B. DES NOTIONS NECESSAIREMENT IMPRÉCISES

La loi Littoral pose, d'une part, des règles applicables à tout le territoire des communes littorales (coupure d'urbanisation, capacité d'accueil, continuité avec les agglomérations et villages existants), d'autre part, des règles spécifiques à certains espaces littoraux particuliers (bande littorale, espaces proches du rivage, espaces remarquables).

Aucune de ces notions, prise individuellement, n'est injustifiée dans son principe. En pratique, leur application est cumulative , ce qui entraîne parfois des difficultés voire des incohérences. L'instabilité des doctrines administratives et jurisprudentielles alimente ces effets pervers.

1. Le champ d'application
a) La rigidité des limites communales

Faute d'avoir pu définir les espaces littoraux sur la base de critères géographiques objectifs, le découpage administratif des communes sert de référence pour l'application des dispositions particulières au littoral.

Cette règle rigide suscite l'incompréhension de nombreux élus. En effet, dès lors qu'une commune est considérée comme littorale, la loi du 3 janvier 1986 s'applique sur l'ensemble de son territoire . Ainsi, les zones rétro-littorales des communes littorales sont difficiles à urbaniser, même lorsque ces zones pénètrent profondément à l'intérieur des terres. Inversement, une commune située à proximité du rivage mais sans façade maritime directe n'est pas soumise aux mêmes contraintes.

Le cas le plus emblématique est celui de la commune de Plouvien dans le Finistère. Cette commune riveraine du profond estuaire de l'Aber-Benoît a engagé une procédure de cession gratuite de sa courte façade maritime à la commune voisine de Tréglonou, afin de ne plus être soumise aux dispositions de la loi Littoral.

Les élus ne manquent pas de souligner certaines situations ubuesques. Il peut arriver que les terrains d'une même rue soient d'un côté situés sur une commune littorale, et de l'autre côté sur le périmètre d'une commune limitrophe échappant aux dispositions de la loi. Ce manque de cohérence des limites communales pour l'application des dispositions d'urbanisme particulières au littoral nourrit un sentiment d'inégalité de traitement entre les citoyens.

Les articles L. 146-1 du code de l'urbanisme et L. 321-2 du code de l'environnement soumettent trois catégories de communes aux dispositions de la loi Littoral :

- les communes « riveraines » des mers et océans, des étangs salés et des plans d'eau intérieurs d'une superficie supérieure à 1 000 hectares ;

- les communes « estuariennes » lorsqu'elles sont situées en aval de la limite de salure des eaux des estuaires et deltas, et qu'elles participent aux équilibres économiques et écologiques littoraux : elles sont énumérées à l'article 1 er du décret n° 2004-311 du 29 mars 2004 ;

- les communes « volontaires » pour être soumises aux dispositions particulières au littoral en raison de leur participation aux équilibres économiques et écologiques littoraux, bien qu'elles n'aient pas de façade maritime : cette disposition s'est révélée utopique et le décret initialement prévu n'a jamais vu le jour.

Au 1 er janvier 2013, 1212 communes sont considérées comme littorales .

L'audit réalisé en 2012 par le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) 4 ( * ) montre que les services de l'État ont pleinement conscience des difficultés posées par la rigidité du découpage administratif des communes pour l'application de la loi Littoral.

De son propre aveu, l'administration manque d'arguments pour répondre à ce problème. Elle se contente de rappeler qu'il est toujours possible d' étendre le champ d'application à des communes volontaires pour favoriser un aménagement équilibré du territoire. En pratique, les documents d'encadrement de rang supérieur (directives territoriales d'aménagement, schémas de cohérence territoriale) ne s'y risquent jamais, même pour assurer une meilleure cohérence territoriale.

Surtout, cette possibilité ne correspond pas aux préoccupations des élus qui souhaiteraient, au contraire, voir les zones rétro-littorales les plus éloignées du rivage sortir du champ d'application de la loi. L'administration reconnaît d'ailleurs que « donner sa cohérence et sa pertinence au champ d'application d'une loi connue par ses seules contraintes urbanistiques sur la base du volontariat n'a guère de chance d'être entendu et encore moins de se concrétiser ».

Au cours de leurs travaux, vos rapporteurs se sont interrogés sur la possibilité de remplacer les limites communales pour l'appréciation de l'application de la loi Littoral. Deux pistes ont été envisagées :

- un critère uniforme lié à la distance au rivage : la loi s'appliquerait par exemple pour toutes les constructions situées à moins de 5 km du rivage, indépendamment du périmètre communal auquel elles appartiennent ;

- une modulation des conditions d'application de la loi en fonction des réalités géographiques et topographiques du terrain : l'appréciation serait différente selon que le littoral est escarpé et très découpé ou, au contraire, plat et offrant une grande visibilité vers l'intérieur des terres.

