II. AUDITION DE MM. PIERRE MOSCOVICI ET BERNARD CAZENEUVE (17 AVRIL 2013)

Réunie le mercredi 17 avril 2013, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet, vice-président, la commission a procédé à l'audition de MM. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, et Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget, sur le projet de programme national de réforme et sur le projet de programme de stabilité avant sa transmission à la Commission européenne, en application de l'article 121 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

M. Jean-Pierre Caffet, président . - Pierre Moscovici, retenu à la commission des finances de l'Assemblée nationale, nous rejoindra dès qu'il le pourra. Bernard Cazeneuve va nous présenter le projet de programme national de réforme, et le projet de programme de stabilité. Depuis trois ans, le Gouvernement soumet ces documents au Parlement avant de les transmettre aux autorités européennes : dans le cadre du Semestre européen. Cette année, les prévisions macroéconomiques qui les sous-tendent ont fait l'objet, pour la première fois, d'un avis du Haut Conseil des finances publiques, rendu le 16 avril dernier. La Commission européenne formulera des recommandations au Conseil, qui adoptera lui-même des recommandations aux Etats au début de l'été.

Nous entrons avec cette audition dans notre cycle budgétaire de printemps : mardi prochain, nous entendrons le rapport du rapporteur général sur le programme de stabilité, dont nous débattrons le lendemain en séance avec le Gouvernement. Nous prendrons connaissance fin mai du projet de loi de règlement et de l'avis du Haut Conseil des finances publiques sur le respect de la trajectoire de solde structurel en 2012. Nous aurons fin juin le rapport de la Cour des comptes sur les perspectives des finances publiques, puis celui du Gouvernement sur les orientations des finances publiques, et nous aurons de nouveau un débat.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget . - Je vous remercie de votre accueil. C'est la première fois que je me trouve devant cette commission depuis que j'ai été nommé ministre délégué en charge du budget, et je tiens à vous dire ma disponibilité pour venir devant vous, aussi souvent que vous le jugerez nécessaire, évoquer tous les sujets qui relèvent de mon ministère, depuis les questions fiscales jusqu'à la préparation du budget, en passant par l'épargne.

Inscrit en effet dans le cadre du Semestre européen, le programme de stabilité met en oeuvre les procédures nouvelles de relations entre institutions européennes et institutions nationales, destinées à faire converger les politiques économiques et budgétaires. Programme national de réforme et programme de stabilité décrivent la stratégie économique du Gouvernement, ainsi que le scénario macroéconomique et la trajectoire de finances publiques qui la sous-tendent. Ces textes ont la même importance et la même portée symbolique, politique et juridique qu'un projet de loi de finances : c'est avec solennité que je les présente.

Le président de la République l'a rappelé récemment, le Gouvernement avait pour mission de redresser l'économie du pays, dans une approche équilibrée réconciliant redressement des finances publiques, réformes ambitieuses et recherche active de la croissance. C'est le sillon que nous nous traçons depuis notre arrivée aux responsabilités, avec pour boussole la justice, et pour ligne d'horizon l'inversion de la courbe du chômage.

Le contexte est particulièrement difficile. L'héritage est lourd : 600 milliards d'euros de dettes en plus au cours du précédent quinquennat (20 % de notre PIB), 1,8 point de PIB de déficit structurel en cinq ans. Le déficit nominal aurait été de 5,5 % du PIB si nous n'avions pas pris des dispositions correctrices. Nous souffrons également de lourdes faiblesses structurelles : une croissance nulle en moyenne au cours du précédent quinquennat, mais un million de chômeurs de plus ; 750 000 emplois perdus dans l'industrie en dix ans, la part du secteur secondaire dans la valeur ajoutée étant revenue de 18 % à 12,5 % entre 2000 et 2011. La perte de notre substance industrielle et l'affaiblissement considérable de notre compétitivité se traduisent par un déficit commercial supérieur à 65 milliards d'euros en 2012. Nous ne pouvons réparer en quelques mois un tel héritage.

La zone euro, désormais stabilisée, n'a pas pour autant retrouvé sa croissance d'avant la crise ; la dégradation de la situation économique s'est intensifiée fin 2012, et selon les dernières prévisions de la Commission européenne, la zone euro restera en récession, alors que le chômage touche 19 millions de personnes en Europe.

Des réformes sont indispensables. Pourquoi opposer croissance et redressement des comptes ? On ne peut réussir l'un sans l'autre. Bien sûr, en économie, tout est affaire de choix ; cependant le discours selon lequel nous pouvons laisser nos comptes dériver sans coûts et sans frais, s'il sonne doux à l'oreille, reste une absolue contre-vérité. Oui, nous pouvons laisser monter la dette, comme l'ont fait l'Italie ou la Grèce, si nous n'avons que faire de l'indépendance financière de notre pays, si nous ne craignons pas de nous voir imposer demain un redressement brutal. Oui, nous pouvons laisser se creuser les déficits, si nous estimons qu'il est juste de demander aux générations futures d'en assumer le fardeau. Oui, nous pouvons ignorer le poids de la dette, dès lors que nous trouvons naturel que les intérêts soient le premier poste budgétaire, devant l'éducation, devant les services publics, devant le soutien à l'emploi. Non, cette vérité ne fait pas plaisir à entendre, qui contraint les gouvernements à sortir de l'illusion confortable qu'un pays endetté est un pays fort, un pays en marche vers son futur. Voilà la réalité : un pays qui s'endette s'appauvrit, il s'affaiblit.

Ce débat a été tranché : la vraie question est celle du rythme du redressement, et de l'équilibre entre croissance et consolidation budgétaire. Ce Gouvernement porte avec force la volonté de réussir à la fois la consolidation budgétaire et le rétablissement de notre économie : nous défendons depuis mai 2012 un rééquilibrage des politiques européennes en faveur de la croissance. Je le fais dans le cadre de nos relations bilatérales, Pierre Moscovici s'y emploie en particulier auprès de nos partenaires allemands, car la relation franco-allemande reste un moteur puissant, et l'Allemagne, dont les finances sont solides, est en mesure de donner plus de dynamisme à son économie. Pierre Moscovici la porte aussi dans les enceintes plus larges, au G 7 au G 20, au Fonds monétaire international (FMI) ou à l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) : autant de lieux où nous défendons l'idée que pour la croissance européenne, il est aussi grave de ne pas faire de relance quand on pourrait le faire, que de ne pas faire l'ajustement des finances publiques quand on le doit.

