AUDITION DE M. BRUNO BÉZARD, DIRECTEUR GÉNÉRAL DES FINANCES PUBLIQUES AU MINISTÈRE DE L'ÉCONOMIE ET DES FINANCES

(mercredi 10 juillet 2013)

M. François Pillet , président. - Nous auditionnons cet après-midi M. Bruno Bézard, directeur des finances publiques, ainsi que ses collaborateurs, qu'il va nous présenter...

M. Bruno Bézard. - M. Alexandre Gardette est chef du service du contrôle fiscal de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) ; M. Edouard Marcus est sous-directeur E de la direction de la législation fiscale...

M. François Pillet, président. - Je vous demande à tous trois de prêter serment de dire la vérité, en levant la main droite, et en disant : « Je le jure ».

M. Bruno Bézard. - Je le jure.

M. Alexandre Gardette. - Je le jure.

M. Edouard Marcus. - Je le jure.

M. François Pillet, président. - Monsieur le Directeur, vous avez la parole...

M. Bruno Bézard. - Vous avez souhaité m'entendre au sujet de la fraude fiscale et du rôle d'un certain nombre d'opérateurs économiques -banques, acteurs financiers- dans l'évasion des ressources financières, et ses conséquences budgétaires et économiques.

Je ciblerai mon propos sur le rôle des banques, objet de votre commission -même si les quatre-vingt-huit questions que vous nous avez adressées balayent largement le sujet.

Les banques sont le plus souvent le lieu où se nouent et se dénouent des montages ou des transactions qui sont parfois aidés par le secret bancaire, et l'absence -ou l'insuffisance- de régulation de certains pays.

Dans de très nombreux cas, ces montages s'introduisent dans le circuit économique officiel par l'intermédiaire d'acteurs financiers. Ils n'en ont toutefois pas le monopole, certains acteurs juridiques jouant également un rôle très important, mais il est rare qu'une transaction n'aboutisse pas, à un certain moment, chez un acteur financier.

Par construction, le secteur financier est très directement concerné par les sujets dont vous vous préoccupez. Fort heureusement, il enregistre et facilite également des transactions honorables, mais peut être, de façon volontaire ou involontaire, le réceptacle d'opérations d'évasion fiscale, de blanchiment de capitaux. Il peut aussi se livrer à du démarchage illicite : l'actualité nous en a donné quelques exemples retentissants. Vous êtes donc au coeur d'un sujet majeur pour nous.

On m'interroge souvent sur le volume de la fraude fiscale annuelle ; je réponds, sous forme de plaisanterie, que je le dirai le jour où l'on m'autorisera à envoyer à chaque Français un formulaire lui demandant de préciser le montant  de la fraude à laquelle il s'est livré dans l'année.

Chacun sait que la fraude fiscale est très difficile à évaluer. De très nombreuses études circulent, mais les institutions les plus sérieuses -notamment les deux assemblées, la Cour des comptes- ont estimé qu'il s'agissait d'ordres de grandeur extrêmement discutables.

Nous avons, en 2012, notifié 18 milliards d'euros de droits et de pénalités. Sur ce montant, environ 6 milliards d'euros ont été redressés en base. Il faut diviser cette somme par trois, s'agissant d'impôts sur les sociétés. Ces montants concernent des phénomènes internationaux : prix de transfert, localisations en France d'activités non déclarées ou sous-déclarées -comme certains moteurs de recherche que je ne citerai pas- mise en oeuvre de dispositifs anti-abus dont est dotée l'administration...

Il en est résulté plus de 1,8 milliard d'euros de droits. Cela illustre l'importance de ce que nous appréhendons sur ces sujets internationaux, où l'on constate une évolution des schémas et des fraudes absolument stupéfiante. Est-ce beaucoup ou très peu ? Je ne saurais répondre... Je constate que cette part va croissant, la dématérialisation des flux et la globalisation facilitant extraordinairement les choses.

En second lieu, à titre personnel, je trouve très bien de sévir contre les contribuables qui se sont laissés aller à ce genre de dérive, mais je pense que l'on devrait également s'attaquer à ceux qui les encouragent, aux monteurs, aux instigateurs. Il existe un délit d'incitation à la haine raciale, pas à la fraude fiscale ! On peut toujours, par différentes astuces de procédure, utiliser des contextes englobants, recourir à la notion de bande organisée, pour reprendre une expression à la mode, mais nous n'avons pas, dans notre droit, de vecteurs capable d'inquiéter davantage ceux qui démarchent des contribuables pour leur vendre des schémas de fraude fiscale particulièrement lourds.

M. François Pillet, président. - On peut aussi utiliser la notion de complicité...

M. Bruno Bézard. - Certains contribuables ont certes tenté l'aventure, mais d'autres ont objectivement manqué de vigilance.

Nous réfléchissons à la manière de faciliter l'incrimination de ces professions, au sens large, qui ne sont jamais inquiétées. J'ai ainsi de très lourds dossiers en tête...

Par ailleurs, nous sommes particulièrement attentifs aux montages mis en place par certains groupes. Nous avons proposé au Parlement, à l'été 2012, une réforme du dispositif sur les sociétés, qui bénéficient à l'étranger d'un régime fiscal privilégié. Cette première modification nous a permis de faciliter la découverte de certains montages, en renversant la charge de la preuve. Notre objectif est de lutter contre l'un des phénomènes les plus classiques de la fraude fiscale, qui est la délocalisation vers des pays à fiscalité privilégiée.

Cela nous permet d'imposer, en France, même lorsqu'ils ne sont pas distribués, des bénéfices réalisés par les entreprises contrôlées par des sociétés françaises, dès lors qu'elles sont dans des pays à pression fiscale très inférieure -moins de la moitié.

Nous avons également l'intention de lutter davantage contre les phénomènes d'endettement artificiel. Malgré un léger coup de rabot l'année passée, les charges d'intérêts sont déductibles pour une entreprise. Il est assez facile d'optimiser son assiette de l'impôt sur les sociétés par de la dette au passif, dont la seule motivation est fiscale. Le plaisir est complet lorsque cette dette est constituée auprès de sociétés du même groupe, qui sont donc créancières, et localisées dans un pays où l'on taxe peu les produits !

Nous luttons aussi contre ce phénomène dans la sphère internationale, en négociant des aménagements aux conventions de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur les produits hybrides, entre actions et obligations, entre capital et dette.