Ces deux options présentent l'avantage de rétablir une certaine équité , indépendamment de l'existence ou non d'une façade maritime sur le périmètre communal, et de mieux appréhender la profondeur des zones rétro-littorales. Elles ne sont pas pour autant exemptes de difficultés . Une délimitation uniforme par rapport à la distance au rivage comporte les biais classiques d'une règle administrative : elle est excessive dans certains cas et insuffisante dans d'autres. Elle ne permet pas davantage de résoudre les problèmes de frontières, les terrains situés quelques mètres avant le seuil de distance minimale étant soumis à un régime d'urbanisation plus contraignant que ceux situés juste au-delà.

Quant à la prise en compte de la topographie du littoral, elle ne peut résulter que d'une analyse fine du terrain, déclinée dans des documents stratégiques d'aménagement dont l'interprétation est homogénéisée à l'échelle nationale. Ces conditions doivent être préalablement remplies, avant d'envisager le moindre assouplissement du cadre législatif en ce sens.

En l'absence de solution réellement convaincante, vos rapporteurs suggèrent de s'en tenir au découpage actuel. Toute modification aurait des conséquences économiques, environnementales et financières qu'il est impossible de maîtriser sans garde-fous solides. Les pouvoirs publics doivent alors faire preuve de pédagogie pour gérer et assumer les incohérences des limites communales.

Une modification du champ d'application semble d'autant moins pertinente que l'ensemble du droit de l'urbanisme converge actuellement vers le dispositif de la loi Littoral : la loi Grenelle II applique les principes de continuité et de densification sur la totalité du territoire national pour lutter contre l'artificialisation des sols et la consommation des espaces agricoles.

b) Le cumul de la loi Littoral et de la loi Montagne

Sur les seize lacs de plus de 1 000 hectares concernés par l'application de la loi Littoral, huit sont situés en zone de montagne : Le Bourget (Savoie), Serre-Ponçon (Hautes-Alpes), Annecy (Haute-Savoie), Léman (Haute-Savoie), Naussac (Lozère), Vassivière (Creuse), Sarrans et Grandval (Aveyron et Cantal). Les élus concernés dénoncent de longue date la superposition des lois Littoral et Montagne , que l'on retrouve également en Corse.

Les incohérences liées à l'absence de prise en compte de la topographie dans la définition du champ d'application de la loi Littoral sont exacerbées en zone de montagne. Le problème le plus fréquemment soulevé est celui de l'application des dispositions particulières au littoral même en l'absence totale de covisibilité entre le terrain concerné et la mer ou le lac. Ainsi, lorsque le périmètre d'une commune riveraine s'étend de l'autre côté de la montagne, l'urbanisation du contreversant reste soumise à la loi Littoral bien qu'une ligne de crête le sépare du plan d'eau.

Pour cette raison, l'article 187 de la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux avait modifié l'article 145-1 du code de l'urbanisme. Les communes concernées avaient alors obtenu la faculté de délimiter, d'une part, des secteurs soumis aux dispositions particulières au Littoral, d'autre part, des secteurs où la loi Montagne s'appliquait seule . Le décret n° 2006-993 du 1 er août 2006, pris en application de ces dispositions, a cependant été annulé par le Conseil d'État. La loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement (loi Grenelle II) a finalement rétabli le régime antérieur.

De fortes pressions s'exercent en effet sur le littoral Corse et sur les rives de certains lacs, comme Annecy, le Léman, et dans une moindre mesure, Le Bourget et Serre-Ponçon. Dans ce contexte, la loi Littoral offre une meilleure protection que la loi Montagne, notamment pour les terres agricoles . Il s'agit en effet d'enrayer la spéculation immobilière par le biais d'un verrou législatif qui dissuade les agriculteurs de vendre leurs terres et préserve ainsi l'espace rural.

Par conséquent, vos rapporteurs ne recommandent pas d'introduire un nouveau dispositif dérogatoire. Le débat sur la superposition des deux lois n'est pas pertinent. La règle la plus conservatrice s'applique afin d'offrir un haut degré de protection face à la spéculation foncière sur les rives prisées des grands lacs. Le maintien d'un tel signal paraît indispensable .

