LE PARTENARIAT PRIVILÉGIÉ
Le Conseil d'association Union européenne - Tunisie du 19 novembre 2012 est venu concrétiser cette nouvelle approche avec la conclusion d'un « partenariat privilégié ». Ce statut avait été refusé à la Tunisie en 2008.
Un Plan d'action définit, pour la période 2013-2017, trois axes prioritaires devant permettre de renforcer les liens politiques, économiques, scientifiques, sociaux et culturels entre les deux signataires :
- Une coopération politique approfondie avec un soutien aux réformes entreprises en faveur de la consolidation de l'État de droit, de la démocratie, de l'indépendance de la justice et de la réforme de la sécurité ;
- L'intégration de la Tunisie au sein du marché intérieur de l'Union européenne ;
- Un partenariat plus étroit entre les peuples, au travers de coopérations directes entre individus et organisations dans des domaines comme l'éducation, la formation professionnelle, l'emploi, la recherche et l'innovation, la culture et la jeunesse.
Ce document sert de fait de cadre aux négociations sur les mises en place d'un Partenariat pour la mobilité, lancées en octobre 2011, et d'un Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA), ouvertes en mars 2012. L'ALECA est censé, comme au Maroc, permettre, au-delà de la libéralisation des échanges et de la suppression des droits de douane, une réduction des obstacles non-tarifaires, une ouverture du commerce des services et une protection accrue des investissements. Il implique un rapprochement de la législation tunisienne avec l'acquis communautaire.
L'approche retenue répond au principe « More for more », le soutien européen dépendant essentiellement de la façon dont les autorités tunisiennes consolident la démocratie. Le Réseau euro-méditerranéen des droits de l'Homme (REMDH), constitué dans le cadre du Processus de Barcelone et qui réunit des ONG de l'ensemble du Bassin méditerranéen regrette cependant que l'appui institutionnel et financier accordé par l'Union européenne n'intègre pas mieux la question des libertés fondamentales. Le partenariat privilégié n'est, ainsi, pas satisfaisant à leurs yeux car il ne comporte pas d'engagements clairs de la part de la Tunisie en la matière.
Le Plan d'action 2013-2017 comporte sept priorités en matière de droits de l'Homme :
- Mise en place d'un système électoral démocratique ;
- Assurer l'indépendance de la justice ;
- Réaliser la réforme du secteur de la sécurité ;
- Consolider la protection des droits de l'Homme y compris des droits des femmes et des enfants ;
- Réaliser la réforme des médias ;
- Renforcer le rôle et la capacité de la société civile ;
- Dialogue sur la migration, la mobilité et la sécurité et conclusion d'un Partenariat pour la mobilité.
Le REMDH estime que ces priorités doivent être étayées par un certain nombre d'indicateurs, plus précis. Il regrette que la participation de la société civile aux négociations concernant l'ALECA ou le Partenariat pour la mobilité ne soit pas non plus optimale. La mise en place d'un mécanisme institutionnalisé entre les autorités tunisiennes, européennes et la société civile pourrait permettre de répondre à ce manque. Dans un contexte marqué par des inquiétudes concernant le plein exercice de la liberté d'expression acquise après la révolution de jasmin, un calendrier précis et la mise en place de critères d'appréciation pourraient de surcroît être envisagés afin de rendre encore plus crédible l'approche « More for more ».
Le Partenariat pour la mobilité
Le projet de Partenariat pour la mobilité a été présenté en décembre 2012. Il prévoit côté tunisien un engagement sur la gestion des frontières, des flux migratoires et la réadmission des migrants en situation irrégulière. En contrepartie, l'Union européenne s'engage à assouplir les formalités d'octroi des visas de court séjour et permettre aux Tunisiens d'accéder à de nouveaux canaux de migration de travail, répondant à des besoins identifiés par les États membres de l'Union européenne.
Le processus de négociations fait face à plusieurs difficultés. La première d'entre elles tient bien évidemment à la crise politique qui affecte le pays. Des dissensions entre les ministères concernés sont également observées, les ministères techniques se montrant assez réticents sur le projet, jugé trop flou. Des réserves sont également exprimées sur le lien établi par l'Union européenne entre accord de réadmission et facilitation d'obtention de visas.
