b) Les premiers succès de Space X
Confortée par le soutien de la NASA, Space X (pour Space exploration technologies ) conçoit ses systèmes à partir d'un principe tiré, a contrario , des leçons de la Navette spatiale : de la simplicité découlent à la fois la fiabilité et la modicité des coûts.
Systèmes de transports spatiaux de Space X : Falcon 9, Falcon Heavy, Capsule Dragon
La gamme de lanceurs de Space X est un système modulable, à partir d'un premier étage de lanceur et d'un moteur appelé Merlin, propulsé par de l'oxygène liquide et du kérosène (RP1) et produit en interne par l'entreprise. Le premier étage du lanceur Falcon 9 possède ainsi neuf moteurs Merlin ; son deuxième étage, qui est simplement une version plus courte du premier, est propulsé par le même type de moteur. Quant au lanceur Falcon Heavy, encore en projet, il consiste à ajouter au premier étage de Falcon 9 deux autres premiers étages identiques, pour jouer le rôle de boosters, ce qui revient à rassembler en tout 27 moteurs Merlin.
Les 9 moteurs Merlin du premier étage de Falcon 9
Source : Space X
D'après Space X, cette modularité est un facteur de fiabilité, puisqu'il est possible de poursuivre et de réussir pleinement une mission de Falcon 9 malgré l'échec d'un moteur, voire même de plusieurs pour ce qui est du lanceur Falcon Heavy. Cette hypothèse a été vérifiée lors du lancement du 7 octobre 2012 au cours duquel l'explosion de l'un des moteurs de Falcon 9 n'a pas empêché le lanceur de placer la capsule Dragon à l'endroit prévu.
Cette modularité est aussi un facteur de baisse des coûts. Elle permet de jouer sur les effets de série, puisqu'il n'y a qu'un seul type de fusée par véhicule, contrairement à ses concurrents qui combinent généralement des moteurs et modes de propulsion différents. Ariane 5 combine par exemple trois types de moteurs et deux types de propulsion, cryogénique et solide. Sur le plan industriel, ce concept permet à Space X d'intégrer l'ensemble des activités de développement et de production en un lieu unique, à Hawthorne (Californie), selon un modèle radicalement opposé à celui du « retour géographique ».
Ainsi Space X propose, sur son site internet, des lancements de Falcon 9 (13 t en orbite basse ; 4,85 t en orbite de transfert géostationnaire) à partir de 54 M$ et de Falcon Heavy (jusqu'à 53 t en orbite basse et 12 t en orbite de transfert géostationnaire) à 80-125 M$. D'après ILS 30 ( * ) , Space X serait en moyenne 50 % moins cher qu'ILS ou Arianespace. Un lancement (dual) d'Ariane 5 coûte, par comparaison, de l'ordre de 150 M€. Space X estime le coût de développement de Falcon 9 à 390 M$, alors qu'avec la NASA comme maître d'oeuvre, ce programme aurait pu coûter 4 Mds$, soit dix fois plus.
La capsule Dragon, développée pour la desserte de la Station spatiale, poursuit les mêmes objectifs de simplicité et de fiabilité, qui sont aussi à l'origine de la réussite du module habité russe Soyouz.
Après 3 échecs, le premier lancement réussi de Falcon 1 a eu lieu en 2008. A ce jour, le lanceur Falcon 9 a accompli 4 missions réussies. En décembre 2008, la NASA a annoncé la présélection de Falcon 9 et de la capsule Dragon, en vue de la desserte de l'ISS. Après un vol de qualification réussi en juin 2010, Falcon 9 a réussi ses deux premières missions (lancement de la capsule Dragon) en décembre 2010 puis en mai 2012. Au cours de cette dernière mission, la capsule, lancée par Falcon 9 depuis Cap Canaveral (Floride), s'est arrimée avec succès à la Station spatiale avant de revenir sur Terre. Puis la première mission opérationnelle de ravitaillement de la Station s'est déroulée en octobre 2012. Elle constitue la première de 12 missions vers l'ISS que Space X doit réaliser pour la NASA, au titre d'un contrat CRS 31 ( * ) , dans le cadre du programme COTS 32 ( * ) , signifiant la restauration de la capacité des Américains à desservir la Station en ravitaillement, ce qui est le préalable indispensable à la restauration de leur capacité à y envoyer des astronautes.
