Rapport n° 543 (2013-2014) de Mme Virginie KLÈS , fait au nom de la CE sur la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds, déposé le 21 mai 2014

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N° 543

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Rapport remis à Monsieur le Président du Sénat le 21 mai 2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 mai 2014

Dépôt publié au Journal Officiel - Édition des Lois et Décrets du 22 mai 2014

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission d'enquête sur les modalités du montage juridique et financier et l' environnement du contrat retenu in fine pour la mise en oeuvre de l' écotaxe poids lourds (1)

Présidente

Mme Marie-Hélène DES ESGAULX,

Rapporteur

Mme Virginie KLÈS,

Sénateurs.

Tome II : Auditions

(1) Cette commission est composée de : Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente ; Mme Virginie Klès , rapporteur ; MM. Vincent Capo-Canellas, Ronan Dantec, Jean-Jacques Filleul, François Grosdidier, Mme Mireille Schurch, M. Raymond Vall, vice-présidents ; MM. Gérard Bailly, Vincent Delahaye, Éric Doligé, Mme Frédérique Espagnac, MM. Jean-Luc Fichet, Francis Grignon, Charles Guené, Yves Krattinger, Philippe Leroy, Louis Nègre, Roland Ries, Jean-Pierre Sueur et Michel Teston.

PROCÈS-VERBAUX DES AUDITIONS DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE

Audition conjointe de M. Daniele Meini, président d'Écomouv' SAS, et de représentants du consortium Écomouv'

(Mercredi 8 janvier 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous commençons notre programme d'auditions en entendant des représentants de la société Écomouv' SAS : M. Daniel Meini, président, M. Michel Cornil, vice-président, ainsi que MM. Sergio Battiboia, Antoine Caput et Michelangelo Damasco, membres du comité exécutif.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Daniele Meini, Michel Cornil, Sergio Battiboia, Antoine Caput et Michelangelo Damasco prêtent serment.

M. Daniele Meini, président d'Écomouv' . - Je vous remercie de l'opportunité que vous nous offrez de nous exprimer. Pour la clarté des débats et du fait de mon mauvais français, je suggère d'écouter d'abord M. Cornil.

M. Michel Cornil, vice-président d'Écomouv' . - Grâce à cette audition, nous pourrons expliquer, clarifier, préciser. Depuis novembre, le projet et ses acteurs ont fait l'objet d'attaques, dont certaines, quoiqu'infondées, ont déstabilisé le millier de salariés concernés, en comptant les sous-traitants. Le dispositif, et je pèse mes mots, est prêt. La marche à blanc de fin juillet à fin novembre a fonctionné sur 10 000 poids lourds, 10 millions d'éléments de tarification et 27 000 détails de liquidation - les factures détaillées. Ces chiffres, conformes aux attendus, sont ceux d'un système homologué, prêt à fonctionner, à collecter l'écotaxe.

La procédure d'appel d'offres ayant abouti à la sélection de notre société a commencé en avril 2009. La loi du 3 août 2009, dite Grenelle I, prévoit dans son article 11 « qu'une écotaxe sera prélevée sur les poids lourds à compter de 2011 à raison du coût d'usage du réseau routier national métropolitain non concédé et des voies des collectivités territoriales susceptibles de subir un report de trafic. Cette écotaxe aura pour objet de financer les projets d'infrastructures. » Notre société a été choisie à l'issue d'un dialogue compétitif long (21 mois) et intense, divisé en trois phases : échanges préliminaires en octobre et novembre 2009, neuf sessions d'échanges de mars à mai 2010, et clarification des offres en octobre-novembre 2010. L'État était représenté par la mission de tarification de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM). Autostrade per l'Italia était assistée par des sociétés françaises - SFR, SNCF, Steria et Thales - qui ont ensuite constitué Écomouv' avec elle. Le contrat a été attribué en février 2011 et signé le 20 octobre 2011. Saisi par un concurrent, le Conseil d'État a jugé l'ensemble de la procédure conforme le 24 juin 2011.

La solution que nous avons proposée est unique, innovante, adaptée à la capillarité du réseau taxable, avec sa technologie de localisation satellitaire qui détecte les franchissements par les poids lourds de points de tarification, et ne nécessite pas d'implanter des équipements physiques. Elle fait appel à des sous-traitants parmi lesquels ses actionnaires sont majoritaires, comme il est habituel. Pour satisfaire la directive européenne sur l'interopérabilité, l'État a prévu que l'accès au dispositif puisse se faire par le biais de sociétés habilitées de télépéage (SHT) ; Écomouv' a signé des contrats de service avec toutes celles qui ont souhaité commercialiser ce service.

Côté financement, des prêts ont été souscrits auprès de huit établissements bancaires pour plus de 500 millions d'euros. Écomouv' prend en charge tous les risques, y compris les évolutions de l'environnement pendant la durée du contrat, soit onze ans et demi. Notre offre, la moins coûteuse de toutes, est compétitive en comparaison avec le système mis en place en Allemagne, par exemple, moins performant, non interopérable et pour un prix deux fois supérieur, malgré un nombre de kilomètres et de véhicules comparable.

Nous avons une grande confiance dans notre dispositif, fruit d'un dialogue constant avec le ministère des transports comme avec les douanes. Il est d'ores et déjà en opération depuis juillet 2013 pour l'enregistrement des redevables, le site Internet, les systèmes d'information et d'assistance, le centre d'appel et le réseau commercial.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Quelles ont été les étapes de construction du consortium ? Quelles ont été les positions de l'État concernant Thales et la SNCF, au conseil d'administration desquelles il est représenté ? Qu'est-ce qui justifie le recours à un partenariat-public-privé (PPP), habituellement utilisé pour des investissements immobiliers et l'entretien des immeubles produits, pour ces investissements techniques assortis de l'affermage d'une taxe ? Quelle forme votre installation en Moselle dans des bâtiments appartenant à la Défense a-t-elle pris ? Avez-vous acheté du foncier ? Si oui, cela s'est-il fait de gré à gré ou aux enchères ? Si ces biens relevaient du domaine public, quelle procédure a été utilisée pour les déclasser ?

Comment sont prévus le relevé des infractions et la perception des amendes ? Le préfet est compétent pour agréer les agents qui en seront chargés ; comment cela s'accordera-t-il avec sa compétence départementale, sachant que le recouvrement se fera au siège des sociétés ? Pourquoi le préfet, et non les douanes ? Comment procéderez-vous pour les sociétés étrangères ? Comment poursuivra-t-on les infractions ? Les agents d'Écomouv' pourront-ils arrêter les poids lourds pour vérifier qu'ils sont équipés du dispositif ? Comment concilier cette organisation avec la règle selon laquelle la même personne doit constater l'infraction et dresser le procès-verbal, qui nous a valu des recours contre les radars ? Pouvez-vous nous fournir l'organigramme de votre société avec le CV de tous les cadres ?

M. Michel Cornil . - Nous vous ferons parvenir rapidement l'organigramme. Écomouv' a été constituée pour la signature du contrat en société de projet, une société par actions simplifiée (SAS) au capital de trente millions d'euros, détenue par Autostrade à 70 %, Thales à 11 %, SNCF à 10 %, Steria à 3 % et SFR à 6 %. Je n'ai pas entendu parler de problèmes dans les deux sociétés dont l'État est actionnaire.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Quel a été l'objet de leur participation ?

M. Antoine Caput . - Ces sociétés ont apporté leur contribution d'abord en tant que sous-traitants, du 7 janvier 2010 jusqu'à la fin de la procédure en octobre 2011. Le règlement de la consultation prescrivait que le contrat devait être signé par une société spécifique créée par l'attributaire. C'est pourquoi Autostrade a créé en février 2011 Écomouv' SAS en tant que filiale. Il est tout à fait usuel que les contributeurs principaux soient conduits à prendre une participation ; cela renforce les liens entre eux. Comme prévu dans l'annexe 4 du règlement complémentaire n° 4, les sous-contrats et leurs évolutions ont été communiqués à l'État. Le 26 octobre 2011, les quatre sociétés sous-traitantes ont pris une participation dans Écomouv' et ont signé les annexes du contrat de partenariat n° 36 sur la stabilité du capital et n° 42 sur la promesse de cession d'action au cas où l'État voudrait racheter la société. Cette séquence a été validée par le Conseil d'État le 24 juin 2011.

Steria est en charge des systèmes centraux de gestion financière et technique et de relations clients, coeur de l'architecture informatique : facturation, flux d'équipements embarqués, supervision générale, statistiques, échanges avec les partenaires externes, hébergement et exploitation informatique. SFR met à disposition ses réseaux de télécommunication, et notamment sa solution machine to machine pour les équipements embarqués. La SNCF assure par l'intermédiaire de Geodis la logistique des équipements embarqués et leur maintenance terrain. Thales est responsable du système de contrôle réalisé sur les 673 points, le système de contrôle manuel mobile équipant les véhicules des douanes et celui destiné aux agents, ainsi que le centre de traitement des anomalies ; cette société contribue à la solution de positionnement satellitaire et à la sécurité globale. Autostrade est le fournisseur du système de collecte : équipements embarqués des redevables non abonnés,  portiques et réseau de distribution guichets et bornes automatiques) ; elle assure l'intégration du dispositif global et la maîtrise d'oeuvre d'ensemble.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Autostrade avait-elle une expérience en matière d'écotaxe ?

M. Sergio Battiboia . - En Italie, Autostrade est concessionnaire d'un réseau de 3 000 kilomètres d'autoroutes concédées et perçoit un péage, comme dans d'autres pays. Elle a remporté un appel d'offres international en Autriche en 2002-2004 pour un dispositif assez similaire au système français, avec un péage et non une taxe, mais cela ne change rien au niveau technique : il s'agissait d'un péage multivoies sans arrêt des véhicules pour les 3,5 tonnes sur un réseau de 2 000 kilomètres, en exploitation depuis le 1 er janvier 2004. La société a été depuis intégrée par l'État autrichien dans la société publique concessionnaire des autoroutes.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Qui sont les actionnaires d'Autostrade ? Quelle est l'importance de ce contrat pour la société ? Pourquoi votre choix technique est-il meilleur qu'un système déclaratif, sachant que la répercussion de la taxe sur le chargeur se fera à partir de données déclaratives ? Pourriez-vous nous communiquer les délibérations des conseils d'administration avalisant l'entrée de SNCF et de Thales dans le capital ?

M. Michelangelo Damasco . - L'actionnaire unique d'Autostrade est la société Atlantia SpA, cotée à la bourse de Milan, dans laquelle la société Sintonia, contrôlée par le groupe Benetton, a une majorité relative importante. Atlantia est concessionnaire d'autoroutes au Brésil, au Chili, en Inde et en Pologne, et opérateur aéroportuaire à travers Aeroporti di Roma. Sa valeur en bourse est actuellement supérieure à 11 milliards d'euros. Les délibérations des conseils d'administration devraient être demandées directement aux sociétés actionnaires.

M. Sergio Battiboia . - Autostrade ne participe pas pour la première fois à ce type de projet. Elle a développé dans les trente dernières années des solutions spécifiques pour le péage et la gestion du trafic, à la différence des autres concessionnaires qui se limitent à la maîtrise d'oeuvre en se basant sur le marché. Elle a commencé comme concessionnaire, puis a répondu à presque tous les appels d'offres de ce type en Europe depuis lors. Elle détient également une société aux États-Unis active dans ce domaine sur le marché nord-américain.

C'est l'État qui a spécifié les caractéristiques du système dans un cahier des charges très prescriptif. Deux directives européennes, sur l'interopérabilité et sur l'eurovignette, posent des contraintes importantes dans ce domaine. Depuis dix à quinze ans que je travaille dans ce secteur, des pays ont hésité entre cette solution et une taxe sur le gazole, beaucoup moins flexible puisqu'il est impossible d'adapter le prélèvement à la catégorie de véhicule et, potentiellement, au trafic.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Autostrade avait-elle déjà travaillé avec l'État français ?

M. Michel Cornil . - Non, et elle n'a pas d'intérêts dans des sociétés sur le territoire français. Notre relation contractuelle avec l'État repose sur deux instruments : un contrat de PPP avec le ministère des transports pour la fourniture d'un système et de tous les équipements constituant le hard du dispositif ; un contrat de commissionnement avec les douanes, qui nous délèguent certaines tâches : le système détecte des anomalies traitées par le centre de traitement de Metz ; celui-ci constitue un dossier transmis aux douanes, qui conservent les tâches régaliennes : constatation de l'infraction, détermination et perception de l'amende ; en cas de contestation, nous élaborons la réponse au redevable.

Après comparaison avec d'autres localités candidates (Reims ou Calais), nous avons décidé de nous implanter à Metz en signant un bail commercial avec Metz Métropole, pour un bâtiment appartenant à cette collectivité dans le cadre de la reconversion de la base aérienne 128.

M. Daniel Meini . - Nous sommes la première société à nous installer sur cette base aérienne.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Pouvons-nous connaître la durée et le montant du bail, si ce n'est pas couvert par le secret commercial ?

M. Michel Cornil . - Ce sont des documents publics.

M. Daniel Meini . - La durée est liée à celle du contrat de partenariat. Nous avons réalisé les rénovations nous-mêmes.

M. Éric Doligé . - Les spécifications techniques françaises sont-elles supérieures à la moyenne des normes européennes, ce qui pourrait expliquer des différences de coût ? Vous dites que la solution allemande est beaucoup plus onéreuse, contrairement à ce qui a été affirmé dans les médias. Le coût global en France est de 1,2 milliard d'euros dont 200 millions d'euros pour la société, 900 millions pour l'État et 100 millions pour les collectivités ; pouvez-vous donner des précisions ? Techniquement, quel est l'intérêt des portiques ? Est-ce une spécificité française ? S'ils n'ont pas de rôle dans la facturation, mais seulement dans le contrôle, peut-on redémarrer sans portique, ou du moins sans remettre en état tous les portiques ? Quels sont les manques à gagner pour les différents partenaires des retards pris par rapport à 2011, date prévue par le Grenelle I ? Sont-ils imputables à un cahier des charges trop contraignant ? Le coût global serait-il dû à une volonté de zéro défaut ? Pourquoi ne pas procéder plutôt à des contrôles sur pièces ? Les poids lourds contrôlés sans équipement auraient une contravention la première fois, et seraient confisqués la deuxième.

M. Jean-Pierre Sueur . - La conjonction d'un PPP conjoint et d'un dialogue compétitif m'a toujours étonné. Ce dernier autorise les candidats sélectionnés à proposer des modifications au cahier des charges initial. Lesquelles avez-vous demandées ? Ont-elles été objectivement présentées aux autres ? Avez-vous eu connaissance des modifications que ceux-ci ont demandées ? Selon quel calendrier ? C'est paradoxal, le candidat contribue à déterminer la règle du jeu. Cela a-t-il été fait de manière irréprochable, claire, limpide ? Beaucoup de Français se demandent pourquoi cela coûte aussi cher. Quelles sont vos réflexions là-dessus ?

M. Louis Nègre . - Vous parlez d'un système spécifique et innovant. En quoi, s'il est similaire à celui installé en Autriche en 2002 ? Quelles sont les différences avec l'écotaxe allemande, système de référence, dont vous dites qu'il est moins efficace et plus coûteux ? Quel est le pourcentage de vos bénéfices réalisés dans ce domaine ? Quel est l'intérêt du portique ? Au prix où il est, on est en droit de se le demander. Pourquoi doubler le système de localisation satellitaire dont vous nous parlez ? Certains esprits taquins se demandent si ces portiques ne pourraient pas servir à l'avenir à autre chose... Quelle est la rémunération de votre prestation ? En tant qu'administrateur de l'agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), son montant me semble élevé. Quels seraient le prix de rachat par l'État et le montant du dédommagement ?

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Que pensez-vous de la clause autorisant Écomouv' à revendre l'ensemble du dispositif au bout de deux ans sans que l'État français n'ait rien à y redire ?

M. Sergio Battiboia . - Les systèmes des États-Unis et de l'Asie étant très localisés, la comparaison n'est pas forcément pertinente. L'Europe est le marché le plus avancé pour la collecte de taxes en flux libre au niveau national, sans infrastructure lourde et sans impact sur le trafic.

En Europe, quatre ou cinq pays seulement ont installé des systèmes de cette nature. L'Autriche a été la première à le faire car, si l'Allemagne avait initié son projet auparavant, elle a rencontré bien des problèmes avant que son système n'entre en vigueur. Celui de l'Autriche est entré en service le 1 er janvier 2004 et celui de l'Allemagne, en partie, en 2005. Ensuite, la République tchèque s'est dotée d'un tel système, puis la Slovaquie et récemment la Pologne. De nature similaire, le système suisse date de 2002 : tous les poids lourds payent une taxe sur la totalité du réseau routier et pas seulement sur le réseau primaire ; un poids lourd suisse ou étranger payera dès le premier kilomètre.

L'Allemagne, la Slovaquie et la France ont adopté la solution satellitaire ; l'Autriche, la République tchèque et la Pologne ont choisi la solution DSRC ( Dedicated Short Range Communications ), où la détection de franchissements par chaque véhicule se fait à l'aide de plusieurs centaines de portiques servant à collecter la taxe et, sur base statistique, aux contrôles. De tels systèmes sont adaptés à un flux important de véhicules - le coût de l'équipement embarqué n'est que de 10 à 15 euros - ou quand le réseau routier est limité, car les portiques sont peu nombreux et le coût de l'investissement relativement faible. Lorsque le nombre de véhicules est plus faible et le réseau routier important, la solution satellitaire est économiquement plus intéressante. L'Allemagne a été le premier pays à mettre en place ce système, la Slovaquie a suivi en 2009 et la France est le troisième pays.

Dans le cahier des charges, l'État français n'avait pas privilégié une solution technologique plutôt qu'une autre. Le cahier des charges était techniquement neutre, comme cela a d'ailleurs été le cas pour les autres pays européens. La Commission européenne est très vigilante en ce domaine. Autostrade puis Écomouv' ont décidé que la solution satellitaire s'imposait du fait de l'extension et de la topologie du réseau routier français : installer 4 000 portiques n'était économiquement pas viable et n'assurait aucune flexibilité. L'Allemagne a été le système référence de ce marché, mais son équipement date de dix ans et la technologie a beaucoup évolué depuis. Ainsi, le système allemand est encore basé sur une communication SMS entre l'équipement embarqué et le système central car, à l'époque, il n'y avait pas de transmission à haut débit. Nous proposons les dernières technologies qui sont très précises pour les localisations satellitaires. Écomouv' utilise le GPS américain, le GLONASS russe et pourra se connecter à Galileo. L'Allemagne pourrait lancer en 2015 un appel d'offres pour moderniser son système.

Avec 12 000 kilomètres, le réseau taxable de l'Allemagne est comparable à celui de la France mais, en Allemagne, seules les autoroutes sont soumises à la taxe, ce qui n'est pas le cas en France où nous avons des problèmes particuliers avec des réseaux parallèles qui induisent des fausses détections. Il est nécessaire que les équipements embarqués soient très précis. L'arrêté d'homologation d'Écomouv' prescrit que la taxation à tort doit être inférieure à un cas sur un million. Un tel niveau de performance requiert un équipement satellitaire très performant.

Les portiques ne sont pas utilisés pour collecter la taxe mais, même dans les pays qui ont choisi la solution satellitaire, il y en a toujours un certain nombre pour opérer des contrôles statistiques sur les réseaux à très haut trafic : avec 800 000 véhicules concernés, il n'est guère possible de demander à la police d'assurer les contrôles.

M. Louis Nègre . - Les portiques ne serviront qu'à lutter contre la fraude .

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Sauf que certains portiques sont placés sur le réseau non taxable. Il en est ainsi en Aquitaine, dans les Pyrénées-Atlantiques. Pourquoi ?

M. Sergio Battiboia . - L'État nous a demandé de mettre en place ces 6 portiques sur 173. Les poids lourds assujettis français doivent être équipés, même quand ils roulent en dehors du réseau taxable.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Quel est le coût d'investissement des portiques et des dispositifs embarqués ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Laissons-nous le temps d'entendre sur ces questions la Cour des comptes. Ensuite, nous aurons une audition spécifique avec vous et avec le ministère sur tous ces aspects financiers.

M. Sergio Battiboia . - Vous m'avez interrogé sur l'évolution du cahier des charges. L'État a discuté avec chacun des candidats, mais nous ne savons pas ce qui s'est dit avec les autres candidats ni quelles solutions ils ont proposées.

M. Jean-Pierre Sueur . - La loi prévoit que si un candidat préconise une modification, les autres candidats en sont informés en temps réel. Vous avez dû être informés en temps réel des modifications proposées par les autres candidats. Le principe d'égalité face aux marchés publics fait que les autres candidats doivent être immédiatement informés si le cahier des charges évolue. Vous devez donc me répondre de façon précise.

M. Sergio Battiboia . - Le cahier des charges n'a pas vraiment évolué suite à la demande des candidats.

M. Jean-Pierre Sueur . - A-t-il changé ou pas ? Ce cahier des charges est-il resté strictement le même entre le début et la fin du dialogue compétitif ?

M. Sergio Battiboia . - Il a changé.

M. Jean-Pierre Sueur . - Pouvez-vous nous produire l'ensemble des points où il y a eu changement avec le calendrier et les pièces attestant que vous avez été mis au courant des modifications proposées par les autres candidats ? Nous pourrons leur demander aussi s'ils ont eu communication des modifications que vous avez proposées. Il faut qu'à tout moment, il y ait égalité devant la commande publique.

M. Antoine Caput . - Entre le 7 janvier 2010, date du dépôt des offres initiales, et le 12 juillet 2010, quand l'État a publié le dossier définitif des offres finales (DDOF), s'est déroulée une période de dialogue au cours de laquelle nous avons participé à neuf réunions. Un certain nombre d'évolutions ou d'ajustements du cahier des charges ont eu lieu, mais aussi des quantitatifs d'équipements, des prescriptions règlementaires. Ainsi, lors de la consultation initiale, nous n'avions pas le guide de procédure qui traduit, en termes métier de la douane, des prescriptions fonctionnelles du dispositif. Il y a eu également des évolutions en matière d'arrêtés d'homologation : l'État a voulu homologuer le dispositif pour lui donner force de preuve. L'État ayant pris conscience du coût des contrôles, le nombre de contrôles automatiques fixes a diminué entre le cahier des charges initial et le final. Ces évolutions sont inhérentes au cadre d'un dialogue compétitif. Je n'ai pas souvenir que dans les échanges d'Autostrade avec l'État, il y ait eu de véritables suggestions de faites. En analysant les propositions initiales reçues le 7 janvier 2010 de la part des différents candidats, l'État a précisé sa demande. L'égalité entre les candidats n'a pas été mise en cause. D'ailleurs, le Conseil d'État, après avoir regardé ces points de façon très précise, a estimé que le processus s'était déroulé de façon normale. Nous listerons l'ensemble des modifications, même si c'est un travail fastidieux.

M. Michel Cornil . - En France, le système va coûter 200 à 230 millions d'euros pour collecter 1,2 milliard d'euros de taxes. En Allemagne, il coûte 510 millions d'euros pour 4 milliards d'euros de taxes. La différence tient aux réseaux autoroutiers, comme l'a dit M. Battiboia tout à l'heure. Le système est plus cher en Allemagne, mais collecte plus de taxe que la France. En outre, le système français est évolutif et pourrait connaître d'autres applications.

M. Éric Doligé . - Si, en chiffres absolus, le système allemand coûte plus cher, celui qui est prévu en France est proportionnellement plus onéreux car il est « avec ceinture et bretelles ».

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Le coût en France n'est-il pas lié à la durée très courte prévue pour l'amortissement du matériel ? Écomouv' va assez rapidement récupérer son investissement initial.

M. François Grosdidier . - Y a-t-il des systèmes comparables en régie directe de l'État ? Dans l'affirmative, en connaissez-vous les coûts ?

Avez-vous eu de la part de l'actuel Gouvernement des observations ou des demandes d'explication ou d'éclaircissement sur l'attribution du contrat et les modalités de sa mise en oeuvre avant que les polémiques n'apparaissent en Bretagne ?

Comment le Gouvernement vous a-t-il prévenu de la suspension qui vous affectait directement ? L'avez-vous apprise, comme nous, par la presse ? Le Gouvernement s'est-il rapproché de vous, avant l'annonce de la suspension, pour mesurer les conséquences financières et sociales de ses décisions ? Quel est le montant du préjudice de ce report pour vous, mais aussi pour l'État et les collectivités territoriales ? Quel serait-il en cas d'abandon définitif ?

Quel est le coût social de cette suspension, notamment en Moselle, où 250 emplois étaient attendus sur le site de la base aérienne 128 ? L'État avait forcé la main de Metz Métropole pour pouvoir y accueillir Écomouv'. Qu'en est-il des CDI créés et prévus ? Que sont devenus ces emplois ? Sont-ils touchés par des mesures de chômage partiel ? Un certain nombre de CDD n'auraient pas été renouvelés en décembre. Beaucoup de demandeurs d'emplois qui arrivaient en fin de droits et qui devaient être embauchés se retrouvent au revenu de solidarité active (RSA) ou à l'allocation de solidarité spécifique (ASS). Quels sont les dispositifs d'accompagnement sociaux que vous avez pu mettre en oeuvre avec les services de l'État ? Enfin, à combien se sont élevés les coûts de formation financés par vous et par Pôle Emploi ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Dans un contrat de PPP, un des points clés est la mise à disposition. A-t-elle été faite ou quand comptez-vous la faire ?

M. Louis Nègre . - Je renouvelle ma question : la rémunération représente 20 % de la recette, contre 12 % en Allemagne. Le montant de la prestation n'est-il pas excessif ? Quel dédommagement allez-vous demander à l'État si le système n'est pas mis en oeuvre et quel serait le prix d'achat d'Écomouv' par l'État ?

M. Jean-Pierre Sueur . - Si j'ai bien compris la réponse de M. Caput, le cahier des charges n'a pas été modifié suite à la proposition d'un des candidats, mais tous les changements ont été décidés par l'État, après les conversations qu'il a eues avec les différents candidats.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Vous avez parlé de 25 000 facturations détaillées, mais ce test représente quel pourcentage des factures attendues ? Les entreprises ont-elles pu vérifier leurs factures à blanc ? Quid de l'agrément des agents chargés du recouvrement ? Vous avez envie d'être prêts puisque l'État ne vous versera des loyers que lorsque le système sera livré, mais l'êtes-vous réellement ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Mme le rapporteur a raison de vous interroger sur la marche à blanc, mais vous semblez avoir essentiellement travaillé avec des grosses entreprises.

M. Antoine Caput . - L'objet du dialogue compétitif était d'expliquer l'offre initiale remise le 7 janvier 2010 et de répondre aux questions de l'État sur les solutions, les choix, les équipements, les prix que nous proposions. Sur la base de ce dialogue, l'État a modifié sa demande, mais Autostrade n'a rien fait d'autre que d'expliquer ses propositions initiales.

La rémunération d'Écomouv' est fixée par le contrat sur une base trimestrielle et elle est due par l'État à compter de la mise à disposition du dispositif. Elle est payée à date fixe : 1 er mars, 1 er juin, 1 er septembre et 1 er décembre. Cette rémunération n'est aucunement un pourcentage du montant de la taxe collectée. Les comparaisons avec le système allemand doivent donc être prudentes, d'autant que son prix était bien plus élevé dans les premières années : le gouvernement allemand a en effet renégocié avec le consortium Toll Collect.

Dans le contrat, les valeurs hors taxe de rémunération sont exprimées sur une base extrêmement précise en valeur janvier 2011. Ce contrat prévoit une durée d'exploitation de onze ans et demi et une partie de la rémunération du prestataire est indexée sur des indices Insee, afin de prendre en compte l'inflation tout au long de la vie du contrat. Une première partie est fixe, non indexée, ferme et non révisable, car elle rémunère les investissements et les moyens de financement utilisés pour construire le dispositif ; elle s'élève à 96 millions d'euros par an. Une deuxième partie fixe rémunère les coûts de maintenance et de gestion du dispositif (loyers, salaires, frais de fonctionnement, assurances, frais généraux d'Écomouv', réseau de distribution) ; à ses 47 millions d'euros, s'ajoutent 8 millions d'euros pour abonder un compte budgétaire spécifique qui servira au gros entretien renouvellement : la durée de ce PPP est relativement courte et, à l'issue du partenariat, l'ensemble du dispositif reviendra gratuitement à l'État.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Que se passera-t-il pour les personnels ? Resteront-ils à Écomouv' ou l'État les prendra-t-il en charge ?

M. Antoine Caput . - Écomouv' devra assurer la transmission du savoir et des personnels de façon à ce que l'État reçoive un dispositif qu'il pourra exploiter.

Les deux parties fixes de la rémunération représentent donc 151 millions d'euros annuels hors taxe, valeur janvier 2011. Variable, la troisième partie est fonction du travail d'exploitation réalisé par Écomouv' et par les SHT : elle se monte à environ 64 millions d'euros hors taxes. Cette valeur est calculée sur des prévisions de trafic et de fraude qui ont été indiquées par l'État dans le contrat mais également dans les documents de consultation : ainsi la comparaison des différentes offres a pu s'établir sur des bases exactement identiques. Je ne peux pas certifier que ces 64 millions d'euros correspondront au coût de la rémunération puisque cette valeur dépendra du trafic réel observé.

M. Louis Nègre . - Que rémunère la part variable ?

M. Antoine Caput . - Dans un système qui repose sur la communication de données, s'il y a moins de trafic, la charge de communication à payer aux opérateurs diminue et la charge de travail administratif - établissement et transmission des factures - baisse également. D'ailleurs, une grande part de ce travail reviendra aux SHT : cette rémunération sera perçue par Écomouv' puis transférée aux différentes sociétés commerciales qui commercialisent le service écotaxe poids lourds auprès de leurs flottes de transporteurs. Il faut également prendre en compte les coûts postaux de transmission de factures et ceux de traitement de la fraude.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - A juste titre, vous raisonnez hors taxe. La TVA que vous verserez abondera le budget général et pas celui de l'Afitf.

M. Vincent Capo-Canellas . - Vous dites que la rémunération des investissements s'élèvera à 96 millions d'euros. Or le total des investissements s'est monté à 500 millions d'euros. Le taux de rémunération du capital investi n'est-il pas trop élevé, surtout au regard des autres PPP ? Quels sont les risques qui justifient ce niveau de rémunération ?

M. Antoine Caput . - Ma réponse sera trop globale pour vous satisfaire. Nous reviendrons ultérieurement vous faire un exposé beaucoup plus précis sur ces aspects couverts par le secret des affaires. Le montant total des investissements s'élève à 650 millions d'euros.

Je ne suis pas sûr que l'on puisse comparer ce PPP aux autres, qui sont le plus souvent liés à la construction de bâtiments où le risque technologique est d'une nature très différente de celui que nous avons dû assumer. De plus, l'État a souhaité que le système soit complètement ouvert, interopérable, conformément à la législation européenne. Le système français est le premier en Europe à avoir cette caractéristique : Écomouv' n'est pas dans une position de monopole, contrairement à tous les autres systèmes en Europe. L'ouverture à des sociétés tierces privées qui font commerce de produits vers les transporteurs multiplie le nombre d'acteurs et impose l'adaptation de solutions techniques. N'oubliez pas que selon les prévisions faites par l'État, 80 % des redevables seront traités par les SHT et non par la société Écomouv' qui ne s'occupera que des utilisateurs occasionnels du réseau taxable. Ce niveau d'exigence de l'État français, pour être conforme à la législation européenne, a créé un environnement très spécifique à ce PPP écotaxe.

M. Michel Cornil . - La mise à disposition est une étape importante, puisqu'elle consiste à la remise, par Écomouv', du système en bon état de fonctionnement. Pour le vérifier, une série de tests a été réalisée par nous-mêmes et par l'État. La VABF - la vérification d'aptitude au bon fonctionnement - est constituée de tests techniques...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Quand ?

M. Michel Cornil . - ... qui se sont achevés le 8 novembre dernier. L'État a considéré qu'il n'y avait pas de défaut susceptible de retarder la mise à disposition.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Cela a-t-il été formalisé ?

M. Michel Cornil . - Des courriers ont été adressés et nous pourrons vous les transmettre.

M. Michelangelo Damasco . - L'État nous a communiqué le rapport final de ces vérifications le 22 novembre 2013 en reconnaissant que le dispositif est conforme aux prescriptions techniques, fonctionnelles et légales applicables, et que le prononcé de la VABF pourrait intervenir dès que le dispositif serait homologué. C'est chose faite. Nous attendons que l'État finalise les étapes de vérification qui mènent à la mise à disposition.

M. Sergio Battiboia . - Dans le cadre du système, des chaînes de contrôle automatique et manuel font l'objet d'une démarche d'homologation. Toutes les vérifications nécessaires ont été réalisées par des laboratoires agréés par le comité français d'accréditation, la Cofrac, ou l'État ; l'Ifsttar, l'organisme d'homologation accrédité par l'État, a émis des avis d'homologation sur toutes ces chaînes.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Qu'attend-on alors pour faire cette mise à disposition ? Vous ne serez payés qu'à partir de la mise à disposition.

M. Michel Cornil . - Comme je l'ai dit tout à l'heure, le système est prêt, il a subi tous les tests et il dispose de toutes les homologations nécessaires pour que soit prononcée la VABF par l'État. Nous estimons que le système est prêt à être réceptionné par l'État.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Vous considérez que vous n'avez pas pris de retard. Or, vous avez dépassé les 18 mois initialement prévus.

M. Michel Cornil . - Certes, mais nous attendons désormais que la mise à disposition soit prononcée.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je reviens sur les 25 000 facturations détaillées. La marche à blanc n'était pas prévue dans la procédure d'homologation.

M. Michel Cornil . - La mise en service, prévue le 20 juillet dernier, a été reportée au 1 er octobre et l'État a souhaité une marche à blanc, afin de parfaire le système ; en revanche, la taxe en Alsace a été supprimée pour être remplacée par cette marche à blanc. Cette dernière s'est déroulée avec des volontaires, qui étaient effectivement plutôt des entreprises structurées, mais d'autres transporteurs ont aussi souhaité se préparer activement à l'introduction de cette taxe : 10 000 véhicules ont participé à cette marche à blanc d'une durée de quatre mois. Le dépouillement des franchissements des points de tarification a donné lieu à 27 000 factures, que les volontaires ont pu vérifier.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous aimerions disposer d'un modèle de ces factures détaillées, car une des critiques qui vous sont adressées porte sur l'absence de détails de ces factures.

M. Michel Cornil . - Le contrat prévoit que des factures détaillées sont transmises aux entreprises qui en font la demande, sous forme papier ou électronique.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Pour résumer, si l'on ne demande pas de facture détaillée, on reçoit juste un montant à payer.

M. Daniele Meini . - Nous avons repris les spécifications de l'État sur la structure de la facture, rien de plus.

M. Michel Cornil . - Le transporteur pourra obtenir le détail de ses parcours, avec les points de tarification franchis.

À ma connaissance, il n'existe pas de système comparable exploité en régie. Seule la Suisse fait exploiter son système par son administration des douanes. Les autres systèmes ont été confiés à des prestataires privés, sous des formes juridiques très diverses, pour des raisons de complexité technologique.

Nous avons honoré tous nos engagements vis-à-vis du personnel : à Metz, 159 personnes sont employées en CDI sur un total de 193 personnes pour Écomouv'. Nous n'avons pas donné suite aux contrats en CDD et nous avons retardé l'embauche des personnels complémentaires puisque nous recruterons environ 300 personnes lorsque le système fonctionnera. En effet, le personnel qui devait être embauché était principalement affecté au centre de traitement des anomalies.

M. François Grosdidier . - Les salariés dont les CDD ont été interrompus se retrouvent à Pôle Emploi : des mesures d'accompagnement ont-elles été prévues pour les 60 personnes concernées ? D'autres personnes qui avaient suivi des stages de formation professionnelle devaient être embauchées à court terme : des solutions d'attente ont-elles été prévues ou bien ces personnes retombent-elles dans le droit commun ?

M. Daniele Meini . - Nous n'avons pas renouvelé les CDD, recrutés pour la phase d'enregistrement. Pour ceux qui avaient suivi une formation professionnelle, nous avons demandé à Pôle Emploi de les accompagner afin qu'ils trouvent un nouvel emploi en Lorraine.

M. François Grosdidier . - Vous me confirmez qu'il n'y a aucun dispositif spécifique de prévu : ces personnes retombent dans le droit commun contrairement à ce qui se passe parfois en cas de restructuration. Avez-vous eu des contacts avec l'État avant l'annonce officielle de la suspension de l'écotaxe ?

M. Michelangelo Damasco . - Les CDD étaient prévus pour accompagner le pic d'enregistrement, qui devait s'achever fin décembre. Comme cette phase n'a pas eu lieu, les CDD n'ont pas été renouvelés. En outre, nous voulions embaucher une soixantaine de personnes pour la mise en service et l'exploitation, mais la suspension a empêché tout recrutement. Nous avons été surpris comme vous par l'annonce de la suspension de l'écotaxe, car aucun contact préalable n'avait été pris avec Écomouv'.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Vous l'avez appris par la presse, vous aussi ?

M. Michelangelo Damasco . - Oui. Et aucune mesure d'accompagnement social n'a été prévue ni demandée.

M. Michel Cornil . - Si nous poursuivons les contacts techniques avec la mission de tarification, aucune négociation n'est engagée pour les semaines et les mois à venir.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Quels étaient vos conseils lors de la conclusion du contrat ? Quels étaient vos contacts au sein de l'État ?

M. Michel Cornil . - Nous étions en contact avec la mission de tarification et les douanes.

M. Antoine Caput . - Les interlocuteurs réguliers d'Écomouv' dans le cadre du contrat de partenariat ont été, au sein du ministère de l'écologie et du développement durable, les membres de la mission de tarification dirigée par Antoine Maucorps, assisté de son adjoint Olivier Quoy et d'Annie Corail pour la direction générale des douanes et des droits indirects. Cette mission de tarification dépend de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), dirigée par Daniel Burseaux. M. Maucorps reste notre interlocuteur régulier pour le contrat.

Lors du montage de l'opération, Deutsche Bank était notre conseil en financement, Marsh notre conseil pour les assurances, Quatri.com, société de conseil en logistique et en formation du réseau de distribution des équipements embarqués et, d'une façon plus générale, pour la documentation de l'offre, nous a aussi secondés. Pricewaterhouse Coopers, conseil audit du modèle financier, a établi pour le compte d'Autostrade le mémoire comptable et fiscal demandé par la consultation. Baker & McKenzie était notre conseil juridique. Willkie Farr nous a assistés pour le financement du projet. Enfin, Autostrade a demandé à Mazars de l'aider pour l'audit des systèmes et des processus qui était demandé par l'État.

M. Michelangelo Damasco . - Vous nous avez interrogés sur une éventuelle cession. L'annexe 36 prévoit que le titulaire peut céder jusqu'à 30 % de ses actions. Si les actionnaires conservent la majorité du capital social, la cession à un tiers ne nécessite pas l'autorisation de l'État, qui est nécessaire dans le cas contraire. L'État a tous les instruments pour s'assurer du respect de cette disposition.

À notre connaissance, aucun État n'a réalisé seul un tel système. En Autriche, l'État a confié ce projet à une société privée. Une fois tous les risques de construction pris par le partenaire privé, l'État a racheté le système. Même chose en Suisse, même si le système est complètement différent.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Nous avons peu évoqué les reports de circulation. Avez-vous participé au choix du réseau taxable ? Certains esprits chagrins disent qu'Autostrade étant italien, elle s'est arrangée pour que les Italiens puissent traverser toute la France sans passer par le réseau taxable. Reste que les études montrent un report de trafic du réseau taxable vers le réseau autoroutier concédé, dont les recettes augmenteront sans qu'il participe aux infrastructures ferroviaires.

M. Michel Cornil . - Le réseau a été déterminé à la suite de simulations effectuées par les services spécialisés de l'État qui ont prévu les reports à partir de relevés de trafics et d'hypothèses. Écomouv' n'a pas participé à ces travaux. Je n'ai pas de commentaires à faire sur les éventuels reports du trafic sur les autoroutes.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Sauf par rapport à la rémunération de la part variable.

M. Michelangelo Damasco . - Nous avons pris en compte ce risque dans notre projet.

M. Michel Cornil . - Dans mon propos introductif, j'ai dit que nous avions pris en compte tous les risques, y compris la plupart de ceux relatifs aux évolutions de l'environnement pendant la période d'exploitation.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Vous n'avez pas envoyé de facture à l'État.

M. Michel Cornil . - Non.

M. Vincent Capo-Canellas . - Les délais antérieurs à la décision de suspension s'expliquent-ils par des obstacles techniques, des demandes nouvelles, des aménagements ? Si l'interopérabilité respecte la règlementation européenne, la volonté française d'être le meilleur élève de la classe ne se traduit-elle pas par plus d'exigences et de coûts ? En outre, les portiques donnent de votre système une image désuète alors que votre système satellitaire est, affirmez-vous, au top de la technologie. Ne pouvez-vous nous dire enfin en quelques phrases claires en quoi votre système est le meilleur et pourquoi il fallait le retenir ?

M. Michel Cornil . - Le premier jalon contractuel intervenait en juillet 2013. Avec l'État, nous avons estimé qu'il convenait de parfaire des dispositifs techniques et administratifs, d'où le report à octobre. Le périmètre a été modifié, la taxe alsacienne supprimée, les tests jugés non satisfaisants... Il restait indispensable d'atteindre un seuil de véhicules enregistrés suffisant pour obtenir un effet d'entraînement : or, à 25 000 enregistrements durant l'été, nous étions trop loin de l'objectif raisonnable de 400 000 abonnés. Nous avons fait part de ce constat à l'État, ainsi que de la nécessité d'afficher clairement une date d'entrée en vigueur, d'où le report au 1 er janvier 2014. Après le décret, paru le 5 octobre 2013, nous avons observé une montée des enregistrements : 190 000 véhicules sont désormais équipés du dispositif.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Sur 800 000, dont 200 000 étrangers...

M. Daniele Meini. - Les véhicules étrangers peuvent s'équiper à n'importe quel moment ; il suffit qu'ils le fassent avant de rentrer sur le réseau français. Seuls les Français sont obligés d'être équipés d'un boîtier.

M. Vincent Capo-Canellas . - Cela fait moins du tiers !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - J'avais pourtant compris qu'au départ, les étrangers avaient été nombreux à s'enregistrer.

M. Michel Cornil . - En effet, grâce à notre réseau de sociétés de télépéage, qui les avait ciblés dans une logique commerciale ; mais depuis, la situation s'est inversée et les Français sont désormais majoritaires. En revanche, le mouvement s'est interrompu après l'annonce de la suspension de l'écotaxe.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Quand je compare les 190 000 véhicules enregistrés aux 800 000 attendus...

M. Michel Cornil . - Une fois défalqués les véhicules en attente d'immatriculation, ceux qui ne sortent plus et tous les non abonnés, on arrive à une cible de 400 000 abonnés.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Comptez-vous les non abonnés ?

M. Michel Cornil. - Les non abonnés qui ont besoin ponctuellement d'un équipement passent par le circuit de distribution d'Écomouv' ; ils ne suivent pas la procédure d'enregistrement.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Pour être prêts, il faut que les boîtiers soient embarqués sur les véhicules. A 190 000, le compte n'y est pas.

M. Michel Cornil. - Cela n'a rien à voir avec la mise à disposition, pour laquelle nous sommes prêts.

M. Vincent Capo-Canellas . - Qui devrait faire l'effort ?

M. Michel Cornil . - Il faudra, lorsque l'on fixera une date, tenir compte de ces délais.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - A cet égard, je ne vous trouve pas très exigeants. Vous semblez attendre tranquillement au lieu d'exiger la mise à disposition. L'État pourrait presque vous imposer des pénalités ! Cette situation est ubuesque.

M. Michel Cornil . - Je partage votre opinion : puis-je prendre votre remarque comme un conseil ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Si vous n'aviez pas une part de responsabilité, vous seriez plus exigeants.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Votre contrat vous protège forcément. J'ai beaucoup de mal à croire que votre entreprise prenne tous les risques.

M. Michelangelo Damasco . - Nous avons demandé à l'État de finaliser au plus vite...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Comment ? Par une lettre ? Il n'y a rien ! Vu l'importance des sommes en jeu, il est normal de se préoccuper de ces questions.

M. Éric Doligé . - Nous le savons bien, on est en position d'infériorité face à l'État : quand il résiste, il est bien difficile de le faire bouger. Les départements sont également des créanciers potentiels. Voilà plusieurs années que j'inscris à mon budget des sommes qui n'arrivent pas ! Or, j'ai en face des dépenses réelles : il faudra bien déclencher la décision de l'État.

