3. La promesse de l'accompagnement : le chant du cygne de l'administration
Depuis le milieu des années 2000, l'administration semble avoir pris conscience du malaise suscité par l'application de la loi Littoral, tant auprès des élus locaux que de ses propres services déconcentrés. Sa stratégie repose désormais intégralement sur l'accompagnement et la formation des collectivités locales, mais se heurte au principe de réalité. Indirectement, elle témoigne de la volonté de l'État de conserver une certaine tutelle sur l'urbanisme littoral.
a) Une démarche partenariale tardive mais bienvenue
Si elle ne fait toujours pas confiance aux élus locaux, l'administration adopte aujourd'hui une attitude plus paternaliste que dirigiste.
(1) L'accompagnement des services par de nouvelles circulaires
L'objectif des nouvelles circulaires est de mettre fin aux arrangements locaux par une uniformisation de la doctrine de l'État.
(a) L'échec de la circulaire de 2006
La circulaire n° 2006-31 du 14 mars 2006 (circulaire « Perben ») a donné une réelle impulsion. Elle met l'accent sur les finalités de la loi Littoral (gestion économe de l'espace, équilibre entre développement et préservation) ainsi que sur le cadre d'action en insistant sur la nécessité « d'une vision à long terme, stratégique et ambitieuse relayée par des volontés politiques locales fortes ». Elle mobilise également les services de l'État sur la sécurisation juridique des documents d'urbanisme.
Surtout, elle clarifie la délimitation des espaces proches du rivage, définit l'extension (limitée ou non) de l'urbanisation et précise les différences entre hameau, village et agglomération. Pour cette raison, cette circulaire a été favorablement accueillie par les élus locaux .
Mais son application pratique s'est révélée hétérogène et difficile, souvent pour des problèmes humains davantage que juridiques. En interne, l'audit de 2012 constate que « ce travail a souffert d'un manque de pilotage, de coordination et de méthodologie ».
(b) Les espoirs placés dans la circulaire de 2014
Un séminaire de restitution de l'audit de 2012 a été organisé à l'attention des services de l'État le 28 mars 2013. Un groupe de travail, auquel contribuent des élus locaux, a ensuite été mis en place le 8 juillet dernier afin d'élaborer une nouvelle circulaire. Le Gouvernement s'est engagé à la publier au début de l'année 2014.
Le coeur de cette circulaire devrait être de fournir des fiches actualisées sur l'état de la jurisprudence . Elle permettra également de clarifier et d'unifier la doctrine de l'État. Pour éviter l'écueil de la circulaire du 14 mars 2006 et garantir une plus grande homogénéité d'application, l'audit de 2012 préconise « la mise en place parallèle d'un réseau et d'outils méthodologiques (site intranet, notes de jurisprudence, capitalisation des documents et études réalisés par les services) ». Nul doute que l'administration s'engagera dans cette voie. Lors de son audition, la DHUP a d'ailleurs promis de mettre en place et de piloter un réseau loi Littoral à brève échéance.
(2) L'accompagnement des collectivités par une démarche d'atelier
Face aux difficultés d'application de la loi Littoral et à l'instabilité des doctrines administratives et jurisprudentielles, les élus expriment une forte demande de formation et d'information . A titre d'illustration, la journée d'information organisée le 2 avril 2013 par le groupement d'intérêt public (GIP) Littoral Aquitain sur le site du parc ornithologique du Teich a réuni près de 90 participants. Ella a permis l'échange de bonnes pratiques, d'expérimentations et de démarches territoriales concrétisées.
Cette situation conforte une administration convaincue depuis trois décennies que la loi fonctionne, mais que les élus ne savent pas l'appliquer . Dès lors, celle-ci développe une démarche partenariale, par le biais d'appels à projets et d'ateliers, qui vise à concentrer les moyens pour résoudre des problèmes ponctuels. Cette initiative rencontre des succès mitigés, de l'aveu-même des services de l'État. L'audit de 2012 conclut ainsi que « les ateliers expérimentaux conduits sur des sites individualisés ont été diversement appréciés (...) Leur apport reste à évaluer tant auprès des services que des bénéficiaires ».
