C. DES ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES EN DIFFICULTÉ

Les espaces marins et côtiers abritent de très nombreuses activités humaines comme, par exemple, le transport maritime, la production d'énergies renouvelables, l'extraction de matières premières, l'agriculture, la pêche et l'aquaculture, le nautisme ou encore le tourisme. La Commission européenne estime que 3 à 5 % du PIB de l'Union Européenne (UE) est généré par les activités du secteur maritime, dont certaines sont appelées à connaître un fort potentiel de croissance.

L'un des objectifs affichés de la loi Littoral est le maintien de la pluriactivité en bord de mer. Le développement équilibré du littoral doit néanmoins s'effectuer en gérant les conflits d'usages . Un certain nombre d'équipements ou d'activités ne peuvent être groupés autour des agglomérations ou villages compte tenu des nuisances ou des risques qu'ils engendrent. En pratique, des exceptions ont été aménagées au fil du temps. Certaines professions estiment cependant que la loi Littoral continue d'entraver leur développement et soulignent régulièrement l'incohérence des politiques publiques.

1. L'agriculture

L'agriculture littorale subit des pressions foncières importantes et répercute souvent plus fortement les problèmes rencontrés par l'agriculture sur l'ensemble du territoire : diminution importante du nombre d'exploitations, âge des exploitants en augmentation, difficulté de reprise.

a) Un déclin qui se poursuit inexorablement

La surface des exploitations agricoles diminue fortement sur la frange littorale : -25 % pour les communes littorales entre 1970 à 2010, contre -9,8 % en moyenne sur l'ensemble du territoire. Au total, cela représente une perte de plus de 200 000 ha, soit près de 10 % de la superficie totale des communes littorales. Entre 2000 et 2010, un peu plus d'un tiers des exploitations ayant leur siège dans une commune littorale ont disparu, la moyenne métropolitaine étant de 26 %. Le rythme de déprise des terres agricoles, en diminution tendancielle entre 1970 et 2000 (-0,4 % par an entre 1988 et 2000 contre -1 % par an entre 1970 et 1979), s'accroît de nouveau depuis dix ans (-0,5 % entre 2000 et 2010).

Les terres agricoles jouent pourtant un rôle essentiel de production mais aussi de maintien des équilibres dans l'aménagement du territoire : elles sont un rempart contre l'artificialisation des sols et contribuent à la protection de la biodiversité sur des espaces fragiles . Le maintien et le développement de l'agriculture du littoral est l'un des objectifs de la loi Littoral comme du Grenelle de la Mer (engagement 64.a : « permettre le maintien et l'évolution des structures agricoles existantes »).

Pour cette raison, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) a organisé, le 30 mai 2013, son premier colloque relatif aux « exploitations agricoles en danger dans les espaces littoraux ». Autre signe de l'importance de cette question, un délégué aux questions agricoles a été spécifiquement nommé au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres (CELRL).

b) Des dérogations au principe de continuité jugées insuffisantes

Dans leur ensemble, les règles applicables à la constructibilité en zone littorale sont plutôt favorables aux activités agricoles puisqu'elles protègent les espaces agricoles de l'urbanisation tout en autorisant, sous certaines conditions, les constructions et installations agricoles dans des zones interdites de construction.

La loi n° 99-574 du 9 juillet 1999 d'orientation agricole a introduit une exception au principe de continuité pour les activités agricoles génératrices de nuisances qui sont incompatibles avec le voisinage des zones habitées, à condition que les constructions projetées se situent en dehors des espaces proches du rivage. Cette dérogation n'est pas applicable aux constructions agricoles ne générant aucune nuisance (hangar, bâtiment de stockage, plateforme de conditionnement pour les légumes, serres, points de vente, habitations).

En outre, depuis la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, les travaux de mise aux normes des exploitations agricoles bénéficient d'une dérogation spécifique leur permettant de ne pas être réalisés en continuité de l'urbanisation s'ils n'augmentent pas les effluents d'élevage. Ils peuvent également être réalisés dans des espaces proches du rivage sous certaines conditions (présence d'un SCOT et urbanisation limitée).

Les agriculteurs continuent cependant à dénoncer la rigidité de la règle de continuité . Ils estiment qu'elle n'intègre pas l'ensemble des contraintes liées à leur activité. Le maraîcher a par exemple besoin de se loger à proximité de ses cultures, notamment pour éviter le vol. Il en va de même pour les caves viticoles soumises à une « recommandation d'éloignement » mais ne bénéficiant pas systématiquement de la dérogation relative à l'incompatibilité avec le voisinage. Ainsi, l'impossibilité de réaliser certaines constructions peut entraver l'activité des exploitations agricoles les plus éloignées des villages.