Des transporteurs m'ont dit que l'équipement leur coûte 350 euros par véhicule. Quand vous avez plusieurs centaines de camions, cela représente des sommes qui auraient été mieux investies dans la production. Ce chiffre vous dit-il quelque chose ?

M. Michel Cornil. - Nous remettons l'équipement gratuitement, mais le véhicule passe ensuite à l'atelier. Vos interlocuteurs pensent sans doute à ce coût-là. Quant à votre remarque, je l'ai parfaitement entendue ; j'observe que la situation date du 1 er janvier 2014.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Mais la décision de novembre 2013.

M. Michel Cornil . - Nous avons voulu laisser passer l'échéance de janvier.

M. François Grosdidier . - Le Gouvernement vous a-t-il demandé des éclaircissements avant que les polémiques n'éclatent ?

M. Michelangelo Damasco. - Non, l'État ne nous a jamais demandé par écrit ou par oral d'éclaircissement sur la procédure ; au demeurant, nous en aurions été très surpris, le Conseil d'État ayant eu l'occasion d'établir qu'elle avait été parfaitement régulière. De même, nous n'avons pas été consultés avant la suspension et, si nous avons indiqué notre disponibilité pour trouver des aménagements, nous n'avons pas été invités à une négociation.

M. Vincent Capo-Canellas . - Et les portiques ?

M. Antoine Caput. - Dans tous les pays qui ont institué une telle taxe, vous trouvez ces superstructures visibles - elles sont même plus imposantes en Allemagne. On déploie des contrôles automatiques parce que l'on n'aurait pas les moyens humains de contrôler le trafic de manière équitable sur les 15 000 kilomètres de routes taxées. Outre les obstacles techniques auxquels l'on se heurterait, comment assurer la sécurité des agents chargés du contrôle, de quelle manière intercepteraient-ils les fraudeurs parmi tous les camions roulant de jour et de nuit, sur les autoroutes comme sur les autres routes ?

Qu'il s'agisse du cahier des charges initial ou de sa version finale, l'État a énoncé des prescriptions en termes de fonctionnalité du système. En ce qui nous concerne, nous les avons suivies. S'il ne nous appartient pas d'émettre un jugement, nous pouvons constater qu'elles sont raisonnables au regard des objectifs de contrôle. Ce système indispensable n'a pas vocation à attraper 100 % des fraudeurs, mais d'en verbaliser 89 %.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous consacrerons une seconde audition aux questions financières. Nous avons également la volonté d'aller à Metz.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Au terme de celle-ci, je reste surprise du nombre de données couvertes par le secret commercial. Comment, dans ces conditions, s'assurer que le PPP optimise les finances publiques ? En tout état de cause, merci de vos réponses.

Audition de M. Michel Hersemul, chef du département d'expertise des partenariats public-privé et de conduite de projets délégués au sein de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) (Mardi 14 janvier 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente. - Mes chers collègues, nous entendons aujourd'hui M. Michel Hersemul, chef du département d'expertise des partenariats public-privé et de conduite des projets délégués au sein de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM).

Nous souhaitons notamment que M. Michel Hersemul nous explique les fonctions et missions de son département, ses moyens, son éventuel rôle dans la procédure d'élaboration et de passation du contrat Écomouv' et son suivi, ainsi que son appréciation de la procédure de partenariat public-privé utilisée pour contracter avec Écomouv', en comparaison avec d'autres opérations de même nature ou ampleur.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Michel Hersemul prête serment.

M. Michel Hersemul. - Madame la présidente, vous avez souhaité m'auditionner, dans le cadre de la commission d'enquête, en tant que responsable, au sein de la DGITM, d'un département dédié à la dévolution des partenariats public-privé (PPP) des infrastructures de transport. Le terme de partenariat public-privé recouvre l'ensemble des contrats complexes, et notamment les contrats de concessions et de partenariat. Mon département est situé au sein de la DGITM, mais peut être sollicité pour intervenir sur l'ensemble des procédures de dévolution de contrats de concession ou de partenariats passés par la direction générale.

Les missions du département sont prioritairement ciblées sur la passation de ces contrats et sur leur dévolution. Dans ce cadre, mon département joue deux rôles différents : il est, d'une part, directement pilote de la dévolution des contrats liés aux infrastructures autoroutières, qu'elles soient réalisées en concession ou en contrat de partenariat ; d'autre part, mon département assure une expertise, et apporte une contribution au cas par cas, notamment dans les domaines juridique et financier, pour les contrats dont le pilotage est assuré par d'autres entités de la direction générale.

Pour mener ces missions, le département dispose de 14 agents de catégorie A et A +, dont moi-même. Il a vocation à être à la fois un lieu de mutualisation et de capitalisation des compétences, et de valorisation des expériences ; il constitue également, in fine , une entité de pilotage opérationnel pour le domaine routier.

Les agents sont répartis entre trois métiers principaux : la compétence juridique et la passation de contrats, la compétence financement - et plus spécialement le financement de projets - et le pilotage de procédures.

Par ailleurs, il est usuel, pour ce type de contrats, et selon les sujets, que le département ou l'entité pilote du contrat concerné s'entourent des compétences de conseils indépendants privés, notamment dans les domaines technique, juridique ou financier. C'est le cas pour l'écotaxe, dont le contrat a profité de l'appui d'un grand cabinet d'avocats parisien.

À ce moment de mon exposé, il me faut rappeler qu'au sein de la direction générale, une mission de la tarification a été mise en place afin de conduire le projet écotaxe, et notamment la passation du contrat et son suivi.

Mon département est intervenu en tant que de besoin en assistance auprès de cette entité, et en expertise spécifique, pour la mise en place de la structuration et de la dévolution du contrat de partenariat relatif à la taxe sur les poids lourds.

Je me permets de signaler que les expériences acquises au sein du département, à travers un certain nombre d'autres contrats, ont permis de faire bénéficier la mission de la tarification d'une structuration spécifique en termes d'organisation, avec la création d'une équipe projet présentant toutes les compétences utiles à la conduite de celui-ci, la mise en place d'assistants externes techniques, juridiques et financiers, par des réflexions structurées très en amont sur les modes d'achat disponibles pour mettre l'écotaxe en place et, in fine , la mise en oeuvre de la dévolution du contrat.

Dans ce cadre, nous avons insisté, en tant que conseils internes, sur la confidentialité nécessaire vis-à-vis des différents candidats, sur l'égalité de traitement entre ces derniers, sur la manière d'organiser le dialogue compétitif de façon optimale, ainsi que sur la mise en place d'une commission consultative, créée par décret, présidée par un conseiller d'État, et qui a été interrogée régulièrement.

On peut donc considérer, s'agissant de l'écotaxe, que les standards habituels de dévolution des contrats ont été mis en oeuvre.

Cette organisation confère néanmoins à la seule mission de la tarification la connaissance à la fois globale et précise du dossier, et la légitimité pour répondre aux questions spécifiques que la commission d'enquête pourrait soulever sur la mise en place du choix du contrat de partenariat et sur la dévolution ou le contrat lui-même, mon département n'en ayant qu'une vision partielle et n'étant intervenu qu'à titre d'expert sur les points à propos desquels il était sollicité.

Je comprends néanmoins que vous avez souhaité pouvoir disposer d'un éclairage sur les aspects plus généraux des contrats de partenariat. Au regard des champs d'investigation de la commission d'enquête, quatre points me semblent pouvoir être abordés préalablement à nos échanges, d'une part, les conditions de recours au contrat de partenariat, d'autre part, l'intérêt du dialogue compétitif, les modalités de rémunération d'un tel contrat, et le traitement contractuel des risques

Les personnes publiques peuvent librement, et dans le respect des lois et règlements, choisir en opportunité le mode d'achat qu'elles jugent le plus performant pour répondre à leurs besoins. Dans la panoplie de l'achat public, le contrat de partenariat est un dispositif à part, parfois baptisé du nom de « niche » par les spécialistes. Seuls 200 contrats de partenariat ont été signés dans ce cadre.

C'est surtout un dispositif d'achat dérogatoire au code des marchés publics, notamment du fait qu'il interdit l'allotissement et autorise un paiement différé. Cela justifie, pour l'État, la nécessité réglementaire de produire une étude dite d'évaluation préalable, qui doit elle-même être validée par un organisme compétent de la direction du Trésor, la mission d'appui des partenariats public-privé (Mappp).

Que comporte l'évaluation préalable conduite pour l'écotaxe ? Elle doit d'abord s'attacher à justifier le respect des conditions réglementaires de recours au contrat de partenariat, en montrant le respect d'une des conditions réglementaires imposées par l'ordonnance.

Les conditions sont au nombre de trois : le critère d'urgence, le critère de complexité, la démonstration d'un bilan coût-avantage favorable au contrat de partenariat.

J'attire votre attention sur le critère de complexité. La notion de complexité renvoie en effet à la directive européenne 2004/18/CE qui indique que « les pouvoirs adjudicateurs qui réalisent des projets particulièrement complexes peuvent, sans qu'une critique puisse leur être adressée à cet égard, être dans l'impossibilité objective de définir les moyens aptes à satisfaire leurs besoins, ou d'évaluer ce que le marché peut offrir en termes de solutions techniques ». Cette définition montre que la notion de complexité n'est pas considérée comme intrinsèque au projet, mais qu'elle doit être considérée eu égard aux compétences et aux moyens dont dispose la personne publique.

L'évaluation préalable doit également comporter une étude comparative, qui analyse, notamment en matière de coût global, de performance, de partage des risques et de développement durable, l'intérêt relatif d'un mode d'achat en contrat de partenariat par rapport aux autres modes d'achat disponibles.

En ce qui concerne l'écotaxe, cette étude préalable a été élaborée par l'État. Le recours au contrat de partenariat a été autorisé par la Mappp dans son avis n° 2009-4, rendu en 2009. Cet avis est public et disponible sur le site internet de la Mappp. Celle-ci y valide, concernant l'écotaxe, la notion de complexité, en évoquant plusieurs thématiques techniques, qui vont de l'envergure du dispositif à la difficulté, pour l'État, de choisir a priori entre les deux solutions proposées - satellitaire ou recours aux communications dédiées à courte portée (DSRC). Les DSRC sont des dispositifs de transmission par micro-ondes supposant d'implanter des bases fixes tout au long de la route, ce qui n'a finalement pas été retenu.

L'intérêt de ces contrats est de favoriser l'émergence de solutions techniques opérationnelles susceptibles d'optimiser la réponse aux besoins de l'État. Cette optimisation est particulièrement favorisée lorsqu'on met en place un dialogue compétitif, ce qui a été le cas pour l'écotaxe, ceci permettant, de manière itérative, entre la personne publique et le candidat, d'améliorer conjointement le projet, d'une part, par l'ajustement du cahier des charges fonctionnel pour ce qui est de la personne publique et, d'autre part, par des efforts d'innovation et de performance du côté privé.

Cette évolution se traduit par des phases normées, dites d'échange ou de remise d'offre initiale, qui aboutissent in fine au projet final de consultation. Cette évolution du cahier des charges est bien évidemment conduite dans le total respect de l'égalité de traitement des candidats, et des éventuelles propriétés intellectuelles ou industrielles.

Il serait maladroit de ne pas évoquer le sujet de la rémunération des partenaires dans ce type de contrat...

Les contrats de partenariat supposent la mise en place d'un financement du projet par le titulaire, le cas échéant partiel. Compte tenu de la durée et du périmètre de ces contrats, une telle disposition revêt un intérêt évident pour assurer la mobilisation du partenaire dans la durée, et permettre une éventuelle sanction financière en cas de performance insuffisante.

Elle possède aussi des vertus dans les éventuels arbitrages que le partenaire peut adopter dans la conception de son projet, entre la qualité initiale de l'investissement et le coût d'entretien ultérieur. Bien évidemment, ce financement privé contribue à l'approche en coût global du projet, qui est un point important du contrat de partenariat. L'ensemble du coût d'investissement, de fonctionnement et de renouvellement est pris en compte, et non le seul coût initial.

L'ordonnance de partenariat impose que la rémunération du financement soit différenciée au sein de la rémunération globale du partenaire, mais le jugement des offres intégrera systématiquement dans les critères de jugement, ainsi que je l'ai dit, l'analyse du coût global
- investissement, financement, entretien et renouvellement.

La rémunération de ce type de contrat est généralement versée sous forme de loyers, trimestriels ou semestriels. En cas de retard, le dispositif habituellement prévu dans les contrats est une simple suspension du versement des loyers, qui sont libérés à la livraison effective des biens, assortie en général de pénalités de retard. Le partenaire est donc fortement incité à terminer les travaux dans les temps impartis par le contrat.

À noter que dans ce cas, de manière générale, la durée du contrat étant fixe, l'allongement de la durée de construction réduit d'autant le temps d'exploitation, entraînant potentiellement une perte financière pour le partenaire.

Le dernier point sur lequel je voulais attirer votre attention concerne les clauses contractuelles. La DGITM a forgé une grande partie de sa doctrine sur la gestion des contrats de concession de type autoroutier
- environ dix ont été signés depuis 2000 - dans lesquels la quasi-totalité des risques est assumée par le concessionnaire.

Aussi, en ce qui concerne les contrats de partenariat, la direction générale a une position plus dure que la plupart des autres maîtres d'ouvrage en matière de partage de risques. Ceci se traduit notamment, dans la rédaction des contrats, par une approche restrictive des événements pris en compte dans les clauses, comme la gestion des modifications, la définition des causes légitimes - ces dernières pouvant exonérer le partenaire de pénalités - ou le fait du prince, avec l'évolution ultérieure unilatérale du contrat.

Ceci se traduit par des rédactions exigeantes des clauses de fin de contrat, qu'il s'agisse de déchéance, d'imprévision, de force majeure ou de résiliation pour intérêt général, pour lesquelles, d'une manière générale, la jurisprudence du Conseil d'État est privilégiée.

J'ajoute, à titre personnel, que je suis assez peu intervenu sur ce contrat, puisque je n'ai pris mon poste qu'en janvier 2011, époque à laquelle le candidat pressenti a été désigné. Je n'ai donc pas du tout assisté aux phases antérieures.

Je me tiens à présent à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mme Virginie Klès , rapporteur. - Tout d'abord, pourrions-nous avoir le nom de votre prédécesseur, afin de l'entendre éventuellement ?

Par ailleurs, le contrat de partenariat public-privé, vous l'avez dit, est destiné à permettre à l'État d'investir dans des conditions très particulières. À votre sens, est-il bénéfique pour l'État d'y ajouter l'affermage d'une taxe ? Autrement dit, ce contrat de partenariat public-privé devait-il forcément aller jusqu'au recouvrement de la taxe ?

Pouvez-vous nous dire qui a pris la décision de passer par une solution technique complexe et non par une solution déclarative pour le recouvrement de cette taxe ? Qui a, d'autre part, pris la décision de retenir la technique du GPS ? Qui a tenu le rôle du pouvoir adjudicataire ? A-t-on la composition précise de la commission consultative que vous avez évoquée ? Qui a rédigé le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) et autres documents liés à ce contrat ?

Que pensez-vous de la spécificité de ce contrat, hors affermage de la taxe, qui porte sur un investissement dont le coût, en onze ans, aura plus que doublé ? Les chiffres qui ont été cités la semaine dernière étaient de 650 millions d'euros d'investissement ; le loyer versé par l'État à la société Écomouv' se situe entre 1,2 et 1,8 milliard d'euros. On a fait valoir que l'État serait propriétaire du matériel au terme du contrat, mais cet équipement informatique complexe aura toutefois été entretenu grâce à 500 millions d'euros versés par l'État. Or, il sera techniquement obsolète dans onze ans ! On ne me fera pas croire qu'on effectuera encore à cette date les relevés de kilométrage avec le même matériel qu'aujourd'hui ! Être propriétaire est une bonne chose ; lorsqu'il s'agit d'un matériel obsolète payé deux fois le prix, c'est beaucoup moins intéressant !

Enfin, pouvez-vous nous communiquer les coordonnées du cabinet d'avocats parisien qui a soutenu la mission ? Quel a été son rôle précis ?

Je laisserai notre collègue Jean-Pierre Sueur poser des questions concernant l'information des autres candidats, sujet qui lui tient particulièrement à coeur...

M. Michel Hersemul. - Le département que je dirige a été remanié quelques mois avant mon arrivée ; je vous ferai donc parvenir plusieurs noms, correspondant à plusieurs fonctions.

Vous m'avez demandé s'il était logique que le contrat de partenariat prévoie l'affermage d'une taxe. Qu'entendez-vous par-là ?

Mme Virginie Klès , rapporteur. - Habituellement, un contrat de partenariat, vous l'avez dit, porte sur un investissement et sur son entretien. Dans le contrat signé entre l'État et Écomouv', on va jusqu'au recouvrement de la taxe. N'est-ce pas à l'État de s'en charger ? Cela ne coûte-t-il pas moins cher ? L'État n'avait-il pas les moyens de le faire lui-même - ou de le faire faire par les douanes, compte tenu des aspects de contrôle et de fiscalité que comporte ce sujet ?

M. Michel Hersemul. - Les contrats de partenariat peuvent fort bien comporter une part de services. Il faut évacuer l'idée que le contrat de partenariat n'est réservé qu'à des investissements immobiliers ou physiques.

La région Alsace a ainsi mis en place, dans le cadre d'un contrat de partenariat, un partage de données sur les déplacements. D'autres régions ont choisi de recourir à des infrastructures, en lien avec les nouvelles techniques de l'information et de la communication (NTIC). Les domaines peuvent être extrêmement variés, et la liste des avis rendus par la Mappp au Trésor montre la diversité des sujets qui peuvent être pris en compte...

Mme Virginie Klès , rapporteur. - Certes, mais il faut démontrer que le contrat de partenariat est plus efficace pour les finances publiques que les autres dispositifs. En matière de services, on a une multitude d'autres possibilités, comme la délégation de service public (DSP), la régie intéressée, etc.

Quel était l'intérêt de l'État de prévoir le recouvrement de la taxe dans ce contrat ?

M. Michel Hersemul . - Je ne voudrais pas vous indisposer en me réfugiant derrière l'organisation de notre direction, mais cette question doit être posée à la mission de la tarification.

Néanmoins, le périmètre du contrat était clairement affiché dans la demande d'étude préalable, et a été étudié par mes collègues.

Je crois savoir que l'affermage - qui constitue en effet une DSP-  a fait partie des hypothèses envisagées ; celui-ci posait cependant problème, car il supposait une rémunération de l'usager, ce qui, en matière de taxe, paraissait délicat. Il serait préférable que ce soit la mission de la tarification qui réponde à cette question...

Par ailleurs, la Mapp, dont l'avis est public, indique que le Conseil d'État a été interrogé sur la possibilité de confier le recouvrement d'une taxe aux partenaires dans le cadre d'un contrat de partenariat. Le Conseil d'État a répondu favorablement, en recommandant toutefois de respecter quelques précautions, notamment en matière de circuits comptables et de garanties financières.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente. - Était-ce là une première ?

M. Michel Hersemul. - Je le pense... Je rappelle néanmoins que les concessionnaires sont autorisés à recouvrir une redevance, ce qui, pour l'usager, n'est guère différent - même si j'admets qu'il existe là une différence juridique. Excepté la perception de redevances, qui existe en régie intéressée ou dans le type de concessions que nous évoquons, je ne connais pas d'autres exemples de contrat de partenariat permettant de percevoir une taxe.

Mme Virginie Klès , rapporteur. - Même si l'équipement embarqué était remis gratuitement aux entreprises de transport routier, les frais d'installation restaient à leur charge. Celles-ci ont donc dû acquitter des sommes non négligeables, de l'ordre de 300 à 350 euros par camion. Peut-être auraient-elles préféré participer différemment - ou ne pas le faire du tout !

M. Michel Hersemul. - Je n'ai pas d'élément à vous fournir sur ce point...

Vous m'avez par ailleurs interrogé sur l'organisation de la consultation. C'est bien la direction générale, par le biais de la mission de la tarification, qui a conduit cette procédure. C'est bien elle également qui, par le biais et l'intermédiaire du dialogue compétitif et du choix des candidats, a finalement retenu le dispositif technique, en arrêtant l'offre. J'en suis désolé, mais il faudra, là encore, que vous interrogiez plus spécifiquement mes collègues sur ce point.

Mme Virginie Klès , rapporteur. - Pouvez-vous nous indiquer le nom du cabinet d'avocats parisien que vous avez évoqué, et nous dire quel a été son rôle précis ?

M. Michel Hersemul. - Ce n'est pas un secret. C'est le cabinet Clifford Chance qui a assisté l'État dans cette dévolution.

Mme Virginie Klès , rapporteur. - Quel a été son rôle précis ?

M. Michel Hersemul. - Il s'agissait d'assurer la sécurité juridique de l'ensemble de la procédure. Je ne connais pas exactement le dossier, puisque je n'y ai pas participé, mais on demande généralement à ces cabinets d'avocats de relire l'ensemble des documents et de les valider.

Mme Virginie Klès , rapporteur. - Quel est votre sentiment personnel à propos du coût que va représenter cet investissement pour l'État, même si celui-ci se retrouve finalement propriétaire d'un matériel dont j'ai dit que je craignais fort qu'il soit obsolète, ce qui, compte tenu du prix, est quelque peu gênant ?

M. Michel Hersemul. - J'ai dit que les contrats de partenariat nécessitent la mise en place d'un financement, apporté directement en partie par le secteur privé et complété, généralement, par un financement bancaire.

Il est bien évident que la mise en place de ce financement nécessite une rémunération ; celle-ci, issue de la mise en concurrence, intègre le niveau de risque pris par les différents acteurs.

Sans être trop caricatural, un contrat de partenariat comporte plusieurs partenaires. Les premiers sont les sponsors, qui amènent les fonds propres les plus risqués du projet, et qui, en cas d'incidents, de dérive des coûts ou des délais, vont amortir ces imprévus. Les seconds partenaires sont les banques qui, de manière générale, sont plus protégées en matière de remboursement, et qui sont rémunérées avant que les actionnaires ne soient remboursés. Elles-mêmes ont une certaine exigence de rendement et de sécurité.

Ce sont ces éléments qui vont construire le modèle financier qui sera proposé par le candidat au moment de l'appel d'offres.

Les risques de ces contrats sont relativement élevés. Je le disais, la DGITM refuse a priori des partages de risques opérationnels trop précis, considérant que ceux-ci sont bien plus facilement portés par l'opérateur. C'est ce qui explique l'importance des rémunérations.

Je crois que la Mappp considère qu'il existe d'une manière générale un rapport de 2 à 2,5 entre le coût de l'investissement initial et le coût final du contrat de partenariat, tous maîtres d'ouvrage confondus, qu'il s'agisse de contrats de collectivités territoriales, de l'État ou d'établissements publics. Il faudra vérifier leurs publications...

Mme Virginie Klès , rapporteur. - ... sur des périodes généralement plus longues. En l'occurrence, me semble-t-il, le risque porté par le consortium Écomouv' est assez limité.

Je n'ai pas encore eu le temps d'étudier le contrat en détail, mais on entend dire partout - à tort ou à raison - que l'État est de toute façon « pieds et poings liés », qu'il doit des indemnités, un loyer, que le système soit en place ou non, dès la mise à disposition du dispositif, etc. Je n'ai pas le sentiment qu'Écomouv' porte là un risque gigantesque, alors qu'il s'agit d'un contrat d'une courte durée !

Les chiffres qui nous ont été communiqués font état de 650 millions d'euros d'investissements et d'une rémunération fixe annuelle de 96 millions d'euros sur onze ans et demi, soit 1,1 milliard d'euros.

Je veux bien croire qu'il soit naturel de multiplier la mise par deux en deux ans et demi, grâce à une simple rémunération fixe, mais il s'agit cependant d'une entreprise qui, si elle doit être revendue, le sera avec un certain bénéfice, et ce assez rapidement, les clauses de revente au bout de deux ans prévoyant que l'État ne peut y trouver à redire ! Où est la part de risque prise par Écomouv' ?

Vous avez d'autre part évoqué la complexité du contrat, eu égard aux compétences et aux moyens dont dispose l'État français en matière d'infrastructures de communication et de transports. Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir fait appel au ministère de la Défense, qui jouit d'une grande expérience dans ce genre de dispositif ?

M. Michel Hersemul. - Je me contenterai de vous répondre par des arguments de caractère général et vous voudrez bien m'en excuser.

En matière de rémunération, je ne puis que vous faire part des normes générales. La rémunération du risque, des fonds propres et des banquiers amène à ce que le montant total du coût sur la durée des loyers, excède largement le montant de l'investissement.

S'agissant de la mise à disposition, il est clair que l'État ne peut contracter à la légère. Nous prenons à ce sujet énormément de précautions, et il est vrai que la jurisprudence administrative ne part pas du principe que lorsqu'on signe un contrat, on ne va pas le conduire au bout. Ceci conduit à des engagements parfaitement clairs pour l'État. Lorsqu'on résilie un contrat de ce type, les conditions emportent en général compensation du manque à gagner du partenaire.

Ceci est encore plus violent pour un contrat de partenariat que pour un marché public ; de ce point de vue, les difficultés dont la presse se fait l'écho ne sont que la conséquence logique du statut de ce type de contrat.

Quant au choix du procédé, la complexité n'est pas uniquement technique. Il est difficile à l'État de dire si une solution est meilleure que l'autre, en termes de coût global, le satellitaire permettant de repérer les camions, alors que le système DSRC impose d'installer régulièrement des plots ou des portiques pour en vérifier le passage. L'organisation d'une consultation visant à ce que les industriels confrontés à ce genre de problématique et à la pointe de ce type de procédé puissent être mis en compétition ne me paraît donc pas critiquable.

En outre, du fait du caractère national du projet, dans le cadre du choix d'implantation des portiques, l'ensemble des services territoriaux de l'État a été sollicité par la mission de la tarification pour effectuer les visites sur place afin de répondre aux différents candidats, et tout ceci a généré des difficultés supplémentaires. Quant à la suggestion de faire appel au ministère de la Défense... aucun ministère n'a malheureusement aujourd'hui de moyens excédentaires, et je pense que la question n'a même pas été posée de cette manière...

Mme Virginie Klès , rapporteur. - Les portiques ne servent pas au recouvrement de la taxe ! Ils ne sont là que pour contrôler le bon embarquement des dispositifs dans les camions... On n'est d'ailleurs pas encore parvenu à connaître la part de l'investissement qui leur est dévolue et celle qui est imputable au reste du dispositif prévu notamment pour le calcul et le recouvrement de la taxe.

Vous ne pourrez sans doute répondre à cette question, n'étant pas le bon interlocuteur, mais peu importe : je finirai bien par obtenir des réponses ! Ne pensez-vous pas que votre rôle était de conseiller l'État, de l'inciter à aller vers un système moins complexe et moins onéreux à mettre en place, de type déclaratif, comme pour les autres taxes et impôts, avec des contrôles aux sièges des entreprises ? Cela a-t-il été envisagé, alors qu'on est repassé à un système déclaratif, qui s'est répercuté sur les chargeurs ?

M. Michel Hersemul. - Je suis désolé de vous répondre que cette question est totalement en dehors de ma compétence ! Elle supposerait que j'ai été au coeur du projet, ce qui n'a pas été le cas.

J'attire simplement votre attention sur le fait que, lorsqu'on interroge les concessionnaires autoroutiers sur la mise en place d'une évolution technologique intéressante comme le « free flow », qui constitue un paiement par repérage du type de celui qui va être mis en place pour l'écotaxe, mais qui sera réservé aux camions, ceux-ci considèrent qu'ils risquent de perdre jusqu'à 20 % de leurs recettes.

Je vous laisse imaginer les conséquences d'une absence de contrôle avec le dispositif prévu pour l'écotaxe !

Mme Virginie Klès , rapporteur. - Ceci ne figurait-il pas dans l'étude préalable ?

M. Michel Hersemul. - Je ne l'ai pas conduite !

Mme Virginie Klès , rapporteur. - Vous ne l'avez pas lue non plus ?

M. Michel Hersemul. - Je ne la connais pas.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente. - Je vous rends attentif au fait qu'il ne faut pas mélanger les problèmes techniques avec les choix juridiques qui ont été faits ! Le partenariat public-privé, ce n'est pas une des questions techniques que vous nous avez rappelées. Le partenariat public-privé consiste à laisser faire le privé pour telle ou telle partie d'une opération. L'État aurait fort bien pu décider d'acquérir la technique et de la faire simplement gérer. C'est ce qu'a voulu dire, je crois, Mme le rapporteur - et c'est très important !

Vous nous dites que vous n'êtes arrivé qu'en 2011. C'est une précision importante, car vous n'avez donc pas les éléments pour nous répondre. Toutefois, le partenariat public-privé n'est pas attaché à une technique particulière, c'est un choix juridique et financier. Or, notre commission d'enquête cherche à établir si le recours au partenariat public-privé a constitué le bon choix, quelle que soit la décision technique retenue pour l'écotaxe.

Vous avez dit que vous aviez un rôle d'expertise et de conseil ; ceci comporte également un rôle de suivi. Sur ce point, les questions de Mme le rapporteur demeurent d'actualité.

M. Michel Hersemul. - La Mappp, à ma connaissance, en rend compte dans son avis public. Elle s'est interrogée, dans son étude comparative, sur les vertus d'une acquisition par le biais d'un contrat de partenariat ou par celui d'une organisation spécifique, sous l'égide de l'État, qui aurait supposé des équipes techniques, d'achat, de suivi. Ceci a été envisagé, mais l'étude n'a pas conclu que le contrat de partenariat n'était pas un moyen efficace pour répondre à ce besoin.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Il faut donc que nous nous fassions délivrer ce document extrêmement important.

M. Jean-Pierre Sueur . - Monsieur Hersemul, vous avez rappelé que l'ordonnance relative aux PPP tenait compte de la complexité et de l'urgence du sujet. Vous le savez, ceci résulte de décisions du Conseil constitutionnel, qui ont ensuite été intégrées par l'État dans l'ordonnance de 2004, le rapport coût-avantage ayant été ajouté par la suite, avec la volonté d'élargir le recours au partenariat public-privé. Vous le voyez, il y a là quelque chose d'éminemment flou, ce rapport coût-avantage étant en effet un sujet dont on peut toujours parler longuement.

J'aimerais cependant vous poser deux questions, à propos desquelles j'éprouve une certaine perplexité.

La première concerne l'étude préalable. J'ai participé à d'innombrables débats avec la Mappp, au ministère des finances. C'est un service dont j'ai toujours considéré qu'il avait pour objectif de faire de la propagande en faveur des partenariats public-privé. Je le leur ai d'ailleurs souvent dit, et je le pense.

Il y a là quelque chose d'incompréhensible ! Vous avez dit que l'étude comparative a pour objectif de démontrer l'intérêt relatif des deux solutions, soit le recours au partenariat public-privé, soit le recours au marché public classique. C'est ce que tout le monde dit, mais je m'insurge profondément contre cette idée ! Je dois dire que les études que j'ai lues relèvent souvent d'une littérature assez plaisante, mais très largement contestable ! Pourquoi ? C'est très facile à comprendre...

En effet, lorsque cette étude préalable a été faite, on ne savait pas qui serait candidat, pour faire quoi, ni dans quelles conditions techniques, financières, etc. On ne savait pas non plus quelles entreprises seraient candidates en cas de marché classique avec allotissement...

On parle doctement d'une étude préalable comparative - vous l'avez dit - qui va permettre de juger de l'intérêt relatif des deux solutions. Tout le monde ici comprend que le comparatif s'établit entre une chose dont on ignore tout et une autre dont on ne sait rien non plus !

J'aimerais lire cette étude. Je pense que nous l'aurons. J'ai déjà procédé à la lecture d'un certain nombre de celles-ci. Je préférerais que l'on reconnaisse que le choix du partenariat public-privé est politique, plutôt que de s'abriter derrière cette étude - encore que, dans le cas de l'État, ce soit la Mappp qui intervienne, tandis que, pour les collectivités locales, l'étude peut être réalisée par n'importe quelle entité, compétente ou non.

C'est pour moi un grand sujet d'interrogation. Je ne comprends pas comment cette étude permet de fonder un choix. Si quelqu'un peut m'expliquer comment cela peut fonctionner, je suis très intéressé...

Ma seconde et dernière question concerne la notion de dialogue compétitif. Je l'ai posée à trois reprises lors de la précédente séance. Chacun pourra le constater dans le compte rendu, j'ai reçu trois réponses différentes selon les interlocuteurs, et je n'ai toujours pas d'explication ! Le dialogue compétitif est quelque chose de très complexe. Je suis pour ma part réticent à ce sujet. Êtes-vous d'accord avec moi, Monsieur Hersemul, pour dire que ce dialogue compétitif consiste à ce que des personnes qui sont dans la compétition peuvent, à tout moment, en changer les règles du jeu ?

Le dialogue compétitif signifie à la fois un cahier des charges initial et de travailler avec chaque concurrent, qui a le droit de proposer des modifications. À partir du moment où un concurrent propose une modification, celle-ci doit être connue des autres.

J'ai demandé la dernière fois - et j'espère avoir des réponses - si l'on pouvait nous faire part des modifications successives proposées par les différents candidats, et nous confirmer qu'elles ont bien été communiquées aux autres, afin que l'on puisse suivre l'évolution du dossier.

Lors de nos auditions de la semaine dernière, le dernier intervenant a indiqué que l'on avait enregistré les questions et les remarques des concurrents au fur et à mesure, et que l'État avait proposé à la fin des modifications globales du cahier des charges.

Je ne sais si, à chaque étape, les modifications proposées ont été communiquées aux candidats qui ont répondu aux modifications, ou si ces modifications ont été enregistrées au fur et à mesure par l'État qui, à la fin, a proposé un nouveau cahier des charges intégrant ces différentes modifications. La réponse m'intéresserait !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente. - Je vous propose de répondre directement au président de la commission des lois, qui n'est généralement guère favorable aux partenariats public-privé.

M. Jean-Pierre Sueur . - Je suis intervenu, en effet, à ce sujet un certain nombre de fois, et j'évolue dans un contexte géographique où j'ai l'occasion de suivre ce sujet.

Je précise que je suis favorable au fait que les partenariats publics-privés fassent partie de la panoplie des outils qui existent, mais je suis également partisan de faire appel aux partenariats public-privé dans des conditions relativement exceptionnelles !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente. - Cette commission d'enquête a la chance de pouvoir étudier un cas de contrat de partenariat public-privé très précis ; nous allons le disséquer, je vous le promets !

M. Michel Hersemul. - Je préférerais, en ce qui concerne l'étude préalable, que ce soient mes collègues de la mission de la tarification qui vous répondent sur le fond. Je pense qu'il faudrait que vous les invitiez...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente. - Nous allons le faire !

M. Michel Hersemul. - De manière générale, je n'ai pas à porter de jugement sur les autres administrations, mais la DGITM a engagé, depuis que l'ordonnance existe, trois procédures de contrat de partenariat ; l'une concerne la construction de 63 centres d'exploitation et d'intervention pour le compte des directions inter-régionales des routes, répartis dans toute la France. On a là un levier extrêmement intéressant d'économie de moyens. Nous avons, par ailleurs, conclu l'an dernier un contrat de partenariat public-privé pour la réalisation de l'autoroute urbaine de Marseille. Le contrat de partenariat écotaxe est le troisième. Nous avons donc une consommation somme toute assez mesurée de ces contrats, et je suis fier, en tant que fonctionnaire, de dire que nos études ne tiennent pas lieu de prétextes...

M. Jean-Pierre Sueur . - Pourrez-vous nous communiquer ce document ?

M. Michel Hersemul. - Il faudra poser la question à la mission de la tarification, mais cela ne doit, à mon sens, pas poser de problème...

Quant au second point, mon département est particulièrement attentif au respect de l'égalité de traitement entre les candidats. À ce titre, le dialogue compétitif présente, en effet, un risque qu'il faut pouvoir gérer. Je préfère que la mission de la tarification décrive dans le détail les différentes évolutions du dossier, mais je puis vous garantir que, d'une manière générale, il existe une phase d'échange durant laquelle le cahier des charges est encore en phase d'élaboration. Nous discutons alors avec les candidats des difficultés du projet ; suivent ensuite un ou deux tours relatifs aux offres initiales, puis finales, qui permettent aux candidats d'affiner leurs propositions.

Il est hors de question que nous confiions à d'autres candidats les bonnes idées qui seraient proposées par l'un d'entre eux. Il s'agit de rendre nos dossiers compatibles avec ces bonnes idées.

Tous les sujets relatifs à l'écotaxe ont fait l'objet de discussions, qui ont permis d'affiner le cahier des charges, et de répartir les risques de façon optimale, afin d'éviter que les candidats n'aient à gérer eux-mêmes des problèmes hors de leur portée. Je ne sais sous quelle forme, ni avec quel degré de liberté, mais je pense que la mission de la tarification sera tout à fait à même de vous faire part de la manière dont les choses ont été conduites...

Enfin, si les solutions techniques ou organisationnelles présentées par l'un ou l'autre des candidats deviennent tellement spécifiques qu'il apparaît impossible de conserver un dossier de consultation unique, la consultation dite « en tunnel » permet d'opter pour un dossier de consultation répondant aux exigences propres de chaque candidat. Cela n'a pas, à ma connaissance, été le cas s'agissant de l'écotaxe !

M. Roland Ries . - Il faut, dans la mesure du possible, essayer de rester simple. Élus du peuple, nous ne sommes pas techniciens, et je pense utile de pouvoir aller à l'essentiel.

Ma première question rejoindra largement celle de mon collègue Jean-Pierre Sueur. Je la poserai toutefois sous une forme quelque peu différente et, peut-être, de façon plus précise...

Vous nous avez dit que vous n'étiez pas présent en amont du projet. J'imagine toutefois que vous avez pris connaissance de l'étude préalable, dans laquelle, si j'ai bien compris, figurent les raisons pour lesquelles la procédure de partenariat public-privé a été choisie. Peut-être pourriez-vous nous en dire un mot, sous réserve de ce que pourront ajouter vos collègues, lorsque nous les interrogerons sur ce point...

J'ai le sentiment - mais je me trompe peut-être - qu'on s'est appuyé sur les expériences européennes pour mettre en place un dispositif de partenariat public-privé qui, juridiquement et techniquement, constituait sans doute le couronnement de ce qui s'est fait jusqu'à présent. Bien entendu, c'est ce qui coûte le plus cher, on le sait bien !

Jusqu'à quel point a-t-on poussé le benchmarking européen ? Est-il possible de mesurer les avantages et les inconvénients des différents systèmes, et d'expliquer pourquoi le nôtre, qui est certainement le meilleur de l'ensemble européen, est aussi le plus cher en investissement, et peut-être en fonctionnement ?

En second lieu, si nous sommes en charge d'éclairer le passé afin de comprendre comment les choses se sont déroulées, nous sommes aussi préoccupés par le présent et par l'avenir. Je suis un partisan convaincu de la mise en place de l'écotaxe, dont j'ai été le rapporteur au Sénat. Je pense que c'est une taxe vertueuse, qui permet d'injecter dans le circuit des produits financiers afin d'investir en faveur notamment des transports publics, qui, comme vous le savez, me sont chers.

Le système, tel qu'il existe aujourd'hui, après réparation et remise en place des portiques détruits, est-il adaptable ? En d'autres termes, ce dispositif peut-il être modifié, ou bien a-t-il été conçu pour ce seul cahier des charges ?

M. Éric Doligé . - J'aimerais tout d'abord connaître la finalité de la commission d'enquête. Il est intéressant de le savoir ! Il s'agit pour nous de déterminer si le partenariat public-privé était le meilleur système pour mettre en oeuvre l'écotaxe.

Or, j'ai par moment le sentiment que nous sommes plus là pour juger du bien-fondé du partenariat public-privé en tant que tel, ce qui n'est pas du tout la même chose ! Ce qu'il nous faut démontrer, c'est que ce n'était pas plus cher, et que cela pouvait fonctionner, même si on est aujourd'hui en pleine zone de risques.

Le partenariat public-privé est un outil. On n'utilise pas un tel outil en fonction de choix politiques, mais économiques. Pour ce faire, il existe des études préalables, et une mission d'appui. Les collectivités qui recourent au partenariat public-privé se rapprochent de la Mappp pour être certaines que leur choix est le meilleur. La loi définit un certain nombre de conditions, et j'ai aujourd'hui le sentiment que l'on remet quelque peu la loi en cause !

Je fais partie de ceux qui défendent le partenariat public-privé, alors que d'autres le critiquent. A la différence de beaucoup, j'en ai mis en place un certain nombre, et je sais donc comment cela fonctionne. Je puis vous remettre des documents comparatifs. Le dialogue compétitif prévoit l'évolution du cahier des charges qui reste le même pour tout le monde. On le remet à chaque fois dans le circuit, et tout le monde dispose des mêmes réponses. Les choses sont donc d'une clarté totale !

Je vous invite à rencontrer des équipes qui montent, suivent, étudient et font fonctionner des partenariats public-privé. Les études que l'on a pu faire six ou sept ans après les premiers montages confirment avec exactitude les économies considérables que l'on a pu réaliser dans certains secteurs, aussi bien en matière d'investissement que de fonctionnement. Il faut consulter des spécialistes...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente. - Nous aurons des auditions qui vous donneront satisfaction !

M. Éric Doligé . - Je pense qu'il existe des a priori ! Ce marché de l'écotaxe ne fonctionne pas, et il est en grande difficulté. Cela pose évidemment des problèmes à l'entreprise Écomouv', à l'État et aux collectivités, voire à d'autres bénéficiaires des recettes. C'était un bon système dans son principe. Beaucoup de suspicions transparaissent à travers la plupart des questions. Je n'en ai aucune quant à moi tant que je n'ai pas confirmation de difficultés. C'est ce qu'il faut analyser.

A-t-on bien suivi les procédures ? Le dialogue a-t-il été bien mené ? Si tout le monde s'en était « mis dans les poches », cela se saurait ! Au moins l'État en bénéficierait-il au travers des impôts ! Ce n'est pas la réalité. Il s'agit d'une opération très difficile à monter, dont les coûts de financement peuvent être considérables, et qui mérite qu'on y prête attention. Rien ne justifie de jeter le bébé avec l'eau du bain !

Je demande que l'on regarde le fond du dossier : a-t-il été réalisé dans de bonnes conditions ? Y a-t-il un montage juridique ou financier non conforme à la loi ? Si c'est le cas, c'est à la commission d'enquête de le déterminer. Son rôle est de se pencher sur la réalité des faits. C'est ce que je réclame !

Je suis personnellement favorable au partenariat public-privé. Jean-Pierre Sueur est contre. Certains collègues de l'actuelle majorité, qui sont contre, viennent me voir la semaine prochaine pour réaliser leur collège en recourant à un partenariat public-privé ! Je me méfie donc des gens qui y sont hostiles : quand ils veulent monter un beau projet, ils deviennent favorables à cette technique !

Je voudrais comprendre ce qui a pu bloquer ce dossier, et pourquoi il semble que cela ait coûté aussi cher. On a parlé de 20 %. Cela semble faramineux ! On estime que l'on aurait pu le faire à moins : c'est ce point qu'il faut essayer de travailler. Cela aurait-il pu coûter 15 %, 18 % ? 20 % est-il le véritable prix, ou l'État s'est-il fait abuser ?

Si la question est de savoir si le partenariat public-privé est intéressant ou non sur un plan général, je n'ai pas à siéger dans cette commission d'enquête !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente. - Nous avons bien compris l'avis d'Éric Doligé. Il a été précisé la fois dernière que cela n'avait pas de sens de parler de 10, 15 ou 20 %. Il ne s'agit pas d'une facturation au pourcentage, mais d'un rapport entre le loyer payé au titre du partenariat public-privé et le montant de la taxe fixé par l'État.

M. Philippe Leroy . - Je rejoins ce qu'a dit Éric Doligé. J'ai la même expérience que lui : j'ai été pendant vingt ans président de conseil général, et j'ai pratiqué toutes les formes de marché. Il y en a énormément : marché classique de travaux, marché de conception-réalisation, fort complexe, affermage, concession...

Les dernières formules de marchés publics autorisées sont les partenariats public-privé. Si on les a inventées, c'est que les formules anciennes ne suffisaient pas dans un certain nombre de dossiers.

Outre l'avantage du dialogue compétitif que comporte le partenariat public-privé, on a dit que les entreprises avaient tout intérêt à construire des installations efficaces, dans la mesure où leurs bénéfices dépendent de la qualité des installations. J'aimerais recueillir l'avis de l'expert de l'État : avez-vous mesuré les avantages du partenariat public-privé sous cet angle ?

