AUDITION DE M. JÉRÔME HAAS, PRÉSIDENT DE L'AUTORITÉ DES NORMES COMPTABLES

(mardi 17 septembre 2013)

M. François Pillet , président. - Nous continuons nos travaux avec l'audition de M. Jérôme Haas, président de l'Autorité des normes comptables (ANC).

Monsieur le Président, je vais vous demander de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

M. Jérôme Haas. - Je le jure.

M. François Pillet , président. -Vous avez la parole.

M. Jérôme Haas. - J'ai pensé, ayant à l'esprit les questions que vous m'avez transmises, aborder trois sujets d'inégale importance.

Le premier porte sur des aspects systémiques du rapport entre la comptabilité et les questions financières. C'est le plus lourd. Le second sujet porte sur des aspects techniques du rapport entre la comptabilité et d'autres angles de représentation de l'entreprise, notamment bancaires, fiscaux, prudentiels et autres. Dans un troisième temps, vous m'avez posé des questions sur les commissaires aux comptes, sujet sur lequel je ne suis pas directement compétent, mais dont je puis vous dire cependant quelques mots.

S'agissant des aspects systémiques de la crise financière et de l'ensemble des dysfonctionnements auxquels nous avons assisté, qui ont conduit à la crise, les règles elles-mêmes ont participé au dysfonctionnement : elles ont dysfonctionné !

Cela ne va pas de soi : normalement, les règles permettent le bon fonctionnement du système ; or, voilà qu'elles sont la cause du dysfonctionnement ! Une part importante de notre travail a consisté à comprendre pourquoi...

Il faut remonter à la décision prise par l'Union européenne, en 2002, d'adopter pour les comptes consolidés des entreprises cotées des règles internationales, produites par un organisme privé, basé à Londres, l'International counting standard board (IASB). Ces règles étaient différentes des règles comptables dont nous avions l'habitude, et que nous utilisions depuis des siècles.

Il y a beaucoup de causes à l'émergence de ces autres normes comptables ; il serait trop long de s'y attarder, mais l'important est d'en caractériser la différence. Nous utilisions des normes qui consistaient à mesurer la différence entre ce que l'on dépensait et ce que l'on gagnait chaque année, le « résultat ». Nous le reportions de façon sincère, faisions une photographie en fin d'année dans un bilan, ainsi qu'en fin de l'année suivante et à celle d'après. On appelait généralement cela un patrimoine. De fait, les entreprises étaient souvent transmises à la génération suivante dans cet état, avec une perspective de long terme et le souci de la prudence.

L'approche alternative que nous avions adoptée sans le savoir tout à fait consiste à voir l'entreprise comme une chose qui s'achète et se vend, l'important étant de valoriser de façon instantanée l'ensemble des actifs et des passifs. Pour ce faire, il faut prendre en compte le passé, qui est sûr, le présent, mais surtout l'avenir. Le souci d'exhaustivité de ces normes, qui ne viennent pas du continent européen, a ouvert la porte à quelque chose de contraire à nos principes : la prise en compte du futur, l'inscription en résultats de bénéfices non réalisés.

M. Éric Bocquet , rapporteur. - Vous évoquez nos principes : parlez-vous là de la comptabilité française européenne traditionnelle ?

M. Jérôme Haas. - ...Oui. Elle-même fille du code civil, comme dans tous les pays d'Europe et du monde qui sont dans le même système ! C'est la comptabilité telle qu'elle a été inventée à la Renaissance. A partir du code civil, les choses ont divergé et, dans un autre pays européen s'est développé une autre façon de faire des affaires, une autre manière de pratiquer l'économie, avec une vision plus marchande que l'approche productrice qui est la nôtre. La comptabilité, dans chacune des deux zones, a accompagné ces mouvements.

Nous avons, en Europe continentale, une comptabilité de producteurs. On est prudent, on est sur le long terme, on mesure les flux et on accumule à la fin. Les autres ont plutôt une approche de marchands : ils échangent, vendent, achètent. Ce qui est intéressant, c'est le prix. Demain est un autre jour !

Mme Nathalie Goulet . - Il s'agit là des pays anglo-saxons !

M. Jérôme Haas. - Je n'en dirai pas plus...

Les règles qui nous régissent et qui nous différencient sont celles du code civil. Ce sont les règles qui nous disent que n'est comptabilisable que ce qui est sûr. Ce qui n'est pas sûr est très intéressant -et nous sommes d'ailleurs favorables à ce qu'on en informe tout le monde, mais donner de l'information, ce n'est pas la même chose que de produire un résultat ! Or, aujourd'hui, tout le monde demande à la comptabilité un résultat. En bourse, c'est le seul chiffre qui intéresse. Immédiatement. Après en avoir pris connaissance, tous les partenaires de l'entreprise -spéculateurs, investisseurs de tout genre- prennent leurs décisions, jusqu'à l'entreprise elle-même, en fonction de ce chiffre sacré, clé, essentiel, fondamental, qu'est le résultat !

