4. La France et l'Europe ont intérêt à tirer l'Afrique vers un modèle de développement équilibré

Alors que notre vision de l'action de la France en Afrique reste encore très marquée par une histoire qui pèse sur nos relations mais nous rassure quant à notre influence, il faudrait essayer de penser l'avenir de la France dans une Afrique convoitée qui, selon les prévisions en cours, pèsera dans le PIB mondial en 2030, c'est-à-dire sans doute plus que l'Europe.

La France a enfin, plus que jamais, besoin des pays africains, non seulement comme débouchés économiques et sources d'approvisionnement stratégique, mais également comme partenaires politiques.

Dans un contexte où le statut de la France au sein des instances internationales, et notamment la place de la France au sein du Conseil de sécurité, pourrait être remis en cause, au regard de critères qui mesureraient exclusivement son poids économique, l'aide publique au développement de la France en Afrique, comme notre effort de défense en faveur de la paix et de la sécurité de ce continent, contribuent à maintenir le rang de la France sur la scène internationale.

L'Afrique offre à la France une profondeur géopolitique qu'aucun autre continent ne pourrait lui apporter.

Comme le souligne Jean-Louis Guigou, président de l'IPEMED, l'Europe, les pays du Maghreb et l'Afrique subsaharienne, singulièrement l'Afrique occidentale et l'Afrique centrale qui partagent des relations économiques, mais aussi culturelles séculaires et travaillent dans le même fuseau horaire et donc dans un même espace-temps, ont vocation à constituer des ensembles plus cohérents s'ils veulent demain peser dans la mondialisation.

L'Amérique du Nord a constitué, avec ses deux voisins, le Canada et le Mexique, l'ALENA. Les pays sud-américains ont eux aussi constitué leur grand marché commun, le Mercosur. Ces deux ensembles coopèrent de plus en plus étroitement pour dessiner une grande région continentale, qui prend la forme d'un « quartier d'orange » nord-sud.

De son côté, la Chine a constitué avec tous ses voisins un immense marché commun, l'ASEAN+5 de 2,5 Mds d'habitants, avec ses propres régulations. L'Europe qui avait pris de l'avance en 1957 en créant le Communauté économique européenne a bien réagi en intégrant dans les années 1990 l'Europe centrale et orientale.

Au sud de l'Europe, en Méditerranée et en Afrique, la constitution d'une grande région réunissant les pays développés vieillissants à des pays jeunes et émergents est nécessaire. Une Europe à la démographie vieillissante, dont seul un cinquième de la population a moins de vingt ans et dont le marché intérieur s'essouffle, a besoin des atouts d'une Afrique jeune et dynamique.

Il y a un espace euro-africain dont l'extrême hétérogénéité dissimule l'existence. Il faut, à cet égard, se comparer à la Chine : pour des raisons historiques et culturelles fortes, cette dernière est spontanément considérée comme un unique ensemble, au contraire de l'espace euro-africain qui est vécu comme cloisonné. Or il y a autant de distance physique, comme économique, de Shanghai à la Chine de l'Ouest, qu'entre Bruxelles et Bamako.

L'Afrique constitue un atout pour la France et l'Europe.

Il faut avoir à l'esprit que la zone Afrique-Moyen-Orient est la seule zone au monde où la balance commerciale française est encore excédentaire. La France reste attractive et compétitive en Afrique et l'Europe détient une part importante du stock de capital en Afrique.

Plus l'Afrique se développera, plus l'Europe trouvera dans le continent un partenaire économique sérieux.

La complémentarité des économies des deux zones doit être mise au centre d'une stratégie de coprospérité.

La France est particulièrement bien placée pour porter ce message et convaincre ses partenaires européens d'y participer.

Il s'agit de défendre nos intérêts, mais aussi de partager une vision du monde. La France, « puissance moyenne à vocation planétaire » qui revendique au niveau international une vocation universelle héritée de la Révolution, trouve en Afrique un terrain où elle peut démontrer qu'elle a une vision du monde au-delà de ses frontières et de ses intérêts propres.

Nous avons en Afrique à partager une réflexion sur la démocratie, les droits de l'homme et le modèle de développement social et économique. Il ne s'agit plus d'exporter nos modèles clefs en main comme des solutions intangibles, mais de réfléchir ensemble aux solutions les plus adaptées à des enjeux communs.

La France s'est conçue comme gardienne d'une certaine idée de la justice et de la paix, protectrice des petits face aux Empires. Les valeurs de la France en font donc le héraut naturel des peuples du Sud, sur les grandes questions auxquelles l'opinion planétaire est sensibilisée : droits humains, réchauffement climatique, développement durable, sécurité alimentaire mondiale, sécurité civile... On peut se désoler du fait que la Déclaration universelle des droits de l'homme votée à l'ONU en 1948 ne pourrait plus l'être aujourd'hui.

C'est pourtant un fait. Le monde connaît de profondes mutations stratégiques. Un bouleversement planétaire s'accomplit sous nos yeux, qui risque fort de laisser l'Europe, partenaire du passé, sur le banc de touche. La France doit en prendre conscience, porter sa voix, défendre ses valeurs tout en prenant acte de la configuration actuelle des relations internationales.

L'Europe peut soutenir avec l'Afrique des positions communes, à la fois justes et généreuses.

Dans une période historique où l'influence internationale de la France est en déclin, l'Afrique reste le lieu où elle peut démontrer qu'elle agit encore sur le monde, « le dernier endroit où on compte encore ».

C'est pourquoi un déclassement de la France en Afrique serait un recul autrement plus grave qu'il n'y paraît.

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