L'objet du programme de stabilité et du programme national de réforme est précisément de tracer cette voie entre croissance et remise en ordre des comptes. Je suis convaincu que la voie que nos programmes dessinent est la bonne pour la France, mais aussi pour l'Europe. Agenda domestique et agenda européen sont étroitement liés : c'est parce que nous faisons les efforts nécessaires que nous serons entendus par nos partenaires européens. Si nous ne sommes pas crédibles, nous ne pèserons pas en Europe. Menons à notre façon les réformes qui sont attendues de nous. Nous le faisons déjà avec le pacte de compétitivité, ou l'accord sur la sécurisation de l'emploi. Poursuivons dans la voie du redressement des finances publiques, à un rythme économiquement efficace et socialement juste. Nous serons plus forts sur la scène internationale et, grâce aux évolutions attendues en Europe, nous pourrons faire évoluer notre stratégie.

Nous avons bâti ces programmes sur des prévisions de croissance réalistes, identiques, pour 2013 et 2014, à celles de la Commission européenne : 0,1 % en 2013, 1,2 % en 2014, puis 2,0 % par an entre 2015 et 2017. Le Haut Conseil des finances publiques a rendu son avis ; il estime que des aléas font peser un risque à la baisse sur les prévisions. Si nous reconnaissons l'existence de tels facteurs, nous confirmons nos prévisions. Compte tenu de l'ampleur des réformes engagées, un objectif de croissance plus prudent en 2014 ne serait pas justifié, et exigerait un ajustement excessif en 2014.

Nous en avons la conviction, l'Europe va progressivement redémarrer. Pour de nombreux pays, le plus gros des efforts est désormais passé. Avec le pacte de croissance adopté en juin, et les 10 milliards d'augmentation de capital de la BEI, soixante milliards d'euros de prêts seront engagés ; la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) restera durablement accommodante ; les pays sous tension bénéficieront de meilleures conditions de financement, grâce à la mise en oeuvre résolue de l'union bancaire.

Les réformes que nous menons en France vont porter leurs fruits : les 20 milliards d'euros du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), la réforme du financement de l'économie, les 150 000 emplois d'avenir à horizon 2014, les contrats de génération, le renforcement des moyens de Pôle emploi, l'accord des partenaires sociaux sur la sécurisation de l'emploi, et le plan d'urgence en faveur du logement vont soutenir notre activité. Oui, nos hypothèses de croissance sont réalistes et prudentes.

Le programme national de réforme est structuré autour de quatre axes : redresser les comptes publics, rétablir la compétitivité de notre tissu productif, préparer l'avenir et lutter contre le chômage et la précarité.

Nous avons fait plus en onze mois en matière de compétitivité que nos prédécesseurs en dix ans. Nous avons d'abord réorienté notre système fiscal pour encourager la compétitivité et l'innovation. Les 20 milliards d'euros du CICE relèveront l'activité de 0,5 point de PIB et créeront 300 000 emplois d'ici 2017. Pierre Moscovici travaille à ce que les entreprises se saisissent de ce dispositif, déjà opérationnel et qui va monter en puissance grâce à son préfinancement par le système bancaire pour les petites et moyennes entreprises (PME). Au-delà de cette mesure puissante - un point de PIB ! - la nouvelle fiscalité des dividendes incite les entreprises à réinvestir leurs bénéfices, et le crédit d'impôt recherche (CIR) a été étendu. Nous avons également remis le secteur financier au service de l'économie réelle avec la création de la BPI, la loi bancaire, le plan « trésorerie », ou encore le soutien au financement de l'investissement des collectivités territoriales. Nous engagerons dans les mois à venir une réforme de la fiscalité de l'épargne, sur la base des conclusions des travaux remis Karine Berger et Dominique Lefebvre, pour utiliser plus efficacement l'épargne abondante des Français. La BPI parachèvera sa mue et proposera aux entreprises des solutions de financement globales et intégrées. Le plan pour la trésorerie des entreprises continuera à être déployé.

Nous mènerons en 2013 des réformes de structure majeures dans le secteur des services, de l'énergie et du logement, afin de faire baisser les prix, de réduire les coûts des entreprises et de soutenir le pouvoir d'achat des ménages. Pierre Moscovici et Benoît Hamon présenteront, début mai, un projet de loi sur la consommation renforçant les droits des consommateurs et luttant contre les rentes de situation. Une réforme du secteur ferroviaire, au premier semestre 2013, améliorera la qualité de son service et son efficacité industrielle tout en préparant les prochaines étapes de l'ouverture à la concurrence. Des réformes sont aussi envisagées dans le secteur de l'énergie : leurs contours seront précisés à l'issue du débat sur la transition énergétique de juillet 2013.

Toutes ces initiatives, auxquelles s'ajoute le « choc de simplification », font masse et font sens. Elles soulignent la cohérence des actions d'un gouvernement qui fait confiance aux entreprises, et dessine progressivement une politique de l'offre ambitieuse et innovante.

Nous préparons l'avenir en encourageant la structuration de l'économie autour de filières industrielles clefs et en soutenant les secteurs stratégiques par une politique d'investissements ciblés. Nous organiserons au premier semestre une consultation pour retenir les initiatives industrielles prioritaires pour le quinquennat. Celles-ci seront soutenues par un fonds « multisectoriel » doté de 590 millions d'euros et mis en place au sein de la BPI.

Nous déploierons parallèlement notre stratégie d'investissements de long terme dans les secteurs clefs du logement, de la rénovation thermique et du numérique. Nous renforcerons le potentiel de croissance du pays et dessinerons l'économie de demain sans peser sur nos finances publiques. Par exemple, le projet de loi sur le logement, qui sera présenté d'ici juin, dynamisera l'offre et freinera la hausse des prix de l'immobilier en soutenant le pouvoir d'achat des Français et la compétitivité-coût des entreprises. Le lien entre réformes, croissance et redressement des comptes apparaît pleinement ici.

Nous travaillerons en 2013 au plein déploiement des mesures adoptées pour lutter contre le chômage et la précarité, et nous amplifierons les effets de nos politiques grâce à une grande réforme de la formation professionnelle. La réforme du marché du travail, d'abord : l'Accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier a été identifié à l'étranger comme un signe absolument majeur de la volonté et de la capacité de la France à se réformer. Il facilitera l'adaptation des entreprises aux chocs structurels tout en accordant de nouveaux droits aux salariés : c'est la clef de voûte de la lutte contre le chômage. Ce volet sera complété, au second semestre, par la renégociation de la convention d'assurance chômage, et par la réforme la formation professionnelle, dès cette année, afin de l'orienter vers ceux qui en ont le plus besoin.

En économie, il n'y a pas d' « Immaculée conception » : la croissance reviendra parce que nous aurons fait les efforts nécessaires. Redressement des comptes publics et redressement productif sont les deux faces d'une même médaille : le désendettement est un facteur de compétitivité. Notre stratégie est dictée par un impératif : trouver le juste équilibre, le bon rythme, pour la remise en ordre de nos comptes. En 2013, nous ajusterons le rythme d'assainissement des comptes pour ne pas briser la croissance ; en 2014 nous approfondirons notre effort structurel : ce sera une année de tournant, de basculement, dans la répartition de nos efforts entre recettes et dépenses ; à partir de 2015 nous commencerons à réduire la part de l'endettement dans le PIB et nous progresserons vers l'équilibre structurel grâce à la montée en puissance de nos économies.