Avant de rejoindre l'administration fiscale, j'ai eu l'occasion de travailler sur ces produits hybrides. Il s'agit d'ingénierie financière classique en tout bien tout honneur, mais ils peuvent aussi constituer un moyen de réduire l'assiette fiscale de manière importante.

Quelques mots sur la dimension pénale et les relations avec l'autorité judiciaire...

Nous déposons environ mille plaintes pour fraude fiscale par an. Ce point a fait l'objet de longs débats ; le ministre du budget dispose, en matière de fraude fiscale, du monopole des poursuites. Nous sommes très attentifs à ce que nos directions, sur le terrain, nous fassent remonter des dossiers relevant du pénal et s'intéressent davantage la criminalité en col blanc.

Cela suppose que nos propres services ne se laissent pas déborder par la complexité, ni décourager, et ne se reportent pas sur les dossiers les plus faciles. Nos partenaires de l'autorité judiciaire doivent également poursuivre ces dossiers. Ceux-ci ne semblent toutefois pas représenter une priorité absolue, si j'en juge par le nombre de personnes incarcérées en France pour fraude fiscale -une seule pour mille poursuites par an ! Sans doute les choses vont-elles changer très vite -en tout cas, nous le souhaitons !

Nous avons d'autre part modifié le dispositif, grâce à l'aide du Parlement, et avons désormais accès à la police fiscale. Ce service est placé sous l'autorité du ministère de l'intérieur, mais composé de personnels venant à la fois de la police et de mon administration. Il dispose de pouvoirs bien plus importants que ceux de l'administration fiscale, proches des services de la police judiciaire, notamment en matière d'écoutes et de perquisitions. Nous nous saisissons désormais de cas plus complexes, comme ceux relatifs à la domiciliation fictive à l'étranger, alors que la personne réside en France.

L'évasion fiscale recourant à des comptes à l'étranger constitue un sujet que la police fiscale peut désormais étudier de près. La police fiscale compte treize agents de l'administration fiscale, et j'ai décidé, en liaison étroite avec mon collègue directeur général de la police, d'en renforcer les effectifs.

Je n'ai pas besoin d'insister sur les raisons qui font que la lutte contre les avoirs non déclarés à l'étranger est un sujet d'actualité. Jusqu'à fin 2010, il était certes connu des services fiscaux, mais pas tant que cela, les découvertes de tels comptes étant peu nombreuses, compte tenu du blocage complet d'accès à l'information des pays hébergeant ces comptes. Les choses ont beaucoup changé. Elles se sont extrêmement accélérées depuis quelques mois, même en matière internationale.

Nous constatons l'évolution d'un certain nombre de pays, parmi lesquels les plus rétifs historiquement à toute forme de coopération. Certains en arrivent même à affirmer qu'ils pourraient être favorables à l'échange automatique d'informations, alors qu'ils ne répondaient jamais à nos demandes ponctuelles... Singapour connaît ainsi un changement d'état d'esprit complet. Je ne sais si cela durera, mais c'est notable.

Nous revisitons notre portefeuille de conventions bilatérales pour y introduire des clauses anti-abus, et négocions également avec certains partenaires, comme la Suisse.

L'actualité sur la détention de comptes occultes à l'étranger est très importante. Nous assistons bien évidemment à un certain nombre de phénomènes médiatiques déclenchés par différentes affaires -Cahuzac, HSBC, Offshore Leaks, etc.

Le bilan des échanges d'informations est vraiment très contrasté. Nous avons d'immenses difficultés avec certains pays, qui ne répondent pas, ou qui le font dans un délai extrêmement long, pour dire, dans la plupart des cas, que nos demandes ne sont pas pertinentes, faute d'une documentation suffisante, ou l'adresse ne correspondant pas exactement... Il y a ainsi tout un tas de prétextes utilisés pour ne pas nous répondre. Avec d'autres pays, cela fonctionne en revanche très bien !

C'est un sujet extrêmement important, notre arsenal juridique passant par une certaine coopération des pays hébergeant ce type de comptes. Il y a encore beaucoup de travail à faire dans ce domaine. Nous maximisons l'utilisation de ces conventions. Depuis 2010, 4 500 demandes d'information ont été adressés par la DGFiP à ses homologues étrangers.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Combien avez-vous eu de retours ?

M. Bruno Bézard. - Cela dépend des pays. C'est très variable. Il faut également tenir compte du délai de la réponse.

Nous travaillons beaucoup avec les enceintes multilatérales, au sein de l'OCDE. On utilise, dans le domaine fiscal, comme dans d'autres, la technique de la revue par les pairs, chaque pays étant noté en fonction d'une grille de critères aussi objectifs que possible. L'éventualité d'un examen qui se passerait mal peut, avec d'autres arguments, aider à changer les mentalités.

Nous plaidons d'autre part fortement, sur la scène européenne, en faveur d'un Foreign account tax compliance act européen (FATCA), généralisant l'échange automatique d'informations. Un échange d'informations éviterait bien des pertes de temps !

Vous remarquerez que l'accord "Rubik", dont tout le monde parlait il y a quelques mois, a quasiment disparu de la scène médiatique. Chacun a compris, après l'échec de l'Allemagne et le changement complet de nombre d'ambiance depuis quelques mois, que ce sujet n'était plus à l'ordre du jour. Les promesses budgétaires faites par la Suisse à la Grande-Bretagne, pour l'appâter, afin qu'elle signe cet accord, vont décevoir, malheureusement pour le budget britannique, et ne sont plus de mise. On n'est plus dans un contexte où il est possible de garder le silence en échange d'un gros chèque !

L'économie de l'accord "Rubik" reposait sur le versement par la Suisse d'un chèque, toujours intéressant en période de disette budgétaire, en contrepartie d'un mécanisme de retenue à la source forfaitaire, sans que l'on puisse connaître le nom des contribuables concernés. Nous avons refusé depuis longtemps d'entrer dans ce dispositif...

M. Éric Bocquet, rapporteur. - La position de la France n'a donc pas bougé sur ce point ?

M. Bruno Bézard. - Non, mais elle a été rejointe par les autres pays. L'Allemagne n'a pas ratifié cet accord. Les Suisses avaient présenté les conclusions de la discussion avec l'Italie comme imminentes. Dans l'ambiance actuelle, la signature d'un tel accord me paraît peu probable. Les choses peuvent changer, mais l'atmosphère n'est plus du tout la même. En moins d'un an, j'ai pu voir le contexte international se modifier radicalement. On a là une fenêtre de tir politique majeur. Il faut en profiter...

