Audition de Mme Marie-Cécile MOULINIER,
secrétaire générale du Conseil national de l'Ordre des sages-femmes,
et M. Alain BISSONNIER, juriste
(mardi 20 novembre 2012)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, l'audition des ordres professionnels nous a paru constituer une étape obligée de nos travaux.

Nous commençons aujourd'hui cette série d'auditions, qui va se poursuivre pendant plusieurs séances, avec l'Ordre de sages-femmes puis l'Ordre des pharmaciens.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

J'en viens à notre réunion.

Je rappelle à l'attention de Mme Marie-Cécile Moulinier, secrétaire générale de l'Ordre des sages-femmes et de M. Alain Bissonnier, qui exerce les fonctions de juriste de l'Ordre, que notre commission d'enquête s'est constituée sur la base d'une initiative de notre collègue Jacques Mézard, président du groupe RDSE. M. Mézard a donc tout naturellement été chargé du rapport de cette commission qui sera remis début avril 2013.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à Mme Marie-Cécile Moulinier et à M. Alain Bissonnier de prêter serment.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Madame Marie-Cécile Moulinier et monsieur Alain Bissonnier, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les deux personnes se lèvent et prêtent serment.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Le sujet de cette commission d'enquête est l'influence des dérives sectaires dans le domaine de la santé. Sans porter atteinte à la liberté de conscience ou d'expression, nous voulons examiner certaines dérives ou pratiques dangereuses pour nos concitoyens, qu'il s'agisse de leur santé physique, mentale, ou de pratiques ayant des objectifs purement financiers mais pouvant avoir des conséquences inacceptables. De quelle nature sont les pratiques thérapeutiques alternatives que vous êtes amenés à observer dans le domaine des sages-femmes ? Avez-vous dans votre Ordre des signalements et une action particulière ? Sont-ils géographiquement concentrés dans certains secteurs ? Comment caractériseriez-vous la situation actuelle ?

Mme Marie-Cécile Moulinier, secrétaire générale de l'Ordre des sages-femmes . - Concernant des pratiques alternatives aux pratiques médicamenteuses, nous avons deux sources : d'une part, ce que l'on nous rapporte, d'autre part, les sites internet des sages-femmes.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Sont-ils autorisés ?

Mme Marie-Cécile Moulinier . - Oui, dans la mesure où ils respectent les règles de bonnes pratiques émises par le Conseil national de l'Ordre. Ce sont des sites d'information à destination des patients et du grand public. Une sage-femme prônait sur son site la placentothérapie, qu'elle accompagnait de conseils culinaires. C'est évidemment éloigné de ce que recommande la médecine, et elle a été condamnée par la chambre disciplinaire en première instance au mois de juin.

M. Alain Milon , président . - Quel est le rapport entre la cuisine et le placenta ?

Mme Marie-Cécile Moulinier . - La patiente récupère son placenta pour le cuisiner, à l'exemple des animaux qui mangent leur placenta... Il existe encore d'autres pratiques : des parents demandent à récupérer une partie du placenta ou du cordon, qu'ils diluent dans une solution alcoolique afin d'obtenir un médicament renforçant le système immunitaire de l'enfant. Les maternités n'ont pas le droit de le leur donner et leur refus peut être source de conflits.

La sage-femme en question avait une pratique de suivi « global » de naissance avec accouchement à domicile en Haute-Savoie. L'accouchement à domicile n'est pas en soi interdit par la loi, et est souvent demandé par des parents déçus après une « mauvaise expérience » à l'hôpital pour un premier enfant. Face à l'hypermédicalisation, ils se tournent vers un autre type d'accompagnement moins médicalisé. Certaines sages-femmes pratiquent l'accouchement « global », mais l'accès aux plateaux techniques, qui au moment critique offre un environnement sécurisé et acceptable, n'est pas assez développé alors que cette solution peut être une bonne alternative, qui permet de rentrer à la maison quelques heures après la naissance, qui a été faite dans un environnement médical acceptable.

On trouve même parfois, dans un autre contexte, des sages-femmes en cheville avec des sortes de gourous. Celle que j'ai citée redirigeait ses patientes vers son compagnon qui pratiquait l'iridologie...

