Rapport d'information n° 504 (2013-2014) de M. Simon SUTOUR , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 6 mai 2014

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N° 504

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 mai 2014

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur le statut avancé de la Jordanie auprès de l' Union européenne ,

Par M. Simon SUTOUR,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM.  Alain Bertrand, Michel Billout, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Paul Emorine, Mme Fabienne Keller, M. Philippe Leroy, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Mme Françoise Boog, Yannick Botrel, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Mme Sophie Joissains, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Jacques Lozach, Mme Colette Mélot, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Mme Catherine Tasca.

AVANT-PROPOS

La dixième session plénière de l'Assemblée parlementaire de l'Union pour la Méditerranée, qui s'est tenue sur les bords de la Mer morte les 8 et 9 février 2014, a permis de mettre en lumière les liens qui unissent la Jordanie et l'Union européenne depuis 1977. Le Royaume hachémite, qui comme le Maroc bénéficie du statut avancé auprès de l'Union européenne, constitue un partenaire clé dans une région marquée par le conflit israélo-palestinien depuis des décennies et, plus récemment, par la guerre civile en Syrie.

C'est à l'aune de ces événements mais aussi du « printemps arabe », que les relations entre l'Union européenne et la Jordanie ont évolué ces dernières années, avec, en filigrane, l'objectif élevé de renforcer l'adhésion du pays aux valeurs démocratiques, mais aussi de juguler la crise économique et la dépendance énergétique et hydraulique qui l'affectent.

L'éclairage porté sur la coopération entre l'Union européenne et les pays du Maghreb ne doit pas occulter ce partenariat original au sein d'une région souvent résumée à un « terrain de jeu » militaire américain ou à une « chasse gardée » des pétromonarchies du Golfe. Il doit notamment permettre au Royaume hachémite d'avancer sur des projets concrets.

Le présent rapport vient compléter le document publié par la commission des affaires européennes en octobre 2013 sur la politique méditerranéenne de l'Union européenne et sa déclinaison au Maroc et en Tunisie.

La Jordanie en quelques chiffres

Superficie : 92 300 km 2

Population : 6 388 000 habitants (hors réfugiés syriens)

Indice de fécondité : 3,5 enfants par femme

Densité : 71,9 habitants au km 2

PIB (2012) : 22,35 milliards d'euros

Part des principaux secteurs d'activités dans le PIB (2011) :

- Agriculture : 4,5 %

- Industrie : 30,8 %

- Services : 64,7 %

PIB par habitant en SPA (2012) : 3 497 euros 1 ( * )

Taux de croissance (2012) : 2,7 %

Solde budgétaire (2012) : - 8,2 %

Taux d'endettement (2012) : 75 ,5 % du PIB

Taux d'inflation (2012) : 4,8 %

Taux de chômage (2012) : 12,5 %

Principaux clients : États-Unis, Irak, Inde, Arabie Saoudite, Liban

Principaux fournisseurs : Arabie Saoudite, Chine, USA, Italie, Allemagne

I. UN PARTENARIAT AVEC L'UNION EUROPÉENNE EN CONSTANTE ÉVOLUTION

Mis en place dès 1977, le partenariat entre l'Union européenne et la Jordanie a débouché sur l'octroi du statut avancé au royaume hachémite en 2010. Le « printemps arabe » et la guerre civile en Syrie ont, par la suite, contribué à redéfinir et majorer les contours de l'aide accordée à Amman.

A. DE L'ASSOCIATION AU STATUT AVANCÉ

1. Un changement progressif de statut...

Le premier accord de coopération entre la Jordanie et la Communauté européenne remonte à 1977, avant que le pays ne bénéficie à partir de 1995 du programme MEDA. L'Union européenne a, dans le même temps, consacré d'importantes ressources financières afin que le partenariat avec la Jordanie puisse atteindre ses objectifs. 500 millions d'euros ont ainsi été versés durant cette période au titre de l'assistance financière de l'Union.

Deuxième étape de cette coopération, l'accord d'association entre l'Union européenne et le Royaume hachémite de Jordanie, négocié en 1997, est entré en vigueur en mai 2002. Il constitue la base juridique des relations entre Bruxelles et Amman et vise à la fois à favoriser le dialogue politique, la libéralisation progressive du commerce et la promotion de la coopération dans un large éventail de secteurs.

À partir de 2000, le programme MEDA II a été axé sur la mise en oeuvre de l'accord d'association tout en aidant la Jordanie à faire face à différents défis socio-économiques et institutionnels. Le Programme indicatif national (PIN) 2002-2004 pour la Jordanie avait ainsi pour priorité le renforcement des échanges commerciaux et le soutien aux réformes économiques, le développement des ressources humaines et le renforcement du pluralisme, de la société civile et l'État de droit. Le PIN 2005-2006 était, quant à lui, concentré sur l'amélioration des conditions de vie et le développement des infrastructures.

Un nouveau cap a été franchi avec l'adoption, en juin 2005 du premier plan d'action Union européenne - Jordanie, censé contribuer au développement des relations bilatérales en ouvrant la voie à plusieurs initiatives de l'Union européenne. Celui-ci a facilité l'octroi en octobre 2010 du statut de partenaire avancé à la Jordanie. Seul le Maroc bénéficiait jusqu'alors d'un tel statut. Un nouveau plan d'action Union européenne - Jordanie d'une durée de cinq ans a été dans le même temps mis en place.

2. ... et une augmentation concomitante des financements européens

Cette évolution institutionnelle des relations entre Bruxelles et Amman s'inscrit, par ailleurs, dans le contexte de la réforme du financement de la politique méditerranéenne de l'Union européenne et du lancement en 2007 de l'Instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP). L'Instrument européen de voisinage et de partenariat est le principal mécanisme financier par lequel l'aide est accordée à la Jordanie, sur une base bilatérale ou régionale. Deux programmes indicatifs nationaux ont défini les priorités de la coopération financière Union européenne - Jordanie pour les périodes 2007-2010 et 2011-2013.

L'assistance financière de l'Union européenne en faveur de la Jordanie dans le cadre du PIN 2007-2010 a été de 265 millions d'euros. Elle s'est concentrée sur quatre objectifs prioritaires:

- le renforcement des institutions et la stabilité financière (130 millions d'euros) ;

- le développement du commerce, de l'entreprise et des investissements (63 millions d'euros) ;

- la durabilité du processus de croissance (55 millions d'euros) ;

- la réforme politique et la bonne gouvernance (17 millions d'euros).

Pour la période 2011-2013, la dotation européenne s'est élevée à 223 millions d'euros en vue de soutenir la Jordanie dans les domaines suivants :

- la durabilité du processus de croissance (93 millions d'euros) ;

- la démocratie, les droits de l'Homme, les médias et la justice (45 millions d'euros) ;

- la mise en oeuvre du plan d'action (45 millions d'euros) ;

- le développement du commerce, de l'entreprise et des investissements (40 millions d'euros).

Outre les projets bilatéraux financés par l'IEVP, la Jordanie est également éligible à des fonds supplémentaires au titre des programmes thématiques et d'autres instruments de l'Union européenne , notamment l'Instrument européen pour la démocratie et les droits de l'Homme et le soutien aux acteurs non-étatiques et autorités locales dans le développement. Plus de 30 projets sont actuellement mis en oeuvre en Jordanie au titre de ces deux instruments thématiques.

La Jordanie bénéficie également des avantages du programme Erasmus Mundus , lequel vise à améliorer la mobilité et la coopération avec l'Union européenne dans le domaine de l'enseignement supérieur, ainsi que de ceux du programme Tempus , qui soutient la modernisation de l'enseignement supérieur.

Enfin, l'Union européenne a accordé à la Jordanie, en octobre 2013, une aide macro-financière de 180 millions d'euros sous la forme d'un prêt à moyen terme. Celui-ci devrait être versé en deux temps en 2014 : 80 millions d'euros au premier trimestre puis 100 cinq mois plus tard. Le Mémorandum d'accord insiste sur quatre priorités :

- la mise en place d'une nouvelle loi fiscale, dotée de la plus grande progressivité possible ;

- l'ouverture à de nouveaux secteurs de la loi sur l'investissement ;

- la mise en place de meures compensatrices au sein de la loi sur la sécurité sociale, compte tenu de la suppression d'un certain nombre de subventions ;

- la mise en place d'un bureau d'audit dans le cadre des mesures de gestion budgétaire mises en place.

Cette aide conditionnée reste cependant délicate à mettre en oeuvre compte tenu des décisions politiques difficiles qu'elle implique en matière de libéralisation des secteurs de l'eau et de l'électricité jusque-là fortement subventionnés. La Banque européenne d'investissement a, de son côté, octroyé un prêt de 5 millions d'euros destiné à un fond de capital-investissement en faveur des PME.

À l'initiative de l'Union européenne, la Jordanie est devenue, fin 2011, membre de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement qui a ouvert un bureau à Amman le 25 avril 2012. Celle-ci a investi 30 millions de dollars (21,6 millions d'euros) dans le système bancaire jordanien et octroyé un prêt de 150 millions de dollars (108,1 millions d'euros) destiné à la construction d'une centrale électrique. La Jordanie a obtenu le statut de pays d'opération le 4 novembre 2013 qui permet aux acteurs publics et privés jordaniens de bénéficier des financements de la Banque.

3. Les jumelages : matérialisation de la coopération entre l'Union européenne et la Jordanie

En octobre 2002, l'Union européenne et la Jordanie ont signé le premier Programme de soutien à l'accord d'association (20 millions d'euros). L'accord visait à améliorer les capacités institutionnelles de l'administration jordanienne afin qu'elle puisse traiter de tous les aspects de l'accord d'association. Six projets de jumelage ont démarré dans les domaines suivants : sécurité des aliments, phytosanitaires, normalisation et métrologie, douanes et Bureau de l'Audit.

Un deuxième programme d'appui à l'accord d'association a été conclu en octobre 2005 (15 millions d'euros). Quatre projets de jumelage ont démarré dans les domaines suivants: renforcement des capacités pour le Centre National de Recherche sur l'Énergie nationale, sécurité/lutte contre le terrorisme, réforme pénitentiaire et environnement.

Un troisième programme a été signé en 2009 avec une enveloppe budgétaire de 10 millions d'euros. En vertu de ce programme, cinq projets de jumelage ont démarré dans les domaines suivants : agriculture, télécommunications, évaluation de la conformité et l'acceptation des produits industriels, système des cadastres et renforcement des capacités de la gendarmerie. Un quatrième programme similaire d'une valeur de 20 millions d'euros a été signé en 2011.

Deux jumelages entre les gendarmeries française et jordanienne ont ainsi pu être mis en place. Le second, en partenariat avec la Suède, a officiellement démarré le 15 janvier 2014. Il bénéficie d'une subvention européenne de 1,1 million d'euros et doit, au terme d'une formation de 15 mois, permettre de faire émerger une force répondant aux standards européens, respectant l'État de droit et les droits de l'Homme. Composée de 25 000 hommes, la gendarmerie jordanienne contribue à la préservation de l'ordre public, à la protection des infrastructures critiques ainsi qu'à la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Elle participe également à des opérations de maintien de la paix des Nations unies.

La France pilote également un jumelage européen de soutien à l'institut de sécurité routière jordanien, dont le lancement est intervenu le 22 janvier 2014. Financé à hauteur de 950 000 euros par l'Union européenne, il devrait s'étaler sur quinze mois et fait également intervenir des experts autrichiens et suédois. La sécurité routière constitue une priorité en Jordanie compte tenu du nombre élevé d'accidents : 120 000 chaque année, soit 800 morts et 15 000 blessés.

Un accord de jumelage a été signé le 11 décembre 2012 entre les Cours de cassation française et jordanienne. Le 1 er jumelage européen dans le domaine des télécommunications piloté par la France a, de son côté, été clôturé en septembre 2013. Lancé en octobre 2011 et doté d'un financement de 1,4 million d'euros, il avait pour ambition de rapprocher le cadre réglementaire des communications électroniques jordanien de celui de l'Union européenne. Il visait notamment à préparer la migration vers la télévision numérique ou à appréhender la gestion de la signature électronique. L'Espagne et l'Italie étaient également associées à ce dispositif.

B. UNE AIDE ADAPTÉE POUR ACCOMPAGNER LE PRINTEMPS ARABE ET LES CONSÉQUENCES DE LA GUERRE CIVILE EN SYRIE

La Jordanie a également bénéficié, après le « printemps arabe » du programme communautaire SPRING destiné à appuyer la transition politique sur la rive sud de la Méditerranée : 70 millions d'euros ont ainsi été versés en 2012 puis 21 millions d'euros en 2013. Ce fonds de soutien au partenariat, à la réforme et à la croissance inclusive est doté à l'échelle européenne de 350 millions d'euros. Les initiatives soutenues par ce programme se concentrent sur les défis socio-économiques urgents auxquels doivent faire face les pays concernés par le « printemps arabe » (60 % des crédits) et sur l'accompagnement du processus de transition démocratique (40 % des crédits). Les financements s'effectuent sur la base d'une évaluation des avancées du pays en matière démocratique, selon le principe « More for more ». Plus un pays est engagé sur la voie de la modernisation politique et institutionnelle, plus le financement est important. Outre la Jordanie, l'Égypte, le Maroc et la Tunisie bénéficient des crédits du programme SPRING. Cet appui aux réformes politiques demeure néanmoins tributaire des engagements des autorités jordaniennes, le processus de démocratisation semblant désormais passer au second plan derrière la crise syrienne.

