %.

Autre affirmation qu'il convient de relativiser : le CIR ne sert que très peu à financer les dépenses de R&D à l'étranger. Le droit communautaire permet de sous-traiter des activités de recherche dans d'autres pays, mais la loi a plafonné ces dépenses externalisées dans l'espace économique européen si bien que, selon le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, seuls 2 % du CIR financent des dépenses réalisées hors de France.

Le crédit d'impôt recherche apparaît comme une des rares dépenses fiscales efficientes. Le rapport Guillaume de l'IGF a même attribué au CIR la note maximale de 3, soit celle attribuée à seulement 15 % du montant total des dépenses fiscales. Selon mes estimations, la réforme de 2008 devrait entraîner une augmentation d'environ 0,5 point du PIB au bout d'une quinzaine d'années. Le CIR s'autofinancerait ainsi à l'issue de ce délai, les recettes supplémentaires couvrant le coût du dispositif fiscal. De plus, le CIR permet d'améliorer la compétitivité de l'industrie. Comme la crise de la zone euro oblige les Etats membres à réduire leurs déficits extérieurs, ils sont obligés soit de réduire leur croissance, soit d'améliorer leur compétitivité.

J'en viens à mes 25 propositions : je ne présenterai que les douze principales, qui tiennent compte de nos contraintes budgétaires et qui visent toutes à supprimer l'effet d'aubaine pour les grands groupes et à réorienter le CIR vers les PME et les ETI. Tout d'abord, le Gouvernement doit indiquer rapidement les orientations qu'il entend prendre pour les cinq années à venir car les entreprises souhaitent être éclairées sur l'avenir du CIR.

Ma première proposition vise à instaurer un barème à trois taux : il faudrait faire passer le taux de 30 % à 40 % pour les PME et les ETI indépendantes, garder les 30 % pour le régime commun et passer de 30 % à 20 % pour les bénéficiaires de plus de 5 000 salariés. Ce dispositif serait plus efficace dans la mesure où les incitations seraient plus importantes pour les PME et les ETI et permettrait de mettre fin au gaspillage de l'argent public pour les grandes entreprises : le CIR n'a en effet aucun effet incitatif sur les dépenses de R&D supérieures à 100 millions puisque le taux de 5 % est négligeable. Le coût de cette mesure serait de 200 millions d'euros pour les PME indépendantes et de 150 millions d'euros pour les ETI, et le gain espéré de la suppression de la tranche à 5 % de 300 millions. Le dispositif que je vous propose est donc globalement équilibré.

Je préconise aussi le versement trimestriel du CIR aux PME et ETI, ou du moins l'extension aux ETI du remboursement l'année n +1. Cela ne coûterait pas un sou à l'Etat, hormis la première année : 1,2 milliard d'euros, ou 800 millions si l'on réserve la mesure aux seules PME indépendantes.

Il convient aussi d'exclure du bénéfice du CIR les dépenses de recherche-développement réalisées à des fins d'intervention sur les marchés financiers : quoique les banques et les assurances perçoivent moins de 2 % du CIR, le fait qu'elles en bénéficient est très mal perçu par l'opinion, non sans raison.

Il faut aussi encourager la collaboration entre le public et le privé et inciter les grands groupes à sous-traiter leurs travaux de recherche à des organismes publics, en portant le plafond de 12 à 20 millions d'euros. Pour favoriser l'embauche de jeunes docteurs, je préconise de continuer à doubler le CIR les deux premières années, mais en supprimant la clause de stabilité des effectifs globaux.

Je souhaite que soit préservée la neutralité sectorielle du CIR. En revanche, les subventions sur projet aux entreprises des filières d'avenir pourraient être augmentées. Bruxelles s'opposerait sans doute à ce que le CIR soit réservé à certains secteurs.

Actuellement, les dépenses externalisées prises en compte pour le CIR sont plafonnées : cela en réduit l'assiette d'environ 5 milliards d'euros. Il serait envisageable de supprimer ces plafonds et, pour limiter la fraude, de faire des sous-traitants les bénéficiaires. Cette mesure, efficace et saine, pourrait cependant coûter jusqu'à 1,5 milliard d'euros à taux constant...

Je fais la proposition nouvelle de créer un dispositif de suivi en temps réel et de pilotage de l'offre de chercheurs, car il faut éviter que le CIR ne serve qu'à augmenter le salaire des chercheurs sans effet sur le PIB, alors que l'objectif est de faire embaucher de nouveaux chercheurs, qui doivent donc être formés. Selon une étude du Trésor de janvier 2009, la réforme de 2008 impliquerait de porter temporairement de 6 000 à 11 000 le nombre annuel d'embauches de chercheurs par les entreprises. L'offre de l'enseignement supérieur n'y suffira pas, et il faudra recourir à l'immigration ; l'abrogation de la circulaire Guéant est à cet égard très bienvenue. Peut-être faudra-t-il prendre d'autres mesures législatives ou réglementaires, sans se dispenser de mieux valoriser les métiers de la recherche.

Pour renforcer la sécurité juridique des entreprises, je suggère de préciser dès 2012 dans un protocole les modalités de coopération du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche avec les directions du contrôle fiscal. Les experts de la rue Descartes évaluent si des dépenses sont éligibles au CIR, mais le contrôle est réalisé par Bercy. Il n'existe d'ailleurs aucun critère pour le recrutement des experts, ni aucune liste nationale ; il peut y avoir des conflits d'intérêts. Des règles non écrites existent, mais elles datent d'il y a dix ans, quand il y avait trois ou quatre fois moins d'entreprises à contrôler. J'estime aussi qu'un décret devrait être pris dès cette année pour assurer le respect du principe du contradictoire vis-à-vis de l'expert du ministère. A en croire le Gouvernement, le protocole et le décret sont en cours d'élaboration.

