B. UNE TRAJECTOIRE RIGOUREUSE MAIS PRAGMATIQUE

Le présent projet de programme de stabilité retient une trajectoire de consolidation des finances publiques rigoureuse . Certes, celui-ci repousse d'une année, soit en 2014, le retour du déficit effectif en-dessous du seuil de 3 % du PIB ; toutefois, comme votre rapporteur général vient de le montrer, la poursuite d'une trajectoire de solde effectif aurait des effets fortement récessifs. En cela, le Gouvernement fait preuve de réalisme et fait le choix de ne pas ajouter l'austérité à l'atonie de la croissance .

Pourtant, loin de révéler un « laxisme » budgétaire, le projet de programme précité retient, en réalité, une trajectoire de consolidation plus rigoureuse que celle retenue dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017. En effet, ses prévisions de réduction du déficit structurel sont légèrement plus rapides que celles de la LPFP .

Ainsi le tableau ci-après synthétise les principaux chiffres du présent projet de programme de stabilité et les compare avec ceux retenus dans le cadre de la LPFP. Il fait apparaître que, dans la trajectoire pluriannuelle des finances publiques qui nous est soumise, le solde structurel évolue d'un déficit structurel de 1 % du PIB potentiel en 2014 vers un excédent structurel de 0,5 % en 2017. Cette évolution est moins rapide s'agissant de la LPFP puisque cette dernière prévoit un déficit structurel de 1,1 % du PIB potentiel en 2014 et l'équilibre structurel en 2017.

Les principaux chiffres du présent projet de programme de stabilité : comparaison avec la LPFP 2012-2017 (en grisé : les données du programme de stabilité)

(en points de PIB)

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Croissance (%)

0,0

0,1

1,2

2,0

2,0

2,0

Commission européenne*

0,0

0,1

1,2

Consensus**

0,0

-0,1

0,7

LPFP

0,3

0,8

2,0

2,0

2,0

2,0

Solde effectif

-4,8

-3,7

-2,9

-2,0

-1,2

-0,7

Commission européenne*

-4,6

-3,7

-3,9

Consensus**

-4,6

-3,8

-3,2

LPFP

-4,5

-3,0

-2,2

-1,3

-0,6

-0,3

Seul engagement au titre du TSCG et la LPFP

Solde structurel

-3,7

-2,0

-1,0

-0,2

0,2

0,5

LPFP

-3,6

-1,6

-1,1

-0,5

0,0

0,0

Variation du solde structurel

1,2

1,8

1,0

0,7

0,5

0,2

LPFP

1,2

2,0

0,6

0,6

0,5

0,1

Effort structurel

1,3

1,9

1,0

0,6

0,5

0,2

dont:

PO

1,1

1,5

0,3

0,0

0,0

-0,2

Dépenses

0,2

0,4

0,6

0,7

0,5

0,5

LPFP

1,4

1,9

0,5

0,5

0,4

0,1

dont :

PO

1,1

1,6

-0,1

-0,2

0,0

-0,3

Dépenses

0,3

0,3

0,6

0,7

0,4

0,4

Taux de PO

44,9

46,3

46,5

46,5

46,5

46,3

LPFP

44,9

46,3

46,3

46,2

46,2

45,9

Dépenses publiques

56,6

56,8

56,4

55,4

54,6

53,9

LPFP

56,3

56,3

55,4

54,4

53,7

53,1

Dette publique

90,2

93,6

94,3

92,9

90,7

88,2

LPFP

88,9

91,3

90,5

88,5

85,8

82,9

LPFP : loi n° 2012-1558 du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017. TSCG : traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire.

* Prévisions économiques de l'hiver 2013.

** Consensus Forecasts, avril 2013.

Source : d'après les documents indiqués

1. En apparence, une politique moins rigoureuse que la LPFP
a) Un retour du déficit effectif en-deçà de 3 % de PIB reporté à 2014

En apparence, le présent projet de programme de stabilité pourrait donner l'impression de poursuivre une trajectoire de consolidation des finances publiques moins rigoureuse que celle arrêtée par la loi de programmation des finances publiques. En effet, alors que la LPFP prévoyait un retour du déficit effectif en-dessous de 3 % du PIB dès 2013, le projet de programme de stabilité repousse l'atteinte de cet objectif à 2014 . Toutefois, la trajectoire suivie, légèrement décalée par rapport à celle arrêtée par la LPFP, suit une tendance analogue.