Pour nous, le résultat, c'est la différence entre deux flux, ce que l'on dépense et ce que l'on gagne. C'est simple et sûr. Selon la comptabilité internationale, le résultat réside dans la différence entre deux bilans, dans lesquels peuvent se trouver des choses non réalisées. On n'est plus dans un monde où les chiffres sont sûrs, mais dans un monde où ils doivent tout dire. Or, en disant tout, ils disent également des choses fausses. Ce qui n'est pas vrai, c'est ce qui porte sur l'avenir, la seule chose que l'on sache de l'avenir étant qu'on n'en sait rien ! Si on comptabilise l'avenir, on comptabilise des hypothèses. Plus il y a d'hypothèses, moins ce que l'on dit est crédible, et tous ceux qui doivent prendre des décisions sur cette base risquent de se tromper !

Cette différence entre le réalisé et le non réalisé est un sujet très important. J'ai mis un certain temps avant de trouver que c'est ce qui nous sépare vraiment. Nos amis affirment que ce qui n'est pas réalisé est très important -engagements, créances, etc. Ils n'ont pas tout à fait tort de vouloir tout dire, mais dire est une chose, le comptabiliser comme un résultat en est une autre. Il faut, selon nous, comptabiliser que ce qui est effectivement dénoué. C'est le code civil qui le dit. On fait bien la distinction entre ce qui est sûr et ce qui est potentiel.

On en a vu les conséquences directes lors de la crise. Avant la crise, la mesure dans les comptes des banques d'un certain nombre de produits qui n'avaient pas de valeur de marché, en dehors d'hypothèses sur le futur, était une valorisation théorique, elle-même liée à des mouvements de marché obligatoirement changeants. Les comptes bougent donc comme les marchés financiers, et vice-versa. Du fait de cet effet de miroir, plus personne ne voit la différence entre la véritable performance d'une banque et la valeur exacte de ses produits. Les valeurs de référence sont des valeurs de marché. Le marché évolue d'une façon qui est répercutée dans les comptes. Ceux-ci n'ont plus de spécificité, ne veulent plus rien dire.

Lorsqu'on arrive dans le mur, le choc est d'autant plus fort que toutes les valeurs chutent d'un coup, l'ensemble de l'édifice reposant sur des hypothèses qui se sont avérées fausses.

C'est ce que le G 20 a appelé la procyclicité, c'est-à-dire la tendance des comptes à renforcer la cyclicité naturelle du marché, elle-même bien plus élevée que les cycles économiques véritables, fondamentaux, de l'économie.

Où en sommes-nous ? S'agissant des grands principes fondamentaux de définition et de mesure des instruments financiers, les propositions de l'IASB, qui sont sur la table depuis 2009, n'ont toujours pas été adoptées par l'Union européenne, n'étant pas totalement satisfaisantes. Elles n'apportent en effet pas véritablement de réponses aux questions que je viens de soulever, notamment en matière de procyclicité.

La recherche de solutions se complique d'un autre phénomène. Le G 20 a souhaité que nous cherchions à l'ensemble des problèmes et des sous-problèmes techniques des solutions qui conviennent à tous, et en particulier à l'IASB. Il a également voulu que le Financial accounting standards board (FASB) -mon homologue américain- adopte les mêmes règles, ce qui est plein de bon sens, toutes les problématiques auxquelles nous avons eu affaire ayant eu pour origine les règles appliquées en premier lieu par les grandes banques d'investissement anglaises et américaines.

Les choses sont cependant complexes, et on est face à tout un éventail de situations. Il existe des cas dans lesquels on n'arrive pas à se mettre d'accord. Une des questions les plus connues réside dans le fait de savoir si l'on inscrit au bilan en brut ou en net les positions en termes de produits dérivés. Cela n'a pas le même effet. En brut, les montants sont considérables des deux côtés du bilan ; en net, on affiche un chiffre bien plus limité.

Je crois que Christian Noyer vous a parlé de la mesure de l'effet de levier dans les banques, qui n'est pas la même suivant que l'on adopte l'un ou l'autre des standards comptables. C'est de cela qu'il voulait parler...

Faut-il accepter de ne pas être d'accord avec ce type d'effet fâcheux, qui fait que l'on ne sait plus très bien mesurer la situation respective des banques de part et d'autre de l'océan, ou au contraire vouloir à tout prix se mettre d'accord, quitte à ne pas y arriver ? C'est le cas à propos d'un autre sujet fondamental, qui consiste à demander aux banques d'augmenter le montant de leurs provisions en haut de cycle, lorsque tout va bien, afin de pouvoir faire face, en bas de cycle, à des situations dans lesquelles elles ne doivent pas pouvoir dire qu'elles n'ont pas suffisamment de capital pour prêter à l'économie.

C'est ce que les banquiers et la plupart des acteurs français réclament depuis très longtemps. C'est une disposition de bon sens. Reste à savoir comment la calculer. L'IASB et le FASB n'y parviennent pas. Cela fait des années que cela dure. On rencontre là des enjeux de compétitivité considérables, analogues à ceux que j'ai cités à propos de la question du net ou du brut des produits dérivés.

Il existe un autre cas de figure, dans lequel on se met d'accord sur une solution médiocre. Nous avons vécu cela avec les seules normes émanant de l'IASB adoptées depuis la crise par l'Union européenne ; ces normes portent sur la façon de comptabiliser et de consolider les véhicules spéciaux (SPV) utilisés par les banques, particulièrement aux Etats-Unis, pour y loger un certain nombre d'opérations qui échappaient à la vigilance et aux règles propres au secteur bancaire.