En dépit de ces difficultés réelles, vos rapporteurs ne sont pas favorables à une extension de la dérogation à l'ensemble des bâtiments agricoles, qui affaiblirait considérablement la portée du dispositif anti-mitage . Les solutions doivent être élaborées au cas par cas : il est de la responsabilité de l'État de procurer un accompagnement approprié aux exploitants pénalisés par la règle de continuité. Bien souvent, la recherche d'implantations alternatives n'est pas évoquée, tandis que les motifs justifiant la nécessité d'une exception sont peu développés. L'audit de 2012 mentionne même un certain nombre de dérogations accordées par les services déconcentrés en contradiction avec la jurisprudence, notamment pour des logements de fonction ou des serres, qui créent de fait des rentes de situation.

c) Le manque de capacités d'hébergement pour les saisonniers

Pour des activités fortement tributaires de la main d'oeuvre (maraîchage, arboriculture), les contraintes de la loi Littoral sont un obstacle à l'emploi de main d'oeuvre par manque de possibilités d'hébergement :

- à l'intérieur des villages, la pression immobilière est telle qu'il n'existe pas de logements vacants pour de l'habitation temporaire, d'autant plus que les besoins saisonniers correspondent globalement à la saison touristique ;

- les hameaux nouveaux intégrés à l'environnement (HNIE) ne constituent pas une réponse adaptée : outre une équation financière difficile à résoudre, la construction de bâtiments « en dur » ne répond pas au besoin temporaire de logement ; en outre, le détournement de ces bâtiments à d'autres fins qu'agricoles est alors facilité.

Une solution généralement proposée par les services de l'État est l'utilisation ou la création de campings. Cependant, le nombre de saisonniers agricoles est trop important par rapport aux capacités actuelles des campings, et cela ne répond pas au besoin des agriculteurs de disposer de leur main d'oeuvre à proximité des exploitations. En outre, l'hébergement en camping de la population saisonnière pose également un problème d'image vis-à-vis de l'activité touristique : les rythmes de vie sont notamment très différents et inadaptés à la cohabitation.

Vos rapporteurs souhaitent que la possibilité d'introduire un cas d'ouverture à l'article L. 146-5 soit étudiée , pour autoriser les conseils municipaux, lors de l'élaboration ou de la révision des PLU, à prévoir l'ouverture de terrains à vocation de logements temporaires pour les salariés saisonniers agricoles, comme cela existe déjà pour les terrains de camping ou de stationnement de caravanes. Plusieurs garde-fous sont néanmoins nécessaires :

- l'identification préalable dans un document de planification des besoins d'hébergement des exploitations agricoles en main d'oeuvre saisonnière ;

- le pastillage de zones spécifiques destinées à accueillir des constructions agricoles dans le cadre d'un projet d'ensemble ;

- l'installation de structures d'habitat léger uniquement, pour prévenir le changement de destination des terres et la pérennisation des constructions ;

- un contrôle effectif des collectivités et des actions correctives en cas de dérives ou de non-respect des règles (arrêté municipal régissant la période d'ouverture de ces logements, clôtures et points de verrouillage permettant la fermeture du site hors-saison, charte d'utilisation).

Le territoire du Pays de l'Or (dans l'Hérault), pour lequel les emplois saisonniers représentent plus de la moitié des 3 000 emplois agricoles, a initié une démarche expérimentale en ce sens . L'évaluation de ce dispositif permettra de mieux anticiper les effets de bord d'un éventuel assouplissement législatif, dont le ciblage pourrait être parallèlement affiné par un recensement exhaustif des besoins.

2. L'hôtellerie de plein air

Dès son origine, la loi Littoral a strictement encadré le développement des campings sur nos côtes. En effet, une grande partie de cette activité liée aux flux touristiques se situe en bord de mer. La Fédération nationale de l'hôtellerie de plein air (FNHPA) estime qu'entre 800 et 1 000 campings relèvent du régime de l'article L. 146-5 qui dispose : « l'aménagement et l'ouverture de terrains de camping ou de stationnement de caravanes en dehors des espaces urbanisés sont subordonnés à la délimitation de secteurs prévus à cet effet par le plan local d'urbanisme. Ils respectent les dispositions du présent chapitre relatives à l'extension de l'urbanisation et ne peuvent, en tout état de cause, être installés dans la bande littorale définie à l'article L. 146-4 ».