Comme l'a dit le président de la République, notre politique économique n'est pas une politique d'austérité, c'est une politique sérieuse et juste. En 2013, nous laisserons davantage jouer les stabilisateurs automatiques face à la récession qui menace, et le déficit public nominal s'établira à 3,7 %. Ce choix de ne pas trop serrer la vis en cours d'année est crucial. Si l'effort structurel de 1,9 point de PIB programmé en loi de finances est maintenu, nous ne sommes pas dans l'austérité, dans le fétichisme du chiffre. L'austérité, ce serait ne pas tenir compte de la dégradation de la conjoncture, faire des coupes aveugles dans nos dépenses, baisser les salaires des fonctionnaires ou diminuer uniformément les prestations sociales. Nous plongerions dans ce travers si nous nous obstinions à vouloir tenir l'objectif nominal des 3 % de déficit alors que l'économie européenne s'enfonce, et que nous avons déjà sollicité un effort majeur des Français. La préservation de la croissance commande de ne pas ajouter l'austérité à la récession. Nous avons donc demandé à la Commission européenne de reporter nos engagements européens. M. Moscovici mène ce débat avec force et avec conviction auprès de nos partenaires. Les conclusions de ce débat nécessaire ne sont pas acquises.

C'est en 2014 que nous nous donnerons les moyens d'atteindre un déficit à 2,9 %, grâce à un effort structurel d'un point de PIB. Aller au-delà ne serait pas raisonnable. L'effort structurel reposera pour 70 % sur des économies et pour 30 % sur des recettes. Ce sera une année charnière : reprise économique grâce aux réformes que nous aurons adoptées, retour sous 3 %, inflexion de l'endettement, grâce à la montée en puissance de la Modernisation de l'action publique (MAP).

Nous maintenons le cap de l'équilibre structurel en fin de mandat, et nous nous rapprochons de l'équilibre nominal en 2017. C'est l'engagement du président de la République, c'est l'objectif du Gouvernement.

Cette trajectoire est sous-tendue par une évolution vertueuse de nos prélèvements obligatoires. En 2014, le Gouvernement ne prévoit aucune hausse d'impôt générale sur les ménages, au-delà de la réforme des taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour financer le CICE. Le président de la République l'a annoncé lors de son intervention télévisée, et c'est conforme aux orientations de la loi de programmation des finances publiques. Les prélèvements obligatoires passeront de 46,3 % à 46,5 %. Extrêmement limitée, cette hausse résultera avant tout de l'approfondissement de notre action contre les niches inefficaces et de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. A partir de 2015, le taux de prélèvements obligatoires se stabilisera, puis il baissera en fin de période.

Cette trajectoire d'ajustement budgétaire est enfin conçue pour soutenir la croissance potentielle de long terme, à travers une maîtrise de la dépense qui impliquera tous les acteurs, grâce à l'exercice ambitieux de la MAP. Le rythme d'évolution de la dépense publique sera divisé par quatre par rapport aux dix dernières années (0,5 % contre 2 %). Le poids de la dépense publique dans le PIB sera réduit de 3 points sur la durée du quinquennat, (60 milliards d'euros), contre une augmentation de 4,6 points de PIB au cours de la dernière décennie. La montée en puissance du processus de MAP jouera un rôle crucial pour dégager dans cette optique, des économies pérennes. L'intégralité des politiques publiques seront évaluées d'ici 2017, en association étroite avec les usagers, les agents et les acteurs de ces politiques. A ce stade, 20 % de la dépense publique est couverte par ces évaluations.

Tous les acteurs de la dépense publique contribueront à l'effort de redressement des comptes. Les dépenses de l'Etat hors dette et pensions baisseront de 1,5 milliard d'euros en 2014. Elles se stabiliseront en valeur à partir de 2016, les priorités du Gouvernement étant alors financées par redéploiement. Les concours financiers aux collectivités locales seront réduits de 1,5 milliard d'euros en 2014 puis de 3 milliards d'euros en 2015, dans le cadre plus global d'une rénovation des relations entre l'Etat et les collectivités. Outre les efforts déjà programmés sur l'assurance maladie, les partenaires sociaux ont conclu un accord sur les régimes complémentaires de retraite. Ils renégocieront aussi la convention de l'assurance chômage fin 2013. Enfin, des travaux seront engagés pour assurer l'équilibre à moyen terme des branches vieillesse et famille de la sécurité sociale.

La MAP n'est pas un exercice punitif : réduire le poids des dépenses est une condition de notre croissance et de notre compétitivité futures. C'est réduire notre dette et, partant assurer des conditions de financements favorables aux entreprises, limiter les transferts intergénérationnels, garantir que nous pourrons financer dans de bonnes conditions une dette détenue pour près de 63 % par des non-résidents, garantir la souveraineté de notre pays, bref, c'est retrouver des marges de manoeuvre pour nos politiques publiques.

Ces programmes sont l'occasion de valider nos orientations de politique économique, que nous souhaitons responsables et équilibrées. Le Gouvernement entend associer crédibilité et ambition, ne pas pénaliser pas la croissance mais préparer l'avenir, pour que la France pèse davantage dans la réorientation nécessaire de la construction européenne. Ces choix réalistes et sérieux, ambitieux et responsables, refusent l'austérité dont les Français ne veulent pas. Je souhaite qu'ils reçoivent l'approbation de votre assemblée.

M. Jean-Pierre Caffet, président . - Merci pour cette présentation très complète.

M. François Marc, rapporteur général . - Je souhaite la bienvenue à Bernard Cazeneuve. Il a accepté une charge difficile en cette période de tourmente économique et financière. Je lui présente mes voeux de pleine réussite. Merci, monsieur le Ministre, pour les bonnes intentions que vous manifestez à l'égard de notre commission.

M. Jean Arthuis . - C'est vrai que c'est toujours agréable.

M. Francis Delattre . - Trois milliards en moins pour les collectivités locales, voilà de bonnes intentions !

M. François Marc, rapporteur général . - Notre commission a besoin de travailler dans la sérénité, nécessaire dans cette période particulièrement difficile, et d'une façon efficace, dans l'intérêt de notre pays et de nos concitoyens. Par rapport à ce besoin de sérénité, j'ai noté que deux questions restaient aujourd'hui sans réponse, et je regrette que le président de notre commission ne soit pas là aujourd'hui, puisqu'il s'agit d'une actualité brûlante et difficile.

La première question porte sur l'administration de notre pays. En effet, le président de la commission des finances s'est exprimé devant l'opinion publique française, devant des millions de gens, à travers les vingt-six caméras qui l'accompagnaient à Bercy. Il a mis en cause l'administration de ce ministère, qui a été soupçonnée de rétention d'informations, puisqu'il a été dit qu'elle servait de bouclier à l'autorité politique et qu'on reviendrait pour faire parler les ordinateurs. Ceci indique clairement qu'il y a une suspicion de rétention d'informations.