En revanche, les nombreuses incohérences qui en résultent sont une réalité, que vos rapporteurs ont pu constater à l'occasion de leurs déplacements dans les Alpes et en Corse. Ces difficultés peuvent cependant être résolues dans le cadre d'un document d'aménagement ayant force prescriptive . Le projet avorté de directive territoriale d'aménagement (DTA) des Alpes du Nord aurait ainsi permis d'organiser le développement autour de ces lacs et de répondre aux principales préoccupations. Il en va de même pour le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC) actuellement en préparation.

c) La capacité d'accueil

La capacité d'accueil détermine ce que le territoire peut supporter comme activités et usages sans qu'il soit porté atteinte à son identité physique, économique, socioculturelle et aux équilibres écologiques. En principe fondamentale pour organiser un développement équilibré, cette notion est cependant l'une des plus floues de la loi Littoral . En effet, l'article L. 146-2 du code de l'urbanisme impose que chaque document d'urbanisme détermine la capacité d'accueil des espaces urbanisés ou à urbaniser, mais ne donne aucune méthodologie d'évaluation.

En pratique, cette notion est mal appréhendée par les élus, qui la comprennent souvent comme « ce qui reste à urbaniser » sur leur commune. Elle est insuffisamment prise en compte dans les documents d'urbanisme , son intégration se limitant souvent à une brève évocation dans le rapport de présentation. Les services de l'État adoptent généralement une attitude indulgente: ils émettent une simple mise en garde quand le sujet n'est pas abordé. Il y a peu de jurisprudence portant sur cette disposition.

Alors que la circulaire du 14 mars 2006 (dite « circulaire Perben ») n'avait pas pris la peine de l'évoquer, vos rapporteurs souhaitent qu'une méthode d'évaluation partagée de la capacité d'accueil soit enfin présentée dans la nouvelle circulaire en cours d'élaboration .

2. Le dispositif anti-mitage
a) L'extension de l'urbanisation en continuité des agglomérations et villages existants

L'article L. 146-4-I du code de l'urbanisme dispose que « l'extension de l'urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement . »

Cette règle est au coeur du dispositif de maîtrise de l'urbanisme littoral. Elle a une large portée qui permet d'éviter le développement anarchique d'îlots de constructions dans les communes littorales. Elle s'applique en effet sur l'ensemble du territoire de la commune, sans limite de distance par rapport à la mer. Elle concerne tout type de construction : maisons, hangars, stations d'épuration, éoliennes, bâtiments agricoles, ou encore terrains de camping.

L'objectif explicite de cette disposition est de concentrer l'urbanisation autour des principaux bassins de vie. Ce choix délibéré permettait à l'époque de répondre au besoin urgent d'une protection forte du littoral. Deux reproches peuvent néanmoins être formulés :

- en empêchant le développement d'autres espaces urbanisés de taille plus modeste, cette règle fige une armature urbaine héritée des années 1980 , qui n'était peut-être déjà pas optimale au moment de l'entrée en vigueur de la loi et ne répond pas nécessairement aux besoins actuels des populations littorales ;

- le principe de continuité n'empêche pas les communes les moins vertueuses de poursuivre leur extension.

S'y ajoutent des jurisprudences malheureuses et l'absence de doctrine claire de l'État, qui font de ce sujet le plus sensible de la loi Littoral , générant structurellement une majorité de contentieux.

(1) La notion d'extension de l'urbanisation

L'extension de l'urbanisation est constituée par toute opération de construction isolée . La jurisprudence administrative exclut ainsi de l'application de l'article 146-4-I :

- le prolongement raisonnable d'un bâtiment existant (CAA Nantes, 28 mars 2006, Commune de Plouharnel) ;

- le comblement d'une « dent creuse » dans un espace déjà urbanisé (CE, 7 février 2005, Société Soleil d'or).

La nature de l'espace considéré joue un rôle-clé dans l'appréciation des opérations de densification.

(2) La qualification de l'espace urbanisé

La loi Littoral reste volontairement vague dans la définition des agglomérations et des villages . Ces notions s'apprécient différemment selon le contexte : les caractéristiques d'un village breton sont radicalement différentes de celles d'un village corse.

La jurisprudence n'y attache pas non plus une importance excessive. L'essentiel pour le juge administratif est de savoir si l'espace considéré est effectivement urbanisé. Autrement dit, seuls les espaces qui comportent une densité significative de constructions sont des agglomérations ou des villages (CE, 27 septembre 2006, Commune du Lavandou).

Le corollaire est que dans un espace urbanisé de manière diffuse, toute construction nouvelle est qualifiée d'extension de l'urbanisation . La notion de densification par comblement de dents creuses n'y est pas pertinente.