En second lieu, notre rapporteur a dit craindre l'obsolescence des équipements à la fin du contrat. Or, je pense que le partenariat public-privé comporte toutes les clauses garantissant la performance constante des installations. Il serait ridicule que tel ne soit pas le cas ! Pouvez-vous nous rassurer et rassurer le rapporteur sur ce point ?

Ma dernière question aura une tonalité plus régionale. Vous n'ignorez pas que la société Écomouv' est installée à Metz. Nous devons d'ailleurs y aller prochainement... Les personnels qui ont déjà été recrutés
- ou qui devaient l'être - sont très inquiets, dans la mesure où le Gouvernement a tout arrêté. On est dans un flou complet. Certaines personnes, qui ont déjà été formées, ne sont toujours pas embauchées, et le préfet a demandé si le conseil général ne pouvait engager celles qui n'ont pas encore trouvé d'emploi dans Écomouv'...

Le partenariat public-privé prévoit des dates de mise à disposition. Il existe cependant des procédures qui lient les partenaires. Pourquoi l'État et Écomouv' ne se sont-ils pas mis d'accord pour respecter les échéances ? On est désormais plus qu'en retard, puisqu'on ne sait même pas quand les choses vont commencer !

M. Yves Krattinger . - Ces dispositifs font appel à des technologies de communication. On est là dans le domaine des services. Cette complexité technologique, que la sphère publique ne maîtrise pas au mieux, justifiait-elle, d'une part, que la construction et l'exploitation soient réalisées dans ce même cadre et, d'autre part, que la même entreprise élabore ce service et l'exploite ?

Par ailleurs, la durée de vie de tels dispositifs est généralement courte. La plupart d'entre eux vieillissent très rapidement. Le contrat est-il en adéquation avec la durée de vie probable de ce dispositif ?

Enfin, le retour sur investissement est, dans les services, du fait de risques élevés, bien plus important que dans les domaines faisant appel à des équipements à très longue durée de vie. La rémunération qui a été accordée à Écomouv' est-elle justifiée par rapport à ce qui se fait d'habitude ?

M. Michel Hersemul. - Au risque d'indisposer la commission d'enquête, je n'ai pas la compétence pour répondre au fond sur la totalité des thématiques de ce dossier, n'étant intervenu que partiellement sur certains points.

En ce qui concerne l'étude préalable, c'est à la mission de la tarification de vous la présenter et de vous faire part de l'ensemble des hypothèses qu'elle a pu évoquer. Je pense qu'elle pourra également, bien mieux que moi, répondre à la question de M. Ries, pour savoir si l'État a, ou non, formulé des exigences hors de proportion. Elle sera, je pense, de la même manière, capable de vous apporter des éléments de comparaison entre ce qui se passe en France et ce qui se fait à l'étranger. Je me garderai bien, étant hors de mon domaine de compétences, de me hasarder sur ce sujet.

La mission devrait aussi être capable de répondre à vos questions sur l'adaptabilité du système qui, dès lors qu'on ne fait que changer les variables, doit être parfaitement possible, mais je préférerais que ce soit elle qui vous le dise, même si je pense que l'évolution des seuils de tonnage concernés, par exemple, devrait pouvoir se faire sans difficulté.

Par ailleurs, je rassure M. Leroy sur le fait que, d'une manière générale, les contrats de concession ou de partenariat de la DGITM prévoient des clauses extrêmement protectrices s'agissant de la qualité des ouvrages en fin de contrat. Elles sont bien évidemment doublées d'un certain nombre de clauses à caractère financier, et comprennent des garanties quelques années avant la fin du contrat, que l'État peut faire valoir si certains ouvrages s'avèrent de mauvaise qualité. Un diagnostic sur l'état du matériel est également prévu, ainsi que sur l'état du « gros investissement-renouvellement » qu'il serait utile de conduire durant les dernières années. Je ne puis vous préciser si c'est deux ou trois ans avant, ni combien la garantie prévoit de millions d'euros, mais ce dispositif existe et pourra, si vous le souhaitez, vous être présenté.

Mme Virginie Klès , rapporteur. - Pour paraphraser les propos de M. Doligé, nous ne sommes pas là pour juger des contrats de façon générale. Nous sommes tous convaincus que ces clauses existent, mais la question porte sur ce contrat précis. On est là face à un matériel technologique de pointe, qui évolue très vite. Comment le partenariat public-privé a-t-il protégé l'État dans ce domaine ?

M. Michel Hersemul. - Pour pouvoir répondre, il aurait fallu connaître la question auparavant, afin que je la prépare...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente. - Vous avez tout de même une idée en tant que spécialiste ! La durée de ce contrat est de onze ans et demi. Estimez-vous qu'il s'agisse d'une durée courte ou d'une durée longue, donc à risque ? C'est un avis que vous pouvez quand même donner ! Cela n'a rien à voir avec la négociation !

Vous vous retranchez systématiquement derrière le fait que vous n'étiez pas là au moment de la décision, et que vous n'êtes arrivé qu'en 2011. Je vous pose donc la question : en tant que spécialiste, la durée de onze ans et demi vous paraît-elle conforme à ce type de contrat ? Est-ce long, ou est-ce court, compte tenu de la technologie ? Vous ne pouvez pas ne pas répondre !

M. Michel Hersemul. - La durée de ce contrat est particulièrement courte par rapport à des contrats touchant les infrastructures, précisément pour tenir compte de la technologie mise en oeuvre, et du fait qu'il s'agit d'un service.

Bien évidemment, il est légitime, compte tenu de l'amortissement de ce genre d'équipement qui, ainsi que vous le dites, peut être conduit rapidement, que le contrat soit plus court.

Faute d'avoir préparé spécifiquement la question, je ne suis pas capable de vous dire exactement quelles conditions de garantie et de contrôle ont été mises en place à l'occasion de ce contrat. Il appartient, à mon sens, à la mission de la tarification d'en dresser l'état devant vous. Je pourrai éventuellement y contribuer, si elle me le demande.

En ce qui concerne la rémunération du capital, le contrat écotaxe n'a pas été négocié de gré à gré entre la direction générale et le titulaire. Il a été signé à l'issue d'une mise en concurrence, à l'occasion de laquelle plusieurs candidats se sont manifestés ; l'un d'eux a d'ailleurs présenté un recours. On peut donc raisonnablement considérer que la concurrence a bien été effective.

La règle du contrat de partenariat est notamment de juger les offres sur leur coût global, comme l'impose l'ordonnance, qui prend aussi en compte le montant des financements. Je n'ai pas à préjuger du fait que l'État aurait pu « se faire avoir », comme cela a été dit. J'ai le sentiment, au vu des informations dont je dispose, que la consultation a été conduite dans de bonnes conditions, et que l'on a obtenu le meilleur prix possible pour le projet que l'État a souhaité voir installer.

M. Yves Krattinger . - La complexité de la construction de ce système et de son exploitation justifiait-elle un même prestataire ? J'aimerais que vous répondiez à cette question. Or, vous prétendez systématiquement ne pas être en mesure de le faire !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente. - Je pensais que le chef du département d'expertise des partenariats public-privé et de conduite de projets délégués au sein de la DGITM était en capacité de nous répondre davantage ! Je dois vous faire part de notre insatisfaction !

M. Michel Hersemul. - Je ne peux me défendre qu'en disant que l'arrêté d'organisation de la direction générale montre clairement l'existence d'une mission de la tarification dédiée au projet écotaxe.

Je sortirai complètement de mes compétences si je formulais un avis sur la gestion actuelle du contrat. Je n'y suis d'ailleurs pas associé. Il faut solliciter soit le directeur général, soit la mission de la tarification. Je n'ai pas vocation à répondre à ce genre de questions !

Mme Virginie Klès , rapporteur. - Vous saviez que vous étiez auditionné aujourd'hui, non sur les contrats de partenariats public-privé de façon générale, mais sur celui-ci précisément. Je suis étonnée que vous ne nous ayez pas dit avant que vous n'êtes pas la personne compétente, et que vous ne nous ayez pas conseillé de convoquer la mission de la tarification d'entrée de jeu. Vous ne vous êtes pas penché sur le dossier, et vous n'avez pas interrogé les personnes sous vos ordres pour pouvoir répondre à un minimum de nos questions. Vous n'avez rien dit ! À chaque fois que nous vous interrogeons, vous mettez la loi en avant, et répétez que les contrats doivent prévoir telle ou telle chose, mais vous n'abordez jamais ce contrat précis. C'est assez surprenant !

M. Charles Guené . - Je rejoins Éric Doligé pour dire que nous ne sommes pas là pour discuter de l'opportunité des partenariats public-privé. On a déjà eu ce débat en séance publique, lors du projet de loi dont nous avons débattu.

À titre personnel, je pense néanmoins que, s'il existe bien un domaine adapté au partenariat public-privé, c'est bien celui-là ! Il s'agit en effet d'un sujet extrêmement complexe, qui comporte des facteurs de risque importants. Il ne m'apparaît donc pas totalement incongru d'avoir imaginé aller jusqu'au prélèvement de la taxe.

Je me demande même si une administration aurait été capable de poser les problèmes de manière aussi fine que le partenariat public-privé a pu le faire ! Je suis, en cela, en désaccord avec Jean-Pierre Sueur, car je pense que c'est une des finalités du partenariat public-privé que de parvenir à un rapport coût-avantage, et à un examen du coût global aussi précis.

Lorsque nous avons discuté du projet de loi, au moment où il est venu devant le Parlement, une des difficultés a résidé dans la capacité à disposer d'une administration formée aux partenariats public-privé, et qui ait la technicité suffisante pour s'adapter à la diversité des dossiers qui se présentaient. On en a peut-être ici un exemple : je m'attendais en effet à ce que le département d'expertise des partenariats public-privé soit capable de nous apporter les éléments dont nous avons besoin, de décortiquer ce contrat par étape, avec le chiffrage, les comparatifs, les options, le cheminement, de manière à ce que nous puissions vérifier si tout s'est déroulé convenablement. Or, j'ai l'impression que ceci est difficile à obtenir...

Monsieur Hersemul, quelqu'un serait-il capable de nous fournir les réponses dont nous avons besoin - même si cela doit prendre plusieurs séances ?

M. Michel Hersemul. - Les choses sont pour moi parfaitement claires : je pilote un certain nombre d'opérations de concessions autoroutières. Si vous aviez souhaité m'interroger à ce sujet, j'aurais eu honte de ne pouvoir répondre !

En l'espèce, j'interviens ici en termes d'assistance et d'expertise auprès d'une autre mission, la mission de la tarification, représentée par un chef de mission, M. Maucorps, et un adjoint, M. Quoy, qui ont assisté quasiment à l'ensemble de la procédure depuis ses débuts ; ils seront, je le pense, capables de répondre finement à vos questions et, par ailleurs, vous confirmeront que l'expertise que nous avons pu leur apporter a été précieuse. Il ne m'appartient pas, n'ayant pas conduit cette opération, de répondre dans le détail à vos questions, sous peine d'apporter des réponses erronées, dans la mesure où je ne suis pas directement concerné par ce projet.

J'aurais dû faire part de cette difficulté, mais je n'ai pas eu le sentiment d'y être invité, les questions qui m'ont été communiquées restant par ailleurs générales !

M. Vincent Capo-Canellas . - Mes questions seront plutôt d'ordre général, mais porteront peut-être aussi sur le cas d'espèce.

Je voudrais que l'on se penche sur les conditions d'exécution de ce type de contrat. Existe-t-il des dispositions précises en cas de report, notamment lorsqu'on peut s'interroger sur leur imputabilité ? Je pense au problème de montée en charge de l'équipement des camions, qui doivent accomplir un certain nombre de formalités. Est-ce un tort de l'État ou de l'entreprise ? Comment l'État garantit-il habituellement ses droits ? Il serait précieux pour la commission d'enquête de le savoir... Écomouv' nous a expliqué, la semaine passée, que le dialogue ne semblait pas optimal - en clair, qu'il n'y avait pas eu d'échange...

D'autre part, qu'en est-il quand ce type de contrat se trouve dans une phase où le dispositif n'est pas totalement réceptionné ?

Enfin, un recours a été formé ; une décision a semblé attester la régularité de la procédure : doit-on comprendre que la question a déjà été tranchée par la justice ?

M. Michel Hersemul. - Les contrats sont globalement assez rigides, la mise en place du financement étant très structurante. Il est donc toujours compliqué de prévoir les ajustements. Néanmoins, cela fait partie des compétences et de l'expertise d'un service d'intégrer la prise en compte des évolutions.

Trois dispositions majeures sont prévues aujourd'hui par les contrats. En cas de retard imputable au seul partenaire, et lorsque la mise à disposition ne peut avoir lieu à une date donnée, le dispositif prévoit généralement de suspendre le versement du loyer de rémunération du partenaire, et d'attendre la mise à disposition définitive pour libérer les loyers. Le partenaire est alors doublement touché : il reçoit ses premiers loyers plus tardivement, et se voit appliquer des pénalités ; en outre, le système étant mis en service plus tard que prévu, la rémunération de l'exploitation est réduite, la durée globale du contrat ne pouvant évoluer.

En second lieu, certaines clauses prévoient des modifications en cours de contrat. Il est toujours compliqué, dans des contrats fondés sur un volume de financement et d'investissement prévu au début par le partenaire, d'introduire une modification unilatérale de la part de l'État. Les clauses de modification organisent donc la manière dont on peut se mettre d'accord sur le coût de ces évolutions et sur leur rémunération.

Enfin, il existe une obligation de service public, et nous rappelons dans les contrats aux cocontractants de l'État qu'en cas de modification unilatérale de la part de l'État au titre du service public, ils doivent se plier à ces évolutions, leur rémunération n'étant pas un préalable à leur action.

On est, de fait, s'agissant de la taxe sur les poids lourds, dans une situation délicate, avec une mise à disposition retardée, à cause d'une contestation du partenaire sur sa part de responsabilité et sur celle de l'État. Ce dernier, dans le cadre d'une mise à disposition, doit intervenir pour constater le fonctionnement adéquat. Il existe donc une possibilité pour le partenaire de rechercher la responsabilité de l'État par ce biais.

Une autre difficulté est liée au fait que ce dispositif de report de loyer ne pourrait être appliqué, à cause d'une trop longue durée du financement bancaire associé au contrat.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente. - Le montant des fonds propres s'élève à 30 millions d'euros. Comment juger ce montant par rapport à la redevance totale de 132 millions d'euros ?

M. Michel Hersemul. - La part de fonds propres peut être variable au sein des contrats. Traditionnellement, elle est plus faible dans les contrats de partenariat que dans les concessions, le risque étant plus encadré. Dans un contrat de concession, il n'est pas rare d'avoir des fonds propres qui se montent à 25 ou à 30 % du besoin de financement. Cela correspond à des situations où le partenaire subit un risque, même sur ses recettes, qui vont dépendre du trafic.

Il s'agit ici d'un contrat de partenariat qui, une fois signé, est garanti aux pénalités de performance près. Les pénalités de performance traduisant la qualité de prestation sont plus facilement contrôlables par le partenaire qu'un trafic extérieur.

À ce titre, les exigences de fonds propres sont souvent moins importantes - entre 5 et 10 %. Ce chiffre ne me choque pas. On est parfois tenté de demander à augmenter ce pourcentage. C'est contre-productif par rapport au montant du loyer. Comme je vous l'expliquais, ce sont les fonds propres qui sont les plus risqués dans le montage, et qui, à ce titre, demandent la rémunération la plus élevée.

Si vous augmentez le pourcentage de fonds propres, vous augmentez automatiquement la subvention en concession, ou la redevance en contrat de partenariat...

Mme Virginie Klès , rapporteur. - Vous avez tout à l'heure avancé l'hypothèse qu'il s'agirait d'un contrat à fort risque ; or, j'ai compris le contraire à l'instant. Ai-je mal entendu ?

M. Michel Hersemul. - Ces contrats sont, par construction, moins risqués que les contrats de concession. Cela se traduit par une nécessité moins élevée de fonds propres, niveau qui est également contrôlé par les exigences des banques qui interviennent comme prêteurs.

Les banques évaluent les risques. Les fonds propres contribuent à amortir le risque bancaire ; si le risque global est élevé, elles exigeront des fonds propres élevés. Si on est sur un contrat de partenariat où les loyers sont quasiment garantis, elles exigeront un pourcentage moins important
- ce qui ne veut pas dire que le risque lié à la conception et à la construction n'est pas important pour un dispositif de ce type.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente. - Quelle est la rémunération d'un cabinet d'avocats pour ce genre de dossier ?

M. Michel Hersemul. - Il faudra que nous recherchions le contrat. Je ne puis vous répondre à brûle-pourpoint...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente. - Je pense que la part qu'a prise ce cabinet est un des points clés...

M. Michel Hersemul. - Ces cabinets assistent généralement aux réunions qui ont trait au dialogue compétitif, dans le but d'en garantir la sécurité juridique. C'est d'ailleurs ce même cabinet qui a défendu l'État lors du référé présenté par un concurrent évincé.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente. - Il serait bon que nous les auditionnions !

Audition conjointe de MM. François Lichère, professeur de droit (université d'Aix-en-Provence), et Frédéric Marty, économiste, chercheur au sein du groupe de recherche en droit, économie et gestion (CNRS et université de Nice - Sophia Antipolis) (Mercredi 15 janvier 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente. - Nous auditionnons deux universitaires spécialistes du partenariat public-privé (PPP) : M. François Lichère, professeur de droit à l'université d'Aix-en-Provence et M. Frédéric Marty, économiste, chercheur au sein du groupe de recherche en droit, économie et gestion au CNRS et à l'université de Nice - Sophia Antipolis. Messieurs, merci d'avoir répondu à notre invitation. Nous avons souhaité vous entendre pour que vous nous rappeliez les conditions du recours au PPP, en particulier pour le recouvrement d'une taxe, et la manière dont un tel partenariat est géré dans le temps.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. François Lichère et Frédéric Marty prêtent serment.

M. François Lichère, professeur de droit à l'université d'Aix-en-Provence . - Merci pour votre accueil. Ma connaissance de ce dossier se fonde exclusivement sur des données publiques : je n'ai été impliqué dans aucune de ses phases.

Quelles sont les conditions du recours au contrat de PPP ? Il s'agit d'une dérogation au droit commun de la commande publique, qui interdit le paiement différé et la dissociation entre maître d'oeuvre et entrepreneur. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 26 juin 2003, a limité son utilisation au cas dans lequel un motif d'intérêt général, tel que l'urgence ou la complexité, la rend indispensable. En 2008, le législateur a ajouté une troisième condition : l'efficience ou le bilan favorable.

Sommes-nous dans un tel cas ? Les documents dont j'ai eu connaissance, y compris l'avis de la mission d'appui aux PPP (Mapp), ne laissent aucun doute : le caractère novateur des techniques, notamment satellitaires, mises en oeuvre nous place dans des conditions de complexité correspondant aux termes de l'ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat. Mais la décision du Conseil constitutionnel du 26 juin 2003 a aussi posé une condition négative : un PPP ne doit pas déléguer une mission de souveraineté. Concernant ce contrat, la question aurait mérité d'être posée au Conseil constitutionnel.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Il y a eu un avis du Conseil d'État.

M. François Lichère . - En effet, en décembre 2007, il s'est prononcé sur la constitutionnalité du dispositif, mais sans faire mention de cette réserve formulée par le Conseil constitutionnel, se contentant d'évaluer les modalités du contrôle par l'État de son cocontractant. L'avis de la Mapp fait état de comparaisons entre des procédés contractuels et il valide le choix de l'État. Il envisage deux possibilités : PPP ou marché public global, de même périmètre que le PPP retenu, comprenant l'exploitation du système. Pourtant, il aurait été possible de passer un marché public pour la mise en place du système puis de confier à une régie son exploitation. L'hypothèse d'une délégation de service public a été écartée au motif qu'aucune rémunération n'aurait été possible. Elle aurait pourtant pu être calculée en fonction des taxes perçues.

Les modalités de passation du contrat ont été minutieusement analysées par le Conseil d'État, qui cependant intervenait dans le cadre d'un référé précontractuel et ne menait donc pas un contrôle exhaustif. Le raisonnement se tient, même si je formule une réserve sur la question de l'impartialité des conseils privés de l'État.

Ce contrat est exceptionnel à plusieurs titres. D'abord, il a été autorisé par le législateur, en loi de finances. Il se situe dans le cadre d'un contrat de partenariat de service, ce qui n'est pas fréquent mais qui est juridiquement possible. La formule de PPP retenue est-elle adaptée à la gestion d'un service de recouvrement de taxes ? Ni plus ni moins que la formule d'un marché public global. La vraie question est le choix de l'externalisation du recouvrement, plus que la formule choisie pour mettre en oeuvre cette externalisation. Est-il pertinent pour l'État de déléguer ce recouvrement ? Certes, un préfinancement était nécessaire, mais l'État ne pouvait-il pas faire l'avance ?

Quelles sont les conséquences, pour chaque partie, de la suspension du contrat ? L'entreprise Écomouv' a-t-elle des moyens de pression sur l'État ? La situation est inédite. En droit, la suspension de contrat n'existe pas. Il y a simplement une décision de l'État de ne pas exécuter ses obligations contractuelles, qui n'annule pas la situation contractuelle elle-même. En droit privé, il existe l'exception d'inexécution : si une partie n'exécute pas ses obligations, l'autre n'est plus tenue aux siennes. Mais le législateur lui-même a qualifié ce contrat de contrat administratif : en cas d'inexécution de ses obligations par une partie, l'autre n'est pas dégagée des siennes. Écomouv' peut donc tout à fait engager une action en responsabilité de l'État pour le préjudice lié à la suspension de l'exécution de ses obligations contractuelles. Une action en reprise des relations contractuelles serait également envisageable ; ce serait une première car elle n'est admise à ce jour qu'en cas de résiliation du contrat par une personne publique, sous réserve qu'un motif d'intérêt général ne s'y oppose pas. Ici, il s'agit de suspension des relations contractuelles.

M. Frédéric Marty, économiste, chercheur au sein du groupe de Recherche en droit, économie et gestion au CNRS et à l'université de Nice . - Pas plus que M. Lichère, je n'ai eu accès au contrat lui-même. Je me fonderai donc moi aussi sur des données publiques. Il est indubitable que c'est la complexité de l'opération qui explique le recours au PPP : il s'agit d'une mission globale, sur un service innovant, qui requiert la mise en place d'un protocole d'interface, une interopérabilité, la minimisation du taux de fraude... Il n'est pas certain que les services de l'État auraient été en mesure de produire un cahier des charges détaillé.

Quelques problèmes subsistent. Il s'agit d'un contrat dérogatoire, le Conseil constitutionnel exige donc un examen des voies alternatives. Or, la seule voie alternative qui a été examinée est une mission globale, et non une succession de contrats. Nous ne pouvons donc pas savoir si la dissociation des phases de conception, construction et exploitation aurait présenté un intérêt pour l'État. Ce contrat porte, ce qui est possible mais assez rare pour un PPP, sur un service, qui est de surcroît un service technologique complexe, innovant et évolutif. Rares sont les contrats de PPP portant sur ce type de service : l'opération RDIP-Air ( réseaux de desserte Internet Protocol des bases de l'armée de l'Air ) pour la direction générale de l'armement (DGA), la vidéo-protection pour la préfecture de police de Paris... D'un point de vue économique, le choix contraint d'une maturité courte est problématique. Pour de tels montants d'investissement, une maturité plus longue aurait été logique et aurait fait diminuer les loyers. Mais plus la technologie est évolutive, plus il est risqué de contracter sur le long terme : un contrat technologique dure rarement plus de dix ou quinze ans, avec des loyers assez élevés, donc. Si l'on avait passé un contrat sur une plus longue durée, la somme actualisée des loyers à verser aurait été plus importante, car les frais financiers auraient été plus importants. Le mécanisme des clauses d'indexation aurait aussi accru le niveau des loyers d'exploitation. Dans un contrat court, les loyers sont plus élevés. Il y a toujours un arbitrage à opérer.

La question de la mise en concurrence par le marché public doit être traitée en prenant en considération le nombre d'entreprises susceptibles de répondre à l'appel d'offre : moins elles sont nombreuses, moins il faut espérer une minimisation du coût d'acquisition. En l'espèce, la complexité du service était telle que peu d'entreprises pouvaient répondre.

En France, peu de PPP portent sur ce type de service de haute technologie, mais ils ont été plus nombreux au Royaume-Uni, surtout au cours des dix dernières années, où des private finance initiatives ont porté sur la fabrication des passeports ou l'informatisation des tribunaux... Chaque fois, les résultats ont été plutôt négatifs : économies budgétaires faibles, retards et, dans certains cas, échecs. Ce n'est pas parce qu'une administration ne sait pas faire qu'une entreprise le saura automatiquement mieux. Les rapports faits par l'office d'évaluation des choix technologiques du Parlement ou par le Trésor britannique recommandent donc des contrats de court terme relativement flexibles. La capacité de la personne publique à évaluer les offres est déterminante, ainsi que son aptitude à accompagner le contrat en surveillant le prestataire et, à terme, en remettant le contrat en concurrence ou en internalisant la gestion.

Un PPP est-il adapté à un service de recouvrement des taxes ? Cela rappelle les fermes générales sous l'Ancien Régime... Mais la situation est différente. Les revenus de la société gestionnaire ne sont pas liés aux taxes perçues, mais à la disponibilité du système, à sa performance et à la qualité du service. Ainsi, plus le produit de la taxe est élevé, moins la part relative du coût de gestion l'est. Il existe des PPP pour des fonctions-support de missions régaliennes, dans la défense ou la vidéo-protection.

La gestion dans le temps du PPP pose le problème de l'évolution de la définition du service attendu par la personne publique. Les technologies évoluent aussi, et peuvent être dépassées. La personne publique doit pouvoir gérer les différends et prendre en compte les interdépendances. Les paiements doivent commencer lors de la mise à disposition des actifs.

Comment apprécier la rémunération du consortium privé ? Le coût de collecte semble important, puisqu'il représente 20 % du montant de la taxe. En Allemagne, il est de 15 % environ - mais il atteint 40 % en République Tchèque. En principe, le coût de collecte d'une taxe est compris entre 5 % et 10 % : généralement le coût d'opportunité des fonds publics est estimé à 20 %, mais ce chiffre comprend aussi les effets de distorsion et d'éviction de l'impôt. Pourquoi avons-nous un taux supérieur au taux allemand ? La technologie est différente : le système allemand ne satisfait pas l'exigence européenne d'interopérabilité. L'assiette n'est pas la même : les Allemands taxent essentiellement 13 000 kilomètres d'autoroutes, puisqu'elles sont pour la plupart gratuites. En France, le réseau non concédé taxable est plus étendu, 5 000 kilomètres de routes départementales et 10 000 kilomètres de routes nationales, sur lesquelles le trafic de poids lourds est moindre : l'assiette de la taxe est donc plus faible, ce qui renchérit le coût de collecte. Il est donc difficile de dire si le taux de 20 % est excessif, mais il est normal qu'il soit supérieur à ce qu'il est en Allemagne.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Était-ce le bon choix pour l'État que d'externaliser ce recouvrement ? Plus l'assiette diminue, plus le coût de recouvrement augmente. Or, les études d'impact ont montré qu'il y aurait un report de trafic vers les autoroutes concédées. L'État ne pouvait pas l'ignorer ! La complexité, alléguée pour justifier le choix du recours au privé, en est au contraire la conséquence : nul ne sait comment les agents d'Écomouv' recevront l'agrément pour effectuer le recouvrement et constater les infractions. Le préfet a compétence sur un département, mais les camions se déplacent sur tout le territoire, et le siège de leur entreprise est à l'étranger... C'est un véritable imbroglio ! Comment les douanes ou la gendarmerie pourront-elles arrêter les camions qui n'auront pas le dispositif embarqué ? Qui se mettra en travers de la route ? Ces modalités sont celles qui permettront le moins de limiter la fraude, il me semble.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Pour comparer les taux de 20 % et de 15 %, ne faudrait-il pas les ramener aux kilomètres parcourus ?

M. Frédéric Marty . - En effet, la rémunération du consortium privé n'est pas calculée en fonction de l'assiette. Plus celle-ci sera étroite, plus le coût de gestion relatif sera important. Mais cette fiscalité se veut incitative : elle vise à favoriser le report modal, même si elle a aussi pour vocation de financer les infrastructures de transport. Plus on élargira l'assiette, plus les coûts de collecte augmenteront en valeur absolue mais pourront se réduire en valeur relative. En fait, la taxe fonctionne par une technologie satellitaire, les portiques ne sont pas indispensables en eux-mêmes, ils sont implantés pour détecter la fraude et ainsi limiter les distorsions de concurrence. C'est cela qui est onéreux.

Quelles étaient les alternatives pour instaurer une fiscalité écologique ? Une augmentation de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) ? Elle aurait engendré des distorsions : les camions étrangers peuvent traverser la France sans faire le plein. Il est vrai que le contrat de partenariat induit une complexité propre. Mais l'administration n'avait peut-être pas la capacité de déployer aussi rapidement un tel réseau. Avait-elle réellement le choix ?

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Le choix d'un PPP pour recouvrer une taxe induit, en lui-même, de la complexité. Nous avons interrogé Écomouv' sur sa rémunération. Ses dirigeants nous ont indiqué que leur loyer comprenait une première partie fixe, ferme, non révisable et non indexée, de 96 millions d'euros par an, qui correspond à l'investissement ; une deuxième partie, fixe également, correspondant à la maintenance, de 47 millions d'euros par an, auxquels s'ajoutent 8 millions d'euros par an pour les travaux de gros entretien ; et, ce qui est plus étonnant, une partie variable de 64 millions d'euros, qui sera ajustée en fonction de la montée du trafic. Or, on annonce que celui-ci va diminuer. Je ne comprends pas cette disposition.

M. François Lichère . - Tout dépend du contenu du contrat. Il aurait été beaucoup plus incitatif de prévoir une délégation de service public, avec une rémunération corrélée au montant de la taxe perçue : si sa rémunération est globalement fixe, quel est l'intérêt du cocontractant à lutter contre la fraude ? Sans doute des clauses garantissent-elles qu'Écomouv' s'y attellera ; mais la garantie aurait été totale si la rémunération y avait été liée. Même si le PPP induit une complexité, la situation de départ était juridiquement complexe. Le dialogue compétitif était nécessaire, mais je rappelle qu'il peut aussi bien être organisé dans le cadre d'une procédure de marché public.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Je recommande à mes collègues la lecture de l'avis de la Mapp. Je cite : « le choix par le partenaire public de la meilleure option ne pourra être opéré qu'à l'issue du dialogue compétitif ».

M. François Lichère . - Il s'agit du choix technologique. Le choix du type de contrat est fait en amont.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Le choix technologique est le premier à faire...

M. François Lichère . - Il aurait été possible d'imaginer un contrat de partenariat pour l'entretien du système mais non son exploitation. L'intérêt du PPP, c'est le préfinancement privé. Je considère, avec de nombreux autres, qu'un PPP ne saurait confier à un gestionnaire privé un service public - tout au plus une mission de support. Surtout, je ne comprends pas pourquoi la Mapp a validé la comparaison entre deux options seulement, alors qu'il y en avait au moins quatre.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Déléguer un service public sous forme de PPP vous paraît-il logique pour une période limitée à onze ans et demi ? Certes, l'investissement initial est important. Mais l'obsolescence prévisible du matériel après dix ans n'aurait-elle pas dû conduire à prévoir des clauses spécifiques de mutabilité, comme on dit dans le bâtiment ?

M. Frédéric Marty . - L'hypothèse implicite a été que seul le concepteur du système peut l'exploiter - on parle de « technologie propriétaire ». Il faudrait tester cette hypothèse. Dans certains cas, cela fait sens, notamment dans l'immobilier. Dans dix ans, la technologie déployée par Écomouv' sera obsolète. Comme l'est aujourd'hui le système allemand, lancé en 2005. Quelle garantie a la puissance publique que les installations qui lui seront alors transférées ne seront pas inutilisables ? L'exploitation pourra-t-elle éventuellement être transférée à un autre contractant ? Cela pose la question de la compétence de la personne publique et de la qualité de ses conseils privés.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Pouvez-vous revenir sur les temps successifs du contrat ? Aujourd'hui, il a été signé et n'est pas suspendu. Il s'exerce donc, en dépit de la décision de reporter l'entrée en vigueur de l'écotaxe. La mise à disposition est un moment clé, qui emporte des conséquences majeures. Pourquoi le partenaire privé n'accélère-t-il pas sa demande de mise à disposition ? Cela doit vouloir dire qu'il n'est pas prêt, et qu'il cherche à camoufler des retards et à s'épargner ainsi des pénalités.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - C'est possible : la philanthropie du privé, je n'y crois pas !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Si la société Écomouv' est prête, elle doit demander la mise à disposition, qui n'a rien à voir avec la mise en service, laquelle sera faite par l'État. Qu'en pensez-vous ?

M. Éric Doligé . - Quelle est votre analyse sur le report modal ? Les rentrées financières sont estimées à 1,2 milliard d'euros par an. S'il y a moins de trafic, la rentabilité sera moindre. Mais le report modal, c'est le but ! Si la rentabilité était nulle, cela signifierait que le système fonctionne. Les collectivités territoriales le souhaitent, quand bien même les sommes dont elles doivent être attributaires en seraient diminuées : 5 000 camions de moins sur un itinéraire coûteux à entretenir, cela représente des économies considérables ! Ne nous arrêtons pas au fait que le coût de gestion au kilomètre serait plus élevé.

Tant qu'un PPP n'est pas signé, rien n'est joué !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Il est signé.

M. Éric Doligé . - On a le sentiment que puisque la procédure est engagée, que le dialogue compétitif est lancé, il faut aller au bout. C'est faux : il est possible de ne pas signer.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - C'est comme déclarer un appel d'offres infructueux.

M. Éric Doligé . - C'est plus rare pour un PPP, mais c'est possible. Par ailleurs, j'aimerais connaître votre estimation du coût global.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Bien sûr, le report modal est souhaité. Mais nous allons payer fort cher une entreprise pour mettre en place un dispositif qui entraînera ce report au profit d'autres entreprises privées, les sociétés concessionnaires d'autoroute. Il faut prendre en compte les conséquences.

M. Éric Doligé . - Je connais bien ce problème : toutes les routes nationales, dans mon département, sont devenues départementales, et elles supportent un gros trafic de camions car elles sont gratuites. Elles seront équipées par le système Écomouv' : les camions devraient donc se rabattre sur les autoroutes. Tant mieux ! Cela profitera bien à d'autres entreprises privées, mais ce n'est pas le problème des collectivités territoriales !

Mme Virginie Klès , rapporteur . - C'est celui de l'État !

M. François Grosdidier . - Ne refaisons pas le débat sur l'écotaxe : le Parlement y a largement participé, et nous étions tous d'accord pour faire assumer par les utilisateurs (transporteurs) le coût de l'entretien des infrastructures. Lorsqu'ils empruntent des routes nationales ou départementales, il faut donc le leur faire payer, comme c'est le cas sur les autoroutes. Dans des régions frontalières comme la mienne, nous souhaitons que les camions qui transportent des cochons de Bretagne en Allemagne pour l'abattage, puis d'Allemagne en Italie pour la transformation en charcuterie fine, avant de les rapporter dans nos supermarchés, ne passent pas forcément par nos routes, par exemple pour aller d'Allemagne vers l'Italie. Certes, si le système est efficace, il rapportera moins à l'État et davantage aux sociétés privées. Mais l'objectif est de faire financer le coût des infrastructures par les transporteurs y compris étrangers, pour relocaliser certaines activités. C'est l'enjeu principal, que les bonnets rouges n'ont pas vu !

Le cadre juridique pose un seul problème, il me semble : la perception. L'État était-il fondé à faire appel à ce type de contrat ? Ce n'est qu'une fois le cadre juridique connu que l'on peut établir si une régie directe, par exemple, serait plus appropriée.

J'ignore si Écomouv' diffère la mise à disposition pour masquer son impréparation, mais il semble que l'on cherche des torts au partenariat public-privé, depuis l'annonce de la suspension du contrat, pour des raisons qui lui sont tout à fait étrangères.

À combien s'élève le préjudice d'Écomouv' que l'État aurait à réparer en cas de report de l'exécution du contrat ? Le juge peut-il contraindre l'État à remplir ses obligations ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Les travaux antérieurs de la commission des finances répondent en partie à ces questions.

M. François Lichère . - Le cas de figure dont nous discutons est inédit. Les suspensions de contrat sont rares. Le prestataire privé n'est fondé à invoquer un préjudice qu'à partir du moment où il s'acquitte de ses propres obligations.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - S'il n'est pas prêt, il ne peut donc invoquer de préjudice.

M. François Lichère . - En effet. En d'autres termes, il a tout intérêt à demander à l'État de prendre ses responsabilités. S'il ne le fait pas, il ne pourra pas s'abriter derrière la suspension puisqu'il reste tenu de remplir ses obligations.

Il existe cependant une responsabilité contractuelle de l'État : s'il n'exécute pas ses obligations contractuelles et si son partenaire prouve qu'il remplit les siennes, il y a faute contractuelle. La question qui se pose est de savoir à partir de quand court le préjudice.

Le critère de la complexité exigé par les contrats de partenariat est en l'espèce rempli. La réponse est moins nette s'agissant de la réserve de souveraineté, car le recouvrement de l'impôt fait l'objet d'un partage de tâches, les douanes étant par exemple compétentes en matière de recouvrement forcé. Le législateur a certes autorisé l'État à déléguer la mission de recouvrement de l'impôt, mais il n'a pas précisé si cela pouvait se faire au moyen d'un contrat de partenariat. Selon moi, il ne le peut pas, mais l'on peut en débattre.

M. Charles Guené . - J'avais compris différemment le critère de souveraineté. Au Royaume-Uni, on considère qu'il est porté atteinte à la souveraineté de l'État lorsque le prestataire manque à ses obligations - en matière de transport militaire par exemple. En l'espèce, je ne vois pas que la délégation du recouvrement de l'impôt porte atteinte à la souveraineté de l'État.

M. François Lichère . - La question est : l'État peut-il recourir à un PPP pour une mission de souveraineté ? Le Conseil constitutionnel pose des critères et une réserve de souveraineté. En l'espèce, a-t-on délégué une mission de souveraineté ? Compte tenu du fait que les douanes sont compétentes pour le recouvrement forcé, j'incline à penser que non, mais la question demeure posée.

La procédure de passation elle-même peut faire l'objet d'un débat. Le Conseil d'État a fait preuve de souplesse en ne tirant aucune conséquence du fait que le conseil privé de l'État conseillait concomitamment Autostrade sur un contrat analogue en Pologne. Une jurisprudence plus stricte eût été envisageable. D'une manière générale, il faut poursuivre les réflexions engagées par le rapport Sauvé sur les conflits d'intérêts.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Il faut reconnaître que le conseil de l'État était un très grand cabinet d'avocats.

M. François Lichère . - Je parle du bureau d'études, le cabinet Rapp.

M. Éric Doligé . - L'État délègue bien aux entreprises la perception de la TVA.

M. François Grosdidier . - D'autres taxes sont déléguées aux acteurs privés.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Les conflits d'intérêts sont inévitables dans les gros cabinets, bien que les avocats travaillent indépendamment les uns des autres. Nous lirons l'arrêt du Conseil d'État avec intérêt.

M. Frédéric Marty . - Par hypothèse, la mise en place d'une fiscalité incitative, en modifiant les comportements, vise l'attrition même des recettes fiscales créées. En l'occurrence, cela pose problème puisque le produit de la taxe poids lourds finance les infrastructures de transport.

Dans un contrat de partenariat, au contraire d'une délégation de service public, les loyers rémunèrent non le service lui-même, mais la mise à disposition des équipements qui concourent à le fournir. Le prestataire serait alors payé, que la taxe soit collectée ou non. En l'espèce, le prestataire n'a pas mis ses équipements à disposition. Dans le cadre d'un contrat financé sous forme de projet, c'est-à-dire avec très peu de capitaux propres...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - 30 millions d'euros.

M. Frédéric Marty . - ...et un recours massif à la dette - 90 % en moyenne -, c'est inexplicable. En effet, le prestataire s'endette dès le début des travaux, et ne peut alors compter que sur ses recettes d'exploitation pour faire face au service de sa dette : il n'a aucun intérêt à retarder la mise à disposition de son infrastructure.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Au 1 er juillet 2013, Écomouv' n'était pas prêt. La mise à disposition a été reportée deux fois : d'abord au 1 er octobre 2013, puis au 1 er janvier 2014. Lors de la dernière audition, nous avons appris que seuls 190 000 camions sur 800 000 étaient équipés.

M. François Lichère . - Ce n'est pas entièrement de leur faute.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Certes, mais tout le monde semble avoir intérêt à différer cette mise à disposition ; or, je ne suis pas certaine que ce soit bon pour l'État. Les responsabilités sont sans doute partagées : il faut déterminer la part de chacun au 1 er janvier 2014, date à laquelle les dernières dispositions du contrat sont applicables.

M. Jean-Luc Fichet . - Certains artisans se voient facturer l'écotaxe par leurs livreurs depuis le 1 er octobre dernier. Ils sont plus nombreux qu'on le croit. Comment est-ce possible ?

Après plusieurs reports, le dispositif de l'écotaxe risque d'être remanié. Quelles modifications le contrat devrait-il subir, et avec quel impact financier ? Quel coût aurait pour l'État un arrêt définitif du contrat originel ?

M. François Lichère . - Difficile de vous répondre sans connaître les clauses du contrat. La doctrine d'accès aux documents administratifs est assez restrictive, le secret industriel et commercial est invoqué pour justifier des refus. La responsabilité de l'État pourra être engagée à compter du 1 er janvier 2014, sous réserve que le cocontractant ait fait les diligences nécessaires.

Les exigences des livreurs que vous citez me surprennent, elles ne semblent pas légales. La loi autorisant la répercussion de l'écotaxe par les prestataires de transport a fait l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité. Reste qu'il faut d'abord acquitter la taxe...

Le Conseil constitutionnel a admis par une décision du 28 décembre 1990 que des personnes privées recouvrent l'impôt (il s'agissait en l'espèce de la CSG), sous réserve qu'elles soient strictement contrôlées par l'État. Elles remplissent alors une mission de service public.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Les personnes privées recouvrant l'impôt, par exemple les commerçants qui reversent la TVA à l'État, ne sont pas rémunérées. Il en va différemment pour l'écotaxe.

M. Frédéric Marty . - Un contrat est une obligation de faire ou de payer. En cas d'inexécution, le cocontractant peut être indemnisé des sommes auxquelles il aurait pu prétendre si le contrat avait été exécuté, soit de la valeur actuelle nette des flux de ressources qu'il aurait perçues. Le dédit doit être spécifié dans le contrat.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Dix-huit mois étaient prévus pour faire. La date du 1 er janvier 2014 est capitale : c'est celle choisie par l'État pour la mise en service, qui succède à la mise à disposition. Or, ces dix-huit mois sont passés. Nous interrogerons l'État mais, en toute hypothèse cette question du retard dans la mise en service est capitale.

M. Frédéric Marty . - L'État peut également invoquer les compensations budgétaires qu'il va devoir débloquer au bénéfice de l'agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). Le coût externe du contrat n'est pas négligeable.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous avons évoqué ce point en commission des finances.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Pouvez-vous revenir en détail sur la procédure de dialogue compétitif ?

M. François Lichère . - Le dialogue compétitif est une procédure spécifique introduite par la directive de 2004 pour ce type de contrats. Elle vise à allier flexibilité et transparence. On ne définit plus un cahier des charges mais un programme fonctionnel qui dresse la liste des objectifs à atteindre. Le dialogue compétitif doit faire émerger les moyens de les réaliser. Ici, c'est la demande qui s'adapte à l'offre, en fonction des possibilités techniques qui émergent au cours de la procédure, alors que dans le marché public, les offres doivent répondre à une demande figée dès l'origine. L'ajustement se fait en cours de dialogue. Il conduit à faire évoluer y compris le programme fonctionnel d'origine que l'on appelle parfois cahier des charges. C'est le principe même de cette procédure.

La difficulté consiste à garantir la transparence du dialogue et l'égalité entre les candidats. La charte du dialogue compétitif, établie en 2007 par la Mapp et les associations d'élus locaux, recommande la traçabilité du dialogue : l'État doit consigner l'ensemble des questions posées par l'État aux candidats et les réponses apportées. La confidentialité impose en principe que les propositions d'une entreprise ne soient communiquées à d'autres qu'avec l'accord de la première.