À cet égard, l'Union européenne contribue financièrement depuis 2011 à l'accueil des réfugiés syriens en Jordanie. Près de 600 000 personnes ont en effet franchi la frontière depuis le début de la guerre civile. Une aide spécifiquement humanitaire est destinée à financer les abris, l'hygiène et la santé notamment (114 millions d'euros au titre du programme ECHO). 30 millions d'euros ont notamment été concentrés sur l'aide à la scolarisation des enfants syriens en Jordanie, avec l'appui de l'UNICEF. L'Union européenne privilégie désormais l'appui aux forces de sécurité jordaniennes via une aide à l'achat de matériel de transport estimée à 8 millions d'euros ainsi qu'une subvention de 12 millions d'euros en faveur de la sécurisation du camp de Za'tari. Il s'agit de faciliter la lutte contre les phénomènes de types mafieux qui peuvent y prospérer, voire de combattre la prostitution et le trafic de jeunes filles qui s'y développent. Des actions de développement sont parallèlement menées dans les villes accueillant des réfugiés (107 millions d'euros destinés notamment à l'éducation et à la création d'emploi via l'IEVP ou le programme SPRING). Ainsi, comme les Nations unies, Bruxelles fait évoluer l'aide qu'elle octroie, passant d'une logique humanitaire à une logique de développement comme en témoignent ses récents soutiens au financement de micro-entreprises (5 millions d'euros) ou au ramassage des ordures dans les camps du nord du pays.

Aux efforts de l'Union européenne sur cette question s'ajoutent également les aides bilatérales des États membres, qu'il s'agisse du Royaume-Uni (600 millions d'euros pour l'ensemble des pays hôtes depuis le début de la crise), l'Allemagne (300 millions d'euros), la Suède, les Pays-Bas ou le Danemark.

C. LES PROCHAINES ÉTAPES : L'ACCORD DE LIBRE-ÉCHANGE COMPLET ET APPROFONDI ET LE PARTENARIAT POUR LA MOBILITÉ

La dixième session du Conseil d'Association Union européenne - Jordanie s'est tenue à Bruxelles le 19 décembre 2012. L'Union européenne a constaté les réformes engagées par la Jordanie et marqué son soutien à leur poursuite dans les domaines de l'État de droit, de la gouvernance et des droits de l'Homme. Les autorités jordaniennes ont autorisé le déploiement d'une mission d'observation électorale de l'Union européenne durant les élections législatives du 23 janvier 2013.

Les récentes visites en Jordanie de la Haute représentante en juin 2013, ainsi que celles de la commissaire en charge de la coopération internationale, de l'aide humanitaire et de la réaction aux crises en janvier et en mai 2013 ou du commissaire en charge de l'élargissement et de la politique européenne de voisinage en juin 2013 illustrent ce soutien fort de l'Union européenne. De son côté, le Roi Abdallah II s'est rendu à Bruxelles le 5 décembre 2013.

L'accord d'association entre l'Union européenne et la Jordanie signé en 2002 a permis une expansion des échanges commerciaux qui ont atteint 3,8 milliards d'euros en 2012, dont 342 millions d'euros d'exportations jordaniennes à destination de l'Union. La Jordanie est, par ailleurs, signataire de l'Accord d'Agadir lancé en mars 2008 qui prévoit la mise en place d'une zone de libre-échange entre l'Union européenne, l'Égypte, le Maroc et la Tunisie. À l'instar des démarches entreprises avec les autorités marocaines et tunisiennes, la Commission européenne souhaite désormais l'ouverture des négociations en vue de la signature d'un accord de libre-échange complet et approfondi entre elle et le Royaume hachémite, avec une reprise des normes communautaires (convergence réglementaire).

Une mission exploratoire d'experts européens a été envoyée à cet effet à Amman le 6 novembre 2013. Les discussions techniques se focalisent pour l'heure sur les règles d'origine, les barrières non-tarifaires (normes et certifications, en particulier dans le domaine phytosanitaire) et les marchés publics. Les autorités jordaniennes souhaitent obtenir des dérogations sur 57 produits, en rappelant le déséquilibre accru des échanges depuis l'entrée en vigueur de l'accord d'association avec l'Union européenne. Bruxelles constate par ailleurs que la Jordanie déroge à l'accord Aviation civile Union européenne - Jordanie en imposant des taxes sur l'importation de pièces détachées d'aéronefs. Plus largement, il convient d'insister sur la faiblesse des exportations jordaniennes afin de conférer à cet accord une véritable plus-value pour Amman. Le pays souffre aujourd'hui d'un problème de commercialisation de ses produits et de promotion.

Aucun calendrier n'est par ailleurs fixé pour la signature d'un Partenariat pour la mobilité, même si la représentation permanente de l'Union européenne à Amman estime qu'un tel document pourrait être paraphé d'ici à la fin de l'année 2014. Ce partenariat doit permettre de mieux gérer la mobilité des personnes pour des séjours de courte durée, de lutter contre la migration irrégulière et la traite des êtres humains, de renforcer la coopération en matière de migrations et de développement, et d'accueil des réfugiés conformément aux normes internationales. Le Maroc et la Tunisie ont déjà signé un accord semblable. Même si les migrations de Jordaniens en direction de l'Union européenne demeurent limitées, l'intérêt pour cet accord redouble à l'aune de la crise syrienne et de l'attrait que représente l'Europe pour les réfugiés : 58 375 demandes d'asile ont été formulées par des réfugiés syriens auprès de l'Union européenne entre avril 2011 et septembre 2013.

L'engagement européen en Jordanie contraste cependant avec la réalité des échanges et des flux financiers entre ce pays et l'Union européenne. Le statut avancé qui lui a été accordé surévalue les liens qui unissent la Jordanie et l'Union européenne. Bruxelles n'est que le troisième pourvoyeur d'aides au Royaume hachémite, derrière les pays du Golfe et les États-Unis. Seul un quart des échanges commerciaux du pays sont assurés avec l'Union européenne. Si la Jordanie partage le même statut que le Maroc avec l'Union européenne, les réalités qu'il recouvre sont d'une autre nature, tant en matière économique que d'avancées politiques, dans un contexte régional bien évidemment plus complexe. L'Union européenne peine par ailleurs à mettre en oeuvre les mécanismes de dialogue et de consultation qu'elle a su susciter dans les pays du Maghreb, qu'il s'agisse du Maroc ou de la Tunisie. La communauté d'affaires se plaint, en effet, de ne pas être assez associée aux discussions sur l'ALECA par exemple. Des réserves semblables semblent également exprimées par les organisations non gouvernementales de défense des droits de l'Homme.

En dépit de ces réserves, il convient cependant d'insister sur la qualité du dialogue politique entre le Royaume hachémite et l'Union européenne . Amman a ainsi appuyé un certain nombre de positions européennes au sein des Nations unies, notamment au sein du Conseil des droits de l'Homme, dont la Jordanie a été membre entre 2011 et 2012. Cette coopération devrait se poursuivre alors que le pays est devenu membre non-permanent du Conseil de sécurité de l'Organisation en 2014. La Jordanie co-préside par ailleurs l'Union pour la Méditerranée (UpM) depuis juin 2012 , date à laquelle elle a succédé au Maroc. Son rôle efficace en faveur de la participation d'organisations non gouvernementales aux débats de l'UpM sur le droit des femmes ou sa tentative de préserver le plan solaire méditerranéen en dépit du veto espagnol en décembre 2013 sont ainsi à porter à son crédit.

II. UN PARTENARIAT BIENVENU DANS UN PAYS SOUS ASSISTANCE FINANCIÈRE

A. UNE ÉCONOMIE FRAGILISÉE PAR LA CRISE MONDIALE ET LE CONTEXTE RÉGIONAL

Déjà fragilisée par la crise financière internationale, la Jordanie subit désormais les conséquences du « printemps arabe » et de la guerre civile en Syrie (1 point de PIB sur trois ans selon les Nations unies) qui affectent à la fois commerce extérieur et flux touristique. La fréquentation touristique du site de Petra a ainsi été divisée par deux depuis 2011 passant de 1 million de visiteurs annuels avant la guerre à 500 000 fin 2013. Or, la contribution du tourisme au PIB est évaluée à 40 % 2 ( * ) . La croissance annuelle de l'activité du pays établie à 8 % entre 2004 et 2008 tourne dans ces conditions autour de 3 %, taux à rapprocher de celui de l'augmentation annuelle de sa population (2,2 %). Cette performance économique, qui reste assez bonne si on la compare aux pays voisins, ne saurait néanmoins masquer un taux de chômage relativement haut : 14 % de la population active en 2013 - seules 15 % des femmes travaillent - et une inflation de l'ordre de 5,6 % en 2013 qui érode le pouvoir d'achat. Le salaire moyen s'élève quant à lui à 250 dinars jordaniens (245 euros environ).

Afin de répondre à la crise et éviter que la contestation sociale ne se traduise en révolte politique, les autorités jordaniennes ont, en 2011, adopté des mesures d'urgence : subventions visant les produits alimentaires de base, majoration des salaires et des pensions dans la fonction publique et gel du prix de l'essence. L'impact financier de ces dispositions ont conduit le gouvernement à réviser cette politique, contraint notamment par ses bailleurs de fonds. La réponse à la crise est en effet également passé par un endettement important - 88 % du PIB en 2013 contre 75,5 % en 2012 - et un soutien financier de la plupart de ses partenaires : Fonds monétaire international, Banque mondiale, États-Unis, pays du Golfe, Union européenne, Japon et France.

Les pays du Golfe (Arabie Saoudite, Émirats arabes unis, Koweït et Qatar, même si ce dernier est moins allant), réunis au sein du Conseil de coopération des États arabes du Golfe ont ainsi dégagé en 2012 une enveloppe de 5 milliards de dollars par an sur 5 ans (3,6 milliards d'euros) dédiée à la coopération avec la Jordanie. De fait, la contribution de ces pays aux investissements publics jordaniens est désormais supérieure à 50 %. Les États-Unis ont de leur côté versé une aide civile de 500 millions de dollars (360,1 millions d'euros) en 2013, somme à laquelle il convient d'ajouter 300 millions de dollars (216,2 millions d'euros) au titre de l'aide militaire. L'Union européenne a également accordé une aide macro-financière de 180 millions d'euros le 26 novembre 2013 qui vient s'ajouter aux subventions déjà accordées dans le cadre la politique de voisinage (223 millions d'euros entre 2011 et 2013), au programme SPRING pour l'accompagnement de la transition démocratique (93 millions d'euros entre 2012 et 2013) et à l'aide humanitaire (114 millions d'euros au titre du programme Echo ). Au final, l'aide extérieure du pays atteignait 1,623 milliard de dollars (1,169 milliard d'euros) fin 2013 (1,2 milliard de dollars en 2012 - 865 millions d'euros).

À ces aides il convient d'ajouter des prêts. Le FMI a ainsi ouvert, le 3 août 2012, une ligne de crédit de 2 milliards de dollars sur trois ans (1,44 milliard d'euros), conditionnée à l'adoption de réformes structurelles visant la fiscalité, la formation professionnelle ou les subventions. C'est dans ce contexte qu'est intervenue l'augmentation des tarifs de l'électricité le 15 août 2013. Cette hausse, étalée sur quatre ans, a néanmoins été limitée pour l'heure aux seules entreprises. Elle fait suite à une augmentation des prix du carburant enregistrée en novembre 2012 qui avait suscité de nombreuses manifestations dans le pays. La hausse progressive des tarifs de l'électricité est censée éviter toute crispation sociale.

1,03 milliard de dollars (740 millions d'euros) a déjà été versé par le FMI. L'Union européenne a, de son côté, décidé d'octroyer un prêt de 180 millions d'euros le 26 novembre 2013. Le Japon a ouvert deux lignes de crédits de respectivement 156 millions de dollars (112,5 millions d'euros) et 120 millions de dollars (86,54 millions d'euros), cette dernière étant dédiée à la consolidation budgétaire. La Banque mondiale a accordé un crédit de 150 millions de dollars (108,16 millions d'euros). L'agence française de développement a octroyé un prêt de 150 millions d'euros. La garantie du Trésor américain a par ailleurs permis à la Jordanie d'emprunter 1,25 milliard de dollars (910,4 millions d'euros) sur les marchés. La Russie a privilégié les investissements dans le nucléaire jordanien. Il s'agit, pour elle, de renforcer son influence dans la région, au-delà de ses liens avec la Syrie.