En pratique, l'appréciation de la densité et la classification des espaces urbanisés en agglomérations et villages soulèvent de nombreuses difficultés, particulièrement en milieu rural où l'habitat est relativement diffus . Vos rapporteurs ont ainsi pu constater, à l'occasion de l'un de ses déplacements, que le littoral morbihannais était constitué d'une multitude de petits groupements d'habitations, pour lesquels une telle classification offre peu de prises.

En général, les élus eux-mêmes sont réticents à opérer des distinctions entre les espaces urbanisés dans leurs PLU, pour éviter de remettre en cause des « droits acquis ».

(3) Le principe de continuité

Le juge apprécie strictement la notion de continuité selon deux critères :

- la proximité avec un tissu urbanisé dense ;

- l' absence d'éléments de séparation , physiques ou paysagers, entre le projet de permis de construire du reste de l'urbanisation (route, chemin, accident de relief, dénivelé important, rivière, espace agricole ou naturel).

En général, le principe de continuité est correctement respecté dans les PLU . Sa déclinaison pratique pose parfois problème. Ainsi, lorsque la construction d'un lotissement entier est prévue mais inachevée pour diverses raisons (financières, opérationnelles ou juridiques), les travaux effectués à l'extrémité opposée à l'enveloppe du bâti existant peuvent déboucher sur des constructions en discontinuité. Par conséquent, il importe que l'ordre des constructions respecte le principe de continuité lors des opérations immobilières d'envergure.

(4) L'exception du hameau nouveau intégré à l'environnement

Inspirée de la loi Montagne du 9 janvier 1985, cette notion apparaît à contre-courant . Elle conduit à faire de l'urbanisation dispersée, alors que la loi vise précisément à lutter contre le mitage.

Le hameau nouveau intégré à l'environnement n'est pas défini clairement . L'analyse des doctrines administratives et des jurisprudences permet de l'appréhender : il s'agit d'un projet ni trop petit, ni trop gros, bien intégré au paysage, organisé autour d'un axe central sans que les divers bâtiments prévus ne soient trop éloignés les uns des autres.

En pratique, cette possibilité est rarement utilisée , à la fois en raison des coûts liés à la nécessité d'installer de nouveaux réseaux (assainissement, électricité, transports) et du risque juridique qui entoure cette notion.

(5) L'absence de statut pour les hameaux existants

L'article L. 146-4-I ne comporte aucune référence aux hameaux existants , qui sont ainsi appréciés sous le seul angle jurisprudentiel de la densité des constructions. Ce critère leur est généralement défavorable, ce qui rend leur urbanisation souvent impossible dans les communes littorales, qu'il s'agisse d'une opération de densification dans l'enveloppe du bâti ou d'une extension en continuité par une construction adjacente.

La possibilité d'autoriser la construction de hameaux nouveaux alors que le comblement des dents creuses des hameaux existants est généralement refusé est mal comprise des élus comme des préfets . Cette situation est d'autant plus paradoxale que certaines communes sont parfois uniquement constituées de hameaux, sans qu'il ne soit possible de définir un village ou un bourg central . Elle alimente également le grief d'incohérence des politiques publiques, à une époque où la lutte contre l'artificialisation des sols et la consommation des terres agricoles est au coeur de toutes les réformes en matière d'urbanisme.

La loi Montagne a elle-même été assouplie sur ce point par la loi n° 95-115 du 4 février 1995 (loi « Pasqua ») qui permet désormais l'urbanisation « en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants » (article L. 145-3-III du code de l'urbanisme) et non plus la seule construction de hameaux nouveaux intégrés à l'environnement.

La circulaire du 14 mars 2006 (dite « circulaire Perben ») a tenté de clarifier la situation des hameaux dans l'application de la loi Littoral par les services de l'État. Elle vise à permettre l'édification de quelques constructions à la frange des hameaux, sous réserve que leur taille demeure relativement modeste. Cette doctrine administrative a été appliquée de façon hétérogène par les services déconcentrés de l'État. Surtout, en l'absence de caractère réglementaire, le juge administratif l'a systématiquement écartée au profit de sa propre doctrine jurisprudentielle, nettement plus restrictive. Au final, cette circulaire a rendu la situation des hameaux encore plus complexe et suscité de faux espoirs chez les élus des communes littorales .

Dans ce contexte, vos rapporteurs considèrent que le dispositif de la loi Montagne n'est pas transposable sur le littoral , en raison des pressions plus fortes qui s'y exercent. Pour autant, l'incertitude juridique qui entoure la notion de hameau est à l'origine de près de trois décennies de difficultés et d'incompréhensions, que la jurisprudence administrative n'a pas permis de clarifier.