Les Américains ont beaucoup amélioré leurs règles, mais à un niveau et suivant des modalités qui ne sont pas exactement celles de l'IASB. Celui-ci pensons-nous, a quelque peu abaissé sa garde. Les règles internationales, qui étaient relativement robustes et avaient permis que nous ne nous trouvions pas dans la même situation de ce côté-ci de l'océan en termes d'entités spécialisées déconsolidées, ont été légèrement relâchées pour aller à la rencontre des Américains. La France s'est d'ailleurs abstenue, à Bruxelles, lors du vote de cette norme.

Nous sommes donc face à la nécessité de gérer une problématique mondiale. Nous essayons de le faire le mieux possible. Cela signifie que nous devons livrer un débat conceptuel afin de déterminer les meilleures règles de représentation de l'entreprise, face à un univers américain qui ne dispose pas du code civil, mais d'un texte fondamental, pierre de touche de leur système comptable, appelé cadre conceptuel. Selon moi, le code civil est bien plus simple. Ce cadre conceptuel, qui n'est d'ailleurs voté par personne, permet aux Américains de se fixer leurs propres métarègles, à partir desquelles ils établissent leurs règles comptables.

Nous avons demandé ce débat dès 2008. Il vient de s'ouvrir. Nous avons produit une première contribution et avons eu un véritable échange pour tenter de revenir à des principes fondamentaux, dont le plus emblématique, même s'il se traduit de façon complexe en termes de technique comptable, demeure le principe de prudence. A Londres même, ce souhait rencontre un très fort écho, car il y existe une prise de conscience de l'ensemble des enjeux.

Il faut aussi négocier norme par norme. C'est ce que nous faisons. Par ailleurs, dans la grande problématique de la convergence entre normes internationales et américaines, il faut sélectionner ses priorités et choisir où se placer. Enfin, il faut aussi faire en sorte -et nous nous y employons- que les institutions internationales et européennes, qui décident de ces questions comptables, soient renforcées. Le commissaire Barnier vient de confier une mission à M. Maystadt, ancien ministre des finances belge, afin de renforcer la gouvernance européenne en matière de prises de position à l'égard des normes internationales. Il faut décider si on les incorpore dans le droit européen, notamment à l'aune des principes fondamentaux, dont celui de prudence.

M. François Pillet , président. - Votre propos nous intéresse beaucoup. C'est la première fois que l'on aborde ce point très intéressant et très technique. Le rapporteur doit mûrir un certain nombre de réflexions, voire de propositions, et votre sujet est pour nous quelque peu novateur.

Poursuivez...

M. Jérôme Haas. - J'ai mis l'accent sur les questions strictement comptables, mais je suis à votre disposition pour faire le lien avec toutes les autres dimensions de la crise financière. Tout est lié. Le commissaire Barnier a produit un Livre vert sur la question de l'investissement à long terme. Nous y avons répondu, en essayant d'expliquer qu'un des effets de ces normes comptables était de mesurer le monde à court terme. Il y a donc une contradiction nécessaire entre une approche de ce genre et ce que nous recherchons pour la croissance. Il ne faut pas le taire ; cela ira beaucoup mieux une fois qu'on l'aura dit, et l'on pourra en tirer un certain nombre de conséquences, dans l'esprit même de tout ce qui a été fait pour trouver des solutions à la crise financière...

Le second point que je voulais aborder est celui du rôle que joue la comptabilité à l'égard des autres angles suivant lesquels on regarde l'entreprise et les banques.

A l'origine était une harmonie très forte entre la comptabilité, socle de toute mesure de l'activité des entreprises, et les autres branches du droit qui, progressivement, s'y sont ajoutées. La fiscalité s'appuie sur la comptabilité, et rien n'est plus satisfaisant pour la fiscalité que de pouvoir être sûre des chiffres qu'on lui donne. Pouvoir s'affranchir du travail qui consiste à compter les stocks, inventorier les dépenses et les recettes et étudier les principales caractéristiques de l'entreprise représente un enjeu considérable pour les fiscalistes.

Au fur à mesure, d'autres branches sont venues se greffer à celles-ci ; les plus parlantes, en matière bancaire, sont les règles prudentielles. Pouvoir travailler sur les comptes constitue une sécurité fantastique, et un gain de temps évident. Toutefois, cette connexion se détend, et je ne puis dire que ce soit réversible, ni même injustifié.

Toutes choses égales par ailleurs, les objectifs propres à la fiscalité et à la comptabilité prudentielle se sont développés avec leur autonomie. Ainsi, ce qui intéresse le comptable, c'est de dire de manière sûre combien l'entreprise a gagné cette année et quelle est sa situation nette. C'est déjà très difficile... Ce n'est pas le problème de la fiscalité qui, sur la base des impôts définis par le Parlement, saisit la matière fiscale, et utilise toutes les informations qu'elle trouve dans les comptes, dans un but tout à fait différent : générer des recettes fiscales.

Ce qui a précipité les choses, c'est le fait que nous ne travaillons plus que dans un univers international. Or, nous sommes pratiquement les seuls à avoir gardé cette connexion, à ce degré et aussi longtemps. Dans beaucoup d'autres pays pourtant de même tradition juridique, les choses ne sont pas allées aussi loin. Or, il y a dans cette connexion toute une organisation administrative, un rapport entre administration fiscale et entreprises. Il ne s'agit pas simplement de droit, mais de la réalité.

