LE MAROC APRÈS LE PRINTEMPS ARABE

C'est dans un contexte national marqué par la mise en oeuvre depuis 2011 d'une nouvelle Constitution que se déroulent les négociations entre l'Union européenne et le Maroc. Si la donne politique n'a pour l'heure aucune conséquence sur le Statut avancé, qui bénéficie d'un consensus au sein du pays, l'Union européenne doit néanmoins prendre en compte deux paramètres : les difficultés économiques et sociales qui peuvent impacter les échanges autour de l'ALECA d'une part, et la question du Sahara occidental qui n'est pas sans conséquence sur le souhait européen de favoriser l'unification économique du Maghreb, d'autre part.

UNE TRANSITION DÉMOCRATIQUE RÉUSSIE ?
Une démocratisation anticipée puis accélérée

Le roi du Maroc, Mohammed VI, a entrepris dès son accession au trône en 1999 une série de réformes visant à démocratiser la monarchie mais également à garantir progressivement les droits des femmes. Le roi a ainsi engagé dès 2004 une importante réforme de la Moudawana (code de la famille). L'instance Équité et réconciliation a, de son côté, été créée en 2006 en vue d'enquêter sur les violations des droits de l'Homme commises entre 1956 et 1999. Un processus de régionalisation destiné à décentraliser le pouvoir et démocratiser les institutions locales a également été lancé en 2009.

Le printemps arabe a contribué à dynamiser ce processus. Il a incontestablement accéléré les avancées institutionnelles. Sans contester le principe monarchique, le mouvement du 20 février, coalition réunissant associations de défense des droits de l'Homme et certaines formations islamistes, a ainsi présenté une plateforme de revendications en février 2011 et émis des appels à manifester. Certains de ces regroupements ont débouché sur une répression violente. Le roi a cependant annoncé le 9 mars 2011 la réunion d'une commission chargée de préparer des réformes constitutionnelles permettant la mise en place d'une véritable monarchie parlementaire. Cette nouvelle Constitution, présentée le 17 juin, a été soumise au référendum le 1 er juillet 2011. Elle a été adoptée à 97,58 % des suffrages exprimés, 75 % des électeurs inscrits participant au vote. Elle a été promulguée le 29 juillet 2011.

C'est également dans ce contexte qu'a été installé, en mars 2011, le Conseil national des droits de l'Homme (CNDH ). Organe indépendant du gouvernement et financé par le roi, il vient poursuivre les travaux de l'Instance Équité et réconciliation et se substitue au Conseil consultatif des droits de l'Homme créé en 1990. Il est composé de 27 membres. Huit d'entre eux sont désignés par le roi. La Chambre des représentants nomme deux experts internationaux et deux parlementaires. La Chambre des conseillers, la chambre haute du Parlement marocain, désigne quant à elle deux autres membres. Deux autres conseillers sont désignés par les instances religieuses supérieures, un autre par les magistrats. Dix sont proposés par les organisations non gouvernementales.

Près de 30 rapports ont été produits en deux ans. Reste à mettre en oeuvre les recommandations contenues dans celles-ci. Le système reste relativement récent et le Conseil doit encore consolider sa crédibilité, alors qu'il ne dispose en l'espèce d'aucune autorité sur les services de police ou l'administration marocains. Le cas du rapport sur les migrations, publié le 9 septembre 2013, tend cependant à souligner que le Conseil dispose désormais d'une véritable capacité d'influence puisque le gouvernement s'est immédiatement saisi des préconisations contenues dans le document. Il conviendra d'observer comment les autorités se saisiront à l'avenir de la question des prisons, également abordée par le CNDH. Elle fait figure de priorité avec 72 000 détenus au Maroc pour 20 000 places.

En ce qui concerne les valeurs fondamentales, si la peine de mort n'est toujours pas abolie, les autorités se sont engagées dans le même temps à réduire le nombre de crimes punissables de la peine capitale. Un réseau de parlementaires marocains contre la peine de mort a également été mis en place en février 2013. Le Maroc a par ailleurs ratifié la Convention internationale contre les disparitions forcées et le Protocole facultatif à la convention contre la torture.