Le graphique ci-après, que la commission des finances actualise régulièrement, indique la trajectoire de solde public programmée et effective depuis que les programmes de stabilité existent.

Le solde public : programmation et exécution

(en points de PIB)

Source : commission des finances, d'après les documents indiqués

b) Les hypothèses sous-tendant le retour du déficit public en-dessous de 3 % du PIB : une croissance de 0,1 % en 2013 et 1,2 % en 2014

Le Gouvernement retient un objectif de déficit effectif de 2,9 % du PIB en 2014 ; le respect de celui-ci repose, en l'absence de mesures supplémentaires, sur plusieurs hypothèses :

- l'atteinte, en 2013, d'une croissance de 0,1 % et d'un solde effectif de 3,7 % du PIB ;

- l'atteinte, en 2014, d'une croissance du PIB de 1,2 % .

Les hypothèses de croissance sont incertaines et peuvent, certes, être contestées ; toutefois, votre rapporteur général les estime raisonnablement crédibles.

2. En réalité, une légère accentuation de la réduction du déficit structurel
a) En 2017, un excédent structurel de 0,5 point en 2017, et non plus un simple équilibre structurel

Comme cela a été indiqué, une politique consistant à suivre une trajectoire de solde public effectif ne serait pas soutenable, à moins d'accepter des taux de chômage très élevés et un excédent structurel très important empêchant vraisemblablement l'Etat d'assurer certaines de ses fonctions essentielles, en particulier en ce qui concerne le renforcement de la compétitivité et l'augmentation de la croissance potentielle.

Par ailleurs, les engagements de la France au titre du TSCG et de la LPFP 2012-2017 portent non sur le solde effectif, mais sur le solde structurel . Or, après un dérapage en 2012 et en 2013, le projet de programme de stabilité prévoit, dès 2014 un déficit structurel légèrement plus faible que le prévoit la LPFP (cf. tableau ci-après).

Dans le cas de l'année 2014, le Gouvernement écrit, dans le dossier de presse du présent projet de programme de stabilité : « La dégradation du déficit public par rapport à la loi de programmation des finances publiques s'explique par un effet base 2012 ( 0,2 point), l'impact mécanique de la moindre croissance 2013 ( 0,35 point) et des hypothèses prudentes sur les élasticités des prélèvements obligatoires (0,9) ».

Il est important de noter que la programmation prévoit désormais un léger excédent structurel dès 2016, qui atteindrait 0,5 point de PIB en 2017. Cela est quelque peu paradoxal, le présent projet de programme de stabilité précisant, par ailleurs, que l'objectif à moyen terme (OMT) est toujours l'équilibre structurel 33 ( * ) . Quoi qu'il en soit, le présent projet de programme de stabilité prévoit une trajectoire plus rigoureuse que la LPFP .

Le solde structurel : comparaison de la trajectoire prévue par la LPFP et de celle prévue par le présent projet de programme de stabilité

(en points de PIB)

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Trajectoire de solde structurel de la LPFP

-3,6

-1,6

-1,1

-0,5

0,0

0,0

Trajectoire de solde structurel du projet de programme de stabilité

-3,7

-2,0

-1,0

-0,2

0,2

0,5

Ecart*

-0,1

-0,4

0,1

0,3

0,2

0,5

* Calcul de la commission des finances.

Source : d'après les documents indiqués

b) Par rapport à la LPFP, un effort structurel accru d'une dizaine de milliards d'euros, par des mesures nouvelles supplémentaires sur les recettes

L'évolution du solde structurel dépend tout à la fois :

- des fluctuations de l'élasticité des recettes au PIB, c'est-à-dire de la tendance spontanée des recettes à augmenter plus ou moins vite que le PIB en valeur. L'hypothèse d'élasticité retenue par le présent projet de programme de stabilité étant toujours proche de l'unité, cet effet est marginal ;

- en quasi-totalité, de l'effort structurel, c'est-à-dire des mesures prises par les pouvoirs publics sur les dépenses et les recettes. Dans le cas des dépenses, il s'agit de l'écart par rapport au niveau de dépenses qui résulterait d'une croissance effective égale à la croissance potentielle ; dans celui des recettes, des mesures nouvelles.

La notion d'effort structurel est donc particulièrement importante , car c'est elle qui correspond aux mesures concrètes que les pouvoirs publics entendent prendre.