La plupart des pays n'ont donc plus grand-chose qui ressemble à notre système. Par ailleurs, au fur et à mesure que l'on développe des normes internationales, elles constituent des couches entières de textes qui viennent s'insérer dans notre droit. Or, elles n'ont jamais été conçues pour offrir une quelconque continuité avec les autres branches de notre droit, suivant nos conceptions.

J'ai déjà expliqué que les normes comptables internationales étaient différentes de celles qu'on avait auparavant ; elles ont en partie coloré la langue comptable française. Du coup, on a commencé à assister à une difficulté d'emboîtement avec les autres branches du droit.

Il en va de même des normes prudentielles ; au fur et à mesure que les normes comptables internationales venaient ajouter de l'imprudence, les normes prudentielles étaient obligées de rajouter leur propre prudence, mais dans un langage qui est le leur. Vous voyez donc à quel point les systèmes s'emboîtent mal.

S'ajoutent à cela d'autres étages, purement réglementaires. Par exemple, les normes figurant dans la loi bancaire concernant les activités localisées dans certains centres ne constituent pas un véritable sujet comptable. Ce n'est pas non plus un sujet prudentiel, mais un sujet réglementaire propre, très spécifique. Il vient s'ajouter aux autres couches...

Autre exemple : la publication d'informations utiles sur les bonus constituent un élément très important, mais qui ne changent rien au résultat de la banque ou à son patrimoine. Ce ne sont pas non plus des éléments prudentiels. Ils sont donc traités à part. Ils ont par ailleurs une dimension comptable, parce que les bonus versés sont généralement indexés sur des résultats futurs, que ne reconnaissent que les normes comptables internationales ou les normes américaines...

Demain, le domaine de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) aura été intégré à ces éléments. Aujourd'hui, beaucoup de gens pensent que les entreprises doivent fournir tout un tas d'autres chiffres, qui ne vont pas du tout s'emboîter avec les autres.

Il existe donc des dynamiques propres à chaque angle de représentation de l'entreprise ou de la banque, qui ont de bonnes raisons de se développer dans un univers international, parce qu'ils ont des logiques propres, avec des instruments, des institutions, dans des branches du droit différents. Tout se désarticule quelque peu, bien que nous essayions de faire tout ce que l'on peut pour garder le plus de cohérence possible, sans toutefois avoir l'ambition de revenir à une économie simple, où n'existeraient que la comptabilité et la fiscalité, avec des entreprises ne travaillant qu'à l'intérieur de l'hexagone. Il s'agit probablement là d'une époque révolue. Comment vivre avec cette fragmentation que l'on observe dans tous les domaines ? C'est véritablement un enjeu auquel nous faisons face...

Pour conclure, il faut s'assurer que la comptabilité continue de rendre compte de ce qui a eu lieu. Ce n'est pas une chose facile. Nous avons aujourd'hui des débats interminables avec l'IASB sur la manière de comptabiliser les impôts payés, une taxe construite en droit français n'étant pas forcément comprise par les producteurs de normes internationales. La conservation d'un minimum de cohérence est donc un exercice complexe. C'est là le message que je voulais vous livrer.

M. François Pillet , président. - La parole est au rapporteur...

M. Éric Bocquet , rapporteur. - Je m'associe pleinement à l'appréciation formulée par le président au sujet de votre propos introductif, qui apporte à notre réflexion. Cela permet d'envisager un certain nombre d'aspects d'une autre manière.

Vous avez évoqué un cadre conceptuel pour la comptabilité anglo-saxonne. Qui l'a conçu ? Qu'y a-t-il dedans ? A quoi correspond-il historiquement ? Cela me semble un point essentiel, voire fondamental...

M. Jérôme Haas. - Le cadre conceptuel a émergé à la fin des années 1970, aux Etats-Unis. Il est intéressant de noter qu'après la crise de 1929 et les lois de 1933, 1934 et 1935, qui ont créé la Securities and exchange commission (SEC) -à laquelle ressemble beaucoup notre ancienne Commission des opérations de bourses (COB) et notre actuelle Autorité des marchés financiers (AMF)- s'est écoulée une période d'une soixantaine d'années de stabilité financière.

Puis, à la fin du XXème siècle, un certain nombre de phénomènes se sont produit, qui ont formé ce qu'il est convenu d'appeler la financiarisation. Un certain nombre de critiques ont alors été adressées à toutes les normes comptables et à toutes les réglementations nées de cette époque de stabilité, durant laquelle il fallait en finir avec la spéculation qui avait débouché sur la crise de 1929.

Ces normes très stables ne convenaient plus à ce que l'économie était en train de devenir. Celle-ci se fluidifiait, se déterritorialisait, se financiarisait. Les normes -à commencer par les normes comptables- n'étaient pas faites pour cela. Elles ont donc changé progressivement...

Pour ce faire, il a fallu tracer la voie. Cela a consisté, pour le normalisateur comptable américain, à rédiger un cadre conceptuel. Il est toujours en vigueur et sert de référence aux normes comptables américaines.