Le tribunal administratif avait identifié trois motifs susceptibles d'entacher d'irrégularité la procédure de dialogue compétitif : le fait que l'entreprise candidate retenue ne soit finalement pas l'entreprise signataire, un changement juridique étant intervenu entre temps, ce qui ne me choque pas par principe ; l'imprécision du critère de crédibilité, laissant trop de marge à l'État pour apprécier les candidatures ; et la méconnaissance de l'objectif d'impartialité. Ce sont les trois motifs d'annulation. Le Conseil d'État, statuant en référé précontractuel, a rejeté la demande en annulation qui était notamment fondée sur le fait que la demande par l'État, en cours de dialogue compétitif, d'un nouveau démonstrateur aurait avantagé le candidat retenu. Le Conseil a estimé que la rupture d'égalité n'était pas manifeste.

M. François Grosdidier . - Quelle est la force obligatoire des préconisations de traçabilité du dialogue compétitif ? Ces informations sont-elles communiquées a posteriori , ou tous les candidats sont-ils informés en temps réel des ajustements du programme fonctionnel ?

M. François Lichère . - Distinguons modification du programme fonctionnel et précisions. Une modification substantielle, comme le changement d'un dispositif satellitaire en un dispositif de portiques par exemple, doit être portée par le pouvoir adjudicateur à la connaissance de tous les candidats. De fait, un programme fonctionnel est à l'origine assez général. L'État assure ensuite l'égalité entre entreprises pour faire prospérer les propositions.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Une proposition n'a aucune chance de prospérer si l'État ne la communique pas aux autres candidats. C'est bien l'État qui décide d'informer ou non tous les candidats, il conserve la main sur la procédure.

M. François Lichère . - Dans la première version du code des marchés publics, la personne publique établissait un cahier des charges à l'issue du dialogue compétitif. Cette disposition, susceptible de favoriser le pillage commercial, ou cherry picking , a été abandonnée. Le pouvoir adjudicateur compare désormais des propositions hétérogènes entre elles
- pour franchir un estuaire, par exemple, un pont et un tunnel - et demeure garant de l'égalité entre les candidats. Le juge du référé précontractuel contrôle le respect de la procédure, mais est incompétent sur le choix de la solution technique.

M. Charles Guené . - Seriez-vous surpris que le calcul du coût global du contrat ne se limite pas à la lettre de celui-ci, mais prenne en compte les évolutions modales et les effets d'une fiscalité incitative ?

M. Frédéric Marty . - Non, il est légitime de combiner les deux analyses : celles du coût du contrat - la value for money comme disent les Anglo-saxons -, et celle de l'efficacité de la politique publique portée par l'écotaxe.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Dans une délégation de service public, le délégataire supporte une partie du risque de l'opération. Ici, la loi impose-t-elle au prestataire de prendre en charge certains risques ?

M. Frédéric Marty . - Les risques résident dans l'allongement du délai avant la mise à disposition des équipements, qui retarde d'autant le paiement du cocontractant. Il y a un manque à gagner. De plus, la rémunération différée ne rembourse pas l'investissement réalisé. Les surcoûts en construction ou en exploitation sont entièrement à sa charge.

M. François Lichère . - Une délégation de service public suppose un risque d'exploitation du service lui-même. Les sociétés d'autoroutes, par exemple, sont financées par les redevances des usagers. Si le trafic diminue, les rentrées sont plus faibles. Dans le cas d'un contrat de partenariat, le cocontractant n'est pas exposé au risque d'exploitation à proprement parler, mais il supporte tous les autres : géologiques, archéologiques, grèves...

M. Jean-Luc Fichet . - Inflammabilité des portiques...

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Au 1 er janvier 2014, Écomouv' n'était pas prêt. Ce retard ne doit pas entraîner, avant cette date, l'augmentation des loyers versés par l'État, ni l'allongement de la durée du contrat.

M. François Lichère . - Il reste à apprécier les responsabilités de chaque acteur dans ce retard. Dans ce type de contentieux, chacun les reporte évidemment sur l'autre.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Mais s'il n'y a pas eu mise à disposition...

M. Frédéric Marty . - Il faut regarder attentivement les clauses du contrat. Dans certains contrats, les paiements commencent dès la phase de construction, et non au démarrage de l'exploitation, ce qui n'incite guère le prestataire à livrer l'équipement dans des délais satisfaisants. Mais procéder ainsi réduit le besoin de financement du prestataire, donc les loyers versés par l'État.

M. François Lichère . - Cette hypothèse est rare. En général, la rémunération n'intervient qu'à compter de la mise en service. Dans un récent colloque à l'ENA - auquel vous participiez, madame la présidente, ainsi que M. Sueur -, il était révélé que le taux de livraison dans les délais des ouvrages publics était de 51 % dans la maîtrise d'ouvrage publique classique, contre 89 % pour les private finance initiatives britanniques .

M. Frédéric Marty . - Prudence cependant, le National audit office - la Cour des comptes britannique - établit ces chiffres essentiellement à partir de projets immobiliers. Dans le domaine des services de haute technologie, les contrats de partenariat sont moins performants.

M. Ronan Dantec . - L'État et Écomouv' ont intérêt à se mettre d'accord, nous l'avons compris. Mais si un nouveau retard est constaté après le 1 er janvier 2014, quels sont les moyens de recours à la disposition des citoyens pour contester l'accord amiable ?

M. François Lichère . - En vertu de la jurisprudence administrative, les citoyens ont un intérêt à agir, en qualité de contribuable local, contre les décisions des collectivités territoriales entraînant un surcoût pour les finances publiques, mais pas contre celles de l'État en qualité de contribuable national. C'est malheureux, car c'est un instrument très efficace.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Dans le cas de collectivités territoriales, seule la délibération de l'assemblée locale est attaquable, n'est-ce pas ?

M. François Lichère . - Toute décision entraînant des dépenses publiques : celle de suspendre un contrat rentrerait dans cette catégorie. Le Conseil d'État a même récemment admis qu'une décision entraînant de moindres recettes était attaquable sur ce fondement.

M. Ronan Dantec . - L'État a donc les mains libres pour signer un accord à l'amiable avec Écomouv'.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Personne ne semble, en effet, disposé à s'engager dans un contentieux. Nous vous remercions.

Audition de M. Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris (Cabinet Allen & Overy) (Mercredi 15 janvier 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous accueillons maintenant M. Romaric Lazerges, avocat au Barreau de Paris et maître de conférences à Sciences Po, où il anime un séminaire sur les partenariats public-privé (PPP). C'est donc à un juriste praticien que nous demanderons, sans trahir le secret professionnel, de nous éclairer sur la manière dont se passe concrètement un PPP et de nous présenter les avantages et les risques que cette formule présente pour l'État.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Romaric Lazerges prête serment.

M. Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris . - Je tiens à apporter d'abord deux précisions. Je n'ai pas été partie prenante au projet Écotaxe ; mon propos sera donc prudent et général. Je suis par ailleurs associé dans le cabinet Allen & Overy, responsable du département droit public, dans lequel j'ai une activité contentieuse et transactionnelle. En matière de contrats publics, j'interviens dans le cadre de grandes délégations de service public (DSP) ou de contrats de partenariat. Au sens étroit, les PPP ont presque dix ans. Je suis intervenu depuis le début de cette épopée en étant conseil du ministère de la justice pour les prisons, de Voies navigables de France (VNF) pour le canal Seine-Nord, pour le moment à l'arrêt, mais aussi d'opérateurs privés, que ce soit de groupements titulaires de contrats ou de banques finançant ces contrats. Chaque acteur - personne publique, consortium, institutions financières telles que la Caisse des dépôts et consignations (CDC) ou les banques - se fait en effet assister par un ou plusieurs cabinets. Nous avons ainsi assisté Vinci pour la DSP consacrée au TGV Tours-Bordeaux - le plus gros projet de ce genre, d'un montant de sept à huit milliards d'euros - ou d'autres acteurs, par exemple pour des stades, des hôpitaux, ainsi que les banques pour le Global System for Mobile communications - Railways (GSM-R).

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Vous êtes donc le spécialiste des PPP dont nous avons besoin.

M. Romaric Lazerges . - Je suis un spécialiste... pas le seul. J'ai compris que vos interrogations portent sur quatre champs : les critères justifiant le recours aux PPP ; les conditions de passation et, le cas échéant, le rôle de conseil ; le coût ; enfin, les conditions d'exécution du contrat, sur lesquelles je serai prudent, n'ayant pas plus d'éléments sur l'écotaxe que ce que j'ai pu en lire dans la presse.

Le PPP est un outil très décrié dans les médias, presque diabolisé. Il est surtout très mal connu. Ce n'est pas, comme on l'a dit, une privatisation ; c'est un outil de la commande publique parmi les autres que sont les marchés publics ou les DSP. Les PPP se distinguent des marchés publics proprement dits par trois points - même s'ils sont eux-mêmes des marchés publics : la globalité de la mission - encore que certains marchés sont aussi globaux - la durée et surtout l'association entre financement et rémunération - s'opposant ainsi à l'interdiction du paiement différé dans le cadre d'un marché public. Ils se distinguent des DSP par une rémunération non indexée sur le résultat d'exploitation - quoiqu'il puisse exister dans certains PPP des revenus annexes - mais constituée par un loyer fixe sans intéressement. L'idée initiale des PPP était ainsi de créer des contrats globaux tels que des DSP pour les cas où la rémunération liée au résultat était impossible, comme dans le cas des prisons. Sans PPP, il aurait fallu passer plusieurs marchés ; le PPP permet de passer un marché global avec un paiement différé.

Le processus de passation d'un PPP est long et complexe, comme peuvent l'être les procédures de passation de gros marchés publics ou des DSP : pour le TGV Tours-Bordeaux, la procédure a duré de 2007 à 2011. Du côté de la personne publique, il s'agit de ménager plusieurs objectifs : l'efficacité de la procédure - travailler avec les candidats pour que leur réponse réponde le mieux à l'objectif ; l'égalité des candidats, qui implique un certain formalisme ; l'incitation à l'innovation - mais il faut parfois renoncer aux bonnes idées d'un candidat pour respecter l'égalité ; le maintien de la concurrence : pour cela, il faut conserver un cahier des charges unique le plus longtemps possible.

N'étant ni un financier, ni un économiste, je serai très prudent sur le coût ; je ne peux donc pas dire si un contrat est cher ou non en nominal. Ce que j'ai remarqué, c'est que les comparaisons faites n'étaient pas toujours pertinentes, oubliant souvent que le coût d'un PPP n'est pas un simple coût de gestion, mais un coût de remboursement d'un investissement augmenté d'un coût de gestion. Sur l'écotaxe comme sur le dossier du Tribunal de grande instance de Paris ou sur les prisons, cela n'a ainsi aucun sens de comparer un contrat de gestion d'un ouvrage déjà construit et un PPP. Par ailleurs, lorsque l'on compare un dispositif de type PPP et un dispositif de type maîtrise d'ouvrage publique ; et c'est vertueux de le faire ; il faut prendre en compte l'ensemble des coûts pour l'un et l'autre dispositif, y compris des coûts internes à la personne publique.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Pouvez-vous nous donner quelques exemples de cette complexité qui justifie le recours à un PPP, notamment dans le domaine des services, le recours à cette formule juridique pour des investissements ne faisant pas débat ?

M. Romaric Lazerges . - La complexité, cela peut être, pour la personne publique, de préparer un cahier des charges qui soit d'emblée assez précis, notamment dans les domaines technologiques. Mais cette difficulté peut être contournée : on peut choisir de faire plusieurs marchés de maîtrise d'oeuvre avant de lancer la procédure. Le critère principal qui justifie à mes yeux un PPP est le lien entre construction et exploitation. Dans une maîtrise d'ouvrage publique, la personne publique aura la maitrise de la construction, mais elle peut recevoir une livraison conforme et ne se rendre compte de certains problèmes qu'au moment de l'exploitation. Un PPP est de ce point de vue vertueux en reportant totalement le risque de la construction et partiellement le risque d'exploitation sur le partenaire, en exigeant de lui qu'il délivre une installation qui fonctionne sur plusieurs années conformément à des critères de performance. Un autre avantage est de faire baisser le cas échéant le coût financier : dans une maîtrise d'oeuvre publique, la personne publique paie des acomptes au fur et à mesure de la construction alors que, dans un PPP, elle ne paie rien avant la réception de l'ouvrage. Mais le grand avantage, c'est surtout de payer moins en période d'exploitation si ça marche mal.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Dans un PPP, la rémunération n'est pas indexée sur le résultat ?

M. Romaric Lazerges . - Pas sur le résultat financier, mais sur des indices de performance. Une entreprise construisant un stade en DSP bénéficiera généralement de subventions, mais sera ensuite rémunérée sur l'exploitation, de manière substantielle selon la jurisprudence du Conseil d'État (au moins pour 30 à 40 % de ses revenus). Dans un contrat de partenariat, si elle réalise le stade, elle sera rémunérée en fonction de critères de performance - même si le loyer est parfois diminué par des revenus annexes. Par exemple, dans une prison construite en PPP, à chaque fois qu'une ampoule cassée n'est pas remplacée pendant un certain nombre de jours, la rémunération de l'entreprise sera diminuée, conformément au contrat.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Écomouv' nous déclare qu'une partie non négligeable de sa rémunération - 64 millions d'euros - est indexée sur la montée en charge du dispositif. Vous nous dites l'inverse : qu'une rémunération peut diminuer mais pas augmenter.

M. Romaric Lazerges . - Je ne connais pas le contrat ; ce que j'ai compris, c'est que la rémunération n'est pas liée au montant de recettes que le titulaire collecte.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Dans le cas d'espèce, c'est lié au nombre de taxations. C'est logique.

M. Romaric Lazerges . - Dans le cas d'une prison construite en contrat de partenariat, une exploitation non performante entraînera des pénalités prévues au contrat. On parle alors de risque de disponibilité, différent du risque trafic, lié au volume. Le deuxième avantage, observé au Royaume-Uni par des statistiques, et par certains ministères en France, est un respect généralement plus strict des délais de construction. Un titulaire de contrat de partenariat qui ne livre pas à temps se voit en effet soumis à des pénalités de retard de la part de la personne publique, mais aussi, compte tenu du fait que ces projets sont le plus souvent financés à 10 % par les actionnaires et à 90 % par les banques, à des frais financiers considérables, fixés dans le contrat de crédit : dans des projets à plusieurs milliards d'euros, ces frais peuvent s'élever à plusieurs centaines de milliers d'euros par jour. Le troisième avantage est, du point de vue des ministères dépensiers - mais le ministère du budget ne serait pas d'accord sur ce point - de sanctuariser la dépense publique et d'éviter des régulations budgétaires qui touchent les dépenses de fonctionnement, et de garantir ainsi que l'ouvrage soit en meilleur état au terme de quelques décennies d'exploitation. Un autre argument est la planification : le PPP permet de connaître le coût de l'exploitation au cours du temps, ce que ne permet pas la maîtrise d'ouvrage publique.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je prends l'exemple d'un PPP sur quinze ans prévoyant une construction sur trois ans et une exploitation sur douze ans. Si le titulaire met deux ans de plus à construire, alors, les loyers initialement prévus ne lui seront versés que sur dix ans pour un montant total identique ?

M. Romaric Lazerges . - Je ne sais pas si c'est le cas, mais les signataires de certains PPP ont été soumis à ce que d'aucuns appelaient la triple peine, un retard entraînant des pénalités, des frais financiers, mais aussi une perte du loyer. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, la situation ayant été considérée comme non acceptable par les différents acteurs. Les contrats prévoient le plus souvent des pénalités comprises entre 5 et 10 % du coût d'investissement, des frais financiers, mais soit la durée d'exploitation est fixe - et le retard prolonge donc la durée du contrat - soit les échéances perdues sont remboursées en une seule fois à la date de mise à disposition de l'ouvrage. Cela assure la « bancabilité » du projet, pour employer une expression peu élégante. Les industriels ont pris des risques qu'ils ne prennent plus.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Mais il y a toujours des indemnités de retard ?

M. Romaric Lazerges . - Oui.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Quels conseils donnez-vous à l'État ?

M. Romaric Lazerges . - Je les détermine au cas par cas.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Quels sont les risques pour l'État ? Comment cela se passe-t-il avec les banques ? En quoi consiste la cession de créance ?

M. Romaric Lazerges . - Dans chaque dossier, il faut procéder à une analyse globale : étudier le risque lié à la complexité du projet, comme pour un bâtiment les risques environnementaux, les risques de recours, les risques techniques ; étudier la capacité des banques à le financer, différente selon les périodes, et naturellement moindre depuis 2008 : elles analyseront l'allocation des risques dans le contrat principal, celui que prend la société de projet et le niveau d'acceptabilité de celui qui peut être transmis aux industriels, prestataires de la société de projet. La société de projet titulaire d'un contrat de partenariat est en effet généralement une « coquille » - ce n'est pas le cas d'Écomouv' - avec des actionnaires, qui passe des contrats avec un constructeur et des exploitants. Ce qui compte pour les banques, c'est que la société de projet, qui est l'emprunteur, garde un minimum de risque, même s'il reste toujours un risque résiduel, lié à l'obtention du financement. L'industriel, de son côté, fixera un plafond de responsabilité : de 30 % de sa rémunération par exemple pour un constructeur ; dans le pire des scénarios, il ne remboursera pas plus en cas de défauts qui lui seraient imputables. Au cours du dialogue compétitif, la société de projet cherchera donc à baisser le risque dans le contrat de partenariat, pour le rendre acceptable pour elle, pour les industriels et pour les banques.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Les sous-traitants d'Écomouv' sont devenus ses actionnaires. Cela est-il courant ?

M. Romaric Lazerges . - Dans tous les contrats de partenariat, la société de projet compte des actionnaires qui sont aussi des prestataires. Un contrat tel que la ligne Tours-Bordeaux a pour titulaire une société de projet qui a pour actionnaires un industriel, un exploitant - dans ce cas, c'est Vinci pour les deux - et des financiers, la CDC ou AXA. Vinci est ainsi à la fois actionnaire, constructeur et exploitant, tandis qu'AXA et la CDC ne sont qu'actionnaires. Chacun a un intérêt et prend un risque différent.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Dans le contrat écotaxe, c'est donc Thales, SFR, Steria et la SNCF qui ont en théorie pris tous les risques ?

M. Romaric Lazerges . - Dans le schéma classique, l'industriel prend beaucoup de risques. Mais l'actionnaire prend également des risques : par exemple, il perd sa mise si le contrat est résilié pour faute.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - C'est minime.

M. Romaric Lazerges . - En comparaison avec l'ampleur du projet, sans doute, mais pas en valeur absolue.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Il s'agit de moins de 10 %, soit 30 millions d'euros.

M. Romaric Lazerges . - Si on prend l'exemple d'un contrat d'un milliard d'euros d'investissement, si 900 millions d'euros sont prêtés par les banques, et 100 millions d'euros fournis par trois actionnaires, chacun des actionnaires peut perdre plus de 30 millions d'euros : c'est colossal !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Comment la banque intervient-elle ?

M. Romaric Lazerges . - Dans un dialogue compétitif, elle doit fournir au moment de l'offre finale une lettre d'engagement dans laquelle elle promet son soutien inconditionnel au projet. Cela nécessite une intervention très précoce de la banque, qui se fait assister d'un conseil technique et d'un conseil juridique propre pour arriver à deux conclusions : financer ou ne pas financer, et à quel prix.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Et la cession de créance ?

M. Romaric Lazerges . - La plupart des contrats de partenariat ont mis en place un tel système pour faire baisser le coût du contrat pour l'État : le titulaire du contrat est titulaire d'une créance de la personne publique qu'il cède avec l'autorisation de cette dernière aux banques, au maximum à 80 %, la contrepartie pour les banques devenant ainsi partiellement la personne publique au moment de la livraison de l'ouvrage.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Cela ne concerne donc pas seulement Écomouv' et les banques : la puissance publique est impliquée.... Il nous faudra interroger les banques.

M. Romaric Lazerges . - La puissance publique doit signer une acceptation d'engagement qui devient inconditionnelle à partir de la livraison : cette partie du loyer ne peut alors plus être remise en cause.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Dans le cas de l'écotaxe, la livraison n'a pas eu lieu.

M. Romaric Lazerges . - La livraison est toujours un acte très puissant ; mais elle ne peut être acceptée que si l'ouvrage a été réalisé conformément au cahier des charges. Une fois la livraison effectuée, il faut bien rembourser l'investissement, à un moment donné.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Plus ça traîne, et plus ça coûte.

M. Romaric Lazerges . - Non, cela n'a pas d'impact si c'est la personne privée qui est responsable : c'est alors l'industriel ou les actionnaires qui en supporteront le coût. La pénalité est toujours possible à la fois sur la redevance liée à l'exploitation et sur la partie de la redevance liée à la construction qui n'a pas fait l'objet d'une cession de créances acceptée (sur les 20 % restant au moins). De toute manière, tout dépend de la livraison, comme dans une maîtrise d'oeuvre publique où, une fois que vous avez payé, les comptes sont soldés. La cession de créance a fait baisser le coût du financement des projets en points de base de manière très significative, car la signature de l'État est plus forte que celle des groupes industriels, quelle que soit leur taille.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - C'est au maximum 80 %...

M. Romaric Lazerges . - C'est ce qui est prévu dans le code monétaire et financier.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Est-ce toujours le cas ?

M. Romaric Lazerges . - C'est variable. C'est souvent 80 % ; en tout cas, ce n'est jamais 20 % : plus la part cédée augmente, plus le coût du financement diminue, puisque le risque potentiel d'exploitation diminue. Le risque subsiste sur au moins 20 % de la rémunération liée à la construction, ainsi que sur la rémunération additionnelle liée à l'exploitation.

M. Éric Doligé . - La question est donc de savoir si la livraison a lieu ou non par Écomouv'. J'ai le sentiment que tout le monde s'observe, parce que tout le monde a des reproches à se faire. Nous devons obtenir des éclaircissements. Nous ne connaissons pas le cahier des charges, et ne savons donc pas s'il prévoit des pénalités pour la personne publique si elle retarde la mise en exploitation. C'est peut-être la raison pour laquelle il n'y a pas de date de livraison prévue. Des cas de force majeure sont-ils prévus ? Dernier point, les collectivités territoriales, pénalisées, ont-elles voix au chapitre ?

M. Romaric Lazerges . - En l'absence d'éléments factuels, il m'est difficile de répondre. Il faudrait déterminer qui est responsable du retard. Ce type de contrat prévoit souvent des « causes légitimes » qui peuvent être invoquées par la partie privée, impliquant des régimes d'indemnisation. Ces causes peuvent être manifestement imputables à l'État ou imputables à aucune des deux parties, telles qu'une intempérie exceptionnelle. La conséquence en est l'exemption de pénalités de retard ou, dans certains cas, l'obligation pour l'État d'assumer les frais financiers liés au retard. C'est ouvert.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - On ne peut pas parler de suspension du contrat. Ce dernier existe, il devra donc s'appliquer.

M. Romaric Lazerges . - En effet.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Connaissez-vous un cas similaire ?

M. Romaric Lazerges . - Je ne connais pas de précédent.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - C'est donc un cas exceptionnel.

M. Ronan Dantec . - Pour les entreprises privées et pour les banques, les PPP sont-ils des opportunités ? Se battent-elles pour les obtenir, car la garantie de l'État fait que le risque est relativement modéré ? Ou bien la complexité des montages fait-elle que peu de groupes sont capables de participer à la compétition ? L'État se retrouve alors avec peu d'entreprises capables de répondre et elles bénéficient en conséquence de marges élevées et de risques faibles.

M. Romaric Lazerges . - J'aurais du mal à vous répondre sur les marges.

Le risque n'est pas faible : ces grosses entreprises prennent un risque de construction sur les ouvrages complexes. Elles doivent porter le financement sur des périodes parfois très longues. Par exemple, pour la liaison Tours-Bordeaux, le groupe doit construire 300 km de ligne TGV d'ici 2017 : c'est une réalisation extrêmement complexe, et le risque n'est pas faible.

Les grands groupes ne sont pas spécifiquement attirés par ces contrats : des groupes comme Vinci, Bouygues ou Eiffage sont intéressés par des ouvrages emblématiques et souhaitent garantir le plus longtemps possible un revenu à l'entreprise, mais l'objectif est le même, qu'il s'agisse d'un contrat de partenariat ou d'un gros contrat de construction.

L'intérêt d'un PPP, c'est de figer dans un compte pendant des années un résultat, ce qui est toujours intéressant pour une entreprise. Mais est-ce plus intéressant que de conclure un contrat de maîtrise d'ouvrage public où le risque de construction est beaucoup plus faible ? Je ne le crois pas.

Qui est capable de répondre à ces contrats ? Dans l'univers des BTP, compte tenu du risque, le marché est fermé, mais que l'on passe un contrat d'un milliard d'euros en contrat de partenariat ou en maîtrise d'ouvrage publique, les mêmes répondront. Les entreprises de plus petite taille seront sous-traitantes, quel que soit le contrat conclu.

De fait, ces contrats ne sont pas ouverts à toutes les entreprises, mais la concurrence entre les grands groupes demeure féroce.

M. Ronan Dantec . - L'intérêt de ces auditions est de nous permettre de juger d'autres PPP, y compris certaines prolongations de partenariats. La rentabilité est souvent calculée sur 10 ans, parfois 8 ans quand les négociations sont serrées. Mais les grands groupes ont figé, tel un principe, un certain taux de rémunération de l'investissement. Ils n'ont pas intérêt à remettre en cause ce qui a été accepté par l'État et à provoquer une concurrence effrénée. Peut-être l'État a-t-il plus de marges de manoeuvre que les 10 % qui ont été actés.

M. Romaric Lazerges . - Je puis vous assurer que la compétition est âpre. Je n'ai jamais vu un groupe perdre de bon coeur.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - La constitution de sociétés de projet n'est pas étonnante. Y a-t-il des critères qui président à la création de ces consortiums ? Puisque c'est avec une société de projet, Écomouv', qu'a été signé le PPP, pourquoi les négociations ont-elles commencé avec Autostrade et non pas avec le consortium ? Les banques font peser une part du risque sur l'industriel mais, s'il n'est pas là au moment de la négociation avec l'État, comment peut-on obtenir l'accord des banques ?

M. Romaric Lazerges . - L'industriel est là dès le départ. Lors du dialogue compétitif, les membres du groupement, actionnaires et industriels confondus, sont déjà présents. Cela dit, je ne peux pas parler d' Écomouv' : je ne connais pas le dossier.

Le groupement est une notion informe dans une candidature, mais les actionnaires et ceux qui vont réaliser la prestation sont présents. Le groupement serait bien incapable de remettre une offre s'il n'y a pas un dialogue intense avec l'ensemble des prestataires.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - La Mapp a comparé deux contrats, un marché public et un PPP : l'un et l'autre intégrés, comprenant la conception, la construction et l'exploitation. Selon vous, compte tenu de la complexité du projet, était-il judicieux de comparer uniquement des contrats intégrés ? N'aurait-il pas été intéressant de comparer des contrats non intégrés ? Pourquoi ne pas avoir comparé quatre projets plutôt que deux ?

M. Romaric Lazerges . - Dans le code des marchés publics, il n'est pas facile de conclure un marché global. La Mapp a retenu cette hypothèse, malgré des incertitudes au niveau juridique, pour les besoins de l'analyse. C'était sans doute justifié à ses yeux, dans la mesure où, sur ce contrat complexe, il était difficile d'imaginer un processus avec un constructeur et un exploitant séparés, du fait des risques que j'ai déjà évoqués : lier l'exploitation à la construction était logique. L'approche de la Mapp paraît donc justifiée.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Ce contrat est assez exceptionnel.

M. Romaric Lazerges . - Tout à fait. Si l'on parlait d'un contrat bâtimentaire, il aurait été possible de procéder à des comparaisons entre d'un côté un contrat de partenariat et de l'autre plusieurs marchés publics portant sur la construction et sur l'exploitation.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Les ministères sont-ils capables de suivre ces dossiers ?

M. Romaric Lazerges . - J'ai assisté deux grands ministères : à la justice, il y a un établissement public, nommé l'agence publique pour l'immobilier de la justice (Apij), composé d'ingénieurs des corps de l'État et dirigé par un polytechnicien : le niveau des compétences techniques y est extrêmement élevé.

Le ministère des transports dispose du même type d'organisation : j'ai travaillé pour VNF, sous la tutelle vigilante du ministère des transports : les équipes étaient composées de grands professionnels. Dans les contrats que j'ai suivis, je n'ai pas observé de dissymétrie de compétences entre le privé et le public.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - En matière de complexité qui s'apprécie, non pas au regard du dossier lui-même, mais des capacités de la puissance publique à l'assumer, n'aurait-il pas fallu que tous les ministères unissent leurs forces plutôt que de laisser le ministère des transports gérer seul ce contrat ? Ainsi, par exemple, le ministère de la défense aurait pu apporter son expertise.

Doit-on reprocher à l'État d'avoir choisi un PPP au motif que le projet était complexe alors que la mutualisation des moyens des ministères aurait permis de réaliser ce projet ?

M. Romaric Lazerges . - Quelle que soit la solution retenue, PPP ou marché public global, il s'agissait de confier à une seule entité l'ensemble de la construction et de l'exploitation de ce marché. Dans les deux cas, le rôle de la personne publique est relativement similaire : contrôle vigilant pour vérifier la bonne exécution du contrat.

Les deux types de contrats diffèrent essentiellement du fait de leur financement. Dans le cas d'Écomouv', l'État a dû estimer que, face à un dispositif d'une extraordinaire complexité, il était judicieux de faire peser le risque sur le partenaire privé en concluant un PPP.

Le ministère de la justice a mené en parallèle des constructions en maîtrise d'ouvrage public et en PPP. Ce choix permettra de disposer dans quelques années d'éléments de comparaison extrêmement intéressants.

La complexité est-elle une condition de recours aux contrats de partenariat ? Je crois qu'elle l'est dans certains cas. L'État doit évaluer les avantages de conclure un marché global.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Merci pour vos réponses précises.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Merci d'être venu nous éclairer.

Audition de M. François Bergère, directeur de la mission d'appui aux partenariats public-privé, ministère de l'économie et des finances, et de M. Antoine Tardivo, directeur de projets (Mardi 21 janvier 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous entendons M. François Bergère, directeur de la mission d'appui aux partenariats public-privé (Mappp) rattachée au ministère de l'économie et des finances, et M. Antoine Tardivo, directeur de projet au sein de cette mission.

Messieurs, dans le cadre de votre intervention liminaire, nous souhaitons que vous nous présentiez brièvement les missions et les moyens de la Mappp, en particulier que vous précisiez à quel(s) moment(s) de la procédure elle intervient ou peut être sollicitée et quelle était son expérience acquise sur d'autres PPP au moment où elle a eu à examiner celui de l'écotaxe.

Nous attendons également une présentation et un commentaire de l'avis 2009-04 du 12 février 2009 sur le projet écotaxe et, en particulier, des explications sur le choix de ne comparer que deux solutions intégrées de contrat.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. François Bergère et Antoine Tardivo prêtent serment.

M. François Bergère. - La Mappp est une mission atypique dans le paysage administratif français. Elle est « l'organisme expert » auquel fait référence l'ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat. Elle a été mise en place le 27 mai 2005, auprès du ministère de l'économie et des finances, avant de devenir un service à compétence nationale rattaché au directeur général du Trésor, il y a trois ans. Son équipe se compose de cinq collaborateurs techniques et de moi-même.

Lorsque le législateur a créé l'outil innovant que constitue le PPP, il a souhaité l'encadrer et s'assurer que la puissance publique y ait recours à bon escient. La Mappp est le principal instrument destiné à cet effet. Elle réalise plusieurs missions.

Tout d'abord, elle élabore la méthodologie de l'évaluation préalable, qui est le prérequis imposé par le législateur pour que le contrat de partenariat soit identifié comme la meilleure solution entre les différents modes de contractualisation. La Mappp a ainsi élaboré un guide méthodologique très complet et a construit des outils de simulation des coûts et d'évaluation des risques qui peuvent être mis à la disposition des personnes publiques.

Elle exerce également un rôle d'accompagnement des administrations lors de l'attribution et de la finalisation des contrats, en rédigeant des clausiers-types et des préconisations relatives aux dispositions contractuelles.

Sa saisine est obligatoire pour tout contrat de partenariat conclu par l'État ou un établissement public national doté d'un comptable public, à deux étapes : avant et après l'engagement de la procédure d'attribution. En amont, avant de lancer un avis d'appel public à la concurrence, la Mappp valide, au regard des recommandations qu'elle a fixées, le principe du recours à un PPP au vu de l'évaluation préalable, qui émane - et je voudrais insister sur ce point - du porteur public du projet, et non de la Mappp. En aval, elle intervient à l'issue de la procédure d'attribution pour vérifier que l'offre finale est bien en adéquation avec ce qui était attendu et conforme aux recommandations, de même qu'elle protège bien la personne publique. Elle exerce ce contrôle pour le compte du ministre de l'économie et des finances et en liaison avec la direction du budget, chargée d'apprécier la soutenabilité budgétaire de l'opération. Le ministre de l'économie autorise la signature du contrat en s'appuyant sur l'avis de la Mappp. En pratique, cet avis peut être considéré comme un avis conforme, il a vocation à être suivi.

Les collectivités territoriales peuvent aussi saisir la Mappp sur l'éligibilité de leur projet à un contrat de partenariat sur la base d'une évaluation préalable ; dans ce cas, il s'agit d'un avis motivé qui n'emporte aucune obligation d'être suivi. Les avis formulés en amont de l'appel à candidatures sont consultables en ligne. Depuis la création de la Mappp en 2005, près de deux cents avis motivés ont été rendus, dont un quart pour l'État ou ses établissements publics et trois quarts pour les collectivités territoriales. La très grande majorité est constituée d'avis positifs. On a pu s'en étonner. Mais cela s'explique par le fait que la sélection intervient en amont. Une cinquantaine de projets d'évaluation préalable ont ainsi été écartés à la suite des premiers échanges avec le donneur d'ordre, sans que la Mappp ait besoin de donner un avis négatif formel.

Enfin, la Mappp assure le suivi statistique des PPP et la capitalisation des expériences. La totalité des contrats signés, y compris par les collectivités territoriales, doivent lui être transmis pour être intégrés à sa base de données. La Mappp est habilitée à formuler des propositions dans le domaine des contrats de partenariat. Des structures similaires destinées à encadrer l'usage de ces contrats ont été mises en place dans la quasi-totalité des vingt-cinq pays de l'Union européenne qui ont fait le choix de développer le recours aux PPP. En effet, ces contrats ont un fort potentiel d'optimisation technique ou économique mais restent d'un usage délicat, dans la mesure où ils emportent des conséquences de long terme pour la personne publique. Je rappelle que dans un PPP, même lorsqu'il y a un préfinancement privé, le paiement du dispositif reste assuré par la personne publique, bien qu'il soit lissé dans le temps et modulé en fonction des performances. Il s'agit donc bien d'un engagement de long terme. Notre rôle est aussi de compenser l'asymétrie de compétences qui peut exister entre l'administration publique, d'une part, les grands opérateurs privés qui possèdent souvent une longue expérience dans ce domaine, d'autre part.

La Mappp n'est pas la seule entité qui accompagne les administrations publiques dans ces démarches. Si elle est chargée d'élaborer une doctrine relative aux PPP, le pilotage opérationnel reste assuré par les pouvoirs adjudicateurs, souvent au moyen de missions spécialisées d'appui à l'investissement, par exemple la mission de la tarification pour le contrat Écomouv' ou la mission PPP de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM). D'autres ministères possèdent leur propre mission spécialisée d'appui à l'investissement, avec lesquelles nous travaillons en étroite coordination. En effet, au-delà de la procédure de saisine obligatoire, la Mappp peut suivre la procédure du dialogue compétitif et accompagner, à sa demande, le donneur d'ordre.

Pour résumer, la Mappp n'a pas vocation à se prononcer sur l'opportunité du projet. Nous vérifions que les conditions justifiant le recours à un PPP sont réunies au regard de l'ordonnance du 17 juin 2004 et nous pouvons ensuite accompagner, sur sa demande, le pouvoir adjudicateur au cours de la procédure d'attribution et réintervenir au niveau final, pour les seuls projets relevant de l'État, afin de valider le projet de contrat avant sa signature.

En ce qui concerne le dispositif relatif à l'écotaxe, la Mappp a été saisie en janvier 2009 pour se prononcer sur l'éligibilité du dispositif à un PPP, sur le fondement de l'évaluation préalable réalisée fin 2008. Elle a été associée à la plupart des réunions du comité de pilotage chargé de l'organisation et de l'avancement technique du projet qui s'est réuni régulièrement de 2008 à 2011. Elle a été associée de façon plus limitée aux réunions de la commission consultative d'attribution chargée de suivre et de valider les étapes du processus d'attribution. Antoine Tardivo a été notre représentant dans ces comités.

Par son avis rendu en février 2009, la Mappp a validé le choix du recours à un contrat de partenariat sur le critère mis en avant par les auteurs de l'évaluation préalable, celui de la complexité technique et fonctionnelle, caractérisée aux différents stades de ce projet à caractère inédit et innovant. La complexité nous paraît particulièrement bien étayée dans un projet comme celui-là, plus que dans la grande moyenne des projets. Sur le plan financier, la Mappp a constaté qu'un contrat de partenariat était préférable, non pas en termes de coût global - ce coût était un peu plus élevé pour le contrat de partenariat en raison du préfinancement privé -, mais en termes de bilan économique global, le contrat de partenariat ayant pour avantage principal d'accélérer les délais de livraison et partant, la perception des recettes escomptées de l'écotaxe. Ce bilan coûts-recettes, plus favorable dans le cadre du PPP avant même la prise en compte de l'incidence monétaire des risques, qui vient en règle générale renforcer l'avantage constaté au profit du contrat de partenariat, a corroboré l'argumentaire basé sur le critère de la complexité.

Dans le même temps, la Mappp a instruit la demande de garantie de financements en dette à mobiliser pour ce projet, dans le cadre du plan de relance 2009-2011. La Mappp a en effet été chargée de se prononcer sur plusieurs demandes de garantie de financements privés en dette pour de grands projets prioritaires de l'État avec, à l'appui, une enveloppe de l'ordre de 10 milliards d'euros. Sur ce sujet, elle a conclu en mai 2010 à l'éligibilité de ce projet à une garantie de l'État portant sur une fraction de la dette pendant la période de construction, assortie d'un coût facturé à l'attributaire. Cette garantie n'a finalement pas été demandée par Écomouv', elle ne figure donc pas au contrat final.

Après diverses évolutions de périmètres et à l'issue d'un dialogue compétitif en deux phases avec cinq candidats dont trois sont allés jusqu'à l'offre finale, la procédure a débouché sur le choix d'un attributaire en janvier 2011, suivi d'une phase de mise au point du projet de contrat. La Mappp a été beaucoup moins associée à cette étape de finalisation du contrat. Elle a même été saisie du projet finalisé de contrat avec une contrainte de délai de quarante-huit heures, ce qui est un peu exceptionnel, je dois le dire. Dans son rapport au ministre de l'économie et des finances daté du 14 octobre 2011, la Mappp relevait que l'évolution des caractéristiques économiques et financières du projet au cours d'une procédure plus longue que prévue ne remettait pas fondamentalement en cause l'avantage comparatif de la formule du contrat de partenariat. Elle validait également le projet de contrat soumis. Elle recommandait pour autant, si les délais le permettaient encore, de préciser ou d'ajuster certaines formulations pour éviter des incertitudes génératrices d'ambiguïté ou rétablir ce qui pouvait parfois apparaître comme un déséquilibre au détriment de la partie publique. Elle notait par ailleurs un taux de rendement actionnaire anticipé élevé et s'interrogeait sur la formule de calcul de l'indemnité de résiliation du contrat de partenariat pour motif d'intérêt général. La signature sous très forte contrainte de délais, dans les six jours qui ont suivi, des documents contractuels validés par les directions juridiques de Bercy et du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie (MEDDE), n'a pas permis de procéder aux ultimes ajustements demandés par la Mappp.

Depuis la signature du contrat avec Écomouv', la Mappp n'a plus eu l'occasion d'intervenir sur ce dossier. Elle ne participe pas au comité de suivi interdirectionnel chargé de suivre les problèmes de mise en oeuvre du dispositif, pas plus qu'elle n'est associée aux discussions conduites par les services du MEDDE et de la DGITM. Elle a donc suivi les derniers développements en position d'observateur, sans être mise dans la boucle des décisions ou arbitrages en cours.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - J'ai bien compris que vous n'avez pas la réponse aux dernières interrogations que vous avez vous-mêmes soulevées. Il faudra que nous l'obtenions car, effectivement, il y a eu une précipitation que nous allons devoir expliquer. Le ministère n'a pas pris les deux mois de délai dont il disposait pour signer la version finale du contrat une fois que la Mappp avait émis son second avis.

J'ai regardé attentivement le premier avis de la Mappp, daté du 12 février 2009, sur lequel j'ai un certain nombre de questions. Je raisonne certainement en citoyen et non en technicien, mais le recours à une procédure de dialogue compétitif n'implique pas nécessairement le choix d'un contrat de partenariat, n'est-ce pas ?

M. François Bergère. - Effectivement, c'est le cas sous réserve que le contrat satisfasse à la condition de complexité, conformément à la directive européenne 2004/18/CE du 31 mars 2004. En pratique, le dialogue compétitif est très largement utilisé dans les contrats de partenariat public-privé, beaucoup plus rarement dans des marchés publics traditionnels, même si c'est effectivement possible.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - La complexité que vous évoquez est double : elle est technique mais aussi juridique. Je reviens à une question que j'ai déjà posée sans obtenir de réponse : le fait d'inclure dans un seul contrat les investissements technologiques et le recouvrement de la taxe n'induisait-il pas en lui-même une complexité supérieure ? Fallait-il envisager le marché en un seul bloc ou dissocier ces deux actions ? La délégation du recouvrement à un prestataire privé nécessite qu'un agrément soit donné aux agents d'Écomouv' qui effectuent cette mission, par le préfet de département. Or, ce dernier n'a pas compétence en matière douanière et a une compétence départementale et non nationale, tandis que le contrôle et les contraventions éventuelles relèveront du service des douanes. Nous aboutissons au même écueil que pour les radars automatiques : il faut un agent qui relève l'infraction et un agent qui la contraventionne. On sait le nombre de recours intentés à cause de cela. Pourquoi avons-nous tant chargé la barque en matière de complexité, pour après estimer que, comme le projet est complexe, il faut recourir à un PPP ?

M. François Bergère . - Il faut effectivement éviter autant que possible les raisonnements circulaires, comme vous l'indiquez. Il y a une première dimension qui est difficilement contestable, à savoir la particulière complexité technique et fonctionnelle d'un dossier comme celui-là. Tous les projets qui reposent sur des grands systèmes d'architecture informatique et de télécommunications sont a priori complexes, quel que soit leur mode de réalisation. Il suffit de citer quelques exemples récents qui ont défrayé la chronique, comme le logiciel Louvois, Chorus, le dossier médical personnalisé... La liste est longue. On sait bien que ce sont des projets complexes susceptibles de connaître des dérives en délais et en coûts. Celui-là s'inscrit dans la même ligne. Il recouvre des dimensions très distinctes, d'une part, la conception et la réalisation d'un dispositif de très haute technologie, qui repose sur des technologies de télécommunication satellitaire avec des méthodes de détection de contrôle par portique, d'autre part, une architecture de systèmes informatiques qui doit couvrir toute une chaîne depuis la conception des équipements embarqués jusqu'à la facturation, la liquidation et la collecte de la taxe. Il y a une complexité avérée, qui a été la première motivation du ministère de l'équipement pour la conclusion d'un schéma juridique global. Dans l'évaluation comparative, ce sont deux projets globaux qui sont comparés : d'un côté, un marché public global recouvrant la totalité de ces composantes et, de l'autre, un contrat de partenariat.