Je souhaite vivement que le président Marini puisse nous indiquer lors de notre prochaine séance...

M. Roland du Luart . - Vous pouvez dire cela en sa présence, mais là ce n'est pas très courageux !

M. Richard Yung . - Il n'a qu'à être là !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - Ce n'est pas l'ordre du jour.

M. François Marc, rapporteur général . - Dans cette commission, on souhaite de la sérénité et une confiance réciproque avec l'administration avec laquelle nous sommes amenés à travailler régulièrement, et non une mise en cause implicite de tous ses membres. Je pense que Philippe Marini nous donnera les éléments qui nous permettront de comprendre ce qu'a été son raisonnement.

Par ailleurs, le ministre de l'économie et des finances appartient à un Gouvernement légitime et fait un excellent travail. Réclamer sa démission, c'est quelque part mettre en cause certains ressorts de son action ou certaines décisions prises. J'aimerais avoir aussi des explications sur ce point et savoir si mes collègues de l'opposition ont une position identique, car il nous faudra travailler en toute sérénité. Notre commission doit être vigilante quant à son mode de fonctionnement. Il y a eu aujourd'hui, en séance publique, un rappel au règlement de la part d'un de nos collègues sur la nécessité d'un partage d'informations au sein de notre commission. Pour ma part, en tant que rapporteur général, j'ai toujours veillé à partager l'information dont je disposais, et je souhaite que l'on puisse avoir une méthode de travail appropriée en la matière.

J'en viens maintenant aux questions qu'appellent le programme de stabilité et le programme national de réforme.

Le Haut Conseil des finances publiques a validé les prévisions du Gouvernement, tout en émettant des réserves. Quels sont les déterminants du scénario de reprise ? Les Etats membres se sont engagés à mettre en oeuvre un rééquilibrage de leur balance courante : ajustement de compétitivité dans les pays en déficit, soutien à la demande intérieure dans les pays en excédent. Y a-t-il une prise en compte, par l'Allemagne, de cette exigence européenne qui la conduirait à soutenir sa demande intérieure ?

S'agissant de l'épargne, il y a un équilibre à trouver entre court terme et long terme. Une baisse de ce taux relancera la consommation, mais dans le même temps, l'investissement à long terme suppose de stabiliser l'épargne.

A propos de la MAP, les chiffres de 1 milliard d'euros en 2014, de 1,5 milliard en 2015 d'économies sont-ils des objectifs ou des estimations ? L'OCDE avait évalué le coût de conformité aux normes pour les entreprises entre 4 % et 12 % du PIB. Une baisse de ces coûts accroîtrait le potentiel d'investissement et d'innovation. Avez-vous une idée des effets du choc de simplification ; s'appliquera-t-il aussi au stock de normes ?

Comment la politique industrielle de filières sera-t-elle mise en oeuvre ? Le Conseil national de l'industrie (CNI) installé en février sélectionnera des projets industriels pour le quinquennat, qui bénéficieront d'un fonds « multisectoriel » de 590 millions d'euros. Quelle sera l'articulation avec la politique du commerce extérieur ? Les fonds structurels européens doivent être reprogrammés pour leur part non consommée. Le Gouvernement a demandé aux préfets de région d'identifier les projets porteurs de croissance susceptibles de bénéficier de ces fonds ; dans quelle mesure ont-ils pu être redéployés, selon quelles modalités et quels critères ? C'est un levier de croissance potentielle.

M. Jean-Pierre Caffet, président . - Je salue l'arrivée de Pierre Moscovici. Avec son accord, je donne la parole à Bernard Cazeneuve pour qu'il réponde à notre rapporteur général.

M. Bernard Cazeneuve . - Au cours des douze derniers mois, nous nous sommes efforcés, en liaison avec les institutions européennes, de créer les conditions du retour de la croissance. Il s'agit d'abord de rendre aux entreprises l'accès au financement bancaire, en réparant les dommages causés par les désordres de la crise. La mise en oeuvre de l'union bancaire au sein de l'Union européenne et les modalités nouvelles d'intervention de la BCE sur les marchés secondaires de la dette souveraine, notamment à travers le programme Outright Monetary Transactions , ont stabilisé la zone euro et créé les conditions d'une remise en ordre de la finance. La mise en place d'un dispositif de supervision des banques doit être accompagné de deux nouvelles étapes : la résolution des crises bancaires et la garantie des dépôts, afin que le système financier soit remis au service de l'économie réelle. Les actifs toxiques des banques doivent être nettoyés. La supervision bancaire devait être le préalable à la recapitalisation des banques par le Mécanisme européen de stabilité (MES).

Nous avons tout fait pour que des initiatives de croissance soient prises en Europe. Le pacte de croissance de 120 milliards d'euros comporte 10 milliards d'euros de recapitalisation de la BEI, grâce auxquels 60 milliards d'euros de prêts pourront être engagés dans des secteurs stratégiques (énergies renouvelables, transports de demain). Notre pays devrait recevoir 2,5 milliards d'euros sur les 55 milliards de fonds structurels. Si l'on y ajoute les 70 milliards d'euros de prêts de la BEI et les 650 millions d'euros de projects bonds , ce sont près de 10 milliards d'euros qui devraient pouvoir être engagés en 2013 et 2014 au service de la stratégie de croissance à laquelle nous croyons. Cette politique est complétée par des initiatives bilatérales comme l'illustre la création de l'Office franco-allemand pour les énergies renouvelables ou du groupe de travail franco-allemand sur l'électromobilité.

M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances . - Veuillez excuser mon retard, je reviens de la commission des finances de l'Assemblée nationale où j'apportais des réponses précises à des questions imprécises sur des sujets moins importants pour l'avenir.

Le programme national de réforme et le programme de stabilité s'inscrivent dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques tout en tenant compte la conjoncture économique dans la zone euro et en France. Nos objectifs sont inchangés : la croissance, l'inversion de la courbe du chômage et la justice. Nous voulons coupler le redressement productif et celui des comptes publics. La lutte contre les déficits est un impératif catégorique, car un pays qui s'endette est un pays qui s'appauvrit. Nous avons fait le choix du sérieux, non celui de l'austérité. Oui, la France doit faire un effort mais pas au prix de la croissance. Les Français ne veulent pas de l'austérité et ils ont raison. Notre politique sera menée en trois temps : pas d'ajustement budgétaire supplémentaire en 2013, avec un déficit de 3,7 %, puis la poursuite des réformes structurelles en 2014, année où le déficit s'établira à 2,9 %, avant de tendre à partir de 2015 vers un équilibre structurel attendu pour la fin de la période.

