3. Vers un modèle « Space X » ?

Créée en 2002 par un inventeur et investisseur privé, également fondateur du système de paiement par internet Paypal - Elon Musk - l'entreprise Space X est aussi l'héritière directe du tournant pris par la politique spatiale américaine sous la présidence Obama.

a) Le tournant de la politique spatiale américaine

En 2004, quelques mois après la catastrophe de la navette Columbia (2003), le président George W. Bush relançait le programme spatial américain avec le programme Constellation qui prévoyait, en contrepartie d'un arrêt rapide de l'ISS et de la Navette, le développement d'un lanceur lourd (Arès) et d'une capsule (Orion) pour le transport des astronautes au-delà de l'orbite basse, dans l'objectif de revenir sur la Lune d'ici 2020.

Peu après son élection, le président Barack Obama, souhaitant que soient évaluées les premières années de mise en oeuvre de ce programme, a mis en place une commission présidée par Norman Augustine, ancien PDG de Lockheed-Martin. Le rapport 25 ( * ) de cette commission a établi que les moyens mis en oeuvre dans le cadre du programme d'exploration spatiale de l'ancien président étaient insuffisants eu égard aux objectifs fixés. Il a préconisé une plus grande efficacité, d'une part grâce à un accroissement de la coopération internationale, et d'autre part grâce au développement de partenariats avec des entreprises commerciales. D'après la commission Augustine, la NASA devrait être recentrée sur sa mission de Recherche & développement, en vue de l'exploration lointaine , tandis que la desserte de l'orbite basse serait considérée comme un service commercial. La commission reconnaît que ce schéma comporte une part de risque, mais il devrait permettre, selon elle, de restaurer plus rapidement et un coût moins élevé la capacité des États-Unis à desservir l'orbite basse après l'arrêt de la Navette spatiale.

A la suite de ce rapport, les États-Unis ont prolongé la Station spatiale jusqu'en 2020, et abandonné la Navette en 2011. En conséquence, les Américains dépendent des Russes, des Européens et des Japonais pour ravitailler l'ISS ; ils dépendent entièrement des Russes (Soyouz) pour sa desserte habitée, ce qui est source de vulnérabilité. N'ayant par ailleurs pas d'objectif clair pour l'après-ISS, la politique spatiale américaine semble dans une situation de faiblesse inédite et probablement temporaire.

Conformément au rapport Augustine, la NASA, rompant avec son approche traditionnelle, a octroyé des subventions à des programmes privés plutôt que de poursuivre ses propres programmes de développement. Alors que par le passé l'agence était le maître d'oeuvre des lanceurs, elle en confie désormais la définition, le développement, la fabrication et l'exploitation au secteur privé. En 2008, dans le cadre du programme de transport orbital COTS 26 ( * ) ; elle a accordé deux contrats de ravitaillement de la station aux entreprises Space X et Orbital. Plus récemment, en août 2012, dans le cadre de la troisième phase 27 ( * ) du programme de transport spatial habité, la NASA a signé des accords avec trois entreprises en vue du développement de services commerciaux. Les partenaires choisis sont Space X (qui recevra 440 M$ à ce titre), Boeing (460 M$) et, pour un financement moitié moindre, Sierra Nevada (212.5 M$).

De fait, l'organisation préconisée par le rapport Augustine est économique, car elle permet d'éviter la duplication des fonctions de management et offre aux industriels une grande souplesse. En contrepartie, les paiements octroyés par la NASA sont conditionnés à la réussite d'étapes clés.

Ce transfert de la maîtrise d'oeuvre des systèmes n'empêche pas une entreprise comme Space X d'avoir accès au savoir faire de l'agence spatiale, leurs dirigeants reconnaissant d'ailleurs « reposer sur les épaules de géants » : « Une entreprise privée dans le vide n'aurait pas pu faire ce que nous avons fait » 28 ( * ) . Outre que la NASA et l'US Air Force ont déjà investi plus de 800 M$ dans Space X, cette entreprise dispose aussi d'un important soutien avec la mise à disposition de nombreux ingénieurs expérimentés de la NASA, intégrés directement aux équipes.