Fallait-il inscrire l'exploitation dans le périmètre du marché ? C'est en général comme cela que l'on procède dans une approche PPP, dans la mesure où il peut y avoir des synergies entre la conception et la réalisation du dispositif, son entretien, sa maintenance, sa gestion technique et son exploitation. En outre, s'il y a un prestataire unique, il porte la responsabilité globale du contrat et ne peut se défausser sur d'autres, alors que la multiplication des interfaces, au contraire, entraîne le risque de renvoyer les responsabilités. Si le choix d'un marché public traditionnel avait été retenu, des marchés allottis séparés auraient pu être envisagés à la place d'un marché global. Cela aurait même pu être intéressant, mais le ministère a préféré partir sur un marché global qui soulève des interrogations juridiques, compte tenu de sa durée de treize ans. C'est un peu la limite de ce qu'on peut faire en marché public.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Il s'agit d'un marché particulièrement innovant et inédit, déjà difficile à évaluer, et on a rajouté de la complexité en incluant l'exploitation du système, comme s'il s'agissait d'un PPP normal ou classique. Je persiste à ne pas comprendre.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Pour aller dans le sens de Mme le rapporteur, j'ajoute que l'exploitation est souvent inclue dans le contrat parce qu'il y a des recettes accessoires. Ici, ce n'est pas le cas. La question mérite donc d'être approfondie.

M. François Bergère . - C'est vrai, nous avons d'ailleurs suggéré d'intégrer des recettes accessoires dans le périmètre du contrat. Auraient pu être envisagés des services de gestion de flotte corporate , de géolocalisation pour les utilisateurs... Ce choix n'a pas été retenu par le ministère de l'équipement, pour des raisons, me semble-t-il, tenant à l'impératif de rapidité dans la mise au point des solutions techniques qui conditionnaient le début de la perception de la recette de la taxe poids lourds. Nous sommes dans un cas tout à fait particulier, celui d'un PPP qui rapporte de l'argent. Dans ce cadre, le donneur d'ordres a dû considérer que le mieux était l'ennemi du bien.

S'agissant de la question de l'inclusion de la prestation de l'exploitation dans le contrat, cela correspond au modèle des contrats de partenariat.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je continue à percevoir beaucoup de contradictions. D'après ce que vous nous dites, ce qui était primordial et source de gains était la rapidité de mise en place d'un tel projet. Pourtant, dans l'avis de la Mappp, on trouve un tableau que je ne comprends pas : sur les deux technologies pressenties, il indique que la durée des travaux est différente selon la formule juridique retenue. Si la réalisation d'études préalables, par exemple, peut être de durée différente selon la formule juridique retenue et donc, allonger la durée de mise en oeuvre globale du projet, cela ne peut être le cas pour l'exécution de travaux !

Par ailleurs, comment peut-on affirmer qu'une technologie nouvelle, non encore expérimentée, sera plus rapide qu'une autre technologie ? Écomouv' semblait sûre d'elle puisque vous nous indiquez qu'elle a renoncé à la garantie d'État sur ses emprunts. Pourtant, on constate aujourd'hui qu'elle n'a pas respecté les délais de mise à disposition.

M. François Bergère . - Pour la France, il s'agissait effectivement d'un projet entièrement inédit et innovant. Mais, au cours des années précédentes, des démarches analogues avaient été lancées dans plusieurs États européens, en Allemagne, en Autriche, en Slovaquie et en République tchèque. Dans ces pays, le choix retenu est un transfert des responsabilités via un marché à « dimension globalisante » au secteur privé, en intégrant, la plupart du temps, une dimension technique et d'exploitation. L'administration, dans sa configuration actuelle - même si l'on peut considérer qu'elle aurait pu se doter des moyens humains suffisants pour procéder, en régie directe, aux prestations confiées à une personne privée - a considéré qu'elle ne disposait pas des moyens nécessaires pour assurer, en interne, ce type de prestations.

L'évaluation préalable contient des prévisions et des estimations ex ante , virtuelles, plus ou moins corroborées par la suite lors du déroulement des opérations. Le projet connait effectivement six mois de retard, par rapport à la date de livraison initialement prévue. Ce délai de six mois est d'ailleurs une date contractuelle importante au regard des responsabilités du partenaire privé.

Par ailleurs, le différentiel que vous évoquez en matière de durée de construction a déjà été constaté dans des PPP plus classiques, en matière de construction de bâtiments ou d'infrastructures. Au moment où nous avons commis cet avis, en février 2009 la Mappp avait eu à connaître une soixantaine de PPP, principalement dans les domaines classiques des bâtiments ou des travaux publics. Seuls deux ou trois avaient un objet technologique, tel que le PPP relatif au GSM-R ( Global System for Mobile communications-Railways ) pour Réseau ferré de France (RFF). En d'autres termes, il s'agissait bien d'un projet avec lequel nous étions peu familiers, ce qui obligeait à l'édiction d'un certain nombre d'hypothèses ou d'estimations. Dans le domaine de la construction, le recours aux contrats de partenariat et l'organisation d'un dialogue compétitif permettent d'anticiper un certain nombre de choix, d'études de préfaisabilité, de programmation technique de travaux, qui vont ensuite se traduire par une durée de construction optimisée par rapport à un marché public classique, avant même de prendre en compte les éventuels délais de dérive et risques d'interface classiques.

Les procédures de passation sont toujours plus longues dans le cadre d'un marché public traditionnel, avec un appel d'offre pour la conception, un deuxième pour la construction et la réalisation. C'est pourquoi, dans la grande majorité des cas et pas seulement en France, le recours à un contrat de partenariat permet d'améliorer et de raccourcir le délai global de conception et de réalisation d'un même ouvrage, dans des proportions variables, en comparaison avec un mode de marché public traditionnel, en dehors de tout effet lié à la disponibilité du financement. C'est pourquoi on peut raisonnablement s'appuyer sur ce type de considération lorsqu'on examine ex ante la comparaison entre les deux formules juridiques.

On aurait pu envisager, plus spécifiquement dans le schéma alternatif de marché public, de dissocier les prestations d'exploitation et de gestion technique de celles de conception et de réalisation, plutôt que de l'apprécier au sein d'un unique marché public global.

Nous n'avons pas contesté le choix opéré par le ministère de l'équipement, même si nous avions des doutes. Il nous a semblé que cette option, comme on l'a écrit dans l'avis, « suppose le recours à un marché unique pouvant couvrir l'ensemble des prestations sur une durée identique à celle du contrat de partenariat. Cette option apparaît incertaine, car contraire au principe d'allotissement des marchés publics mais pas impossible au regard de l'article 10 du code des marchés publics. » On ne peut pas raisonner, dans le cadre d'un marché public traditionnel, en termes de conception-réalisation, qui est une procédure soumise à des conditions très strictes d'éligibilité et dont la durée est plus longue que pour un marché unique. Malgré ces réserves, nous avons retenu l'option d'un marché public global comme élément de référence et de comparaison avec la formule du PPP, dans la mesure où le recours à un marché unique était a priori plus favorable à l'option marché public, en ce qu'il permettait de limiter tous les risques d'interface, et donc, l'avantage de départ du PPP.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - A la lecture de votre avis, j'ai le sentiment que la Mappp avait une position plus mitigée sur la question. Vous écrivez que « l'analyse comparative [a] montré que la collectivité peut évaluer les avantages qu'elle peut en retirer et identifier les facteurs clés de succès d'un tel contrat ». Selon moi, cette phrase ne signifie pas que le contrat de partenariat est la meilleure solution mais seulement que, dans certaines conditions, il peut être préférable d'y recourir.

J'ai une question à laquelle je n'ai toujours pas eu de réponse : dans le contrat, les critères de l'obsolescence des équipements embarqués sont exclusivement d'ordre technique. En caricaturant à peine, il y a obsolescence si les pièces de rechange ne se trouvent plus sur le marché. Or, ce n'est pas si important au regard de ce que pourront être les évolutions de la technologie de liaison satellitaire qui est susceptible de ne plus être fonctionnelle lorsque l'État récupèrera le matériel, à l'issue du contrat.

M. François Bergère . - L'ordonnance du 17 juin 2004 prévoit que les trois critères d'éligibilité à un contrat de partenariat - complexité, urgence, bilan coût-avantage - sont alternatifs et non cumulatifs. Il suffit qu'un de ces critères soit présent pour justifier le recours à un PPP. Dans le cas d'espèce, c'est le critère de complexité qui a été mis en avant par le ministère de l'équipement et que nous avons plus particulièrement apprécié dans notre avis.

Pour la Mappp, la complexité, eu égard aux moyens d'ingénierie propre dont disposait le ministère, paraissait établie et sans contestation possible. Pour autant, nous nous attachons à démontrer en plus, même si cela n'est pas toujours indispensable, l'existence d'un bilan comparatif favorable, traduisant le bon emploi des deniers publics. On ne procède pas à cette analyse comparative en cas de recours à un marché public traditionnel, une concession ou une délégation de service public. Au final, on essaie, autant que possible, de justifier le caractère a priori intéressant - mais cela reste une démonstration virtuelle - du recours à un PPP, en matière de performance globale. En l'espèce, le critère du coût de l'offre représentait 25 % des critères d'attribution du contrat de partenariat définis par le ministère, le principal critère étant celui de la qualité globale de l'offre.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Le recours à un PPP a complexifié le projet en raison de l'inclusion du recouvrement de l'écotaxe.

M. François Bergère . - Cela supposerait de revenir sur l'évaluation préalable et d'élargir le périmètre initialement envisagé des formules juridiques alternatives au PPP. L'idée de départ était de confier une mission globale pour limiter les risques de flottement ou d'interface et tenir les délais de réalisation du projet, afin de bénéficier rapidement du recouvrement de ladite recette.

M. Antoine Tardivo . - Sur les projets techniques, on intègre toujours un cadre d'évolution, notamment dans des contrats de durée relativement courte. L'obsolescence à prendre en compte est matérielle mais également logicielle. Dans les projets que j'ai eu à connaître, l'obsolescence matérielle se justifie par le fait que, à un moment donné, on constate un coût d'exploitation sur des éléments actifs qu'il est préférable de changer plutôt que de chercher à trouver le bon acteur pour assurer ces évolutions techniques. En l'espèce, il s'agit à la fois d'une obsolescence matérielle et logicielle.

M. Francis Grignon . - Je souhaiterais aborder deux points. Le premier est d'ordre technique. Ayant longtemps travaillé dans le secteur du bâtiment, je comprends bien la liaison à établir entre la responsabilité de l'investissement et celle du fonctionnement. Mais dans le cas qui nous occupe, quel est l'intérêt, en comparaison à d'autres technologies, de lier les deux ? La mise à jour du matériel est-elle prévue dans le contrat, notamment en fonction de l'évolution des technologies ? Si le matériel est obsolète à la fin du contrat, sera-t-il remplacé ?

Le deuxième est d'ordre financier. Vous avez indiqué que la Mappp a été écartée du suivi du contrat de partenariat. Vous ne pouvez donc plus satisfaire l'avant dernier paragraphe de votre avis qui recommandait de « vérifier, tout au long de la procédure » que le bilan coût - recettes était avantageux. Qu'en est-il aujourd'hui ? La Mappp va-t-elle être associée à l'évolution de ce projet ?

M. François Bergère . - Sur le plan financier, l'évaluation préalable est fondée sur un certain nombre d'hypothèses, comme celle de la technique du financement de projet. Ces projets sont portés par des sociétés dédiées, capitalisées à hauteur du montant requis, notamment par les banquiers, en fonction du niveau de risque estimé, et sur la base des fonds propres ou quasi-fonds propres injectés dans cette société de projet. Dans un deuxième temps, la dette à long terme va être levée pour compléter le financement. En l'espèce, les niveaux de taux de capitalisation et de taux de rendement des fonds propres sont assez atypiques et relativement élevés : 650 millions d'euros ont été apportés à hauteur, d'une part, de 20 % par des fonds propres, rémunérés à 15,5 %, et, d'autre part, de 80 % par de la dette (fonds d'épargne de la Caisse des dépôts, dette en risque projet...) qui fait l'objet d'une cession acceptée des banques.

Ces conditions de financement sont appréciées, au niveau de l'évaluation préalable, aux conditions qui prévalaient alors. En pratique, ces conditions sont différentes de celles en vigueur au moment de la signature du contrat. Dans le cas d'espèce, la signature est intervenue trois ans plus tard. En 2011, les taux de référence étaient plus bas par rapport à ceux envisagés fin 2008. En revanche, les marges - ou spreads de la dette - étaient plus élevées. Au final, les taux de financement ne sont pas exactement les mêmes qu'initialement ce qui correspond à une situation classique. Le closing - c'est-à-dire la mobilisation des moyens financiers - est intervenue immédiatement, dans la foulée de la signature du contrat, ce qui n'est pas toujours le cas. Les deux étapes ont été réalisées de manière quasi simultanée. Jusqu'à la signature du contrat, la Mappp doit être associée à la rédaction de ses clauses. La signature du contrat cristallise ces dispositions. Cette cristallisation des taux passe par des opérations, les swaps - c'est-à-dire des contrats de couverture des risques de taux. En d'autres termes, on va échanger un financement à taux fixe contre un financement à taux variable pendant la durée du contrat, afin d'avoir un taux de financement de la dette qui soit calé sur la durée du contrat. Au cas d'espèce, la Mappp a été peu associée à cette dernière étape.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Je n'ai pas les mêmes données que vous sur les fonds propres. Le chiffre qu'on nous a indiqué est plutôt de 30 millions d'euros.

M. François Bergère . - La règle de base est que les fonds propres doivent être peu élevés car c'est la ressource qui coûte le plus cher et qui vient impacter le plus lourdement le bilan des entreprises.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - C'est ce qui couvre le risque quand même !

M. François Bergère. - Le risque s'apprécie d'abord du point de vue des banquiers. Ce sont eux qui vont déterminer le « coussin minimal » de financement à risque, appelé « junior » - par rapport à la dette senior - dont ils ont besoin pour absorber d'éventuels retards ou problèmes qui viendraient affecter la séquence des paiements destinés à assurer le service de la dette. Dans le contrat en question, il y a un « étage de fonds propres durs », du capital et des quasi-fonds propres. Ces derniers sont des fonds propres qui prennent la forme d'avance d'actionnaires ou de dettes subordonnées par les actionnaires de la société Écomouv'. Ils peuvent être remboursés plus vite et sur un mode d'intérêts et pas seulement de dividendes car ils prennent statutairement la forme de dettes subordonnées. Au niveau des banques, c'est la même chose car les fonds propres et quasi-fonds propres sont les premiers touchés s'il y a un problème de cash flow . C'est ensuite, une fois que ce coussin de sécurité a été absorbé, que le service de la dette sera impacté. Si on prend le montant des fonds propres durs (25 millions) et des quasi-fonds propres (99 millions), on arrive bien à 20 % du montant total de 650 millions d'euros.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Avec quels différents ministères avez-vous traité lors des phases successives d'élaboration du contrat ?

M. François Bergère . - Le ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement et, dans une moindre mesure, le ministère de l'économie, avec la direction générale des douanes, puisque le projet d'écotaxe enlève une responsabilité à ladite direction.

M. Antoine Tardivo . - S'agissant de l'intérêt d'avoir une continuité en matière d'exploitation, le contrat de partenariat est un contrat global sur la base d'un programme fonctionnel, qui recense les besoins de la personne publique, qui donne une liberté de trajectoire aux candidats avec des objectifs de délais et de performance, comme les résultats d'exploitation. Dans les contrats de partenariat en général, sur la partie exploitation, il existe une sorte de curseur : soit on considère que ne relève pas de la personne publique la gestion du gros entretien et l'exploitation au quotidien, soit la personne publique reprend la gestion au quotidien, mais les gros travaux d'entretien sont confiés à la personne privée. C'est une question de choix. En prenant l'exemple du bâtiment, la question serait de savoir quelles garanties sont données par le partenaire privé sur les résultats de performance énergétique dans quinze ans. Pour avoir une réponse et un engagement ferme du partenaire, il convient d'avoir l'assurance que la partie entretien sera assumée par celui-ci ainsi que le résultat et la performance de ce qu'il a construit. Là, les engagements sont clairs et peuvent entraîner des pénalités s'ils ne sont pas respectés. En revanche, sur la gestion au quotidien, on peut en discuter.

Sur ce type de projet, le choix a été fait de transférer un certain nombre de missions au partenaire privé. Je rappelle que dans ce contrat, il y a une forte implication des ressources humaines du ministère de l'équipement et des douanes, mais qu'il est souhaité un accompagnement de la personne privée. En effet, au-delà de la maintenance logicielle des systèmes d'information permettant de s'adapter aux évolutions, il a été considéré que le coeur du métier d'un fonctionnaire de l'équipement ou des douanes n'était pas l'entretien ou l'exploitation d'un système informatique. Dans le projet tel que nous le connaissons, les ressources disponibles et les compétences internes sont bien utilisées et le surcroît de travail a été distribué auprès de la personne privée pour assurer la performance. Il y a dans ce contrat une profonde contrainte de performance. Si les serveurs ne fonctionnent pas et laissent échapper les contrevenants, cela a un impact extrêmement direct sur le revenu financier.

Sur la question du traitement de l'obsolescence, la tradition dans les PPP est que, sur des projets relativement courts, donc non amortis, on procède, à la fin du contrat, à une cession complète du patrimoine à la personne publique. Pour cela, il est nécessaire que le système soit performant quelques années. Il doit être ainsi prévu que l'entretien et la maintenance soient programmés jusqu'à la dernière année du contrat afin que le matériel puisse être mis à jour et que les fonctionnaires qui reprendront ses missions disposent d'un matériel opérationnel.

M. François Bergère . - Le contrat prévoit que le dispositif doit être constamment mis à jour, pour tenir compte des impératifs d'interopérabilité avec les systèmes équivalents au niveau européen. Le partenaire privé bénéficie à ce titre de la redevance pour « gros entretien renouvellement » (GER). La transmission se fait au terme du contrat, au bout des onze années et demi, à titre gracieux, pour tous les équipements nécessaires à la poursuite de la collecte de l'écotaxe, dans des conditions qui doivent permettre à l'État de continuer de les exploiter, avec le même niveau de performances, sans avoir à réinvestir pendant au moins un an.

M. Louis Nègre . - Je vais essayer de résumer ce que j'ai cru comprendre. L'évaluation préalable a été validée. Le critère de la complexité est certain. Pour avoir regardé ce qui se passe à l'étranger - je suis notamment allé en République tchèque - je peux assurer à la rapporteur que c'est complexe. Le fait d'avoir une vision globale sur des dossiers sur lesquels nous n'avons pas, la plupart du temps, en interne les compétences nécessaires ne me choque pas, surtout quand je vois le dossier Louvois, qui est une catastrophe absolue. Le bilan coûts-avantages serait également favorable aux deniers publics.

En vous écoutant, a priori , tous les feux sont au vert. Si c'était à refaire, auriez-vous la même position sur ce dossier ? Une rémunération de fonds propres à hauteur de 15 %, est-ce normal ? Vous êtes le directeur d'une mission d'appui. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous n'êtes plus associés au suivi du contrat ?

M. François Bergère . - Vous avez bien résumé l'analyse que nous avons menée sur ce dossier et sur sa complexité. Je précise d'ailleurs que la notion de complexité a un autre avantage, à nos yeux, c'est de permettre de recourir au dialogue compétitif. Cette procédure permet une attribution intelligente : on ne fixe pas ex ante toutes les spécifications du système car, tout simplement, on ne les connaît pas. On arrête les besoins et on laisse à chacun des candidats le soin de développer une solution technico-économique optimisée au fur et à mesure des itérations et des échanges qui permettent d'affiner le concept avec chacun des candidats en « tunnel séparé ».

Si c'était à refaire ? J'ai tendance à penser que nous repartirions sur les mêmes bases. Certes, ce dossier a connu des retards. Ils sont, à mon avis, pour une part imputable au partenaire privé mais peut-être pas pour la totalité. Il y a eu quelques changements. Par exemple, la taxe qui devait d'abord être testée en Alsace a finalement été « réenglobée » dans le dispositif national.

Il y a quelques autres aménagements plus ou moins inévitables dans des projets de cette ampleur avec une dimension technique aussi complexe. J'ai tout de même tendance à penser qu'une cause essentielle du retard ou des difficultés constatées aujourd'hui, est, pour une bonne part, étrangère à la volonté ou la capacité du prestataire privé. Il y a une question plus globale, depuis octobre dernier, sur l'acceptabilité du dispositif.

Peut-être que si l'on ne s'était pas trouvé, sans refaire d'histoire-fiction, devant cette situation, on aurait procédé aujourd'hui à la recette du dispositif débouchant sur la mise à disposition contractuelle.

Que la responsabilité de la personne privée soit engagée, c'est possible et probable - même si, je le rappelle, nous n'avons pas été associés aux dernières étapes. Je ne veux donc pas me prononcer de manière définitive sur ce point. Néanmoins, compte tenu de l'ampleur du projet, on peut considérer que déboucher, à quelques mois près, sur un dispositif opérationnel, même s'il reste quelques points à régler, c'est une performance qui me paraît tout à fait honorable. La difficulté de l'exercice, c'est de savoir ce qu'aurait donné le schéma alternatif pour pouvoir dire si cela aurait été mieux ou moins bien, ce qui est impossible à moins de lancer deux dispositifs en parallèle... C'est une comparaison ex post que l'on ne peut pas faire.

Mon sentiment, c'est que le partenariat public-privé n'a globalement pas démérité au regard de ce qui a déjà été mis en oeuvre, dans des délais ou des considérations de coûts, d'enveloppes ou de performances qui me paraissent très proches de ce qui était initialement envisagé.

En ce qui concerne la rémunération des fonds propres, un taux de 15 % est effectivement élevé. Ce sont des taux que l'on retrouve plutôt dans des montages en concession, en délégation de service public, qui impliquent un risque pour le partenaire privé de trafic, de volume ou de fréquentation commerciale. Ce n'est pas le cas en l'espèce. On n'est pas - et on ne pouvait pas - partir sur un schéma de délégation de service public. J'ai parfois entendu certains commentaires qui comparaient le PPP à la ferme générale. Cela aurait pu être pertinent si l'on était parti dans une concession où le partenaire privé se rémunère directement sur le produit de la taxe. En tout état de cause, il aurait été difficile de confier le recouvrement d'un impôt dans le cadre d'une délégation de service public.

Pour un contrat en partenariat, où le risque est d'abord technique, de conception, de réalisation, de performance, de disponibilité, 15 %, c'est élevé. C'est le résultat d'un dialogue compétitif concurrentiel. Il y avait cinq candidats au départ, trois à l'arrivée. À ma connaissance, même si le coût global n'est qu'un critère d'attribution - et pas le plus pondéré - l'attributaire retenu in fine était le moins cher par rapport aux autres candidats. Ce taux reflète aussi les risques et les engagements de performance et de qualité, qui sont très exigeants, transférés au partenaire privé. Le risque de performance en ce qui concerne l'objectif de détection
- suivi, facturation, liquidation, recouvrement - de tous les usagers qui empruntent le réseau assujetti à l'écotaxe, soit 800 000 poids lourds français ou étrangers, y compris des petits camions de 3,5 tonnes, à détecter et à identifier en permanence sur 12 000 kilomètres de routes, dont un certain nombre de routes départementales. Ce sont des configurations qui ne sont pas faciles !

Au total, le cahier des charges est probablement plus exigeant que ce l'on a pu connaître dans d'autres pays européens. A l'inverse, on a exigé un taux d'erreur pratiquement nul, je crois, de l'ordre de 1 pour 1 million en ce qui concerne les fausses détections, comme de taxer un camion suivant un itinéraire parallèle très proche de l'itinéraire assujetti à la taxe.

On a demandé, à juste titre, me semble-t-il - mais c'est la responsabilité du ministère de l'écologie - que le taux d'erreur soit pratiquement nul. D'où des exigences techniques et économiques qui se répercutent sur le niveau de risque et sur la rémunération des fonds propres. C'est un élément parmi d'autres. Il n'en demeure pas moins un taux de rémunération élevé. Dans les autres PPP, de type bâtimentaire ou d'infrastructures, les taux de rentabilité interne « fonds propres » sont plutôt de l'ordre de 10 % à 12 %.

Pourquoi ne sommes-nous pas associés aux dernières étapes ? Il faudrait poser cette question au ministère de l'écologie. Ce n'est pas par mauvaise volonté de notre part, même si nous ne sommes plus trop nombreux à la mission d'appui. Vous avez en face de vous, en gros, le tiers des effectifs de la mission. Il y a moins de nouveaux grands projets de PPP à gérer mais, par définition, il reste un stock initial. Je ne peux pas vous apporter une réponse très détaillée sur ce point. Il y a peut-être eu des considérations sur le caractère confidentiel de certaines données de nature financière ou liées au secret commercial qui ont pu limiter les échanges dans la dernière étape. Aujourd'hui, nous restons évidemment à la disposition de tous les ministères concernés pour pouvoir contribuer à la recherche d'une solution au regard des discussions en cours.

Mme Mireille Schurch . - Vous êtes un maillon important dans la chaîne de décision, en tout cas en termes de conseils et d'expertise et, peut-être, de contestations des décisions ou des hypothèses.

Si j'ai bien compris, l'effectif de la mission d'appui est de six personnes. Avez-vous les capacités réelles de réfléchir et de permettre au ministère de suivre des hypothèses différentes de celles qu'il a probablement envie de suivre ?

Par exemple, s'agissant de la complexité, il semblerait que vous n'ayez pas contesté ce premier critère. C'est sans doute complexe. Mais c'est ce qui a entraîné l'idée d'un PPP, sans, peut-être, que d'autres pistes de réflexion soient explorées.

Cependant, vous évoquez des « doutes » et des « incertitudes » quant au choix du ministère. Sur quoi portaient ces doutes ?

Pour ce qui me concerne, je trouve que ce contrat est particulièrement favorable à la société Écomouv'. La rémunération à 15 % est en effet très élevée.

Dans les critères d'attribution, le coût est pondéré à hauteur de 25 %. Pouvez-vous nous détailler les autres critères de pondération, les 75 % restants ? Je suppose qu'ils renvoient à la performance, la qualité, la robustesse financière, le délai...

Une fois le contrat signé, quels sont vos rapports avec le ministère ? Êtes-vous encore dans les comités de suivi ? Est-ce à dire que, à chaque étape de votre travail, le ministère peut ou non vous convier ? Avez-vous suffisamment de force pour bousculer les points de vue du ministère ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - S'agissant des retards, il faudra aussi relever le nombre de poids lourds équipés qui n'est, à ce jour, que de 190 000 camions, pour une cible de 800 000. Dans ces conditions, dire qu'Écomouv' est prêt est un pas que je ne franchis pas.

M. François Bergère. - S'agissant de notre capacité à vérifier les hypothèses prises par les porteurs publics de projet dans l'évaluation préalable qu'ils nous soumettent et qu'ils réalisent avec l'aide de leurs assistants techniques, juridiques et économiques, nos moyens humains sont effectivement limités. Nous n'allons pas refaire l'instruction d'un projet, a fortiori d'un projet aussi lourd que l'écotaxe. Nous sommes là pour vérifier, dans la phase amont, le respect de la méthodologie d'évaluation et d'argumentation, ainsi que la correcte appréciation des risques en termes de délais, de coûts, de performance, liés à tel mode de contrat par rapport à tel autre, à tel mode de financement versus un mode budgétaire. Il nous arrive de suggérer des modifications du périmètre des missions confiées au partenaire privé pour optimiser l'équation économique globale du projet. Au cas d'espèce, nous avions d'ailleurs suggéré de laisser ouverte la possibilité de générer des recettes annexes, au-delà de l'objet principal qu'est la perception de la taxe douanière, même si cela n'a pas été repris par le ministère. Il y a toute une phase d'échanges dans les semaines qui précèdent l'élaboration de notre avis préalable qui doit permettre de tester, de valider, de mieux comprendre un certain nombre d'hypothèses. On peut également procéder à la simulation sur notre propre modèle de simulation comparative des coûts, des délais, de l'impact des lois de probabilité d'occurrence des risques, etc... en réinjectant les données financières et économiques qui nous sont communiquées dans le cadre de l'évaluation préalable, pour s'assurer de la vraisemblance des résultats présentés par le porteur public de projet. Fondamentalement, la responsabilité de l'évaluation préalable demeure celle du porteur public de projet. Le risque pour lui s'il n'intègre pas nos préconisations est éventuellement de se voir opposer un avis défavorable. Au cas d'espèce, compte tenu de la très grande complexité du projet, nous n'avons pas eu la possibilité de comparer les différents schémas techniques ou tous les aspects extrêmement pointus du dossier. Nous sommes tenus de nous limiter à des grands questionnements sur l'équilibre prévisionnel ou l'impact différentiel de tel ou tel mode de contractualisation. Ce sont les limites de l'exercice.

Ce contrat est-il exagérément favorable au partenaire privé ? L'avenir pourrait le dire. Bien sûr, ce taux de rémunération des fonds propres à plus de 15 % est un taux élevé par rapport à ce que l'on constate dans la très grande majorité de nos autres PPP. Mais il faut bien dire que construire un bâtiment public, même un grand bâtiment public, est probablement moins compliqué qu'un projet de ce type. Cela ne me choque pas que cela renvoie à des niveaux de fonds propres et de rémunération de fonds propres, qui sont représentatifs des risques pris par le partenaire privé, plus élevés. Pour apprécier si c'est trop élevé ou pas, il faut se reporter à la compétition qui a eu lieu. Il y a eu un vrai dialogue compétitif avec cinq candidats, dont quatre groupements rassemblant les grands noms de l'industrie et de la technologie française et européenne. Un de ces candidats, le groupe Vinci, s'est d'ailleurs retiré, jugeant l'exercice trop difficile. Je crois que le dialogue compétitif a effectivement fonctionné de manière concurrentielle. Le taux de 15 % est élevé, mais il est à mettre en regard de la structure financière retenue. Il faudrait pouvoir comparer avec les autres candidats. Enfin, ce critère du coût global est important, mais doit être relativisé puisque c'est un projet qui rapporte plus qu'il ne coûte.

Vous posiez la question des critères d'attribution. Ils sont définis dans l'avis d'appel public à concurrence émis en avril 2009, qui précise que devra être retenue, non pas l'offre la moins disante, mais l'offre économiquement la plus avantageuse au regard de six critères : la qualité technique du projet (30 %), le coût global de l'offre (25 % uniquement), la robustesse du financement, y compris la solidité des garanties de bonne fin (15 %), le délai de mise en service et la crédibilité des moyens proposés pour le respecter (15 %), les objectifs de performance en matière de développement durable (10 %) et la part du contrat confiée à des petites et moyennes entreprises (5 %). Une pondération de 25 % pour le coût global de l'offre est inférieure à ce que l'on rencontre généralement dans nos PPP, où les pondérations du coût global de l'offre sont autour de 50 %. Au-delà de 60 % ou 70 %, nous sommes réticents car cela revient à une procédure d'appel d'offres par enchère, ce qui n'est pas l'esprit du PPP qui doit jouer sur tous les paramètres et où la qualité importe au moins autant que le coût. La faiblesse du taux de 25 % s'explique parce que le projet rapporte plus qu'il ne coûte.

La Mappp a-t-elle les moyens d'être associée ou d'accompagner le projet de bout en bout ? Idéalement, on ne demanderait pas mieux, mais ce n'est pas ce que prévoient les textes. Au-delà de son rôle d'élaboration de la méthodologie et de la doctrine d'emploi, la Mappp a un rôle de gate keeper ou de gardien de la porte à l'entrée et à la sortie. Nous avons tenu ce rôle de validation en amont et en aval sur ce dossier. Rien n'oblige le ministère de l'équipement à continuer de faire appel à la Mappp.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Classeriez-vous ce contrat dans le « top ten » des gros PPP ?

M. François Bergère. - Oui. Il est à classer probablement dans le top ten avec les grands projets tels que les lignes à grande vitesse, le système global de communication mobile pour les voies ferrées (ou GSM-R), les grands bâtiments publics emblématiques comme Balard ou le nouveau palais de justice de Paris. Au regard de son montant d'investissements, 650 millions d'euros, mais surtout des prestations d'exploitation associées, même si son horizon contractuel est d'une douzaine d'années, il est dans le top ten .

M. Roland Ries. - Merci pour l'ensemble de ces réponses. J'aurai deux questions précises à vous poser. Concernant les délais de mise en oeuvre du dispositif Écomouv', il y a eu ce qui s'est passé en Bretagne et la décision de suspension mais, si je vous ai bien compris, en toute hypothèse, la date du 1 er janvier 2014 n'aurait pas pu être respectée. Pourriez-vous nous dire si, sans les évènements de Bretagne et leur conséquence politique, le dispositif aurait été opérationnel à partir du 1 er janvier dernier comme prévu ? La deuxième question est plus importante. Lorsqu'en 2005 en Alsace, on a vu déferler les flux de poids lourds, la réaction des responsables publics et de la population a été spontanée : « LKW-Maut, les camions dehors ». La solution naturelle a été à l'époque de vouloir mettre en place le dispositif allemand chez nous. Par la suite, il y a eu de nombreux retards et, au final, l'abandon de l'expérimentation. Pourquoi cette idée de s'inspirer de ce qui apparemment marche ailleurs a-t-elle été abandonnée ? Qu'est ce qui fait la spécificité de la solution française par rapport aux autres expériences en Europe et qui a obligé d'avoir recours à un dispositif original ?

M. François Bergère . - Est-ce que la date de mise en service au 1 er janvier 2014 aurait pu être respectée, à défaut de celle du 20 juillet 2013 prévue initialement, en l'absence des récentes difficultés d'ordre public ? Nous ne disposons pas des éléments nécessaires pour l'affirmer. Je constate seulement que le rythme d'équipement a été un peu tardif et pouvait laisser présager quelques inquiétudes sur le respect des délais. Il s'est véritablement accéléré à partir de septembre 2013 pour parvenir à un niveau de 190 000 camions aujourd'hui équipés du terminal GPS, puis s'est fortement ralenti, voire arrêté, depuis quelques semaines. C'est un premier indicateur selon lequel ces événements ont eu une influence sur l'achèvement des prestations de mise en service. Il y a eu un impact, c'est évident, mais je ne peux pas dire si la date du 1 er janvier 2014 aurait pu cependant être respectée.

Ce retard de mise en oeuvre n'est pas propre à la France. Pour la mise en place de la LKW-Maut, l'équivalent allemand d'Écomouv' - Toll Collect - a connu des retards d'une année et de nombreuses difficultés avant que le système allemand soit entièrement opérationnel. Pour information, dans le consortium chargé de mettre en oeuvre la LKW-Maut, on relève un grand opérateur français.

En quoi et pourquoi le système français est différent ou plus complexe de celui mis en place en Allemagne ? La première réponse tient à l'existence d'un réseau routier concédé en France. Pour ne pas taxer deux fois le même utilisateur, il convient d'appliquer l'écotaxe sur le réseau routier national ou départemental non concédé. Ainsi, alors que l'Allemagne applique la LKW-Maut sur un réseau de 8 000 kilomètres d'autoroutes qui facilite le suivi des utilisateurs, la France a fait le choix d'appliquer l'écotaxe sur un réseau routier plus important - 10 000 kilomètres de routes nationales et 5 000 kilomètres de routes départementales, soit le double du réseau routier allemand assujetti - et qui se prête plus difficilement au suivi des poids lourds. La deuxième réponse est que la France a souhaité fortement abaisser le seuil d'applicabilité de l'écotaxe : dans la plupart des pays européens, y compris en Allemagne, elle s'applique aux poids lourds d'au moins 12 tonnes alors qu'en France, le seuil d'applicabilité de la taxe a été fixé à 3,5 tonnes.

Ces deux paramètres ont fortement participé à la complexité et au coût du système français, avec les exigences techniques du cahier des charges qui impose un dispositif à zéro défaut. En outre, en France, les tarifs sont modulés dans certaines régions - pas suffisamment apparemment - pour prendre en compte les spécificités de certains territoires ce qui, là encore, complexifie le dispositif final.

M. Jean-Luc Fichet . - Quelle est la commande faite à la Mappp ? Vous demande-t-on d'analyser également les autres propositions techniques ? L'idée essentielle est de percevoir une écotaxe qui va générer une nouvelle ressource pour financer d'autres modalités de transport. Le constat actuel est qu'on est face à un système complexe : les portiques en question ne sont là que pour contrôler les fraudeurs, ils ne permettent pas de percevoir la taxe. Ils pourraient également supporter d'autres missions, comme celle de contrôler le comportement d'automobilistes. La commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) s'est d'ailleurs intéressée à ces questions.

Je suis étonné d'apprendre qu'un grand groupe tel que Vinci a abandonné le projet au cours de la procédure de dialogue compétitif.

Quel est votre rôle ? Pouvez-vous dire que telle technique pourrait ne pas fonctionner car trop complexe à mettre en place et trop coûteuse ? La situation en Bretagne se dégrade de plus en plus. Dans ce contexte, comment percevez-vous les semaines à venir ? Le nombre de camions équipés est nettement inférieur à l'objectif initial : d'après vous, ce retard serait lié à un comportement d'attente de la part des transporteurs en raison des événements actuels. Toutefois, certains d'entre eux perçoivent l'écotaxe auprès de leurs clients alors même qu'elle ne s'applique pas encore !

M. François Bergère . - Nos ambitions sont nécessairement limitées. Les textes ne nous confient pas la responsabilité opérationnelle de conduire les procédures d'attribution et de dialogue compétitif pour choisir l'attributaire du contrat. La Mappp est présente pour appuyer la personne publique qui souhaite recourir à un PPP. Notre degré d'association dépend beaucoup de la demande du ministère ou de la direction porteur du projet, au-delà des points de validation obligatoires en amont et en aval de la procédure. Sur certains contrats, nous avons été étroitement associés, pour d'autres moins. En outre, par définition, le PPP étant un outil générique à caractère transversal - puisqu'on peut y recourir pour construire le zoo de Vincennes, des stades de football, de la performance énergétique, de l'éclairage public ou des philharmonies - on ne peut pas avoir la compétence technique relative à tous ces projets , a fortiori avec une structure limitée en moyens personnels.

M. Antoine Tardivo . - On n'a pas donné notre avis sur l'intérêt du projet. Toutefois, nous avons une expérience individuelle qui peut nous amener à formuler des réserves ou des recommandations. En l'espèce, je me suis inquiété de l'impact qu'aurait le projet sur le service des douanes ou sur les transporteurs dont les fédérations sont très sensibles et avec lesquelles il convient d'être très prudent. Ainsi, il semblait judicieux d'intégrer dans la définition de l'offre des objectifs de gestion des flottes. Pour les douanes, on aurait pu penser à des services de traçabilité des marchandises sous douanes. Mais, au regard de l'expérience allemande, qui a montré, qu'en ajoutant des services, on retardait le projet, je suis revenu sur plusieurs de mes réserves.

Ainsi, à la Mappp, on peut être amené à faire des recommandations en termes d'organisation, de conduite du changement qui dépassent un peu nos prérogatives, et qui sont liées à nos expériences professionnelles personnelles.

M. Francis Grignon . - Je suis conseiller général du canton d'Erstein dans le Bas-Rhin, vers lequel se sont acheminés 4 000 poids lourds allemands, lors de la mise en oeuvre de la LKW-Maut qu'évoquait précédemment M. Roland Ries.

On ne réclamait pas l'application de la taxe poids lourds en Alsace pour les 3,5 tonnes et plus mais plutôt à partir de 10 tonnes. Si on appliquait la taxe à ce niveau-là, quel serait le manque à gagner ? Le relèvement du seuil d'applicabilité de la taxe poserait moins de problèmes politiques.

M. François Bergère . - Sûrement, ne serait-ce que parce qu'une série de déplacements de courte durée de cabotage à l'échelle régionale ne serait plus prise en compte. Je ne dispose pas des éléments pour répondre précisément à votre question. Le ministère de l'écologie ou la mission de la tarification pourraient vous donner les éléments ou simulations nécessaires.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous avons déjà légiféré sur cette question...

M. Jean-Jacques Filleul . - Écomouv' est-elle fondée à réclamer des indemnités au Gouvernement en raison du gel du projet qui doit poser quelques problèmes financiers au consortium ?

Par ailleurs, dans quelles conditions le contrat de partenariat peut-il être cassé ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - S'agissant de la première question de M. Filleul, vous nous avez dit qu'un retard de six mois représentait un délai contractuel important au regard des responsabilités de la personne privée. Pouvez-vous nous préciser ce qu'encourt Écomouv' ?

M. François Bergère . - Aujourd'hui, Écomouv' n'est pas fondée à réclamer des pénalités à l'État, ni le paiement des loyers, la mise à disposition définitive du dispositif n'ayant pas eu lieu. Pour apprécier si le dispositif répond aux spécifications fonctionnelles et techniques, il faut d'abord passer par l'étape de la recette technique du dispositif, ensuite, aborder la vérification d'aptitude au bon fonctionnement, puis enfin, organiser une période de fonctionnement à blanc avec des tests grandeur nature sur des camions utilisateurs. À partir du moment où le dispositif est accepté, qu'il soit utilisé ou non par la personne publique, les paiements sont dus. Aujourd'hui, à ma connaissance, le ministère de l'écologie n'a pas validé les dernières étapes conduisant à la mise à disposition finale du dispositif.

Y a-t-il des indemnités possibles ? Des pénalités de retard d'Écomouv' vers l'État sont envisageables car l'objectif initial de délai n'a pas été tenu, en raison d'un premier report de l'application de la taxe de juillet à octobre 2013, puis un report au 1 er janvier 2014. Aujourd'hui, 21 janvier 2014, le dispositif n'est toujours pas livré, donc l'État est fondé à demander des pénalités sur le fondement des dispositions contractuelles. Des garanties financières, bancaires ont certainement dû être constituées par la société Écomouv' pour assurer le paiement de ces pénalités. En cas de non-respect de la date de mise à disposition du dispositif, les pénalités journalières peuvent atteindre 266 000 euros avec un montant cumulé de 47 900 000 euros. Écomouv' pourrait contester la non-déclaration de mise à disposition du dispositif, par un recours devant les juridictions administratives. Il me semble que l'intention des deux parties est plutôt d'avancer dans les discussions. Les reports qui sont déjà intervenus - de juillet à octobre 2013 puis d'octobre à janvier 2014 - avaient été opérés en l'absence de discussion ou de négociations d'avenants au contrat. L'idée, partagée par les deux parties, était de consacrer les efforts et le temps de travail restant sur la finalisation du dispositif. À ce stade, la question des indemnités n'a donc pas encore été explorée par les deux parties au contrat.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - J'ai le sentiment que, d'un côté comme de l'autre, personne ne semble pressé. Des pénalités de retard sont appliquées si le retard est constaté. Mais qui doit constater ce retard ?

Par ailleurs, le loyer est dû à partir de la mise à disposition et Écomouv' devrait déclarer qu'elle est prête pour assurer la mise à disposition du dispositif. Or, il ne se passe rien. Les choses s'équilibrent-elles entre, d'une part, le paiement du loyer qui s'élève à 20 millions d'euros et, d'autre part, le paiement des indemnités qui sont importantes d'après les indications que vous nous avez données ?

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je ne comprends pas pourquoi on constate des retards, annoncés par Écomouv' avant les événements d'ordre public de cet automne, et qu'ils ne donnent lieu à aucune négociation d'avenants, ni aucune autre conséquence. Pourtant, le recours à un PPP et le choix de la technologie de l'équipement embarqué ont été motivés par la rapidité de mise en oeuvre du dispositif. De plus, s'agissant de la mise à disposition du dispositif, Écomouv' nous a clairement indiqué qu'elle n'était pas prête : 180 000 véhicules sont équipés sur les 800 000 attendus. Enfin, si la taxe poids lourds a été abandonnée en Alsace, elle a fait l'objet d'un essai à blanc, destinée à valider le dispositif, à vérifier la disposition contractuelle prévoyant un taux de performance d'une erreur sur un million. Pour vérifier un tel taux d'erreur, il faut procéder à un certain nombre d'essais préalables.

M. François Bergère . - Le contrat envisage une procédure très encadrée et détaillée puisqu'il prévoit quatre étapes : tout d'abord, la recette du dispositif par Écomouv' agissant comme maître d'ouvrage, c'est-à-dire qu'elle doit réceptionner le dispositif qui a pu être construit par ses prestataires ou sous-traitants ; ensuite, la vérification d'aptitude au bon fonctionnement du dispositif qui met en jeu sur des aspects techniques internes ; par ailleurs, la vérification de service régulier qui doit intégrer des tests grandeur nature sur des simulations de véhicules empruntant certaines voies, dont les caractéristiques sont choisies soit par Écomouv', soit par l'État, ; enfin, s'il n'y a pas de réserves majeures relevées par la personne publique, est mise en oeuvre la mise à disposition du dispositif qui ne préjuge pas de la mise en service de l'écotaxe.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Il pourrait y avoir mise à disposition sans mise en service !