Nous sommes particulièrement attentifs à la question des prix de transfert. Il n'y a rien de plus facile, pour délocaliser de la valeur, que de jouer sur ces prix. Ceux-ci n'étant pas une science, ils sont toujours discutables.

Nous remettons beaucoup en cause des optimisations fiscales sur la base de prix de transfert. La Direction des vérifications nationales et internationales (DVNI), qui vérifie les grandes entreprises, s'en est fait une spécialité. Beaucoup de dossiers sont assez connus. Il convient de rester vigilant. Nous travaillons sur des consensus internationaux, de façon à pouvoir remettre plus facilement en cause les prix de transfert.

M. François Pillet, président. - La parole est au rapporteur...

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Vos propos liminaires sont extrêmement intéressants. Ils dressent un catalogue assez intéressant d'informations concrètes.

Nous nous intéressons au rôle des banques et des acteurs financiers au sens large. Vous évoquez l'existence d'établissements de financement et de crédit d'un autre type. Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par là ?

Vous affirmez que le secteur financier, « de manière volontaire ou involontaire », pratique ou aide à pratiquer l'évasion fiscale. Pourriez-vous expliquer ce que vous entendez par ces termes ?

Par ailleurs, je vous rejoins lorsque vous dites qu'on n'incrimine jamais les instigateurs de ces pratiques. Classeriez-vous les banques ou autres opérateurs financiers parmi ceux-ci ?

Enfin, vous avez évoqué des dossiers très lourds. Pourriez-vous en illustrer le détail de manière concrète ?

M. Bruno Bézard. - Je dois, pour répondre à votre première question, faire appel à mes souvenirs -quelque peu anciens- qui remontent à l'époque où j'étais à la direction du trésor...

Dans le langage courant, on parle des banques. Employons plutôt le terme de « sphère financière ». Il ne faut en effet pas oublier les assureurs. Je n'ai rien contre eux : j'ai été directeur des assurances, il y a quinze ans. C'est une partie de l'activité économique fondamentale, mais on peut pratiquer la fraude fiscale par le biais des assurances, comme par le biais des banques.

En second lieu -mais cela a pu changer- il existait d'autres catégories dans la sphère financière proche de l'activité bancaire, comme les intermédiaires en opérations bancaires (IOB), les gestionnaires de fortune, les courtiers, les sociétés d'investissement. Un continuum quasiment infini de professions plus ou moins définies et plus ou moins réglées gravite donc autour de l'activité d'établissement de crédit.

Ces activités, si mes souvenirs sont bons, sont définies précisément par la loi bancaire de 1984, qui vient d'être révisée. Elles nécessitent un agrément et comportent des spécificités très précises. D'ailleurs, exercer l'activité de banquier sans autorisation constitue un délit pénal.

Autour de la profession de banquier, qui consiste à accepter des dépôts, existent certains métiers, qui consistent à structurer les opérations. Une banque peut être une banque commerciale ou une banque d'affaires. Ce sont deux professions complètement différentes. Quand une banque de la place conçoit un montage financier optimisant, c'est une banque d'affaires. La valeur ajoutée haut de gamme, que vantent les brochures publicitaires -ce « jus de crâne » utilisé pour produire de la fraude fiscale- se situe davantage du côté de la banque d'affaires que de la banque commerciale...

Toutes les activités que le génie humain a inventées dans la sphère de la finance sont donc potentiellement concernées. Je ne veux pas dire qu'elles le font toutes. Ce ne serait pas très responsable de ma part !

Dans un dossier très célèbre, sur lequel une commission d'enquête est en cours, l'une des questions est de savoir quel a été le rôle d'un établissement qui n'était pas vraiment une banque, mais qui le serait devenu, qui a été gestionnaire de fortune... Ce sont ces institutions qu'il est parfois intéressant d'étudier. Cela fait partie des professions qu'il faut regarder de près. Il en va de même des conseils en investissement.

Certaines de ces professions sont surveillées, d'autres moins. L'Autorité des marchés financiers (AMF) a des responsabilités en la matière. Tous les auxiliaires financiers peuvent, à un moment ou à un autre, avoir la tentation ou, au contraire, refuser de se prêter à ce type d'exercice.

Vous avez par ailleurs l'air de douter qu'un établissement de crédit puisse, de façon involontaire, avoir participé à une opération de fraude fiscale. Je pense que si ! Je ne suis pas sûr que les diligences qu'on demande à une banque, qui consiste à connaître ses clients, aillent jusqu'à devoir sonder les reins et les coeurs sur la motivation fiscale de telle ou telle opération.

Je ne crois pas qu'on puisse dire que toute opération d'optimisation ou de fraude fiscale passant par un établissement de crédit implique que celui-ci ait eu une parfaite connaissance du fait qu'il s'agissait d'une fraude fiscale.

Il existe bien entendu des cas ou l'établissement savait et a en outre encouragé la fraude, mais je ne vous dis pas que c'est systématiquement le cas.

Par ailleurs, les établissements de crédit ont une obligation de déclaration à l'organisme de traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN) d'un certain nombre d'opérations financières douteuses...

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Où classez-vous les banques ?

M. Bruno Bézard. - Les banques peuvent être instigatrices, qu'il s'agisse de banques d'affaires ou de dépôts, mais je ne cherche pas à stigmatiser telle ou telle profession. Je tente de répondre à la question que la commission se pose : la fraude fiscale est-elle un phénomène spontané ? Les montages financiers les plus sophistiqués sont-ils nés dans le cerveau des contribuables ou cela a t'il transité par d'autres cerveaux ?

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Ceux des avocats, par exemple ?

M. Bruno Bézard. - Certains, tout comme les experts comptables. Toutes les professions du chiffre, mais aussi du droit, peuvent s'y livrer.

C'est pourquoi je pense qu'il serait souhaitable que la France puisse, dans son champ domestique, expliquer que les promoteurs de la fraude fiscale ne peuvent rester impunis.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Avez-vous été confronté à de telles situations ?

M. Bruno Bézard. - Oui, il existe des dossiers où on a le sentiment que les contribuables se sont vus proposer des schémas de fraude fiscale. Certes, ils n'étaient pas obligés de signer, mais on ne leur fait pas de cadeau pour autant !