Dons et prêts de la communauté internationale à la Jordanie en 2013

(en millions d'euros)

Pays ou Organisation

Dons

Prêts

États-Unis

360

216,2 (crédits militaires)

901,4 (Garantie du Trésor)

Conseil de coopération des États du Golfe

3 600

Union européenne

148

180

(décaissement en 2014)

Fonds monétaire international

1,44 (début du décaissement en 2012)

Japon

112,5
(décaissement en 2012)

86,54

France

150

Banque mondiale

108,16

Les estimations pour 2013 en ce qui concerne la situation des comptes extérieurs traduisent une certaine amélioration. Le déficit courant devrait ainsi être ramené de 17,3 % du PIB en 2012 à 10,5 % au terme de l'exercice 2013. Le déficit de la balance des paiements évalué à 3,2 milliards de dollars en 2012 (2,31 milliards d'euros) s'est transformé en excédent estimé à environ 650 millions de dollars (468,70 millions d'euros). Les avoirs en devises de la Banque centrale de Jordanie sont, quant à eux, passés de 6,63 milliards de dollars (4,78 milliards d'euros) fin 2012 à 10,87 milliards de dollars un an plus tard (7,84 milliards d'euros).

Cette amélioration reste néanmoins liée à l'augmentation des transferts privés et surtout publics. Le montant de la dette extérieure continue ainsi à augmenter alors que les importations demeurent trois fois supérieures aux exportations.

La situation de NEPCO, la compagnie nationale d'électricité, fragilise néanmoins les comptes publics. La charge pour l'État de cette entreprise est estimée à 6,6 % du PIB, portant le déficit global des comptes publics à 9,6 % du PIB. Une telle évolution relativise la réduction du déficit budgétaire de 3 points obtenue en un an : 5,2 % du PIB en 2013 contre 8,3 % en 2012.

L'augmentation de l'aide extérieure et la réforme en cours de la collecte fiscale devraient contribuer à ramener le déficit budgétaire à 4,3 % du PIB fin 2014. Cette diminution demeure néanmoins en trompe l'oeil puisque reposant principalement sur les subventions des partenaires du Royaume hachémite, ce qui accentue sa dépendance, notamment à l'égard des pays du Golfe. Les dépenses courantes devraient en effet augmenter de 10 % au cours de l'exercice alors que l'État devra faire face aux échéances de la dette contractée par NEPCO, ce qui devrait contribuer à augmenter la charge budgétaire de celle-ci : 7 % du PIB en 2014. In fine le déficit public devrait être compris entre 7,8 et 8,1 % du PIB à la fin 2014. Dans ces conditions, la dette publique pourrait dépasser 100 % du PIB à l'horizon 2016.

B. LA DÉPENDANCE ÉNERGÉTIQUE ET HYDRAULIQUE

L'économie jordanienne est marquée par son extrême dépendance énergétique (95 % de l'énergie est importée) et hydraulique. De nombreuses pannes affectent d'ailleurs le fonctionnement du pays ; les livraisons de gaz égyptien sont ainsi régulièrement interrompues en raison de sabotages dans le Sinaï. Le partenariat avec l'Union européenne, via notamment l'Union pour la Méditerranée, doit permettre de favoriser son désenclavement énergétique et faciliter son accès à l'eau en lui permettant de trouver les financements adéquats.

1. L'indispensable développement des énergies renouvelables

La Jordanie est partie prenante du « plan solaire méditerranéen » (PSM). Lancé en novembre 2008, celui-ci explore les possibilités de développer des sources d'énergie alternatives dans la région méditerranéenne. L'objectif affiché est d'atteindre une puissance installée totale de 20 GW à l'horizon 2020, dont 5 GW à réexporter vers l'Europe. Il s'agit à la fois de répondre en grande partie aux besoins des pays producteurs d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient et de couvrir jusqu'à presque 20 % de la demande d'électricité en Europe. Les besoins de financement sont évalués à environ 50 milliards d'euros, en intégrant les coûts de raccordement du réseau. Il s'agit de répondre en grande partie aux besoins des pays. Le PSM devrait être progressivement décliné en plans solaires nationaux dans les différents pays partenaires méditerranéens. L'Union pour la Méditerranée a, dans le même temps, apporté son soutien au consortium industriel Desertec , qui prévoit l'exploitation du potentiel énergétique des déserts. Ce projet est également appuyé par un réseau international de scientifiques, d'hommes politiques et d'experts dans le domaine des énergies renouvelables et de leurs développements, la Coopération transméditerranéenne pour l'énergie renouvelable (TREC), dont le prince Hassan de Jordanie, oncle du Roi Abdalah II, est membre.

Reste que ces projets sont tributaires d'un marché européen de l'énergie encore peu intégré et de l'absence de synergies en la matière entre les pays de la rive sud de la Méditerranée. La conférence EuroMed sur l'énergie organisée le 11 décembre 2013 n'a ainsi pas pu déboucher sur la mise en place d'une stratégie de mise en oeuvre ( Master Plan ) du PMS. L'Espagne et, dans une moindre mesure, l'Italie semblent assez réservées sur un dispositif qui risquerait, selon elles, de faire pression sur leurs marchés intérieurs. Madrid estime que son propre marché souffre déjà d'une surcapacité et craint que le prix de l'énergie venant de la rive sud soit moins cher que celui qu'elle produit. Elle note en outre l'absence d'interconnexion entre elle et la France, ce qui empêcherait les flux énergétiques méditerranéens de remonter vers le nord du continent. C'est à l'aune de ces éléments qu'elle a émis un veto au lancement du Master Plan . Le coût du PSM est également sujet à interrogation au regard de son efficacité. Sa déclinaison marocaine, installée à Ouarzazate en novembre 2009, produit aujourd'hui une énergie solaire plus coûteuse que celle produite sur le continent.

Ces incertitudes régionales n'altèrent pas le souhait de la Jordanie de progresser dans le domaine des énergies renouvelables, avec l'appui notable de l'Union européenne. Le programme relatif aux énergies renouvelables et à l'efficacité énergétique a ainsi porté sur un montant de 35 millions d'euros sur la période 2011-2013. Cette aide vise notamment à mettre en oeuvre la stratégie énergétique nationale portée depuis 2007 par le demi-frère du Roi, le prince Hamzah. Celle-ci vise à faire passer la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique de 1,5 % en 2007 à 7 % en 2015 puis 10 % en 2020. Une feuille de route sur l'efficacité énergétique adoptée en 2010 et une loi destinée à la mettre en pratique, promulguée en avril 2012, viennent compléter le dispositif réglementaire. Le gouvernement a, dans cette optique, annoncé en février 2013 la mise en place de deux projets : la centrale solaire photovoltaïque de Mafraq et la ferme éolienne de Tafileh. Cette dernière, dont le coût est estimé à 211 millions d'euros, bénéficie du label Union pour la Méditerranée 3 ( * ) . Il convient de relever que d'autres projets sont directement financés par l'aide financière de 3,64 milliards d'euros sur cinq ans du Conseil de coopération des États du Golfe, qu'il s'agisse du parc éolien de Ma'an ou de la centrale photovoltaïque située à Quweira, près d'Aqaba.

2. Le défi hydraulique

La Jordanie est depuis 2013 le troisième pays le plus pauvre au monde en termes de ressources en eau. Les ressources en eau par habitant et par an atteignent ainsi à peine 133 mètres cubes. L'Organisation mondiale de la santé estime qu'un pays est en situation de pénurie dès lors que ses ressources ne dépassent pas 1 000 mètres cubes par habitant et par an. De fait, les ressources sont satisfaisantes pour 2 millions d'habitants alors que plus de 7,5 millions de personnes résident sur le territoire. L'aquifère de Disi qui alimente Amman est ainsi appelé à s'épuiser d'ici à cinquante ans. Dans les quartiers populaires de la capitale, l'eau n'est d'ailleurs disponible que 28 heures par semaine. L'afflux de réfugiés syriens dans le nord du pays devrait contribuer à fragiliser un peu plus la situation dans cette région (30 litres par jour sont servis à chaque réfugié). Les réserves pourraient ainsi être insuffisantes dès 2018.

Estimation des manques d'eau en Jordanie entre 2015 et 2035

Année

Manque d'eau
(en millions de mètres cubes)

2015

4,8

2020

66,3

2025

120,9

2030

179,3

2035

242

Source : Ministère de l'eau et de l'irrigation / Autorité de la Vallée du Jourdain

La Jordanie dépense déjà environ 5 % de son PIB pour l'eau. Le citoyen ne peut pas avoir accès à l'eau potable sans subvention de l'État. 5 à 8 % de ses revenus visent à régler cette facture. À l'instar de l'énergie, la raréfaction des ressources en eau constitue un réel obstacle au développement économique.

C'est dans ce contexte que les ministres en charge de l'eau jordanien, israélien et palestinien ont signé à Washington le 9 décembre 2013 un mémorandum d'accord sur les échanges d'eau entre les trois pays, sous l'égide de la Banque mondiale. Le document prévoit :

- le dessalement à Aqaba, au sud de la Jordanie, de 80 millions de mètres cubes d'eau en provenance de la Mer rouge. 30 millions de mètres cubes reviendraient à la Jordanie, le restant étant acheté par Israël ;

- la vente de 50 millions de mètres cubes d'eau du Lac de Tibériade à la Jordanie ;

- la vente de 20 à 30 millions de mètres cubes d'eau par an d'Israël à l'Autorité palestinienne pour une utilisation en Cisjordanie. Cette eau en provenance de la Méditerranée est dessalée en Israël.

Le mémorandum d'accord constitue la première étape du projet « Mer Rouge - Mer Morte » destiné à augmenter les ressources en eau de la région tout en tentant de juguler l'assèchement de la mer Morte, en voie de disparition. Celle-ci a en effet perdu un tiers de sa masse d'eau en vingt ans, et pourrait être asséchée d'ici 2050. L'exploitation intensive des eaux du Jourdain, principal fleuve qui l'alimente, depuis les années soixante mais aussi la présence sur ses rivages de nombreux bassins d'évaporation, utilisés pour l'extraction de minéraux précieux, ont contribué à cette dégradation. Le niveau de la mer Morte, dont le littoral est partagé entre la Jordanie, Israël et la Cisjordanie baisse ainsi d'environ un mètre par an. Le projet « Mer Rouge - Mer Morte » prévoit en conséquence la mise en place d'une canalisation reliant l'usine de dessalement d'Aqaba à la mer Morte, vers laquelle pourraient être transférées les saumures produites.

Évolution de la taille de la mer Morte

Année

Surface
(en kilomètres carrés)

Profondeur
(en mètres)

1960

1020

- 390

2006

635

- 420

2050

520

- 550

Source : Ministère de l'eau et de l'irrigation / Autorité de la Vallée du Jourdain

Le projet d'usine de dessalement d'Aqaba bénéficie déjà du « label Union pour la Méditerranée ». Cette labellisation permet d'appuyer les demandes de financement extérieur pour un projet dont le coût est estimé à 437 millions d'euros. 48 millions d'euros pourraient être apportés directement par l'Union européenne. Au coût de l'usine, il convient d'ajouter celui de la canalisation vers la mer Morte, estimé entre 218 et 291 millions d'euros et qui pourrait être supporté par des dons en provenance des pays du Golfe. Les premiers appels d'offres internationaux devraient être lancés d'ici à la fin 2014 et le chantier pourrait être achevé à l'horizon 2018.

Reste une interrogation sur les conséquences écologiques de cette opération de sauvegarde de la mer Morte. Des organisations écologistes relèvent qu'elle pourrait modifier la composition chimique unique de la mer Morte, formant des cristaux de gypse et introduisant des éclosions d'algues rouges.

III. UNE « RÉVOLUTION BLANCHE » À CONCRÉTISER DANS UN PAYS EN QUÊTE D'IDENTITÉ

A. L'ESSOUFFLEMENT DU « PRINTEMPS ARABE »

Le « printemps arabe » s'est traduit en Jordanie par un mouvement de contestation populaire politique et sociale généralement pacifique, le hirak . Lancé le 14 janvier 2011, il s'agit d'un mouvement décentralisé, composé pour l'essentiel de Transjordaniens. Il dénonce la détérioration des conditions de vie liée à l'inflation - passée de 1,5 à 6,1 % sur un an - et la corruption. L'appel à manifester lancé le 28 janvier 2011 par les Frères musulmans, la principale formation d'opposition, composée en majorité de Jordaniens d'origine palestinienne, a contribué à politiser un peu plus la contestation. La personne du Roi et la monarchie ont ainsi été les cibles de certains manifestants. Sept formations politiques, pour l'essentiel de gauche ou nationalistes, réunies au sein du Front national de la réforme, ont demandé une réforme institutionnelle prévoyant la désignation du Premier ministre par la Chambre des députés et non plus par le Roi.

Ces manifestations ont débouché sur la démission du chef du gouvernement, Samir Rifaï, et la nomination par Abdallah II de Maarouf al-Bakhit. La Constitution a été révisée en septembre 2011. Cette modification renforce les pouvoirs du Parlement, étend les prérogatives de l'autorité judiciaire et crée une Cour constitutionnelle. La loi électorale a, quant à elle, été amendée en juillet 2012. L'adaptation des lois existantes à la nouvelle Constitution n'est, toutefois, pas terminée, un délai de trois ans ayant été introduit lors de la promulgation du texte.