Les sages-femmes sont aussi confrontées à des parents qui peuvent être très exigeants sur leur projet de naissance, je pense aux végétariens ou aux végétaliens par exemple. Nous leur demandons d'être attentives, pour ne pas être accusées de complicité, quand les parents refusent le suivi médical du nourrisson, ce qui peut compromettre ensuite la mise en oeuvre du programme de vaccination. Nous avons eu un cas de cet ordre avec une sage-femme qui s'est peut-être laissé influencer par les parents ; elle n'a pas mis son veto au refus des parents de suivi médical de l'enfant, et s'est occupée du suivi de la mère parce qu'elle était allaitante. Or, en dehors de l'examen du nouveau-né et de l'allaitement, les compétences des sages-femmes sont limitées à un suivi staturo-pondéral : elles ne peuvent ni procéder à l'examen mensuel ni gérer le calendrier vaccinal qui relève des médecins. L'enfant a été amené par sa grand-mère à dix-huit mois, il n'avait reçu aucun vaccin et était en état de dénutrition avancée. Dans ce cas, la sage-femme n'a pas su poser de limites, ce qui n'en fait pas nécessairement une adepte de cette méthode d'accompagnement. Elle a donc reçu un avertissement.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous avez donc déjà été amenés à prendre des sanctions ?

Mme Marie-Cécile Moulinier . - La première sage-femme évoquée a été suspendue en juillet dernier pour un an. Mais comme elle pratiquait dans une zone frontalière, elle est allée travailler dans une maison de naissance du canton de Genève. Nous avons alerté les autorités helvétiques, le dossier est en cours.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Avez-vous le sentiment que ces pratiques déviantes augmentent ?

Mme Marie-Cécile Moulinier . - Nous sommes passés de zéro à deux cas... Nous avons également porté plainte en Ariège contre une accompagnante à la naissance, une « doula », suite à la mort d'un nouveau-né. Elle pratiquait l'accouchement à domicile en Ariège depuis 2008 et disait avoir obtenu son diplôme aux Etats-Unis.

M. Alain Milon , président . - Pour exercer, la sage-femme doit être reconnue par l'Ordre !

Mme Marie-Cécile Moulinier . - Pour nous ce n'était pas une sage-femme, c'était une « doula », c'est-à-dire une accompagnante à la naissance sans diplôme. Le Conseil national a porté plainte, elle a été condamnée pour exercice illégal de la profession, mise en danger de la vie d'autrui et homicide involontaire. Elle est repartie aux Etats-Unis.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Que pensez-vous du développement des « doulas » ?

Mme Marie-Cécile Moulinier . - On en a beaucoup parlé en 2007, 2008 et 2009. Le sujet est moins d'actualité aujourd'hui. Nous avons dénoncé leurs pratiques chaque fois que cela a été possible. Nous avons une ou deux consoeurs qui participent à des formations sommaires pour ces personnes, nous les avons rappelées à l'Ordre. Dans l'ensemble, c'est une pratique assez marginale. Son coût n'est d'ailleurs pas négligeable, de l'Ordre de 500 à 800 euros, contre 316 euros pour un accouchement réalisé par une sage-femme libérale, remboursés par la sécurité sociale. Les « doulas » ont tenté de faire reconnaître leur profession et de bénéficier du chèque emploi service, mais sans succès.

- Présidence de M. Bernard Saugey, vice-président. -

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Pourriez-vous nous indiquer ce que les pratiques des « doulas » ont de choquant ? Que faudrait-il faire ? Je lis dans leur charte : « Etre doula est une manière d'être et non de faire »...

Mme Marie-Cécile Moulinier . - Elles affirment qu'elles ne se substituent pas aux professionnels de santé, mais elles sont très présentes, à un moment de particulière vulnérabilité psychique des parents. Leurs conseils ne sont pas étayés par des connaissances sérieuses dans le domaine obstétrical. A une femme qui perd les eaux, elles déconseilleront par exemple de se rendre tout de suite à la maternité, sous prétexte qu'on va la mettre sous perfusion avec des antibiotiques. Or, le risque d'infection et de perte du bébé est réel.

