D. DÉFINITIONS DES MISSIONS D'EUROJUST TRANSPOSÉES DANS LE CODE DE PROCÉDURE PÉNALE

La loi du 5 août 2013 a transposé dans le code de procédure pénale (art. 695-4 et suivants) les modifications introduites par la décision modificative renforçant Eurojust de 2009. On distinguera :

- les échanges d'informations qui se traduisent par une obligation d'information d'Eurojust, en la personne du membre national, pour les autorités judiciaires françaises, l'accès d'Eurojust aux fichiers nationaux, les informations transmises à Eurojust par l'OLAF et Europol, enfin, une obligation d'information des autorités nationales par le membre national aux termes de l'article 13 bis de la décision institutive ;

- la saisine de l'unité d'Eurojust qui a notamment pour conséquence la mise en oeuvre d'un certain nombre de pouvoirs du membre national et du collège d'Eurojust ainsi que l'exercice d'un certain nombre d'autres missions.

1. Les échanges d'informations

L'obligation d'information d'Eurojust par les autorités judiciaires nationales, appelle trois séries d'observations.

Tout d'abord, le champ d'application de l'obligation d'information est précisé par le code de procédure pénale.

Selon l'article 695-8-2, le membre national est informé par le procureur général, le procureur de la République ou le juge d'instruction des investigations ou procédures en cours ainsi que des condamnations relatives à des affaires susceptibles d'entrer dans le champ de compétence d'Eurojust lorsqu'elles ont donné lieu ou sont de nature à donner lieu à la transmission à au moins deux États membres de demandes ou de décisions en matière de coopération judiciaire en application, notamment, d'instruments fondés sur le principe de reconnaissance mutuelle et lorsque l'une des conditions suivantes est remplie :

• ces investigations, procédures ou condamnations portent sur une infraction punissable, dans l'un au moins des États membres concernés, d'une peine ou d'une mesure de sûreté privative de liberté égale ou supérieure à cinq ans et qui entre dans l'une des catégories suivantes :

a) traite des êtres humains ;

b) exploitation sexuelle des enfants et pédopornographie ;

c) trafic de drogue ;

d) trafic d'armes à feu, de leurs éléments et munitions ;

e) corruption ;

f) fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne ;

g) contrefaçon de l'euro ;

h) blanchiment de capitaux ;

i) attaques visant les systèmes d'information ;

• les éléments du dossier font apparaître l'implication d'une organisation criminelle ;

• les éléments du dossier font apparaître que, par leur ampleur ou leur incidence transfrontalière, les faits sont susceptibles d'affecter gravement l'Union européenne ou de concerner des États membres autres que ceux directement impliqués.

D'autre part, le membre national est informé des investigations, des procédures et des condamnations relatives aux infractions terroristes qui intéressent, ou sont susceptibles d'intéresser, au moins un autre État membre.

Le membre national est également informé :

- de la mise en place des équipes communes d'enquête et des résultats de leurs travaux ;

- de la mise en oeuvre d'une mesure de surveillance de l'acheminement ou du transport des objets, biens ou produits tirés de la commission d'une ou plusieurs infractions ou servant à les commettre lorsque la mesure concerne au moins trois États, dont au moins deux États membres ;

- des conflits de compétences avec un autre État membre et des difficultés ou refus récurrents d'exécution de demandes présentées ou de décisions prises en matière de coopération judiciaire en application, notamment, d'instruments fondés sur le principe de reconnaissance mutuelle.

Il faut noter que les autorités judiciaires nationales ne sont pas tenues de communiquer à l'unité Eurojust les informations relatives à leurs dossiers lorsque cette communication serait de nature à porter atteinte à la sécurité de la Nation ou à compromettre la sécurité d'une personne.

Deuxième point, qui est en charge de cette obligation d'information ? Depuis la loi du 5 août 2013, il ne s'agit plus seulement du procureur général, mais aussi désormais du procureur de la République ainsi que du juge d'instruction. Relevons simplement que le nouvel article 695-8-2 prévoit que le membre national est informé par le procureur général, le procureur de la République ou le juge d'instruction. Il s'agit d'un élément de souplesse qui devrait éviter les doublons dans la mise en oeuvre de l'obligation d'information.