En pratique, la jurisprudence administrative interprète ces dispositions strictement et les gestionnaires de campings éprouvent des difficultés à obtenir des autorisations d'aménagement , que ce soit pour le renouvellement de leurs équipements (tentes, caravanes, mobil-homes), la réalisation des nécessaires mises aux normes (sanitaires, électriques, incendies) ou pour le respect des normes d'insertion paysagère introduites par la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement (loi « Grenelle II »).

La FNHPA estime par conséquent que l'application de la loi Littoral crée un climat d'insécurité juridique qui pénalise l'investissement dans le secteur . A terme, la profession dénonce le risque que les flux touristiques se détournent au profit d'autres destinations attrayantes et bon marché comme la Birmanie ou la Thaïlande, entraînant le déclin d'un secteur pourtant dynamique et créateur d'emplois sur le territoire national.

L'ÉCONOMIE DE L'HÔTELLERIE DE PLEIN AIR

L'hôtellerie de plein air est le premier mode d'hébergement touristique en France . Le nombre de nuitées a doublé en vingt ans, pour atteindre 6 millions en 2012. Le secteur a connu un fort développement quantitatif jusque dans les années 1980, puis la capacité d'accueil s'est stabilisée autour de 900 000 emplacements . Depuis les années 1990, le développement se veut davantage qualitatif. Le segment du mobil-home représente aujourd'hui près d'un tiers des emplacements. L'offre haut de gamme connaît une croissance forte : 150 campings « cinq étoiles » ont été ouverts depuis la création de cette catégorie en 2010. Cette montée en gamme est rendue nécessaire par l'intensification de la concurrence : les cinq premières destinations mondiales représentent aujourd'hui 30 % des flux touristiques, contre 70 % dans les années 1980.

Le secteur représente environ 2 Mds€ de chiffre d'affaires et se caractérise historiquement par un niveau élevé d'investissement, à hauteur de 400 M€ par an en moyenne sur les dix dernières années. La structure des 40 000 emplois du secteur est en pleine évolution. Le taux de CDI progresse régulièrement et dépasse aujourd'hui 30 %. La saisonnalité de l'activité, qui justifie traditionnellement le recours à des CDD, est désormais contrebalancée par la fidélisation de la clientèle et la volonté de conserver des employés formés, pour assurer un service de qualité.

Les exploitants de campings réclament un assouplissement de l'article L. 146-5 afin de pouvoir effectuer les aménagements nécessaires. Ils ne sont en revanche pas demandeurs de possibilités d'extensions de leurs campings, dont la capacité est jugée satisfaisante.

Vos rapporteurs ont conscience des problèmes rencontrés par l'hôtellerie de plein air en raison de l'incohérence de certaines politiques publiques. Ils ne sont cependant pas favorables à une modification de l'équilibre de l'article L. 146-5 . Les campings doivent être regardés comme des extensions de l'urbanisation : ils soulèvent les mêmes problèmes en termes de raccordement à des réseaux, de consommation d'espaces agricoles, et de fonctionnement des services publics (ramassage des ordures ménagères, création et entretien de voirie).

Le véritable enjeu, identifié de longue date, est celui du « durcissement » des campings . En effet, le code de l'urbanisme n'opère aucune distinction entre mobile home , tentes et caravanes, qui peuvent être installés indistinctement sur un emplacement. En facilitant la réalisation d'aménagements, un assouplissement de la loi Littoral risque d'encourager le remplacement des tentes en toile par des mobile homes . Or cette forme d'occupation du sol simule de plus en plus l'urbanisation en dur. Le risque est que les campings situés à proximité du rivage se transforment en villages permanents, affaiblissant ainsi l'effet utile du principe d'inconstructibilité. En limitant les possibilités de réaménagement, la loi Littoral freine cette dynamique alimentée par la spéculation foncière.

Vos rapporteurs préconisent de recenser exhaustivement les besoins réellement liés à la mise aux normes des installations en les distinguant des aménagements ayant pour finalité indirecte le durcissement. Ces deux aspects étant parfois indissociables, il conviendrait d' imposer que la mise aux normes des terrains de camping situés dans des communes littorales ne conduise pas au raccordement ultérieur de nouveaux mobile homes ou habitations légères de loisir . Cette dérogation, accordée au cas par cas par le préfet et fermement contrôlée par les services de l'État, serait similaire dans son principe à la dérogation accordée pour la mise aux normes des installations agricoles, qui plafonne les effluents d'élevage.

