B. LA DÉPENDANCE ÉNERGÉTIQUE ET HYDRAULIQUE

L'économie jordanienne est marquée par son extrême dépendance énergétique (95 % de l'énergie est importée) et hydraulique. De nombreuses pannes affectent d'ailleurs le fonctionnement du pays ; les livraisons de gaz égyptien sont ainsi régulièrement interrompues en raison de sabotages dans le Sinaï. Le partenariat avec l'Union européenne, via notamment l'Union pour la Méditerranée, doit permettre de favoriser son désenclavement énergétique et faciliter son accès à l'eau en lui permettant de trouver les financements adéquats.

1. L'indispensable développement des énergies renouvelables

La Jordanie est partie prenante du « plan solaire méditerranéen » (PSM). Lancé en novembre 2008, celui-ci explore les possibilités de développer des sources d'énergie alternatives dans la région méditerranéenne. L'objectif affiché est d'atteindre une puissance installée totale de 20 GW à l'horizon 2020, dont 5 GW à réexporter vers l'Europe. Il s'agit à la fois de répondre en grande partie aux besoins des pays producteurs d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient et de couvrir jusqu'à presque 20 % de la demande d'électricité en Europe. Les besoins de financement sont évalués à environ 50 milliards d'euros, en intégrant les coûts de raccordement du réseau. Il s'agit de répondre en grande partie aux besoins des pays. Le PSM devrait être progressivement décliné en plans solaires nationaux dans les différents pays partenaires méditerranéens. L'Union pour la Méditerranée a, dans le même temps, apporté son soutien au consortium industriel Desertec , qui prévoit l'exploitation du potentiel énergétique des déserts. Ce projet est également appuyé par un réseau international de scientifiques, d'hommes politiques et d'experts dans le domaine des énergies renouvelables et de leurs développements, la Coopération transméditerranéenne pour l'énergie renouvelable (TREC), dont le prince Hassan de Jordanie, oncle du Roi Abdalah II, est membre.

Reste que ces projets sont tributaires d'un marché européen de l'énergie encore peu intégré et de l'absence de synergies en la matière entre les pays de la rive sud de la Méditerranée. La conférence EuroMed sur l'énergie organisée le 11 décembre 2013 n'a ainsi pas pu déboucher sur la mise en place d'une stratégie de mise en oeuvre ( Master Plan ) du PMS. L'Espagne et, dans une moindre mesure, l'Italie semblent assez réservées sur un dispositif qui risquerait, selon elles, de faire pression sur leurs marchés intérieurs. Madrid estime que son propre marché souffre déjà d'une surcapacité et craint que le prix de l'énergie venant de la rive sud soit moins cher que celui qu'elle produit. Elle note en outre l'absence d'interconnexion entre elle et la France, ce qui empêcherait les flux énergétiques méditerranéens de remonter vers le nord du continent. C'est à l'aune de ces éléments qu'elle a émis un veto au lancement du Master Plan . Le coût du PSM est également sujet à interrogation au regard de son efficacité. Sa déclinaison marocaine, installée à Ouarzazate en novembre 2009, produit aujourd'hui une énergie solaire plus coûteuse que celle produite sur le continent.

Ces incertitudes régionales n'altèrent pas le souhait de la Jordanie de progresser dans le domaine des énergies renouvelables, avec l'appui notable de l'Union européenne. Le programme relatif aux énergies renouvelables et à l'efficacité énergétique a ainsi porté sur un montant de 35 millions d'euros sur la période 2011-2013. Cette aide vise notamment à mettre en oeuvre la stratégie énergétique nationale portée depuis 2007 par le demi-frère du Roi, le prince Hamzah. Celle-ci vise à faire passer la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique de 1,5 % en 2007 à 7 % en 2015 puis 10 % en 2020. Une feuille de route sur l'efficacité énergétique adoptée en 2010 et une loi destinée à la mettre en pratique, promulguée en avril 2012, viennent compléter le dispositif réglementaire. Le gouvernement a, dans cette optique, annoncé en février 2013 la mise en place de deux projets : la centrale solaire photovoltaïque de Mafraq et la ferme éolienne de Tafileh. Cette dernière, dont le coût est estimé à 211 millions d'euros, bénéficie du label Union pour la Méditerranée 3 ( * ) . Il convient de relever que d'autres projets sont directement financés par l'aide financière de 3,64 milliards d'euros sur cinq ans du Conseil de coopération des États du Golfe, qu'il s'agisse du parc éolien de Ma'an ou de la centrale photovoltaïque située à Quweira, près d'Aqaba.

