AUDITION DE M. PASCAL SAINT-AMANS, DIRECTEUR DU CENTRE DE POLITIQUE ET D'ADMINISTRATION FISCALES DE L'OCDE

(mercredi 3 juillet 2013)

M. François Pillet, président . - Nous recevons M. Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE. Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je vous informe qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Pascal Saint-Amans prête serment.

M. Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE . - L'environnement a significativement changé en cinq ans, et cette évolution s'accélère. Les États sont souverains ; historiquement, la fiscalité est au coeur de cette souveraineté ; l'interaction entre souverainetés fiscales est intervenue tardivement, avec le modèle de convention fiscale développé dans les années 1920 par la Société des nations pour éliminer les doubles impositions sur les investissements transnationaux. Cela a impliqué un renforcement de la coopération entre États.

Ce modèle de convention fiscale a été repris par l'OCDE dans les années 1950 et développé depuis. Il comporte toujours un article 26 qui prévoit des dispositions relatives à la coopération fiscale. Pendant longtemps, des États y ont opposé le secret bancaire.

L'OCDE a renforcé ses travaux sur ce thème dans les années 1990. Le rapport sur les paradis fiscaux, que le G8 lui a demandé en 1996, a conduit au développement d'un standard selon lequel les États devraient par principe échanger des renseignements, y compris bancaires, dans les cas autres que la bonne application des conventions fiscales. La Belgique, l'Autriche, la Suisse ou le Luxembourg, qui étaient des États à secret bancaire, ont exprimé des réserves. En dehors de l'OCDE, des États ou juridictions avaient une approche restrictive : les territoires d'outre mer du Royaume-Uni ou les dépendances de la couronne, telles Jersey, Guernesey, ou l'île de Man ; les territoires dépendant des Pays-Bas, ou de la Chine, comme Hong-Kong ou Macao. L'OCDE a donc dressé au début des années 2000 une liste des paradis fiscaux, définis comme des États ou des juridictions où il n'y avait pas de transparence, et qui ne coopéraient pas (en plus de quelques autres critères).

Le standard de l'échange de renseignements, y compris bancaires, sur demande, lorsqu'ils sont vraisemblablement pertinents pour l'administration fiscale de l'État requérant figure dans le nouvel article 26 du modèle d'accord d'échange de renseignements développé en 2002. De nombreuses juridictions ont pris l'engagement de l'appliquer, mais ne l'ont pas tenu. En 2008, à la suite du scandale du Liechtenstein, la pression politique s'est accrue, à gauche comme à droite. MM. Woerth et Schroeder, avec notre soutien, ont organisé le 22 octobre 2008 une réunion à Paris, puis le G20, réuni pour la première fois au niveau des chefs d'États et de gouvernements le 15 novembre 2008, a appelé à mettre fin au secret bancaire. En février et mars 2009, en préparation du G20 d'avril, l'OCDE a été invitée à établir un rapport de progrès - en fait une liste des pays qui avaient pris l'engagement d'appliquer le standard, mais n'avaient pas passé un minimum de douze accords d'échanges de renseignements.

Le Forum mondial que nous avons ensuite mis en place rassemble 120 pays et juridictions sur un pied d'égalité. Il organise une vérification par les pairs, autour de dix critères, que l'information existe sur les contribuables, les détenteurs de sociétés, de trusts, de comptes bancaires, mais aussi sur les comptabilités, que l'administration fiscale y a accès sans obstacle juridique, et que la juridiction examinée coopère avec tous les partenaires qui lui en font la demande. Plus de cent rapports ont été produits. Dans une première phase, l'on examine si le cadre légal et réglementaire correspond aux dix critères. Si ce n'est pas le cas, l'on formule des recommandations ; autrement l'on passe à la phase deux et à l'examen de la pratique de l'échange d'information du pays, en demandant aux 119 partenaires potentiels s'ils échangent avec ce pays, et comment. L'objet est de transformer le standard en pratique universellement admise.