Au regard de ces éléments, le Maroc estime ne plus être sur la voie de la transition démocratique mais sur celle de la consolidation. La monarchie a su anticiper les changements à la mort du roi Hassan II en 1999, puis à l'occasion du printemps arabe. Le modèle qu'elle promeut désormais s'inspire des démocraties occidentales : le pluralisme politique y est instauré, la Charte des libertés incluse dans la Constitution garantit les droits de l'Homme et l'islam reste encadré par la monarchie, le roi demeurant le commandeur des croyants et le lieutenant de Dieu sur terre. La question du droit des femmes peut servir d'indicateur sur cette articulation pour l'instant réussie entre islam politique et accent mis sur les droits universels : aucune régression n'est pour l'heure observable depuis l'accession au pouvoir des islamistes du Parti de la Justice et du développement .

La vitalité de la société civile constitue par ailleurs un bon indicateur de la démocratisation du Maroc. Sa mobilisation sur la grâce royale accordée à un pédophile espagnol, Daniel Galvan, en août 2013 ou sur les poursuites pour atteinte à la pudeur visant de jeunes adolescents en octobre 2013 est assez éloquente.

La mise en oeuvre effective de la nouvelle Constitution demeure néanmoins assez lente. Seules cinq lois organiques sur les 19 prévues ont en effet été adoptées. Plusieurs textes ont néanmoins déjà été validés par le gouvernement et restent soumis à un vote du Parlement. Reste que la mise en oeuvre de ces dispositions ne semblent pas être la priorité du chef du gouvernement qui privilégie, dans l'optique de sa réélection, de consolider son pouvoir vis-à-vis du roi et de lutter contre la corruption. Cette lenteur assumée a notamment conduit au report des élections régionales prévues en juin 2013, la mise en oeuvre de la régionalisation avancée - le projet de décentralisation marocain - n'étant pas considérée comme urgente.

En dépit de cette transition au ralenti, la contestation de nature politique demeure marginale . L'opposition frontale au régime ne suscite pas d'adhésion, comme en a témoigné l'échec d'un appel en ce sens le 13 janvier dernier. Le mouvement du 20 février est par ailleurs fragilisé par l'adhésion de l'opinion aux réformes royales, la répression disproportionnée de ses cadres en 2012 et l'absence de figure charismatique en son sein.

Des mouvements de contestations subsistent néanmoins, qui se fondent essentiellement sur des revendications économiques et sociales. Justice et Bienfaisance , une organisation islamiste qui conteste la légitimité religieuse du roi, fait figure de proue de ses mouvements, en s'appuyant notamment sur l'UMT, le principal syndicat indépendant. L'intégration à moyen terme de cette organisation dans le jeu politique n'est pas inenvisageable. Elle viendrait contester la tutelle du Parti de la Justice et du Développement actuellement au pouvoir sur l'islam politique, qui s'inspire de l'exemple turc de l' AKP . Justice et Bienfaisance propose une vision alternative, notamment en matière économique, où elle milite pour une intervention soutenue de l'État mais aussi institutionnelle en contestant davantage les pouvoirs conservés par le roi.

L'influence des cheikhs salafistes - Abou Hafs, Omar Haddouchi, Hassan el-Kettani et Mohamed Fizazi - reste délicate à évaluer. Libérés en février 2012 par une grâce royale, ils n'ont pas hésité à reprendre leurs critiques contre la monarchie avant de se rétracter. Leur audience sur Internet est néanmoins assez significative.

Le rapport de la Commission européenne sur l'application de la politique européenne de voisinage en 2012 relève un certain nombre de points sur lequel le Maroc doit encore progresser au plan politique. Si Bruxelles estime que le débat parlementaire ainsi que le débat public sur l'action gouvernementale ont gagné en dynamisme, elle note toutefois que les progrès dans la mise en oeuvre effective de la nouvelle Constitution adoptée en 2011 sont assez limités.