Même si les manifestations n'ont jamais été massives à l'inverse des mouvements observés au sein d'autres pays arabes, en réunissant tout au plus une dizaine de milliers de personnes, le mouvement ne s'est jamais pour autant totalement arrêté. Des mouvements de plus ou moins grande intensité ont ainsi été organisés en novembre 2012 contre la suppression de l'encadrement des prix de l'essence.

Il n'en demeure pas moins que le hirak semble aujourd'hui un mouvement essentiellement présent sur les réseaux sociaux alors que les Frères musulmans ont boycotté les élections législatives de janvier 2013 puis les municipales du mois d'août suivant. La proximité de la guerre civile syrienne, matérialisée par l'afflux de réfugiés syriens dans le pays, et les réserves de l'opinion publique à l'égard de l'islam politique ont favorisé cet essoufflement du « printemps arabe » dans le pays. Les pressions subies par les manifestants - arrestations, déferrement devant la Cour de justice militaire - ont également contribué à affaiblir la contestation.

1. Les élections législatives de janvier 2013 et leurs conséquences

C'est dans ce contexte que se sont déroulées les élections législatives le 23 janvier 2013. Celles-ci font suite à la dissolution de la Chambre des députés par le Roi le 4 octobre 2012 et la désignation d'un nouveau Premier ministre, M. Abdallah el-Nsour. Il s'agit du quatrième chef du gouvernement nommé depuis février 2011.

Les élections législatives ont été observées par une mission de l'Union européenne. Celle-ci a relevé le caractère « globalement transparent » du déroulement des élections. Reste que le mode de scrutin mis en place par la réforme électorale de juillet 2012 n'a pas permis une véritable recomposition politique. Le projet de réforme avait d'ailleurs été vivement contesté en avril 2012, conduisant le Premier ministre Aoun Khassawneh, nommé en octobre 2011, à la démission. Dans un système où la proportionnelle ne concerne que 27 sièges sur 150, le découpage des circonscriptions tend à renforcer à la fois le poids des zones rurales et des notables, pas forcément liés à un parti, mais aussi la présence des Transjordaniens, au détriment des Jordaniens d'origine palestinienne.

Ce mode de scrutin limite de fait l'écho des partis, dont la représentation n'est finalement acquise que par l'intermédiaire des 27 sièges élus à la proportionnelle. 15 sièges sont par ailleurs réservés aux femmes. De fait, si la loi permet l'expression politique et la création de partis, elle ne permet pas réellement leur accès au Parlement. La Commission européenne a d'ailleurs indiqué en 2012 la nécessité de revoir les dispositions de la loi électorale dans son rapport de progrès. Il convient de rappeler que les candidats ou les listes n'ont bénéficié d'aucun financement public. En outre, la loi ne prévoit aucun plafond de dépense. Les candidats sont simplement obligatoirement tenus de déclarer leurs sources de financement. « L'argent politique », selon la formule utilisée au sein des médias jordaniens, est donc une des clés pour analyser le scrutin.

Au terme du scrutin, la Chambre est composée en majorité de députés dits « loyalistes », sans affiliation partisane. La force politique de l'opposition la plus structurée, les Frères musulmans ne sont, quant à eux, pas représentés suite à leur appel au boycott du scrutin. Le taux de participation, 56,7 %, en hausse par rapport aux élections de 2010, traduit l'échec de cette stratégie. Le scrutin a renforcé le poids du courant conservateur, dominé par les Transjordaniens et proche de la droite nationaliste jordanienne, appelant à la défense de l'identité du pays face aux Palestiniens ou aux Frères musulmans. La percée du parti du centre islamique aux élections et la mise en place d'un bloc parlementaire de 18 députés reste celle d'une formation considérée comme proche du pouvoir, incarnant une alternative aux Frères musulmans au sein de l'Islam politique. Les autres formations nationales sont quant à elle plus éclatées, qu'il s'agisse de la liste palestino-transjordanienne « Patrie » de MM. Atef Tarawaneh et Khalil Attieh, de « Citoyenneté » d'Hazem Qashou, d'origine palestinienne et qui milite pour la transmission de la nationalité par les femmes. La liste des partis panarabistes de gauche « Renaissance démocratique », qui regroupait quatre formations composant le Front national pour la réforme n'a, quant à elle, obtenu aucun siège comme celle des Fils de laboureurs, nationaliste transjordanienne de gauche, issue du mouvement populaire hirak .

Le Premier ministre Abdallah el-Nsour a été reconduit par le Roi après les élections législatives, au terme d'une consultation du Parlement, la première dans l'histoire institutionnelle du Royaume. Si les députés ont également été consultés par le Premier ministre sur sa composition, le gouvernement actuel, issu des élections législatives et remanié en août, est en premier lieu composé de fidèles du monarque. L'équipe gouvernementale demeure un cabinet de technocrates, les nominations en son sein n'ayant pas réellement de portée politique. Aucun parlementaire n'a ainsi été appelé à l'occasion du dernier remaniement. La Cour semble de fait se méfier d'un Parlement sur lequel elle dispose de moins d'emprise et qui apparaît plus sensible aux revendications de la rue (manifestations en novembre 2012 contre l'augmentation des prix de l'énergie) qu'au discours du Roi. La contestation, parfois violente, de l'augmentation des prix des hydrocarbures au sein de la Chambre basse a démontré une certaine résistance des parlementaires face aux décisions les plus difficiles, 90 députés ont ainsi signé une pétition contre le projet gouvernemental. Il convient de relever que la méfiance à l'égard du Parlement s'est traduite par deux dissolutions successives ces dernières années. Sa crédibilité est également sujette à caution au regard des manifestations de violence qui s'y déroulent : des coups de feu ont ainsi eu lieu en mars et septembre 2013 entre députés. Si des blocs parlementaires
- équivalent des groupes politiques - ont pu se mettre en place au sein du Parlement, leur mode de fonctionnement ne traduit pas la poursuite d'objectifs communs : aucune consigne de vote n'est donnée et leurs membres se divisent régulièrement au moment des votes, comme en a témoigné celui sur le budget.

Les nominations au sein du Sénat le 25 octobre 2013 et aux présidences des deux chambres ont confirmé ce manque d'ouverture. Le président de la Chambre haute, Abd el-Raouf el-Rawabdeh, ancien Premier ministre, Transjordanien est réputé plus conservateur que son prédécesseur Taher el-Masri, Jordanien d'origine palestinienne, présenté comme un réformiste de l'intérieur. Le Conseil a été profondément renouvelé, seuls 12 membres étant maintenus en fonction. 4 anciens Premiers ministres et 43 ministres en sont désormais membres. Aucun Sénateur n'est issu du camp islamiste alors que trois sont proches de la gauche. Le nouveau président de la Chambre des députés, Atef el-Tarawneh, Transjordanien lui aussi, est issu du même clan tribal que le Chef de la Cour royale.

La bonne participation au scrutin de janvier 2013 n'a pas été confirmée à l'occasion des élections municipales organisées le 27 août 2013 . La participation s'est avérée en effet très faible à Amman (10,8 %) comme en province (31,8 %). Ce scrutin, également boycotté par les Frères musulmans, visait à élire conseillers municipaux (970 au total) et maires de 100 municipalités à travers le pays. 7 nouvelles municipalités ont été créées pour l'occasion, la réduction de leur nombre de 328 à 93 en 2001 avait en effet provoqué des émeutes dix ans plus tard, entraînant le report du scrutin. Le quota de femmes a, de son côté, été porté de 20 à 25 % parmi les conseillers municipaux. Le cas d'Amman reste, de son côté, particulier, puisque seuls 2/3 des membres du conseil municipal ont été élus (50 % auparavant), les autres membres et le maire étant nommés par le gouvernement.

2. Les difficultés de l'opposition

Les partis leaders de la contestation en 2011 apparaissent aujourd'hui affaiblis, divisés sur la question syrienne ou fragilisés par les événements en Égypte . La guerre civile en Syrie, qui a agi comme repoussoir au sein de la population, a scindé le Front national pour la réforme entre soutiens au régime de Damas et partisans de la rébellion. Les Frères musulmans semblent, dans le même temps, touchés par la répression de leur mouvement en Égypte et les critiques dont ils font l'objet tant au sein de l'opinion publique que des médias. La confrérie est aujourd'hui divisée entre Transjordaniens, favorables à un rapprochement vers les partis d'opposition non-islamiste, et réunis depuis novembre 2012 au sein de l'Initiative Zamzam et Jordaniens d'origine palestinienne, plus rigoristes. Les promoteurs de cette initiative ont été présentés devant le tribunal interne du mouvement en vue d'une suspension, voire d'une exclusion.

Officiellement lancée en octobre 2013, l'Initiative centre son discours sur trois fondamentaux : la religion, la réconciliation et la Jordanie. Conçue comme un forum politique, cette nouvelle organisation souhaite travailler avec tous les partenaires possibles en vue de faire avancer un certain nombre de projets concrets de développement, qu'il s'agisse de l'adduction d'eau ou des énergies renouvelables. Elle pourrait ainsi travailler avec le gouvernement, la Cour royale ou le service de renseignements et de sécurité (GID). Au plan institutionnel, ses promoteurs militent pour un renforcement de la séparation des pouvoirs, la formation d'un « gouvernement parlementaire », le contrôle des finances de l'État, y compris la Cour royale, une garantie des droits civils et politiques et l'adoption d'une nouvelle loi électorale prévoyant que 30 % des sièges soient pourvus au scrutin de liste (les autres formations politiques réclament que 50 % des sièges soient ainsi pourvus). Le mouvement entend par ailleurs renforcer la citoyenneté jordanienne en insistant sur la mise en place d'un État civil et condamne l'idée d'une Jordanie terre de substitution pour les Palestiniens. En plaçant ainsi la Jordanie au centre de son discours politique, l'Initiative Zamzam s'écarte un peu plus des Frères musulmans plus enclins à faire de la question palestinienne le noeud gordien de toute politique. Refusant l'étiquette de parti politique, l'Initiative Zamzam est ouverte aux syndicalistes, universitaires ou représentants des tribus, sans que ceux-ci ne soit forcément proches des Islamistes. Deux anciens Premiers ministres, MM. Abderaouf al Rawabdeh et Maarouf al Bahkit, peu suspects de complaisance avec l'Islam politique, ont ainsi participé au lancement de l'Initiative Zamzam , au risque que celle-ci soit accusée d'être téléguidée par la Cour.

Cette absence de réelle opposition politique ne saurait occulter la permanence d'une contestation économique et sociale de la part des classes modestes et moyennes, fragilisées par le retournement de la conjoncture. Les revendications en faveur d'une plus grande justice sociale sont doublées d'une dénonciation de la corruption. Les observateurs estiment de fait que le pays traverse une véritable « crise de confiance ».

3. Le système national d'intégrité : une nouvelle ambition démocratique pour le pays ?
a) Un projet ambitieux...

Le discours du Trône, prononcé le 5 novembre 2013, a insisté sur l'ambition du Royaume de devenir un modèle de réforme à l'échelle régionale. Ce qui passe notamment par la mise en place d'un « gouvernement parlementaire », facilitée par une révision des lois sur les partis politiques et les élections.

C'est dans ce cadre que le Roi a lancé en décembre 2013 le « système national d'intégrité » destiné à renforcer la liberté d'expression, l'indépendance de la justice, la transparence des décisions publiques et la lutte contre la corruption. Il s'agit de rendre concrète « la révolution blanche » voulue par le monarque. Un comité de l'Intégrité, nommé par le Roi, avait déjà été installé un an plus tôt. Présidé par le Premier ministre et composé de onze membres (dont le président du Sénat, le président du Conseil judiciaire, le ministre du développement du secteur public, d'anciens ministres et parlementaires). Un comité d'évaluation des privatisations avait, dans le même temps, été installé. Ces deux organismes ont procédé à une série d'auditions qui ont débouché sur la présentation du « système d'intégrité ». Celui s'articule autour de deux composantes :

- La charte de l'intégrité qui précise les piliers de l'intégrité : État de droit, participation des citoyens à la prise de décision, liberté d'expression et d'opinion. Ces valeurs sont déclinées au sein de chacun des pouvoirs. La transparence de la prise de décision et des achats publics, la méritocratie, l'efficacité des services publics, la lutte contre l'évasion fiscale et le renforcement des agences de contrôle font ainsi figure de priorité en ce qui concerne l'exécutif. Des élections justes et transparentes, organisées en application d'une loi électorale inclusive et équilibrée, permettant de mieux représenter la société, sont également souhaitées. Les partis politiques sont également appelés à présenter des programmes et à agir sans liens avec les agences d'États ou les pays voisins. L'indépendance de la justice est réaffirmée, la bonne application de la loi et la formation des juges constituant les bases de l'exercice de celle-ci. Les médias doivent, quant à eux, être libres, indépendants mais aussi responsables puisqu'en charge de véhiculer le respect de la vérité, les valeurs authentiques et la dignité humaine.