M. François Bergère. - Oui, et l'État serait amené à payer les loyers sans percevoir l'écotaxe.

La Mappp n'a pas été associée aux étapes de la procédure au cours des derniers mois. Il semble qu'il y ait eu la volonté commune, au moins jusqu'en octobre 2013, de privilégier la résolution des problèmes techniques qui empêchent le passage au stade de la vérification de service régulier (VSR) et de la mise à disposition, plutôt que la négociation d'avenants au contrat. Il faudra néanmoins intégrer contractuellement l'incidence de ce report. Il y a un double impact. D'une part, ce contrat, comme la plupart des contrats de partenariat, a une durée fixe à partir de la date de signature. Tout retard sur la mise à disposition entraîne une diminution du temps de rémunération en phase d'exploitation. C'est la première sanction mécanique. D'autre part, la deuxième répercussion concerne les pénalités, qui relèvent de l'initiative de la personne publique dès lors que les délais contractuels n'ont pas été respectés. Écomouv' pourrait contester ces pénalités ou indiquer qu'elles ne sont pas de son seul fait et introduire un recours devant le juge administratif, les contrats de partenariat étant des contrats administratifs. Si la situation venait à se dégrader davantage, la personne publique pourrait envisager la résiliation du contrat. C'est un droit unilatéral de la personne publique, qu'elle peut exercer pour un motif d'intérêt général : dans ce cas, elle doit compenser le manque à gagner pour la personne privée. La personne publique peut également invoquer la faute : on parle alors de déchéance du contrat. La compensation pour la personne privée n'est alors pas la même, elle devrait inclure la compensation pour les ouvrages effectivement livrés. Il y aurait aussi probablement un désintéressément ou une indemnisation des prêteurs d'Écomouv'. Les actionnaires connaîtraient un régime totalement différent si la résiliation intervient pour faute et non pour un motif d'intérêt général. Tout ceci est prévu précisément dans le contrat, et renvoie à des préconisations dans les clausiers types ou dans les documents méthodologiques de la Mappp.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Dans le rapport d'activité 2012 de la Mappp, à la page 5, il est indiqué que la mission s'appuie sur un comité d'orientation consultatif, composé de trente-sept membres, et un comité de développement plus restreint, réunissant des personnalités qualifiées en matière de PPP, des élus et des représentants d'administration centrale. J'ai appris par la presse que je faisais partie de ce comité qui, a priori , ne s'est jamais réuni. En tout cas, je n'ai jamais été convoquée. Députée lors de ma nomination à cette commission mais élue sénateur depuis 2008, c'est peut-être à ce titre que je n'ai jamais été convoquée pour assister aux réunions. Comment fonctionne ce comité ? A-t-il été renouvelé ? Dans votre rapport, vous indiquez que le comité a tenu sa première réunion le 28 mars 2012 - j'étais sénateur à cette date - et qu'il doit désormais être renouvelé dans sa composante parlementaire.

M. François Bergère . - Ce comité de développement n'a pas été renouvelé. Il n'a été réuni qu'à une seule reprise. Un de vos collègues y a siégé, M. Éric Doligé. Avant de se réunir à nouveau, la composition de ce comité devrait être renouvelée. L'organe de gouvernance extérieur, qui est réuni de façon régulière et joue pleinement son rôle, est le comité d'orientation. Toutes les parties prenantes, potentiellement intéressées au partenariat public-privé, sont représentées dans ce comité qui compte trente-sept membres et se réunit une fois par an.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Parmi les différents rapports d'évaluation, d'audit et d'inspection concernant les PPP figure le rapport de l'inspection générale des finances (IGF) de 2012. Pourriez-vous nous en donner copie et nous indiquer ses principales observations ? A-t-il examiné le cas particulier de l'écotaxe ?

M. François Bergère . - De mémoire, le rapport n'étudie pas particulièrement le dossier de l'écotaxe. Les inspecteurs ont sélectionné un certain nombre de projets tant au niveau national que local pour essayer d'apprécier quand, comment, dans quelles conditions et à quelle type de due diligence nous avions pu procéder pour évaluer et valider ces projets de PPP.

De façon plus générale, le rapport a mobilisé pas mal de temps et d'expertise puisque, pendant plus de six mois, sept inspecteurs ont participé à sa rédaction. Il a été remis, en décembre 2012, au ministre de l'économie, Pierre Moscovici, mais c'est François Baroin qui l'avait commandé. Il n'a pas été rendu public par le ministre, pour des raisons qu'il lui appartient de vous préciser. Jean-Pierre Sueur, lorsqu'il m'avait auditionné, ici même il y a un an, dans le cadre de la mission d'information interne à la commission des lois sur les PPP, m'avait fait la même demande et je vous fais donc la même réponse.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous le demanderons donc au ministre.

M. François Bergère . - Le rapport ne rejette pas du tout l'outil PPP. Il constate que, dans certains cas, il s'est révélé plus ou moins approprié. Il pointe notamment quelques dérives ou difficultés ou des insuffisances de préparation, de suivi ou d'encadrement de la personne publique, plutôt d'ailleurs sur des projets locaux.

Il préconise plusieurs actions. La première, qui est en cours de mise en oeuvre, consiste à rationaliser, simplifier et unifier la boite à outils juridique du PPP. Nous avons parlé du contrat de partenariat, c'est l'outil principal, mais il existe aussi des outils sectoriels qui ont ouvert la voie et facilité le recours aux PPP, tels que les baux emphytéotiques administratif ou hospitalier (BEA, BEH), des formules de contrats domaniaux de type autorisations d'occupation temporaire ou locations avec option d'achat (AOT-LOA), etc. Toutes ces formules ont pu avoir leur utilité historique mais recouvrent aujourd'hui la formule du contrat de partenariat, qui est générique et transversale et applicable à tous les sous-jacents sectoriels. C'est aussi la plus encadrée puisque le législateur a développé toute une batterie de précautions, de mesures et de garde-fous, à commencer par la Mappp. L'idée serait donc de passer d'une jungle un peu luxuriante à un jardin à la française autour du contrat de partenariat.

La deuxième préconisation serait de renforcer les exigences en matière d'évaluation préalable. De facto , nous sommes aujourd'hui en situation de le faire. Voilà encore cinq ou huit ans, nous manquions de retour d'expérience. Désormais, sur les 200 contrats de partenariat signés, plus de la moitié a été livrée et est en service. Nous pouvons donc vérifier si les délais ont été tenus, si l'enveloppe globale du budget a été respectée, si les indicateurs contractualisés de performance sont bons, etc. Toutes ces données doivent pouvoir être réinjectées dans nos modèles d'évaluation préalable afin de mieux approcher ex ante ce que sera ou pourrait être la réalité à l'issue de la procédure d'attribution.

Cette évolution est déjà engagée. Nous avons cherché à revoir un certain nombre de nos paramètres d'évaluation des risques et des coûts dans le modèle que nous entretenons et que nous mettons à jour. De même, on a rendu plus exigeantes un certain nombre de nos recommandations méthodologiques.

Enfin, il y a des recommandations sur des situations à risque un peu plus particulières. Par exemple, dans le domaine hospitalier, on estime que l'évolution technologique et des modes opératoires se prête difficilement à une contractualisation à long terme, qui est la spécificité du contrat de partenariat. En un mot, il s'agit de renforcer, de sécuriser et d'améliorer le mode d'emploi et le recours aux PPP mais, en aucun cas, de renoncer à cet outil de la commande publique.

Aujourd'hui, les PPP ont souvent une connotation un peu négative. Il y a eu quelques affaires malheureuses. On a parfois plus tendance à parler des quelques projets qui se sont mal passés que de la grande majorité des projets qui, à notre sens, se déroulent dans des conditions satisfaisantes. Il faudra probablement profiter de l'exercice engagé par la direction des affaires juridiques de Bercy de toilettage des textes de la commande publique pour venir, là encore, améliorer et renforcer ceux relatifs au contrat de partenariat, de sorte que l'on soit aussi certain que possible d'y recourir dans les meilleures conditions.

Symétriquement, à mon avis, on pourrait appliquer les leçons que l'on tire des contrats de partenariat à d'autres champs de la commande publique, par exemple sur l'intérêt d'avoir une approche globale plutôt que de découper en lots certains projets complexes ; l'intérêt également d'avoir une évaluation préalable comparative. Je constate d'ailleurs que les derniers décrets intervenus en matière d'évaluation socio-économique des projets d'investissement civil de l'État, pour le compte du commissariat général à l'investissement, vont dans le sens de ce que nous avons toujours prôné, c'est-à-dire la généralisation de cette évaluation comparative - sous l'angle socio-économique, mais également sous l'angle mode de financement, comparaison des modalités de réalisation, cartographie des risques, toutes choses que nous faisons aujourd'hui pour les seuls projets fléchés vers un mode PPP et qui gagneraient à être élargies à l'ensemble des projets d'investissement de la puissance publique.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Au début de l'audition, vous avez dit que la Mappp avait émis des réserves sur le mode de calcul de la clause de résiliation. Quelles étaient-elles ?

M. François Bergère . - Nous nous sommes interrogés sur deux points. D'une part, et c'est la conséquence directe du plan de financement qui a été acté et annexé au contrat, sur le niveau élevé du taux de rendement des fonds propres, puisque ce taux est réutilisé pour calculer l'indemnisation à laquelle aurait droit le partenaire privé en cas de résiliation. Le principe général est que l'on va compenser le manque à gagner du partenaire privé si on résilie le contrat pour motif d'intérêt général. On va appliquer le taux objectif de rémunération des fonds propres à la période qui s'est écoulée entre la date de signature du contrat et la date de résiliation, alors que, dans l'économie de ces contrats, ce taux de rendement n'est, en général, acquis qu'à la toute fin de l'horizon contractuel. C'est, au final, une fois la dette remboursée que l'ensemble des cash flows peut revenir à l'actionnaire. Il y avait donc une interrogation sur le niveau de rémunération des fonds propres utilisé pour le calcul de cette formule.

La deuxième interrogation tient à ce que ce taux de rendement est lui-même augmenté de 20 points de base, 0,2 %, par année séparant la résiliation de la fin normale du contrat. Plus vous résiliez tôt dans la durée de vie du contrat, plus vous allez appliquer un taux de rémunération élevé des fonds propres. Ce n'est pas une formule habituelle dans les contrats dont nous avons eu connaissance ou à la rédaction desquels nous avons pu collaborer.

Ces deux interrogations nous ont amenés à exprimer cette petite préoccupation. Nous aurions souhaité pouvoir ajuster cette stipulation dans la version définitive du contrat, mais cela n'a pas été possible.

Mme Virginie Klès, rapporteur . - Vous avez évoqué la notion de marché global et la notion de simplicité qui y est attachée. Je persiste et signe, mais il me semble que, sur ce contrat, le fait d'y inclure le recouvrement et le contrôle du recouvrement de la taxe n'a pas été un élément de simplification. Le fait est que je pose cette question depuis le début des auditions et que personne n'a encore pu me répondre. Quelle autorité va pouvoir donner quel agrément ? À qui ? Pour faire quoi ? Et où ? On n'en sait toujours rien !

Le recouvrement aurait dû être laissé à l'État et il aurait été plus simple de former les agents de l'État à l'utilisation des logiciels. Le problème de Louvois, évoqué par Louis Nègre, ce n'est pas la formation des fonctionnaires à son utilisation, c'est son installation sur du matériel obsolète. C'est un souci différent.

Avec du matériel neuf et des logiciels neufs, cela aurait été un facteur de simplification et d'économies pour les finances publiques que de laisser l'État gérer le recouvrement de la taxe.

M. François Bergère . - Je n'ai pas tous les éléments techniques ou administratifs nécessaires pour répondre. Nous aurions pu envisager de confier au partenaire privé tout ce qui avait trait à la détection, au suivi, à la facturation, à la liquidation - le calcul de l'écotaxe en fonction des itinéraires détectés - et, peut-être, effectivement laisser la dernière dimension du process, le recouvrement effectif, aux pouvoirs publics. Je n'ai pas tous les éléments chronologiques ou explicatifs de cette décision. Nos collègues du ministère de l'écologie pourront mieux répondre que moi à cette question.

Audition de MM. Vincent Mazauric, secrétaire général du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, Jean-François Monteils et Didier Lallement, secrétaires généraux entre octobre 2007 et novembre 2012, et M. Julien Boucher, directeur des affaires juridiques du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, et M. Frédéric Lénica, Mme Isabelle de Silva et M. Thierry-Xavier Girardot, anciens directeurs des affaires juridiques entre janvier 2008 et juin 2012 (Mardi 21 janvier 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous entendons maintenant M. Vincent Mazauric, secrétaire général du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et M. Julien Boucher, directeur des affaires juridiques. Nous entendons également leurs prédécesseurs pour couvrir toute la période concernée par le contrat Écomouv' : MM. Didier Lallement et Jean-François Monteils, qui se sont succédé au poste de secrétaire général entre octobre 2007 et novembre 2012, Mme Isabelle de Silva, MM. Thierry-Xavier Girardot et Frédéric Lenica, qui se sont succédé à la direction des affaires juridiques entre juillet 2008 et mai 2012.

Madame, Messieurs, nous avons souhaité vous auditionner pour connaître la chronologie détaillée de toutes les opérations et décisions intervenues depuis 2005 sur la question de la taxe poids lourds, l'organigramme précis de toutes les administrations, services, cabinets ministériels qui sont intervenus dans le cadre du choix des solutions, des formules juridiques, de la négociation, de la conclusion et du suivi du contrat et, enfin, la répartition des responsabilités au cours des différentes phases de mise en place du contrat entre les administrations proprement dites et leurs conseils extérieurs.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Vincent Mazauric, Jean-François Monteils, Didier Lallement, Julien Boucher, Mme Isabelle de Silva, MM. Frédéric Lenica et Thierry-Xavier Girardot prêtent serment.

M. Vincent Mazauric . - Je me propose de décrire brièvement la chronologie des principales étapes de ce dossier et d'aborder quelques éléments relatifs au fond et à l'organisation des compétences administratives relatives au traitement de ce contrat. J'ai succédé à M. Jean-François Monteils, secrétaire général du 19 juillet 2010 au 2 novembre 2012, dont le prédécesseur était M. le Préfet Didier Lallement, secrétaire général dans un premier temps du ministère des transports et du ministère de l'écologie à compter du 3 octobre 2007 puis, après la réunion de ces ministères et la réorganisation de leur administration, secrétaire général du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire jusqu'au 19 juillet 2010. Les prédécesseurs de M. Julien Boucher ont été M. Frédéric Lenica du 24 mars 2011 au 23 mai 2012, Mme Isabelle de Silva du 17 octobre 2009 au 23 mars 2011 et M. Thierry-Xavier Girardot du 21 décembre 2007 au 17 octobre 2009. Vous voyez donc que la conduite de ce dossier coïncide avec une période de réorganisation des portefeuilles ministériels et de la composition de l'administration.

Je reviens brièvement sur les grandes étapes chronologiques de ce dossier. Tout commence avec la loi du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports qui prévoit, après l'adoption d'un amendement parlementaire, la taxe poids lourds dite « alsacienne » s'inspirant, d'une part, de l'exemple allemand et, d'autre part, de deux textes communautaires, la directive 2004/52/CE du 29 avril 2004 relative à l'interopérabilité des systèmes de télépéage routier, posant le principe que des véhicules doivent circuler sans être arrêtés par des péages et doivent pouvoir disposer de dispositifs automatiques, et la directive 2006/38/CE du 17 mai 2006 modifiant la directive 1999/62/CE relative à la taxation des poids lourds pour l'utilisation de certaines infrastructures, dite « Eurovignette », créant la possibilité de taxer la circulation des poids lourds en fonction de la distance parcourue. Après le vote de la taxe alsacienne, dès 2007, le Gouvernement réfléchit à son extension à l'ensemble du territoire national, ayant à l'esprit, quelle que soit la dénomination communautaire, qu'il s'agit en droit interne d'une taxe et non pas d'une redevance pour service rendu, et s'interrogeant dès ce moment sur la possibilité de faire gérer une telle organisation de nature fiscale par un délégataire, ici un groupement de nature privée, sous certaines conditions de contrôle par l'État. Au mois d'avril 2007, la direction du budget interroge respectivement la direction des affaires juridiques et la direction de la législation fiscale du ministère des finances sur ces différents éléments. Saisi par le ministre chargé de l'écologie et par la ministre des finances, le Conseil d'État rend, le 11 décembre 2007, un avis public sur l'ensemble de ces questions et confirme ces principes. C'est ce qui permet le vote de la loi du 27 décembre 2008 de finances pour 2009 prévoyant, dans son article 153, à la fois la confirmation de la taxe alsacienne et son extension à un dispositif national. C'est là que commence véritablement le processus qui mène à la conclusion du contrat avec Écomouv'.

Je n'en cite que les principales étapes. Cela commence par la publication d'un appel public à la concurrence au Journal officiel de l'Union européenne le 29 avril 2009 et symétriquement, au Bulletin officiel des annonces de marchés publics le 5 mai 2009. L'égalité de traitement est respectée scrupuleusement à chaque étape. Par exemple le 29 mai 2009, l'État publie les questions pouvant présenter un intérêt pour la préparation des dossiers. Le 9 juin 2009, date limite de dépôt des candidatures, sont reçus cinq dossiers : ceux de Vinci, de Sanef, d'Autostrade per l'Italia, de France Telecom et son groupement, et de Billoo Development. La commission consultative, mise en place conformément à l'article 153 de la loi de finances pour 2009, est saisie par le ministre chargé de l'écologie et prononce le 28 juillet 2009 l'admission de ces cinq candidatures. Le 28 septembre 2009, le groupe Vinci décide d'abandonner la procédure. S'ensuit une série d'auditions constituant un dialogue compétitif, pour mener à l'élaboration d'un dossier de consultation final mis à la disposition de l'ensemble des candidats en juillet 2010. Sur cette base, sont formalisées les offres finales des candidats reçues le 29 septembre 2010. La commission consultative est à nouveau réunie et se prononce le 14 octobre 2010 sur la recevabilité des quatre offres. Elle en retient trois et exclut l'offre de Billoo Development au motif de son caractère incomplet. Après notification de ces décisions et évaluation des candidatures, l'État présente son classement pour ces offres à la commission le 13 décembre 2010. La commission délibère à cette date et établit un classement qui place en tête le groupe Autostrade per l'Italia. La ministre de l'écologie ratifie cette décision par une décision du 14 janvier 2011 valant attribution à ce candidat de ce projet. Les autres candidats prennent connaissance de cette décision par une lettre du 17 janvier 2011. Le processus de mise au point du contrat de partenariat est suspendu par la saisine du tribunal administratif de Cergy-Pontoise dans le cadre d'une procédure de référé-précontractuel. Le 8 mars 2011, ce tribunal annule la procédure de passation du contrat de partenariat. L'État, le 22 mars 2011, puis la société Autostrade per l'Italia, le 24 mars 2011, se pourvoient en cassation devant le Conseil d'État. Après échange de mémoires au mois de mai, le Conseil d'État, par une décision du 24 juin 2011, annule l'ordonnance rendue par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise et rejette le référé précontractuel, ce qui rend possible la mise au point et la signature de ce contrat le 20 octobre 2011.

Je souhaite vous exposer quelques éléments relatifs au fond et sur l'action du secrétariat général du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et des ministères qui l'ont précédé. En premier lieu, aucune illégalité n'a été relevée dans la procédure d'attribution de ce contrat. Ceci est clairement posé par la décision de cassation du Conseil d'État du 24 juin 2011. Au demeurant, la procédure d'attribution et de signature du contrat est aujourd'hui purgée de tout recours.

La direction des affaires juridiques, qui fait partie du secrétariat général, a été créée par le décret n° 2008-680 du 9 juillet 2008, de même que l'ensemble de l'administration de ces ministères désormais unifiés avec un secrétariat général intégrateur. La direction des affaires juridiques exerce une fonction d'animation, de conseil, d'expertise et d'assistance juridique. Elle se prononce sur l'ensemble des projets de textes législatifs ou réglementaires. Elle traite le contentieux de nature centrale du ministère et assure la qualité de la norme et de la réglementation. Elle n'est donc pas au premier chef le rédacteur ou l'expert de tout contrat. Ce point est important car, devant une affaire aussi complexe que le contrat Écomouv', il y a lieu d'articuler les compétences et les fonctions. Dans notre ministère, c'est la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) dont vous auditionnerez prochainement le directeur général, M. Bursaux, qui a eu la charge d'élaborer, à chaque étape, ce dossier, l'appel d'offres et le contrat. Conformément au principe de spécialité et à ses fonctions, la direction des affaires juridiques s'est principalement chargée de la défense des intérêts de l'État devant les instances saisies en mars et en juin 2011 et, en particulier, du pourvoi en cassation devant le Conseil d'État. Pour sa part, la DGITM est la meilleure experte en matière de partenariats public-privé, de montage et d'analyse en opportunité et en régularité de concessions et, d'une manière générale, est la meilleure experte, de tout temps en raison de sa fonction routière, de l'économie de tels contrats.

Je souhaite, pour conclure, préciser que le ministère, sur ce point précis, a audité sa propre organisation. Le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) dans un rapport public que lui avait demandé le ministre et qui a été remis en août 2011, s'est penché en détail sur cette organisation et sur la question de savoir où devait être placée l'expertise en matière de partenariats public-privé (PPP). Même si la commande du ministre au CGEDD n'était pas spécifiquement orientée sur le dossier de l'écotaxe et du futur contrat passé à ce titre, ce point est bien sûr cité. La conclusion est que l'organisation observée, toujours en vigueur, et qui a servi dans cette affaire, est la bonne. La meilleure expertise doit être là où sont les métiers et les missions relatifs aux infrastructures. Il faut également veiller au concours d'expertises complémentaires, notamment celui de la direction des affaires juridiques, et surtout à deux points : la mutualisation des connaissances et des compétences de manière à éviter des positions différentes au regard d'entreprises qui sont parfois les mêmes, et la précaution indispensable de prendre le conseil ou l'avis d'une commission consultative tierce et distincte de l'administration comme cela a été prévu par la loi de finances pour 2009.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Avec ce préambule, je crains que nous n'obtenions pas beaucoup de réponses. Pourriez-vous déjà préciser l'identité et la fonction de la personne qui vous accompagne et n'a pas prêté serment, même s'il ne prendra pas la parole ?

M. Vincent Mazauric . - Il s'agit de M. Benoît Piguet, membre de mon cabinet, chargé des relations avec le Parlement.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - J'ai une autre question à laquelle vous devriez pouvoir répondre, puisqu'elle concerne le ministère de l'écologie. Qu'est-ce qui a justifié les délais de signature très courts entre la dernière réunion de la commission consultative d'attribution en décembre 2010 et une signature tout début janvier 2011, alors que la procédure permet un délai de deux mois pour la notification ?

M. Vincent Mazauric . - Pardon si j'ai été confus ou trop hâtif dans l'exposé du calendrier : le contrat a été signé le 20 octobre 2011. La commission a rendu son avis le 13 décembre 2010 et la décision d'attribution de la ministre de l'écologie, qui se contentait de reprendre l'avis de la commission, a été prise le 14 janvier 2011. Rien ne s'opposait à ce que les événements se succèdent rapidement dans la mesure où la délibération avait été claire, et que c'est à partir de ce moment que s'ouvrait la période de mise au point du contrat.

M. Jean-François Monteils . - Je sors un peu de ma compétence. De mémoire, deux raisons pouvaient justifier cette rapidité. Premièrement, la ministre suivait l'avis de la commission et, deuxièmement, il s'agissait tout de même d'une affaire entourée d'une certaine urgence, avec la volonté d'aboutir à la mise en oeuvre d'un projet politique de fiscalité écologique ainsi que l'inscription de recettes à venir dans des projets de loi de programmation.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - J'ai une autre question, même si je ne suis pas sûre que ce soit vous qui soyez en mesure d'y répondre. Il est aujourd'hui prévu que les agréments des agents d'Écomouv' chargés du recouvrement de la taxe soient donnés par le préfet de département, qui n'a pas compétence en matière douanière ni la bonne compétence territoriale. La procédure de transmission des informations pour les éventuels contrevenants ne prend pas en compte, me semble-t-il, tous les effets de jurisprudence que nous avons pu observer avec les radars automatiques, à savoir la nécessité d'une identité de personne entre celle qui constate l'infraction et celle qui dresse le procès-verbal. Tous ces points-là ne me semblent pas être réglés aujourd'hui. Pouvez-vous nous expliquer précisément qui délivre un agrément à qui, pour faire quoi et sur quel territoire ?

M. Vincent Mazauric . - J'ai prêté serment de dire la vérité et, implicitement, de ne pas inventer de réponse. Je pense que M. Bursaux pourra vous donner la réponse à cette question. Lorsqu'il a été consulté en 2007, le Conseil d'État, après avoir confirmé la possibilité de confier de telles fonctions à un prestataire privé, sous contrôle et commissionnement de l'État, a précisé les limites d'une telle attribution, en particulier en ce qui concerne la constatation d'infractions ou le recouvrement forcé.

M. Didier Lallement . - Peut-être serait-il utile à ce stade que je revienne sur la philosophie de l'organisation du ministère, puisque j'ai contribué à sa définition et à sa mise en oeuvre. Cela expliquera pourquoi les secrétaires généraux et les directeurs des affaires juridiques ne sont pas nécessairement en mesure de répondre à des questions aussi précises que celles que vous venez de poser. Lorsque ce ministère est constitué à l'été 2007, il comporte dans ses attributions celles de l'ancien ministère de l'équipement, celles de l'ancien ministère de l'écologie et une partie de celles du ministère de l'industrie, relatives à l'énergie. Se pose la question de sa doctrine et de son organisation. En ce qui concerne le premier point, M. Borloo a souhaité que le ministère soit réorganisé une fois ses objectifs définis par le Grenelle de l'environnement.

Il a fallu ensuite organiser et simplifier un ministère qui rassemblait une quarantaine de directions, avec des modes d'organisation très différents, même si les ministères de l'écologie et de l'équipement avaient des liens. S'est posée la question de la création d'un secrétariat général, au regard des fonctions transversales qu'il était en mesure d'exercer. Le débat a eu lieu, pour savoir s'il devait être l'autorité hiérarchique des directions générales, sur le modèle du Quai d'Orsay. À l'époque, le ministre et ses secrétaires d'État ont écarté cette solution, faisant du secrétaire général le coordonnateur administratif des services, non au sens hiérarchique du terme, mais l'érigeant en responsable des matières transverses, budgétaires, juridiques ou relatives aux personnels, à la communication ainsi qu'aux affaires internationales, soit tout ce qui ne relève pas de la compétence « métier ». Il est assez difficile de séparer ce qui est transversal de ce qui est « métier », on se demande en permanence où passe exactement la frontière. En ce qui concerne les affaires juridiques, l'organisation précédente était très diffuse. La direction des affaires juridiques a été progressivement constituée par le rapprochement de l'ensemble des structures juridiques, en incluant le conseil et la fonction contentieuse.

C'était un travail assez significatif. La constitution de ce ministère a nécessité un délai d'environ huit mois et des concertations importantes. Elle s'est aussi traduite par une réflexion sur son organisation budgétaire. L'ensemble des personnels du ministère est réuni sur un seul programme budgétaire. Les différentes directions ne gèrent pas les effectifs, mais seulement les crédits d'intervention. Le secrétaire général a la responsabilité de l'allocation des moyens humains.

Outre l'organisation du ministère et cette question budgétaire, il a fallu déménager l'ensemble des services, répartis sur plusieurs sites, soit 3 500 personnes, à un seul endroit, à La Défense, en dehors de Paris. Je le souligne parce que cela a été particulièrement difficile à réaliser en termes de dialogue social.

Après ces éléments de contexte, j'en viens à ce qui vous intéresse. Dès le début, l'organisation des affaires juridiques a été conçue comme « non-métier », c'est-à-dire se limitant au conseil et au contentieux. Cette opération a été difficile. Un préfigurateur a été nommé, comme pour les autres services, afin d'exercer la double mission de proposer l'organisation du service mais aussi de gérer sa mise en oeuvre.

Sur la question des PPP, historiquement, ils existaient sous la forme d'une mission qui a eu plusieurs appellations dans le temps au sein de la direction des routes. N'oubliez pas qu'en 2007, ce ministère venait de finir la décentralisation des routes, c'est-à-dire le transfert de 30 000 agents aux conseils généraux, et de réorganiser tous les services chargés des routes. Nous avons voulu rassembler toutes les directions en charge des transports, en mettant de côté l'aviation civile, compte tenu de ses effectifs importants. Dans la logique « métier », lorsque nous avons réuni les directions générales des routes et des transports terrestres, auxquelles je rajoute celle de la mer, nous avons laissé les PPP à dessein dans cette direction. Nous avons assimilé cette mission PPP à une logique « métier ». Vous voyez bien que c'était parce que la difficulté de la tâche était telle en termes de réorganisation qu'il ne fallait pas rajouter des sujets « métier » dans les fonctions transversales. Cela explique l'organisation de ce ministère et la façon dont la direction des affaires juridiques est sans doute intervenue dans les différents éléments de ce dossier. Elle n'était pas conçue pour prendre en charge ce type de processus, qui est resté dans les compétences « métier », comme nombre d'autres missions.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Comment et sur la base de quels critères s'est effectué le choix des routes taxées ou non taxées ? Y a-t-il eu seulement des critères de circulation, en lien avec les voies ferroviaires dans une idée de report modal ou aussi des critères techniques, en lien avec la présence de routes parallèles non taxées à proximité ? Est-ce que certaines sociétés de péages autoroutières ont participé à ce choix ou non ? Qui y a participé et comment a-t-il été effectué ?

M. Didier Lallement . - Lorsque j'étais secrétaire général, le secrétariat général du ministère n'avait pas compétence pour s'occuper de ces dossiers qui relevaient de la DGITM. Mes successeurs ont dû être confrontés à la même séparation.

Pour le suivi de ce dossier, avait été instituée une réunion des directeurs généraux, organisée tous les quinze jours, au cours de laquelle j'étais informé de l'évolution des dossiers. Les directeurs généraux y exprimaient leurs préoccupations du moment de manière à ce que je dispose d'une visibilité sur l'ensemble du ministère, mais sans entrer dans le détail des dossiers qui relevaient de leur compétence.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Avez-vous été consulté, en tant que secrétaire général du ministère de l'écologie, sur le choix de la formule juridique du PPP dans ce projet ? La direction des affaires juridiques a-t-elle également été consultée ?

M. Didier Lallement . - Sous le contrôle du directeur des affaires juridiques de l'époque, je n'ai pas le souvenir d'avoir été consulté sur le choix de la formule juridique du contrat.

Le choix était antérieur à la création du ministère puisqu'il date en partie de la loi du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports, qui a ensuite été précisée par la loi du 27 décembre 2008 de finances pour 2009. Il existait, me semble-t-il, des rapports qui peuvent faire remonter l'origine de ce projet en 2000. En outre, lorsque j'étais directeur de l'administration pénitentiaire, on parlait déjà de PPP en 2000.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - La législation sur les PPP n'est pas aussi ancienne. On pouvait recourir à des PPP avant 2004 qui devaient reposer sur des critères particuliers. L'écotaxe ne répondait pas à ces critères.

Il est en revanche important de savoir que vous n'avez pas été consulté pour le choix de la formule juridique du contrat écotaxe.

J'aurai une question supplémentaire : à quel moment avez-vous décidé de ne plus associer la Mappp ? M. Bergère vient de nous indiquer que la Mappp, à un moment donné, n'a plus du tout été associée au suivi du PPP...

Mme Virginie Klès , rapporteur . - ... et cela, malgré des réserves émises par la Mappp sur les conditions de résiliation du contrat en cas de force majeure.

M. Didier Lallement . - À quelle date la Mappp situe-t-elle l'arrêt de son association au suivi du contrat ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Juste avant la signature du contrat définitif. On leur aurait laissé quarante-huit heures pour examiner le dossier pour qu'elle puisse émettre un avis. Les délais d'examen laissé à la Mappp étaient très courts, eu égard à la complexité de ce type de contrat. En général, on laisse un délai de deux mois pour autoriser la signature d'un tel contrat.

M. Jean-François Monteils . - De mémoire, la Mappp intervient au début du processus par l'avis qu'elle donne sur l'évaluation préalable nécessaire pour recourir à un PPP. Par ailleurs, la Mappp participe aux trois réunions, dont vous avez les comptes rendus de la commission consultative qui est l'instrument mis en place, après l'avis donné par le Conseil d'État en décembre 2007, pour accompagner le ministère dans ses choix. Enfin, la Mappp est un service du ministère des finances et le ministre des finances se prononce au tout dernier moment pour autoriser la signature du contrat. Je ne comprends donc pas pourquoi la Mappp estime qu'elle n'a pas été suffisamment associée à l'élaboration de ce contrat.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - La Mappp avait émis un certain nombre de réserves dans son avis remis le 14 octobre 2011, dont il n'a pas été tenu compte.

M. Vincent Mazauric . - La personne compétente pour répondre à la question relative aux critères ayant été retenus pour le choix des routes transférées est M. Dominique Bursaux, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - C'est la personne qui est restée en poste tout au long de la période au cours de laquelle a été préparé le contrat.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Pouvez-vous nous indiquer à quelles étapes, de quelle manière et jusqu'où vous êtes intervenus sur ce contrat ?

M. Thierry-Xavier Girardot . - Je suis arrivé, en tant que premier directeur des affaires juridiques au moment de la réorganisation du ministère, soit juste après que le Conseil d'État avait rendu son avis, le 11 décembre 2007, sur la possibilité, par le ministère, de recourir à un PPP pour confier à une entreprise privée la collecte de l'écotaxe. La décision de recourir à un PPP est donc antérieure à la mise en place de la direction des affaires juridiques.

Jusqu'en octobre 2009, j'ai eu à connaître certains aspects du dossier, essentiellement à travers les projets de texte relatifs à l'écotaxe. Ma direction a ainsi été associée à la rédaction de l'article 153 de la loi de finances pour 2009, qui prévoit à la fois le principe de la taxe et la possibilité du recours au PPP, avec un examen de ce projet de loi par le Conseil d'État qui a validé la possibilité de ce recours. Nous avons également été sollicités pour répondre à des questions ponctuelles de la part de la DGITM comme, par exemple, celle de savoir qui était le ministre compétent pour signer le contrat, entre le ministre chargé des transports et le ministre du budget ou encore celle de savoir s'il était nécessaire ou non de consulter les comités techniques préalablement à la signature du contrat.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Qui a signé le contrat : le ministre ou M. Bursaux ?

M. Thierry-Xavier Girardot . - C'est M. Bursaux, par délégation du ministre.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - De quel ministre s'agissait-il ?

M. Thierry-Xavier Girardot . - Le ministre chargé des transports.

La direction a également été associée à la rédaction des décrets d'application, notamment celui du 30 mars 2009 qui a créé la commission chargée d'examiner les offres et de donner un avis sur la sélection. Ce même décret désigne le ministre chargé des transports comme l'autorité compétente pour signer le contrat.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Dans un contexte administratif aussi fluctuant, notamment en matière de compétence et de responsabilité, y-a-t-il eu des interventions ou des instructions du Premier ministre ou de son cabinet, pour mettre de l'ordre et de la raison dans cette organisation ?

M. Jean-François Monteils . - Avec tout le respect que je vous dois, je suis obligé de m'élever contre le terme de « fluctuant ». Le paysage qui vous a été décrit est un paysage de réorganisation, qui est toujours compliqué et difficile. À mon arrivée au ministère en juillet 2010, la direction des affaires juridiques, grâce à mon prédécesseur et aux remarquables directrice et directeurs qui s'y sont succédé, est un service qui fonctionne parfaitement bien. Ce n'est un paysage ni fluctuant ni mouvant. À aucun moment quiconque s'est interrogé sur la responsabilité ou la compétence d'une direction du ministère, les choses sont claires.

Quant à savoir s'il y a eu des interventions de Matignon, le terme là encore ne me paraît pas adapté : qu'il y ait une prise de connaissance par les cabinets de la façon dont la procédure s'est déroulée, pour un projet aussi important au niveau politique, fiscal et financier, cela est évident. Des réunions interministérielles sont régulièrement organisées afin de rendre compte, non seulement au cabinet du Premier ministre mais également aux divers cabinets, d'apprécier l'état d'avancement du projet et de valider politiquement, à intervalles successifs, le déroulement de la procédure.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Le terme de fluctuant n'était en rien péjoratif. On constate simplement que les limites et les compétences entre les différentes directions évoluaient. C'est ce qui se passe lors d'une réorganisation administrative d'envergure. C'est ce constat qui justifie ma deuxième question qui vise à savoir qui assurait le fil rouge sur un projet aussi important et dans un contexte de réorganisation qui a rendu les choses plus difficiles - sachant qu'un dossier complexe est toujours délicat à mettre en oeuvre correctement dans des délais convenables, même dans un contexte administratif stable.

M. Jean-François Monteils . - Je n'ai pas pris votre remarque de manière péjorative. Je souhaitais rappeler que, pendant la période où j'étais secrétaire général, aucune interrogation n'a émergé sur le « qui fait quoi ». La compétence de la DGITM était parfaitement claire, ainsi que celle du secrétariat général et de la direction des affaires juridiques, comme vient de le rappeler M. Thierry-Xavier Girardot. La direction des affaires juridiques est intervenue dans ce projet comme conseil puis lors de la phase contentieuse. Il a pu y avoir, à la marge, des interrogations, y compris pendant la période pendant laquelle j'étais secrétaire général, sur certaines répartitions de compétences. Ces cas étaient rares et je n'en ai aucun en tête. Le cas d'espèce n'a soulevé aucune question de cette nature.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - A posteriori , cela paraît tout de même compliqué.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Sur le plan financier, quelles ont été les positions du secrétariat général sur ce dossier ? Dans quelles mesures le PPP modifie-t-il la dépense du ministère ? J'ai recueilli sur cette question certains éléments de réponse, en tant que rapporteur spécial sur les transports terrestres à la commission des finances du Sénat. Si le contrat est résilié, serez-vous saisi des conséquences, en cas d'indemnisation du prestataire, dans le cadre de vos fonctions budgétaires ? Ou serait-ce plutôt la DGITM ? Il est difficile pour nous de comprendre la chaîne de décision, même si je n'emploierai pas le terme de fluctuant.

M. Didier Lallement . - La synthèse financière relève effectivement du secrétariat général, ce qui n'est pas spécifique au ministère de l'équipement mais est commun à l'ensemble des ministres. Le projet d'écotaxe est source d'une nouvelle recette contribuant à l'équilibre budgétaire de l'agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). Jusqu'à mon départ - mais j'imagine que cela a continué - j'étais assez préoccupé par les engagements pris lors des annonces de création de nouvelles infrastructures. Lorsqu'on travaillait sur la programmation budgétaire de l'Afitf, la durée de réalisation s'allongeait chaque jour. Le rééquilibrage budgétaire de l'Afitf était un point de faiblesse de notre ministère à l'époque, et était source de discussions difficiles avec la direction du budget.

Dans la conception collective du dispositif, le secrétariat général a été, bien évidemment, associé au montage financier de l'équilibre global, ce qui paraissait souhaitable, y compris pour les objectifs de verdissement de la fiscalité. Tous les ministères sont confrontés aux mêmes problèmes. En recettes budgétaires, il existe un risque d'ajustement, de gel ou de surgel. L'idéal en matière budgétaire est de disposer d'une recette affectée qui constitue la meilleure façon d'atteindre ses objectifs.

M. Jean-François Monteils . - Je confirme totalement les propos de Didier Lallement. Il faut rappeler le sentiment presque d'urgence ressenti dans les services, pas tant sur la mise en oeuvre de l'engagement politique d'une politique de fiscalité écologique que sur la question de parvenir à un équilibre financier. Les prises de renseignement des cabinets ministériels étaient d'ailleurs souvent orientées sur les délais de mise en oeuvre de ce projet.

Le secrétariat général comme l'ensemble des services du ministère ont vécu comme une catastrophe l'ordonnance du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 8 mars 2011 qui suspendait la procédure, en particulier pour la raison des délais que cette ordonnance allait induire. À l'inverse, la décision du Conseil d'État du 24 juin 2011 a été vécue comme un succès. Je me souviens même d'une réunion que j'ai organisée avec les directions des affaires juridiques des deux ministères concernés - le ministère de l'écologie et le ministère de l'économie -, la DGITM et la direction générale des douanes où nous avons clôturé la phase contentieuse du dossier en nous félicitant de la qualité du travail mené en commun, ce d'autant plus que du point de vue du travail administratif, cette décision du Conseil d'État était un satisfecit éclatant.

M. Vincent Mazauric . - Quelle que soit l'issue actuelle du contrat, le secrétariat général, dans sa fonction financière et dans sa fonction juridique, serait naturellement saisi et aurait à se prononcer en tant qu'expert. Le secrétariat général était favorable au choix de ce dispositif, encadré et balisé par l'avis du Conseil d'État du 11 décembre 2007 puis celui de la Mappp du 13 octobre 2011. Les PPP pèsent sur les comptes de l'État ; ils sont retracés dans ceux-ci, qui sont soumis au Parlement à l'appui de la loi de règlement annuelle.

M. Jean-François Monteils . - Je me permets de rajouter un point connexe sur votre question concernant la façon dont les administrations ont vécu cette période. Il s'agit des plaintes portées par un des candidats au dialogue compétitif, qui pouvaient déboucher sur des condamnations de nature pénale. Ces plaintes ont provoqué non pas de l'inquiétude bien entendu, mais un réel désagrément pour l'ensemble des fonctionnaires qui étaient concernés par ce dossier, lorsqu'une enquête pénale est ouverte et le reste pendant trente et un mois, avant, comme vous le savez, d'être classée, puis de nouveau ouverte.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Madame et Messieurs les directeurs des affaires juridiques, que pensez-vous aujourd'hui de cette notion de suspension du contrat ? J'estime que le contrat n'est pas suspendu puisqu'il est signé. Son exécution se poursuit. La suspension concerne l'application de l'écotaxe. Que pensez-vous du prestataire qui ne souhaite pas accélérer la mise à disposition alors qu'il affirme être prêt ? Est-il réellement prêt ? Je suis étonnée de ce climat très calme et du fait que les deux parties ne cherchent pas à clarifier cette question de la mise à disposition.

M. Julien Boucher . - Je suis l'actuel directeur des affaires juridiques. Mon service n'est pas en relation avec la société Écomouv', il m'est difficile de porter un jugement sur son attitude. D'un point de vue strictement juridique, ce qui a été reporté est en effet l'entrée en vigueur de l'écotaxe, non celle du contrat. Évidemment, ce report pourra, en fonction de sa durée, avoir des conséquences sur les relations contractuelles entre les deux partenaires.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Ce qui entraîne également des conséquences sur le contrat, c'est le fait qu'Écomouv' n'est peut-être pas prêt. Personne ne semble pressé pour avancer dans ce dossier... Je poserai ces questions à M. Bursaux. Le contrat, dans ses effets, se poursuit : il y aura, tôt ou tard, des pénalités, éventuellement le versement des loyers. Tout ceci est dommageable pour les finances publiques, et il est grave de ne pas clarifier la situation. Sur ce dossier-là, il devrait y avoir une réponse de l'État. C'est incroyable !

M. Vincent Mazauric . - En tant que fonctionnaire, cette situation me préoccupe. Chargé de la synthèse et de la solidité financière et budgétaire générale des ministères, je suis préoccupé et interrogatif de voir une recette fiscale manquer. Vous comprendrez que je ne puisse apporter des réponses de nature politique aux questions que vous vous posez.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Il s'agit également de questions techniques ! Cette situation pourrait générer des dépenses supplémentaires. Qu'il manque une recette, c'est la conséquence d'une décision politique, certes. Mais concernant l'exécution du contrat de partenariat, si nous ne sommes pas attentifs, il pourrait y avoir des dépenses supplémentaires. M. Bergère a indiqué que ce PPP faisait partie du top ten des PPP de l'État. Même dans les petits PPP conclus par les collectivités territoriales, la mise à disposition est une notion fondamentale car elle entraîne des conséquences importantes sur le contrat. Et, dans ce cas, l'exécution du contrat est technique, non politique.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Est-ce que vous avez eu connaissance de l'éligibilité de la société Écomouv' à une garantie de financement par l'État, qu'elle n'a, au final, pas fait jouer ?

En ce qui concerne la situation actuelle et les retards pris, aucun ministre ne vous a saisi de rien ? Vous n'avez rédigé aucune note sur le sujet ?

M. Vincent Mazauric . - Pour répondre à cette dernière question, la réponse précise est négative car ceci n'est pas dans mes attributions.

