III. DONNER UN SENS AFRICAIN À LA PRÉSENCE MILITAIRE FRANÇAISE

La certitude que la France jouera le rôle de pourvoyeur de sécurité en dernier ressort reste ancrée dans l'esprit des gouvernants africains, notamment francophones. Cela déresponsabilise certains et donne lieu à une lecture conspirationniste et « anti-impérialiste » chez d'autres (Afrique du Sud, Angola, Rwanda...).

La réponse à ces soupçons doit être pour la France l'occasion de clarifier les motifs de sa présence militaire et d'énoncer les critères présidant à ses interventions armées sur le sol africain. C'est une condition nécessaire pour sortir de l'engrenage des « appels d'empire », parfois satisfaits, parfois rejetés, sans que les déterminants du choix soient toujours lisibles.

Il convient de rappeler solennellement que cette présence correspond à un intérêt commun à la France et aux pays africains pour la stabilité et la sécurité du continent. La France y assume ses responsabilité de membre permanent du Conseil de sécurité et y défend ses intérêts et notamment la protection de ses ressortissants. Elle se fixe pour objectif l'appui aux forces africaines de sécurité et le développement de la régionalisation qui repose sur les écoles nationales à vocation régionale (ENVR) et sur les forces française en présence et n'intervient que dans le cadre de la légalité internationale, en coordination avec les organisations régionales, continentales et avec l'ONU.

Dans la perspective du sommet de l'Elysée, l'analyse du groupe de travail conduit à préconiser, en cohérence avec ces objectifs, le maintien des points d'appui militaires français en Afrique et une réforme d'ampleur de ses modalités.

A. S'INSCRIRE DANS LE SENS DE LA CONSTRUCTION D'UNE ARCHITECTURE DE SÉCURITÉ AFRICAINE OPÉRATIONNELLE

Le constat du groupe de travail est que le dispositif actuel avec ses huit points d'appui Abidjan, Dakar, la zone (Mali, Niger, Burkina Faso) Libreville, N'Djamena, Bangui, Djibouti, et l'île de la Réunion permet un maillage et une réactivité au service de nos intérêts et de la sécurité du continent.

Contrairement à l'analyse du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008, compte tenu des menaces et des demandes des pays partenaires, ces points d'appui doivent être conservés sauf avis contraire des pays hôtes.

Huit points d'appui : Abidjan, Dakar, la zone (Mali, Niger, Burkina Faso) Libreville, Ndjamena, Bangui, Djibouti, et l'île de la Réunion

Ces bases doivent procéder d'un accord officiel discuté au Parlement. Les orientations prises depuis 2008 sur les accords de défense : transparence, absence de clauses secrètes, publication et approbation par les parlements de chaque État partie doivent bien entendu être poursuivies. Le Parlement a été saisi des accords avec Djibouti et la Côte d'Ivoire. Il conviendra également de définir les bases légales de notre présence au Mali, au Niger et au Burkina Faso si nous maintenons dans ces pays des troupes dans la durée.

L'ensemble des accords de défense doit être adopté par le Parlement

Par ailleurs, si depuis 2007, notre dispositif est censé s'adosser à l'architecture de sécurité, la portée politique de cet adossement pour les opinions publiques françaises et africaines doit être mieux mise en valeur.

Pour cela l'ensemble du dispositif devrait être articulé autour de quatre pôles régionaux de coopération au Sénégal, au Gabon, à Djibouti et à la Réunion. Ces pôles de coopération en lien avec les écoles nationales à vocation régionale doivent avoir comme objectif principal la formation des cadres des armées nationales, et la mise sur pied de systèmes de sécurité collective.

Leur nom, leur mission et leur effectif doivent être ajustés à cette mission qu'ils rempliront parallèlement aux missions de coopération bilatérale.

À l'occasion du sommet de l'Elysée, la France doit donc mettre en valeur les avancées enregistrées en matière de sécurité collective et s'engager à continuer à les soutenir à travers des implantations qui doivent être entendues comme une contribution à la sécurité collective du continent.