Se voir proposer un schéma de fraude fiscale « clés en main », réputé sans problème, et en monter un soi-même ne relève pas de la même démarche... Nous poursuivons les fraudeurs au pénal pour complicité, mais nous n'avons aujourd'hui pas assez d'outils juridiques pour avancer.

L'état actuel du droit ne nous permet pas, collectivement, de donner aux agissements de certains opérateurs les suites qu'ils méritent. Je pense qu'il faut réfléchir à la façon de mieux appréhender l'incitation à la fraude fiscale. Je parle ici de montages qui permettent de percevoir 20 millions d'euros sans être taxé, grâce à trois trusts, quatre sociétés panaméennes, cinq comptes offshore, avec des titres hybrides, qui masquent en fait une distribution de revenus illégale !

Quant aux exemples, je suis quelque peu gêné par le secret fiscal. Celui-ci n'est toutefois pas opposable au rapporteur d'une commission d'enquête. Nous pourrons donc vous communiquer ces éléments dans le cadre d'un dialogue bilatéral, Monsieur le Rapporteur...

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Je prends acte de votre proposition.

M. François Pillet, président. - Vous vous étonnez que l'on ne compte qu'une seule personne emprisonnée pour fraude fiscale, alors que 1 000 plaintes sont déposées par l'administration fiscale, et 900 passées au filtre de la Commission des infractions fiscales (CIF). Déposez-vous suffisamment de plaintes ?

M. Bruno Bézard. - Nous réalisons 52 000 contrôles sur place et déposons 1 000 plaintes pour fraude fiscale par an. Dit ainsi, on peut penser que l'administration fiscale n'est pas particulièrement attachée à la répression pénale ou consent à de petits arrangements avec tel ou tel qui évitent d'aller au pénal.

La réalité est différente ! Parmi les 52 000 contrôles que nous réalisons, beaucoup ne méritent pas une quelconque pénalisation. Fort heureusement : dans quel pays serait-on si on envoyait en prison des gens qui se sont trompés en déclarant une demi-part de plus, ou qui n'ont pas mis la bonne fenêtre à double vitrage pour obtenir une réduction d'impôts...

M. François Pillet, président. - On leur enlève des points sur leur permis lorsqu'ils font 53 kilomètres à l'heure au lieu de 50 !

M. Bruno Bézard. - Je suis moins compétent pour filer la métaphore sur la sécurité routière, car ce n'est pas mon métier, mais nous avons déjà une justice largement embouteillée, qui fonctionne comme elle peut. Si, en plus, on devait envoyer vers la justice des contribuables de bonne foi... La bonne foi existe, on la rencontre tous les jours ! Notre code général des impôts prend 20 % de poids en plus chaque année. Les choses sont de plus en plus compliquées. Mes propres collaborateurs ne sont pas toujours d'accord entre eux sur un même dossier fiscal. Imaginez donc les contribuables !

Je n'accepte pas l'idée qu'un contribuable qui aurait été pris en flagrant délit de non-respect de la loi fiscale soit par construction de mauvaise foi. Beaucoup de gens sont de bonne foi car la complexité du droit fiscal est redoutable.

M. François Pillet, président. - En matière d'abus de droit, l'article L. 64 permet cependant de s'appuyer sur une certaine présomption de fraude !

M. Bruno Bézard. - L'abus de droit oblige à démontrer qu'un montage a un objectif exclusivement fiscal, ce qui est extrêmement restrictif. Je comprends qu'il existe, dans cette maison, quelques idées pour nous faciliter la tâche, il s'agit là en effet de cas pathogènes. La grande masse de nos contrôles ne relève toutefois pas du pénal.

Faut-il déposer plus de plaintes au pénal ? Evitons de verser dans une politique du chiffre ! C'est ridicule ! Nous essayons de gérer un curseur, et de mieux réprimer la criminalité fiscale en col blanc. Nous donnons des instructions à nos services en ce sens.

Je ne dis pas que tout est parfait. Je pense qu'il convient d'améliorer un certain nombre de choses et, probablement, de clarifier nos critères de pénalisation. Je crains toutefois qu'en déposant plus de plaintes au pénal, on embouteille davantage encore les services de la justice, qui ne sortent pas énormément de dossiers de fraude fiscale -mais ils ont sans doute leurs raisons.

On peut cependant sans doute améliorer les choses...

M. François Pillet, président. - Vous avez parlé de la technique d'endettement d'une société française qui, par ce biais, transfère des bénéfices dans un autre Etat ; vous avez fait ainsi implicitement allusion à un acte anormal de gestion. Sauf erreur de ma part, il s'agit d'une conception jurisprudentielle, qui ne fait pas l'objet d'un texte. Pensez-vous que l'on puisse améliorer la possibilité de réprimer de tels actes si, dans le cadre de l'abus de droit, on précisait que l'objectif ne doit plus être exclusivement fiscal, mais majoritairement fiscal ? Vous trouveriez certainement là l'appui de la commission...

Par ailleurs, vous avez évoqué la fraude des banques, mais non l'optimisation, qui constitue une ingénierie bien plus intelligente, mais non un délit. Je puis comprendre qu'une petite banque, peu connue, soit tentée par la fraude, mais une grande banque nationale prend un risque fou à devenir complice d'un tel stratagème ! En revanche, elle ne prend pas de risques à faire de l'optimisation et de l'ingénierie fiscale !

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Dans le même ordre idée, auriez-vous une évaluation des enjeux des boucles d'endettement et une cartographie des montages ?

M. Bruno Bézard. - Globalement, nous sommes demandeurs d'un soutien du Parlement pour renforcer nos textes, car nous sentons bien que nous arrivons à la limite. L'abus de droit n'est pas facile à plaider.

Par ailleurs, la rédaction actuelle de l'article L. 64 est en effet extraordinairement difficile à mettre en oeuvre. J'ai quelques exemples de dossiers dans lesquels, si j'étais avocat de la partie adverse, je pourrais prouver assez facilement que l'objectif n'était pas exclusivement fiscal.

Dans certains autres cas, le montage est destiné à berner non seulement l'administration fiscale, mais probablement également l'AMF...

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Vous arrive-t-il de gagner en matière d'abus de droit ?

M. Bruno Bézard. - Oui.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Dans quelle proportion ?

M. Bruno Bézard. - Je n'ai pas les chiffres avec moi.

Le mécanisme est en deux temps. Il y a d'abord le Comité de l'abus de droit...