Sous bénéfice d'inventaire, pour la première question, il y a, dans ce montage et ce contrat, un accord passé à la demande des banques qui assistent Écomouv' - qui est une demande habituelle afin de prévoir le cas de l'annulation du contrat - et ces dispositions-là ont été prises. En revanche, l'État n'a pas donné sa garantie au sens de la LOLF aux financements du montage.

M. Jean-Jacques Filleul . - Une fois le PPP signé, avez-vous eu des relations contractuelles avec Écomouv' ? Avez-vous suivi l'évolution du dossier ? Est-ce que votre ministère a été attentif à ce qu'il soit mené dans les meilleures conditions ?

M. Vincent Mazauric . - Les services placés sous mon autorité n'ont pas eu de telles relations car ce n'était pas dans leurs attributions, sans préjudice des soins que le ministère et l'ensemble de ses directions n'auront pas manqué d'avoir.

M. Julien Boucher . - Pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, je souhaite préciser, au titre de la direction des affaires juridiques, que nous avons été consultés à de nombreuses reprises. On a évoqué l'amont du contrat, mais le dispositif de l'écotaxe poids lourds comporte un très grand nombre de textes, de décrets et d'arrêtés. La direction a été consultée comme elle doit l'être à l'initiative des directions générales sur l'élaboration de ces textes et lorsque des difficultés juridiques étaient soulevées. Naturellement, à l'occasion du report de l'entrée en vigueur de la taxe, lorsque la DGITM en a éprouvé le besoin, des demandes de conseil sur des points ponctuels ont également pu être faites. Indépendamment de la passation et de la conclusion du contrat, la direction a donc joué son rôle de conseil juridique à la demande de la DGITM.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Un grand cabinet d'avocats est intervenu lors de la conclusion du contrat. Est-il intervenu à la demande de la DGITM ? Qu'en a-t-il été lors des contentieux ?

Mme Isabelle de Silva . - La DGITM fait régulièrement appel à des cabinets d'avocats pour l'élaboration de projets tels que des PPP et, en particulier, sur celui de l'écotaxe.

S'agissant des contentieux, elle a également fait appel à un cabinet d'avocats pour la procédure devant le juge des référés de Cergy-Pontoise. En revanche, pour ce qui concerne le pourvoi en cassation devant le Conseil d'État, la direction des affaires juridiques était le pilote de ce dossier, car nous avons le monopole des appels et des pourvois en cassation pour tout le ministère, afin d'assurer une vision juridique de l'ensemble de ces questions.

Nous avons organisé des réunions de préparation de la défense du ministère en y associant le cabinet d'avocats qui était intervenu en première instance.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Les élus s'interrogent souvent sur l'égalité des armes dans un contrat de PPP entre le prestataire privé, conseillé par de nombreux avocats, et la puissance publique. Les ministères sont-ils suffisamment armés pour faire face à toutes les questions juridiques qui peuvent apparaître, d'autant que l'administration n'a pas encore la culture des PPP ?

L'État a donc également eu des conseils qui sont intervenus dans des conditions que vous jugez satisfaisantes.

M. Jean-François Monteils . - En l'espèce, la défense organisée par le ministère lors de la procédure de cassation s'est révélée plus efficace que celle mise en oeuvre par un cabinet d'avocats devant le tribunal administratif.

M. Vincent Mazauric . - C'est en effet bien et logique de disposer près de nous de conseils juridiques de renom et très compétents. Clifford Chance était le conseil de la DGITM. Cela étant, le ministère a une certaine histoire en matière de concessions ou de contrats de nature partenarial public-privé.

La défense de cette affaire en cassation a été en tout point remarquable et j'invite la commission d'enquête à prendre connaissance, attentivement et dans le détail, de la décision du Conseil d'État du 24 juin 2011.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Le contrat que nous examinons est-il un bon contrat ? De votre point de vue, la redevance n'est-elle pas trop élevée ? Quelques élus pensent qu'il s'agit d'un montant trop élevé et que, peut-être, nous n'avons pas été assez attentifs parce que ce PPP a la caractéristique de rapporter de l'argent, ce qui est assez rare.

M. Jean-François Monteils . - C'est la différence entre une appréciation juridique et une appréciation d'opportunité politique. Je considère que, en l'occurrence, il est très difficile, pour un contrat qui n'avait jamais été fait sous cette forme, qui n'est même pas comparable à ce qui s'est fait ailleurs, de porter une appréciation qualitative sur le point de savoir s'il est bon ou pas bon. Notre mission, c'est de vérifier s'il est régulier. Et cela va au-delà de la simple régularité formelle suivant le code des marchés publics, puisque les diverses vérifications et, encore plus, la décision du juge suprême sur cette affaire, valent validation d'une procédure qui est faite
- non pas pour embêter les administrations avec des contraintes délirantes - pour aboutir à un bon contrat.

J'ai donc un peu de mal à comprendre comment on peut exprimer un avis dubitatif, mis à part les questions d'opportunité politique, sur un contrat qui a parfaitement respecté - le juge l'a dit - toutes les étapes d'une procédure très compliquée. Je me permets à nouveau de rendre hommage à la manière dont les administrations ont travaillé et je ne rajouterai rien sur la façon dont elles ont été payées de retour à l'occasion de ces divers contentieux. Et je ne reviens pas sur cette histoire, dont vous avez compris qu'elle me heurtait, de contentieux pénal délirant.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Pour notre part, nous regarderons un peu plus loin, jusqu'à aujourd'hui, car le contrat continue de vivre. Plus on tarde à le mettre en exécution, plus la durée d'exploitation sera courte et moins grande sera la recette. Nous allons donc au-delà de la question de la conclusion du contrat et de sa régularité.

Audition de M. Antoine Seillan, chef du bureau des transports de la direction du budget du ministère de l'économie et des finances (Mercredi 29 janvier 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous vous avons convié pour que vous nous présentiez le rôle de la direction du budget dans les décisions relatives à la mise en place de l'écotaxe. Nous souhaiterions savoir quand et par qui vous avez été sollicités pour rendre un avis d'experts et si vos recommandations ont été suivies d'effet. Enfin, vous nous exposerez les conséquences budgétaires du contrat conclu avec Écomouv' dans l'hypothèse de son exécution normale, en cas de suspension de l'écotaxe et en cas de résiliation du contrat.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Antoine Seillan prête serment.

M. Antoine Seillan, chef du bureau des transports de la direction du budget, ministère de l'économie et des finances . - Avant de répondre à vos demandes, je présenterai le bureau des transports de la direction du budget. Nous sommes en charge de la préparation et du suivi de l'exécution du budget de l'État pour les missions et programmes budgétaires relatifs aux transports, c'est-à-dire les programmes 203 « Infrastructures et services de transport » et 205 « Sécurité et affaires maritimes, pêche et aquaculture » ainsi que le budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » et le compte d'affectation spéciale « Services nationaux de transports conventionnés de voyageurs ». Nous traitons des questions de financement des politiques et des infrastructures de transports. À ce titre, je représente le ministère au conseil d'administration de l'agence de financement des infrastructures de transport de France ( Afitf) . Le bureau compte six agents. J'occupe les fonctions de chef de bureau depuis octobre 2010.

Vous m'avez interrogé sur la place qu'a tenue la direction du budget dans les décisions sur la mise en place de l'écotaxe. Depuis 2007 et le Grenelle de l'environnement, la direction du budget s'est toujours montrée favorable à la mise en place de cette écotaxe et à l'affectation de son produit à l'Afitf. Il s'agit d'une position constante, relayée par le cabinet de notre ministre à de nombreuses reprises.

L'écotaxe en effet traduit les objectifs du Grenelle, rétablir l'équilibre entre les différents modes de transports et mieux couvrir le coût des réseaux de transports routiers non concédés, de manière à dégager des recettes pérennes pour financer de nouvelles infrastructures. Il est légitime que cette taxe soit fléchée pour sa plus grande partie vers l'Afitf, même si cela constitue une dérogation au principe de non-affectation des recettes. L'agence ne perçoit plus les dividendes des sociétés d'autoroutes depuis leur privatisation en 2006 ; elle est restée très majoritairement financée par des ressources principalement routières, ponctuelles (des soultes) ou régulières (des taxes). Le remplacement d'une ressource rare, la subvention du budget général, par une ressource affectée est de nature à sécuriser son financement.

La direction du budget a participé aux premiers travaux administratifs sur la mise en place de l'écotaxe. Le 24 avril 2007, elle a saisi la direction de la législation fiscale (DLF) de questions ayant trait à la qualification de la taxe, à la répartition des compétences entre loi et règlement, à son mode de calcul, à la possibilité de ne taxer que les poids lourds, à l'externalisation de la déclaration et du paiement de cette taxe. Une réunion de travail s'est tenue avec la DLF le 4 juillet 2007 en présence de représentants de la direction des routes du ministère des transports. La DLF a formalisé ses réponses par une note en date du 16 juillet 2007 dont les analyses ont été confirmées par l'avis du Conseil d'État en date du 11 décembre 2007, précisant les conditions dans lesquelles le dispositif pouvait être confié à un partenaire privé. Le 12 février 2009, la mission d'appui aux partenariats public privé (Mappp) a rendu un avis favorable au choix du contrat de partenariat. À ma connaissance et en l'état de mes recherches, la direction du budget n'a pas émis d'avis ou de recommandation en son nom propre sur le choix du recours au modèle du PPP, cette compétence relevant selon nous de la Mappp.

Pendant la procédure de consultation, nous sommes intervenus à trois reprises, conformément aux textes organisant la passation du contrat. Tout d'abord, nous avons assisté aux trois réunions de sélection des candidats par la commission consultative, créée par le décret du 30 mars 2009 dont nous étions membres. Cette commission s'est réunie lors de l'admission des cinq candidats à participer au dialogue compétitif, pour l'examen de la recevabilité des offres finales, et enfin, pour le choix du titulaire pressenti. La direction n'a pas émis de réserves sur l'analyse des documents réalisée préalablement par le ministère des transports.

Ensuite, nous avons préparé avec la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer ( DGITM) la convention de financement entre l'État et l'Afitf votée lors de la réunion du conseil d'administration (dont nous sommes membres) le 7 septembre 2011. Cette convention de financement établit les flux budgétaires permettant le paiement du loyer de ce PPP. Elle établit donc les engagements financiers de l'Afitf, affectataire du produit de l'écotaxe, vis-à-vis de l'État, signataire du contrat de partenariat.

Enfin, le dernier stade auquel nous avons eu à connaître de ce contrat est celui de l'accord donné par le ministre du budget à sa signature, conformément à l'article 3 du décret n° 2009-242 du 2 mars 2009. Cet accord a été donné par le ministre du budget le 12 octobre 2011, par le ministre de l'économie le 17 octobre 2011, avant la signature du contrat par le directeur général de la DGITM le 20 octobre 2011. Cet avis donné par le ministre du budget s'inscrit assez naturellement dans l'objectif de préserver la soutenabilité budgétaire. En effet, le versement de loyers sur de nombreuses années rend plus rigide le budget des porteurs de projet. La préoccupation principale de la direction du budget, en situation de PPP, est donc d'éviter qu'une utilisation inadéquate de ce modèle ne « crante » la dépense publique sur le long terme et rejette le poids de la décision sur l'avenir, au point de rendre la dépense du porteur de projet « insoutenable », dans un contexte de rareté relative des ressources budgétaires. Dans le cas du PPP relatif à l'écotaxe, cette problématique était traitée relativement sans difficulté dans la mesure où la caractéristique principale de ce montage était justement d'offrir à l'Afitf la recette pérenne qui lui manquait pour financer la politique d'investissement du Gouvernement dans le secteur des transports.

Comme vous le voyez, nous sommes intervenus à des moments précis de la procédure. Nous n'avons notamment pas participé à la préparation de l'appel public à la concurrence en mai 2009 ou du règlement de consultation en août 2009, aux phases d'échanges avec les candidats à l'automne 2009 et au printemps 2010, à l'élaboration du projet de contrat donné aux candidats en décembre 2009 ou à celle du dossier de consultation des offres finales en juillet 2010. Nous ne l'avons pas fait parce que tel n'est pas notre rôle.

Depuis la conclusion du contrat de partenariat avec Écomouv', la direction du budget n'a plus eu l'occasion d'intervenir de manière directe. Elle n'est notamment pas associée aux discussions actuellement conduites par les équipes du ministère des transports et des douanes. Nous suivons donc les développements actuels en position d'observateur, dans la perspective de traiter leurs conséquences sur l'équilibre de l'Afitf et donc sur le financement de la politique de transports, qui est notre coeur de métier.

Cela m'amène à répondre à vos questions sur les conséquences budgétaires du contrat écotaxe, en comparant l'hypothèse d'une exécution normale, à celle de la « suspension » du contrat et à celle de la résiliation.

Incontestablement, la suspension de la taxe poids lourds coûte à l'État.

Le report d'un an impliquerait la perte de 800 millions d'euros de recettes brutes. En parallèle, comme le coût du loyer en cas de suspension sera diminué, probablement, la perte de recette nette des moindres coûts de loyers sera inférieure. On l'estime, à ce stade, entre 680 et 750 millions d'euros et je comprends que les efforts déployés par mes collègues dans le cadre des discussions qu'ils ont avec Écomouv' pour diminuer le coût de ce loyer pourraient permettre encore de réduire le montant de ce manque à gagner.

Pour 2014, l'ampleur du manque à gagner pour l'Afitf dépendra de la durée de la suspension. Pour assurer la soutenabilité de son budget, il faudra d'abord prévoir des économies au sein de ce budget. Cela ne sera probablement pas suffisant et une augmentation de la subvention de l'État sera prévue, dont le quantum, faisant jouer le principe d'auto-assurance au sein du budget du ministère des transports, est en discussion. Un point d'étape à mi-année sera fait pour tenir compte des conclusions sur l'avenir de la taxe et de la tension de l'exécution budgétaire de l'Afitf, du ministère des transports et du budget de l'État. Un abondement additionnel pourra alors, le cas échéant, être envisagé. Un travail précis est en cours entre services de l'État pour établir un budget 2014 de l'Afitf sur ces nouvelles bases, qui sera présenté à son conseil d'administration du 6 février. Des parlementaires sont membres de ce conseil et l'information du Parlement sur le contenu de ce budget sera donc complète.

Le scénario d'un abandon définitif de l'écotaxe créerait un manque à gagner pérenne de 800 millions d'euros par an par rapport aux trajectoires que nous pouvions envisager, auquel s'ajouterait un coût de la résiliation du contrat de 800 à 900 millions d'euros selon les estimations du ministère des transports.

Jusqu'à octobre 2013, la trajectoire budgétaire de la politique des transports reposait sur la mise en oeuvre de l'écotaxe au 1 er janvier 2014. Un abandon définitif aurait donc un impact d'ampleur substantielle sur cette politique. Dans le contexte de redressement de nos comptes publics, cela amènerait sans doute à réinterroger les objectifs de cette politique publique.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous souhaiterions obtenir communication de la convention de financement entre l'État et l'Afitf ainsi que, ultérieurement, des décisions qui seront prises par le conseil d'administration le 6 février 2014.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Comment l'entorse au principe de non-affectation des recettes a-t-elle été techniquement réglée ?

M. Antoine Seillan . - Ce principe général du droit budgétaire que défend la direction du budget, vous le savez comme parlementaires, n'est pas appliqué de manière stricte à toutes les agences de l'État. Notre effort vise à plafonner le montant des ressources affectées, voire à écrêter celles-ci, l'État percevant la différence. L'affectation de la recette de l'écotaxe à l'Afitf n'a pas donné lieu à une demande d'arbitrage particulière. La dérogation, l'affectation de recettes à un établissement, est du domaine de la loi de finances. L'Afitf bénéficiait déjà de recettes affectées : une partie des amendes radars, la redevance domaniale et la taxe d'aménagement du territoire.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Vous avez évoqué l'avis du Conseil d'État qui précisait les conditions de délégation d'une mission régalienne à un opérateur privé. En l'espèce, était-ce selon vous la meilleure solution ? La délégation de la collecte d'une taxe à une société privée n'est-elle pas source de complexité ?

M. Antoine Seillan. - Je n'ai pas d'avis d'expert en la matière.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Au stade de l'évaluation préalable du projet, une comparaison entre le coût du PPP et celui d'un marché public classique a été effectuée pour chaque solution technique possible. En ce qui concerne la technologie satellitaire, le coût du PPP était estimé à 230 millions d'euros. Il s'élève aujourd'hui à 650 millions d'euros. Comment peut-on expliquer ou justifier cette dérive ? Quand a-t-elle été validée au cours du dialogue compétitif ? Je rappelle que le coût de la technologie concurrente était estimé à environ 500 millions d'euros.

M. Antoine Seillan . - Je ne dispose pas d'éléments de réponse. Nous nous sommes nous-mêmes posé la question du coût du projet. Mais nous ne sommes ni ingénieurs ni spécialistes des montages complexes. Je peux vous donner des indications sur les coûts de perception à l'étranger. Ils varient de 40 centimes le kilomètre et un ratio de 7 % de la recette brute, en Suisse, à 13,5 centimes et un ratio d'intervention à 25 % au démarrage, en Allemagne. Le système français devrait se situer dans la fourchette basse si l'on observe le coût rapporté au trafic, c'est-à-dire si l'on raisonne en centimes d'euros par véhicule au kilomètre. On arrive, en Europe, à des fourchettes de 2 à 3 centimes ; la France se situerait à 2,3 centimes.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Les comparaisons internationales sont peu pertinentes, car les conditions et les coûts de circulation ne sont pas identiques. Ma question porte sur l'écart entre l'estimation initiale du coût en valeur absolue et le coût final.

M. Antoine Seillan . - Je n'ai pas de réponse. Une des caractéristiques du dialogue compétitif est de faire émerger progressivement les spécifications de la commande.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Alors le cahier des charges initial n'était pas sincère, ce qui a biaisé le choix entre les deux solutions envisagées ! Je vous remercie de creuser cette question de manière à nous apporter des éléments de réponse. Vous évoquez la soutenabilité du projet. Comment le loyer a-t-il été déterminé ? Écomouv' nous a indiqué en audition publique que, sur onze ans et demi, sa rémunération annuelle était fixée à 96 millions d'euros auxquels s'ajoutent 47 millions d'euros au titre des frais de maintenance, 8 millions d'euros de gros entretien et 64 millions d'euros de rémunération variable, soit un total de 1,8 milliard d'euros, pour un investissement de 650 millions d'euros, initialement évalué à 231 millions d'euros. Cela me paraît cher payé. Qu'en pensez-vous ?

M. Antoine Seillan . - Je vous donne les chiffres dont je dispose qui figurent dans la convention de financement entre l'État et l'Afitf. Les autorisations d'engagements s'établissent à 3,410 milliards d'euros TTC en euros courants. Après la fixation des taux, à la signature du contrat, le montant total est de 3,246 milliards d'euros dont plus de 700 millions d'euros d'investissement, plus de 500 millions d'euros de coûts de financement et moins de 2 milliards d'euros de coûts de fonctionnement.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Que se passera-t-il pour les poids lourds étrangers en fraude ou qui refusent d'acquitter la taxe ? Existe-t-il des accords spécifiques au sein de l'Union européenne ? Pour les entreprises françaises, le non-paiement de la taxe ou de l'amende entraînera-t-il automatiquement des poursuites judiciaires ? Des négociations avec le ministère des finances seront-elles possibles ?

M. Antoine Seillan . - La réponse relève de la direction des douanes.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - A-t-il été envisagé de scinder en deux parts la contribution économique territoriale (CET), ancienne taxe professionnelle, auquel sera soumise Écomouv', puisqu'une partie de son activité relèvera d'une activité régalienne ?

M. Antoine Seillan . - Je n'ai pas connaissance de demande d'Écomouv' en ce sens.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Ce sont les élus locaux qui en seraient saisis.

M. Vincent Capo-Canellas . - Votre service n'a pas émis de remarque particulière sur la passation du contrat et sur les équilibres économiques du projet. Est-ce bien exact ?

M. Antoine Seillan . - C'est exact.

M. Vincent Capo-Canellas . - Vous avez évoqué une perte annuelle de 680 à 700 millions d'euros. Pouvez-vous confirmer qu'en cas de résiliation, il s'y ajouterait un coût supplémentaire de 800 à 900 millions d'euros ? Vous avez indiqué que la résiliation amènerait à « réinterroger les objectifs de la politique publique des transports ». Pouvez-vous développer ? La suspension placerait l'Afitf dans une situation dramatique, il me semble ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Qui paie le loyer d'Écomouv', l'État ou l'Afitf ? Qui supportera le coût de la résiliation ?

M. Antoine Seillan . - Les circuits budgétaires sont déterminés par les termes de la convention de financement.

En année pleine, tous réseaux confondus, le rendement brut attendu de l'écotaxe, avec un barème de 13 centimes par kilomètre, est de 1,15 milliard d'euros. Les douanes reverseront 150 millions d'euros aux collectivités territoriales au titre des recettes tirées de la circulation sur leurs 5 000 kilomètres de routes. L'Afitf bénéficiera du solde de la recette de la taxe. Elle versera par voie de fonds de concours au programme 203 les sommes nécessaires au paiement des loyers, soit 280 millions d'euros TTC. Le contrat de la taxe poids lourds est signé par l'État, dès lors seul l'État, et non l'Afitf, peut payer cette dépense. La recette nette disponible pour l'Afitf s'élèvera au moins à 700 millions d'euros.

La convention de financement a donc conduit l'État à inscrire par voie de fonds de concours 3,410 milliards d'euros TTC en autorisations d'engagement dans la comptabilité du ministère des transports. Ce montant repose sur une estimation du coût du contrat de 3 326 millions d'euros, initialement majorée de 84 millions de provision pour couvrir une éventuelle variation des taux. Cette provision n'ayant pas été utilisée puisque les taux avaient baissé au moment où le contrat a été « closé », la somme des loyers ressort in fine à 3 246 millions d'euros TTC.

M. Jean-Pierre Sueur . - Vous voulez dire clos, ou clôturé ? Je proteste contre l'utilisation de mots étrangers alors qu'existent des termes français. En tant que représentant du ministère du budget, vous pourriez vous gendarmer !

M. Antoine Seillan . - Je prends bonne note de la remarque.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Qui va vérifier les factures ? L'Afitf ne dispose pas de la structure idoine.

M. Antoine Seillan . - Le loyer est payé par le ministère des transports. Il lui appartient de faire les vérifications. La dépense est soumise au contrôle budgétaire classique.

J'en viens à la question d'une éventuelle résiliation. Des discussions sont en cours entre l'État et Écomouv' afin de préserver les intérêts de toutes les parties au contrat et d'éviter que les banques actionnent les clauses d'exigibilité. Les estimations du coût de la résiliation varient selon que l'on ajoute ou non la perte de recette pour l'Afitf, selon qu'elle serait prononcée pour faute ou pour motif d'intérêt général et qu'elle interviendrait avant ou après la mise à disposition. Après celle-ci se déclenche le mécanisme de la créance Dailly, créance cédée qui met l'État dans l'obligation de payer cette dette, soit en une fois, soit de manière lissée, ce qui serait plus cher, mais sur ce point je m'en remettrai à mes collègues du ministère des transports. Dans la situation de référence, la recette brute attendue pour l'Afitf est de 800 millions d'euros, ce qui correspond, après versement du loyer, à une recette nette en 2014 de 530 millions d'euros. Le montant n'est pas celui que j'ai donné précédemment car, la première année, les recettes sont perçues sur dix mois.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Cela signifie-t-il qu'Écomouv' bénéficie d'une ligne de trésorerie de deux mois financée par l'État ?

M. Antoine Seillan . - Le transporteur dispose d'un mois pour verser la taxe. La recette est ensuite constatée avec un décalage. Mais ce décalage joue seulement au démarrage, les années suivantes il y aura douze mois de recettes et douze mois d'écotaxe.

Dans le cas d'un report d'un an, il n'y aura pas de recette pour l'Afitf en 2014, ce qui entraînera une perte nette de 530 millions d'euros. Le loyer pourrait être réduit par rapport au montant normal de 270 millions d'euros, car certaines charges liées à l'exploitation ne seront pas dues en totalité ; le loyer pourrait être de 150 millions d'euros à 220 millions d'euros. Par rapport à la situation de référence, les pertes totales seraient comprises entre 680 et 750 millions d'euros.

Dans le scénario de l'abandon définitif, le coût pourrait aller jusqu'à 900 millions d'euros. Cela inclut l'indemnité et le remboursement de la dette « Dailly ». Il faut y ajouter la perte de recette de l'Afitf.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Sur quel programme budgétaire s'imputerait le coût de la résiliation ? Cela n'apparaît pas sur le budget des transports terrestres.

M. Antoine Seillan . - Je n'ai pas de réponse à cette question. Pour le programme 203, l'ensemble des crédits budgétaires représente 3,6 milliards d'euros en 2014. Vous comprenez que les indemnités de résiliation ne sont pas absorbables par ce seul programme.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Il faudra tenir compte, dans les calculs, de la TVA qui revient à l'État et réduit le coût global. Cela fait quand même 50 millions d'euros.

M. Jean-Pierre Sueur . - Monsieur le directeur, j'ai été très surpris que vous ne puissiez apporter de réponse à la question de Mme le rapporteur sur l'écart entre l'estimation initiale du coût du projet et son coût réel. Un représentant de la direction du budget ne sait pas expliquer les raisons d'une inflation de 520 millions d'euros ? Soit l'évaluation de départ est nulle, soit il y a eu une dérive. Nous faisons confiance à la direction du budget mais il est impossible d'entendre que l'on est passé d'un coût estimé de 231 millions à un coût de 650 millions sans davantage d'explication. Je vous interroge donc à nouveau. Pensez-vous que l'évaluation de départ est nulle ? Si elle est crédible, qu'elles sont les raisons de l'évolution ?

Vous dites avoir reçu les documents de la Mappp. Je vous remercie de les produire et de les analyser. Je sais d'expérience que la Mappp oeuvre en faveur des PPP et fait des évaluations sujettes à caution. Ses rapports sont à mon sens discutables. Vous êtes sans doute conscient de ces difficultés et je voudrais entendre votre appréciation sur les documents qui vous ont été transmis.

Vous avez participé au dialogue compétitif. Les cinq candidats ont pu proposer des modifications du projet : les propositions retenues ont-elles été transmises aux autres candidats ? L'État a-t-il statué à chaque étape sur ces propositions ou seulement à la fin du processus ? Des échos contradictoires nous sont parvenus. Le principe d'égalité des candidats a-t-il été respecté à chaque étape ?

M. Antoine Seillan . - Je ne suis pas en mesure de vous répondre aujourd'hui sur l'écart entre les estimations et le coût réel.

M. Jean-Pierre Sueur . - Il s'agit d'argent public, la dépense est multipliée par trois et vous ne pouvez l'expliquer ! Vous n'avez aucune idée des raisons pour lesquelles le budget est monté de 231 à 650 millions d'euros ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Ce n'est pas la Mappp qui a réalisé l'évaluation préalable.

M. Jean-Pierre Sueur . - Elle en dit beaucoup, toutefois !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Dans son deuxième rapport, celui du 13 octobre 2011, la Mappp formule des remarques, assez désagréables, qui n'ont pas été prises en compte. Savez-vous pourquoi ? Savez-vous aussi pour quelle raison il a été demandé à la Mappp de rendre un avis dans des délais aussi brefs ?

M. Antoine Seillan . - Il ne m'appartient pas de porter une appréciation sur le travail de la Mappp. J'ai eu connaissance de sa note, qui est confidentielle, dans les jours précédant la signature du contrat. De mémoire, des réunions de travail ont été organisées avec les douanes et l'équipe compétente du ministère des transports. Il en est ressorti que les observations de la Mappp n'étaient pas de nature à empêcher la signature du contrat. D'ailleurs, elle a in fine donné un avis favorable à l'opération.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Elle a formulé des réserves importantes, notamment sur le suivi du contrat, mais n'a eu aucun retour. Je souhaite vraiment que vous nous donniez des éléments de réponse sur ces sujets.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Lors de son audition, M. François Bergère a déploré qu'il n'ait pas été tenu compte des réserves de la Mappp.

M. Antoine Seillan . - Je ne suis pas en mesure de vous donner des informations sur le délai qui a été laissé à la Mappp pour se prononcer. Sur le dialogue compétitif, j'ai participé à trois réunions de la commission consultative des offres, celle-ci a examiné des dossiers précis et charpentés ; je n'ai aucun élément qui me conduirait à douter de la transparence de la procédure.

M. Jean-Pierre Sueur . - Disposez-vous de documents qui rendent compte de ce dialogue compétitif ?

M. Antoine Seillan . - Non.

M. Jean-Pierre Sueur . - Madame la présidente, j'ai déjà posé la question à trois reprises et personne ne peut fournir de document ! Comment savoir si les propositions de modification technique retenues par la puissance publique ont bien été transmises aux autres ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous tenons le plus grand compte de votre demande, monsieur le président. Le secrétariat de la commission prépare une chronologie précise. Je vous suggère de venir à l'audition de M. Daniel Bursaux. Il sera le mieux placé pour répondre à votre question.

M. Antoine Seillan . - Dans nos archives, en tant que membre de la commission consultative, nous conservons les dossiers de la mission de la tarification, les présentations des candidats devant la commission et les relevés de conclusions de ces trois réunions.

M. François Grosdidier . - Je souhaiterais clarifier les calculs aboutissant au montant du préjudice à réparer, en considérant à la fois le préjudice subi par Écomouv' et le manque à gagner pour l'Afitf et pour les départements, dans le cas d'une suspension d'un an de l'écotaxe et dans le cas d'une résiliation. Les 800 ou 900 millions d'euros correspondent au coût du préjudice à réparer sans aucune perte d'exploitation en cas d'abandon définitif, n'est-ce pas?

M. Antoine Seillan . - C'est la situation dans laquelle le contrat est résilié et où il est nécessaire d'indemniser le titulaire et de rembourser la dette.

M. François Grosdidier . - Quelle est la part des investissements et celle de l'indemnisation due à la rémunération dont Écomouv' serait privée ? Comment se calcule l'indemnisation du manque à gagner ?

M. Antoine Seillan . - Cela dépend des clauses du contrat, qui relèvent du secret commercial. Des négociations sont en cours...

M. François Grosdidier . - Oui, mais en cas d'échec des négociations ? En cas de contentieux ?

M. Antoine Seillan . - Je me place dans la situation actuelle où Écomouv' discute avec les équipes du ministère des transports et des douanes. Je ne peux dévoiler ces éléments.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Il existe deux cas de résiliation, pour faute et pour motif d'intérêt général.

M. François Grosdidier . - J'allais y venir. Ce qui nous intéresse pour l'instant, ce n'est pas la cause de la résiliation, mais le montant que l'État et l'Afitf ne recevront pas, et le montant du préjudice établi. J'aimerais savoir quels sont les investissements qu'Écomouv' a faits pour rien, quelle rémunération l'entreprise aurait pu avoir globalement et quelle marge elle aurait pu dégager, une fois les coûts de fonctionnement soustraits de la rémunération.

Comment une éventuelle faute est-elle appréciée ? Une décision du Gouvernement est-elle d'intérêt général par nature ou bien le juge peut-il refuser de considérer comme d'intérêt général la non-application de la loi sur l'écotaxe ? Peut-il y voir une faute de l'État ? Si la décision gouvernementale peut juridiquement être considérée comme une faute, cela modifie-t-il le montant de l'indemnisation ?

Dès lors que les investissements ont été faits, ils sont acquis. J'aimerais toutefois en connaître les montants réels, car Écomouv' affirme avoir investi 500 millions d'euros, quand l'État n'a rien déboursé. Juridiquement et techniquement, ces investissements sont-ils transférables, peuvent-ils être exploités directement ?

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Normalement oui, puisque le contrat mentionne qu'au bout de dix ans, toute la technologie est transférée à l'État.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Restons sur la première question qui est au coeur de notre enquête. M. Seillan, souhaitez-vous répondre à cette question en audition à huis-clos ? Ou bien n'avez-vous aucun élément à nous transmettre ?

M. Antoine Seillan . - Je dispose de chiffrages. Sur la mécanique fine contractuelle, je ne suis pas le meilleur spécialiste. Je ne voudrais pas anticiper sur des arguments qui pourraient être avancés dans les discussions.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Les chiffrages nous intéressent.

M. François Grosdidier . - Dans le débat public, il y a eu un certain nombre de critiques contre les PPP et la passation de ce contrat, postérieurement à l'annonce par le Premier ministre de la suspension de l'écotaxe. Avez-vous eu connaissance dans votre administration de demandes d'éclaircissements émanant de l'exécutif ? Y a-t-il eu un questionnement sur ce PPP, dans l'année, les semaines, les jours voire les heures qui ont précédé la suspension ?

M. Antoine Seillan. - Il y a eu, en un an, plusieurs réunions interministérielles, comme il est naturel sur un sujet sensible. Sous l'égide du cabinet du Premier ministre, elles ont consisté à prendre note de la progression de la procédure, à faire le point sur son déroulement et à évaluer la date possible d'entrée en vigueur du dispositif.

M. François Grosdidier . - Ce n'était pas ma question. Je voulais savoir s'il y avait eu des demandes d'éclaircissement sur des points contestables, concernant le PPP ou la conclusion du contrat.

M. Antoine Seillan. - Pas à ma connaissance, mais peut-être des questions ont-elles été posées à d'autres administrations qu'à la direction du budget.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - A posteriori , comment trouvez-vous ce contrat ? Est-il trop cher ? Quels sont vos critères pour l'évaluer ? On entend beaucoup dire qu'il est très cher.

M. Antoine Seillan. - C'est la question autour de laquelle nous tournons, collectivement...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Il y a le loyer, mais il y a aussi le tarif de l'écotaxe. Nous ne nous sommes pas encore intéressés à la question : comment ce tarif a-t-il été fixé ? Il est capital de savoir comment le produit final a été déterminé : quand on parle de 20 % en disant que c'est cher, c'est par rapport à l'assiette de l'écotaxe. Comment l'écotaxe a-t-elle été déterminée ? Enfin, quelle est la position de la direction du budget sur la participation d'entreprises publiques au consortium ?

M. Antoine Seillan . - J'ai essayé de répondre tout à l'heure sous l'angle de la comparaison internationale, en montrant que notre situation n'était pas aberrante par rapport à d'autres pays. La comparaison a cependant ses limites, j'en conviens, car nous n'avons pas les mêmes réseaux, ni le même usage de ceux-ci.

On peut se demander si le contrat était cher par rapport à ceux que proposaient d'autres candidats, mais le coût global de l'offre n'était que l'un des six critères fixés. Le candidat choisi in fine présentait la meilleure combinaison des critères, parmi lesquels le coût. Par rapport à d'autres PPP, la comparaison reste difficile, car les technologies sont différentes. Entre un PPP de Voies Navigables de France qui consiste à substituer des barrages automatiques à des barrages manuels ou un PPP portant sur des lignes à grande vitesse, il est difficile de dire, en termes absolus ou relatifs, lequel est cher ou non.

On peut apprécier la question du coût par le taux de rendement interne pour l'actionnaire, mais dans ce cas il faut prendre en compte le profil de risque de l'affaire. Or, le risque lié au caractère innovant de la technologie employée peut être considéré comme supérieur à celui que représente le déploiement d'une technologie connue, de type ligne à grande vitesse (LGV) par exemple. Sur la question de la cherté du contrat, je ne peux répondre autrement qu'en posant ces pièces de puzzle.

Il n'est pas illégitime que des entreprises publiques comme la SNCF ou Thales participent à ce consortium. Ce ne sont pas des entreprises conduites de manière administrée, au sens ancien du terme, leur management est responsabilisé sur la rentabilité des opérations qu'ils choisissent, sous le contrôle du conseil d'administration. Je n'ai pas de souvenir qu'il y ait eu au conseil d'administration de la SNCF une quelconque réserve sur la participation de l'entreprise.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je souhaiterais avoir les délibérations des conseils d'administration de ces entreprises concernant ce point. Quels étaient alors les représentants de l'État ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente. - Jusqu'à quand pensez-vous que la suspension soit tenable, budgétairement ?

M. Antoine Seillan. - Dans l'immédiat, nous nous concentrons sur le budget 2014 à présenter au conseil d'administration de l'Afitf le 6 février prochain, auquel s'ajoutera une clause de revoyure en fonction de l'évolution des dépenses de l'agence. Les travaux sont en cours. Il y aura une auto-assurance de la part du ministère des transports, un effort sur les dépenses. Un scénario de report durable ou d'abandon constitue une remise en cause majeure de la trajectoire financière sur laquelle repose la politique des transports. Cette trajectoire est issue des travaux conduits par M. Philippe Duron dans le cadre de la commission « Mobilité 21 », qui a effectué un important travail de hiérarchisation entre tous les projets du schéma national des infrastructures de transport (Snit). Deux scénarios ont été proposés au Gouvernement, qui a choisi le deuxième, c'est-à-dire le plus ambitieux. S'il manque à l'Afitf 800 millions d'euros, c'est une remise en cause de la trajectoire, d'autant que les plus hautes autorités de l'État ont décidé 50 milliards d'euros d'économies sur le prochain budget triennal. Les dépenses de l'Afitf varient selon les années entre 1,9 milliard et 2,1 milliards d'euros.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Avec un encours très important ...

M. Antoine Seillan. - 16 milliards d'euros de reste à payer. Ce n'est pas complètement étranger aux PPP.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - On va prendre du retard sur le TGV !

M. Antoine Seillan. - L'Afitf devra payer en 2017, lors de la livraison de ces PPP : le contournement de Nîmes-Montpellier, la LGV Bretagne-Pays de Loire. Aujourd'hui, cela ne pèse pas sur sa dépense. Les dépenses de l'Afitf se répartissent entre environ 700 millions d'euros pour le réseau routier, 300 à 400 millions d'euros pour les grands projets de lignes à grande vitesse, 145 millions d'euros en 2012 et 190 millions d'euros en 2013 pour les appels à projets de transports en commun en site propre, 400 millions d'euros pour les contrats de projets État-régions (CPER) hors projets routiers, le fluvial, le ferroviaire, les transports en Île-de-France, et 100 millions d'euros pour d'autres dépenses sur le domaine maritime et les transports combinés.

En outre, le Gouvernement a décidé de financer par tranches de 100 millions d'euros par an le renouvellement du matériel roulant des trains d'équilibre du territoire (TET) à partir de 2014. Nous devons nous demander quelle hiérarchie établir entre régénération du réseau existant et développement de lignes nouvelles, entre flux de paiement au titre des engagements passés et engagements nouveaux.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Je vous interromps en sortant un peu du rôle de cette commission, mais l'Afitf aujourd'hui apparaît comme un engin mystérieux. Il me semble que tout est fait pour occulter les choses. Si la taxe était affectée directement au budget de l'État, la situation serait plus claire et nous pourrions éviter ces contorsions : on tente de nous faire croire que tout va s'arranger, mais ce n'est pas le cas. Je sens beaucoup d'inquiétudes.

M. Antoine Seillan . - Vous abordez la question de la transparence des flux de financement de la politique des transports. Vous connaissez l'appréciation de la Cour des comptes sur l'Afitf : une source de complexité des flux financiers, mais aussi un moyen de flécher des recettes sur une politique publique.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Sauf qu'il ne reste plus grand-chose à flécher ! Sauf un déficit !

M. Antoine Seillan . - Si l'on regarde les autres recettes fiscales dont bénéficie l'Afitf, les perspectives d'augmentation sont faibles pour les radars, la taxe d'aménagement du territoire est encadrée par la directive « Eurovignette », la redevance domaniale a déjà augmenté l'an dernier de 100 millions d'euros... Et c'est à peu près tout.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Y aura-t-il compensation pour les collectivités territoriales en 2014 ? Dans les départements, on s'en inquiète !

M. Antoine Seillan. - Je l'ignore.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Certains ont souligné que taxer le trafic sur une partie du réseau routier aujourd'hui gratuit allait entraîner un report vers les autoroutes concédées. Qu'en pensez-vous et comment cela affectera-t-il le budget de l'Afitf ? Y aura-t-il une augmentation de la recette prévue pour l'État ?

M. Antoine Seillan . - Je ne sais pas mesurer le report modal, car je ne suis pas économiste. Le report du trafic du réseau routier non concédé vers le réseau concédé est une éventualité.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Il peut y avoir un effet d'aubaine - tant qu'à devoir payer, les camions préfèreront prendre l'autoroute.

M. Francis Grignon . - Nous avons examiné en commission une proposition de loi communiste pour nationaliser les autoroutes : cela règlerait le problème ! Plus sérieusement, le manque à gagner net pour l'État est de 530 millions d'euros en 2014. Quel est-il pour les collectivités ? Celles-ci sont partie prenante à deux niveaux : elles profitent du système et fournissent les terrains pour construire les portiques. Y a-t-il un risque qu'elles puissent un jour être appelées en responsabilité ?

M. Antoine Seillan . - Je n'ai pas d'éléments sur la responsabilité éventuelle des collectivités. Quant à la perte financière pour les collectivités locales, elle devrait représenter, la première année, approximativement, dix douzièmes de 150 millions d'euros.

M. Vincent Capo-Canellas . - Y a-t-il un système de compensation pour les départements ? Ils attendaient une recette : l'État n'est-il pas tenu de compenser son absence ?

M. Antoine Seillan. - Cela ne fait pas partie des scénarios que nous examinons. Je n'ai pas connaissance d'une telle disposition.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Une chose est sûre : il n'y a rien dans la loi de finances ! Nous vous avons interrogé longuement. Merci, monsieur Seillan, de vos réponses.

Audition de Mme Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et droits indirects (DGDDI) au ministère de l'économie et des finances, M. Dariusz Kaczynski, sous-directeur des droits indirects, Mme Anny Corail, chef de la mission taxe poids lourds, et MM. Jérôme Fournel, ancien directeur général des douanes et droits indirects (DGDDI), et Henri Havard, ancien sous-directeur des droits indirects (Mercredi 29 janvier 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous souhaiterions qu'au cours de cette audition ouverte à la presse, vous nous présentiez le rôle qu'a tenu la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) lors de la mise en place de l'écotaxe. Vos observations ont-elles été prises en compte ? Contredisaient-elles celles la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) ? Pourquoi l'État a-t-il intégré dans le contrat de partenariat à la charge du prestataire les missions d'exploitation qui relèvent plutôt de missions de souveraineté, notamment le recouvrement de la taxe ? Quels moyens les douanes ont-elles mis en oeuvre dans le cadre de l'exécution du contrat ? Enfin, pourriez-vous nous dire où en est l'exécution des engagements de l'État et de la société prestataire ?

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Hélène Crocquevieille, M. Dariusz Kaczynski, Mme Anny Corail, M. Jérôme Fournel et M. Henri Havard prêtent successivement serment.

Mme Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et droits indirects . - Le projet de taxe poids lourds a vu le jour en Alsace du fait de l'entrée en vigueur en Allemagne le 1 er janvier 2005 de la LKW-Maut, taxe qui a entraîné un report de trafic sur le réseau routier français. Initialement, la douane n'a pas participé à l'instauration en Alsace de la taxe expérimentale, créée dans le code des douanes par un amendement d'origine parlementaire à la loi du 5 janvier 2006 qui avait été adopté contre l'avis du Gouvernement. Depuis, notre avis a été sollicité sur les principes de la taxe, la mise en oeuvre des dispositions fiscales de collecte et de contrôle, les modalités et les outils de contrôle et le contrôle du prestataire commissionné.

La douane a été associée aux travaux préparatoires pour mettre en place la taxe en mai 2006. Elle a participé aux travaux législatifs sur la modification de l'expérimentation alsacienne, qui ont abouti dans la loi de finances rectificative pour 2006. Les différents travaux, au cours de l'année 2006, portaient sur le choix de l'externalisation. Des discussions ont eu lieu pour étendre l'expérimentation alsacienne à l'ensemble du territoire : s'agissait-il d'une taxe ou d'une redevance en droit français, alors qu'au sens communautaire, il s'agit dans tous les cas d'un péage ? La direction de la législation fiscale et la direction des affaires juridiques de Bercy ont rapidement conclu qu'il ne pouvait s'agir que d'une taxe, car seuls les véhicules de transports de marchandises y sont assujettis et le produit de la perception n'est pas affecté exclusivement à l'entretien des routes.

Dès lors qu'il s'agissait d'une taxe, pouvait-on confier sa collecte à un prestataire externe ? Pour le faire en interne, il aurait fallu des moyens et des effectifs que la douane ne possédait pas. Cette difficulté a été signalée dès 2006 au ministre du budget lors de l'expérimentation en Alsace. Elle était décuplée pour une application nationale.