LA DÉMARCHE ATELIER LITTORAL L'objectif de ces ateliers est d'explorer de nouvelles approches de projet et de partenariat sur des territoires complexes et de grande dimension, à forts enjeux et en manque d'ingénierie . Il s'agit, pour une équipe pluridisciplinaire de haut niveau , de construire une stratégie de territoire, mise à la disposition des élus et des services de l'État pendant un an sur des sites pilotes et volontaires. L'Atelier est ainsi conçu comme un lieu privilégié où État et élus s'accordent sur une vision d'avenir pour conduire leurs actions . En 2006, la DHUP a engagé une première action collective sur les méthodes de représentation des dynamiques territoriales sous forme d'atelier national sur le littoral, impliquant l'administration centrale et les services régionaux de l'État, avec l'appui du bureau d'études SIRS. En 2006-2007, suite à cet atelier fondateur, une expérimentation de projet a été lancée sur trois sites littoraux : la ria d'Étel ; les Sables d'Olonne, Saint Gilles-Croix-de-Vie et La Roche-sur-Yon ; Montreuil-sur-mer, Berck et Le Touquet. En 2009, un deuxième atelier Littoral a été lancé sur cinq nouveaux sites : le Coutançais, la baie de Morlaix, la presqu'île Guérandaise et la Brière, la côte Vermeille et les Albères, ainsi qu'Antibes. La phase stratégique de cet atelier s'est prolongée en 2010 par des approfondissements sur quatre sites (à l'exception d'Antibes), conformément au souhait des élus. En 2010 un atelier « d'urgence » a été mené en Charente-Maritime après le passage de la tempête Xynthia pour aider les élus à se projeter dans une vision d'avenir et de sortie de crise. Les travaux ont été conduits de juin 2010 à février 2011 avec les élus concernés et ceux de l'arrière pays. Source : Ministère de l'Égalité des Territoires et du Logement (METL) |
Vos rapporteurs ne peuvent que se féliciter de ces soutiens ponctuels, qui procurent certainement aux élus concernés une assistance bienvenue. Cette démarche permet dans l'urgence de traiter les problèmes les plus aigus , mais elle n'est qu'un palliatif soumis à la volonté de l'administration et aux contraintes de moyens. Surtout, elle n'apporte aucune solution pérenne à la multitude d'élus locaux contraints de jongler au quotidien avec les dispositions d'une loi d'aménagement non territorialisée, et par conséquent rarement adaptée aux cas d'espèce.
b) Des moyens insuffisants au regard des ambitions affichées
Le pari de l'accompagnement bute sur le manque de moyens des services déconcentrés.
(1) Le manque de fiabilité des services de l'État
Le travail de colecture et de coélaboration des documents locaux d'urbanisme avec les services de l'État, ne met pas les élus à l'abri d'un contentieux. Si les collectivités ont parfois des difficultés à interpréter correctement la loi Littoral, les services de l'État eux-mêmes souffrent d'une déperdition de connaissances . L'agent public en charge de l'instruction d'un dossier n'a pas toujours la formation juridique de base pour appréhender les notions particulières de la loi Littoral. S'y ajoutent parfois des querelles doctrinales entre directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) qui entretiennent un climat de confusion.
Les services de l'État sont ainsi souvent jugés peu fiables, même si des exceptions existent (en Bretagne par exemple). Pour autant, les maires se sentent liés par leurs décisions, car ils n'ont pas les compétences pour les remettre en cause . En 2000, Mme Bersani relevait déjà dans son rapport que « contester l'argumentaire se révèle difficile pour les communes à toutes les phases de la procédure, faute de disposer d'une capacité de contre-expertise. L'enquête publique ne peut que prendre acte de la vivacité des tensions déclenchées. Sans d'autres éléments d'appréciation que le dossier et les plans du POS, elle n'apparaît pas comme un lieu d'arbitrage approprié. » Cette critique ancienne est malheureusement toujours d'actualité.
