CONTRIBUTION DE FRANÇOIS GROSDIDIER, SÉNATEUR (UMP) DE LA MOSELLE, VICE-PRÉSIDENT DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE

Notre commission d'enquête est née d'un climat de suspicion artificiellement créé pour justifier a posteriori la décision de suspension de l'écotaxe. Cette suspicion m'a semblé continuer à prévaloir lors des auditions, à charge contre Écomouv' et les gouvernements du précédent quinquennat, alors même que les réponses étaient de nature à les dissiper, et encore dans la rédaction du rapport. Rarement un rapport aura été autant amendé. Rarement son adoption n'aura fait l'objet d'aussi longs débats, du début de l'après-midi au milieu de la nuit.

Ce rapport a été adopté à l'unanimité. Il traduit un consensus fort sur un constat (il n'y a aucun scandale, ni même d'irrégularité, dans la mise en oeuvre de l'écotaxe) et sur une conviction (la nécessité de la mettre en oeuvre pour inciter au report modal et financer les infrastructures de transports) .

Cependant, c'est un rapport de compromis. Avant d'être abondamment amendé, il était d'une tonalité très stigmatisante contre les protagonistes du dossier : ancien gouvernement, administration et Écomouv'. La forme a été remise plus en cohérence avec le fond. Mais il n'en demeure pas moins qu' il occulte ou minimise certains aspects du dossier :

- sur le principe du partenariat public-privé et l'importance de la rémunération

Tous s'accordent sur la nécessité et même l'urgence de reprendre la mise en oeuvre du dispositif. Mais certains de nos collègues de gauche, continuent à regretter, pour des raisons idéologiques, le recours au partenariat public-privé.

Le rapport insiste sur le fait que le périmètre aurait pu être réduit, bien davantage que sur celui que le recours au partenariat public-privé était inévitable, compte-tenu de son très haut niveau de technicité de son caractère innovant. De l'aveu même de tous les hauts fonctionnaires interrogés à ce sujet, l'État ne disposait pas en son sein de l'expertise nécessaire.

Quant à la rémunération, qui avait été présentée comme scandaleusement élevée, elle s'avère justifiée. Elle est, en Allemagne, proportionnellement inférieure aux recettes réalisées mais supérieures en rapport aux prestations exigées : pas d'interopérabilité, un trafic au kilomètre plusieurs fois supérieur en Allemagne, un kilométrage de voierie concernée inférieur, mais une taxe supérieure au kilomètre.

Il est occulté aussi le fait qu'en France, le coût de détection et de recouvrement des amendes pour excès de vitesse par l'État est, selon les déclarations qui nous été fait, proportionnellement supérieure de moitié à celui de l'écotaxe qui est pourtant un système infiniment plus complexe. Cela légitime pourtant le choix du partenariat public-privé et justifie le montant de la rémunération.

- sur la responsabilité du Gouvernement Ayrault

Autant la Rapporteure a vainement cherché, avec une opiniâtreté remarquable, des anomalies ou des irrégularités dans la mise en oeuvre du dispositif (ce qui est légitime pour une commission d'enquête) , autant elle occulte la responsabilité du Gouvernement de M. Jean-Marc AYRAULT dans cette affaire.

Il est pourtant ressorti de toutes les auditions :

- que le Gouvernement de M. AYRAULT, entre son installation en juin 2008 et l'annonce de la suspension en octobre 2012, ne s'est jamais interrogé et n'a jamais questionné quiconque, dans l'administration ou à Écomouv', sur la pertinence, et moins encore sur la légalité de la mise en oeuvre de l'écotaxe. Il apparaissait avec plus d'évidence encore que le procès a posteriori , après l'annonce de suspension, ne relevait que d'une tactique d'une partie de la majorité pour tenter de justifier a posteriori une décision prise, en fait, dans la panique résultant de la violence des manifestations des « bonnets rouges » . Ce rapport a le mérite de démontrer qu'elles n'étaient pas fondées, même si la tonalité de la Rapporteure paraissait paradoxalement accusatoire. En fait, en voulant faire le procès des gouvernements FILLON et d'Écomouv' pour tenter de justifier la suspension, la majorité a renforcé la difficulté de l'acceptation sociale du dispositif par les transporteurs et sa compréhension par l'opinion. Lancé pour être un réquisitoire contre ce dispositif, après des auditions sans complaisance et un vrai travail d'investigation souvent poussé bien au-delà de la saisine de la commission, le résultat objectif apparaît être une plaidoirie pour l'écotaxe, même au prix d'une distorsion entre la forme et le fond, quand le procureur est contraint, par la réalité des faits, de se faire avocat.

