3. Sécuriser nos approvisionnements face à une nouvelle géopolitique de la pénurie

La troisième rupture est l'entrée de la planète dans ce que l'on pourrait appeler une nouvelle géopolitique de la pénurie.

La croissance de la population mondiale, qui pourrait atteindre 9 milliards en 2050, et l'essor économique de l'Asie et de l'Amérique Latine susciteront de fortes tensions sur les ressources naturelles. Dans ce contexte, la sécurisation des approvisionnements, notamment en hydrocarbures et en métaux, sera l'un des enjeux majeurs des prochaines décennies. Les pays d'Asie l'ont d'autant mieux intégré dans leur politique étrangère qu'ils seront à l'origine de ces tensions en rattrapant le niveau de vie des pays occidentaux. Plus de 60% de l'augmentation de la consommation d'hydrocarbures dans les 20 ans à venir proviendra ainsi de l'Asie.

Or l'économie mondiale est entrée, du fait de la diminution des réserves naturelles, pour plusieurs décennies, dans une ère d'énergie coûteuse.

Selon l'Agence internationale de l'énergie, la production de pétrole conventionnel devrait avoir atteint un «pic» en 2006, sommet à partir duquel, en raison de l'épuisement progressif des ressources exploitables à faible coût, la production devra s'orienter vers d'autres sources d'énergies non conventionnelles, notamment le pétrole et le gaz de schiste. Mais le coût et le rendement de la production d'hydrocarbures ne feront que croître. Un constituant crucial d'une croissance élevée disparaîtra ainsi du paysage.

Le problème ne se pose pas seulement pour l'énergie, mais aussi pour un grand nombre de métaux et de minéraux qui entrent dans la composition de nombreux produits industriels, et dont la consommation s'est énormément accrue depuis un siècle et, plus encore, depuis une vingtaine d'années, avec le développement de l'électronique et l'expansion des pays émergents.

Depuis le premier choc pétrolier, on mesure, en effet, l'importance des matières premières énergétiques, charbon, hydrocarbures et gaz, et on a, depuis 1973, pris des mesures pour mieux gérer les stocks et diversifier les approvisionnements. Mais on mesure encore mal combien nous sommes devenus dépendants des matières premières stratégiques minérales que sont le cuivre, le titane ou le diamant et ce que l'on appelle les terres rares ainsi que des matières premières stratégiques végétales comme les céréales et les terres arables.

Ce n'est qu'avec l'expansion économique très rapide de nouveaux acteurs comme la Chine, l'Inde et le Brésil, que les pays du Nord ont réalisé que leur propre accès aux matières stratégiques pouvait devenir problématique, du fait de l'accès des pays émergents aux technologies de transformation primaire des matières premières, mais aussi parce que les nouvelles technologies, particulièrement dans le domaine des télécommunications, dépendent de ces matériaux rares.

De nombreux métaux et minéraux ont en commun des goulots dans la chaine d'approvisionnement, une production par un nombre restreint d'entreprises ou de pays, des usages de haute technologie, d'être peu ou pas substituables dans leur utilisation, d'être difficilement collectés en vue de leur recyclage et enfin de provenir de pays pouvant représenter des risques.

Ce contexte, à un moment donné et pour un marché donné, en fait des métaux dits « stratégiques » pour le pays, sur lesquels il est nécessaire de porter une attention particulière afin de sécuriser les approvisionnements de l'économie nationale

Se profilent à l'horizon d'une ou deux décennies de fortes tensions sur la production de métaux tels que le cuivre, l'antimoine, le dysprosium, le platine, etc. Ces éléments sont tout à fait cruciaux dans certains domaines de pointe : les aimants de précision, tout comme les éoliennes, requièrent l'utilisation de néodyme. Le galium entre dans la fabrication des billets de banque, pour en prévenir la falsification, comme dans celle des lasers utilisés par les avions de chasse de dernière génération. Le germanium est indispensable à la réalisation de systèmes de visée nocturne etc.