2. Le défi hydraulique

La Jordanie est depuis 2013 le troisième pays le plus pauvre au monde en termes de ressources en eau. Les ressources en eau par habitant et par an atteignent ainsi à peine 133 mètres cubes. L'Organisation mondiale de la santé estime qu'un pays est en situation de pénurie dès lors que ses ressources ne dépassent pas 1 000 mètres cubes par habitant et par an. De fait, les ressources sont satisfaisantes pour 2 millions d'habitants alors que plus de 7,5 millions de personnes résident sur le territoire. L'aquifère de Disi qui alimente Amman est ainsi appelé à s'épuiser d'ici à cinquante ans. Dans les quartiers populaires de la capitale, l'eau n'est d'ailleurs disponible que 28 heures par semaine. L'afflux de réfugiés syriens dans le nord du pays devrait contribuer à fragiliser un peu plus la situation dans cette région (30 litres par jour sont servis à chaque réfugié). Les réserves pourraient ainsi être insuffisantes dès 2018.

Estimation des manques d'eau en Jordanie entre 2015 et 2035

Année

Manque d'eau
(en millions de mètres cubes)

2015

4,8

2020

66,3

2025

120,9

2030

179,3

2035

242

Source : Ministère de l'eau et de l'irrigation / Autorité de la Vallée du Jourdain

La Jordanie dépense déjà environ 5 % de son PIB pour l'eau. Le citoyen ne peut pas avoir accès à l'eau potable sans subvention de l'État. 5 à 8 % de ses revenus visent à régler cette facture. À l'instar de l'énergie, la raréfaction des ressources en eau constitue un réel obstacle au développement économique.

C'est dans ce contexte que les ministres en charge de l'eau jordanien, israélien et palestinien ont signé à Washington le 9 décembre 2013 un mémorandum d'accord sur les échanges d'eau entre les trois pays, sous l'égide de la Banque mondiale. Le document prévoit :

- le dessalement à Aqaba, au sud de la Jordanie, de 80 millions de mètres cubes d'eau en provenance de la Mer rouge. 30 millions de mètres cubes reviendraient à la Jordanie, le restant étant acheté par Israël ;

- la vente de 50 millions de mètres cubes d'eau du Lac de Tibériade à la Jordanie ;

- la vente de 20 à 30 millions de mètres cubes d'eau par an d'Israël à l'Autorité palestinienne pour une utilisation en Cisjordanie. Cette eau en provenance de la Méditerranée est dessalée en Israël.

Le mémorandum d'accord constitue la première étape du projet « Mer Rouge - Mer Morte » destiné à augmenter les ressources en eau de la région tout en tentant de juguler l'assèchement de la mer Morte, en voie de disparition. Celle-ci a en effet perdu un tiers de sa masse d'eau en vingt ans, et pourrait être asséchée d'ici 2050. L'exploitation intensive des eaux du Jourdain, principal fleuve qui l'alimente, depuis les années soixante mais aussi la présence sur ses rivages de nombreux bassins d'évaporation, utilisés pour l'extraction de minéraux précieux, ont contribué à cette dégradation. Le niveau de la mer Morte, dont le littoral est partagé entre la Jordanie, Israël et la Cisjordanie baisse ainsi d'environ un mètre par an. Le projet « Mer Rouge - Mer Morte » prévoit en conséquence la mise en place d'une canalisation reliant l'usine de dessalement d'Aqaba à la mer Morte, vers laquelle pourraient être transférées les saumures produites.

Évolution de la taille de la mer Morte

Année

Surface
(en kilomètres carrés)

Profondeur
(en mètres)

1960

1020

- 390

2006

635

- 420

2050

520

- 550

Source : Ministère de l'eau et de l'irrigation / Autorité de la Vallée du Jourdain

Le projet d'usine de dessalement d'Aqaba bénéficie déjà du « label Union pour la Méditerranée ». Cette labellisation permet d'appuyer les demandes de financement extérieur pour un projet dont le coût est estimé à 437 millions d'euros. 48 millions d'euros pourraient être apportés directement par l'Union européenne. Au coût de l'usine, il convient d'ajouter celui de la canalisation vers la mer Morte, estimé entre 218 et 291 millions d'euros et qui pourrait être supporté par des dons en provenance des pays du Golfe. Les premiers appels d'offres internationaux devraient être lancés d'ici à la fin 2014 et le chantier pourrait être achevé à l'horizon 2018.

Reste une interrogation sur les conséquences écologiques de cette opération de sauvegarde de la mer Morte. Des organisations écologistes relèvent qu'elle pourrait modifier la composition chimique unique de la mer Morte, formant des cristaux de gypse et introduisant des éclosions d'algues rouges.


* 3 L'Union pour la Méditerranée a également labellisé la construction d'un réseau ferroviaire. Il permettra de connecter à partir de 2017 le Royaume hachémite au réseau turc et donc à l'Europe.

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