Le présent projet de programme de stabilité se contente d'indiquer des montants en points de PIB, dont la conversion en milliards d'euros est approximative, en raison d'arrondis. Il est toutefois possible, à titre indicatif, de présenter les tableaux ci-après.

L'effort structurel prévu par le présent projet de programme de stabilité : comparaison avec la LPFP 2012-2017

1. En points de PIB

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Effort structurel cumulé*

Présent projet de programme de stabilité

1,3

1,9

1,0

0,6

0,5

0,2

5,5

dont:

Prélèvements obligatoires

1,1

1,5

0,3

0,0

0,0

-0,2

2,5

Dépenses

0,2

0,4

0,6

0,7

0,5

0,5

3,0

LPFP

1,4

1,9

0,5

0,5

0,4

0,1

5,0

dont :

Prélèvements obligatoires

1,1

1,6

-0,1

-0,2

0,0

-0,3

2,0

Dépenses

0,3

0,3

0,6

0,7

0,4

0,4

3,0

Ecart**

-0,1

0,0

0,4

0,2

0,1

0,1

0,5

dont :

Prélèvements obligatoires

0,0

0,0

0,3

0,2

0,1

0,1

0,5

Dépenses

-0,1

0,0

0,1

0,0

0,0

0,0

0,0

2. Conversion indicative en milliards d'euros***

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Effort structurel cumulé

Présent projet de programme de stabilité

24

38

21

15

10

4

110

dont:

Prélèvements obligatoires

20

30

7

0

0

-6

50

Dépenses

4

8

14

15

10

10

60

LPFP

26

38

14

12

9

3

100

dont :

Prélèvements obligatoires****

20

30

1

-3

-1

-7

40

Dépenses

6

8

13

15

10

10

60

Ecart

-2

0

7

3

1

1

10

dont :

Prélèvements obligatoires

0

0

6

3

1

1

10

Dépenses

-2

0

1

0

0

0

0

* Calcul de la commission des finances.

** L'écart a été calculé à partir de celui du tableau en milliards d'euros.

*** Si l'on excepte les mesures nouvelles en PO de la LPFP, les montants figurant dans le tableau en milliards d'euros ne figurent en tant que tels dans aucun document du Gouvernement, mais ont été calculés à partir de montants en points de PIB. Ils doivent donc être considérés comme de simples ordres de grandeur, en raison des arrondis.

Dans le cas de l'année 2014, les montants ont été fixés de manière à satisfaire l'indication, par le présent projet de programme de stabilité, que « l'effort en 2014, de l'ordre de 1 point de PIB, portera à hauteur de 70 % sur des économies en dépenses ».

**** Montants figurant dans la LPFP.

Source : d'après les documents indiqués

Sur l'ensemble de la période 2012-2017, l'effort structurel ne serait plus de 5 points de PIB (environ 100 milliards d'euros), mais de 5,5 points de PIB (environ 110 milliards d'euros). L'écart, de 0,5 point de PIB (environ 10 milliards d'euros), traduit le fait que, comme on l'a indiqué, le solde structurel en 2017 ne serait plus équilibré, comme le prévoyait la LPFP, mais excédentaire de 0,5 point de PIB .

c) En 2014, environ 6 milliards d'euros de mesures nouvelles sur les recettes supplémentaires par rapport à celles prévues par la LPFP

La décomposition de ces 10 milliards d'euros de mesures supplémentaires en 2012-2017 ne peut être effectuée avec précision.

La seule différence « incontestable » (compte tenu des arrondis) concerne l'année 2014. En effet, l'effort structurel, de 0,5 point de PIB selon la LPFP, serait porté à 1 point de PIB . La totalité de l'écart semble provenir de l'effort sur les recettes, l'effort sur les dépenses demeurant stable.

S'agissant des dépenses publiques, la croissance moyenne en 2012-2017 et la croissance prévue en 2014 sont les mêmes que celles prévues par la LPFP, comme le montre le tableau ci-après ; le dérapage constaté en 2012, par rapport aux prévisions de la LPFP, est compensé par une moindre progression sur l'année 2016.