M. François Pillet, président. - On le saisit rarement...

M. Bruno Bézard. - Il me semblait que c'était obligatoire...

M. Alexandre Gardette. - Non, c'est au choix du contribuable -mais nous pouvons le saisir également...

M. Bruno Bézard. - Le juge de l'impôt en décide également. Je n'ai pas les statistiques. Nous allons regarder...

Il serait paradoxal de ne pas réussir à prouver l'abus de droit, alors qu'une société a non seulement réussi à abuser le fisc, mais également les autorités prudentielles...

M. François Pillet, président. - Dans ce cas, vous pouvez poursuivre pour fraude !

M. Bruno Bézard. - Rassurez-vous : nous essayons tous les moyens possibles !

M. François Pillet, président. - J'imagine...

M. Bruno Bézard. - On pourra toujours trouver un autre objectif pour contester le terme « exclusivement »...

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Cela pourrait-il être le cas concernant le récent dossier LVMH-Hermès ?

M. Bruno Bézard. - Nous en parlerons dans un cadre bilatéral...

S'agissant de l'acte anormal de gestion, il est toujours délicat de légiférer sur une jurisprudence extrêmement subtile. L'idée tourne autour du fait que tout doit être fait dans des conditions normales de marché. Il s'agit de dire à une grande entreprise -que je ne citerai pas, mais qui fait plutôt de la métallurgie- qu'en transférant ses activités vers la Suisse, elle a enlevé de la valeur à l'entité française, sans parler d'acte anormal de gestion, qui relève éventuellement d'un abus ou d'un délit pénalement sanctionnable.

Budgétairement, on considère qu'elle a modifié l'assiette fiscale, en transférant une activité rentable. Dans une économie de marché normale, l'entreprise aurait reçu une soulte, qui n'est que la somme actualisée des flux de bénéfices, dont on s'est ainsi anormalement privés.

L'économie et le fiscal se rejoignent donc, ce qui n'est pas toujours le cas. C'est une façon de répondre à votre question...

M. François Pillet, président. - Compte tenu de vos impératifs horaires, nous allons entendre les questions de nos collègues, avant que le rapporteur n'évoque un second point, concernant les conventions bilatérales...

Mme Nathalie Goulet. - Monsieur le Directeur, la Haute Assemblée discute la semaine prochaine d'un texte, dont on ne peut dire qu'il emporte notre conviction, concernant les aspects de droit pénal, au sujet de l'augmentation du quantum...

J'ai déposé à ce propos un amendement de suppression de la CIF -qui sera sûrement repoussé- celle-ci constituant une procédure d'exception nécessaire aux poursuites. Connaissez-vous le montant des sommes récupérées dans le cadre de cette procédure ?

En second lieu, pourriez-vous lister les dispositions qui nécessiteraient qu'on inverse la charge de la preuve, notamment en matière fiscale ?

D'autre part, j'ai également déposé un amendement au sujet du Fichier national des comptes bancaires et assimilés (FICOBA), afin d'adjoindre à ce fichier les contrats d'assurance-vie. Quel est votre avis sur ce point ?

Enfin, de quelle marge de manoeuvre disposez-vous quand le Gouvernement décide d'une convention fiscale bilatérale internationale ? Nous avons eu un débat il y a quelques semaines sur l'efficacité ce celles-ci. Je pense notamment ici à celle qui nous unit au Qatar, et qui fait de la France une extraterritorialité de ce beau pays...

Cette convention fait non seulement des jaloux dans les pays voisins, mais a en outre eu un impact relativement important sur nos finances publiques...

Mme Corinne Bouchoux. - Une question vire au feuilleton. Nous avions reçu, lors de la précédente commission d'enquête sur les banques, une avocate spécialisée dans la succession Wildenstein. Nous avions interrogé le ministre Cahuzac sur ce dossier ; nous n'avions pas eu de réponse. Nous avons interrogé le ministre Cazeneuve ; nous n'avons pas reçu de réponse. Notre collègue député, Yann Galut, a adressé une lettre circonstanciée : il n'a pas non plus obtenu de réponse !

Il était question, dans le Canard enchaîné, d'un recouvrement de 650 millions d'euros pour fraude et évasion fiscales. A qui faut-il demander des explications sur ce dossier, sans qu'on nous oppose un secret faisant obstacle à ce que l'on sache où en est ce recouvrement ?

M. Bruno Bézard. - Le secret fiscal n'est pas un parapluie dont se sert l'administration pour éviter de répondre aux questions. Le secret fiscal me pèse, mais j'y suis tenu, c'est la loi. Je ne puis donc répondre à des questions sur des dossiers individuels frappés par le secret fiscal. En revanche, il existe un certain nombre de mécanismes qui permettent aux commissions des finances, à leurs présidents et à leurs rapporteurs généraux, ou à des commissions d'enquête, de venir chez nous consulter les dossiers. Nous en recevons de temps à autre. Certains le font à grand bruit médiatique ; d'autres le font plus sérieusement, pour consulter un certain nombre de dossiers.

Cela fait partie du rôle, dans une démocratie, du Parlement, de contrôler des sujets aussi sensibles que l'action du Gouvernement et des services. Je suis toujours ravi lorsque le Parlement nous pose des questions extrêmement précises, voire dérangeantes, sur un certain nombre de dossiers.

Mme Corinne Bouchoux. - Dois-je comprendre que vous accepteriez la visite de M. le rapporteur et de M. le président, ainsi que d'autres collègues, sur ce dossier précis, à leur demande ?

M. Bruno Bézard. - Je n'aurais pas le choix et ce sera avec plaisir, dans le respect des textes, s'il s'agit du rapporteur de votre commission d'enquête, sur un objet qui la concerne.

M. François Pillet, président. - Il s'agit uniquement du rapporteur...

M. Bruno Bézard. - Il faut que ce soit directement lié à l'objet de la commission d'enquête. Celle-ci me semble porter plus largement sur la description d'un mécanisme générique, et non sur le contrôle d'un dossier fiscal individuel.

En revanche, les présidents et les rapporteurs généraux des commissions des finances ont tous pouvoirs pour demander des précisions à l'administration.

Sans commettre d'infraction au secret fiscal, je puis dire que l'administration est particulièrement attentive au dossier que vous avez évoqué. Je ne puis aller plus loin.