Depuis quelques années, l'OCDE promeut également l'échange automatique de renseignements, favorisé par le Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA) américain. Le FATCA a été conçu de manière « punitive » après que certaines banques, notamment suisses, ont dissimulé qu'elles avaient des clients américains, en contravention avec leurs accords avec l'administration américaine. Pour protéger leurs bases taxables, les États-Unis ont édicté une législation unilatérale extraterritoriale, obligeant les institutions financières non-américaines à leur transmettre à compter du 1 er janvier 2014 le solde des comptes bancaires, les intérêts, dividendes ou plus-values, les contrats d'assurance-vie des contribuables américains, sous peine d'une retenue à la source de 30% sur tous les revenus de source américaine versés à tous leurs clients. Cette législation a suscité l'émoi des pays qui pratiquent l'échange automatique, comme la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Italie... Pourquoi ne pas établir un accord protégeant leurs banques ? L'OCDE a facilité la négociation d'un modèle d'accord intergouvernemental avec échange automatique de renseignements, de sorte que les banques des Etats signataires sont réputées compatibles avec le FATCA.

Les conséquences de cette dynamique sont importantes : puisque les pays à tradition de secret bancaire donnent aux États-Unis toute l'information, pourquoi ne les donneraient-ils pas à d'autres partenaires ? Les affaires comme Offshore Leaks, ont renforcé cette évolution et suscité des débats sur la directive européenne « Epargne ». Signataires du modèle d'accord international, la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Italie, veulent s'associer plus étroitement entre eux en s'inspirant du FATCA.

Le G8 a déclaré que l'échange automatique devait devenir le standard. Le 20 juillet, nous proposerons au G20 d'élaborer une plateforme technique pour que tous les pays disposent du même niveau d'information que les États-Unis. Nous associons à nos groupes de travail tous les pays du G20, ainsi que l'industrie financière, car il s'agit d'un sujet technique : la collecte coûterait très cher si nous ne nous mettions pas d'accord sur un standard unique.

Nous proposons également une plateforme juridique : la signature de la convention multilatérale d'assistance mutuelle en matière administrative, dont nous recommandons la signature, prévoit l'échange d'information et, sur option, l'échange automatique de renseignements. Elle a été signée en mai par Singapour, le Luxembourg, l'Autriche ; la Suisse en discute actuellement... Quelle évolution ! Nous prônons le passage à l'échange automatique de renseignements dans les dix-huit prochains mois. Les contribuables ne pourront plus se dissimuler : nous passons des paroles aux actes. L'échange sur demande sera renforcé par l'échange automatique : les administrations seront mieux à même de poser des questions.

Les obstacles techniques restent nombreux, à commencer par les structures juridiques telles que trusts, Anstalts, et autres sociétés offshore : les Iles Vierges britanniques comptent 850 000 sociétés offshore incorporées, les Seychelles sont passées de 20 000 à 120 000 sociétés offshore incorporées en trois ans... Nous souhaitons une information plus accessible sur les bénéficiaires de ces structures. Il y a déjà des moyens techniques pour cela. Que le Delaware accepte l'incorporation de sociétés sans identifier leur propriétaire constitue une défaillance sérieuse à traiter, de même que les obligations au porteur en Suisse ou à Panama. Nous essayons de préciser la définition du bénéficiaire effectif, pour que l'échange automatique soit plus efficace. D'ici dix-huit mois, le Forum mondial mettra en place un mécanisme de suivi de la bonne application de l'échange automatique de renseignements. L'on ne se contentera pas de mots.

M. Éric Bocquet , rapporteur . - La déclaration finale du G8 publiée le 18 juin me laisse sur ma faim : pas de calendrier, pas d'échéance, pas de mise en oeuvre effective de mesures précises... Nous sommes dans le domaine de la recommandation et du conseil. Marque-t-elle vraiment un tournant ? La politique des listes fait-elle l'objet de débats à l'OCDE ? Vous étiez intervenu devant la commission des finances du Sénat sur le projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting): quelles observations avez-vous faites sur l'utilisation des produits et montages financiers ?

M. Pascal Saint-Amans. - Qu'ils soient à 8, 20 ou 77, les G sont davantage dans le verbe que dans l'action. Mais la parole est nécessaire à l'acte. J'estime pour ma part que le fait que les chefs d'État et de gouvernement des huit principales puissances industrielles consacrent la moitié de leur temps à parler de fiscalité et que les quatre premiers points de leur déclaration finale en traitent, est un résultat qu'il aurait été difficile d'imaginer il y a quelques années, surtout sous présidence anglaise.

