EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 16 octobre 2013, sous la présidence de M. Yvon Collin, vice-président, la commission a entendu une communication de Mme Michèle André, rapporteure spéciale, sur les préfectures et la réorganisation territoriale de l'État.

Mme Michèle André, rapporteure spéciale de la mission « Administration générale et territoriale de l'Etat » . - Ce contrôle s'inscrit dans une trilogie. Dans le cadre de la mission « Administration générale et territoriale de l'État », je me suis d'abord intéressée à la diffusion des nouvelles technologies, notamment à l'entrée en application des nouveaux titres d'identité sécurisés, dont le passeport biométrique. J'ai ensuite étudié les conséquences de la révision générale des politiques publiques (RGPP) sur la qualité du service rendu aux usagers par les préfectures et les sous-préfectures. Enfin, je me suis penchée sur la question de l'adaptation de l'administration préfectorale à la réorganisation de l'administration territoriale de l'Etat (RéATE).

Ces dernières années, l'organisation et le mode de fonctionnement de l'administration préfectorale ont profondément changé. Entrée en vigueur le 1 er janvier 2010, la RéATE a consisté à régionaliser la plupart des services déconcentrés de l'État, passés de vingt à huit grandes entités administratives : direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) ; direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf) ; direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) ; direction régionale des affaires culturelles ; direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale ; direction régionale des finances publiques ; services du Rectorat ; enfin, Agence régionale de santé (ARS).

Au niveau départemental, des directions départementales interministérielles sont apparues - deux ou trois, selon la démographie départementale : la direction départementale des territoires, qui regroupe les anciennes directions départementales de l'agriculture et de la forêt (DDAF) et de l'équipement (DDE) ; la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP), qui reprend les compétences des anciennes directions départementales de la jeunesse et des sports, des affaires sanitaires et sociales (DDAS) en matière d'affaires sociales ; des unités départementales de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et des services vétérinaires. Dans les départements les plus importants, deux structures se substituent en outre à la DDCSPP : une direction départementale de la cohésion sociale et une direction départementale de la protection des populations.

La transition entre le modèle précédent et cette nouvelle architecture territoriale n'est pas allée sans difficulté. Des moyens humains ont été perdus - les médecins des anciennes DDAS, par exemple, qui sont partis dans les agences régionales de santé - au risque de fragiliser durablement les politiques publiques.

La Réate a fait de la région le niveau de pilotage des politiques publiques, tandis que le département met en oeuvre des actions de proximité. Le rôle du préfet de région a été renforcé par l'autorité qui lui est désormais reconnue sur les préfets de départements. Il dispose notamment d'un pouvoir décisionnaire de la répartition des crédits des budgets opérationnels de programme afin d'adapter les moyens aux enjeux territoriaux.

Cependant l'une des évolutions les plus notables au sein de l'administration préfectorale a été l'influence croissante du secrétaire général aux affaires régionales (SGAR) à ses côtés. Celui-ci coordonne l'action des services régionaux de l'État, veille à leur articulation avec les services départementaux, conduit la mise en oeuvre de certaines politiques européennes, initie des mutualisations et anime la plate-forme d'appui interministériel à la gestion des ressources humaines. Pour ce faire, il dispose d'une équipe dont les effectifs ont fortement progressé, au point de constituer une sorte de cabinet régional faisant parfois écran entre le préfet de région et les directions régionales et faisant craindre la redondance avec le secrétaire général des préfectures départementales.

Dans cet ensemble, la place et le devenir du préfet de département sont incertains. Sous l'effet notamment de la RGPP, les effectifs ont diminué. Le manque de fonctionnaires de catégorie A prive les préfectures et sous-préfectures de ressources suffisantes. Le suivi et la mise en oeuvre des politiques publiques au niveau départemental deviennent plus délicats. Le périmètre du contrôle de légalité se réduit, ce qui accroît le risque juridique pesant sur les élus.

Le département a pourtant vocation à demeurer un échelon de proximité, et le préfet de département, un interlocuteur indispensable pour les élus locaux et les acteurs économiques et sociaux. De même, le sous-préfet est apparu de manière constante au cours de mon contrôle comme devant être la porte d'entrée des services de l'État.

L'administration préfectorale subit en outre l'inflation des normes. Chaque année, 80 000 pages de circulaires sont adressées aux préfectures. Réuni le 17 juillet dernier, le Conseil interministériel pour la modernisation de l'action publique a annoncé la limitation des circulaires à cinq pages.

Dans une période marquée par la réduction des effectifs et le changement rapide des métiers, la formation, en particulier en catégorie C, devient un facteur clé de réussite pour les fonctionnaires. La mobilité doit également être encouragée. La force des habitudes, la crainte du changement, l'achat d'un logement, l'ancrage familial, constituent autant d'obstacles bien connus à une évolution professionnelle portée par la mobilité. A cela s'ajoutent des barrières administratives, les différences de statuts ou de rémunérations.