Monsieur Marc, il est vrai que le taux d'épargne des Français baisse de 16,1 % en 2011 à 15,5 % en 2014. Il demeure toutefois supérieur à ce qu'il était sur la période 1990-2011, ce qui contribue à l'attractivité de notre pays. Il devrait demeurer élevé même si la baisse est appelée à se poursuivre. La consommation résiste et nous avons fait le choix d'une hausse de la fiscalité ciblée, concentrée sur ceux dont la propension à consommer est la plus faible. En 2013, la consommation devrait se maintenir, aidée notamment par le déblocage de l'épargne salariale à hauteur de 20 000 euros annoncée par le président de la République. En 2014, nous prévoyons un rebond du pouvoir d'achat, facilité par la baisse de l'épargne de précaution elle-même liée à celle du chômage.

Tout l'enjeu pour le Gouvernement est que cette épargne abondante serve davantage l'économie réelle. C'est l'objectif poursuivi par la création de la BPI, la loi bancaire, l'allocation de 20 milliards d'euros aux collectivités locales pour des projets à long terme, par notre action en faveur du logement et de l'économie numérique. Lorsque nous aurons tiré les conclusions définitives du rapport Berger-Lefebvre, nous aurons sans doute devant votre commission un débat sur l'épargne et son utilisation. La volonté du président de la République est de faire en sorte que l'investissement tire la croissance française.

M. Yvon Collin . - Nous prenons acte de votre volonté de redresser le pays dans un contexte difficile. Pour avoir appartenu à la défunte délégation sénatoriale à la prospective, qui s'attachait auparavant à établir des prévisions économiques de moyen terme, expertise qui nous fait désormais défaut, je ne suis pas étonné par les prévisions du Haut Conseil des finances publiques. Nous savons bien en effet qu'un effort budgétaire d'1 point de PIB se traduit par une perte de croissance équivalente. Dans ces conditions, comment la courbe du chômage pourrait-elle s'inverser ?

Compte tenu d'un marché immobilier atone, le produit des droits de mutation évolue de façon inquiétante pour les collectivités territoriales. Enfin, avez-vous pris la mesure de l'enjeu de l'évasion fiscale internationale évaluée à au moins 30 milliards d'euros par la commission d'enquête sénatoriale présidée par Philippe Dominati et dont le rapporteur était Eric Bocquet ? Sur une question de cette importance, il me semble qu'il faut tenir compte des travaux de notre Haute assemblée.

M. Jean Arthuis . - J'adresse à mon tour à Bernard Cazeneuve tous mes voeux de réussite dans sa délicate mission. Je vous mets à l'aise ; tous les programmes de stabilité, toujours incantatoires, n'ont été que d'aimables histoires démenties par la réalité. Chômage, déficit commercial, déficit de compétitivité : il faut prendre la mesure de la gravité de la situation. On me dit que, fait sans précédent, le produit de la taxe d'apprentissage a baissé de 2 % en 2012. La situation est extrêmement grave, à la limite du décrochage.

Il n'est plus temps de s'invectiver comme des enfants dans une cour de récréation. Qu'on en finisse avec ces promesses de faire ce que l'autre n'a pas fait en dix ans : en prenant en compte les quinze dernières années, on mesurerait l'effet des 35 heures... Il nous faut transcender nos clivages pour sortir le pays de la difficulté. Nous ne le ferons pas avec des éléments de langage ou par une théâtralisation de la vie politique qui désespère nos concitoyens. Vous pouvez toujours annoncer que la BPI va faire ceci ou cela, la vraie question est de financer des entreprises de moins en moins rentables. Leurs marges baissent, elles n'en peuvent plus.

Je vous félicite d'avoir levé deux tabous : d'une part, depuis le CICE, il est possible de dire qu'il y a un problème de charges sociales ; d'autre part, vous avez déclaré que la hausse de la TVA n'était pas forcément une impasse. Malheureusement, vous n'êtes pas allés jusqu'au bout du chemin, vous avez même rétrogradé à propos de la TVA sur le logement. Attention, en Mayenne, des gîtes ruraux ne reçoivent plus seulement des touristes mais aussi des salariés d'entreprises polonaises mis à disposition du bâtiment et des travaux publics ou du secteur agro-alimentaire, dont les charges sont payées en Pologne. Une baisse de la TVA n'y changera rien, puisqu'il s'agit de prestations de service transnationales : le vrai sujet, c'est la baisse des cotisations sociales.

Le Haut Conseil des finances publiques est une grande innovation. Certains craignaient sa complaisance, il a jugé le Gouvernement trop optimiste, envisageant même une récession. Pourquoi ne reprenez-vous pas ses hypothèses ? Il ne suffit pas d'annoncer que vous allez baisser la dépense publique, il faut documenter les voies et moyens. Tant que vous ne vous attaquerez pas aux 35 heures dans la fonction publique, vous n'y arriverez pas. Enfin, êtes-vous prêts à soumettre le programme de stabilité au vote du Sénat ?

M. Aymeri de Montesquiou . - Monsieur Cazeneuve, nous nous retrouvons au moins sur deux points : on ne peut pas redresser l'économie sans redresser les finances et ce redressement ne procède pas de l'« Immaculée conception » - vous n'avez d'ailleurs pas découvert un saint Joseph.... Vous frôlez toutefois la caricature en prétendant avoir fait plus en onze mois qu'au cours des dix années précédentes ; vous oubliez la crise. Vous annoncez une baisse des dépenses publiques alors qu'une de vos premières actions a consisté à augmenter le nombre de fonctionnaires. Les impôts avaient augmenté au cours la période précédente, vous vous livrez à un matraquage fiscal récessif qui fait fuir les entrepreneurs et même les jeunes cadres. Invoquer la convergence européenne relève de l'incantation quand nous faisons exactement de contraire de la Suède ou de la Belgique, qui baissent leurs dépenses et leurs impôts. Le CICE nous est présenté comme la panacée mais le président de la chambre de commerce de mon département n'en a vu aucun quand le préfet de région évoque le chiffre de vingt, c'est dérisoire !

M. Roland du Luart . - J'adresse tous mes voeux de réussite à Bernard Cazeneuve car, pour accéder à ces fonctions en pareilles circonstances, il faut être courageux et aimer la politique.

Un climat de sérénité est essentiel. J'ai été choqué par les propos du rapporteur général en l'absence de notre président. Si je suis de ceux qui pensent que ce dernier aurait dû être là pour auditionner les ministres en cette période difficile, notre groupe demandera à procéder à une audition du ministre, dans les mêmes conditions qu'à l'Assemblée nationale, sur des questions qui ne doivent pas être mélangées avec les sujets du jour.