S'agissant de la CIF, celle-ci ne réalise aucune transaction et ne récupère aucun fonds. Ce n'est un organisme ni de recouvrement, ni de transaction, mais une commission, dont le seul objet est de donner un avis conforme, que l'on est obligé de suivre, donc sur le fait d'aller au pénal ou non.

Beaucoup de choses ont été dites sur la CIF. Il faut la démystifier. Il s'agit d'une commission composée d'un certain nombre de personnes qui ont de l'expérience, dont l'objectif est de vérifier si un dossier mérite ou non un traitement pénal. Elle ne fait rien d'autre. Il n'existe donc pas de chiffres de recouvrement, ni de transactions.

Nous ne pensons pas qu'il faille la supprimer...

M. François Pillet, président. - Nous avions bien intégré cette position !

M. Bruno Bézard. - Je ne vous surprends donc pas ! Faites-moi cependant la grâce de penser que ce n'est pas uniquement un réflexe corporatiste, mais que cela repose sur un raisonnement.

M. Francis Delattre. - Le droit européen nous l'impose !

M. Bruno Bézard. - Ce que certains visent à travers sa suppression, c'est la disparition du monopole...

M. François Pillet , président. - Bien sûr !

M. Bruno Bézard. - Ce n'est toutefois pas l'objet de votre commission ; peut-être pourrons-nous en débattre une autre fois...

Nous sommes par ailleurs très favorables à l'inclusion des contrats d'assurance-vie dans le FICOBA...

Mme Nathalie Goulet. - Il y a un excellent amendement, rédigé par mes soins, dans le texte qui arrive mardi prochain en séance publique...

M. Bruno Bézard. - Nous y travaillons, l'assurance-vie peut être un moyen de paiement, dont les contrats sont rachetables. J'ai en tête quelques contribuables très connus qui organisent leur insolvabilité en plaçant leurs liquidités dans des contrats d'assurance-vie, tout aussi liquides qu'autre chose. Nous sommes donc en parfaite harmonie avec votre volonté.

Quelle est la marge de manoeuvre des services administratifs concernant les conventions bilatérales ? Je me permets d'étendre votre question à des milliers d'autres sujets : dans une démocratie, c'est le politique qui commande, et non les fonctionnaires ! Les fonctionnaires sont là pour formuler des recommandations, avec énergie lorsqu'ils pensent que l'on est sur la mauvaise voie. Ils ne sont pas toujours entendus, mais c'est leur rôle. C'est sur la base de ces recommandations que les ministres ou les échelons supérieurs de la République prennent leurs décisions, ainsi que vous le savez.

Je propose que MM. Marcus et Gardette complètent à présent mes réponses...

M. Edouard Marcus. - Comme le disait le directeur général, nous nous inscrivons dans une politique définie par les responsables ministériels.

Vous aviez interpellé M. Cazeneuve, dans l'hémicycle du Sénat, en avril dernier, à propos de l'efficacité des conventions fiscales et de la question du Qatar. Il avait répondu qu'il s'agissait d'un précédent qui ne se reproduirait plus. Pourquoi ? Au-delà de l'aspect anecdotique du dossier, notre politique, en matière de convention fiscale, a évolué pour s'adapter à l'optimisation fiscale internationale, aux principes internationaux et, notamment, à la réflexion sur l'érosion des bases fiscales des entreprises et le transfert de profits (BEPS).

La réflexion sur la politique conventionnelle a commencé il y a quelques années, afin de limiter les abus. Elle se traduit par de nouvelles clauses dans les conventions, visant à éviter les montages d'abus de droit, comme par exemple le recours à un homme de paille, dans un pays bénéficiant d'une convention favorable. Dans le langage technique, on parle de bénéficiaire apparent. Ceci permet de percevoir la commission. On peut également transformer la nature de flux financiers -c'est un peu la logique des titres hybrides- pour bénéficier, grâce à la convention, d'un traitement plus favorable...

Il existe aussi un nouveau type de disposition assez intéressant, que l'on a notamment inclus dans la convention avec le Royaume-Uni, en 2008. Deux Etats peuvent se partager le droit d'imposer, mais si l'un des deux ne l'utilise pas, l'Etat ayant abandonné son droit le retrouve si le premier ne l'utilise pas, le but n'étant pas de créer une situation de double exonération, qui favorise l'exil et la fraude fiscale.

Ces préoccupations sont partagées par la France, l'OCDE et le G20. L'Union européenne travaille également sur les directives, afin qu'elles n'offrent pas la même permissivité. On essaye ainsi d'éviter que les directives concernant les flux d'intérêts, de redevances, de dividendes, conduisent à des doubles exonérations, celles-ci créant des distorsions que les personnes mal intentionnées peuvent fort bien utiliser.

Ces politiques viennent aussi d'un souci du Gouvernement et sont portées par le Gouvernement dans les instances internationales ; nous les mettons en oeuvre dans les négociations.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Où en sommes-nous de la renégociation de la convention avec la Suisse ? Sur quels points porte-t-elle ?

M. Edouard Marcus. - C'est un sujet d'actualité. Nous avons conclu les conventions fiscales avec nos voisins immédiats à des dates assez anciennes -Suisse, Allemagne, Pays-Bas, Luxembourg. Depuis, la législation française et les principes internationaux ont évolué.

En France, depuis les années 1950, date à laquelle la France a signé avec la Suisse une convention sur les successions, la fiscalité du patrimoine français s'est largement développée. Aujourd'hui, le traité conclu à l'époque avec la Suisse ne nous permet plus vraiment d'exercer ces droits.

Le droit français permet dans certains cas de taxer les successions quand l'héritier est en France et qu'il réside bel et bien en France depuis un certain nombre d'années. La convention actuelle ne nous le permet pas.

On peut également taxer les biens immobiliers situés en France, même lorsqu'ils font l'objet d'une succession en Suisse quitte, en cas de double imposition, à éliminer cette dernière. La convention ne le permet pas non plus.

La précédente commission d'enquête s'était également préoccupée de la possibilité de souscrire des placements mobiliers en Suisse, afin que ceux-ci échappent à une imposition en France...

Tous ces aspects n'étaient pas réglés par la convention précédente et favorisaient l'exil fiscal.

C'est sur ces points que porte la renégociation. D'autres aspects sont liés à l'échange de renseignements. On en est à la dernière phase, et la signature doit intervenir demain.