3. Les énergies renouvelables

Avec le développement de nouveaux usages, l'application de la loi Littoral se heurte à des difficultés qui n'avaient pas pu être anticipées à l'origine. La politique volontariste de développement des énergies renouvelables doit ainsi être conciliée avec les principes de continuité et les protections propres à la bande littorale, aux espaces remarquables et aux espaces proches du rivage. Au-delà du classique grief d'incohérence des politiques publiques, la loi Littoral peut être vue comme un élément modérateur qui limite l'extension anarchique des nouveaux dispositifs . Les dérogations sont accordées avec parcimonie et égrenées au fil du temps, ce qui permet à la fois de s'assurer de leur réelle nécessité et de les calibrer avec précision.

a) Les énergies terrestres (éoliennes et centrales photovoltaïques)

Un arrêt récent du Conseil d'État a confirmé que la construction d'éoliennes doit être regardée comme une extension de l'urbanisation et donc être implantée en continuité d'une agglomération ou d'un village existant (CE, 14 novembre 2012, Société Néo Plouvien).

L' incohérence de cette règle avec les dispositions introduites par la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement (loi « Grenelle II ») est critiquée : l'article L. 553-1 du code de l'environnement impose en effet aux éoliennes dont la hauteur de mât est supérieure à 50 mètres, un éloignement « d'une distance de 500 mètres par rapport aux constructions à usage d'habitation, aux immeubles habités et aux zones destinées à l'habitation ». Par conséquent, et sous réserve du respect des prescriptions qui peuvent être édictées pour assurer la sécurité de l'installation, l'implantation de ces éoliennes ne peut être envisagée dans les communes littorales qu'en continuité des zones urbanisées non destinées à l'habitation, comme par exemple les zones industrielles et les installations portuaires.

Dans son rapport thématique sur la politique de développement des énergies renouvelables, rendu public le 25 juillet 2013, la Cour des Comptes dénonce les conséquences pratiques de ce cumul de règles : « les autorités préfectorales ne peuvent donc délivrer des permis de construire pour des éoliennes situées dans les zones littorales, qui sont précisément celles où soufflent des vents favorables . »

L'analyse des débats parlementaires au moment de l'adoption de la loi Grenelle II montre que cette situation résulte d'une volonté délibérée du législateur : il ne s'agit pas d'un phénomène d'incohérence des politiques publiques mais bien d'une hiérarchisation des priorités . En l'état actuel du droit, l'objectif de protection de la loi Littoral l'emporte sur le développement de l'éolien terrestre . Ainsi, vos rapporteurs ne recommandent pas de soustraire la construction des éoliennes de l'application du principe de continuité , même en excluant leur implantation dans les espaces proches du rivage et les espaces remarquables.

Ce choix est cependant susceptible d'évoluer en fonction de la stratégie qui sera choisie pour accompagner la transition énergétique. En particulier, la question du renouvellement du parc existant devra être posée . On estime en effet qu'environ 500 mégawatts (MW) éoliens sont actuellement installés et exploités sur le territoire de communes littorales. L'application de la jurisprudence du Conseil d'État rendra impossible leur remplacement (« repowering ») en fin de vie, le nouveau permis de construire ne pouvant être accordé.

Bien que le juge administratif considère également qu'une centrale solaire au sol, malgré son caractère réversible, peut constituer une extension de l'urbanisation (CAA Bordeaux, 4 avril 2013), vos rapporteurs constatent que l'application du principe de continuité aux installations photovoltaïques suscite moins de débats , en raison de leur faible efficacité économique.

b) Les énergies marines (éoliennes offshore et hydroliennes)

Pour rattraper son retard, la France s'est engagée dans une stratégie ambitieuse pour le développement des énergies marines. Les contraintes de la loi Littoral ont ainsi été levées à deux reprises.

La loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement (loi « Grenelle II ») a modifié le régime de la bande littorale à l'article L. 146-4-III pour autoriser l'implantation des ouvrages de raccordement des installations marines utilisant les énergies renouvelables

Récemment, la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes a introduit une dérogation similaire dans les espaces remarquables de l'article L. 146-6 pour les canalisations du réseau public de transport ou de distribution d'électricité visant à promouvoir l'utilisation des énergies renouvelables.

Sans remettre en cause le bien-fondé des dérogations, vos rapporteurs soulignent la nécessité de veiller à un développement maîtrisé de ces installations, afin de ne pas encourager leur multiplication anarchique en bord de mer. En outre, des provisions financières sont nécessaires pour anticiper le démantèlement de ces ouvrages et de ces câbles , et permettre un retour du littoral à l'état naturel. Il s'agit d'éviter que le financement de ces opérations coûteuses soit reporté sur la collectivité en cas de disparition de l'exploitant.

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