- que le Gouvernement de M. AYRAULT, dans les semaines, les jours ou les heures qui ont précédé l'annonce de la suspension, ne s'est jamais interrogé et n'a jamais questionné quiconque, dans l'administration ou à Écomouv', sur les conséquences d'une éventuelle suspension. Dans la panique, les plus hautes autorités de l'État ont pris cette décision comme s'il revenait simplement sur un taux d'imposition d'un impôt. Elles n'ont même pas cherché à évaluer les conséquences, sans même avoir conscience du lien contractuel avec Écomouv', de l'importance des investissements réalisés et des conséquences sociales. Le Gouvernement AYRAULT a décidé et agi avec une légèreté et une inconséquence injustifiables et qui se sont prolongées jusqu'à maintenant. Les déclarations contradictoires des membres des gouvernements AYRAULT puis VALLS, et surtout l'absence de contact avec les protagonistes du dossier, sur le terrain, ne pouvaient que renforcer le préjudice de chacun et la difficulté à se sortir de la situation d'impasse dans laquelle la majorité s'était mise, dénonçant dans la panique un système vertueux, puis le critiquant pour se justifier avant de s'apercevoir que la seule issue était de le reprendre, même s'il pouvait être rebaptiser et ajuster à la marge.

- que cette désinvolture, cette légèreté et cette inconséquence sont flagrantes sur la question sociale. C'est l'un des aspects qui rendent le rapport toujours critiquable, même si nous en partageons les grandes lignes et les conclusions. Pour minimiser la responsabilité du Gouvernement Ayrault, le rapport surdéveloppe des aspects étrangers à la saisine de la commission d'enquête (comme les conditions d'installations à Metz Métropole) tout en occultant le préjudice pour la collectivité territoriale pourtant souligné par le président de Metz Métropole et les maires de Metz, d'Augny et de Marly. Le rapport expédie en moins de trente ligne la situation actuelle des salariés (potentiels futurs ex-salariés) , des ex-salariés (CDD non-renouvelés) , et des ex futurs salariés (chômeurs formés non recrutés, aujourd'hui en fin de droit) . Le rapport consacre trois fois plus de lignes aux difficultés de recrutement, aux retards de quelques semaines dans les embauches ou les formations, à la genèse du projet, un an plus tôt, qui ont certes perturbé les salariés, mais qui sont anecdotiques par rapport à la situation d'aujourd'hui. La détresse des salariés est ainsi évoquée et développée pour la période fin 2012 début 2013, et non pour la période de la fin 2013 à aujourd'hui. On est à schéma renversé. C'est une parfaite illustration la parabole « de la paille et de la poutre » .

Il convient donc que le lecteur de ce rapport conserve à l'esprit que ce rapport est, dans le fond, conforme à la réalité, mais qu'il n'en est pas moins inspiré par l'idée d'accabler les protagonistes de la mise en oeuvre du dispositif (la matière manquait) et d'exonérer la responsabilité du gouvernement AYRAULT (la matière ne manquait pourtant pas).

Il est à souhaiter que le Gouvernement actuel assume pleinement sa responsabilité économique, sociale, environnementale et financière en usant d'une forte pédagogie, sans jamais plus céder, par aucun membre du gouvernement notamment et encore moins en charge de l'écologie, à une démagogie qui a pollué ce dossier nous menant collectivement dans une impasse où il n'y a que des perdants.

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