Vos rapporteurs estiment ainsi qu'une modification à la marge de l'article L. 146-4-I est nécessaire pour définir un cadre plus précis, tout en veillant à ne pas perturber les équilibres actuels et à respecter les intentions initiales du législateur.

Ils proposent donc d'autoriser le comblement des dents creuses dans les hameaux existants , en maintenant l'interdiction d'une extension en continuité de leur urbanisation afin de préserver l'efficacité du dispositif anti-mitage. Concrètement, l'emprise au sol de l'enveloppe du bâti a vocation à rester rigoureusement identique :

- le comblement des dents creuses n'ouvre pas droit ultérieurement à une extension de l'urbanisation , dans le cas où la tentation de requalifier ensuite le hameau en village ou agglomération pourrait exister ;

- la densification doit également respecter des critères de proportionnalité , afin que ces dents creuses ne servent pas de prétexte à l'installation de bâtiments volumineux ;

- cette possibilité n'est pas ouverte aux hameaux situés dans les espaces proches du rivage.

En pratique, ce dispositif a surtout vocation à permettre le comblement des dents creuses des hameaux situés dans les parties rétro-littorales des communes littorales. Afin de prévenir tout détournement potentiel, vos rapporteurs recommandent également d'introduire de solides garde-fous procéduraux :

- les hameaux concernés doivent avoir été préalablement définis par un document d'aménagement avec force prescriptive ;

- cette définition doit être soumise à l'arbitrage d'une instance nationale qui a le pouvoir d'empêcher les dérives locales ;

- les hameaux doivent être identifiés et délimités comme tels par les documents de rang inférieur (schémas de cohérence territoriale, plans locaux d'urbanisme).

b) Les coupures d'urbanisation

Afin d'éviter un front bâti continu, l'article L. 146-2 dispose que les plans locaux d'urbanisme (PLU) et schémas de cohérence territoriale (SCoT) doivent identifier des coupures d'urbanisation. Celles-ci se caractérisent par une inconstructibilité de principe : aucune urbanisation nouvelle ne peut y être autorisée, à l'exception d'aménagements légers. Les tribunaux reconnaissent un pouvoir discrétionnaire aux auteurs de documents d'urbanisme pour leur délimitation, le juge n'exerçant qu'un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation .

Si la notion de coupure d'urbanisation ne pose pas de difficulté majeure, il n'en est pas de même pour son application. Comme le souligne l'audit de 2012 précité, « il n'est pas toujours évident de délimiter et surtout de justifier des coupures d'urbanisation dans les PLU littoraux ruraux en raison du faible niveau d'urbanisation. A l'inverse, les coupures d'urbanisation dans les PLU des communes très urbanisées nécessitent des délimitations très précises, voire des micro-coupures, permettant de mettre fin à une urbanisation continue le long des axes principaux. » En outre, il convient d'éviter qu'une coupure d'urbanisation prévue sur la base d'enjeux écologiques ou paysagers crée une coupure sociale entre deux quartiers ou complique des dessertes de transport en commun.

Les différences d'échelles entre les PLU et les documents de rang supérieur (DTA, SCoT) constituent un problème difficile à gérer . Il est rare que les PLU traduisent fidèlement au niveau local les grandes coupures identifiées dans les documents de rang supérieur. Parfois, ils identifient même des coupures totalement différentes.

Faute d'une identification suffisante dans les documents d'urbanisme, on observe un phénomène de « grignotage » des coupures dans les zones les plus tendues . Dans certains cas, ces espaces naturels sont même considérés comme des réserves pour une urbanisation future.

Afin de corriger le sentiment d'iniquité de la loi Littoral et de limiter l'empiètement des coupures d'urbanisation, vos rapporteurs recommandent de renforcer le régime de l'article L. 146-2, en précisant que ces coupures doivent être de taille significative par rapport à l'urbanisation adjacente . Elles constituent en effet le moyen le plus efficace pour empêcher les communes les moins vertueuses de continuer à s'étendre. A l'inverse, elles ne pénalisent pas les territoires les moins urbanisés, où elles s'imposent naturellement.

L'appréciation du caractère « significatif » devra être précisée dans un document de planification, qui permettra alors au juge de sanctionner plus facilement le non-respect de cette règle .

c) L'implantation des nouvelles routes

L'article L. 146-7 du code de l'urbanisme dispose que « les nouvelles routes de dessertes locales ne peuvent être établies sur le rivage ni le longer ». Quant aux nouvelles routes de transit, elles doivent être localisées « à une distance minimale de 2 000 mètres du rivage », cette règle ne s'appliquant pas aux rives des plans d'eau intérieurs.