Si la NASA poursuit pleinement les orientations du rapport Augustine, pour ce qui est de déléguer au secteur commercial la desserte de l'orbite basse, elle suit un chemin plus chaotique s'agissant du développement de la coopération internationale, également préconisé par ce rapport. Ainsi, au moment où l'atterrissage du rover Curiosity est un succès, et où la NASA annonce un nouveau programme d'exploration martienne devant faire l'objet d'un lancement en 2016, elle abandonne le programme ExoMars, mené en coopération avec l'ESA, et dont l'échéance de lancement était aussi 2016.

Dans le domaine du vol habité vers la Station, tandis que la NASA sélectionnait en août 2012 les trois entreprises Space X, Boeing et Sierra Nevada, elle mettait à l'écart l'offre américano-européenne d'ATK (Liberty), faisant ainsi l'impasse sur une occasion d'étendre la coopération internationale au niveau industriel , avec une dimension symbolique et politique forte puisque Liberty aurait combiné des éléments provenant respectivement de la Navette spatiale et d'Ariane 5. Par certains aspects, Liberty ressemblait peut-être trop au lanceur Ares 1 du programme Constellation lancé par l'ancien président George W. Bush pour être acceptable par l'administration Obama. Cette ressemblance aurait aussi pu être source de synergies pour l'avenir du programme spatial américain et la coopération internationale sur l'ISS et post-ISS. Mais elle aurait remis en cause l'approche de l'administration, selon laquelle le secteur privé assure la desserte de l'orbite basse tandis que l'exploration lointaine demeure du champ de compétence de la NASA. En définitive, c'est probablement cet aspect qui a été déterminant. En effet, il est difficile d'affirmer que le patriotisme ait joué, dans la mesure où la proposition de Boeing comporte une motorisation russe. Mais il est tout aussi difficile de croire que la proposition de trois des entreprises mondiales, parmi les plus reconnues et les plus fiables dans leurs domaines (ATK, EADS, Lockheed-Martin) ait pu être insuffisamment étayée techniquement ou financièrement, comme l'a affirmé la NASA.

Vos rapporteurs ne peuvent que déplorer cette situation, même s'ils ont pu, par ailleurs, constater lors de leur déplacement aux États-Unis que les coopérations euro-américaine et franco-américaine, demeuraient vivaces sur d'autres sujets (Station spatiale, missions martiennes Mars Science Laboratory et Maven 29 ( * ) ...). Des incertitudes persistent néanmoins, pour des raisons budgétaires, sur les modalités de réalisation de certaines missions communes (télescope spatial James Webb, Argos, Jason-3).

LIBERTY

Liberty est le lanceur proposé à la NASA pour la desserte habitée de l'orbite basse, par l'entreprise américaine ATK (Alliant Techsystems), en coopération avec Lockheed-Martin et avec les industriels européens EADS Astrium et Safran-SNECMA. Ce lanceur combine des éléments provenant respectivement de la Navette spatiale et d'Ariane 5. Le premier étage de Liberty est constitué d'un booster à propulsion solide issu de la Navette (fourni par ATK). Son deuxième étage est l'étage principal cryogénique d'Ariane 5 (Astrium), conçu à l'origine pour le transport de la navette Hermès, alimenté par le moteur Vulcain 2 (Safran-SNECMA). La fusée est destinée au transport d'un module habitable (Lockheed-Martin). Destiné à des vols de démonstration en 2014-2015, puis à des vols opérationnels à partir de 2016, Liberty peut transporter jusqu'à environ 20 tonnes en orbite basse.

Ce projet, bien que non financé par la NASA, bénéficiait d'un accord de coopération avec l'agence spatiale américaine depuis 2011 (Space Act agreement). Le 3 août 2012, la NASA a annoncé avoir retenu trois partenaires, parmi lesquels ne figure pas ATK.


* 25 « Seeking a human spaceflight program worthy of a great nation » (octobre 2009)

* 26 Commercial Orbital transportation services

* 27 Phase dite CCiCap (Commercial Crew integrated capability), au sein du programme CCDev (Commercial crew development)

* 28 Tom Mueller, directeur du développement de la propulsion, Space X (d'après Air & Space magazine janvier 2012).

* 29 Sonde d'observation de l'atmosphère martienne

Page mise à jour le

Partager cette page