Ces enjeux peuvent notamment être mesurés à l'aune des projets menés par l'administration préfectorale. Après des débuts difficiles, le passeport biométrique et le système d'immatriculation des véhicules ont désormais atteint leur régime de croisière. Tel n'est pas le cas du projet FAETON introduisant un nouveau permis de conduire : initialement prévue pour le 19 janvier 2013, son entrée en application a été repoussée au 16 septembre 2013 pour des raisons techniques. Enfin, techniquement prête, la carte nationale d'identité électronique reste en attente de décisions.

Que veut-on faire désormais des préfectures et de leur prolongement naturel, les sous-préfectures ? Cette question occupe tous les esprits. Les agents s'inquiètent de leur devenir et du sens des missions qui leur sont assignées. Je salue leur sens de l'État, leur engagement et leur dévouement dans une conjoncture délicate. Les élus locaux s'interrogent également, partagés qu'ils sont, dans leur attitude envers l'Etat central, entre méfiance naturelle et attente légitime de soutien.

Les étapes successives de la décentralisation appellent un nouvel effort d'imagination. Le temps est bien loin du préfet quasi omnipotent en son département, mais le gué n'est pas encore totalement franchi : c'est bien ce qui fait la complexité de la situation actuelle. Faut-il abandonner le contrôle de légalité ? Les préfectures doivent-elles continuer à mobiliser des personnels sur les régies ? Ou au contraire aller vers la généralisation du paiement par le timbre fiscal ? La Réate ne peut suffire. L'administration préfectorale a bien un avenir, mais celui-ci doit désormais faire l'objet d'un nouveau projet.

M. Éric Doligé . - Vous parlez de problème d'effectifs. Il y a surtout un problème de perte d'autorité des préfets sur leur administration. Les nouvelles structures ont totalement pris le pouvoir. Les préfets de département, en particulier, sont démobilisés. Ils n'osent plus rien refuser aux hauts fonctionnaires qui dirigent les services administratifs, par peur des réactions de l'administration centrale.

M. François Fortassin . - L'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) est un parfait exemple de confusion des normes. Certaines directions ont demandé des peines de prison à l'encontre de certains maires - les procureurs n'ont à ce jour pas donné suite à ces demandes, mais nous ne sommes pas à l'abri de développements futurs - et pour des raisons vénielles, qui plus est : parce que des conducteurs de travaux avaient mis un coup de pelle malencontreux dans des ruisselets, dérangeant des salamandres à ventre gris !

De même, dans une vallée pyrénéenne, il a fallu près d'un an pour savoir à quelle hauteur construire le tablier d'un pont, afin de protéger les chauves-souris, dont certaines le franchissent en volant au-dessus et d'autres, en-dessous... C'est ubuesque ! Ces gens-là paralysent l'action publique et font passer les maires pour des délinquants. Est-ce normal ?

M. Jean-Paul Emorine . - Il est des sous-préfectures qui ne comptent guère plus de dix ou douze employés. Ce seuil vous parait-il pertinent ?

M. Yannick Botrel . - Je remercie la rapporteure pour ce très intéressant rapport. J'ai le sentiment que les choses fonctionnent convenablement. Nous avions certes de très bonnes relations avec les anciennes DDAF et DDE. Mais tout dépend en définitive des interlocuteurs et de la qualité des échanges que nous entretenons avec eux. Dans de nombreux dossiers, nous travaillons ensemble efficacement. En matière d'ingénierie, les services déconcentrés sont plus démunis qu'avant, et les collectivités territoriales ont constitué leurs propres équipes en récupérant des fonctionnaires déconcentrés, mais sans doute est-ce l'esprit de la décentralisation.

Le rôle de l'administration est de contrôler, mais aussi de faciliter la vie des collectivités. Les préfets de département n'ont certes plus une grande autorité sur les DREAL mais celles-ci sont dans une position ambigüe : leur avis est par exemple requis pour modifier un document d'urbanisme, elles ont trois mois pour le rendre. Or certaines évitent de répondre. Cela vaut accord tacite, mais ralentit le fonctionnement de nos collectivités. Il faudrait corriger cette anomalie.

M. Albéric de Montgolfier . - Je reconnais mes préoccupations dans le rapport de Michèle André. La baisse des effectifs, liée à la RGPP d'hier et à la modernisation de l'action publique (MAP) d'aujourd'hui, pose de réels problèmes. Mais a-t-on la moindre idée des effectifs simultanément recrutés par des autorités indépendantes et organisations à caractère autonome comme les agences régionales de santé (ARS) ? La Cour des comptes ne cesse de dénoncer leur non-respect des plafonds d'emplois.

M. Jean Arthuis . - Je rends à mon tour hommage au rapport de Michèle André. Chaque année, nous avons ce débat sur les DREAL. Dans mon département, la construction d'une passerelle en bois dans un site protégé a été retardée d'un an, car c'est le délai qu'il a fallu à la direction régionale pour rendre son avis, et l'affaire est remontée jusqu'au ministère. Le ministre est-il le greffier de la DREAL Pays-de-la-Loire ? C'est insupportable ! Que la DREAL se comporte en régulateur budgétaire, cela va à l'encontre du soutien à l'activité économique et à la croissance.