D'autres propositions figurent dans le rapport, et je me permets de vous y renvoyer.

M. François Marc , rapporteur général . - Merci de ces informations éclairantes. Le CIR, dit-on, doit coûter entre 5 et 6 milliards d'euros par an en régime de croisière. Or la commission des finances a pour mission de vérifier que les deniers publics sont dépensés utilement. Comme pour tous les avantages fiscaux, on est tenté de se demander ce qui se passerait si le CIR n'existait pas. Après tout, selon la théorie schumpeterienne, une entreprise n'innove-t-elle et n'investit-elle pas par nature ? Il ressort des modèles économétriques que le CIR nous fait gagner 0,5 point de croissance par an, mais de tels modèles consistent à mettre en parallèle des variables sans établir de liens de causalité... A n'en pas douter, la recherche est une condition de la croissance, mais comment la stimuler ? Telle est la question.

M. Jean-Paul Emorine . - Je remercie M. Berson de son rapport. Ancien président de la commission de l'économie et du développement durable, je sais l'importance du CIR, auquel les chefs d'entreprise sont très attachés. S'il coûte 5 milliards d'euros par an, il s'autofinance au bout de quinze ans. N'oublions pas qu'en Chine et en Inde, on investit beaucoup, et qu'il y a là dix fois plus d'ingénieurs ou de chercheurs qu'en France. Sans le CIR, notre taux de croissance n'atteindrait même pas non niveau actuel, que le gain soit ou non de 0,5 point de PIB. Je partage donc l'analyse de M. Berson et souscris à ses remarques. On parle beaucoup de réindustrialisation. Or le CIR bénéficie pour les deux tiers à l'industrie ! Il n'est pas normal, en revanche, qu'il serve à financer des prestations de cabinets spécialisés qui aident à contourner les règles du dispositif.

N'accablons pas les grandes entreprises. En revanche, un réajustement du taux paraît légitime. Il faut aussi veiller à ce que le CIR ne finance pas la sous-traitance de travaux de recherche à l'étranger. J'approuve donc les propositions fiscales de notre collègue. L'exemple du pôle nucléaire bourguignon montre que des PME sous-traitantes d'une grande entreprise n'ont pas toujours les capacités de recherche et d'innovation nécessaires.

M. François Patriat . - Je remercie à mon tour M. Berson de son rapport sur ce sujet essentiel. Le CIR est bien une niche fiscale, et l'on dit qu'il y aurait là 1 ou 2 milliards à gratter pour renflouer les caisses de l'Etat... A mon sens, les grandes entreprises pourraient s'en passer, et l'on pourrait réserver ces crédits aux PME.

M. Michel Berson , rapporteur spécial . - Une vingtaine de pays industrialisés développés ont créé une dépense fiscale pour favoriser la recherche privée. N'oublions pas que les entreprises françaises sous-investissent dans la recherche. L'objectif de Lisbonne était de porter le taux d'investissement dans ce domaine à 3 % du PIB, 2 % pour les entreprises et 1 % pour les administrations. Nous en sommes à 0,9 % pour le secteur public, mais à 1,3 % seulement pour les entreprises ! Certes, les branches où la recherche est intensive, comme le numérique ou les technologies de l'information et de la communication, sont moins développées en France qu'en Scandinavie, au Japon ou en Corée du Sud. Mais surtout, les entreprises hésitent à lancer des programmes de recherche toujours risqués, qui bénéficient quelquefois à leurs concurrentes autant qu'à elles-mêmes. Il faut donc les y inciter, le rendement social étant supérieur au rendement privé. Le CIR n'est pas un outil de financement de la recherche, mais d'incitation au financement de la recherche.

Le rapporteur général n'a pas tort de souligner les failles des modèles économétriques. Cependant les études suggèrent que le CIR a un effet de levier au moins égal à 1, et que son impact sur la croissance est de l'ordre de 0,5 point, ce qui suffirait à le financer. Je n'aime pas beaucoup en parler comme d'une niche, car il s'agit d'un instrument de développement collectif. Toujours est-il qu'aucune étude ne montre que les incitations fiscales à la R&D seraient moins efficaces pour les grandes entreprises. On a toutefois l'intuition que le CIR aide davantage les PME et ETI indépendantes : d'où ma proposition d'en transférer une partie à leur profit, sans bouleverser l'architecture du système. L'attente est très forte du côté de celles-ci.

M. François Marc , rapporteur général . - M. Emorine dit qu'il faut des chercheurs et des ingénieurs dans les entreprises. Je n'en disconviens pas, mais le CIR est-il le meilleur système pour encourager ce type d'embauches ? De même que l'Etat subventionnait jadis le recrutement de personnel aidant à l'export, pourquoi n'aiderait-il pas au recrutement de chercheurs ?

M. Jean-Paul Emorine . - Je suis, pour les raisons que j'ai dites, favorable à la publication de ce rapport. N'oublions pas que le groupe EADS, avec Airbus et Eurocopter, est en concurrence directe avec Boeing dont les efforts de R&D sont financés par le ministère de la défense américain. Dans ces conditions, nos entreprises doivent bénéficier de l'aide de l'Etat.

Mme Michèle André , présidente . - Nous reviendrons sur ce sujet d'une grande importance.

A l'issue de ce débat, la commission a donné acte de sa communication au rapporteur spécial et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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