La crise, d'abord financière, devenant budgétaire, puis politique et sociale, le politique reprend la main sur ces sujets, qu'on abordait auparavant avec fatalisme. Le G8 donne le la en réclamant que l'échange automatique devienne un standard, et qu'il soit traité par le G20, auquel un communiqué du G 8 fait référence pour la première fois. Le Premier ministre britannique a insisté sur la nécessité de connaître les bénéficiaires effectifs des trusts. Les dix dépendances britanniques ont pris l'engagement de participer à l'échange automatique de renseignements avec les dix-sept pays européens, rejoints récemment par le Mexique et la Norvège. Nous passons bien des paroles à l'action.

L'OCDE a établi trois listes en matière fiscale : celle de 2000 recensait 35 paradis fiscaux ; en 2002, le nombre de paradis fiscaux non-coopératifs, c'est-à-dire des juridictions qui ne prennent pas l'engagement  s'est réduit à 8, puis à 3 en 2008 : le Liechtenstein, Andorre et Monaco ; le 2 avril 2009, un rapport de progrès classait les juridictions en trois catégories ; il s'est bientôt vidé. En réalité, une liste qui fonctionne disparaît. Si l'objectif est punitif, l'intérêt est moindre... Il n'y a plus de liste à l'OCDE. Les précédentes ont eu l'impact escompté, grâce au moteur politique qu'est le G20 : comme il réunit 90% du PIB mondial, lorsqu'il identifie, comme il l'a fait en avril, les 14 pays qui ne passent pas en phase deux, cela a de l'effet.

Le projet BEPS sera sans doute l'un des résultats majeurs du G20 de juillet, où il fera l'objet d'un rapport. Le président Poutine souhaite en faire un point important du sommet des 5 et 6 septembre à Saint-Pétersbourg. La France a indiqué qu'elle souhaitait que ce sujet y soit à l'ordre du jour. BEPS traitera de l'évasion fiscale des sociétés. Les combinaisons des règles internes et internationales sont telles que les multinationales peuvent facilement délocaliser leurs profits ou minimiser leurs impôts. Pour cela, au lieu de jouer sur l'opacité, elles utilisent plutôt des produits hybrides. Par exemple, une société mère française disposant de cash prête à une filiale étrangère rentable des obligations convertibles en actions ; dans l'État de la filiale, c'est une obligation et l'intérêt versé réduit le profit, mais dans l'État de la société mère, c'est une action dont le dividende est exonéré à 95%. La mauvaise articulation de deux souverainetés fiscales réduit ainsi considérablement sa charge fiscale. C'est moins une affaire de transparence que de changement global des règles.

M. François Pillet , président . - Qu'est-ce qui garantit l'efficacité de l'échange automatique ?

M. Yvon Collin . - Vous dites que nous sommes sur la bonne voie. Néanmoins, les États ne s'arrangent-ils pas pour que les mailles du filet soient un peu larges ? L'OCDE consulte-t-elle les ONG spécialisées dans la lutte contre l'évasion des capitaux ? Enfin, avez-vous établi une comparaison exhaustive des législations fiscales ?

M. Pascal Saint-Amans. - J'ignore si les États organisent eux-mêmes l'absence de transparence, mais je sais qu'après avoir longtemps accepté de vivre dans un monde comportant des zones d'opacité, ils changent de ton : Singapour signe la convention multilatérale sur l'assistance administrative, met fin aux recours judiciaires internes contre les demandes d'échanges de renseignement, et s'apprête à faire de l'échange automatique de renseignements. La situation politique est telle que les zones d'opacité ne sont plus acceptables. La démarche est initiée par les plus hautes autorités, la chaîne administrative suit. La crise constitue à cet égard une opportunité : lorsque la croissance reviendra, les comportements changeront.

Nous consultons, bien sûr, les ONG, comme les entreprises ; pour établir des normes, il faut prendre l'attache de ceux qui les pratiquent. Le rôle des ONG est important, nous les associons au projet BEPS, ainsi qu'à notre task force sur le développement par la fiscalité : la création d'États modernes et démocratiques passe par la collecte de l'impôt, qui contraint les hommes politiques à répondre de la manière dont ils utilisent les fonds. Le G20 a fait de la mobilisation des ressources domestiques une priorité.