Le troisième point a trait aux modalités de l'obligation d'information. Jusque-là, les contacts directs informels entre les magistrats français et le bureau national français d'Eurojust ont toujours été privilégiés. L'article 13 paragraphe 11 de la décision modificative sur Eurojust précise désormais que « les informations [concernées] seront transmises à Eurojust de manière structurée » .

S'agissant de l'accès aux fichiers nationaux, l'article 695-8-1 du code de procédure pénale prévoit que le membre national a accès « dans les mêmes conditions que les magistrats du ministère public, aux données contenues dans tout traitement automatisé de données à caractère personnel » .

Comme tous les magistrats de l'ordre judiciaire, les magistrats du bureau français d'Eurojust bénéficient d'un accès à l'Intranet du ministère de la justice. Ils y ont notamment accès à l'interface du Casier judiciaire national.

Ils bénéficient également d'un accès direct au fichier judiciaire national des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, au système d'information Schengen (SIS), et à l'application CASSIOPEE.

Ils peuvent également accéder indirectement, par le biais d'une interrogation du bureau de liaison EUROPOL via le réseau sécurisé SIENA, aux fichiers d'antécédents de la police nationale et de la gendarmerie nationale, au FPR (fichier des personnes recherchées), au FVV (fichier des véhicules volés), au FAED (fichier automatisé des empreintes digitales), ainsi qu'au fichier CIBLE (comparaison et identification balistique par localisation des empreintes).

S'agissant des informations émanant de l'OLAF et d'Europol, il faut préciser :

- l'article 26 de la décision Eurojust impose l'établissement de liens et de relations de coopération avec l'Office européen de lutte anti-fraude (OLAF). Si les deux entités ont des attributions différentes ( l'OLAF a, par exemple, pour mission de lutter contre la contrefaçon de pièces de monnaie libellées en euro ), elles partagent le but commun de protéger les intérêts financiers de l'Union européenne. Eurojust peut jouer un rôle important dans la coordination des enquêtes et poursuites en la matière, le cas échéant à la suite des enquêtes administratives menées par l'OLAF.

L'OLAF transmet à Eurojust les informations nécessaires lorsqu'il apparaît qu'un dossier concerne la coopération judiciaire entre deux ou plusieurs États membres, ou un seul État membre et l'Union européenne.

Le 24 septembre 2008, Eurojust et l'OLAF ont signé un accord pratique sur une coordination et une coopération accrues dans le domaine de la lutte contre la fraude, la corruption ou tout autre délit portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne ;

- qu'Eurojust et Europol ont toutes deux été créées afin de soutenir les autorités compétentes des États membres dans la lutte contre la criminalité grave transfrontalière. Cette communauté de finalité implique la mise en place des conditions d'une coopération harmonieuse entre les deux entités.

À cet effet, un nouvel accord de coopération entre les deux institutions est entré en vigueur le 1 er janvier 2010. Il permet notamment d'intensifier l'échange d'informations et d'améliorer la coopération stratégique et opérationnelle.

En ce qui concerne, enfin, l'information des autorités nationales par le membre national, elle est prévue par l'article 13 bis de la décision Eurojust au terme duquel il appartient à l'unité de transmettre aux autorités nationales compétentes les informations utiles, en assurant en particulier un retour d'informations concernant les résultats du traitement de données, notamment sur l'existence de liens avec des dossiers figurant déjà dans le système de gestion des dossiers.

Cette information constitue le pendant de l'obligation d'information d'Eurojust pesant sur les autorités judiciaires.

2. La saisine d'Eurojust

Le second aspect des activités d'Eurojust touche aux conséquences de la saisine de l'unité de coopération judiciaire .

Cette saisine autorise l'exercice de certains pouvoirs d'Eurojust soit par l'intermédiaire de ses seuls membres nationaux, soit en tant que collège.

Quelles sont les conditions de la saisine ?

L'information dont est rendu destinataire le membre national a pour objet, outre la possibilité d'effectuer des rapprochements entre plusieurs dossiers, de lui permettre d'évaluer en lien avec les autorités judiciaires nationales compétentes les objectifs et la valeur ajoutée qu'une éventuelle saisine pourrait apporter à la procédure concernée.