La Commission appelle ainsi à poursuivre et accélérer la mise en oeuvre de la nouvelle Loi fondamentale. Elle insiste notamment sur la nécessité de créer un Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, de moderniser le statut des magistrats et formuler un plan stratégique global pour la réforme du secteur de la justice, en révisant notamment le code pénal. La lutte contre la corruption doit, en outre, faire figure de priorité. L'adoption d'une loi organique en ce qui concerne la gestion des finances publiques est également mise en avant.

La Commission souhaite également que le meilleur respect de l'exercice des libertés d'association, de rassemblement, d'expression et de la presse soit mieux garanti et que la société civile soit plus associée à l'élaboration, la mise en oeuvre et l'évaluation des politiques publiques.

Une crise gouvernementale jugulée ?

Le Maroc a connu une crise gouvernementale entre le 11 juillet et le 10 octobre derniers, marquée par le retrait des ministres issus de l' lstiqlal , qui participe à la coalition gouvernementale aux côtés du Parti de la Justice et du Développement (PJD). Vainqueur des élections de novembre 2011, dirigé par le chef du gouvernement, M. Abdelilah Kerane, le PJD ne dispose pas, en effet, de la majorité absolue à la Chambre des conseillers. Cette victoire a cependant contribué à crédibiliser le processus de transition démocratique, puisque cette formation ne bénéficie pas de l'appui du roi. Il convient de relever que le parti Authenticité et Modernité , proche du roi, ne fait pas partie de l'actuelle coalition gouvernementale.

L' Istiqlal contestait néanmoins depuis des mois l'incapacité du chef de gouvernement à lutter contre la crise économique et sociale qui affecte le pays. Ces démissions n'ont pas débouché immédiatement sur des élections anticipées mais sur une ouverture de la coalition gouvernementale à d'autres composantes. Une modulation du projet législatif du PJD devrait être la conséquence de cet élargissement. La nouvelle équipe, mise en place le 10 octobre, peut ainsi apparaître comme contre-nature, puisqu'elle intègre des membres du Rassemblement national des indépendants (RNI), d'inspiration social-démocrate et jusqu'alors dans l'opposition. Cette formation défend notamment la promotion de l'égalité hommes-femmes, la lutte contre le mariage des mineurs et contre la polygamie ou la libéralisation de l'avortement. La réorganisation semble s'être effectuée au détriment du PJD, qui voit des postes régaliens lui échapper à l'instar de l'économie et des finances ou des affaires étrangères désormais occupés par des membres du RNI ou des portefeuilles de l'éducation et de l'intérieur confiés à des personnalités indépendantes (les technocrates).

Cette crise a permis au roi d'incarner un recours pour la continuité de l'État, sans pour autant qu'il ne soit obligé de s'immiscer dans un conflit partisan. Interprétant l'article 42 de la nouvelle Constitution, aux termes duquel il est en charge de veiller au bon fonctionnement des institutions, il n'a pas souhaité arbitrer publiquement en faveur de l'une ou l'autre formation, estimant que chacune d'entre elles disposait d'une légitimité démocratique. Le PJD sort, quant à lui, affaibli par cet épisode, la recherche de nouveaux alliés ayant un peu plus contribué à ralentir le processus de réforme envisagé. La défaite du PJD lors de l'élection législative partielle de Moulay Yacoub, le 3 octobre 2013, est venue confirmer cette érosion de la formation majoritaire. Il n'est pas sûr que la coalition puisse tenir, dans ces conditions, jusqu'à la fin de la législature prévue en 2016.

Reste que la plupart des acteurs politiques s'accordent sur le fait que la réussite de l'expérience gouvernementale est dans l'intérêt du pays. Un échec trop rapide du pouvoir élu en novembre 2011 pourrait compromettre la crédibilité de la transition démocratique et accroitre la défiance des citoyens à l'égard du pouvoir.

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