La croissance des dépenses publiques en volume prévue par le présent projet de programme de stabilité : comparaison avec la LPFP 2012-2017

(en %)

2012

2013

2014

2015

2016

2017

MOYENNE

Croissance des dépenses en volume

1,0

0,9

0,4

0,2

0,4

0,6

0,6

Hors éléments exceptionnels*

0,7

0,9

0,5

0,1

0,4

0,6

0,5

LPFP

0,4

0,9

0,4

0,2

0,7

0,8

0,6

Hors éléments exceptionnels**

0,5

0,5

0,4

0,2

0,7

0,8

0,5

* Recettes de fréquences hertziennes, dépenses militaires, recapitalisation de Dexia et changement du traitement comptable des prélèvements sur recettes pour l'Union européenne.

** dépenses militaires et recettes de fréquence hertzienne.

Les recettes de fréquences hertziennes sont comptabilisées par la comptabilité nationale non en recettes, mais en moindres dépenses.

Source : d'après les documents indiqués

Le présent projet de programme de stabilité indique que « l'effort en 2014, de l'ordre de 1 point de PIB, portera à hauteur de 70 % sur des économies en dépenses ». Compte tenu de la valeur du point de PIB en 2014 (environ 21 milliards d'euros), cela implique un effort structurel total réparti entre environ 14 milliards d'euros sur les dépenses et 7 milliards d'euros sur les recettes .

Les mesures nouvelles sur les prélèvements obligatoires prévues par la LPFP en 2014 étant de l'ordre d'un milliard d'euros selon l'article 14 de la LPFP, cela paraît impliquer en 2014 des mesures nouvelles supplémentaires, par rapport à celles actuellement prévues, de l'ordre de 6 milliards d'euros.

Cet ordre de grandeur a été confirmé par Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget, lors de son audition par la commission des finances le 17 avril 2013.

Les mesures nouvelles prévues par la LPFP et par le présent projet de programme de stabilité

(en milliards d'euros)

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

LPFP

21

20

30

1

-3

-1

-6

Dont mesures nouvelles au sens du compteur LPFP (article 14 de la LPFP)*

0

7

24

-4

-7

-3

-7

Dont hors compétitivité

0

7

24

0

-1

-3

-7

Dont compétitivité**

0

0

0

-4

-6

0

0

Dont contentieux

1

-3

-3

3

2

0

0

Dont autres***

20

16

9

1

2

2

1

Présent projet de programme de stabilité****

20

30

7

0

0

-6

Mesures nouvelles supplémentaires****

0

0

6

3

1

0

* Le « compteur LPFP » prend seulement en compte les mesures législatives et réglementaires découlant de textes adoptés postérieurement au 1 er juillet 2012. Il ne comprend donc pas les mesures décidées sous la précédente législature, ou par les collectivités territoriales.

** Ecart entre le CICE et les mesures fiscales (TVA, fiscalité écologique) devant le financer.

*** Mesures votées antérieurement au 1 er juillet 2012 et augmentations de fiscalité locale.

**** Le présent projet de programme de stabilité, exprimé en points de PIB, ne peut être converti en milliards d'euros sans susciter de problèmes d'arrondis. Les montants indiqués dans le tableau constituent de simples ordres de grandeur.

Source : d'après la LPFP 2012-2017 et le présent projet de programme de stabilité

La nature de ces 6 milliards d'euros de mesures nouvelles sur les recettes en 2014, venant en plus de celles déjà prévues par la LPFP, n'est pas, à ce stade, complètement précisée. Il s'agit bien d'une augmentation nette des mesures nouvelles, et non de la simple compensation de mesures venant à expiration .

Selon les indications données par Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget, lors de son audition par la commission des finances le 17 avril 2013 34 ( * ) , les 6 milliards d'euros (environ) de mesures nouvelles supplémentaires par rapport à celles prévues en 2014 par la LPFP correspondent notamment à :

- l'accord Agirc-Arcco sur les retraites complémentaires (1 milliard d'euros) ;

- la lutte contre la fraude (2 milliards d'euros) ;

- la réduction des niches fiscales et sociales (2 milliards d'euros) ;

- les éventuelles mesures en recettes adoptées dans le cadre de la réforme des retraites.

Les « mesures de compétitivité »

Les mesures dites de compétitivité correspondent au crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et aux mesures destinées à les financer. Conformément à la présentation habituelle, le tableau ci-après les exprime en écart par rapport à l'absence de mesure. La deuxième ligne indique toutefois leurs montants en « mesures nouvelles » (c'est-à-dire par rapport au droit applicable l'année précédente), par construction égaux à ceux de la ligne « compétitivité » du tableau ci-avant.