Les lanceurs Falcon font par ailleurs leur entrée sur le marché commercial, ayant obtenu plusieurs contrats de lancement : récemment par exemple, pour l'opérateur européen de satellites SES ou pour Intelsat. Illustrant la concurrence que se livrent les lanceurs « low cost », un marché thaïlandais a été gagné par Space X contre le lanceur chinois Longue Marche. Longtemps les succès de Space X sont demeurés théoriques : ainsi l'entreprise a réalisé des bénéfices en 2011, en l'absence de tout lancement, grâce à ses développements pour le compte de la NASA, et en remportant les deux contrats de lancement de satellites à propulsion électrique commandés à Boeing par les opérateurs asiatique ABS (Asia Broadcast system) et mexicain (SatMex). Toutefois, en 2012, le lanceur Falcon 9 a connu plusieurs succès, le carnet de commandes a continué à s'étoffer (1 Md$), et le soutien de la NASA s'est consolidé. Le premier lancement commercial de Falcon 9 doit avoir lieu en 2013, de la base américaine de Vandenberg, pour MDA 33 ( * ) (Canada). Un peu plus tard au cours de la même année doit avoir lieu le premier lancement vers l'orbite géostationnaire, pour l'opérateur de satellites SES. Certes, la plupart des clients de Space X ont prévu une « porte de sortie », vers un autre lanceur, en cas de défaillance de l'entreprise californienne, mais c'est la première fois qu'un lanceur ayant si peu volé, et jamais vers l'orbite géostationnaire, engrange autant de commandes.
Space X a été fondée au départ avec l'ambition affichée de relancer l'intérêt pour l'exploration humaine de Mars en contribuant à en diminuer les coûts. L'objectif ultime de son fondateur n'est rien moins que de créer une nouvelle civilisation sur Mars... Cette entreprise se veut ainsi une nouvelle incarnation du rêve américain, combinaison, au moins symboliquement, du mythe de la libre-entreprise et de celui de la conquête d'une « nouvelle frontière ». Au fond, le concept d'une entreprise privée, fortement subventionnée par la puissance publique, mais investissant néanmoins aussi sur fonds propres, n'est pas si éloigné du modèle européen. Mais Space X ne se prive pas de jouer sur ses mythes fondateurs, en rappelant l'investissement privé initial de son fondateur, et sa parenté avec l'histoire spatiale américaine (le moteur Merlin qu'elle utilise provenant par exemple du module de descente lunaire du programme Apollo).
Mais surtout, pour parvenir à ses objectifs de long terme, et faire baisser les coûts de l'exploration spatiale, l'entreprise ne cache pas ses ambitions commerciales, susceptibles de venir très rapidement bouleverser les marchés. Le fort soutien de la NASA dont elle bénéficie laisse penser qu'elle pourrait y parvenir.
S'il y a bien un « modèle Space X », c'est dans le sens d'une rénovation des relations entre acteurs institutionnels et industriels, et d'une optimisation de l'organisation productive, sources de réduction des coûts.
S'il y a sans doute des leçons à tirer de ce modèle pour l'Europe, celui-ci a aussi ses limites, puisque Space X devra subir à l'avenir un important « fardeau » de régulations imposées par la NASA. L'un des interlocuteurs américains de vos rapporteurs a même envisagé la possibilité que Space X refuse à terme ce « fardeau », susceptible de nuire à sa compétitivité.
* 30 International Launch Services (lanceur Proton)
* 31 Commercial Resupply Services (CRS).
* 32 Commercial orbital transportation services (services commerciaux de transport orbital)
* 33 MacDonald, Dettwiler and Associates Ltd. (MDA)