Nous disposons d'études comparées des législations fiscales, mais la mise en place de BEPS nous conduira à approfondir ces recherches. Le Forum des administrations fiscales étudie les pratiques et leurs évolutions : des banquiers du Liechtenstein me disaient récemment que leur pays était désormais convaincu que l'échange automatique de renseignements s'imposait, et que le seul problème était le stock de clients qui n'étaient pas encore régularisés. Certaines banques suisses tiennent le même discours.

Mme Nathalie Goulet . - Vous avez fait un rapport circonstancié le 13 mars 2012 devant cette commission. J'espère qu'en quinze mois vous avez vu des progrès. Avez-vous des préconisations immédiates sur le texte que nous examinerons la semaine prochaine ? Vous nous aviez indiqué utiliser, pour former l'administration fiscale, les schémas d'optimisation fiscale. Nous n'arrivons pas à obtenir l'accord du gouvernement pour rendre obligatoire la communication de ceux-ci à celle-là. Comment fonctionne la formation que vous dispensez ? Plusieurs personnes ont souligné devant nous le manque de formation de nos agents qui, dans cette guerre de l'obus et du blindage, semblent toujours en retard sur des procédés toujours innovants. Est-il possible d'accroître l'efficacité des conventions fiscales internationales ? Celle entre la France et le Qatar, par exemple, fait de notre pays un paradis fiscal pour les Qatariens.

M. Pascal Saint-Amans. - Je n'ai pas compétence pour faire de préconisations immédiates sur la manière de traiter des banques dans une loi...

Mme Nathalie Goulet . - Nous vous suppléerons !

M. Pascal Saint-Amans. - En mars 2012, BEPS n'en était qu'aux prémices : nous avons initié ce projet en avril. En un an, la lutte contre l'évasion fiscale des sociétés est passée d'un obscur sous-groupe de l'OCDE aux chefs d'États et de gouvernements du G20. Nous avons répertorié depuis sept ans quelque 400 schémas fiscaux agressifs. Nous avons compris qu'il y avait un problème fondamental d'articulation des souverainetés fiscales avec les règles de fiscalité internationale, qui aboutit à de la double non-imposition. BEPS change le débat : il s'agit moins d'application que de politique fiscale. Les administrations fiscales ont accès à ces schémas. La plupart sont légaux, aussi les administrations fiscales perdent-elles les procédures qu'elles engagent. Le plan d'action que nous présenterons le 20 juillet au G20 a été adopté par le comité des affaires fiscales de l'OCDE ouvert aux huit membres du G20 non-membres de l'OCDE ; il comprend quinze actions précises parmi lesquelles un modèle de législation, à partir des meilleures pratiques, instaurant des déclarations de montages.

Mme Nathalie Goulet . - Parfait !

M. Pascal Saint-Amans. - Les conventions fiscales sont devenues plutôt trop efficaces que pas assez : elles fonctionnent si bien qu'elles organisent la double non-imposition. Ne perdons pas de vue l'objectif : la double imposition est nocive pour la croissance, pour les investissements et pour l'emploi. Le plan d'action de BEPS a pour objet de neutraliser les schémas qui exploitent les faiblesses des conventions fiscales. Les États-Unis considèrent d'ailleurs qu'il ne faut pas en passer avec des pays qui ne taxent pas. Sinon, on renonce au droit de taxer au profit d'un État qui ne l'exerce pas...

M. Michel Bécot . - Quels pays disposent d'un pouvoir élevé de négociation ? Y a-t-il un classement des pays par ordre de conformité au modèle de l'OCDE ?

M. Pascal Saint-Amans. - Il n'y a pas de classement, mais nous demandons aux États d'exprimer des réserves lorsqu'ils ne comptent pas suivre le modèle de convention fiscale de l'OCDE. Nous évaluons ainsi le degré de conformité de leur politique conventionnelle. Le modèle de convention est multilatéral, et se traduit par des conventions bilatérales. L'enjeu de la négociation bilatérale varie en fonction des États concernés. Parfois, les conventions fiscales sont signées à l'occasion d'une visite d'État ou d'un marché commercial. Les États-Unis, eux, ont une démarche très stricte, mais le rapport de force avec eux est particulier...