Les mesures nouvelles prévues par la LPFP et par le présent projet de programme de stabilité

(en milliards d'euros)

* Source : LPFP

** Source : données transmises à la commission des finances lors de l'examen du PLFR de décembre 2012 (la LPFP ne distingue pas l'impact du CICE ou des mesures devant le financer, se contentant de présenter les « mesures de compétitivité » de manière globale)

*** Calculé par différence.

Source : d'après les sources indiquées

Compte tenu de l'impact plus récessif à court terme des réductions de dépenses que des augmentations de recettes ( cf . encadré ci-après), et du caractère dégradé de la situation économique, le choix de faire porter cet effort supplémentaire en 2014 sur les recettes est pleinement justifié.

L'absence de validité de la théorie de la « consolidation budgétaire expansionniste »

L'approche « keynésienne » : une réduction du déficit de 1 point de PIB réduit le PIB de 1 à 1,5 point dans le cas des dépenses et de 0,5 à 1 point dans celui des recettes

Les approches « keynésiennes » s'appuient sur des modèles mettant l'accent sur l'impact des consolidations budgétaires sur la demande. La plupart des estimations de l'impact des consolidations budgétaires reposent sur une telle approche. Comme les dépenses publiques sont, par définition, totalement dépensées, alors que les augmentations d'impôts peuvent se traduire par une simple modification du taux d'épargne des ménages, le multiplicateur budgétaire serait plus élevé dans le cas des dépenses que dans celui des recettes.

Ainsi, en 2009, synthétisant leur « revue » des principales études disponibles, les services du FMI écrivaient : « Une règle simple est un multiplicateur ([...] supposant un taux d'intérêt constant) de 1,5 à 1 pour les multiplicateurs de dépenses dans les grands pays, de 1 à 0,5 pour les petits de taille moyenne, et 0,5 ou moins pour les petits pays ouverts. Des multiplicateurs plus petits (environ la moitié des valeurs ci-dessus) sont vraisemblables pour les recettes et les transferts alors que des multiplicateurs légèrement plus grands pourraient être attendus des dépenses d'investissement. Des multiplicateurs négatifs sont possibles, en particulier si le stimulus budgétaire affaiblit (ou est perçu comme affaiblissant) la soutenabilité budgétaire » 35 ( * ) .

Ce dernier point - la possibilité de multiplicateurs négatifs - est selon cette approche considéré comme un cas exceptionnel, correspondant à des situations atypiques.

La théorie de la « consolidation budgétaire expansionniste »

Selon une approche plus récente, ces idées, relativement consensuelles parmi les économistes, seraient doublement fausses. En effet, les consolidations budgétaires augmenteraient la croissance quand l'ajustement porte majoritairement sur les dépenses : c'est ce qu'on appelle la théorie de la « contraction (ou consolidation) budgétaire expansionniste ».

Cette idée a, en particulier, été exprimée en 1996 par Alberto Alesina et Roberto Perotti dans un document de travail 36 ( * ) du National Bureau of Economic Research .

Les auteurs examinent, sur un échantillon de 20 Etats de l'OCDE, les 62 consolidations budgétaires les plus importantes en 1960-1994, identifiées par l'évolution du solde public primaire structurel 37 ( * ) . Parmi ces 62 consolidations, 16 sont considérées comme des succès 38 ( * ) , et 46 comme des échecs. Les succès ont en moyenne porté pour les deux tiers sur les dépenses, alors que les échecs ont en moyenne légèrement plus porté sur les recettes que sur les dépenses. Ce succès peut notamment s'expliquer par le fait qu'un gouvernement faisant porter l'essentiel de l'effort sur la dépense est vraisemblablement plus décidé qu'un autre à réduire le déficit.

En ce qui concerne l'impact sur le PIB, les auteurs indiquent que, sur leur échantillon, les Etats dont la consolidation budgétaire a été un succès ont eu une croissance plus élevée (pendant et après la consolidation) que ceux pour lesquels elle a échoué. Cependant, comme ils le soulignent, ce simple constat statistique est « loin d'être concluant » (ce qui ne les empêche pas d'émettre des hypothèses pour l'expliquer 39 ( * ) ). On peut en particulier s'interroger sur la vraisemblance de mécanismes économiques censés entraîner des conséquences aussi importantes pour des différences relativement mineures de politique budgétaire 40 ( * ) .

Des études analogues ont été faites ultérieurement 41 ( * ) , parvenant à des résultats comparables.