En accord avec les autorités judiciaires françaises, le membre national présente au collège les dossiers dont il envisage l'ouverture, pour les besoins d'une appréciation formelle de la compétence juridique de l'unité. Le dossier est ensuite traité par les membres nationaux concernés en liaison avec les autorités nationales compétentes.

Eurojust peut apporter un soutien logistique aux besoins opérationnels spécifiques aux dossiers, notamment par l'organisation de réunions de coordination avec traduction simultanée entre autorités compétentes des États membres concernés.

De manière générale, les critères pris en compte par les juridictions françaises afin d'apprécier la pertinence du recours à l'unité Eurojust doivent être ceux fixés par la décision Eurojust. En pratique, ces critères sont ceux du nombre d'États membres concernés par une enquête et la complexité des investigations à entreprendre. Pour les enquêtes impliquant plus de deux États membres et si nécessaire la mise en oeuvre de techniques d'enquête spéciales, complexes ou lourdes, ou la création d'une équipe commune d'enquête, il convient de privilégier le recours à Eurojust.

Une fois la saisine intervenue, les pouvoirs du membre national et du collège sont des pouvoirs d'information et de recommandations .

Aux termes de l'article 695-5 du code de procédure pénale, l'unité Eurojust, agissant par l'intermédiaire du membre national ou en tant que collège, peut :

- informer le procureur général des infractions dont elle a connaissance et lui demander de procéder à une enquête ou de faire engager des poursuites ;

- demander au procureur général de dénoncer ou de faire dénoncer des infractions aux autorités compétentes d'un autre État membre de l'Union européenne. Il s'agit là d'une dénonciation officielle des faits qui doit respecter les règles posées par les conventions européennes d'entraide judiciaire ;

- demander au procureur général de faire mettre en place une équipe commune d'enquête ;

- demander au procureur général ou au juge d'instruction de lui communiquer les informations issues de procédures judiciaires qui sont nécessaires à l'accomplissement de ses tâches.

Eurojust peut également, par l'intermédiaire du membre national, demander au procureur général de faire prendre toute mesure d'investigation particulière ou toute autre mesure justifiée par les investigations ou les poursuites.

L'article 695-8-5 précise encore que le membre national peut proposer au procureur général ou au procureur de la République de procéder à un certain nombre d'actes ou de requérir qu'il y soit procédé.

Il s'agit des actes :

- nécessaires à l'exécution des demandes présentées ou des décisions prises en matière de coopération judiciaire par un autre État membre,

- des actes d'investigation qui ont été considérés comme nécessaires à l'issue d'une réunion de coordination organisée par l'unité Eurojust,

- et des livraisons surveillées.

Le représentant du ministère public fait connaître, dans les meilleurs délais, au membre national la suite qu'il entend donner à sa proposition.

Autre pouvoir d'Eurojust : la faculté pour le collège de rendre un avis écrit et motivé. Selon l'article 695-5-1 :

L'unité Eurojust, agissant en tant que collège, peut adresser au procureur général ou au juge d'instruction un avis écrit et motivé sur la manière de résoudre un conflit de compétences ou sur des difficultés ou refus récurrents rencontrés dans l'exécution de demandes présentées ou de décisions prises en matière de coopération judiciaire en application, notamment, d'instruments fondés sur le principe de reconnaissance mutuelle.

Il incombe aux autorités destinataires de cet avis de se conformer aux dispositions de l'article 695-6 du code de procédure pénale qui prévoit qu'en principe, l'autorité judiciaire qui refuse de donner suite à une demande d'Eurojust doit l'informer dans les meilleurs délais de cette décision et de ses motifs.

Chaque refus de donner suite à une demande ou un avis écrit d'Eurojust doit être motivé sauf lorsque cette motivation « peut porter atteinte à la sécurité de la Nation ou compromettre la sécurité d'une personne » .

En cas de saisine, Eurojust se voit confier, le cas échéant, d'autres missions.

1) en matière de transmission des demandes d'entraide judiciaire pénale ou de décisions en application d'instruments mettant en oeuvre le principe de reconnaissance mutuelle

Sans préjudice de l'article 695-1 du code de procédure pénale, qui pose le principe de la transmission directe des demandes d'entraide entre autorités judiciaires territorialement compétentes au sein de l'Union européenne, l'article 695-7 du code de procédure pénale prévoit que « lorsqu'une demande présentée ou une décision prise en matière de coopération judiciaire en application, notamment, d'un instrument mettant en oeuvre le principe de reconnaissance mutuelle nécessite, en vue d'une exécution coordonnée, l'intervention de l'unité Eurojust, celle-ci peut en assurer la transmission aux autorités requises par l'intermédiaire du membre national intéressé » .