M. François Pillet, président . - Comment l'OCDE s'assure-t-elle de l'effectivité des échanges automatiques ?

M. Pascal Saint-Amans. - Etablir des normes sans vérifier leur application est peu efficace. Nous organisons l'examen par les pairs, comme cela se fait dans la lutte contre la corruption ou le blanchiment d'argent. Le site internet du Forum mondial publie les rapports établis : d'une quarantaine de pages au plus, pour rester lisibles, ils formulent des recommandations précises sur chacun des dix critères essentiels, et donnent une note globale pays par pays. Si le cadre légal et réglementaire est en place, le pays passe en phase deux. Nous interrogeons tous les pays sur la pratique de leur partenaire : les demandes obtiennent-elles une réponse ? Sinon, pourquoi ? Bien fait, l'examen par les pairs aboutit à des rapports très exigeants formulant des recommandations strictes. Nous souhaitons l'étendre à l'échange automatique de renseignements.

Pour une phase deux, nous envoyons une équipe de trois personnes : un membre du secrétariat, un représentant d'un pays de common law et un représentant d'un pays de droit civil. Elle vérifie concrètement si l'autorité compétente dispose des moyens de procéder à l'échange d'information et si les demandes sont bien traitées. Son rapport est ensuite soumis à un groupe d'examen de trente pays de tous types. Les intérêts divergents convergent sur le niveau d'exigence : tous ont intérêt à ce que les autres coopèrent. Le cercle vertueux est maintenu par la pression politique du G20.

M. Éric Bocquet, rapporteur . - Les investissements directs à l'étranger sont en plein développement. L'OCDE publie régulièrement des rapports sur ce sujet. Comportent-ils des analyses sur leur composition lorsqu'ils correspondent à des flux intragroupes ? Quelle est la réflexion de l'OCDE sur le dévoilement des schémas fiscaux agressifs, et le FACTA est-il un bon outil contre l'évasion fiscale ?

M. Pascal Saint-Amans. - Une autre direction de l'OCDE s'occupe des investissements directs à l'étranger. Nous connaissons mal les flux transnationaux. Si nous ne savons pas, pour le moment, identifier la part des flux intra-groupes dans le volume total, nous avons la volonté d'y parvenir. C'est un des axes du rapport BEPS. En connaissant mieux les flux d'entreprises, nous repérerons l'évasion fiscale et pourrons agir. Nous savons qu'il y a un problème, nous ne savons pas l'analyser. Il est clair que les flux d'investissements directs révèlent des anomalies, ainsi quand les Iles Vierges britanniques figurent parmi les cinq plus grands investisseurs en Chine, en Russie ou aux Pays-Bas.

Le dévoilement des schémas fiscaux agressifs constitue un des axes de travail de l'OCDE, que nous développerons au cours de dix-huit prochains mois, au même titre que la neutralisation des produits hybrides. Le plan d'action est global, il doit traiter tous les aspects en même temps.

Le FATCA est une législation extraterritoriale américaine unilatérale assurant aux Etats-Unis toute l'information dont ils ont besoin. La France et ses partenaires souhaiteraient faire de même. C'est pourquoi l'OCDE a facilité les discussions pour organiser une procédure multilatérale d'échange automatique de renseignements entre les cinq grands pays européens, les autres pays européens, les dépendances britanniques, le Mexique, la Norvège. Des avancées réelles ont eu lieu depuis un an : le processus est en marche. Le gouvernement suisse a indiqué qu'il y était prêt sous réserve de réciprocité et de transparence.

Le FATCA a servi de déclencheur. Son périmètre est plus large que celui de la directive « Epargne ». Voilà un instrument utile dans la lutte contre la fraude fiscale. La fraude fiscale sera désormais criminalisée. C'est dissuasif. L'échange automatique ne mettra pas fin aux activités criminelles des trafiquants mais aidera à les identifier. La fiscalité sert de révélateur - souvenez-vous d'Al Capone. C'est pourquoi nous cherchons à faciliter l'échange d'information au sein de l'OCDE.

M. Éric Bocquet , rapporteur . - Quelles sont les initiatives internationales en matière de concurrence fiscale, comme l'ACCIS (assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés) ?

M. Pascal Saint-Amans. - Nos travaux portent sur BEPS parce qu'il y a consensus, la double non-imposition n'est pas acceptable.