Ainsi, la réalisation de nouvelles routes est fortement encadrée , même si des mécanismes dérogatoires sont prévus pour des contraintes liées à la configuration des lieux ou à l'insularité, ainsi que pour l'accès à des services publics ou des activités économiques exigeant la proximité immédiate de l'eau.

Les élus se plaignent parfois de difficultés à réaliser des bretelles de contournement pour limiter les trafics en centre-ville ou supprimer un carrefour dangereux. Il arrive également que des voies de dessertes locales soient qualifiées de routes de transit, lorsqu'elles relient deux routes départementales. Vos rapporteurs considèrent néanmoins que ces difficultés peuvent être résolues dans le cadre d'un document de planification stratégique , et ne nécessitent pas de modification législative.

3. Les espaces nécessitant une protection renforcée
a) Les espaces proches du rivage

Dans les espaces proches du rivage ou des rives des plans d'eau intérieurs, seule est autorisée une extension limitée de l'urbanisation prévue dans le plan local d'urbanisme ou, à défaut, autorisée par le préfet (art. L. 146-4-II du code de l'urbanisme). Ce dispositif vise à reporter l'urbanisation vers l'arrière-pays et génère traditionnellement beaucoup de contentieux.

(1) La délimitation des espaces proches du rivage

La méthode de délimitation résulte de la jurisprudence (CE, 3 mai 2004, Mme Barrière) et ne pose aujourd'hui plus de difficulté majeure . Pour déterminer si un espace est proche du rivage, il faut combiner les trois critères suivants : la distance par rapport à la mer, la covisibilité entre le terrain et la mer, et les caractéristiques de l'espace, plus ou moins urbanisé, séparant le terrain et la mer. Ces critères sont cumulatifs mais non limitatifs : en aucun cas, il n'est possible de se fonder sur la prise en compte d'un critère unique. Ils constituent davantage un faisceau d'indices, que le juge apprécie de façon souveraine.

Vos rapporteurs se sont interrogés sur l'opportunité de codifier cette jurisprudence . Il s'agit moins d'un apport sur le fond du droit que d'un effet psychologique. L'élévation de ces trois critères au rang législatif garantirait une relative stabilité de la jurisprudence et offrirait davantage de visibilité aux élus, toujours inquiets d'être soumis à l'arbitrage souverain du juge au terme de longues procédures contentieuses. Vos rapporteurs n'y sont cependant pas favorables, une telle disposition rigidifiant inutilement le cadre juridique dans un contexte apaisé.

Surtout, la notion d'espace proche du rivage pose davantage de problèmes pratiques que méthodologiques. Même si la situation varie d'un département à l'autre, la délimitation de ces espaces dans les PLU est globalement rare . Lorsqu'un document de rang supérieur (DTA, SRA, SCoT) les a préalablement identifiés, l'échelle utilisée pour les cartographier n'est pas suffisamment précise. Au final, les collectivités subissent leur propre défaillance : l'absence de délimitation des espaces proches du rivage au niveau de la parcelle de terrain alimente l'insécurité juridique et rend difficile le dialogue avec les services de l'État.

Dans une logique paternaliste, vos rapporteurs recommandent ainsi de rendre obligatoire la délimitation des espaces proches du rivage dans les documents d'urbanisme . Il convient à ce titre de profiter du processus de transformation des POS en PLU et de l'achèvement de la couverture du territoire national en SCoT, prévus pour le 1 er janvier 2017 par le projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) actuellement en cours d'examen par le Parlement.

L'APPLICATION DES TROIS CRITÈRES DANS LA DÉLIMITATION DES ESPACES PROCHES DU RIVAGE : DISTANCE, COVISIBILITÉ ET URBANISATION

Source : Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN)

(2) La notion d'extension limitée de l'urbanisation

Toute extension limitée de l'urbanisation d'un espace proche du rivage doit être justifiée et motivée dans le PLU selon deux critères bien précis liés à la configuration des lieux ou à l'accueil d'activités économiques exigeant la proximité immédiate de l'eau , et soumise à l'accord du préfet. Lorsque l'espace proche du rivage a été délimité par un document de rang supérieur, cette règle n'est cependant pas applicable. La portée réelle de ces dispositions est dans les faits limitée par le manque de précision des documents d'urbanisme. Les justifications et motivations requises ne sont pas toujours très explicites dans les PLU.