Cette transmission se fait par l'intermédiaire du membre national français et son opportunité doit impérativement faire l'objet d'une appréciation en concertation avec ce dernier.

2) en matière d'émission de demandes ou de décisions relatives à la coopération judiciaire

L'article 695-8-5 I. du code de procédure pénale transpose partiellement l'article 9 quater de la décision en permettant au membre national d'Eurojust, « à la demande ou avec l'autorisation de l'autorité judiciaire compétente, [de] présenter des demandes ou prendre des décisions en matière de coopération judiciaire en application, notamment, d'instruments fondés sur le principe de reconnaissance mutuelle ».

Il précise que la demande ou l'autorisation de l'autorité judiciaire compétente est écrite et ne peut porter que sur un ou plusieurs actes déterminés, et, qu'à tout moment, l'exécution de l'acte peut être interrompue par l'autorité judiciaire l'ayant demandé ou autorisé. Dès l'exécution de l'acte mentionné dans la demande ou l'autorisation, le membre national en informe cette autorité et lui adresse les pièces 'exécution, en original ou en copie selon la décision de celle-ci.

Il ouvre donc la possibilité pour le membre national, en plein accord avec le magistrat compétent, d'émettre lui-même des décisions ou des demandes, à l'initiative ou avec l'accord de l'autorité judiciaire française compétente.

3) en matière d'exécution de mandat d'arrêt européen

Eurojust peut être consultée par la chambre de l'instruction concernée lorsque plusieurs mandats d'arrêt européens ont été émis concurremment par plusieurs États membres et qu'un choix s'impose pour assurer l'exécution prioritaire de l'un d'entre eux (article 695-42 du CPP).

Par ailleurs, Eurojust doit être informée de tout dépassement du délai de 90 jours dans la mise en oeuvre de la procédure de remise au titre d'un mandat d'arrêt européen.

4) en matière d'équipes communes d'enquête

En application de l'article 695-9 du code de procédure pénale, le membre national d'Eurojust peut participer, en tant que représentant d'Eurojust, à la mise en place et au fonctionnement des équipes communes d'enquête. Il est invité à y participer lorsque l'équipe commune d'enquête bénéficie d'un financement de l'Union européenne.

Évoquons, enfin, les relations d'Eurojust avec les partenaires que sont le « réseau judiciaire européen » (RJE) ainsi qu'avec les correspondants nationaux des États membres.

Eurojust entretient avec le RJE des relations fondées sur la concertation et la complémentarité, notamment entre le membre national, les points de contact nationaux et, le cas échéant, les correspondants nationaux.

Afin de garantir une coopération efficace, Eurojust a accès aux informations recueillies au niveau central par le RJE conformément aux dispositions de l'action commune instituant ce réseau.

En application de la décision institutive d'Eurojust, chaque État membre doit désormais désigner un ou plusieurs correspondants nationaux.

Les relations entre le correspondant national et les autorités compétentes des États membres sont régies par le droit national. C'est le directeur des affaires criminelles et des grâces qui, pour la France, a été désigné en qualité de correspondant national en matière de terrorisme, de même que le chef du Bureau de l'entraide pénale internationale (BEPI).

En application de la décision précitée, les États membres doivent également mettre en place un système national de coordination Eurojust.

Aux termes de l'article 12 § 5 de la décision Eurojust, le système national de coordination Eurojust (SNCE) facilite, au sein de l'État membre, l'accomplissement des tâches d'Eurojust et notamment en veillant à ce que le système de gestion des dossiers d'Eurojust reçoive les informations nécessaires d'une manière efficace et fiable, en contribuant à déterminer si un dossier doit être traité avec l'aide d'Eurojust ou du RJE, et en aidant le membre national à déterminer les autorités compétentes pour l'exécution des demandes de coopération judiciaire et des décisions dans ce domaine.

En France, c'est la direction des affaires criminelles et des grâces qui joue le rôle de SNCE.

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