2. Nous jouons une partie de notre future croissance en Afrique

La deuxième rupture a trait à la crise financière, au déclin économique de l'Europe, à ses implications politiques et, par contraste, au décollage économique d'une partie de l'Afrique et à la consolidation de la situation des pays émergents.

Alors que les conséquences économiques et sociales se font sentir depuis de nombreuses années, la France et l'Europe commencent seulement à ressentir les conséquences politiques et stratégiques du déclin de leur croissance économique depuis plusieurs décennies.

La crise des dettes souveraines entraîne aujourd'hui les pays européens dans des politiques d'ajustement structurel bien connues des pays africains. Le redressement des finances publiques en Europe se traduit par une réduction de la taille des outils diplomatiques et militaires alors que, dans le même temps, les pays émergents ne cessent d'accroître les leurs.

L'Afrique est, à cet égard, un terrain privilégié pour observer le chassé-croisé entre les anciennes puissances coloniales et les nouvelles puissances nées de la mondialisation des années 2000. A la fermeture des centres culturels français en Afrique correspond la création ces dernières années de plus de 25 instituts Confucius dans 18 pays, à la diminution du budget de la coopération française correspond un doublement de l'aide Chinoise etc.

Pour retrouver des marges de manoeuvre, la France doit impérativement retrouver le chemin de la croissance. C'est le sens de la priorité donnée par le ministère des affaires étrangères à la diplomatie économique qui doit favoriser la conquête de marchés extérieurs et réduire le déficit de notre balance commerciale.

Or l'Afrique qui connaît une croissance de plus de 5% depuis dix ans n'offre-t-elle pas aujourd'hui des opportunités qui n'existaient pas hier ? Longtemps, face au continent africain, la compassion était de rigueur.

Aujourd'hui une grande partie des économies du continent subsaharien est en passe de se transformer, d'économies de comptoirs assises sur les exportations de ressources naturelles en économies endogènes, diversifiées et nourries par un marché intérieur en croissance continue.

Demain, les entreprises qui se seront implantées dans cette Afrique qui bouge seront à la tête d'un marché considérable et particulièrement dynamique à l'image du Cimentier nigérian Dangote qui prépare une introduction en Bourse comprise entre 35 et 40 milliards de dollars environ, sans augmentation de capital. Un niveau qui valoriserait le groupe cimentier numéro un au Nigeria - et en plein développement panafricain - à un niveau très nettement supérieur à celui atteint par ses concurrents internationaux ; la capitalisation du français Lafarge tourne en effet autour de 11 milliards de dollars, celle du suisse Holcim tutoie les 20 milliards tandis que celles du mexicain Cemex et de l'allemand Heidelberg sont en-dessous des 10 milliards.

Lionel Zinsou nous a dit « alors que la croissance africaine décolle, la modernité de la France, c'est de sortir de l'Afrique et d'investir en Asie ». Bien sûr, il faut être en Asie, mais il faut aussi penser à plus long terme et voire l'Afrique comme une opportunité à 10 ans.

Ce qui se passe sur ce continent n'est pas seulement un changement de rythme, mais un changement de nature, fondé sur des éléments structurels tels que l'urbanisation et les évolutions démographiques.

Il demeure des défis considérables, économiques, politiques, sanitaires, urbains, énergétiques et alimentaires qui sont loin d'être maîtrisés. Il reste que, pour les 30 ans à venir, il semble que la France et l'Europe ont à leur porte un gisement de croissance que certains n'hésitent pas à comparer à la Chine.

Dès lors, comment ne pas voir que notre proximité géographique, notre affinité culturelle liée à la langue comme à l'histoire sont des atouts majeurs par rapport aux pays émergents ?

Comme l'a dit Mathieu Pigasse de la Banque Lazard devant le groupe de travail : « Il faut faire avec l'Afrique ce qu'a fait l'Espagne avec l'Amérique Latine, le secteur bancaire et les télécoms espagnols ont survécu à la crise grâce à leurs implantations en Amérique latine ».

« La France est en retard d'une guerre, le continent est en train d'émerger, et nous regardons encore l'Afrique à travers le prisme de l'APD et des forces prépositionnées » a-t-il ajouté.

Notre devoir est d'être là-bas.

Il ne s'agit pas de regarder l'Afrique avec autant de convoitise, voire de cupidité, qu'hier nous avions de condescendance et de compassion.

La bonne nouvelle, c'est que nous avons aujourd'hui avec ces pays un intérêt commun à un développement durable et harmonieux de l'Afrique. Si nous arrivons à promouvoir un regard croisé sur une insertion maîtrisée de l'Afrique dans la mondialisation, un développement économique et agricole durable et harmonieux, la mise sur place progressive de services publics de base, de régimes institutionnels protecteurs des minorités et décentralisés, la France peut porter une vision de l'Afrique qui rencontrerait les aspirations africaines.

Or dans un monde dont le centre de gravité est en train de passer du Nord au Sud, un continent africain au sud de l'Europe pourrait constituer, à l'instar des États-Unis avec l'Amérique du Sud, pour notre continent, non seulement une arrière-cour mais également un gisement durable de croissance.

Le développement d'un nouveau tissu de PME, l'émergence d'une classe moyenne de plusieurs centaines de millions de personnes sur le 1,8 milliard d'habitants que connaîtra l'Afrique en 2050 méritent alors que les pouvoirs publics se donnent les moyens de favoriser les intérêts français sur ce continent sur des marchés comme la téléphonie mobile en Afrique en croissance de 44% par an, les banques de détail dont les taux de croissance dans un pays comme le Kenya depuis 7 ans se situent entre 30 et 35%, mais également le traitement des eaux, autant de secteur où la France possède des entreprises compétitives.

Il est vrai que l'Afrique dynamique, cette Afrique qui a enjambé l'étape du téléphone fixe pour bénéficier de l'essor du portable et d'Internet, n'est pas, à première vue, majoritairement l'Afrique francophone qui nous est proche.

Mais rien ne nous condamne à l'Afrique qui ne marche pas. Des pays comme la Côte d'Ivoire sont en train de rattraper le retard lié à la crise politique. Rien n'interdit aux entreprises françaises d'explorer les opportunités de l'Afrique de l'Est et du Sud, de la Mozambique ou du Nigeria. Il en va ainsi des groupes comme le groupe Bolloré, présent dans 47 pays africains qui a multiplié par trois son chiffre d'affaires en moins de dix ans, passant de 900 millions d'euros à 2,7 milliards de 2005 à 2013, avec pas moins de 25 000 collaborateurs en Afrique subsaharienne.

Sur aucun autre continent, en Asie ou en Amérique Latine, la France ne part, par rapport à ses concurrents, avec cet avantage comparatif que lui confèrent sa langue, sa connaissance et son intimité avec les acteurs économiques africains.

Nous ne sommes plus des partenaires obligés, mais nous restons des partenaires désirés. « On préfère le diable que l'on connaît » nous a dit un ministre ivoirien. « Vous devez faire la preuve que vous êtes compétitifs. Mais à valeur égale, nous vous préférons, parce que nous vous connaissons ».

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