M. Bruno Bézard. - Nous avons bon espoir de pouvoir corriger un certain nombre de dysfonctionnements des textes portant sur l'échange d'informations, que nous avons soulignés devant la commission d'enquête chargée du dossier Cahuzac.

M. Alexandre Gardette. - S'agissant des 1 000 poursuites par an, sur 52 000 opérations de contrôle fiscal externe, 16 000 sont constitutives des fraudes les plus graves, qui reçoivent des pénalités au taux maximum. Ce sont elles qui constituent d'une certaine manière le vivier des poursuites pénales, et non les 52 000 dans leur ensemble, qui comportent des personnes de bonne foi.

En second lieu, la CIF s'est dotée d'une jurisprudence interne qui fixe au seuil de 100 000 euros de droits les fraudes qu'elle juge pénalisables. Les contrôles qui peuvent lui être soumis passent alors de 16 000 à 4 000.

D'autre part, les pénalités fiscales, en droit français, ont un caractère pénal. Les contribuables qui ne vont pas devant le juge pénal n'échappent donc pas à une pénalisation fiscale.

S'agissant du fichier FICOBA et de l'assurance-vie, je serai étonné que les membres du Gouvernement, la garde des sceaux ou le ministre délégué au budget soient en désaccord avec l'objectif que vous poursuivez au travers de votre amendement dans la mesure où -sauf erreur de ma part- c'est le Premier ministre lui-même qui, au mois de février, lors du Comité national de lutte contre la fraude, a annoncé une mesure à ce sujet. Le fichier FICOBA ne recense que les propriétaires de comptes bancaires, mais ne permet pas de connaître le solde de ceux-ci. Les services fiscaux peuvent ensuite s'adresser aux banques pour le savoir.

En matière d'assurance-vie, l'objectif poursuivi par le Gouvernement est plus complexe. Il s'agirait de constituer un fichier indiquant les montants et les bénéficiaires. C'est assez compliqué si l'on veut éviter de frapper trop large et ne pas inclure des contrats qui ne présentent aucun intérêt en matière d'optimisation fiscale.

M. Bruno Bézard. - Mais nous sommes en phase...

M. Alexandre Gardette. - En effet.

Je n'ai pas dressé la liste exhaustive des propositions de l'année dernière, mais je puis essayer de me livrer à cet exercice. Entre le collectif de fin d'année et le projet de loi de lutte contre la fraude, si tout n'a pas été transposé, certaines choses se sont néanmoins traduites dans le droit positif. Les travaux de la commission d'enquête précédente nous ont été très utiles pour progresser.

Enfin, l'inversion de la charge de la preuve est un concept assez compliqué à manier, le juge de l'impôt et le juge pénal étant fort attentifs à la protection des contribuables. Certaines preuves, comme la preuve négative, sont impossibles à apporter.

Nous travaillons, avec la Direction de la législation fiscale (DLF), sur un projet destiné à inverser la charge de la preuve en matière de documentation que les entreprises doivent apporter, afin de nous permettre d'étudier si les choses se seraient traduites de la même manière en situation de concurrence.

M. François Pillet, président. - En matière de prix de transfert, le fait que l'entreprise ne réponde pas à ses obligations déclaratives inverserait donc la charge de la preuve, comme en matière de taxation d'office...

M. Alexandre Gardette. - C'est l'idée...

M. François Pillet, président. - Nous retenons cette proposition. Elle n'est pas révolutionnaire, mais peut être utile.

M. Francis Delattre. - Il existe un projet à ce sujet en discussion devant la commission des finances, dont la commission des lois a été saisie...

Si nous sommes d'accord concernant beaucoup de dispositifs purement juridiques, notamment en matière de délais de prescription, un amendement nous pose cependant problème. Il s'agit de l'origine délictueuse des informations. A-t-on vraiment besoin d'un tel dispositif ? Cela pose un problème dans un Etat de droit, même si l'on peut penser que c'est parfois dans l'intérêt général. Je pense personnellement que nous disposons déjà de suffisamment de moyens...

Par ailleurs, pensez-vous disposer des moyens suffisants en matière de contrôle de la comptabilité dématérialisée ?

D'autre part, la non-déductibilité des frais financiers des entreprises qui souscrivent des prêts pour investir pose un véritable problème aux entreprises. Je considère, à titre personnel, le dispositif comme fort discutable et antiéconomique, les entreprises ayant besoin d'investir. Y a-t-il un réel problème fiscal à ce sujet ?

Le vrai sujet reste le prix de transfert : M. Mittal va-t-il véritablement discuter de son redressement fiscal, eu égard aux pertes qu'il a fait subir aux entreprises de l'Est de la France ? Pensez-vous que ce processus soit internationalement acceptable ?

M. François Pillet, président. - Je pense qu'il sera utile que notre rapporteur vous rencontre, ce qui lui permettra d'élargir le dossier à des aspects plus confidentiels, ainsi que vous l'avez proposé...

M. Bruno Bézard. - Je pense aussi, s'agissant des frais financiers liés au passif des entreprises, qu'il est indispensable d'en maintenir la déductibilité d'une bonne partie, ceci permettant de favoriser l'investissement. Selon moi -mais c'est un avis personnel- il serait absurde de le remettre en cause !

M. Francis Delattre. - C'est pourtant ce qui a été fait !

M. Bruno Bézard. - Non, cela a été limité à la marge, pour des raisons budgétaires, mais parfaitement respectables, parce qu'il faut redresser les finances publiques.

D'un point de vue économique -et je souhaiterais que mes propos ne soient pas mal interprétés- cette déductibilité des frais financiers fait sens. Cela ne veut pas dire que, dans des temps de disette budgétaire sévère, on ne peut limiter un peu la déductibilité.

Je parlais d'un phénomène pathogène, non d'un phénomène classique, où les entreprises organisent, à l'intérieur d'un groupe, des créances et des dettes, faisant en sorte que les dettes génèrent des passifs financiers déductibles, et que les créances ne produisent pas de produits financiers taxables.

Je n'en tire absolument pas pour conclusion qu'il faut arrêter de déduire les frais financiers de l'assiette de l'impôt sur les sociétés. Economiquement, cela n'irait pas sens globalement dans le bon sens. Cela ne veut pas dire que des mesures de limitation de la déductibilité, pour des raisons de rendement budgétaire, ne font pas sens.