- Un plan de mise en oeuvre, décliné en vingt chapitres, et qui prévoit différents types de mesures : lois, renforcement des organismes de contrôle ou révision des programmes scolaires. Un responsable et un délai d'exécution sont précisés dans chacun des domaines.

b) ... mais qui ne constitue pas une réelle avancée

Un doute subsiste sur la portée de ce nouveau projet. L'initiative « La Jordanie d'abord » lancée en 2002, l'Agenda national pour 2007-2017 mis en place en 2005, ou le comité de dialogue national créé en 2011 n'ont, en effet, pas débouché sur des résultats réellement tangibles en matière de lutte contre la corruption notamment. Le « gouvernement parlementaire » appelé de ses voeux par le Roi peut, en outre, susciter un certain scepticisme. Le discours du Trône de février 2013 insistait déjà sur la nécessité de mettre en place un gouvernement parlementaire, quelques semaines avant que le Roi ne privilégie une formation technocratique.

La société civile se montre très réservée sur l'ambition affichée. S'il semble en effet incontestable que des progrès aient pu être enregistrés, notamment depuis le début du « printemps arabe », il convient de s'interroger sur leur mise en pratique. La révision de la Constitution est ainsi comparée par certains observateurs à une réforme en trompe l'oeil, obtenue sous la pression à la fois interne et externe. Elle ne débouche pas sur une réelle démocratisation du pays et ne traduit en aucune manière une véritable stratégie en la matière. La gestion des affaires publiques, dans un contexte marqué par la guerre civile en Syrie, reste l'apanage des services de sécurité et de la Cour royale, le rôle du gouvernement et du Parlement demeurant, selon certaines organisations non gouvernementales, purement cosmétique. L'absence de transparence dans la prise de décision est ainsi régulièrement dénoncée. Les documents de dialogue avec les institutions internationales, qu'il s'agisse du Fonds monétaire internationale ou de l'Union européenne, ne sont ainsi pas accessibles aux non-anglophones.

La question des droits des femmes - les réformes annoncées ne sont toujours pas intégrées dans le droit -, celle de la réforme de la justice - permanence de cours spéciales et notamment celle de la sûreté de l'État - ou de la lutte contre l'impunité en matière de torture et de mauvais traitements demeurent pendantes. La Jordanie n'a toujours pas ratifié la convention des Nations unies contre la torture, l'Union européenne l'invitant à le faire. En outre, 11 000 à 12 000 personnes seraient actuellement placées en détention administrative selon les associations de défense des droits de l'Homme. Les femmes menacées de violence seraient également emprisonnées faute de pouvoir assurer leur sécurité. Le véritable progrès concerne la peine de mort. Si 16 personnes ont été condamnées à mort en 2013, aucune exécution n'a eu lieu depuis 2006. Quelques parlementaires militent pour sa suppression, appuyés par l'Union européenne qui en fait une priorité dans son rapport de progrès 2012.

Ce décalage entre les annonces et la réalité de la démocratisation est particulièrement éloquent dans le cas de la presse. Si de nombreux observateurs reconnaissent une véritable libération de la parole visant notamment le régime mais aussi la famille du Roi, les appels du Roi et du gouvernement à un comportement responsable des journalistes ont trouvé un aboutissement dans la modification de la loi sur la presse et les publications adoptée en septembre 2012 et mise en oeuvre à compter du 1 er juin 2013. Le texte amendé permet notamment le blocage des sites d'information en ligne qui n'auraient pas déposé au préalable une demande d'autorisation de publication. Si, en dépit de leurs protestations initiales, 140 sites ont accepté de se soumettre à cette obligation, 267 ont été bloqués, quand bien même un certain nombre d'entre eux étaient inactifs. Les propriétaires des sites sont par ailleurs responsables des commentaires postés par les internautes. L'ONG Freedom house estime à ce titre que l'internet jordanien n'est que partiellement libre.

Au-delà de cette procédure administrative, il convient de relever les pressions exercées sur les journalistes, pouvant aller jusqu'aux violences policières - 20 journalistes couvrant une manifestation à Amman en juillet 2011 ont ainsi fait l'objet d'un assaut des forces de police - et au déferrement devant la Cour de sûreté de l'État. La Commission européenne a d'ailleurs demandé l'annulation de cette procédure dans son rapport de progrès 2012. Le Code pénal jordanien encadre par ailleurs sévèrement les conditions d'exercice des journalistes puisqu'il les expose à des poursuites judiciaires si leurs articles critiquent le Roi (article 195) ou un pays étranger partenaire de la Jordanie (article 118/2) ou appellent à de profonds changements au sein du système politique (article 122). Deux journalistes du site internet Jafranews ont ainsi été arrêtés le 17 septembre 2013, jugés par la Cour de sûreté de l'État et détenus plus de 100 jours pour avoir publié une vidéo montrant un frère de l'Émir du Qatar en galante compagnie. La justice a dans un premier temps estimé que cette publication constituait une « atteinte aux relations de la Jordanie avec un État frère » tout en insistant sur la « diffusion d'informations mensongères ». La Cour de cassation a finalement autorisé leur libération sous caution à la fin du mois de décembre 2013.

Plus largement, Reporters sans frontières relève que le « printemps arabe » et la guerre civile en Syrie ont conduit le gouvernement à renforcer son contrôle sur les médias. La Jordanie occupe en conséquence le 141 ème rang sur 180 au classement 2014 de l'ONG.

À ces atteintes directes à la liberté d'expression font écho les difficultés financières rencontrées par un certain nombre d'organes de presse. Ceux-ci restent pour la plupart sous le contrôle de l'État, qu'il s'agisse du quotidien el-Doustour (La Constitution) détenu à 35 % par la Sécurité sociale jordanienne ou des journaux détenues par la Fondation de la presse, dont 66 % du capital appartient à l'État et qui détient el-Raï (L'Opinion, arabophone) et The Jordan Times (anglophone). Plus qu'un débat sur la liberté d'expression, les rédactions semblent minées dans ces journaux par des revendications d'ordre salarial. Le quotidien indépendant el-Arab el-Yawn (Les Arabes aujourd'hui) a, quant à lui, interrompu sa publication le 17 juillet 2013 avant de reparaître le 8 décembre 2013 avec un nouvelle formule, centrée sur les questions régionales, les effectifs étant divisés par dix. Aux problèmes financiers du journal s'est greffée une interrogation sur sa ligne éditoriale : un article critique à l'égard du Roi avait été en partie remis en question quelques jours plus tard par un éditorial plus favorable au monarque.

c) Repenser le soutien international et notamment européen ?

L'analogie avec la monarchie parlementaire mise en place au Maroc trouve de fait ses limites. L'obtention, à l'instar du Maroc, du statut avancé auprès de l'Union européenne, ne traduit pas le même degré de démocratisation. Il serait erroné d'assimiler les deux pays, quand bien même la Jordanie puisse représenter un exemple en la matière à l'est du Bassin méditerranéen, coincée entre les monarchies du Golfe persique et la Syrie.

L'appui international à la Jordanie se justifie de fait plus par des considérations ayant trait à la stabilité du pays qu'à son positionnement en matière de démocratie. Ce qui n'est pas sans susciter un certain nombre de critiques au sein de la société civile. Un certain nombre d'organisations non gouvernementales pointent l'écart entre les analyses plutôt optimistes de la Commission européenne sur le processus des réformes politiques et la réalité des avancées. Le cas des élections législatives de janvier 2013 apparaît à cet égard patent, les comptes rendus des missions d'observation américaine et européenne ne reflétant pas, selon elles, les conditions dans lesquelles se sont déroulées le scrutin.

Les organisations civiques s'interrogent, par conséquent sur les conditions de mises en oeuvre du principe « More for more » en Jordanie, qui lie l'augmentation des crédits accordés aux pays concernés par la politique de voisinage de l'Union européenne aux réformes démocratiques mises en oeuvre. La contrainte extérieure demeure pourtant aux yeux d'un certain nombre d'observateurs le biais le plus efficace pour accélérer la modernisation politique du pays alors que les mouvements de contestation s'essoufflent.

Reste que le spectre de la guerre civile en Syrie constitue pour l'heure la principale menace sur la poursuite du processus de démocratisation du pays. En dépit de critiques parfois vives, le Roi demeure la clé de voûte de la sécurité et de la stabilité de la Jordanie. Il permet de dépasser la fragmentation de la société jordanienne, divisée entre Transjordaniens et Jordaniens d'origine palestinienne, entre le nord et le sud du pays mais aussi entre les tribus qui le composent.

Les cas récents de l'Égypte et de la Tunisie pourraient néanmoins servir d'exemples pour permettre une relance du processus de démocratisation. En ce qui concerne le premier pays, la situation dans laquelle se trouvent les Frères musulmans devrait inciter leurs homologues jordaniens à agir sur la base du compromis avec le régime, à l'instar de ce qu'ont su faire d'ailleurs les représentants de cette tendance au Maroc et dernièrement en Tunisie.

B. L'IDENTITÉ JORDANIENNE DANS UN CONTEXTE RÉGIONAL DÉLICAT

1. Répondre au défi de l'accueil des réfugiés syriens

576 634 Syriens s'étaient installés en Jordanie le 31 décembre 2013 depuis le déclenchement du conflit, soit 25 % du nombre total de réfugiés et près de 8 % de sa population. En un an, le nombre de réfugiés a plus que triplé sur le territoire jordanien. Les flux d'entrée semblaient cependant en nette diminution depuis mai 2013 et la mise en place d'une politique de gestion restrictive des entrées. Un accord entre le Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies et le ministère jordanien de l'intérieur le 3 décembre 2013, a néanmoins contribué à inverser cette tendance, 700 réfugiés étant désormais autorisés à entrer quotidiennement au sein du Royaume hachémite, contre 300 auparavant. Cette réouverture relative est en partie liée à la crainte du gouvernement jordanien d'un désengagement des donateurs. La frontière ouest du pays reste cependant fermée. 527 réfugiés entraient en moyenne chaque jour début mars 2014, contre 478 par jour en février et 298 en janvier.

Nombre de réfugiés syriens par pays

Pays

Décembre 2012

Décembre 2013

Estimation
Juin 2014

Estimation
Décembre 2014

Égypte

13 059

145 042

197 521

250 000

Irak

73 749

216 283

308 141

400 000

Jordanie

167 959

576 634

687 404

800 000

Liban

180 105

904 873

1 277 436

1 650 000

Turquie

148 441

562 187

781 093

1 000 000

Total

583 313

2 403 192

3 251 596

4 100 000

Source : Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies , 2014 Syria Regional Response Plan

Compte tenu de ceux déjà présents sur le territoire avant 2011, 1,3 million de Syriens résideraient au sein du Royaume hachémite selon le gouvernement, soit près de 20 % de la population jordanienne. Les autorités jordaniennes assimilent de fait cet afflux de réfugiés à l'absorption du Canada par les États-Unis. Ce chiffre reste cependant exagéré. Selon certains observateurs, un nombre de réfugiés estimé entre 800 et 900 000 personnes serait plus conforme aux réalités, 100 à 200 000 Syriens ayant fui en Jordanie dès le début du « printemps arabe » et avant qu'un enregistrement officiel ne soit mis en place.

L'essentiel des réfugiés vivent dans le nord du pays. 600 familles ont néanmoins trouvé refuge au sud du pays, autour du site archéologique de Pétra. Le camp de Za'tari, au nord du pays, compterait 110 000 réfugiés et constituerait la quatrième ville du pays en termes de population. 38 tonnes de pains, 6 millions de litres d'eau et 60 000 colis alimentaires sont acheminés chaque jour. Le camp n'est pas raccordé à un système d'approvisionnement en eau. Le camp d'Azraq était, quant à lui, avant l'accord du 3 décembre 2013, quasiment vide. Il devrait désormais accueillir les réfugiés originaires des régions de Hama, Homs et Rif Dimashq. Pour autant, 85 % des réfugiés vivent en dehors des six camps installés sur le territoire jordanien.

Cette présence massive n'est pas sans incidence sur les ressources du pays, en particulier l'eau, et ses infrastructures. La concurrence des travailleurs syriens sur le marché du travail est également observable dans un pays fragilisé par le chômage. Les réfugiés syriens sont dans leur grande majorité pauvres, issus des zones agricoles du sud du pays. La pression sur les loyers induite par les réfugiés quittant les camps pour les villes est également une réalité. Aux inquiétudes sociales et économiques induites par cette augmentation du nombre de réfugiés s'ajoutent des considérations plus politiques. La politisation croissante des réfugiés, l'adhésion de certains d'entre eux à l'islamisme radical, conjuguée au retour au pays de Jordaniens engagés dans les groupes djihadistes en Syrie ( Jabhat al-Nosra ), suscitent une certaine inquiétude au sein des autorités, encore marquées par le souvenir des attentats d' Al Qaeda à Amman en novembre 2005. Il convient de rappeler que la Jordanie demeure une des bases intellectuelles du salafisme, même si les succès en matière de lutte contre le terrorisme sont indéniables depuis près de dix ans. Un programme mis en place dans les prisons tente notamment de lutter contre toute dérive.