L'IASB, qui a travaillé dans les années 1980-1990, et dont les normes ont été adoptées par l'Europe en 2002, a copié la démarche américaine, et a décidé d'écrire son propos cadre conceptuel, qui ressemble beaucoup au cadre américain.

Il a été adopté uniquement par l'IASB, et ne l'a pas été par l'Union européenne, qui n'en a pas l'intention, ne serait-ce que parce qu'il n'est pas écrit de manière juridique. Nous ne pourrions l'inscrire dans notre droit européen : ce sont des considérations, des idées, des discussions...

Nous ne voulions pas lui accorder trop d'importance, du fait de son contenu et de sa forme, mais il fallait bien chercher la cause des défauts de ces normes. Nous avons obtenu d'ouvrir le débat à ce propos. Nous ne comptons pas aboutir à une excessive rigidification du texte, compte tenu de l'état du débat, dont je ne sais quelle sera l'issue, mais nous essayons de mettre le doigt sur les problèmes clés, que le nouveau projet a pour effet d'accentuer encore au lieu de les résoudre, et d'avoir un débat si possible public sur les enjeux de ces concepts.

On n'arrivera probablement pas à changer la manière de penser de personnes qui ne possèdent pas de code civil ; en revanche, nous voulons un débat sur le fait de savoir si l'on met dans les comptes ce qui est réalisé ou non. Si l'on met autre chose, on rend possible la procyclicité !

M. Éric Bocquet , rapporteur. - La crise engagée en 2008 -dont nous ne sommes toujours pas sortis à ma connaissance- a-t-elle amené une remise en question de la part de la finance anglo-saxonne ?

M. Jérôme Haas. - Beaucoup de mesures très fortes ont été indubitablement prises. Bâle III représente tout de même quelque chose de très conséquent et a été très rapidement mis en oeuvre. L'European market infrastructure regulation (EMIR) et tout ce qui consiste à rendre transparent la compensation des dérivés à l'échelle mondiale est à mes yeux le résultat le plus monumental qui ait été atteint à l'issue de la crise.

D'autres progrès ont été réalisés aux Etats-Unis, où existaient des « trous à combler ». Toute une série de mesures très importantes sont intervenues. Il subsiste aujourd'hui des zones de vulnérabilité dans le contexte macroéconomique, dans le système de supervision. Il en existe indubitablement toujours dans le domaine des normes comptables, les modifications attendues n'ayant pas encore eu lieu. De ce point de vue, il reste encore du travail à réaliser. Nous sommes maintenant, quoi que nous fassions, dans un débat mondial.

M. Éric Bocquet , rapporteur. - N'y a-t-il pas un bras de fer entre deux logiques ?

M. Jérôme Haas. - Je le crois. Manifestement, mes interlocuteurs les plus fréquents ne sont pas disposés à dire explicitement qu'il faut changer les choses. En revanche, il existe un mélange ou une coexistence de mouvements dans les deux sens. La persistance des anciennes conceptions accroît encore les risques mais, en même temps, on assiste à de timides tentatives pour aller dans le bon sens.

Il existe ainsi une idée étrange en matière de normalisation comptable, qui consiste à couper la poire en deux. Pour ce faire, on a inventé une rubrique, à laquelle on a donné le nom un peu barbare d' « autre revenu global », qui ne veut rien dire -sans doute à dessein. Logée dans le bilan, elle affecte néanmoins les capitaux propres. Pour un établissement financier, ce n'est pas tout à fait anodin... C'est un compromis, pas très bon, mais meilleur qu'une véritable mauvaise solution. J'y vois là la manifestation que certains comprennent qu'il faut bouger.

Cet exemple va être au coeur de la nouvelle norme, débattue en ce moment pour le secteur des assurances. Cela fait plus de dix ans que l'IASB tourne autour de ces questions, sans parvenir à un résultat. Si vous êtes pessimiste, vous constatez la persistance de tendances anciennes ; si vous êtes optimiste, vous observez la tentative de trouver un certain nombre de compromis, qui débouchent parfois sur de bonnes solutions, comme en matière de provisions bancaires. Notre engagement est de dire aussi clairement que possible ce que nous croyons indispensable, notamment en termes de principes, de concepts, mais également en négociant norme par norme, et en essayant de faire bouger les choses.

M. Éric Bocquet , rapporteur. - Il existe un site facilement accessible appelé « SFM offshore », qui propose une série de juridictions à travers le monde. SFM offshore crée une société, et l'implante où vous le souhaitez -îles vierges britanniques, par exemple. Capital à verser : 0. Comptabilité : non. Impôts : 0. Délais de formation : 2 à 3 jours. Voilà une véritable zone de totale opacité, où les normes ne s'appliquent même pas ! Comment l'appréhendez-vous ?

M. Jérôme Haas. - Toute une série d'efforts ont été réalisés pour essayer de faire en sorte que l'ensemble des territoires, quels qu'ils soient, adhèrent à un minimum de standards internationaux, parmi lesquels les normes comptables. C'est le travail du Conseil de stabilité financière, à l'échelle internationale, sous l'égide du G 20, que d'étendre le champ couvert par ces standards internationaux, et de dresser la liste des Etats qui ne les appliquent pas ou qui ne les mettent pas en oeuvre correctement.

La réponse pratique, depuis maintenant un assez grand nombre d'années, est celle-ci. On peut estimer qu'elle est plus ou moins efficace, mais elle est en tout cas en marche.