Le chantier de la formation des agents publics de l'État et des collectivités, ainsi que des élus, dépasse largement le cadre de la loi Littoral . On ne peut que souligner la nécessité d'apporter rapidement une réponse forte, afin d'éviter des erreurs et des atermoiements qui peuvent avoir des conséquences dramatiques sur la vie de citoyens écrasés par le poids de décisions administratives kafkaïennes. L'urbanisme littoral est un domaine dans lequel ce constat est patent.
(2) La peur du contentieux
Inversement, lorsque l'État essaie d'être conciliant et d'aider une commune, sa responsabilité peut être engagée par une action récursoire.
Vos rapporteurs ont été surpris de constater que l'administration est souvent plus restrictive que le juge . Les services concernés adoptent une vision conservatrice par peur de se tromper. Leur stratégie consiste à opposer un refus préventif, à attendre l'avis du tribunal administratif, puis à délivrer le permis de construire dont la légalité est confirmée.
En pratique, il est pourtant difficile pour une commune d'engager une action récursoire en responsabilité contre l'État , même lorsque l'instruction des demandes de permis de construire a été assurée par la DDTM, puisque la responsabilité de la délivrance des autorisations d'occupation des sols incombe au maire.
Vos rapporteurs recommandent ainsi que la nouvelle circulaire en préparation invite les services de l'État à ne pas craindre ce risque . Il s'agit au contraire de développer une gestion stratégique du contentieux , où l'État n'hésite pas à soutenir un requérant lorsque la jurisprudence est manifestement bancale.
(3) La disparition progressive de l'ingénierie territoriale de l'État
Depuis le début des années 2000, on assiste à une réduction progressive des hypothèses de mise à disposition des capacités d'ingénierie de l'État au profit des collectivités . Cette facilité est considérée comme un frein à la structuration de services d'instruction mutualisés à l'échelle intercommunale. Le projet de loi ALUR prolonge cette tendance : le seuil de mise à disposition gratuite devrait être abaissé de 20 000 à 10 000 habitants pour les EPCI compétents à compter du 1 er juillet 2015.
Vos rapporteurs n'ont pas souhaité détailler les implications de cette politique, notamment en termes de financement et de ressources humaines pour les services d'ingénierie mutualisés au niveau des intercommunalités. Ces enjeux sont analysés en détail dans le rapport du sénateur Pierre Jarlier 13 ( * ) , qui plaide en faveur d'une « nouvelle architecture territoriale de l'ingénierie en matière d'urbanisme ».
Ils soulignent simplement que l'attrition des services déconcentrés de l'État rend le contrôle de légalité de plus en plus aléatoire . L'audit de 2012 constate ce manque de moyens alors que la loi Littoral est d'une grande technicité. La qualité de la communication se dégrade également au sein de l'appareil d'État : l'audit signale l'absence de retours aux DDTM de la part des services préfectoraux sur les dossiers soumis au contrôle de légalité.
Du point de vue de la loi Littoral, la mutualisation des services d'ingénierie des collectivités est sans doute bénéfique, dans la mesure où cette loi exige que la stratégie d'aménagement soit portée au niveau de l'intercommunalité. Ce transfert de capacités est néanmoins davantage le produit de la contrainte budgétaire que l'aboutissement d'une réflexion d'ensemble . Il n'est pas certain que l'application de la loi Littoral ne pâtisse pas de l' inévitable baisse de qualité des prestations assurées par l'État.
* 13 Rapport d'information n° 654 (2011-2012) du sénateur Pierre Jarlier, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 17 juillet 2012