Le gouvernement jordanien insiste en conséquence régulièrement sur le fait que les réfugiés n'ont pas vocation à rester sur son territoire et qu'il convient de créer le cadre et les conditions d'un retour en Syrie. Le lancement d'un groupe des « Amis des déplacés syriens », à l'initiative de proches du Roi, traduit bien cette préoccupation. Celle-ci s'est très vite fait jour au sein de l'opinion publique : 65 % des Jordaniens se sont en effet prononcés dès septembre 2012 contre la poursuite de l'accueil des réfugiés syriens. C'est dans ce contexte que les autorités locales se montrent réticentes à certaines mesures en faveur d'une meilleure intégration des réfugiés, à l'image de la formation professionnelle qui pourrait renforcer la rivalité entre Syriens et Jordaniens sur le marché du travail. Même si certains observateurs relèvent que cette concurrence se fait plutôt au détriment des émigrés égyptiens. 160 000 réfugiés syriens travailleraient déjà en dehors des camps, de façon illégale ou en acceptant des salaires réduits. Une autorisation de travail temporaire dans certains secteurs serait néanmoins à l'étude afin de faire sortir les réfugiés de l'économie informelle. 30 % de leurs revenus ainsi légalement obtenus pourraient être bloqués sur un compte épargne en vue de leur retour effectif en Syrie. Le Royaume hachémite se montre ainsi favorable à la mise en place de mécanismes de réinstallation afin d'éviter que plusieurs générations se succèdent au sein des camps, à l'image des Palestiniens depuis 1967.

Les Nations unies estiment les besoins de financement pour les réfugiés à 865 millions d'euros pour 2014. Cette somme reste inférieure aux évaluations présentées le 9 janvier 2014 par les autorités dans le cadre du Plan de résilience national. Les besoins de la Jordanie en investissements pour faire face à la présence des réfugiés syriens ont ainsi été estimés à 1,73 milliard d'euros sur les trois prochaines années, soit 10 % du PIB local. La question de l'eau fait figure de priorité puisque le nord du pays, où se concentrent les réfugiés syriens, est déjà marqué par un faible raccordement des foyers jordaniens au réseau d'assainissement : 43 % des ménages contre 67 % au niveau national.

Estimations jordaniennes des investissements nécessaires par secteur

(en millions d'euros)

Eau et assainissement

541,4

Santé

349,1

Éducation

284,6

Protection sociale

226,4

Services municipaux

180,8

Emploi et moyens de subsistance

101,5

Énergie

79,4

Logement

3,8

Source : National resilience plan

À cette somme, il convient d'ajouter l'impact de la présence des réfugiés sur le coût des services de sécurité, chiffré à 965,3 millions de dollars sur trois ans (696 millions d'euros), et sur le subventionnement par l'État des produits de première nécessité : majoration de 758 millions de dollars (546,5 millions d'euros). Le volet humanitaire stricto sensu est, quant à lui, estimé à 413,7 millions de dollars sur les trois prochaines années (298,2 millions d'euros). Le coût d'un réfugié syrien en Jordanie est, par ailleurs, évalué à 3 000 dollars par an (2 163 euros). Le coût avancé par le gouvernement jordanien reste difficilement vérifiable. Le FMI tablait quant à lui, en décembre 2013, sur un coût de 700 millions de dollars (504,7 millions d'euros) pour le budget de l'État, soit 2 points de PIB.

Il convient à ce stade de rappeler que la contribution de l'Union européenne associée à celle des États membres pour répondre à la crise humanitaire en Syrie atteignait fin 2013 le montant de 2 milliards d'euros. L'Union européenne et ses États membres ont par ailleurs promis 550 millions d'euros de dons pour l'ensemble de la région à l'occasion de conférence des donateurs pour la Syrie, dite Koweït II, le 15 janvier 2014. 1,73 milliard d'euros de promesses de dons ont été enregistrées au cours de cette réunion. Cette aide semble souffrir pourtant d'un manque de visibilité auprès des autorités jordaniennes. Celles-ci regrettent de façon générale que l'aide ne leur soit pas versée directement et transite plutôt par des organisations non gouvernementales ou des agences des Nations unies. Amman dénonce notamment les coûts de gestion des ONG, estimés entre 25 et 30 % des sommes versées. Les autorités jordaniennes estiment que 30 à 40 % de l'aide internationale devraient être dirigés vers les communautés hôtes plutôt que les camps de réfugiés.

Au-delà des dons bilatéraux, la Jordanie bénéficiera de la facilité sous-régionale pour le développement, lancée par les Nations unies en janvier 2014 et destinée aux pays accueillant des réfugiés syriens. Elle devrait à ce titre percevoir 32,4 millions de dollars (23,4 millions d'euros) afin de gérer non plus la crise humanitaire induite par cet afflux mais bien la problématique de développement qui lui succède logiquement, en raison de la présence sur une longue durée des réfugiés. La première priorité vise notamment la scolarisation des plus jeunes, 34,9 % des réfugiés syriens ayant entre 5 et 17 ans. Pour l'heure, 86 170 jeunes réfugiés sont scolarisés, dont près de 67 500 dans les écoles jordaniennes. L'UNICEF s'est fixé pour objectif la scolarisation de 120 000 enfants. Plus largement, il semble indispensable de renforcer la coordination entre la Jordanie, les grands donateurs et les organisations internationales. La conférence de Koweït II constitue une première étape avec la présentation des huit priorités définies par le ministère de la coopération jordanien pour l'accueil des réfugiés.

Les autorités jordaniennes appuient parallèlement les opérations transfrontalières d'aide (« cross borders ») depuis son territoire jusqu'à la région de Deraa, dont sont issus les réfugiés du camp de Za'tari. Une telle aide améliore la situation humanitaire en Syrie et diminue en conséquence le nombre de réfugiés à la frontière jordanienne. Ce soutien pourrait déboucher en liaison avec les Nations unies sur la mise en place d'un mécanisme administratif et fiscal ad hoc qui pourrait prévoir une exemption fiscale des produits achetés en Jordanie et destinés au « cross border ». Les pays du Golfe et la France financent pour l'heure ces opérations.

En tout état de cause, la Jordanie estime s'être substituée à la communauté internationale dans ses obligations humanitaires. Elle estime en conséquence indispensable un soutien financier adéquat. Faute de quoi, comme l'a indiqué le Roi à l'occasion du discours du Trône de novembre 2013, les autorités locales pourraient prendre des mesures pour protéger ses intérêts. Il convient de relever que la Jordanie a adopté une position prudente sur le conflit en tant que tel. Si le Roi a appelé au départ de Bachar el-Assad en novembre 2011, il s'est montré hostile par la suite à une intervention militaire étrangère et milite pour une solution politique qui permette à la fois de maintenir l'unité territoriale de la Syrie et de garantir les droits de toutes les confessions. Sous l'influence de ses bailleurs de fonds, notamment celle de l'Arabie Saoudite, le Roi a cependant été conduit à réviser sa politique de neutralité, en facilitant l'acheminement d'armes à la rébellion non-djihadiste, en formant certain de ses membres, en acceptant le déploiement de troupes militaires américaines sur son territoire ou en autorisant le survol de son territoire par des drones israéliens. Le pays a également accueilli en mai 2013 une réunion des « Amis de la Syrie » 4 ( * ) sur son territoire.

La question des réfugiés syriens prend un relief particulier en Jordanie, pays déjà marqué depuis 1948 par des afflux réguliers de ressortissants des États voisins, qu'il s'agisse des Palestiniens, des Irakiens (entre 250 000 et 400 000 personnes) ou des Égyptiens. La crainte d'une installation durable des Syriens à l'image des Palestiniens n'est pas absente du discours des autorités sur la question. Les conséquences sociales de l'émigration égyptienne depuis 2011, notamment sur le marché du travail, sont également mises en avant. L'écart entre les estimations sur le nombre d'Égyptiens sur le territoire jordanien fournies par Le Caire, soit 200 000 personnes, et celles mises en avant par Amman, entre 500 000 et 700 000, est assez révélateur de l'inquiétude des autorités hachémites à l'égard des mouvements migratoires dans un pays traversé par des interrogations sur sa propre identité.

2. L'intégration des réfugiés palestiniens en question
a) Une intégration relative...

Le nombre des réfugiés palestiniens ayant quitté leurs terres après le conflit israélo-arabe en 1948 et leurs descendants est estimé à 6 millions. 4,7 millions sont enregistrés auprès l'UNRWA, agence créée par les Nations unies en 1949 en vue de favoriser la réinsertion socio-économique des réfugiés les plus démunis dans les pays du Proche-Orient où ils avaient trouvé asile : Jordanie, Liban, Syrie, Cisjordanie et bande de Gaza. Les réfugiés palestiniens en Égypte, en Irak et en Lybie ainsi que les personnes déplacées restées en Israël ne sont pas affiliés à l'UNRWA. 1,95 million de réfugiés palestiniens sont enregistrés en Jordanie auprès des services de l'agence internationale. L'UNRWA emploie dans toute la région plus de 27 500 personnes dont 120 fonctionnaires internationaux pour gérer notamment les 10 camps présents sur le territoire jordanien. Ses domaines d'intervention couvrent l'instruction présecondaire et la formation professionnelle, la santé, les secours et les services sociaux, la micro-finance et le micro-crédit.

La Ligue arabe a insisté en 1949 et 1954 sur le maintien des réfugiés palestiniens dans un statut d'apatridie. Il s'agissait de prévenir toute implantation durable au sein des pays d'accueil et maintenir ainsi un droit au retour. Il s'agissait dès lors pour les pays hôtes de délivrer des documents de voyages mentionnant le statut de « réfugiés palestiniens ». Le Royaume hachémite n'a pas suivi cette option puisqu'il a accordé dès 1949 la citoyenneté jordanienne à 350 000 réfugiés environ (280 000 en Cisjordanie et 70 000 en Transjordanie, soit la Jordanie actuelle). Le dessein affiché était la mise en place à terme d'une grande Syrie, réunissant l'ensemble des États du Proche-Orient sous la tutelle hachémite. La Jordanie comme la plupart de ses partenaires ratifie par ailleurs le Protocole sur les Palestiniens dans les États arabes dit « Protocole de Casablanca », présenté par la Ligue arabe le 11 septembre 1965. Le texte, qui reprend de nombreuses résolutions de la Ligue arabe publiées depuis le début des années 50, garantit l'égalité de droit entre réfugiés et citoyens du pays d'accueil en matière de libre-circulation, de résidence et d'emploi.

Reste que les années 70 voient une discrimination de fait se mettre en place concernant l'accès aux emplois publics. S'ajoute au plan social une discrimination visant les réfugiés vivant encore dans les camps, les moukhayyamji . 17 % des réfugiés palestiniens vivent aujourd'hui encore dans dix camps répartis sur le territoire jordanien (300 000 personnes). Les réfugiés en provenance de Gaza en 1967 ne se verront pas, quant à eux, octroyer la citoyenneté. Les Palestiniens qui ont quitté les Émirats pour le Royaume hachémite après la première guerre du Golfe en 1991, marquée par le soutien de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) et du Roi Hussein à l'Irak, n'obtiendront pas non plus la citoyenneté jordanienne. Par ailleurs, depuis 2009, les autorités ont décidé de retirer la nationalité jordanienne aux réfugiés de Cisjordanie qui n'ont pas renouvelé leur résidence sur ce territoire depuis l'entrée en vigueur des accords d'Oslo de septembre 1993 qui permet l'obtention de papiers de l'Autorité palestinienne.

La montée en puissance de l'OLP à partir de 1964 et ses relations difficiles avec le gouvernement jordanien expliquent en partie cette fin de la politique initiale d'assimilation. Une de ses branches, le Fatah de Yasser Arafat, est suspectée d'installer un « État dans l'État », contestant la légitimité de la monarchie hachémite : rôle croissant des 40 000 miliciens palestiniens ( fedayins ) sur le territoire jordanien, levées d'impôts, refus des Palestiniens de voyager avec des plaques minéralogiques jordaniennes sur leurs véhicules. Le mouvement palestinien utilise par ailleurs le territoire jordanien pour mener des attaques contre Israël et des opérations terroristes (détournements d'avions), alors qu'après la guerre des Six-jours en 1967 et la perte de la Cisjordanie annexée en 1948, le royaume hachémite semble enclin à reconnaître l'État hébreu. La répression des fedayins par les autorités jordaniennes du 17 au 27 septembre 1970 (« septembre noir ») a constitué le point culminant de ces tensions. Près de 3 500 fedayins ont alors été tués, la plupart des combattants palestiniens fuyant vers le Liban. La réconciliation avec l'OLP intervient quatre ans plus tard.

Si en 1972 puis en 1983, la Jordanie appelle encore de ses voeux la création d'une confédération réunissant Cisjordanie palestinienne et Jordanie, la première Intifada (décembre 1987) va conduire le Roi Hussein à se limiter à reconnaître le fait palestinien en Cisjordanie et renoncer à toute tutelle sur ce territoire. Aux termes d'un discours prononcé le 31 juillet 1988, la Jordanie rompt les liens juridiques et administratifs que le Royaume avait maintenus avec la Cisjordanie. Les habitants de ce territoire sont désormais considérés comme des Palestiniens et ont donc perdu la nationalité jordanienne.