Je n'ai rien à en dire, du point de vue technique, si une entité est localisée là-bas et n'a pas de lien particulier avec une entreprise située en France ou en Europe. Si elle est détenue par une entité qui applique les règles en vigueur, en France ou en Europe, elle doit être consolidée. Elle est alors prise dans l'ensemble des comptes produits par la maison mère.

M. Éric Bocquet , rapporteur. - Les multinationales, et même les banques, sont très souvent présentes dans ces juridictions. Vous semblent-elles publier suffisamment d'informations sur la réalité et la répartition géographique de leurs opérations économiques et financières ?

M. Jérôme Haas. - C'est ce que j'ai développé tout à l'heure : ce qui compte pour les comptables, c'est de pouvoir dire aux actionnaires de la maison mère ce qu'ils ont gagné. Le degré de détails ne constitue pas la question fondamentale. L'important, c'est d'être sûr de n'avoir rien oublié, et que l'ensemble des éléments qui font la richesse ou la pauvreté de la maison mère sont effectivement comptabilisés.

Cela n'empêche pas de souhaiter par ailleurs que les maisons mères en disent plus, mais cela ne résulte pas d'une motivation comptable. C'est pourquoi le législateur a fait obligation aux sociétés de dire, de manière détaillée, ce qu'elles font dans tel ou tel pays. Il peut exister d'autres points de vue, comme celui qui a fait l'objet de discussions internationales, et qui se traduit par une directive européenne. Ce dernier résulte essentiellement des demandes d'organisations non gouvernementales, qui souhaitaient connaître les versements effectués, pays par pays, à tous les Etats dans lesquels sont implantées les grandes entreprises. Cette obligation s'est écrite d'une autre façon, mais n'est pas fondamentalement de nature comptable. C'est là le champ du législateur, ou du Gouvernement.

Mme Nathalie Goulet . - Cette audition, qui aurait pu débuter le cycle de nos réunions, va finalement le conclure...

J'aimerais que vous nous parliez de l'Autorité des normes comptables. Combien de personnes travaillent avec vous ? A qui rapportez-vous et comment établissez-vous les comptes rendus de vos travaux ?

M. Jérôme Haas. - L'ANC est le successeur du Conseil national de la comptabilité, qui rassemblait tous les professionnels français et produisait des avis, et du Comité de réglementation comptable, présidé par le ministre qui, recevait l'avis de ce Conseil national, et le transformait ou non en texte réglementaire. Les deux ont été fusionnés pour produire l'ANC, à une époque où tous les grands organismes français de régulation se sont transformé en autorités, ce que je trouve fort bienvenu !

Le mode de fonctionnement de l'ANC va vous en rappeler beaucoup d'autres comparables. Celle-ci recourt à un collège composé de personnalités du secteur privé, mais aussi de représentants de grands organismes, du Conseil d'Etat à la Cour de cassation, ou issues de la régulation. L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et l'AMF siègent également au collège, et je fais moi-même partie de leur collège. Nous avons donc, en France, le système le plus intégré. Je le trouve efficace et raisonnable de ce point de vue.

Ce collège travaille avec des commissions constituées par ses membres, mais aussi par des experts qui le rejoignent. Des groupes de travail permettent de « labourer le terrain » pour produire les règlements qu'il s'agit d'établir en matière de normes françaises. C'est dans ce même schéma, et suivant ces mêmes procédures, que l'on élabore nos positions écrites à l'égard des autorités européennes ou du normalisateur international.

Mme Nathalie Goulet . - Qui est ce « on » ?

M. Jérôme Haas. - Il s'agit en l'occurrence de l'ANC, qui a le droit de prendre des règlements, sous réserve d'homologation par le ministre des finances et par celui de la justice. L'ANC est constituée d'un peu moins de 30 personnes. L'équipe professionnelle est encore plus réduite, puisqu'elle compte une dizaine de membres. Il s'agit d'un petit organisme, qui n'a pas de personnalité morale.

Cet organisme est en fait à la taille de ses homologues européens. Malgré ou à cause des désaccords, et afin d'essayer de les dépasser, je travaille de plus en plus avec les Anglais, les Allemands, les Italiens. Nous sommes à peu près tous comparables, aux détails de structure près.

Nous rendons compte dans des rapports annuels, mais aussi grâce à beaucoup de documents qui figurent sur notre site internet. Nous avons commencé par un plan stratégique, puis un autre a suivi. En plus de la production de normes françaises pour les comptes individuels de toutes les sociétés françaises et pour les comptes consolidés de celles qui ne sont pas cotées, et en plus des débats sur des normes internationales, nous avons un troisième axe de travail qui consiste à encourager la recherche, afin de tirer le meilleur de ce que nous avons dans le monde universitaire français et le projeter à l'extérieur. Nous organisons chaque année une grande manifestation à Paris. Nous y faisons venir les étrangers et allons aussi beaucoup chez eux, pour que la France soit un contributeur important, écouté et entendu dans ce débat international sur les normes comptables, d'où nous avons largement disparu après l'adoption des normes comptables internationales.