L'appréciation du caractère limité de l'extension a suscité énormément de contentieux dans les années 1990 . L'interprétation retenue par la jurisprudence est désormais plus claire. Une urbanisation présente un caractère limité lorsque sa densité est proche de celle des quartiers voisins et qu'elle n'étend pas, le cas échéant, de manière significative l'urbanisation des quartiers périphériques (CE, 7 février 2005, Société Soleil d'Or et commune de Menton). Le juge analyse ainsi les deux dimensions, horizontale (extension du périmètre) et verticale (hauteur des bâtiments). Un juge du fond qui ne tient compte que d'un seul critère commet une erreur de droit (CE, 12 mars 2007, Commune de Lancieux). L'objectif est d'éviter la transformation radicale des formes urbaines littorales.

L'EXTENSION LIMITÉE DE L'URBANISATION

Source : Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN)

b) La bande des cent mètres

La loi Littoral prévoit logiquement une protection forte à proximité immédiate de l'eau. Des mesures conservatoires sont nécessaires pour contenir la pression qui s'exerce sur les rivages.

L'article L. 146-4-III pose ainsi le principe d'une inconstructibilité absolue sur une bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage ou des plus hautes eaux pour les plans d'eau intérieurs.

Cette règle ne s'applique qu'en dehors des espaces déjà urbanisés. Il est possible d'y déroger dans le cadre de services publics ou d'activités économiques exigeant la proximité immédiate de l'eau.

(1) La délimitation de la bande littorale

La détermination de la limite la plus haute du rivage relève de la compétence de l'État et ne pose généralement pas de problème. En revanche, le niveau des plus hautes eaux est parfois difficile à fixer autour de certains lacs créés artificiellement, car ils connaissent un marnage important des eaux lié à leur usage et à leur entretien.

La délimitation de la bande littorale fait rarement l'objet d'une réflexion lors de l'élaboration des PLU. La largeur de cent mètres est un minimum : le PLU peut l'étendre davantage pour des motifs liés à la sensibilité des milieux où à l'érosion des côtes. En pratique, ces phénomènes sont rarement anticipés et les droits à construire situés immédiatement à l'arrière de la bande littorale sont fragilisés. Seul un plan de prévention des risques (PPR) peut juridiquement imposer ce recul.

(2) L'exception des espaces urbanisés

Aucune extension de l'enveloppe du bâti n'est possible dans la bande littorale. En revanche, la densification des espaces urbanisés échappe au principe d'inconstructibilité . L'absence de typologie de ces espaces est cependant régulièrement dénoncée.

Cette critique résulte avant tout d'une incompréhension : la notion d'espace urbanisé n'est pas spécifique à la bande des cent mètres, mais commune à l'ensemble du territoire des communes littorales. Autrement dit, le juge administratif, qui apprécie souverainement le caractère urbanisé d'un secteur, se réfère aux mêmes principes que pour le dispositif anti-mitage .

Son analyse repose sur la densité des constructions et des équipements présents, étant entendu qu'un espace urbanisé « appartient, par nature, à une agglomération ou un village existant » au sens de l'article L. 146-4-I (CE, 22 février 2008, Mme Bazarbachi). A l'instar des espaces proches du rivage, le projet de densification d'un espace urbanisé dans la bande littorale doit être d'ampleur limitée.

(3) Les dérogations au principe d'inconstructibilité

Il est possible de déroger au principe d'inconstructibilité pour des constructions ou installations nécessaires à des services publics ou à des activités exigeant la proximité immédiate de l'eau. Le juge interprète cette disposition strictement : il n'admet que les activités directement liées à la mer (ferme aquacole ou conchylicole, hangar ou atelier de réparation navale, poste de surveillance de plage), à l'exclusion de tout autre projet (bar-restaurant, centre de thalassothérapie).

La loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement (loi Grenelle II) a introduit une dérogation supplémentaire pour les ouvrages de raccordement aux réseaux publics de transport ou de distribution d'électricité des installations marines utilisant les énergies renouvelables.

c) Les espaces remarquables ou caractéristiques

L'article L. 146-6 du code de l'urbanisme pose le principe de l'inconstructibilité des « espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral ». La liste de ces espaces figure à l'article R. 146-1.

Le contentieux relatif à ces espaces est désormais limité. Il n'y a pratiquement aucune revendication des élus.

(1) La délimitation des espaces remarquables ou caractéristiques

Leur identification ne pose pas de difficulté majeure. Il y a un recoupement fréquent avec les espaces juridiquement protégés (sites classés, réserves naturelles, réseau Natura 2000) ou inventoriés (zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique). Le patrimoine culturel est plus rarement identifié comme tel : il bénéficie souvent de la protection de l'espace naturel sur lequel il se trouve.