M. Éric Bocquet , rapporteur . - Même la Belgique qui a développé la notion d'intérêt notionnel ?

M. Pascal Saint-Amans. - La Belgique également. Un autre volet est constitué de l'identification des pratiques fiscales dommageables définies selon des critères élaborés en 1998 : manque de transparence, interdiction aux entreprises locales, avec une fiscalité nominale très faible. Des nouveaux produits dommageables apparaissent comme les intérêts notionnels, ou les taxes à taux réduit sur les revenus de produits incorporels (patent box), comme en Grande-Bretagne. Les travaux de l'OCDE revisitent ces sujets.

Selon le consensus international, la concurrence fiscale n'est pas un problème. Peu importe que le taux de l'impôt sur les sociétés soit de 12,5 % en Irlande, pourvu qu'il y en ait un. Une multinationale américaine a localisé tous ses incorporels en Irlande, créé une filiale bermudeo-irlandaise et ne paie ainsi presque pas d'impôts. Pas moins de 2 000 milliards d'euros de profits d'entreprises américaines ne seraient pas taxés. Le Congrès réfléchit à une réforme fiscale pour y mettre fin. La question de la concurrence fiscale sera reformulée après l'entrée en vigueur des préconisations du rapport BEPS sur l'élimination de la non-imposition.

M. Éric Bocquet , rapporteur . - Comment évaluez-vous le rôle de la France sur ces sujets ?

M. Pascal Saint-Amans. - Il ne m'appartient pas de noter ni d'évaluer le comportement des États membres de l'OCDE. La France, a avec l'Allemagne et la Grande-Bretagne, joué un rôle moteur au G20 pour inscrire les recommandations du rapport BEPS à l'ordre du jour. Elle a également favorisé l'échange d'informations.

M. François Pillet , président . - Quelle est la doctrine de l'OCDE concernant les règlements du passé ?

M. Pascal Saint-Amans. - Sans avoir de doctrine, nous souhaitons être des facilitateurs, favoriser les meilleures pratiques. Tous les pays souhaitent régler le passé. Tout d'abord il y a ceux qui souhaitent sortir du système, comme la Suisse. Il s'agit pour eux d'éviter le risque de poursuites pénales et de faciliter les démarches des contribuables. A ce prix, on facilite leur adhésion au nouveau système. D'autre part, ceux qui souhaitent récupérer le produit de leurs impôts ont intérêt à éviter des solutions conflictuelles ou contentieuses. Personne aujourd'hui n'évoque l'amnistie. L'enjeu est de mettre en place un mécanisme permettant aux contribuables d'acquitter leur impôt et de révéler leur patrimoine. Ils y sont prêts, ils veulent sortir de l'impasse. Pour tous, une procédure ordonnée est moins coûteuse qu'un contrôle fiscal.

M. Éric Bocquet , rapporteur . - L'OCDE a-t-elle une position sur les conflits d'intérêts ?

M. Pascal Saint-Amans. - Pas d'un point de vue fiscal. Mes collègues travaillant sur la gouvernance ont dû y réfléchir.

M. François Pillet , président . - Vous avez mentionné la suppression des recours judiciaires internes à Singapour.

M. Pascal Saint-Amans. - Dans un premier temps, Singapour avait souhaité protéger les contribuables en conditionnant l'échange d'information à l'avis d'un juge, une procédure compatible avec nos standards car limitée à trois mois - une seule demande a été bloquée par le juge. En dépit de cette validation, Singapour a décidé de renoncer à ce système. C'est un signal fort.

M. Éric Bocquet , rapporteur . - La demande adressée par la France à la Suisse dans une affaire concernant un ancien ministre du budget ne montre-t-elle pas les limites de la coopération ?

M. Pascal Saint-Amans. - En la matière le diable est dans les détails. J'ignore à qui la demande a été adressée et comment elle avait été formulée. Les faits sont anciens. Des mesures ont été prises depuis 2009, des instruments sont entrés en vigueur récemment, il est dur de remonter au-delà. De plus dans les cas d'échanges à la demande, il faut que l'État demandeur prouve l'existence d'un préjudice potentiel à l'assiette de ses impôts. C'est pourquoi l'OCDE a fait pression pour développer l'échange automatique.

M. François Pillet , président . - Je vous remercie. Votre contribution est importante.

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