L'élévation du niveau européen au niveau international, qui a souvent eu lieu dans ces matières, nous a finalement plutôt servis. Nous trouvons souvent un écho dans le débat international, car il existe, à travers le monde, des Etats qui se situent dans les deux camps. Notre troisième bras -la recherche- est donc tout aussi fondamental que les autres.

Mme Nathalie Goulet . - Quel est votre avis sur l'ACPR ? Lorsque nous avons entendu son président, j'ai eu le sentiment que son rôle était très limité. Nous avons, par ailleurs, eu une audition extrêmement médiatisée de Dominique Strauss-Kahn, qui nous a expliqué, concernant le secteur bancaire, que les normes étaient très loin de refléter la réalité, notamment en matière de refinancement lors de la crise...

M. Jérôme Haas. - Je suis convaincu que le principal facteur qui différencie la santé du secteur bancaire réside dans la qualité de la supervision, quelles que soient les normes.

Il existe énormément de questions techniques et normatives, mais la question fondamentale est celle de la qualité et de l'intensité de la supervision. De ce point de vue, j'ai toujours été persuadé que le travail réalisé en France en direction du secteur des banques et des assurances, s'il est probablement perfectible, figure cependant, sur une échelle relative mondiale, dans la catégorie des meilleurs. Il n'y a aucune espèce de doute là-dessus. Ceci est dû à toute une série de facteurs qualitatifs, et au fait qu'on y attache une grande importance. Cela ne va pas de soi : d'autres Etats, avant la crise, affirmaient que la supervision n'était pas importante, celle-ci étant décrite comme devant être « légère ».

Nous avons par ailleurs des hommes de qualité pour mener cette supervision. Ce n'est pas une mince affaire : il s'agit d'un corps de spécialistes, qui ont derrière eux une longue carrière dans ce domaine.

En troisième lieu, je pense que la régulation est placée au bon endroit et qu'elle est bien intégrée dans les institutions. N'oublions pas que d'autres Etats, qui ont opéré, avant la crise, des choix d'organisation radicalement différents, reviennent aujourd'hui vers notre modèle. Il me semble que les résultats que l'on peut constater dans le secteur financier français témoignent globalement de la qualité de la supervision. Je le dis de manière aussi humaine que possible, en m'écartant pour une fois de la technique.

M. Éric Bocquet , rapporteur. - Quel est le statut juridique de l'ANC ?

M. Jérôme Haas. - C'est un organisme qui n'a pas de personnalité morale, qui constitue en fait une partie du ministère des finances. L'ANC a été créée par une loi, qui a défini la composition du collège, son mode d'organisation, son travail, sa mission. C'est une entité légère, ce que je considère comme une vertu. C'est l'aboutissement d'une série de modifications, qui ont eu lieu dans les années récentes. Je crois, après y avoir beaucoup réfléchi, que c'est la solution la plus économe des deniers publics, et que cela ne nous prive d'aucune efficacité pratique -au contraire !

M. Éric Bocquet , rapporteur. - Qui est derrière l'IASB, organisme privé ?

M. Jérôme Haas. - Je crois que c'est à l'origine une fondation. Il s'agit d'un système très anglo-américain. La fondation reçoit des fonds ; elle est dirigée par des « trustees », je suppose constitués sous forme de trusts. C'est un conseil qui gère cette fondation. Son comité de nomination est choisi par cooptation ; il détermine les trustees, qui désignent les membres de l'IASB. C'est le garant de leur indépendance, qui est définie de façon stricte et jalouse. En réalité, celle-ci existe surtout dans les textes constitutifs de l'IASB lui-même. On dit souvent que l'IASB est conçu d'une manière qui pourrait rendre jaloux le président de la Banque centrale européenne (BCE), qui n'a pas une telle indépendance, alors que c'est l'exemple qui avait été choisi par l'IASB pour refuser toute interférence politique.

M. Éric Bocquet , rapporteur. - Où son siège se trouve-t-il ?

M. Jérôme Haas. - Il est à Londres. J'ai un doute sur le lieu où siège la fondation. Je crois qu'il est également situé à Londres. Il faut que je vérifie...

M. Éric Bocquet , rapporteur. - Quels moyens avez-vous de vérifier que la consolidation des sociétés multinationales est exhaustive ?

Par ailleurs, avez-vous connaissance des principaux arbitrages comptables au coeur des contestations entre l'administration fiscale et les contribuables, en particulier les banques ?

M. Jérôme Haas. - Nous avons pour seule responsabilité d'établir les normes. Nous ne sommes pas directement parties prenantes à la mise en oeuvre de ces normes, ni à leur contrôle.

Nous avons besoin de nous assurer que nos définitions sont suffisamment robustes. Tout ceci tourne autour de la question du contrôle. Qu'est-ce que le contrôle ? L'histoire de cette notion est celle du passage d'une définition juridique très stricte -la majorité des voix- à la recherche d'un contrôle plus économique, jusqu'à des notions qui, dans les normes internationales d'information financière (IFRS), vont extraordinairement loin, et ont leur intérêt. Elles ont permis d'encadrer la constitution de véhicules spéciaux, comme je le disais. Au-delà, la question du contrôle nous échappe.

Nous n'avons pas connaissance des discussions sur le terrain que vous mentionnez. C'est également le cas dans le monde prudentiel. Les logiques sont différentes, même si elles sont parfois nécessairement parallèles.