Une théorie réfutée par le FMI et divers économistes

La théorie de la « contraction budgétaire expansionniste » a été explicitement réfutée en 2010 par le FMI 42 ( * ) puis, en 2011, par trois économistes 43 ( * ) .

Le principal reproche fait à cette théorie est de reposer sur une définition excessivement simplificatrice de la consolidation budgétaire. En effet, le solde structurel primaire peut s'améliorer spontanément si les recettes tendent à augmenter plus rapidement que le PIB, ou s'effondrer dans le cas inverse. Par ailleurs, certaines améliorations du solde sont purement optiques (par exemple quand un Etat réalise une dépense exceptionnelle une année donnée, qui disparaît l'année suivante 44 ( * ) ). Pour utiliser une notion souvent utilisée en France, la consolidation budgétaire correspond à l'effort structurel (corrigé de l'évolution de la charge d'intérêts et des dépenses et recettes exceptionnelles), pas à l'amélioration du solde structurel.

En prenant en compte ces phénomènes, le FMI et l'étude précitée de 2011 retrouvent les ordres de grandeur des modèles « keynésiens » habituels. En particulier, une réduction du déficit s'accompagne bien d'une réduction du PIB. Ainsi, selon le FMI, « un rééquilibrage budgétaire égal à 1 % du PIB entraîne normalement une baisse du PIB d'environ 0,5 % après deux ans » (après prise en compte de la baisse des taux d'intérêt par la banque centrale, alors de l'ordre de 0,2 point).

Ces deux études concluent certes, contrairement aux approches « keynésiennes » habituelles, qu'une réduction de dépenses a un impact sur le PIB moins négatif qu'une augmentation de recettes. Toutefois elles précisent que ce phénomène vient du fait que si l'effort porte sur les dépenses, la banque centrale tend à davantage réduire ses taux d'intérêt, parce qu'elle juge la volonté de réduire le déficit plus crédible, alors que l'augmentation de la fiscalité indirecte accroît l'inflation.

Dans le contexte actuel de crise de la zone euro, les « vieilles recettes » keynésiennes demeurent donc valides. En effet, la BCE ne baissera pas davantage ses taux si la France fait porter l'effort sur les dépenses plutôt que sur les recettes, d'abord parce que ses taux sont déjà très bas, ensuite parce que la France n'est, au sein de la zone euro, qu'un Etat parmi dix-sept. Il demeure donc préférable, en termes d'impact sur le PIB, de faire porter l'effort sur les recettes plutôt que sur les dépenses, toutes choses égales par ailleurs et sous réserve notamment des éventuels effets négatifs d'une fiscalité qui découragerait l'initiative et la croissance ou de l'impact, sur la crédibilité d'un Etat, de l'absence d'interrogation de l'efficacité des dépenses publiques.

3. Un effort reposant essentiellement sur les dépenses sur l'ensemble de la période 2012-2017
a) Un effort portant pour environ 55 % sur la dépense en 2012-2017

Malgré l'augmentation prévue de l'effort sur les recettes en 2014, par rapport à la LPFP, l'effort global continue en 2012-2017 de porter principalement sur les dépenses publiques .

Ainsi, sur environ 110 milliards d'euros d'effort structurel en 2012-2017, 60 milliards d'euros (soit 55 %) concerneraient les dépenses .

S'agissant de 2014, on rappelle que, selon le présent projet de programme de stabilité, « l'effort [...], de l'ordre de 1 point de PIB, portera à hauteur de 70 % sur des économies en dépenses ».

b) Des économies documentées

Les dépenses publiques hors éléments exceptionnels doivent augmenter seulement de 0,5 % en volume en 2014 (0,4 % avec les éléments exceptionnels).

Comme le montre le tableau ci-après, les « efforts habituels » de ces dernières années (« zéro volume » sur un périmètre incluant les charges de la dette et les pensions, pour les dépenses de l'Etat, croissance de l'ONDAM de 3 %) permettent de ramener la croissance des dépenses publiques, qui « spontanément » augmentent d'environ 1,5 % en volume, à environ 1 %.