Pour le plus ancien membre de la commission que je suis, il faut rétablir la confiance. Arrêtons de rejeter sans cesse la faute sur l'autre. Je trouve regrettable que toutes les interventions ministérielles renvoient la faute sur l'ancien gouvernement. Vous avez nié la crise qui frappe le peuple de France, bien plus que la classe politique. Faute de trouver des solutions, nous assisterons à une levée de bouclier à l'italienne. Chaque année, les chiffres de croissance annoncés en loi de finances sont démentis par la réalité et encore plus avec la crise. Cessons de raconter des carambouilles aux Français, tout redressement passe par une forte baisse des dépenses. Or avec mes trente-six ans de maison, je ne sens pas une volonté de réduction des dépenses dans votre document.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - Je salue la dialectique remarquable de Bernard Cazeneuve que j'avais déjà appréciée aux affaires européennes. Son propos a été plus politique que technique. Ma question sera, quant à elle, strictement technique : quel était le montant de la dette le 6 mai 2012 et quel est-il maintenant ? Je pense qu'il a augmenté. Dîtes-moi que je me trompe...

M. Jean-Pierre Caffet, président . - La dette est un paquebot qui court sur son erre.

M. Vincent Delahaye . - Je ne serais pas surpris que la Commission européenne ne soit pas convaincue par votre document. En quoi la situation est-elle, comme vous le dites, en voie d'amélioration ? Où est le réalisme de vos hypothèses quand le Haut Conseil les remet en cause ? Comme je l'avais proposé au précédent gouvernement, pourquoi ne pas faire preuve de prudence en retenant la moyenne des hypothèses de croissance moins 0,5 point ? De la sorte nous ne pourrions qu'avoir des bonnes surprises.

La stricte maîtrise de la dépense publique que vous annoncez se traduit par un freinage de son augmentation. Ce n'est pas suffisant ; il y a beaucoup à faire notamment en s'attaquant aux dépenses non productives. Vous évaluez les dépenses publiques jusqu'en 2017. Or, le rapporteur général, nous avait annoncé que, dès septembre 2012, les ministères viendraient nous présenter leurs propositions d'économies et de modernisation, je n'ai rien vu... Nous pourrions inscrire le redressement dans une période plus longue et donner à Bruxelles des hypothèses crédibles et non démenties après trois mois. Il ne faudra pas s'étonner si l'Union reprend les choses en main.

Croyez-vous vraiment à l'inversion de la courbe du chômage ? Je l'espère sans y croire... On parle d'austérité, le ministre refuse le fétichisme du chiffre. Nous non plus, nous ne sommes pas favorables aux coupes aveugles, mais nous vous proposerons des économies.

La baisse de la dépense de 1,5 milliard d'euros a-t-elle un lien avec l'effort du même montant demandé aux collectivités ? Ces dernières doivent faire le même effort que l'Etat, pas plus. Les 14 milliards d'euros d'effort sur les dépenses annoncés incluent-ils les dépenses fiscales, qui constituent des hausses d'impôts ? Enfin l'opération Dexia coûtera-t-elle bien 10 milliards d'euros et quand sera-t-elle prise en charge ?

M. Richard Yung . - J'entends bien vos appels à la sérénité, mais ils ne s'accompagnent que de critiques. Le CICE ne compte pas, l'ANI non plus. Nous avons déjà réalisé 10 milliards d'euros de baisse des dépenses pour financer le CICE et l'on prévoit 6 milliards d'euros l'an prochain, auxquels s'ajoutent 2 milliards supplémentaires. Ce n'est pas assez ? C'est fait et c'est équilibré ! Faut-il aller plus loin pour développer cet outil puissant qu'est le CICE, monsieur le ministre ?

Peut-on retrouver des marges de croissance par une politique coordonnée en matière de consommation des ménages et d'investissement avec l'Allemagne et d'autres de nos partenaires ? L'Allemagne mène une politique salariale active quand les Pays-Bas, pays calviniste et rigoureux s'il en est, décalent les 3 %.

M. Jean Arthuis . - Les Pays-Bas sont fiscalement laxistes.

M. Richard Yung . - Alors que l'union bancaire était engagée, Wolfgang Schäuble semble faire marche arrière en renvoyant notamment à une révision des traités. Qu'en est-il ?

M. Serge Dassault . - Bravo, monsieur le Ministre, pour avoir pris aussi rapidement en main de si lourds dossiers. Pourquoi n'avons-nous pas de croissance, pourquoi n'exportons-nous pas assez, pourquoi n'investissons-nous pas assez ? Parce que nous ne travaillons pas assez, parce que nos coûts sont trop élevés, que nous n'avons pas assez de robots et que l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) fait fuir les investisseurs. Je vous propose un plan en plusieurs points : premièrement, le retour aux 39 heures sera bon pour notre compétitivité et rapportera 21 milliards d'euros à votre budget ; deuxièmement, supprimez l'ISF qui ne nous rapporte pas grand-chose et pousse des gens accablés d'impôts à porter ailleurs leurs capitaux ou leurs compétences ; troisièmement, une hausse 3 points de la TVA dégagerait 25 milliards d'euros de recettes supplémentaires. 50 milliards d'euros, cela vaut la peine d'y songer, surtout quand notre note risque d'être abaissée. Suivez les bons conseils de M. Migaud, baissez les impôts et les dépenses. Ce n'est pas une affaire de droite ou de gauche, c'est la France qui doit gagner.

M. Joël Bourdin . - Il est vrai que notre taux d'épargne est supérieur à 15 % quand celui des Etats-Unis est de l'ordre de 2 %. La question majeure est celle de son utilisation, car elle va plus vers le livret A que vers les entreprises. L'épargne est faite pour être en face de l'investissement. La hausse de la fiscalité sur les dividendes maintient de l'épargne dans l'entreprise... un an. Et après ? Avez-vous des projets pour orienter l'épargne vers l'investissement ? L'argent du livret A met des années pour parvenir au financement du logement. Ne pourrait-on défiscaliser une épargne qui s'investirait dans l'entreprise ?

Mme Marie-France Beaufils . - Qu'est-ce qui vous permet d'annoncer une évolution positive de la croissance en Europe ? J'en doute en observant la situation en Europe du Sud et l'absence d'harmonisation fiscale et sociale. De quelle façon les recettes fiscales du premier semestre sont-elles affectées par la diminution de la consommation des ménages liée au chômage ? Comment comptez-vous réduire les niches fiscales qui constituent de véritables dépenses publiques ? De même, quelles sont vos pistes en matière de lutte contre l'évasion fiscale, sujet sur lequel le Sénat a récemment travaillé ? Vous indiquez que tout le monde doit faire un effort, y compris les collectivités territoriales. N'oubliez pas qu'elles représentent 70 % de l'investissement public et que les entreprises de bâtiment et de travaux publics, ressentent déjà les conséquences de la baisse de la dépense publique locale.

M. Edmond Hervé . - Je suis très attaché aux grands équilibres tout en considérant qu'il ne faut pas se limiter à une approche strictement comptable. Aussi le plus important à mes yeux est-il le programme national de réforme.