Les services de l'État disposent pratiquement tous d'une cartographie précise des espaces remarquables, reprise dans la plupart des documents d'urbanisme. Les collectivités ont en effet peu de marges d'appréciation : le classement de ces espaces en zones N dans les PLU est strictement contrôlé par les tribunaux.

A l'heure actuelle, les difficultés relèvent moins de problèmes d'interprétation, que du manque d'actualisation de certains documents . Faute d'être identifiés à temps, l'urbanisation de ces espaces peut entraîner la disparition de leur caractère remarquable.

LA PROTECTION DES SITES NATURA 2000 SUR LE LITTORAL

Aux termes de l'article L. 414-1 du code de l'environnement, les sites Natura 2000 sont constitués :

- des zones de protection spéciale (ZPS), issues de la directive 79/409/CEE du Conseil du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages ;

- des zones spéciales de conservation (ZSC), issues de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages.

En 1986, le législateur a inclus les ZPS dans la définition des espaces remarquables. Dans l'esprit de la loi littoral, il est raisonnable d'envisager que, si elles avaient existé à l'époque, les ZSC auraient certainement été inclues de la même manière . Au-delà même des seules zones littorales, la France a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) pour mauvaise transposition des directives concernées, en raison d'une protection insuffisante des sites Natura 2000 .

Toutefois, vos rapporteurs ne souhaitent pas pour l'heure rigidifier le régime des zones Natura 2000 sur le littoral. En pratique, ces sites sont déjà inclus dans la plupart des délimitations d'espaces remarquables . En outre, le contentieux étant désormais relativement stabilisé, il serait peu judicieux d'introduire une nouvelle source d'insécurité juridique en modifiant la définition des espaces remarquables.

Vos rapporteurs privilégient ainsi l'approche de droit commun, applicable à l'ensemble du territoire. Deux décrets ont été récemment publiés :

- le décret n° 2010-365 du 9 avril 2010 relatif à l'évaluation des incidences Natura 2000 pris en application de la loi n° 2008-757 du 1 er août 2008 relative à la responsabilité environnementale ;

- le décret n° 2011-966 du 16 août 2011 relatif au régime d'autorisation administrative propre à Natura 2000 pris en application de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement.

Ces décrets mettent l'accent sur un régime strict d'évaluation de l'incidence des projets. Le dispositif responsabilise les collectivités tout en assurant un degré élevé de protection. Son effectivité dépend de la capacité des services de l'État à assumer le traitement des évaluations d'incidence.

Vos rapporteurs préconisent par conséquent d'effectuer un suivi précis de l'urbanisation des sites Natura 2000 littoraux (et surtout des ZSC) pour mesurer l'impact dans le temps de ce dispositif. L'Observatoire national de la mer et du littoral (ONML) pourrait être chargé de publier une étude comparative sur ce point.

(2) Les dérogations au principe d'inconstructibilité

Pour préserver au maximum les espaces remarquables, le législateur n'y admet que des aménagements légers nécessaires à leur gestion, leur mise en valeur ou leur ouverture au public, ainsi que la réalisation de travaux facilitant leur conservation ou leur protection. L'article R. 146-2 définit la nature et les modalités de réalisation de ces aménagements qui ne doivent pas dénaturer ou compromettre la qualité du site. Leur conception doit permettre en général un retour du site à l'état naturel . Ainsi, les aires de stationnement comme les chemins piétonniers ou cyclables ne peuvent être ni bétonnés, ni cimentés.

Autrefois excessivement restrictive, la liste des dérogations a été étendue à plusieurs reprises . La dernière modification a été introduite par la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes, pour permettre la construction de canalisations du réseau public de transport ou de distribution d'électricité visant à promouvoir l'utilisation des énergies renouvelables. Au total, le constat actuel est très différent de celui des préoccupations relayées dans les deux rapports parlementaires de 2004 5 ( * ) .

Vos rapporteurs souhaitent simplement attirer l'attention sur l' existence d'effets dynamiques : prise individuellement, chacune de ces exceptions est largement justifiée, mais leur cumul risque à terme de vider la notion d'espace remarquable de sa substance.


* 4 Audit thématique sur l'application de la loi Littoral par les services de l'État, rapport n° 007707-01, Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), septembre 2012.

* 5 Rapport d'information n° 421 (2003-2004) du sénateur Patrice Gélard, fait au nom de la commission des affaires économiques et de la commission des lois du Sénat, déposé le 21 juillet 2004.

Rapport d'information n° 1740 du député Jacques Le Guen, fait au nom de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, déposé le 21 juillet 2004.

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