La croissance spontanée des dépenses publiques en volume :
quelques ordres de grandeur

(en %)

Croissance spontanée des dépenses, selon l'IGF 1

Croissance effective des dépenses en résultant, avec les « efforts habituels » 2

Etat

1,3

0,0

Organismes divers d'administration centrale

2,3

2,3

Administrations publiques locales

1,0 3

1,0

Administrations de sécurité sociale

1,75 4

1,4

Toutes administrations publiques

1,5

1,0

1 Inspection générale des finances, rapport n° 2012-M-008-03 de mai 2012 sur la maîtrise des dépenses de l'Etat.

2 Croissance spontanée des dépenses + « zéro volume » pour l'Etat et croissance de l'ONDAM de 3 % en valeur (calculs de la commission des finances).

3 La lecture du rapport de l'IGF suggère que ce taux pourrait être sous-estimé.

4 Dont 1,9 % pour la branche vieillesse, 0,35 % pour la branche famille, 2,3 % pour la branche maladie et 0 % pour l'Unedic.

Sources : inspection générale des finances, calculs de la commission des finances

Les données de ce tableau correspondent, bien entendu, à de simples ordres de grandeur. En particulier, la notion de croissance spontanée des dépenses est nécessairement en partie conventionnelle. Cependant, elles suggèrent que pour ramener la croissance des dépenses à 0,5 % en volume en 2014 (hors éléments exceptionnels), il faut réaliser, par rapport aux « économies habituelles », des économies supplémentaires d'environ 0,5 point de dépenses (soit 6 milliards d'euros).

Compte tenu du montant de l'ONDAM (environ 180 milliards d'euros), le fait que la croissance de celui-ci soit fixée à 2,6 % en 2014 (au lieu de 3 % dans le tableau ci-avant) correspond à environ 700 millions d'euros d'économies supplémentaires.

Par ailleurs, le présent projet de programme de stabilité évoque, pour 2014, 1,5 milliard d'euros d'économies sur les dépenses de l'Etat 45 ( * ) et 1,5 milliard d'euros d'économies sur les dotations de l'Etat aux collectivités territoriales, soit 3 milliards d'euros d'économies supplémentaires en 2014 par rapport aux « économies habituelles ».

A cela s'ajoute :

- l'impact du récent protocole d'accord concernant les régimes de retraite complémentaires des salariés et des cadres du secteur privé (Arrco-Agirc), conclu par les partenaires sociaux le 13 mars 2013. La moindre indexation des prestations devrait permettre d'économiser un milliard d'euros dès 2014 46 ( * ) ;

- les économies relatives à la branche « famille » (mission Fragonard), évaluées à un milliard d'euros en 2014 47 ( * ) .

Les mesures d'économies en 2013-2017, selon le Gouvernement

« Une évolution maîtrisée de la dépense publique tout au long de la programmation permettra de financer les priorités du Gouvernement. L'effort sur les dépenses sera maintenu jusqu'en 2017, permettant un recul progressif de la part de la dépense publique dans le PIB : son évolution en volume (hors éléments particuliers de comptabilisation) sera limitée à 0,5 % en moyenne sur la période 2013-2017, nettement inférieure à sa tendance historique d'un peu plus de 2 %. Cet effort est partagé entre l'ensemble des administrations publiques. Le Gouvernement a lancé un exercice ambitieux de modernisation de l'action publique (MAP) dont l'objectif est d'évaluer d'ici 2017 l'intégralité des politiques publiques menées par les différentes administrations publiques, en associant étroitement les usagers, les agents et les acteurs de ces politiques, ce qui favorisera l'appropriation et le succès de la démarche et concourra à une évolution maîtrisée de la dépense publique. Ainsi, les dépenses de l'État hors dette et pensions baisseront de 1,5 Md€ en 2014, les priorités du Gouvernement en faveur de l'emploi et de la lutte contre la pauvreté étant financées par redéploiements. Les concours financiers aux collectivités locales seront réduits de 1,5 Md€ en 2014 et de 1,5 Md€ supplémentaires en 2015 (soit une baisse de 3 Md€ par rapport à 2013). Les administrations de sécurité sociale participeront à l'effort de redressement des comptes publics. Outre les efforts déjà programmés sur l'assurance maladie, les partenaires sociaux ont conclu un accord sur les régimes obligatoires de retraite complémentaire des salariés du secteur privé, qui contribuera au redressement des comptes publics, et renégocieront la convention de l'assurance chômage fin 2013. Des réflexions sont par ailleurs engagées pour l'équilibrage à moyen terme des branches vieillesse et famille de la sécurité sociale (mission confiée à M. Fragonard et commission présidée par Mme Moreau). »

Source : présent projet de programme de stabilité

L'évolution des dépenses publiques en 2014 : quelques ordres de grandeur

(en milliards d'euros)

* Hors éléments exceptionnels.