À cela s'ajoute la question du rôle des préfets : sont-ils les procureurs de la République du droit administratif ? Ont-ils une fonction d'arbitrage local ? Le Gouvernement doit dire le sort qu'il entend leur réserver.

M. Francis Delattre . - Les services qui entouraient le préfet en Ile-de-France s'appauvrissent. Sur un territoire de 11 ou 12 millions d'habitants, la régionalisation est une catastrophe. Les préfets n'ont plus d'experts sous la main, les compétences sont tombées à un niveau effroyablement bas. Le conseil général des ponts et chaussées dispose de centaines d'ingénieurs hautement qualifiés : ne peut-on en réinjecter quelques-uns dans nos services ? Lorsque nous manquons d'experts pour traiter les grands dossiers d'aménagement, ne restent que les cabinets privés...

Mme Michèle André, rapporteure spéciale . - Notre débat démontre l'utilité du contrôle sur pièces et sur place. La décentralisation a été une grande ambition, mais le rôle des préfets n'a pas été redéfini. La RéATE a montré son utilité, notamment en matière immobilière et de regroupement de services, mais elle ne suffit pas. La perte d'autorité des préfets de département est une réalité.

Seules 40 sous-préfectures sur les 240 que compte notre pays ont moins de dix agents. Mais partout on manque de cadres, donc d'interlocuteurs pour accompagner les projets des élus locaux. Le sous-préfet étaient auparavant l'interlocuteur le plus proche, et disposant des ressources adéquates. Certaines préfectures ont trouvé de nouvelles méthodes de travail astucieuses, en confiant aux sous-préfectures l'expertise du contrôle de légalité. D'autres, en zones périurbaines, ont concentré le travail au niveau préfectoral. Mais aucun schéma global n'a pu être élaboré, et la mission diligentée par le ministre sur ce sujet n'a pas encore débouché sur des conclusions.

D'aucuns craignent la suppression du niveau le plus bas. Ce ne serait pas une bonne idée. Il faut avancer sur cette question avec précaution. Certaines zones, de montagne par exemple, ne s'y prêtent guère. Et dans tous les cas, le représentant de l'État doit rester en contact direct avec le niveau central et travailler avec lui en bonne intelligence. La nouvelle autorité hiérarchique du préfet de région sur le préfet de département a parfois été mal comprise. Les ministres veulent conserver une autorité directe sur leurs propres services, comme les DREAL, ce qui complique singulièrement la tâche des préfectures de région. La montée en régime des SGAR, leur compétence en matière européenne et de prospective n'a pas simplifié le paysage...

Peut-être conviendrait-il de rattacher les préfets directement au Premier ministre, afin de mieux exploiter leur dimension interministérielle. Au sein même du corps préfectoral, certains se posent la question. En effet, le préfet n'a plus pour seule mission de garantir l'ordre public, il a désormais un rôle économique et d'aménagement du territoire. Et il est exact qu'il manque des compétences, notamment celles réunies dans les anciennes DDE.

M. Francis Delattre . - Absolument.

Mme Michèle André, rapporteure spéciale . - Certaines compétences ont certes été absorbées par nos collectivités. Mais dans certaines matières, comme la politique de l'eau, nous avons besoin d'une vision plus large, à l'échelle régionale, voire nationale.

Monsieur de Montgolfier, je n'ai compétence que sur l'Agence nationale des titres sécurisés - les effectifs des ARS ressortissent à une autre mission. Nous manquons d'une vision globale sur ces organismes, mais en tout état de cause, les effectifs des opérateurs n'ont cessé de croître depuis deux ou trois ans.

L'ONEMA pose problème dans de nombreux départements.

Le rapport de François Patriat sur la réorganisation des services de l'État en lien avec les collectivités territoriales le disait déjà : nous avons du travail à faire pour mettre de l'ordre.

M. Francis Delattre . - Ne confondons pas décentralisation et déconcentration.

Mme Michèle André, rapporteure spéciale . - Ne désespérons pas. Les services déconcentrés et les collectivités travaillent ensemble très intelligemment. Mais les sigles nouveaux n'ont pas tous été intégrés et nos concitoyens peinent encore à s'y retrouver. Après l'affaire Spanghero, d'aucuns ont suggéré de rattacher la DDCCRF directement au ministre. L'idée semble passée, mais il faudra creuser ces questions d'organisation.

M. Yvon Collin, président . - L'affaiblissement des compétences est un vrai problème. Auparavant, les DDE étaient composées de « X-Ponts » compétents et visionnaires.

Mme Michèle André, rapporteure spéciale . - J'ajoute que les préfectures ont encore une fonction de guichet. Or depuis quelques années, la tension est palpable : les salles d'attente sont pleines, le personnel est débordé, le matériel vieillit. Les procédures ont été en partie dématérialisées, mais il suffit d'une panne informatique pour désorganiser tout un service. Je veux d'ailleurs saluer la haute compétence et le dévouement de ces agents qui travaillent sans avouer la faiblesse des moyens qui leur sont alloués.

A l'issue de ce débat, la commission a donné acte de sa communication à Michèle André, rapporteure spéciale, et en a autorisé la publication sous la forme de rapport d'information .

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