M. Francis Delattre. - C'est destructeur !

M. Bruno Bézard. - Ceci dépasse le cadre de cette commission d'enquête et de mon mandat, mais je ne suis pas, à titre personnel, convaincu que cela ait produit des effets importants sur l'investissement. Les déterminants de l'investissement ne sont aujourd'hui pas liés à cela.

Je ne puis vous répondre dans le détail à propos du dossier fiscal de Mittal. Discutera-t-il du sujet ? Il est probable qu'il y ait des discussions contentieuses sur le redressement qui lui a été infligé. La chose étant publique, je puis l'indiquer. Une négociation est prévue entre la France et le Luxembourg, comme pour tout prix de transfert.

En tant que citoyen, je comprends tout à fait que vous vous posiez la question de savoir s'il faut vraiment un texte pour nous autoriser à exploiter un certain nombre de documents, obtenus de façon illicite, mais qui nous sont transmis par la justice ou par l'assistance administrative internationale. Oui, il le faut vraiment ! Comme toujours en effet, la protection des libertés publiques, auxquelles nous sommes tous attachés, profite surtout aux gros délinquants. Les dossiers que je vois, qui sont tirés de la liste HSBC, relèvent de pratiques parfaitement organisées. Les personnes qui ont bénéficié du flou juridique entourant la capacité à utiliser ces informations bénéficient de très bons conseils !

Notre pays ne rémunère pas les aviseurs et n'achète pas de listes. Beaucoup de choses stupides ont été écrites à propos de l'administration fiscale, qui n'aurait pas bien traité l'affaire HSBC : il est désormais prouvé que cela a été fait parfaitement, mais si on nous empêche d'utiliser ces listes, cela fragilise toute notre action. Je pense donc qu'il convient de nous permettre de le faire.

Enfin, nous sommes prêts à recourir à la comptabilité informatisée, que vous avez qualifiée de « dématérialisée ». Nous disposons de consultants informatiques dans la plupart des brigades, qui sont en contact avec les grandes entreprises. Toutefois, le texte ne nous permet pas, aujourd'hui, de le demander. Certains vérificateurs -à qui l'on réclame par ailleurs du rendement- reçoivent de la part des entreprises des armoires entières de papiers, alors qu'un CD-ROM suffirait ! S'il ne s'agit pas là d'une opposition qui ne dit pas son nom, cela y ressemble beaucoup ! En dépit de la baisse des moyens, nous nous organisons pour être à la pointe du numérique : c'est notre ambition stratégique. Nous en parlerons à un autre moment, si cela intéresse la Haute assemblée...

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Je prends de la proposition que vous nous faites : nous prendrons date avec vos services pour vous rencontrer, évoquer les dossiers lourds, HSBC et autres sujets.

Pour conclure, existe-t-il une traduction concrète de l'appel lancé par le ministre aux contribuables à venir régulariser leur situation auprès des services de Bercy ?

M. Bruno Bézard. - Oui. Je ne puis vous donner de chiffres aujourd'hui, mais le message a été entendu. Un certain nombre de contribuables souhaitent se mettre en conformité avec la loi fiscale.

Je rappelle les points importants de ce dispositif, auxquels je tenais personnellement beaucoup : il n'existe plus d'anonymat, les choses se passent dans un service de contrôle classique qui a pignon sur rue et -point à mes yeux le plus important- le barème a été rendu public le 21 juin. Il serait toutefois présomptueux de ma part de dire si c'est un succès ou non, mais les chiffres augmentent rapidement.

M. François Pillet, président. - Jusqu'à quand la circulaire s'applique-t-elle ?

M. Bruno Bézard. - Nous n'avons pas fixé de terme, mais nous pensons que les contribuables qui sont dans cette situation ont intérêt à se présenter très vite. Je rappelle qu'on ne peut bénéficier de ce barème si le dialogue a déjà été établi par ailleurs avec l'administration fiscale à notre initiative. Il s'agit donc de personnes qui se déclarent spontanément.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - L'Autorité de contrôle prudentiel (ACP) s'est-elle rapprochée de la DGFiP au sujet de l'affaire UBS ? Si oui, quand et comment ? Vous êtes-vous rapprochés de TRACFIN pour vérifier si des signalements avaient pu être réalisés dans le cadre de l'affaire Cahuzac ?

M. Bruno Bézard. - Je suis un peu gêné par rapport à cette dernière question, car une commission d'enquête est en cours à l'Assemblée nationale sur le fonctionnement de l'Etat dans l'affaire Cahuzac. On est donc un peu hors du champ de votre propre commission d'enquête.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - C'est quand même notre sujet !

M. Bruno Bézard. - Nous allons essayer de vous fournir quelques éléments, mais je ne voudrais pas que l'on me reproche d'avoir empiété sur les travaux d'une commission d'enquête de l'Assemblée nationale !

M. Alexandre Gardette. - S'agissant de l'affaire UBS, l'ACP n'a pas directement pris contact avec l'administration fiscale, pour autant que je le sache.

En revanche, nous traitons ce dossier depuis près d'un an, en liaison étroite avec l'autorité judiciaire, qui nous transmet un certain nombre d'informations -dont certaines provenant de l'ACP. Nous travaillons également avec la justice pour les demandes d'assistance administrative adressées au pays de résidence principale du siège de cette banque.

D'une manière générale, TRACFIN reçoit quelques milliers de déclarations de soupçon chaque année, et fait son propre tri de celles qu'il juge susceptibles d'intéresser la justice ou les services fiscaux -parfois les deux à la fois. M. Carpentier ou son adjoint nous transmettent chaque mois un certain nombre de déclarations. Dans le dossier que vous évoquez, nous n'avons pas reçu d'éléments de cette nature. Je ne puis toutefois savoir si TRACFIN a transmis quelque chose à la justice.

M. Bruno Bézard. - TRACFIN n'est pas le réceptacle normal d'informations relatives à des comptes détenus à l'étranger.

La philosophie de cet organisme, à la création duquel j'ai participé, lorsque j'étais plus jeune, consiste à obliger les banques françaises à centraliser leurs déclarations de soupçon à propos de mouvement bizarres consistant à blanchir de l'argent en France.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Vous-même auriez pu diligenter une enquête sur ce sujet...

M. Bruno Bézard. - Vous avez pu noter que nous avons fait beaucoup d'investigations, Monsieur le Rapporteur !

M. François Pillet, président. - Merci.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page