La « honte » qu'a représentée pour beaucoup de responsables l'incapacité ouest-africaine à réagir adéquatement à l'offensive islamiste au Mali a constitué un électrochoc qu'il conviendra d'exploiter positivement, en vue d'une prise de conscience de la nécessité pour les Etats africains d'améliorer leurs capacités militaires de façon autonome mais cohérente.

Le sommet de l'Elysée pourrait être l'occasion, pour l'Union africaine et ses partenaires, de se focaliser sur des objectifs intermédiaires moins ambitieux que les Forces Africaines en Attente et le développement des capacités nationales dans un cadre coordonné régionalement.

Européaniser pour mieux rester

Dans ce cadre, les pôles de coopération français devraient être ouverts à des participations de partenaires européens à l'instar de ce qui a été fait pour les ENVR.

Nous avons intérêt à européaniser notre dispositif aussi bien pour des raisons de coûts que pour des raisons politiques. Cette ouverture doit avoir pour contrepartie une participation effective aux efforts de coopération et à la possibilité d'une intervention et ne pas se réduire à des cellules de veille des activités françaises.

Les pôles régionaux de coopérations avec les organisations régionales

Le Pôle régional de coopération avec la CEDEAO basé au Sénégal

Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) : Bénin, Burkina Faso, Cap-Vert, Côte d'Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Mali, Niger,  Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo

Le Pôle régional de coopération avec la CEEAC basé au Gabon

Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale (CEEAC) : Burundi, Cameroun, Centrafrique, Congo Brazzaville, Gabon, Guinée Equatoriale, République Démocratique du Congo, Rwanda, Sao Tomé et Principe, Tchad, Angola

Le Pôle régional de coopération avec l'IGAD basé à Djibouti

Intergovernmental authority for development IGAD - EASBRIG : Djibouti, Ethiopie, Kenya, Somalie, Soudan et Ouganda

Forces armées de la zone sud de l'océan Indien, pôle régional de coopération avec la SADC

Southern African Development Community (SADC) : Afrique du Sud, Angola, Botswana, Lesotho, Madagascar, Malawi, Maurice, Mozambique, Namibie, République démocratique du Congo, Swaziland, Tanzanie, Zambie, Zimbabwe

Ces pôles de coopération devraient être complétés par un pôle opérationnel consacré au Sahel avec des points d'appui au Mali, au Tchad, à Abidjan, au Niger et au Burkina Faso.

La situation décrite au Sahel justifie que la France maintienne, au service de la sécurité de ses partenaires africains de la région et en liaison avec l'effort de coopération civil français et européen, un collier de perles de points d'appui pour lutter contre les forces djihadistes et les groupes armées qui se cachent dans la région et notamment au sud de la Libye.

Ce dispositif doit, en liaison avec l'opération EUTM et les forces de la MINUSMA sous commandement de l'ONU, pouvoir participer à des actions de formation et, le cas échéant, à la constitution souhaitée d'un dispositif régional de sécurité qui associerait les pays du Sahel.

Un collier de perles en soutien d'un dispositif régional au Sahel est nécessaire pour faire face à la situation

La France doit mettre tout son poids pour qu'un tel dispositif essentiel à la sécurisation de la région sur le long terme voie le jour.

Enfin, la situation en Centrafrique justifie que la France puisse contribuer à appuyer plus largement les forces d'une Misca (Mission internationale de soutien à la Centrafrique) renforcée et éventuellement mise sous l'autorité de l'ONU pour asseoir son financement et augmenter ses effectifs qui sont aujourd'hui nettement insuffisants pour rétablir l'ordre.

La montée en puissance d'un dispositif en RCA sous contrainte budgétaire pourrait être prélevée dans les deux réservoirs de forces existants que sont Djibouti et Libreville. Mais la répartition actuelle des points d'appui français ne permet pas de comprendre en quoi notre dispositif est aujourd'hui arrimé à l'architecture de défense africaine.

Les quatre pôles de présence militaire française qui pourraient être dédiés à la coopération avec les organisations régionales, Libreville avec la brigade centre de la CEEAC, Dakar avec la brigade de l'ouest de la CEDEAO, la Réunion avec la brigade sud de la SADC et Djibouti face l'IGAD, ont peu de visibilité politique et ne permettent pas d'afficher clairement la volonté française de participer à l'architecture de sécurité africaine.

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