** Stabilisation des dépenses de l'Etat en volume et croissance de l'ONDAM de 3 % en valeur.

*** Dont : croissance de l'ONDAM de 2,6 % au lieu de 3 % (environ 700 millions d'euros), accord Arrco-Agirc (environ un milliard d'euros), économies relatives à la branche « famille » (environ un milliard d'euros).

Source : commission des finances, d'après le présent projet de programme de stabilité


* 33 Ce paradoxe s'explique probablement par le fait que les Etats qui n'ont pas atteint leur OMT doivent améliorer leur solde structurel d'au moins 0,5 point de PIB par an. Faire passer l'OMT de l'équilibre structurel à un excédent structurel de 0,5 point de PIB aurait donc impliqué des contraintes supplémentaires.

* 34 « Les 6 milliards d'euros d'effort fiscal restant correspondent à des mesures en grande partie déjà négociées : un milliard d'euros d'augmentation des cotisations résultant de la négociation sur les retraites complémentaires ; la consolidation de recettes prévues en 2013 et qui n'ont pas été perçues en raison de décisions du Conseil constitutionnel, ou parce qu'il s'agit de produits fiscaux qui n'ont pas donné le rendement attendu, comme la taxe sur les transactions financières (TTF) ; l'augmentation de 2 milliards d'euros du produit de la lutte contre la fraude fiscale et la remise en ordre des niches fiscales, qui devrait produire une recette d'un montant comparable. Dédramatisons cet effort fiscal : les efforts porteront essentiellement sur les dépenses, afin que les ajustements auxquels nous procéderons soient le moins récessif possible » (bulletin des commissions, 17 avril 2013).

* 35 « Fiscal Multipliers », IMF staff position note, SPN/09/11, 20 mai 2009 (traduction par la commission des finances).

* 36 Alberto Alesina et Roberto Perotti, « Fiscal adjustments in OECD countries: composition and macroeconomic effects », Working Paper 5730, août 1996.

* 37 Plus précisément, du solde primaire corrigé des fluctuations du taux de chômage.

* 38 C'est-à-dire se sont traduites, au bout de trois ans, par une réduction d'au moins 2 points du déficit primaire structurel et d'au moins 5 points du ratio dette publique / PIB.

* 39 Ils supposent qu'il proviendrait du fait qu'en cas de réduction du déficit par les recettes les ménages anticiperaient de nouvelles hausses de fiscalité, et que la réduction du nombre de fonctionnaires susciterait une diminution des salaires du secteur privé, améliorant la compétitivité.

* 40 En effet, il ne s'agit pas d'opposer des Etats faisant porter la totalité de l'effort sur les dépenses à des Etats faisant porter la totalité de l'effort sur les recettes.

* 41 Cf. en particulier Alberto Alesina et Silvia Ardagna, « Large Changes in Fiscal Policy: Taxes versus Spending » , in « Tax Policy and the Economy » , Vol. 24, National Bureau of Economic Research, octobre 2009.

* 42 Fonds monétaire international, « Cela sera-t-il douloureux ? Les effets macroéconomiques du rééquilibrage budgétaire » , in « Perspectives de l'économie mondiale » , octobre 2010.

* 43 Jaime Guajardo, Daniel Leigh, Andrea Pescatori, « Expansionary Austerity : New International Evidence » , document de travail du FMI, WP/11/158, juillet 2011.

* 44 Le FMI cite notamment l'exemple de l'Allemagne, dont le déficit primaire structurel a augmenté de 6,4 points de PIB en 1996, en raison de la reprise par l'Etat fédéral de dettes de la Treuhand (institution fiduciaire) et de l'Allemagne de l'Est, et celui du Japon, dont le déficit primaire structurel a augmenté de 4,9 points de PIB en 1999, en raison d'un transfert de capitaux à la société nationale de chemins de fer.

* 45 Pour mémoire, la lettre de cadrage envoyée par le Premier ministre en date du 8 mars 2013 précisait : « Nous devons identifier au total 5 Md€ d'économies nouvelles l'an prochain, ce qui implique une baisse des plafonds de crédits 2014 par mission par rapport aux niveaux que j'ai définis l'été dernier » .

* 46 Source : dossier de presse du présent projet de programme de stabilité.

* 47 Source : dossier de presse du présent projet de programme de stabilité.

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