Les « doulas » tiennent un discours rassurant au moment où les maternités françaises manquent de personnel. En Suède, dans un établissement qui réalise 6 000 naissances, on compte une sage-femme pour une patiente, au maximum deux. En France, les sages-femmes s'occupent en moyenne de quatre à cinq parturientes, qui sont à des stades différents de leur accouchement. Cette moindre disponibilité est compensée par l'hypermédicalisation : salles d'opération, monitoring et péridurale, pratiquée dans 95 % à 98 % dans les grands centres. Les patientes ont une perfusion à chaque bras, une pour l'anesthésiste, une pour la sage-femme, sans oublier l'oxygénation. On ne fait pas mieux pour une greffe du poumon ! Mais en termes de relations humaines, les sages-femmes passent moins de temps avec les patientes. Elles rentrent en salle, font pousser la patiente, souvent elles surveillent en même temps le monitoring du box d'à côté... On peut comprendre que certains parents hésitent la fois suivante à revenir à la maternité.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - C'est ainsi que cela se passe pendant l'accouchement ?

Mme Marie-Cécile Moulinier . - Oui. Avec la T2A, les consultations qui duraient une demi-heure sont passées à vingt minutes. Le même objectif de rentabilisation prévaut pour l'accouchement.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Les « doulas » pallient-elles à la carence des sages-femmes ?

Mme Marie-Cécile Moulinier . - C'est en effet une place que nous avons laissée vacante. Je suis sage-femme depuis trente-deux ans. Au début des années 1980, lorsque j'ai eu mon diplôme, nous ne pratiquions quasiment pas la péridurale. J'exerçais à Lyon dans une maternité à échelle humaine qui réalisait 1 300 accouchements par an. Lorsque nous avions trois accouchements, c'était une grosse journée.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Comment expliquez-vous la création de cette association de « doulas » ?

Mme Marie-Cécile Moulinier . - C'est un mouvement qui vient des Etats-Unis. Est-ce en lien avec les sectes ? Le phénomène est récent en France, il date des années 2005 à 2007. Si nous avions été plus présentes, il n'y aurait pas eu besoin d'accompagnantes à la naissance.

M. Bernard Saugey , vice-président. - Avez-vous quelque chose à ajouter ?

Mme Marie-Cécile Moulinier . - Les Témoins de Jéhovah refusent la transfusion sanguine, ce qui pose problème en cas d'hémorragie de la mère ou en cas d'incompatibilité Rhésus pour l'enfant. Nous avons toujours à disposition le numéro de fax ou de téléphone du procureur dans les maternités. Pendant l'intervention, les parents sont déchus de l'autorité parentale. Mais bien sûr, cela occasionne des frictions avec les parents.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Cela est-il fréquent ?

Mme Marie-Cécile Moulinier . - Non. J'ai connu deux cas dans ma carrière.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Si vous ne saisissez pas le procureur, la vie de l'enfant est en danger !

Mme Marie-Cécile Moulinier . - En effet. En cas d'hémorragie de la mère, on peut dans un premier temps faire appel au plasma. Mais pour les bébés, la transfusion est le seul moyen d'éviter l'ictère nucléaire.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - La position des Témoins de Jéhovah a-t-elle varié ?

Mme Marie-Cécile Moulinier . - Pas à ma connaissance.

M. Alain Bissonnier, juriste du Conseil national de l'Ordre des sages-femmes . - Il n'existe pas de faits avérés de sages-femmes participant à des mouvements sectaires. Les chambres disciplinaires de l'Ordre des sages-femmes ont été amenées récemment à sanctionner deux sages-femmes que l'on peut soupçonner de dérive sectaire dans leur pratique, mais elles n'ont jamais avoué qu'elles participaient à des mouvements sectaires. Nous connaissons un groupe de professionnelles soupçonnées, en Suisse, à proximité de la frontière. La sage-femme qui a été sanctionnée exerce maintenant dans ce pays. Nous avons alerté nos correspondants helvétiques. Et nous sommes particulièrement attentifs au cas évoqué dans l'Ariège.

De manière générale, le code de déontologie encadre la pratique et nous sommes juridiquement bien armés. Mais il y a plus de 800 000 naissances par an en France et, lorsque la vie apparaît, la sensibilité de chacun joue un rôle important dans les demandes des uns et des autres. Les difficultés des sages-femmes viennent surtout de la demande des parents et des couples dont les « projets de naissance » sont parfois incompatibles avec les règles de bon exercice et de fonctionnement des maternités.

Globalement cependant, les sages-femmes sont peu concernées par les mouvements sectaires. Ce sont plus les pratiques des populations auxquelles elles ont affaire qui sont susceptibles de mettre en danger la vie de la mère et de l'enfant.

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