Au début des années 2000, la crainte de voir la Jordanie, sous la pression américaine et israélienne, devenir une patrie alternative pour les Palestiniens, a conduit le Royaume à réaffirmer son rôle de représentant exclusif des réfugiés-citoyens résidant sur le territoire jordanien. Le discours royal rappelle régulièrement que l'octroi de la citoyenneté en 1948 n'est pas assimilable à l'octroi d'une patrie. Les autorités vont ainsi limiter l'immigration de réfugiés palestiniens en provenance de Cisjordanie et d'Irak.

Le gouvernement va dans le même temps lancer sa campagne de mobilisation « Jordan first » destinée, à approfondir le sens d'une identité nationale parmi les citoyens jordaniens. Les campagnes « al-Urdunn Awalan » lancée en octobre 2002 et « Kuluna al-Urdunn » en juillet 2006 insistent ainsi sur la nécessité de renforcer la cohésion nationale au lendemain du 11 septembre 2001 et de la deuxième Intifada. 43 % des citoyens jordaniens seraient d'origine palestinienne. Compte tenu des réfugiés de Gaza et de Cisjordanie, la part des Palestiniens dans la population totale de la Jordanie serait de l'ordre de 60 %.

Contrastant avec les efforts des autorités en faveur de l'unité nationale, le manifeste du « Comité national des vétérans » composé notamment d'anciens généraux publié le 1 er avril 2010 dénonçait déjà le fait que la Jordanie se soit transformée en une patrie de substitution pour les Palestiniens, avec la complicité de hauts fonctionnaires d'origine palestinienne et appelait au retrait de la citoyenneté jordanienne aux Palestiniens et à leur retour en Cisjordanie. Le texte insiste sur la nécessité d'inscrire dans la Constitution la rupture des liens avec la Cisjordanie annoncée en 1988. Une pétition portée actuellement par différentes formations politiques demande par ailleurs la révocation de la citoyenneté jordanienne accordée aux réfugiés palestiniens après 1988.

b) Le camp de Gaza : miroir d'une position ambigüe

Même affectée par la crise économique et sociale que traverse le pays, accentuée par les conséquences de la guerre civile en Syrie, la situation des deux millions de réfugiés palestiniens en Jordanie demeure toutefois nettement plus favorable que celle constatée au sein des pays voisins (Liban et Syrie). L'UNRWA rencontre, cependant, de graves difficultés financières. Le budget de l'Organisation pour 2014 s'élève à 506,9 millions d'euros. Le déficit budgétaire est estimé à 52,6 millions d'euros.

L'Union européenne et ses États membres constituent pour l'heure les plus gros contributeurs. Début 2013, 40 millions d'euros ont été versés par l'Union européenne au budget ordinaire de l'UNWRA pour 2013 afin de soutenir les programmes en matière d'éducation, de santé, d'aide humanitaire et de services sociaux en faveur des réfugiés palestiniens dont l'UNWRA est responsable Ce montant a été porté à 80 millions d'euros en 2014. 2 millions d'euros ont par ailleurs été redéployés à partir des crédits restant de 2012 pour reconstruire des abris destinés à une centaine de familles de réfugiés palestiniens parmi les plus pauvres du camp de Jerash en Jordanie (camp dit de Gaza). 24 % des familles y vivent en effet à plus de trois personnes par chambre. Cette intervention de l'Union européenne suscite des réserves de la part des autorités hachémites dans un contexte marqué par le débat en cours sur la citoyenneté jordanienne et le statut des réfugiés palestiniens.

Le camp a été créé en 1968 en tant que camp « d'urgence » pour accueillir 11 500 anciens réfugiés de Gaza (réfugiés palestiniens qui ont fui vers la bande de Gaza en 1948 et qui en ont été déplacés en 1967) et « personnes déplacées » de la bande de Gaza (résidents de Gaza déplacés en 1967 pour la première fois), qui ont quitté la bande de Gaza à la suite de la guerre des Six-jours. 27 604 réfugiés sont aujourd'hui enregistrés dans ce camp auprès de l'UNRWA. Environ 14 000 d'entre eux vivent à l'intérieur des limites officielles du camp. Celui-ci est le plus pauvre des dix installés sur le territoire jordanien. 53 % des réfugiés sont ainsi en dessous du seuil de pauvreté, contre 32 % dans le camp de Baqa'a situé plus au sud et considéré comme le camp le plus pauvre après celui de Jerash. 17 % des familles vivent avec moins de 1,45 euro par jour. Le chômage atteint 16 % des hommes et 15 % des femmes. Le revenu moyen par famille s'élève à 237 euros environ. Par ailleurs, 88 % des réfugiés ne bénéficient pas d'une assurance santé

41 % des réfugiés enregistrés au camp de Gaza ont moins de 18 ans. Seuls 12 % des garçons et 17 % des filles terminent leurs études au sein de l'enseignement secondaire. 4 787 enfants sont actuellement scolarisés au sein de 4 écoles. Lancé en 2007, un projet, en partie financé par la Commission européenne, vise à mieux accompagner les étudiants, via la construction de nouvelles classes et de laboratoires informatiques, l'aide à l'orientation et l'octroi de prêts d'études.

La situation des réfugiés de la bande de Gaza en Jordanie diffère de celle des réfugiés venant de Cisjordanie puisqu'ils ne bénéficient pas de la nationalité jordanienne. S'ils ont pu obtenir de la part des autorités du Royaume hachémite un passeport reconductible tous les deux ans, ils ne disposent pas de numéro national d'identité. Ce numéro permet l'accès au statut d'auto-entrepreneur ainsi qu'à un certain nombre de professions (fonction publique, avocats, dentistes, journalistes, ingénieur agricole, transports publics, etc) et de services : aide à la lutte contre la pauvreté, assurance santé nationale, réduction des frais d'entrée à l'université. Le coût des études universitaires pour les réfugiés de Gaza représente ainsi dix fois le revenu annuel des ménages du camp de Jerash, soit au total 28 840 euros environ. Seul un système de quotas permet à 350 étudiants provenant des dix camps de réfugiés de s'inscrire au sein des universités jordaniennes, la représentation de l'Autorité palestinienne bénéficiant également de 640 places (189 accordées au cours de l'année scolaire en 2012/2013). L'absence de sécurité sociale au-delà de six ans conduit les réfugiés de Gaza à se voir appliquer un forfait hospitalier relativement coûteux, même s'il s'avère moins élevé que ceux appliqués aux étrangers. Un accouchement coutera ainsi 46 euros, soit 20 % du revenu moyen d'une famille au camp de Gaza. S'il est pratiqué par césarienne le montant atteint 175 euros. L'UNRWA prend néanmoins une partie de ces sommes en charge.

Cette question trouve un prolongement dans les discussions actuellement en cours sur la question de la transmission de la citoyenneté jordanienne par les femmes. Celle-ci est actuellement impossible. Une épouse jordanienne ne peut donner la nationalité jordanienne à son conjoint étranger ou à ses enfants : 80 000 mariages et 300 000 enfants sont concernés. Cette disposition, inscrite dans la loi depuis 1954 et réaffirmée en 1987, permet en premier lieu de limiter l'octroi de la citoyenneté jordanienne à des réfugiés palestiniens. Elle se traduit par des difficultés d'accès à l'emploi ou aux services sociaux. Le gouvernement a cependant décidé le 12 janvier 2014 de préparer un texte censé accorder certains droits civils aux conjoints étrangers de Jordaniennes ainsi qu'à leurs enfants. Ce projet suscite un certain nombre de tensions au Parlement.

Le pays compte également au moins 11 000 réfugiés palestiniens de Syrie même si les autorités tentent de refouler cette population à la frontière ou les dissuadent de venir (le nombre de Palestiniens réfugiés en Syrie avant la guerre civile est estimé à 520 000). 74 Palestiniens, dont 34 enfants, ont été expulsés en 2013 vers la Syrie. Cette décision est motivée à la fois par le nombre de réfugiés palestiniens vivant déjà sur le territoire jordanien et la présence parmi les Palestiniens de Syrie d'opposants au régime jordanien ou de descendants d'anciens fedayins de l'OLP impliqués dans les évènements de « Septembre noir » en 1970. En dépit de ces mesures, l'UNRWA table sur la présence de 20 000 Palestiniens fuyant la Syrie sur le territoire jordanien d'ici à la fin 2014, dont 3 200 en âge d'être scolarisés. 600 nouveaux réfugiés traversent chaque mois la frontière. 30 % des chefs de famille sont des femmes. Le financement de l'accueil de ces réfugiés particuliers est estimé à 10,5 millions d'euros.

c) Le débat sur l'identité jordanienne et le règlement du conflit israélo-palestinien

C'est dans ce contexte qu'il convient d'analyser les réserves exprimées par l'opinion publique jordanienne à l'endroit du plan américain de sortie du conflit israélo-palestinien dont les contours ont été présentés en janvier 2014 par le secrétaire d'État, John Kerry. Sa proposition inclut pour l'heure la reconnaissance palestinienne de la judéité de l'État d'Israël, l'établissement d'une partie de Jérusalem-Est comme capitale de la Palestine - la Jordanie demeurant gardienne des Lieux Saints musulmans au sein de cette ville -, le maintien du contrôle israélien sur les grands blocs de colonies et le déplacement des autres implantations coloniales en Israël, le contrôle d'Israël sur les passages frontaliers et l'espace aérien, et la présence de forces militaires d'Israël, de Jordanie, des États-Unis et de Palestine à la frontière. Les autorités israéliennes disposeraient également d'un droit de « poursuite » à l'encontre des fugitifs ou des suspects dans l'État palestinien. En ce qui concerne les réfugiés, le plan « Kerry » ne prévoit en l'espèce qu'un nombre limité de retours à l'intérieur de l'État d'Israël, estimé à 80 000 selon certains observateurs.

Le projet reprend dans ce domaine les propositions formulées par le président américain Bill Clinton en décembre 2000 lors de l'ouverture des négociations dites de Camp David 2. Aux termes de celles-ci, le droit au retour des Palestiniens était envisagé comme le droit pour eux de revenir au sein de l'État de Palestine. Israël pourrait accueillir quelques-uns de ces réfugiés, mais il n'y aurait cependant pas un droit au retour à l'intérieur des frontières de l'État d'Israël. Cinq possibilités existeraient de fait pour les réfugiés : installation à l'intérieur de l'État palestinien, installation sur les terres israéliennes transférées à l'État palestinien dans le cadre des échanges de territoires, aide à une installation dans les pays d'accueil, réinstallation dans des pays tiers, admission en Israël. Le retour à Gaza ou en Cisjordanie serait un droit pour tous les réfugiés palestiniens. La priorité devrait être donnée aux réfugiés du Liban.

Les efforts du médiateur américain sont officiellement soutenus par le Royaume hachémite. La position jordanienne sur le conflit repose en effet sur trois axes :

- nécessité pour que la communauté internationale fasse pression sur Israël pour mettre fin à l'occupation ;

- création d'un État palestinien, dont Jérusalem-Est serait la capitale ;

- fin des actions contre le processus de paix dont les mesures de confiscation de terres.

Cette position est assez proche de celle de l'Union européenne, réaffirmée lors du Conseil Affaires étrangères du 16 décembre 2013. Celui-ci avait notamment été l'occasion de condamner fermement la reprise de la colonisation, jugée contraire au droit international et assimilée à un obstacle au processus de paix. Un plan de construction de 558 nouveaux logements à Jérusalem-Est a également été vivement critiqué le 6 février 2014 par la Haute représentante de l'Union européenne.

La peur d'une transformation du Royaume en un État palestinien a cependant été une nouvelle fois exprimée lors d'une manifestation contre le plan « Kerry » réunissant différentes formations politiques à Amman le 2 février. Elle fait écho à la position de la presse locale, globalement critique à l'égard du processus suspecté de mettre fin à la cause palestinienne. 33 députés jordaniens ont par ailleurs mis en place un front parlementaire destiné à lutter contre le projet du Secrétaire d'État américain. Les propos de personnalités éminentes à l'instar de l'ancien chef de la Cour royale, Adnan Abu Odeh, ou de l'ancien président du Sénat, Taher al-Masri, sur les menaces pesant sur le droit au retour des réfugiés palestiniens sont également à prendre en considération.

Ces craintes sont relayées par le gouvernement qui a insisté sur une meilleure association de la Jordanie aux négociations, une réflexion sur le statut des réfugiés palestiniens et les conditions de leur retour ainsi que l'octroi d'une compensation au Royaume hachémite pour les avoir accueillis depuis 1948. Amman s'interroge également sur le sort de la Cisjordanie, refusant toute souveraineté israélienne sur les territoires situés à l'ouest du Jourdain. En ce qui concerne le caractère juif de l'État d'Israël, le Royaume estime que le principe peut être retenu si tant est que soit mise en place une garantie explicite de l'égalité des droits entre Israéliens de confession juive et Arabes israéliens.