Il y a quelques mois, le rapporteur général nous avait présenté une courbe dite « de l'iroquois », où les objectifs et les réalisations des gouvernements apparaissaient avec des couleurs différentes - de quoi inciter chacun d'entre nous à la modestie. Les décisions annoncées sont-elles conformes aux objectifs affichés ? Par exemple, puisque vous évoquez la segmentation du marché du travail, on ne peut que regretter l'organisation de la formation professionnelle. Nous en sommes coresponsables. Quand je vois la concurrence à laquelle se livrent les chambres de commerce, les chambres des métiers et autres organismes, je me dis que nous avons là un travail à mener.

Les réflexions sur les 35 heures me suffisent, j'espère que nous aurons un jour un débat contradictoire à leur sujet. M. Gallois nous l'a dit, là n'est pas le problème. Regardez les moyennes horaires, les heures supplémentaires et l'évolution de la productivité...

M. Jean Arthuis . - Je parlais de la sphère publique...

M. Edmond Hervé . - J'y reviendrai ! Notre principal problème tient à ce que les gens commencent à travailler trop tard et s'arrêtent trop tôt.

Merci, monsieur Arthuis d'avoir évoqué la fonction publique. J'attends avec impatience que l'on évoque la place des services publics dans la croissance. Quels sont nos principaux atouts ? La formation, les communications, l'énergie et certains coûts immobiliers. Sans cela, serions-nous l'un des pays les plus attractifs au monde ? J'attends aussi que l'on me dise en quoi le CICE n'est pas une bonne mesure. Cela ne dispense pas d'en faire sereinement le bilan ni, éventuellement, d'en revoir certains critères - on m'a dit qu'il serait particulièrement favorable aux entreprises d'intérim.

Nous sommes aussi divisés à propos de l'effet multiplicateur du budget. Les collectivités territoriales sont un élément essentiels de la reprise, mais il nous manque de la transversalité, c'est-à-dire la capacité à mobiliser les différents exécutifs, à faire, comme les préfets autrefois, que l'esprit entrepreneurial l'emporte sur la méfiance et l'abdication.

Monsieur Arthuis, dans votre exemple de travailleurs étrangers, les commissions d'appels d'offre ont-elles utilisé tous les outils dont elles disposent pour analyser la rémunération des salariés des entreprises candidates ? Cela fait partie de notre travail. Les experts restent des experts, ils ne diffuseront jamais l'enthousiasme et, au-delà de l'expertise, il y a la réalité, il y a l'autorité politique.

J'ai bien entendu les interrogations après l'intervention du rapporteur général. Cette commission dispose d'une présidence ici présente et qui communique. Je suis donc certain que les propos du rapporteur général lui seront transmis et qu'il en sera fait le meilleur usage.

M. Jean-Pierre Caffet, président . - Je n'y manquerai pas, de même que je retiens votre suggestion d'un débat sur les 35 heures, la durée horaire du travail et la comparaison entre la France et l'Allemagne.

M. Jean Germain . - Travaillons avec sérénité, la question principale n'est pas celle de la recherche des responsabilités, il y a des moments pour cela. Il importe plutôt de savoir comment nous allons nous en sortir. L'objet de cette réunion de commission n'est pas de donner des recettes mais d'échanger nos ressentis.

Qu'il s'agisse du rapport Gallois, du CICE, de la réforme des retraites ou de la ré-industrialisation, le programme national de réforme se comprend bien. La lassitude de l'opinion tient à ce qu'elle s'interroge en comparant la zone euro au reste du monde. La croissance mondiale sera de 3,3% en 2013. Elle s'établira à 1,9 % aux Etats-Unis en 2013 et à 3 % en 2014 ; à 0,7 % en 2013 et 1,5 % pour le Royaume-Uni quand elle est quasiment nulle en France, au Luxembourg ou en Belgique. Contrairement à ce que l'on entend parfois, beaucoup de pays européens font même moins : la Grèce (- 4,2 %), le Portugal (- 2,3 %), la Slovénie (- 2 %), l'Espagne (- 1,6 %), l'Italie (- 1,5 %) et même les Pays-Bas parfois cités en exemple (- 0,5 %). Certains font mieux, dont l'Allemagne : 0,6 %.

Vous avez été tous deux ministre des affaires européennes : c'est quand on passe à l'échelle européenne que tout se complique. Le système politique européen est ressenti comme trop lointain mais omniprésent. D'élections européennes en élections européennes, la participation baisse, l'extrémisme et le populisme augmentent. Lorsque l'on entend que l'union bancaire décidée en 2012 entrera en vigueur en 2014 sans s'appliquer aux banques de détail allemandes, que l'Allemagne veut séparer les fonctions monétaires et de surveillance de la BCE ou que le Royaume-Uni, quoique hors zone euro, veut plus de poids dans le système de régulation, on a du mal à comprendre.

Quand Pierre Moscsovi parle de solidarité européenne, les gens tendent l'oreille. De quoi s'agit-il concrètement ? L'Europe fonctionne, la solidarité européenne ne fonctionne pas, et certains commencent à dire que la France devrait adopter une position plus ferme sur ces questions, ce qui est plus facile à rapporter qu'à faire.

Vous demandez un effort de 1,5 milliard aux collectivités ; pourtant, aujourd'hui, qui veut construire un équipement public emprunte à 5 %.

M. Jean Arthuis . - C'est plutôt 3 %.

M. Jean Germain . - En moyenne nationale et tout compris. C'est tout de même paradoxal lorsque l'on connait le rôle des collectivités dans le soutien de l'activité.

M. Jean-Pierre Caffet, président . - Les prévisions de croissance du Gouvernement ne me semblent pas trop optimistes. Elles sont conformes à celles de la Commission européenne et dans l'épaisseur du trait de celles du FMI. De surcroît, en laissant jouer les stabilisateurs automatiques, nous suivons les recommandations de cette institution. Si Mme Lagarde nous donne un satisfecit , qui s'en plaindra dans cette commission ?

Le niveau élevé de l'épargne en France est l'un de ses atouts et doit constituer un instrument de politique économique. Comme les effets du CICE ou de l'ANI ne seront sensibles qu'à moyen terme, ne pourrions-nous gagner quelques dixièmes de point de croissance en affectant mieux l'épargne ?

M. Pierre Moscovici . - Tout ajustement budgétaire a, bien entendu, un effet dépressif ; en revanche, le multiplicateur dépend de la nature de la consolidation, de la répartition entre dépenses et recettes et du ciblage, auquel nous sommes particulièrement attentifs. Les modèles ne disent pas ce qui se serait passé si nous n'avions pas réduit les déficits : poser la question d'un relâchement de l'endettement, c'est y répondre.

L'euro n'explique pas notre faible croissance. En revanche, nous avons, comme nos voisins, connu des problèmes de financement alors que les disciplines mises en place étaient asymétriques. Aussi interrogeons-nous nos amis allemands sur le rythme de la consolidation budgétaire dans un cadre plus coopératif.