M. Éric Bocquet , rapporteur. - Avez-vous connaissance des principaux arbitrages fiscaux entre l'administration et les banques ?

M. Jérôme Haas. - Non. Il n'y a pas, à ma connaissance, de position comptable de l'administration fiscale. Il peut y avoir une autre lecture de la norme comptable. Les relations sont telles que, s'il existe une question de principe, l'administration a l'habitude de revenir vers nous et de nous poser des questions.

M. Michel Bécot . - Quelles sont les règles comptables de la Chine, du Brésil, de l'Inde ? Si j'ai bien compris, ce sont les règles et l'ingénierie financière anglo-saxonne qui nous gouvernent aujourd'hui...

M. Jérôme Haas. - Il y a indubitablement une cohérence dans l'ensemble des règles utilisées par la finance, qui sont produites et mises en oeuvre au même endroit.

Pour autant, dès lors que l'on prend au sérieux la mondialisation des règles comptables et que l'on enclenche le débat mondial, on s'aperçoit que celui-ci existe.

L'IASB a tout fait pour que les Etats-Unis adoptent les normes qu'il produit. Pour l'instant, les Américains ont fait savoir qu'ils s'en inspireraient fortement, travailleraient de concert, mais ne les adopteraient pas, bien qu'il existe aujourd'hui une certaine harmonie de vue, avec des différences, entre la comptabilité des Etats-Unis et celle de l'IASB.

Au Japon, un mouvement s'est initié pour se diriger vers les normes internationales. Il existe dans ce pays un foyer très important de résistance à ce mouvement, notamment de la part de l'industrie, qui compte beaucoup dans ce pays, et qui a construit le miracle japonais sur un système prudent, consistant à cumuler lentement les bénéfices, à les réinvestir, à ne voir qu'à long terme, sans distribuer trop vite les dividendes aux actionnaires qui profitent des valorisations à court terme. C'est ce qui a fait le succès du Japon. Les Japonais sont donc très inquiets à l'idée de s'en départir.

Le grand économiste Galbraith aurait été mandaté par le général Mac Arthur, après la guerre, pour mettre en place la comptabilité au Japon ; il se serait très largement inspiré du plan comptable général français. Si c'est vrai, c'est intéressant et peut expliquer certaines choses...

L'ensemble des autres pays se positionnent de manière très différente. Certains prétendent adopter les normes, mais il s'agit en réalité de pays émergents qui, dans la pratique, ne les mettent pas tout à fait en oeuvre lorsqu'ils s'aperçoivent que telle partie ne leur convient pas, qu'ils ne savent pas les mettre en place, ou qu'elles ne sont pas compatibles avec leurs règles juridiques ou leurs pratiques économiques. C'est aussi le cas du Canada -qui n'est pas un pays émergent- qui n'a pas adopté ces normes dans tous les secteurs.

La Chine affirme qu'elle les emploie. Ce que nous comprenons de cette position, c'est qu'elle pose des questions très fortes sur la valeur de marché, c'est-à-dire la question de la valorisation des actifs financiers, afin de savoir si on les met en valeur instantanée ou non. C'est dire que nous avons de bons sujets de conversation...

L'Inde a adopté les normes avec des dizaines de réserves, montrant qu'elle est en chemin.

Je pourrais continuer ainsi une longue litanie. Certains pays ont adopté ces normes dès le début : France, Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud. Les autres ont adopté des stratégies différentes. C'est la question qui a été posée par Michel Barnier à Philippe Maystadt : que faire ? Faut-il continuer ainsi ? Faut-il prendre un peu de recul, se ménager la possibilité de changer de norme ? Il est vrai qu'il n'existe pas de précédent, dans l'Union européenne, d'externalisation de la production de normes aussi centrales que des normes comptables.

Le débat est maintenant ouvert. Je pense que nous avons contribué à le poser. Je ne sais le nombre d'années qu'il faudra pour arriver à trouver une solution, mais nous en discutons...

M. Éric Bocquet , rapporteur. - Avez-vous connaissance des principales observations du Haut-commissariat aux commissaires aux comptes (HCCC) sur les sociétés financières ?

M. Jérôme Haas. - Je n'ai pas connaissance que le HCCC ait formulé d'observations dont il faille que nous tirions des conséquences en termes de normes comptables.

Cependant, la plus importante des recommandations générales formulées dans son dernier rapport annuel porte selon moi sur la formation des hommes. Il est indispensable de pouvoir compter sur des hommes et des femmes qui comprennent une matière aussi complexe que celle des banques. Il faut qu'ils soient capables de questionner le système, de le mettre en cause et de le pousser vers les bonnes solutions.

Je suis convaincu que la clé réside dans leur capacité à jouer pleinement leur rôle de chiens de garde. Un des secrets d'un certain nombre d'institutions financières, en France ou ailleurs, réside dans le fait de pouvoir compter sur des personnes de très grande qualité dans les fonctions de contrôle. C'est, de manière générale, une très grande source de sécurité pour les systèmes.

M. François Pillet , président. - Vos propos font-ils l'objet de publications qui pourraient nous être éventuellement utiles ?

M. Jérôme Haas. - En effet. Il faudra que j'identifie la plus synthétique...

M. François Pillet , président. - Vous pouvez nous en faire parvenir deux ou trois : nous les lirons !

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