Or l'Afrique constitue un réservoir de ressources naturelles considérable. Elle détient notamment dans le Golfe de Guinée avec le Nigeria et l'Angola, des réserves importantes de pétrole. À elle seule, elle concentre presque la totalité des réserves mondiales de chrome (au Zimbabwe et en Afrique du Sud), 90% des réserves de platine (en Afrique du Sud) et 50% des réserves mondiales de cobalt (en République démocratique du Congo et en Zambie). Le continent recèle également d'importantes réserves en or, diamant, manganèse, cuivre, fer, uranium ou charbon. A titre d'exemples, pour n'en citer que quelques-uns, l'Angola possède entre autres ressources naturelles du diamant, du minerai de fer et du pétrole; le Botswana est riche en ressources minières, notamment  le diamant, le charbon, le cuivre, le nickel, l'or, le carbonate de sodium et le sel ; la République Démocratique du Congo (RDC) possède les plus grands gisements de cuivre, de cobalt, et de colombo-tantalite d'Afrique, mais aussi d'importantes réserves de diamants, d'or et d'autres minerais ainsi que des ressources forestières. Au Ghana, l'or est le troisième secteur d'exportation du pays, après le cacao et le bois et on y retrouve également les autres ressources naturelles comme les diamants industriels, le manganèse et la bauxite.

L'Afrique figure ainsi dans les premiers rangs mondiaux pour la production de minerais, notamment pour le cobalt, le platine, le titane, la bauxite, la chromite et autre vanadium.

« L'Afrique est au coeur de l'un des secteurs les plus dynamiques du commerce mondial. »

Même si l'offre de certains produits est imprévisible, les marchés devraient rester serrés au cours des prochaines années, les prix réels restant bien au-dessus du niveau moyen des années 1990. Fin 2011, les prix moyens de l'énergie et des métaux communs étaient trois fois supérieurs à ce qu'ils étaient dix ans plus tôt, et approchaient voire surpassaient les niveaux records des 40 dernières années. Reflétant les conditions sous-jacentes du marché, les investissements miniers ont plus que quadruplé entre 2000 et 2010, atteignant près de 80 milliards de dollars US par an, et la valeur de la production mondiale de métaux a augmenté deux fois plus vite que le PIB mondial : un contraste saisissant par rapport à la stagnation de valeur durant la décennie précédente. Résultat : l'Afrique est au coeur de l'un des secteurs les plus dynamiques du commerce mondial.

Pour l'Europe, qui y importe plus de 50% de ses approvisionnements d'argent, de chrome, de manganèse, de nickel, de zirconium et la totalité de son uranium, l'Afrique est un enjeu majeur pour ses approvisionnements stratégiques. Et les investissements massifs des pays émergents dans ces secteurs constituent, de ce point de vue, une menace sérieuse.

L'Europe a, en effet, quasiment disparu de la scène internationale de la production minière proprement dite. Les entreprises des grandes puissances émergentes rivalisent désormais avec les majors américano-australo-canadiens dans les travaux d'exploration minière et d'acquisition de nouveaux gisements en Afrique.

L'Afrique subsaharienne représente déjà une source d'approvisionnement majeure pour la Chine qui importe notamment plus de 40% de son minerai de fer et 80% de son bauxite. Le quintuplement de la demande chinoise de minerais d'ici 2050 ne fera qu'accroître la compétition et le risque d'éviction de l'Europe et de la France. Si la diversification de nature et de provenance géographique des énergies consommées en Europe a contribué à sécuriser ses approvisionnements énergétiques, l'effort qui doit impérativement être accompli au profit de l'approvisionnement en métaux passe par l'Afrique.

La course aux ressources naturelles, les perspectives offertes par le marché africain replacent donc l'Afrique au coeur de nouveaux enjeux stratégiques dont il convient de prendre la mesure pour, selon les secteurs et les pays, les souligner ou les relativiser.

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