Ces critiques reflètent les positions exprimées par les associations de défense des droits de l'Homme tunisiennes. Celles-ci estiment notamment que le droit des migrants et des réfugiés serait insuffisamment respecté dans le cadre de l'accord actuel. Elles craignent ainsi que l'Union européenne renvoie des réfugiés en Tunisie, quand bien même cette possibilité n'est absolument pas prévue dans le projet de Partenariat pour la mobilité. Elles regrettent également que le texte n'aborde pas également la question de la pénalisation de l'émigration irrégulière prévue par la loi tunisienne. Des ressortissants tunisiens une fois réadmis pourraient ainsi être exposés à des sanctions. Aucune disposition concernant les droits des Tunisiens installés en Europe ne fait par ailleurs partie du dispositif. Les représentants de la société civile contestent également la priorité accordée aux migrations économiques de courte durée, occultant les questions des migrations permanentes et du regroupement familial.
La réflexion sur la mobilité et les frontières est également vue par les autorités sous l'angle de la sécurité. La Tunisie est enclavée entre la Lybie et l'Algérie. Le gouvernement n'a pas, dans un premier temps, pris complètement la mesure de la porosité de ses frontières qui font du pays un lieu de passage pour le trafic d'armes régional. La décision prise fin août 2013 de classer Ansar al Charia parmi les organisations terroristes souligne cependant la prise de conscience de la réalité du danger par les autorités. Il existe désormais une vraie attente à l'égard de l'Union européenne en vue d'aider la Tunisie à renforcer le contrôle effectif de ses frontières avec la Lybie.
L'accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA)
Le lancement des négociations de l'Accord de libre-échange complet et approfondi était, quant à lui, conditionné à la mise en place d'un comité interministériel dédié. Sa mise en place en mai 2013 devrait permettre la définition d'une position commune, même si la tenue de réunions semble tributaire du contexte politique. Une première réunion a été organisée en juin dernier. La suivante, annulée trois fois, a été reportée à l'automne.
Il n'en demeure pas moins que les autorités tunisiennes sont pour partie réservées sur ce projet, qui ne semble pas faire pas partie des priorités économiques du gouvernement. Quand bien même le parti Ennahda qui dirige actuellement le gouvernement est favorable au principe même de l'ALECA et de la convergence règlementaire qu'il implique. Le gouvernement semble en effet plutôt se consacrer à la maîtrise du déficit public et de l'inflation. Il existe en outre des désaccords avec l'Union européenne au sujet de certains secteurs couverts par le projet. Il en va ainsi des services et de l'agriculture. En ce qui concerne cette dernière, le début des négociations avec l'Union européenne remonte à 2008 sans qu'un accord n'ait pu être trouvé. L'absence de régime juridique encadrant les aides d'État en Tunisie fragilise également le dialogue avec Bruxelles.
Le manque de culture des négociations et la difficulté à mettre en oeuvre les réformes induites par l'ALECA sont également mis en avant par les autorités pour justifier la lenteur du processus. Il convient ainsi de relever que, concernant le secteur crucial des services, la Tunisie n'a participé à aucune négociation dans ce domaine depuis la signature des accords de l'Organisation mondiale du commerce en 1995.
L'opposition est, elle-même, divisée sur la question de l'ALECA. La formation Nida Tounes (centre-droit) est favorable à sa signature alors que les partis de gauche émettent plus de réserves. L'ALECA ne suscite pas non plus l'unanimité au sein de la société civile. Si le monde des affaires souhaite une convergence réglementaire avec l'Union européenne, la principale centrale syndicale tunisienne, l'Union générale tunisienne du travail (UGTT - 750 000 adhérents) craint notamment que l'accord se traduise, à terme, par une augmentation du chômage et une baisse des dépenses sociales. La réduction des superficies consacrées à l'agriculture familiale que pourrait induire l'ALECA est également mise en avant. Le Front populaire , la coalition des partis de gauche tunisiens, relaie notamment ces arguments. L'exemple de l'Algérie, qui a ralenti le processus de négociations avec l'Union européenne, après avoir estimé que celles-ci étaient in fine trop coûteuses, n'est pas sans rencontrer d'écho au sein de la société civile.
Une lecture critique du Processus de Barcelone est également apparue. Le démantèlement des barrières tarifaires qu'a entrainé l'accord d'association de 1995 ne s'est pas traduit, aux yeux de la population, par une amélioration de leur situation économique. Certains observateurs plaident donc pour un partenariat avec l'Union européenne tourné en premier lieu vers le développement de la Tunisie plus que vers l'intégration dans une zone de libre-échange, envisagée comme une forme de néo-colonialisme.