Oui, nous pourrons inverser la courbe du chômage fin 2013 malgré la faiblesse de la croissance, grâce au redémarrage progressif de l'activité, aux effets du CICE, à la reprise de la création totale d'emplois qui sera favorisée par les emplois d'avenir et l'augmentation de la durée des contrats aidés. La démographie devrait jouer en notre faveur, et nous mobilisons les outils de la politique économique. Comment canaliser davantage l'épargne vers l'investissement ? Là est l'esprit de la politique que je conduis. L'Etat, qui n'est plus en mesure d'investir comme auparavant, soutient les investissements des collectivités locales.

Le Haut Conseil des finances publiques n'évoque pas de mesures alternatives, il fait des réserves, évoque des aléas : c'est son rôle. L'instauration de cette dialectique qui évite la démagogie, ne prive pas l'exécutif de ses prérogatives. La position du Haut Conseil est nuancée, je connais les thèses des sénateurs Arthuis et Delahaye, qui font partie du débat économique auquel ont contribué Edmond Hervé et Jean Germain.

Nous serons bientôt en mesure de faire un bilan du CICE dont le financement est en place depuis fin février, et début avril seulement pour les très petites entreprises (TPE). Il faut à présent que le secteur bancaire vienne en appui. A nous de populariser cette mesure sûre et simple. Notre politique en matière de compétitivité et d'investissement repose sur des actes, pas sur des slogans.

Mme Des Esgaulx a reproché à M. Cazeneuve de tenir un discours politique : je prends volontiers ce reproche à mon compte. La dette a augmenté dans le précédent quinquennat. Il faut réduire le déficit : tant qu'il augmente, la dette augmente. En 2011, elle représentait 86 % du PIB, en 2012 ; 90 % et en 2013, 93,6 % ; en 2014 - décélération - ce sera 94,3 %, et en 2017, elle sera revenue à 88 %, grâce à nos efforts d'économie et au redémarrage de la croissance.

M. Yung m'a interrogé sur l'ampleur des efforts d'économie. L'inflexion aura lieu en 2014. Le CICE n'est pas encore pleinement appliqué. Un accord a été trouvé à Dublin sur la première phase de l'union bancaire, nous devrons être vigilants vis-à-vis de nos amis allemands sur la seconde.

M. Collin et Mme Beaufils m'ont interrogé sur la commission d'enquête sénatoriale sur l'évasion fiscale : nous tenons bien sûr compte de ses travaux. L'esprit qu'elle a développé doit nous animer.

Notre cohérence politique ? Nous sommes un pays qui se désendette, un pays sérieux, qui réduit ses déficits, mais sans accepter l'austérité. La croissance est un vrai sujet, d'abord à l'échelle européenne, puis à l'échelle nationale dans l'environnement européen.

M. Jean Arthuis . - Je voudrais obtenir une réponse à ma seconde question. C'est un débat très important, qui engage les prochains budgets : il serait séant que le Sénat puisse manifester l'approbation à laquelle M. Cazeneuve nous appelle par un vote. Est-ce bien l'intention du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve . - Vous avez souhaité disposer d'éléments incontestables afin d'avoir un débat apaisé. Je partage cette volonté, et m'engage à vous en apporter au long des prochains mois.

M. Jean Arthuis . - Excellent !

M. Bernard Cazeneuve . - Quand on nous demande de régler en dix mois des problèmes qui se posent depuis dix ans, nous sommes contraints à expliquer que c'est difficile. Sortons de ces échanges stériles. On nous reproche souvent l'insuffisance des mesures d'économie, et on nous prête l'intention de lever de nouveaux impôts. Or les dépenses de l'Etat diminuent incontestablement : elles ont augmenté de 2,3 % en moyenne entre 2002 et 2007, puis de 1,7 % en moyenne entre 2007 et 2011. En 2012, grâce aux dispositions que nous avons prises à la suite du rapport de la Cour des comptes, la décrue a commencé. A 0,7 %, 0,2 point au-dessus de nos prévisions en raison de la dynamique de dépenses des collectivités territoriales, le rythme d'augmentation est quatre fois plus faible qu'il y a dix ans. En 2012, grâce aux corrections apportées en juillet, la dépense de l'Etat stricto sensu diminue de 300 millions d'euros. C'est la première fois depuis fort longtemps ! Nous visons une diminution de 1,5 milliard d'euros en 2014. L'effort demandé aux collectivités territoriales est de 3 milliards d'euros. Certains considèrent que c'est trop, je l'ai entendu. En 2014, la réduction des dépenses sera partagée à égalité entre les collectivités territoriales et les ministères.

Je souhaite que nous puissions vérifier régulièrement l'adéquation entre les objectifs et les résultats, et notamment nous assurer de la réduction des déficits. Sinon, à quoi bon réduire les dépenses ? Pour la première fois depuis longtemps, le déficit structurel s'est réduit en 2012, de 1,2 point de PIB. Nous prévoyons une baisse supplémentaire de 1,8 point en 2013, et de 1 point de PIB en 2014. On nous reproche de procéder à un ajustement structurel trop sévère au regard de la conjoncture, mais aussi de ne pas faire un effort suffisant. Etre soumis à des critiques aussi contraires et symétriques démontre assez que nous sommes positionnés au barycentre de ce qu'il convient de faire. Ce concept ne doit pas déplaire à M. Arthuis...

Pouvons-nous maintenir cette trajectoire sans obérer la croissance ? Nous y parviendrons en continuant la MAP, qui dégagera les économies les moins récessives. Quarante chantiers sont en cours : certains portent sur la politique de protection sociale, d'autres sur l'organisation de l'administration. Il ne s'agit pas simplement d'une question budgétaire car grâce à cette dynamique, dans le budget 2014, l'effort portera pour deux tiers sur les économies. Les 6 milliards d'euros d'effort fiscal restant correspondent à des mesures en grande partie déjà négociées : un milliard d'euros d'augmentation des cotisations résultant de la négociation sur les retraites complémentaires ; la consolidation de recettes prévues en 2013 et qui n'ont pas été perçues en raison de décisions du Conseil constitutionnel, ou parce qu'il s'agit de produits fiscaux qui n'ont pas donné le rendement attendu, comme la taxe sur les transactions financières (TTF) ; l'augmentation de 2 milliards d'euros du produit de la lutte contre la fraude fiscale et la remise en ordre des niches fiscales, qui devrait produire une recette d'un montant comparable. Dédramatisons cet effort fiscal : les efforts porteront essentiellement sur les dépenses, afin que les ajustements auxquels nous procéderons soient le moins récessif possible.

M. Jean-Pierre Caffet, président . - Merci, messieurs les Ministres.

M. Jean Arthuis . - Et le vote ?

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