La population jordanienne est de façon générale assez hostile au rapprochement entre le Royaume hachémite et Israël matérialisé par le traité de paix signé le 26 octobre 1994. Les opérations militaires au Liban en 2006 et les bombardements de Gaza de décembre 2008 - janvier 2009 ont contribué à radicaliser une opinion publique, Transjordaniens et Jordaniens d'origine palestinienne confondus, désormais prompte à rejeter l'accord de 1994. Là encore, un relais est observable au sein du Parlement puisque les députés ont appelé, le 15 février 2014, le gouvernement jordanien à présenter un projet de loi sur l'abrogation du traité de paix avec Israël signé en 1994. Le 26 février 2014, une majorité de députés a également appelé à l'expulsion de l'Ambassadeur d'Israël en Égypte.

CONCLUSION

La guerre civile qui affecte la Syrie a des conséquences indéniables sur l'équilibre de la Jordanie. Le renforcement de son partenariat avec l'Union européenne allait jusqu'alors de pair avec une démocratisation accrue du régime, à l'image notamment de ce qu'a pu accomplir le Maroc. L'afflux de réfugiés syriens, le spectre de la guerre civile, la division de l'opposition et l'impératif de stabilité appuyé par toutes les puissances parties prenantes dans la région ont aujourd'hui contribué à ralentir ce processus de libéralisation du pays, même si des progrès notables ont pu être enregistrés. Le Royaume hachémite, qui peine à définir son identité, apparaît tétanisé par un contexte régional, qu'il s'agisse de la relance du processus de paix israélo-palestinien ou des événements syriens, dont elle subit directement les conséquences. À ces difficultés politiques, s'agrège un contexte économique délicat, exacerbé par le coût tant financier que social de l'accueil d'au moins 600 000 réfugiés syriens.

Face à ces défis, l'Union européenne, qui reste pour l'heure un partenaire secondaire de la Jordanie derrière les États-Unis et les pays du Golfe, doit continuer à apporter son aide, tant politique qu'économique. Au nom de la spécificité de cette relation et de son absence d'enjeu géostratégique, il importe que l'Union européenne puisse continuer à oeuvrer en faveur des droits de l'Homme et de la démocratie. Il en va de la crédibilité de sa politique méditerranéenne, réorientée après le « printemps arabe » et de la cohérence des relations bilatérales qu'elle noue avec certains États. La formule du statut avancé, accordé au Maroc et à la Jordanie ne recouvre pas ainsi les mêmes réalités politiques, le Royaume chérifien semblant plus en avance en la matière que le Royaume hachémite. Il s'agit dès lors de concrétiser ce statut qui, pour l'heure, apparaît plus comme un blanc-seing aux autorités jordaniennes sans réelle contrepartie.

EXAMEN PAR LA COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le mardi 6 mai 2014 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par M. Simon Sutour, le débat suivant s'est engagé.

M. Aymeri de Montesquiou . - La stabilité du pays est compromise par l'afflux des réfugiés. Il faut recommencer à zéro : cette région ne sera jamais stable tant qu'on ne sera pas revenu aux frontières de 1967. Puisque l'Union européenne intervient dans la région au bénéfice de ces nations, pourquoi ne pèse-t-elle pas pour faire appliquer les traités et les résolutions des Nations-Unies ? J'étais dans la région lorsqu'Israël a détruit l'aéroport et le port de Gaza. J'ai alors demandé que l'Union européenne cesse d'importer des fruits et légumes d'Israël. Nous tolérons de ce pays des agissements que nous n'accepterions d'aucun autre.

Vous avez fait allusion à la production d'énergie solaire destinée à l'exportation. Ne serait-il pas plus rationnel que cette énergie soit utilisée sur place à des productions qui donneraient du travail aux réfugiés ?

L'intégrité territoriale du pays doit être restaurée. Le roi Hussein, un guerrier, inspirait le respect parce qu'il s'opposait frontalement sur ce point à Israël. Son fils est plus souple. La Jordanie devrait récupérer les zones de Jérusalem et de Cisjordanie qui lui appartenaient avant 1967. Dans les pays de cette région, la situation sociale est paradoxale : voyez l'Arabie Saoudite, riche et qui a pourtant connu récemment des émeutes de la faim. Il appartient à l'Union européenne de préserver la stabilité de la Jordanie, ce pays très fragile, en commençant par ne plus tout accepter d'Israël.

M. Simon Sutour , président . - Vous parlez davantage d'Israël que de la Jordanie. Leurs rapports ne sont du reste pas si mauvais : ils ont signé des traités de paix qui autorisent leurs citoyens de circuler d'un pays à l'autre.

M. Aymeri de Montesquiou . - On ne peut pas en dire autant des Palestiniens !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Les camps de réfugiés, à l'image de celui de Za'atari, représentent une charge énorme pour la Jordanie. Une économie parallèle s'y est créée, mais cela n'empêche pas que l'explosion menace à tout moment. Les efforts faits pour installer séparément les membres des différentes communautés, comme les opposants à Bachar el-Assad d'un côté et les chrétiens de l'autre, par exemple, ne suffisent pas à prévenir ce risque.

Je me suis rendue en Jordanie à l'automne ; en l'absence du Roi, j'ai rencontré des membres du gouvernement, et j'ai bien senti leur souci de stabilité. Ce souci augmente du fait que toutes les aides dont vous avez parlé couvrent à peine 30% des besoins suscités par l'afflux des réfugiés. Les Jordaniens nous reprochent du reste de verser une aide financière aux camps, sans prendre en compte le coût des infrastructures nécessaires alentour. Nous avons également rencontré les représentants d'ONG, dont ONU Femmes - qui en Jordanie, soit dit en passant, est dirigée par un homme. De tels postes devraient être occupés par des femmes (beaucoup de Jordaniennes ont un niveau élevé d'éducation) ne serait-ce que pour donner l'exemple.

M. Simon Sutour , président . - J'ai rencontré les responsables d'ONG qui s'occupent de la place des femmes dans la société, et tous mes interlocuteurs étaient des interlocutrices, des femmes très combatives !

Mme Colette Mélot . - Oui. J'ai reçu, dans le cadre du groupe d'amitié, une délégation jordanienne qui comptait plusieurs femmes ; l'ambassadeur de Jordanie en France a d'ailleurs longtemps été une femme. Quant aux préoccupations exprimées par cette délégation, elles avaient principalement trait à l'accueil des réfugiés syriens, et à la dépendance énergétique du pays. Cela étant, il est indéniable que la Jordanie contribue à la stabilité de la région.

M. Simon Sutour , président . - L'Union pour la Méditerranée ne compte, sur la rive Sud, que deux pays qui disposent pour l'heure d'institutions pérennes : le Maroc et la Jordanie. Le Maroc est un État ancien, tandis que la Jordanie a été assemblée, après la période coloniale, à partir de divers territoires. Sa stabilité intrinsèque est donc moins assurée.

Je me suis rendu, il y a dix jours, en Israël et en Palestine. C'est sur place que l'on se rend véritablement compte de la complexité de la situation. Je donnerai un exemple de l'intrication de la situation : environ 240 000 Palestiniens travaillent aujourd'hui en Israël avec un permis, mais sans doute autant le font sans autorisation. Dans ces conditions, sanctionner Israël entraînerait le risque de sanctionner aussi les Palestiniens.

Nous avons visité dans le Néguev une centrale photovoltaïque construite par EDF. Israël a la chance d'être aujourd'hui moins dépendant de l'approvisionnement en pétrole, grâce aux réserves de gaz considérables découvertes entre l'Égypte, le Liban, Israël et Chypre.

M. André Gattolin . - Et la bande de Gaza ! Tout le problème est là...

Il faut aussi préciser que la colonisation conduite par Israël refoule toute une partie de la population palestinienne vers la Jordanie.

M. Simon Sutour , président . - L'arrivée des Palestiniens a été une richesse pour la Jordanie : ils sont très présents dans le monde économique, tandis que les Transjordaniens tiennent plutôt le pouvoir politique.

M. André Gattolin . - Il est également un autre problème crucial : celui de l'approvisionnement en eau. Vous l'évoquez dans votre rapport, qui est par ailleurs très intéressant et constitue une mine d'informations !

M. Simon Sutour , président . - L'accord passé sur ce point entre Jordaniens, Palestiniens et Israéliens est très difficile à décrypter. L'eau du Jourdain devrait être moins ponctionnée, et la maîtrise des techniques de dessalement permet d'espérer que le problème de l'eau soit bientôt résolu dans cette zone. Il faut d'autant plus s'en féliciter que la Mer morte est littéralement en voie de disparition : on estime qu'elle perd aujourd'hui un mètre par an. L'accord est donc intéressant.

M. André Gattolin . - On entend différents sons de cloche...

M. Aymeri de Montesquiou . - Un mètre de moins par an, c'est colossal !

M. Simon Sutour , président . - En 1960, la surface de la Mer morte était de 1020 kilomètres carrés, en 2006 de 635, et on estime qu'en 2050, elle ne sera plus que de 520 kilomètres carrés.

M. Michel Billout . - La répartition des ressources en eau reste dramatiquement déséquilibrée. Un hydrologue français a récemment fait au groupe d'amitié France-Palestine une présentation géostratégique de la situation dans la région : Israël est contraint de rester dans une économie de guerre quand les Palestiniens sont assujettis à vivre dans une zone de non-droit. Les valeurs défendues par l'Europe sont bafouées. La solution ne viendra pas de discussions bilatérales arbitrées par les États-Unis, en l'absence de l'Union européenne.

M. Simon Sutour , président . - L'Europe joue son rôle ; le problème est plutôt celui de la fonction occupée par Mme Ashton : y a-t-il une politique étrangère de l'Union européenne, ou y en a-t-il vingt-huit ?

J'ai rencontré le représentant de l'Union européenne à Amman ; il m'a dit oeuvrer pour que les réfugiés puissent accéder à la citoyenneté jordanienne. De fait, les enjeux sont considérables : l'accès aux universités, par exemple, est gratuit pour les citoyens jordaniens, mais d'un coût prohibitif pour les étrangers, donc pour les réfugiés qui vivent dans les camps : plus de 28 000 euros. Cela les exclut de fait des études supérieures, alors que nombre d'entre eux, notamment des jeunes filles, sont brillants. Un système de quotas permet aujourd'hui à une infime minorité de réfugiés de s'inscrire gratuitement.

Le poids de l'Union européenne est faible, mais elle exerce une vraie influence. Il n'en faut pas moins admettre que les quelques centaines de millions d'euros européens sont peu de chose par rapport à l'aide apportée par les États-Unis ou les États du Golfe.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - La France jouit en Jordanie de préjugés très favorables ; il y a notamment à Amman un lycée français très prisé de l'élite jordanienne, désireuse de donner à ses enfants une éducation en français. Il importe de continuer à développer ces relations.

M. Aymeri de Montesquiou . - Comment réagissent les Jordaniens à la réconciliation entre Hamas et Fatah ?

M. Simon Sutour , président . - Elle a eu lieu après mon séjour là-bas...

M. Aymeri de Montesquiou . - Tout le monde avait déploré la scission entre ces deux partis, maintenant c'est leur réconciliation qui inquiète.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

- M. Shaib Ammari, ancien ministre du commerce et de l'industrie, Sénateur, président du groupe d'amitié Jordanie-France ;

- Mme Lina Al Qurah, directrice du bureau d'Amman du Réseau euro-méditerranéen des dRoits de l'Homme ;

- Mme Mai Eliemat, adjointe au directeur du centre al Hayat ;

- Me Eva Abou Halaweh, directrice exécutive de l'organisation non gouvernementale Mizan ;

- M. Mohamed Al Husseini, directeur du centre Howiya ;

- M. Fateh Mansour, directeur du centre de défense de la liberté des journalistes (CDFJ) ;

- MM. Walid Hijawi, Samaher Fakhur et Ahmad Al Absi, représentants de l'UNRWA pour le camp de réfugiés palestiniens de Jerash ;

- S.E Mme Joanna Wronecka, Ambassadrice de l'Union européenne en Jordanie ;

- MM. Mohammed Nawafleh, Président de l'Agence de développement et de tourisme de Petra (PDTRA) et Emad Hijazin, vice-président, chargé du parc archéologique de Petra ;

- Mme Delphine Borione, secrétaire générale adjointe pour les affaires sociales et civiles de l'Union pour la Méditerranée ;

- Mme Teresa Ribeiro, Secrétaire générale adjointe pour l'énergie de l'Union pour la Méditerranée ;

- Mme Myriam Ababsa, chercheuse associée à l'Institut français pour le Proche orient ;

- S.E Mme Caroline Dumas, ambassadrice de France en Jordanie, M. Mostafa Mihaje, premier conseiller, Mme Clémence Weulersse et M. Guillaume Henry, deuxième conseiller et M. Vincent Toussaint, conseiller économique et commercial.


* 1 Exprimé en standard de pouvoir d'achat, c'est à dire corrigé des effets de change et de prix.

* 2 Le site de Petra regroupe à lui seul 85 agences de tourisme, 40 hôtels, 50 guides, 15 taxis, sans compter les loueurs de chevaux et les vendeurs de souvenirs.

* 3 L'Union pour la Méditerranée a également labellisé la construction d'un réseau ferroviaire. Il permettra de connecter à partir de 2017 le Royaume hachémite au réseau turc et donc à l'Europe.

* 4 Allemagne, Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Espagne, États-Unis, France, Italie, Qatar Royaume-Uni et Turquie.

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