L'interopérabilité des systèmes de télépéage routiers communautaires adoptée en 2004 et applicable à partir de 2007 pour tout nouveau dispositif de péage s'imposait à nous, alors que les Allemands y avaient échappé. Avoir un dispositif interopérable imposait de fortes contraintes juridiques et techniques. Ainsi, un contrat doit être signé entre le percepteur de péage (la douane) et chaque prestataire de service européen de télépéage (SET) - en France, nous parlons de sociétés habilitées fournissant un service de télépéage (SHT). La nature du contrat entre la douane et des sociétés privées installées dans les divers pays européens posait également de grandes interrogations et difficultés. Quel droit et quelle juridiction devaient être retenus ? Comment contrôler la bonne exécution des contrats dans un autre État membre ? La multiplicité des contrats entraînait une dispersion des garanties de paiement. Le contrôle sur la perception de la taxe n'était pas non plus assuré. En effet, en application de la directive interopérabilité, il appartient à la SHT, ou à la SET, d'établir la liquidation de la taxe. Or les SHT ne sont pas nécessairement établies en France et la douane n'a aucun pouvoir de contrôle en dehors des frontières nationales.

Pour la douane, il était indispensable de désigner un interlocuteur unique faisant l'interface avec tous les sous-traitants afin d'éviter les dissolutions et les reports de responsabilité entre les prestataires - c'est un point fondamental du dispositif avec le prestataire.

Le périmètre de ces missions restait à définir. Il fallait donc s'assurer au préalable que l'externalisation était juridiquement possible. Par une lettre que j'ai signée en avril 2007, la direction du budget a demandé l'avis de la direction des affaires juridiques et de la direction de la législation fiscale. Suite à leur réponse favorable émise en juillet 2007, mais sous certaines conditions, le Conseil d'État a ensuite été saisi pour avis sur l'externalisation en novembre 2007. La section des finances a rendu un avis fondamental et fondateur sur le dispositif le 11 décembre 2007 : aucun principe de valeur constitutionnelle ne s'oppose à ce que le législateur confie à un prestataire privé les missions de collecte et de recouvrement, sous réserve que cet organisme soit placé sous le contrôle de l'État, que soient constituées des garanties de reversement des sommes facturées et que l'exécution du service public soit assurée dans le respect des règles comptables ; en revanche, les missions purement régaliennes (recouvrement forcé, contrôle physique, sanctions) relèvent exclusivement de l'État.

La douane a ensuite participé aux discussions sur le choix d'un contrat de PPP, ainsi qu'au benchmark dans les différents pays, et les équipes ont poursuivi leurs travaux en Allemagne, en Autriche, en République tchèque et en Suisse, pays qui avaient déjà mis en place des dispositifs de télépéage. La douane a contribué à l'évaluation préalable de différents montages contractuels. La maîtrise d'ouvrage publique dans le cadre d'un marché public global était la seule alternative possible puisque le marché alloti a été écarté compte tenu de la multiplicité des interlocuteurs qu'il aurait fallu mobiliser. La délégation de service public a été également rapidement mise de côté, le critère de rémunération lié aux résultats d'exploitation n'étant pas cohérent avec le dispositif. Le contrat de partenariat reposant sur l'article 2 de l'ordonnance du 17 juin 2004 a donc été choisi, car ces contrats ne peuvent être conclus que si, au regard de l'évaluation, compte tenu de la complexité du projet, la personne publique n'est pas en mesure de définir seule et à l'avance les moyens techniques répondant à ses besoins ou d'établir le montage financier ou juridique du projet. Compte tenu de la complexité du projet, il apparaissait difficile de déterminer a priori et de manière définitive les besoins. Le critère de complexité technique pouvait être assez légitimement invoqué, en raison de la nature, de l'envergure du projet et de son caractère novateur. En outre, le réseau taxable était important et très hétérogène, et l'État ne disposait pas de réelle base de comparaison par rapport à d'autres dispositifs installés en France. Le réseau allemand étant composé presque exclusivement d'autoroutes, l'identification du linéaire est un peu plus simple. Enfin, le projet se devait de rester technologiquement neutre lors de l'appel à candidature, il était donc ouvert tant aux solutions satellitaires qu'aux ondes de courte portée, dites DSRC.

Une complexité également juridique, puisque le montage juridique et financier pouvait être fortement influencé par la solution technologique proposée par les candidats. En outre, les relations juridiques entre le prestataire et les SHT n'étant pas encore définies précisément, elles devaient être précisées lors du dialogue compétitif, préalable indispensable à la définition plus fine des besoins de l'État d'un point de vue technique et juridique.

Les ministères du budget et de l'environnement ont ainsi saisi la mission d'appui aux partenariats public-privé (Mappp) qui a émis un avis favorable le 12 février 2009, conformément à l'article premier de l'ordonnance de 2004.

Les douanes ont également participé à la rédaction de l'article 153 de la loi de finances initiale pour 2009 qui a instauré le dispositif de taxe poids lourds en France. Le vice-président du Conseil d'État, conscient de l'importance de la décision d'externalisation, a demandé lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2009, au Conseil d'État, un vote solennel de son assemblée générale. Les débats ont été serrés, mais le vote a été positif.

Une réunion interministérielle du 13 février 2009 avait décidé de confier la procédure de dévolution du contrat au ministère de l'écologie représenté par la DGITM, mais elle avait précisé que la DGDDI devait être étroitement associée à toutes les phases de la procédure dans la mesure où il lui appartiendrait de mettre en oeuvre la collecte et le contrôle de la taxe. Le pilotage de la procédure a été confié à un directeur de projet choisi par les deux directeurs généraux : M. Antoine Maucorps est rattaché formellement au ministère des transports ; il est également le chef de la mission de la tarification au sein de la DGITM. Il est assisté de deux adjoints, M. Olivier Quoy représentant la DGITM, et Mme Anny Corail, responsable de la mission taxe poids lourds de la douane (MTPL) à la DGDDI. Cette mission relève du sous-directeur chargé des droits indirects et elle est exclusivement dédiée au projet. Chargée du pilotage et de la coordination de tous les travaux menés pour la mise en oeuvre de la taxe poids lourds, elle s'appuie sur l'expertise ponctuelle des services juridiques et informatiques de la douane. Il s'agit bien d'un projet transversal. Un comité directeur « taxe poids lourds », interne à la direction générale, réunit les services de la douane en tant que de besoin.

Des cabinets de conseil ont assisté l'équipe projet (sur des sujets techniques, financiers et juridiques) avant la signature, depuis lors, elle est assistée par Cap Gemini. Les échanges dématérialisés entre ces différentes entités ont été cryptés jusqu'à la signature du contrat. Au-delà du secret professionnel prévu à l'article 59 bis du code des douanes, tous les agents ayant participé à la procédure ont signé un engagement de confidentialité.

La douane a participé à chacune des phases de la procédure. Lors de la rédaction de l'avis d'appel public à concurrence, lancé en mai 2009, elle a été entendue sur la modulation des critères, notamment pour obtenir une pondération plus importante du coût global de l'offre. Elle s'est également prononcée lors de la rédaction des spécifications de l'État, de l'élaboration du programme fonctionnel et d'une partie du contrat de partenariat, en particulier sur les aspects relatifs à la collecte de la taxe. Durant le dialogue compétitif, elle a répondu aux questions des candidats sur la collecte et sur le contrôle et participé à toutes les auditions des candidats ainsi qu'à l'évaluation des offres des candidats sur les éléments impactant directement la collecte ou le contrôle de la taxe. Elle a examiné les critères relatifs à la qualité technique du projet et s'est penchée sur la partie garantie fiscale du critère de solidité financière. Enfin, un représentant de la douane a siégé à la commission consultative instituée pour suivre les étapes importantes de la procédure. Cette commission était présidée par un membre du Conseil d'État, M. Roland Peylet, président adjoint de la section des travaux publics : la DGITM y était représentée par des adjoints du directeur général, la DGDDI par l'adjoint du directeur général de la douane. Des représentants de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), du budget et de la Mappp participaient également à cette commission.

La douane voulait s'assurer que les conditions fixées par le Conseil d'État pour l'externalisation des missions de collecte étaient pleinement respectées. Nos demandes de modification ont été prises en compte, parfois après des échanges un peu longs. La rédaction à laquelle nous avons abouti a été globalement satisfaisante. Ainsi en a-t-il été des modalités de délégation des missions de collecte et de contrôle qui constituent la spécificité de ce contrat.

Dès le départ, la douane a voulu concilier deux enjeux différents : ce contrat de partenariat public-privé (CPPP), signé pour le compte du ministre de l'écologie, implique une responsabilité importante pour le titulaire du contrat qui est à la fois maître d'ouvrage et maître d'oeuvre. Ce CPPP suppose également un montage financier spécifique : la société contractante est une SPV ( special purpose vehicle ), société ad hoc sans aucune responsabilité financière et sans effectifs. Ses missions sont toutes déléguées à des sous-traitants qui supportent les responsabilités correspondantes. Enfin, ce CPPP était signé avec une administration autre que celle chargée de la collecte de la taxe et du contrôle du prestataire chargé de ces missions. L'autre enjeu de ce contrat était de mettre en place une commission, décision unilatérale du ministre du budget, délivrée pour couvrir les missions de collecte et de contrôle déléguées afin de garantir la sécurité du dispositif de délégation.

Il était indispensable d'encadrer le dispositif et de fixer des règles de fonctionnement qui pouvaient même aller à l'encontre des principes habituels d'un CPPP. Aussi, après de nombreux échanges avec la DGITM, avec les candidats, après les avis juridiques de la direction de la législation fiscale (DLF) et de la direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy, des discussions avec le pré-rapporteur spécialement désigné par le Conseil d'État pour établir le décret relatif au commissionnement du prestataire privé, après différentes réunions interministérielles, notamment un arbitrage rendu le 4 mai 2010, des précisions importantes ont été apportées aux spécifications de l'État. Il ne s'agit pas à proprement parler de modifications, car cela correspond bien au schéma initial de la douane. En revanche, face aux questions et aux multiples difficultés des candidats, l'État, après avoir tenté d'assouplir ses exigences, ce qui n'a pas été possible compte tenu de l'avis du Conseil d'État, a dû préciser ses spécifications. Ainsi, le périmètre des missions commissionnées a été défini de manière aussi précise que possible. De même, toutes les missions commissionnées devront être réalisées directement et personnellement par la SPV, elles ne pourront pas être renvoyées à d'autres prestataires, les missions confiées ne pourront pas être déléguées, les sites d'exploitation devront être localisés en France, toute personne susceptible de traiter des données personnelles collectées par le dispositif sera comprise dans le personnel agréé par la douane. Ces précisions se sont traduites par la modification du programme fonctionnel : les spécifications relatives aux missions commissionnées ont été remplacées par des instructions précises, intégrées en annexe du contrat.

La loi a été modifiée à plusieurs reprises, et les dispositions concernant la collecte et le contrôle ont été intégrées dans quatre décrets et dix arrêtés. La douane a révisé ou diminué un certain nombre de ses exigences : les échanges avec les candidats ayant démontré que la garantie attendue du prestataire s'agissant de la collecte de recettes, initialement fixée à trois mois, impactait trop fortement le financement du dispositif, partant son coût, elle a été ramenée à un mois.

Le contrat a été signé le 20 octobre 2011 : le cadre juridique a été rédigé en commun par les deux missions (16 décrets publiés, 2 en cours ; 20 arrêtés publiés, 4 en cours). Les travaux menés avec Écomouv' ont été pilotés en fonction des compétences des deux administrations. La MTPL, en liaison avec les autres bureaux, a assuré le pilotage des ateliers de travail avec Écomouv' pour mettre en oeuvre les dispositifs de collecte et de contrôle de la taxe, la définition des outils mis à disposition des agents chargés du contrôle, la détermination des flux échangés entre la douane et Écomouv' (définition des interfaces, des données, du format...).

La MTPL a également participé à l'analyse des documents techniques du dispositif en reprenant les spécifications fonctionnelles générales et détaillées et les procédures opérationnelles. Elle a validé les documents échangés avec les redevables en collaboration avec la mission de la tarification de la DGITM. Elle a participé aux tests de vérification d'aptitude au bon fonctionnement (VABF) et à l'analyse des résultats des tests de vérification de service régulier (VSR).

Le suivi des travaux d'Écomouv' a été réalisé en commun avec un comité d'avancement qui s'est réuni toutes les deux semaines puis à un rythme hebdomadaire au moment des VABF. Régulièrement, des revues de projets ont été dirigées par les deux directeurs généraux et le président d'Autostrade. Pendant ce temps, les travaux menés avec les autres administrations ont également été pilotés par la MTPL : définition des modalités communes de constatation des infractions, notamment pour les autorités de contrôle ; création et informatisation d'un procès-verbal commun ; travaux avec la chancellerie pour la définition des modalités de traitement des poursuites judiciaires par voie d'ordonnance pénale ; définition avec la direction générale des finances publiques (DGFiP) des circuits particuliers d'attribution du produit de la taxe aux collectivités territoriales et de remboursement aux redevables. Ces travaux ont été complétés par ceux qui se sont poursuivis à la DGDDI pour déterminer les besoins en effectifs et moyens, mais aussi les procédures métiers internes à la douane, la création et la mise en place d'un service spécialisé à Metz, des développements informatiques divers, la formation de tous les agents concernés.

Le suivi de la procédure de dévolution et de la construction du dispositif a mobilisé depuis 2009 la MTPL, qui est composée de sept agents, et qui a été soutenue, en fonction des besoins, par des représentants d'autres bureaux en interne à la douane mais aussi par des formateurs de l'École nationale des douanes (dix agents pendant un an). En outre, des équipes, dans les centres informatiques douaniers, ont élaboré en 2013 six télé-services et deux modules.

Lorsque la taxe sera en place, les effectifs de la douane assureront l'exercice des missions régaliennes (recouvrement de la taxe, traitement du contentieux, recouvrement forcé, contrôle du prestataire commissionné, contrôles manuels). La douane a souhaité créer un service centralisé pour le suivi de la taxe. Elle a rapidement admis qu'il était difficile d'en rester à sa structure régionale (quarante chefs de services comptables et quarante directeurs régionaux) alors que le prestataire de service assurerait une gestion centralisée. La liquidation est réalisée par position tarifaire et les constats peuvent être établis sur les dispositifs de contrôle fixes ou déplaçables répartis sur tout le territoire. Le service unique et centralisé est constitué d'environ 130 agents. Des vacations dédiées dans les brigades de surveillance seront réparties sur les brigades les mieux situées pour réaliser les contrôles dans les zones de stationnement appropriées pour ne pas gêner la circulation et assurer la sécurité des agents. Les contrôles prévus sont évalués à 1 % du trafic : 170 agents ont été attribués à ces brigades.

Les différentes phases du contrat ont fait l'objet d'un suivi régulier en revue de projet : la VABF a été effectuée dans un délai raisonnable eu égard à la complexité du dispositif : environ 1 300 tests ont été réalisés lors des trois VABF.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - À chacune d'entre elles ?

Mme Hélène Crocquevieille . - Oui. La constatation de défauts majeurs a obligé à refaire la même batterie de tests et à reporter les dates.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Pouvez-vous les préciser ?

Mme Hélène Crocquevieille . - La VABF initiale a eu lieu du 8 avril au 14 juin 2013 pour une mise en place de l'écotaxe le 20 juillet 2013. Cette VABF ayant révélé la persistance de défauts majeurs, la mise en oeuvre de la taxe a été reportée au 1 er octobre et une VABF complémentaire est intervenue du 24 juin au 22 août 2013. Des défauts majeurs persistant, l'entrée en vigueur a été reportée au 1 er janvier 2014. La VABF finale, réalisée du 16 septembre au 8 novembre 2013, a constaté qu'il ne restait plus qu'un seul défaut majeur, l'absence d'homologation du système Écomouv' : le prestataire en a été informé le 22 novembre 2013. L'État considère en effet que l'homologation est indispensable pour prononcer la VABF - c'est un point de débat avec Écomouv'.

L'homologation des premières chaînes de collecte et de contrôle a été obtenue par Écomouv' fin décembre 2013 et la VABF a pu être prononcée le 16 janvier 2014. Depuis le 8 octobre 2013, Écomouv' réalisait des tests que l'État a acceptés au titre de la VSR. L'État a prononcé la fin des tests le 17 janvier 2014. Écomouv' a produit le même jour un rapport que l'État a reçu formellement le 20 janvier 2014 et qu'il est en train d'analyser pour vérifier l'absence de défaut majeur et établir, le cas échéant, la liste finale des défauts mineurs subsistants, sachant que cette liste sera transmise à Écomouv'. L'État dispose de deux mois maximum pour établir cette liste. L'absence de défaut majeur permettra de prononcer la mise à disposition.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Peut-il y avoir encore des défauts après la VABF du 16 janvier 2014 ?

Mme Anny Corail, chef de la mission taxe poids lourds . - Il s'agit de défauts apparus pendant les tests de VSR réalisés par Écomouv' et que l'État n'aurait pas vus lors de la VABF.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Des défauts majeurs ?

Mme Anny Corail . - Oui.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Peut-on savoir quelle était la nature de ces défauts majeurs ? Écomouv' n'était pas prête en juillet, ni en octobre 2013 ni même au 1 er janvier 2014. C'est important pour l'analyse des responsabilités des uns et des autres.

Mme Hélène Crocquevieille . - Un défaut majeur empêche la mise en service du dispositif. Il peut s'agir de défauts techniques ou informatiques non encore résolus et pour la correction desquels le prestataire doit intervenir de manière lourde sur le système d'information.

Mme Anny Corail . - Nous avons classé en défauts majeurs tous ceux qui avaient un impact direct sur les dispositifs de collecte, de contrôle et d'enregistrement. Ainsi, l'enregistrement peut être effectué grâce à des bornes automatiques : si celles-ci ne comprenaient pas tout le déroulé de l'enregistrement, elles ne répondaient pas aux conditions fixées dans les arrêtés, c'était un défaut majeur. Même chose pour la liquidation qui doit aboutir à un avis de paiement et à une facture détaillée : si toutes les données requises n'étaient pas correctement remplies, nous considérions qu'il s'agissait d'un défaut majeur.

Mme Hélène Crocquevieille . - L'analyse des tests a fait l'objet d'appréciations contradictoires avec Écomouv'. L'État qualifiait les défauts et suite aux discussions avec Écomouv', certains ont été reclassifiés. Lors de la dernière VABF, Écomouv' a contesté la qualification en défaut majeur de la non-homologation du dispositif.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Ces batteries de tests avaient essentiellement une origine technologique.

Mme Hélène Crocquevieille . - Les défauts portaient sur des difficultés technologiques au moment de la collecte des données ou lors de la liquidation. Des anomalies pouvaient être résolues par une meilleure spécification sur un bordereau.

Mme Anny Corail . - Les systèmes sont assez complexes et dialoguent entre eux : les tests portent, par exemple, sur l'enregistrement et la liquidation. Un défaut dans la conception se traduit par l'absence de telle ou telle donnée sur la facture ou par l'impossibilité de revenir en arrière sans reprendre la procédure au début. Nous avons considéré que le redevable devait disposer d'un outil facile à utiliser : le fait de ne pas pouvoir effectuer certaines opérations constituait un défaut majeur.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Il y a donc à la fois les logiciels et le matériel lui-même. Vous avez sans doute procédé par échantillonnage. Avez-vous testé les dispositifs embarqués fournis par les SHT ?

Mme Anny Corail . - Nous avons regardé si le dispositif fonctionnait. Nous avons effectué des tests avec des équipements embarqués du prestataire commissionné et des équipements embarqués fournis par les SHT. Ensuite, c'est lors de l'homologation que l'on constate si l'outil fonctionne correctement.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - A chaque VABF, combien y avait-il de défauts majeurs ?

Mme Anny Corail . - Une centaine.

M. Henri Havard. - C'est forcément décroissant dans le temps : à la première VABF, il y avait plusieurs dizaines de défauts majeurs. Nous avions par exemple mis des équipements embarqués à bord de camions de nos collègues de la direction interrégionale des routes de l'Est et nous sommes passés sous les portiques pour voir si tout était bien enregistré. Une partie des défauts majeurs tenait parfois moins à la technologie qu'au système informatique, parce qu'une information avait été omise ou ne remontait pas sur les documents comme prévu.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Lors de chaque VABF, combien de tests ont-ils été effectués ?

Mme Anny Corail . - 1 300 tests différents à chaque VABF. Pour l'enregistrement, nous avons testé tous les cas possibles, par exemple un redevable propriétaire, un redevable utilisateur, un conducteur immatriculé en France ou à l'étranger, abonné ou non... Une soixantaine de tests ont porté sur la seule procédure d'enregistrement.

M. Henri Havard . - Par exemple, j'ai testé le scénario de l'immatriculation d'un redevable étranger qui n'avait que le liquide comme moyen de paiement. C'est ainsi que nous sommes parvenus aux 1 300 tests que nous avons regroupés par catégories.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Ce document est-il communicable ?

M. Henri Havard . - Je le suppose.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Avec le recul, Écomouv' était-elle prête ou le prototype s'est-il amélioré avec le temps ?

Mme Hélène Crocquevieille . - Un peu les deux : le dispositif a été construit progressivement et l'appréciation conjointe que nous portions a conduit le prestataire commissionné à adapter son offre et à livrer des corrections de plus en plus proches de la version finale. Il s'agissait bien de livrer à l'État un dispositif en bon état de fonctionnement.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Pouvez-vous revenir sur l'environnement administratif ? Pour que la mise à disposition soit effective, divers textes devaient être publiés. Cela a-t-il été le cas ?

Mme Hélène Crocquevieille . - Il reste deux décrets et quatre arrêtés à publier : depuis l'annonce du Premier ministre, les travaux ont été en partie suspendus, notamment en ce qui concerne l'ordonnance pénale pour laquelle un article devait être inséré en loi de finances rectificative pour 2013, ce qui n'a pas été fait compte tenu du contexte. Les textes règlementaires non encore pris ne sont pas indispensables à la mise en oeuvre de l'écotaxe.

Mme Anny Corail . - Il s'agit notamment d'un texte sur les modalités d'archivage et d'un autre sur l'ordonnance pénale mais pour laquelle il faut prévoir une modification en loi de finances rectificative.

Pour publier ces textes, le système devait être entièrement opérationnel, afin que nous puissions définir juridiquement les obligations des redevables et des prestataires. Pour ces derniers, les travaux avaient déjà été réalisés avec l'aide d'un pré-rapporteur du Conseil d'État afin de bien fixer les missions. Nous avons aussi écrit les spécifications d'abord et l'avancée des travaux nous a montré les précisions qu'il fallait apporter aux redevables.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Avez-vous cessé tout travail normatif  depuis la suspension de l'écotaxe ? L'État ne court-il pas un risque par rapport à cette fameuse mise à disposition ?

Mme Hélène Crocquevieille . - Depuis les annonces du Premier ministre, les travaux pour la finalisation du dispositif se sont poursuivis, dans la mesure où il ne s'agit que d'un report de la mise en oeuvre de l'écotaxe. La rédaction des deux décrets restant se poursuit. Nous nous mettons en position de les publier dès que possible, sauf si des choix politiques nécessitent une évolution législative et la modification de textes déjà publiés. De toute façon, la mise en oeuvre effective de la taxe nécessitera un rétro-planning pour réactiver un certain nombre de travaux, comme ceux prévus avec la Commission nationale informatique et libertés (CNIL).

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Comment évaluez-vous ce rétro-planning ?

Mme Hélène Crocquevieille . - Pour l'informatique, tout sera finalisé. Certes, nous avons desserré les contraintes sur les équipes puisqu'il paraît peu probable que la taxe puisse être réactivée avant la fin de l'année.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - C'est ce qui se dit dans votre administration ?

Mme Hélène Crocquevieille . - Il s'agit d'un avis. À partir du moment où des évolutions législatives seront sans doute nécessaires si l'on devait modifier l'assiette ou le taux de la taxe, il faudra des délais supplémentaires pour réactiver l'écotaxe. Les ministres en ont été informés.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Combien de mois ?

Mme Hélène Crocquevieille . - Entre quatre et six mois.

Mme Anny Corail . - Si nous reprenions la taxe en l'état, il nous suffirait de publier les derniers textes et nous pourrions démarrer. En revanche, en fonction des modifications apportées par la mission parlementaire, il y aura une loi à voter, des décrets et des arrêtés à modifier et vraisemblablement des systèmes informatiques à revoir, tant chez le prestataire commissionné que chez nous. Tout dépendra de l'importance des modifications.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Si l'on réactive l'écotaxe telle qu'elle est aujourd'hui, vous êtes prêts. En revanche, si l'on modifie les choses, il faudra entre quatre et six mois. C'est cela ?

Mme Hélène Crocquevieille . - Tout dépend de la nature et de l'importance des modifications. Nous devrons en tout état de cause réexaminer l'ensemble du dispositif.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Hier, à Metz, on a tenté de m'expliquer la différence entre collecteur et percepteur, en prenant l'exemple de la TVA. Si les commerçants collectent la TVA, ils ne la contrôlent pas, ils ne cherchent pas les dysfonctionnements ni les manquements et, surtout, ils ne sont pas rémunérés pour le faire. Le contexte n'est pas le même. J'aimerais comprendre quelle est la différence entre un collecteur et un percepteur et où se situe Écomouv'. Le Conseil d'État estime qu'il est possible à certaines conditions de confier la collecte à un prestataire privé ; il n'a pas dit pour autant que c'était la solution ni la plus simple. Le recours au partenariat public-privé (PPP) est justifié par la complexité... que nous avons créée. À Écomouv', il existe deux niveaux de contrôle pour relever les dysfonctionnements et un troisième au niveau des douanes. Quelle est l'articulation entre tous ces contrôles ? On nous a également dit que les douanes n'avaient pas d'effectifs suffisants - la révision générale des politiques publiques (RGPP) est passée par là ! Une nouvelle taxe suppose des investissements matériels et humains. N'est-il pas plus cher de les réaliser dans le privé avec ce système d'agrément compliqué et sujet à caution ? Les douanes s'inquiètent de l'interopérabilité et des contraintes européennes. Pourquoi faut-il un contrat entre le percepteur et chaque SHT, pourquoi Écomouv' n'est-elle pas simplement l'interface, l'État reprenant à sa charge la collecte de la taxe ?

M. Éric Doligé . - Nous avons voté un mécanisme censé rapporter 1,2 milliard d'euros. Depuis, tout le monde joue au chat et à la souris ; on multiplie les tests en juin, en août, en septembre, avec à chaque fois des délais de réponse. Cela peut durer longtemps ! Peut-être est-ce la faute d'Écomouv'. Il faudrait lister les derniers défauts majeurs. Si quelques portiques ne fonctionnent pas, ce n'est pas grave, le système pourrait marcher. Les tests ont-ils duré à dessein ? Sont-ils essentiels ? Pourquoi ne pas avoir commencé à faire fonctionner le système avec un premier test qui aurait rapporté quelques centaines de millions d'euros ? Il est toujours possible de corriger une erreur de facturation. Quel est le degré de fiabilité attendu ? Aurait-on pu lancer le dispositif en dépit de petites imperfections, quitte à les corriger en cours de route ?

À la fin de votre exposé, j'étais plus inquiet. Le jeu politique est entré dans le dossier, d'où un report au 1 er janvier 2014, puis une suspension. Sommes-nous prêts, à quelle date le dispositif fonctionnera-t-il ? Le cahier des charges a été revu, Écomouv' a remis une étude, vous avez deux mois pour répondre. Or des responsabilités sont susceptibles d'être engagées, celle d'Écomouv' ou celle de l'État qui demandera peut-être un autre mécanisme, avec un délai de 4 à 6 mois, voire de 11 mois. Chaque mois de retard coûte 100 millions d'euros. Ce n'est neutre ni pour le budget de l'État ni pour celui des collectivités territoriales. L'État a la clef du déblocage des fonds. J'ai l'intention de me retourner contre lui, car les sommes en jeu sont significatives. Nous attendons sa décision. Combien de temps allons-nous encore tourner en rond ? On peut toujours demander d'autres éléments techniques à Écomouv'. Peut-être demandera-t-on aux collectivités territoriales d'imposer un certain niveau de taxe. Est-ce insoluble ? Les collectivités territoriales n'ont-elles plus que leurs yeux pour pleurer ? Quand Écomouv' sera-t-elle prête ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Ils disent être prêts depuis le 16 janvier 2014 !

M. Éric Doligé . - Quand l'État, qui a deux mois pour vérifier, sera-t-il prêt ? Il manque des décrets et des arrêtés. Il risque d'y avoir une procédure judiciaire. Écomouv' mettra en avant que tous les décrets ne sont pas parus. Ces dates sont essentielles. Écomouv' est-elle responsable ? Quand l'État respectera-t-il le cahier des charges ? L'avenir est politique...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Et budgétaire ! N'oublions pas la soutenabilité budgétaire. La recette de l'écotaxe est prévue dans le projet de loi de finances pour 2014. Pour changer la règle, il faut renégocier un avenant avec Écomouv', situation inédite. Je suis inquiète quand vous annoncez que vous ne serez pas prêts avant la fin de l'année et que j'entends qu'aucune compensation n'est prévue pour les collectivités territoriales.

M. Éric Doligé . - Le manque à gagner pour mon département a été de 6 millions d'euros l'an dernier et de dix cette année. J'ai dû refaire mon budget. Cela met les collectivités en déficit. Je poursuivrai l'État.

Mme Hélène Crocquevieille . - Les erreurs se corrigent dit M. Doligé. Encore faut-il que le dispositif soit suffisamment robuste. Or les tests ont révélé des difficultés majeures de fonctionnalité et il ne nous était pas possible de réceptionner en l'état le dispositif. L'État a aussi le souci de l'égalité des contribuables devant les charges publiques. Comment prélever la taxe dans certaines régions et non dans d'autres ? De plus, le contexte laissant anticiper un « comité d'accueil » critique du côté des transporteurs, un haut niveau de qualité était nécessaire, comme prévu par le contrat. En outre, vu les difficultés des transporteurs terrestres, il aurait été inopportun de prélever indûment cette taxe. Pour prononcer la VABF, nous n'avons été guidés que par une approche technique ; nous n'avons procédé à aucune sur-spécification mais avons discuté dans le cadre des procédures et qualifications prévues par le contrat.

D'un point de vue budgétaire, l'absence de mise en oeuvre de cette taxe pèsera sur le budget de l'État et sur celui de l'Afitf en particulier dont il obère la capacité à lancer des travaux...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Et à solder les opérations engagées !

Mme Hélène Crocquevieille . - M. Bernard Cazeneuve a indiqué que le budget 2014 de l'Afitf serait réexaminé pour faire face aux impondérables. Tous les projets ne pourront sans doute pas être menés dans les mêmes conditions. Les conséquences financières se font aussi sentir pour les collectivités territoriales. N'oublions pas non plus les sous-traitants, parfois français, les banques qui ont porté des emprunts, ou les SHT qui ont lancé des investissements. Enfin il y a un coût caché mais réel pour l'administration qui travaille depuis des années à la mise en place du dispositif.

Quand serons-nous prêts ? Si le dispositif n'est pas changé par rapport aux conditions actuelles, hypothèse peu probable, l'État est formellement prêt, quitte à ne pas disposer dans l'immédiat d'une procédure automatisée de gestion des contentieux. En revanche, si à l'issue des travaux de la mission de l'Assemblée nationale, le Gouvernement décide d'évolutions importantes, sur l'identification des contribuables ou du réseau taxable ou sur les conditions d'allègement de la taxe, des modifications législatives seront nécessaires et le contrat avec Écomouv' devra être modifié, ce qui implique de nouveaux délais. Il nous faudrait 4 à 6 mois pour y faire face. Tout relève d'un choix politique, je n'ai pas toutes les réponses.

M. Jérôme Fournel, ancien directeur général des douanes et droits indirects . - Le processus qui a conduit à l'élaboration de l'écotaxe a été marqué par le souci de parvenir à un haut niveau de qualité, préoccupation d'autant plus essentielle qu'il s'agit de fiscalité innovante. Des erreurs de facturation lors de la mise en service auraient mécontenté les contribuables et mis en péril le dispositif.

Le Gouvernement a opéré le choix de l'externalisation en raison de la complexité du dispositif et des contraintes budgétaires. Le Conseil d'État dans son avis initial puis lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2009 a fixé des limites à ne pas franchir. Sur le coup, réflexe de fonctionnaire, je m'interrogeais. Mais avec le recul il m'apparaît que la complexité, inhérente au dispositif, rendait l'externalisation nécessaire.

Le partage des compétences entre Écomouv' et l'État n'est pas simple, parce que le processus est intégré depuis l'enregistrement par des sociétés de télépéage jusqu'à la collecte de la taxe. Nous avons cherché à respecter les garde-fous posés par le Conseil d'État tout en développant l'externalisation. Par exemple, la détection des manquements dépend des outils de détection du prestataire, mais la notification de l'infraction est liée aux procédures de sanction et de recouvrement forcé. Les chaînes de traitement de l'information d'Écomouv' et de l'État sont imbriquées dans un processus intégré et automatisé, ce qui diminue les risques liés à l'existence de deux acteurs. Alors que l'externalisation n'était pas ma tendance naturelle, je crois qu'il n'était pas possible d'internaliser le dispositif.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - L'externalisation n'est-elle pas responsable de l'évolution du coût du projet entre l'estimation de 231 millions d'euros de l'étude préalable et les 650 millions d'euros d'investissements annoncés par Écomouv' ? Quid d'une taxe constatée par Écomouv' mais non versée par le redevable ? Qui la garantit, Écomouv' ou l'État par le biais du recouvrement forcé ? Écomouv' constate les infractions, identifie le véhicule et le redevable. Peut-on engager des poursuites pénales sur ces bases juridiques ?

M. Jérôme Fournel . - Écomouv' constate les manquements, sans les qualifier : ses agents se bornent à détecter les anomalies, de l'ordre du fait.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Pourtant l'absence de dispositif embarqué dans un camion ne relève plus de l'ordre du fait.

M. Henri Havard . - C'est une anomalie. Dans le partage défini par le Conseil d'État, dès lors qu'une force de coercition est requise, on entre dans le champ des compétences de l'État non déléguables.

M. Jérôme Fournel . - Y compris en termes de qualité et de fiabilité. Les appareils enregistreurs appartiennent au prestataire. Si la constatation du manquement relevait de la responsabilité de l'État, il ne serait plus en mesure de mettre le prestataire sous pression pour assurer la qualité et la fiabilité des données qu'il lui transmet. Le prestataire doit être responsable de la constatation du manquement.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Il ne constate pas tous les manquements : la police, la gendarmerie ou les douanes continuent à contrôler dans certains cas.

M. Jérôme Fournel . - Nous sommes allés à la limite des recommandations du Conseil d'État qui a souligné que les contrôles physiques relèvent des prérogatives de puissance publique. Dans ce cas, l'État assure la constatation du manquement et la qualification. Nous avons eu des discussions nourries avec le prestataire pour assurer la qualité des équipements qu'il fournissait. Les premiers dispositifs embarqués ne pouvaient être détectés lorsque le pare-brise était trop incliné. Il incombe au prestataire de livrer des appareils fiables.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - C'est parce que l'option retenue a été celle d'externaliser autant que possible. Ce n'était peut-être pas la solution la plus simple ni la moins onéreuse.

Mme Hélène Crocquevieille . - L'externalisation poussée apparaissait comme la seule manière d'assurer la mise sous tension du prestataire et de parvenir à un système cohérent de responsabilités. Cela aurait été impossible si la délégation avait été incomplète. Sur la base des contrôles automatiques, le prestataire constate des manquements. S'ils correspondent à des infractions, il les notifie aux douanes...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Pour le paiement.

Mme Hélène Crocquevieille . - ... qui dressent le procès-verbal et sont compétentes pour recouvrer les amendes ou les pénalités. Le prestataire notifie aux redevables le montant de la taxe. Si un camion n'a pas de dispositif embarqué, Écomouv' envoie l'information aux services de contrôle douaniers qui consultent le fichier des immatriculations.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Si l'information était envoyée directement aux douanes, le prestataire ne serait pas obligé d'employer un contrôleur et un valideur.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Il s'agit de personnes très qualifiées et polyglottes.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - J'ai confiance dans notre administration qui dispose de grandes compétences. On a créé une fusée à plusieurs étages.

Comment expliquer que le mécanisme, initialement estimé à 231 millions d'euros, dans l'étude préalable, soit désormais estimé à 650 millions d'euros ? Je lis l'étude du ministère de l'écologie de décembre 2008, Tarification de l'usage du réseau routier national non concédé par les poids lourds. Évaluation préalable au contrat de partenariat , p. 38, « synthèse des coûts du dispositif ». Est-ce dû aux exigences du Conseil d'État ? D'où vient cette dérive ? En outre, quelle est l'étendue de la garantie financière d'Écomouv' ? Est-elle limitée aux créances constatées mais non recouvrées ? En l'absence de sanctions financières, comment responsabiliser le prestataire ?

Mme Hélène Crocquevieille . - Dans le cadre du commissionnement du prestataire, l'État s'assure que la taxe due par les contribuables est intégralement reversée. Toutes les garanties prévues sont dues à cette nécessité. Sur l'évolution des coûts, il faudrait interroger la DGITM. Différents chiffres ont pu circuler. Il arrive que l'on obtienne des évaluations différentes selon que l'on utilise des calculs hors taxes ou taxes incluses, en euros courants ou constants, etc.

M. Jérôme Fournel . - Je ne suis pas capable d'expliquer le passage de 230 millions à 650 millions. En tout état de cause, le dispositif étant nouveau, c'est l'appel d'offres et le dialogue compétitif qui ont révélé la vérité des prix.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Vous n'avez pas chiffré les modifications que vous avez demandées ?

M. Jérôme Fournel . - Nous en avons tenu compte dans la discussion même s'il n'y a pas eu de chiffrage mesure par mesure. Certains éléments dans le dialogue compétitif comme le passage de trois mois à un mois en matière de garantie financière ont contribué à diminuer les coûts. Avant l'appel d'offres, nous ne disposions que d'évaluations fondées sur l'exemple allemand, le plus proche par la taille. Les coûts de perception apparaissaient de l'ordre de 25 %. Les évaluations actuelles du coût d'intervention sont inférieures.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Il a bien fallu procéder à une évaluation au départ. A-t-on acheté une Rolls-Royce alors que nous voulions initialement une 4 L ? Les modifications demandées n'ont pas été chiffrées, sinon lors de la remise des offres...

M. Jérôme Fournel . - Il faudrait demander à la DGITM de préciser le périmètre des différentes données, notamment sur le coût de déploiement et de mise en service.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous sommes preneurs des chiffres.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Que se passe-t-il si un camionneur étranger traverse la France sans dispositif embarqué ? A-t-on les moyens d'obtenir le paiement de la taxe due et de l'amende ?

Mme Anny Corail . - On exige d'Écomouv' une garantie pour la taxe facturée, qui concerne les redevables enregistrés et qui utilisent les appareils embarqués. Dès lors que la liquidation est réalisée, Écomouv' doit payer la taxe, qu'elle la récupère ou non. Si le redevable commet un manquement, c'est-à-dire une irrégularité destinée à éluder la taxe, Écomouv' transmet le dossier à la douane, qui la requalifie en infraction, prononce une amende puis procède, le cas échéant, au recouvrement forcé. Un redevable non déclaré, immatriculé en France, peut être retrouvé grâce au fichier des immatriculations des véhicules. Comme ce n'est pas possible pour les véhicules étrangers, nous avons mis en place des contrôles manuels ciblés : nous avons demandé à Écomouv' de nous signaler immédiatement les véhicules étrangers en infraction ; les agents consultent une base qui les recense, contrôlent et ont la possibilité d'immobiliser ces véhicules. Nous cherchons aussi à renforcer l'assistance administrative internationale.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Écomouv' collecte bien l'écotaxe ?

M. Henri Havard. - Oui.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Écomouv' la recouvre-t-elle ?

M. Jérôme Fournel . - Quand c'est amiable.

M. Henri Havard . - Quand il n'y a pas d'exercice du pouvoir de coercition.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - L'écotaxe est-elle une taxe douanière et pourquoi ?

M. Jérôme Fournel . - Il y a eu une époque où les droits indirects n'étaient pas à la douane... Plusieurs éléments plaidaient en ce sens. L'écotaxe est liée aux moyens de transports. De plus la douane collecte déjà la plupart de la fiscalité environnementale et écologique, par exemple la taxe générale sur les activités polluantes. Elle collecte en outre la taxe à l'essieu. Traditionnellement ce rôle de police des marchandises assure un contrôle des flux en mouvement, et nos modes opératoires semblaient adaptés. C'est naturellement que le ministre des transports, puis les parlementaires, se sont tournés vers nous. Lors des travaux de pilotage avec les autres administrations il est apparu que certaines dispositions du droit douanier s'appliquaient facilement, comme la transaction ou l'immobilisation forcée des véhicules.

M. Henri Havard. - La force de la douane est d'établir à la fois l'assiette fiscale et de réprimer les infractions. Grâce à la transaction, on peut faire payer un camionneur étranger en infraction avant de le laisser repartir.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Comment la garantie financière s'applique-t-elle si une entreprise française ne paie pas la taxe ? Qui est responsable ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Écomouv' ! C'est pourquoi ils font payer d'avance.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Et pour un abonné ?

M. Henri Havard. - Selon le Conseil d'État, le prestataire doit les sommes facturées, qu'elles aient été recouvrées ou non. Nous avons demandé ce verrou, inspiré de la garantie de ressources dont bénéficient les collectivités territoriales dès lors qu'un impôt est inscrit sur leur rôle. Cela a été un point de discussion majeur du contrat car en rupture avec la tradition fiscale, le risque de non-recouvrement a ainsi été transféré au prestataire privé.

M. Éric Doligé . - Est-il vrai qu'Écomouv' s'est vu demander d'installer des points d'enregistrement et de paiement tous les trente kilomètres ? C'est très coûteux.

Mme Anny Corail . - En effet. Le droit communautaire interdit les entraves à la circulation et les détours de plus de trente minutes par rapport au trajet. Il faut des points de régularisation nombreux pour les camionneurs.

M. Éric Doligé . - Les autres pays européens appliquent-ils le droit avec la même rigueur, ou bien est-ce une coûteuse spécificité française ?

Mme Anny Corail . - La spécificité française est due à son réseau. En Allemagne le dispositif concerne essentiellement les autoroutes ; outre le dispositif de l'équipement embarqué, l'Allemagne possède une procédure déclarative et il est possible de s'enregistrer sur les zones de repos des autoroutes. Le réseau français concerné comporte surtout des routes à double sens, ce qui rend difficile l'installation de zones d'arrêt pour récupérer l'équipement embarqué.

M. Jérôme Fournel . - La France a fait le choix du tout équipement embarqué, sans système de déclaration manuelle. Cela diminue les coûts qui auraient été liés à un double système de collecte.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Pour éviter les incertitudes juridiques, la Mappp avait préconisé dans son avis du 13 octobre 2011 d'ajouter un paragraphe à l'article 22 du contrat précisant qu'en acceptant la mise à disposition du dispositif à la suite de la vérification de service régulier, l'État reconnaît que les installations ont été réalisées conformément au contrat, ce qui vaut acceptation de la cession Dailly. Les sommes en jeu se chiffrent en millions d'euros. Pourquoi l'avis de la Mappp n'a-t-il pas été suivi ? On en voit les conséquences... Alors que tous les problèmes n'ont pas été réglés, pourquoi l'État a-t-il délivré le 16 janvier 2014 un document qu'il avait refusé à plusieurs reprises? C'est inquiétant.

M. Jérôme Fournel . - Nous avons tenu compte de plusieurs remarques de la Mappp dans le contrat. En effet, et je l'assume, la douane a été pleinement associée au processus et nous avons travaillé en harmonie avec la DGITM. Par ailleurs, le contrat prévoyait, par exemple, un délai d'un mois entre la VABF et la VSR ; en 2012 surtout, dans la volonté de tenir les délais, les administrations ont conjointement accepté d'aller aussi vite que possible pour que le prestataire tienne ses engagements.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Personne en effet n'imaginait que le pouvoir politique suspendrait l'écotaxe ! Je vous remercie de vous être prêtés à cette audition.

Audition conjointe de MM. Antoine Maucorps, chef de la mission de la tarification et Olivier Quoy, adjoint, direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) (Mardi 4 février 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous entendons MM. Antoine Maucorps, chef de la mission de la tarification à la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), et Olivier Quoy, son adjoint.

Il s'agit d'une audition attendue et importante car la mission de la tarification a été désignée, par les précédents auditionnés, comme étant l'interlocuteur clé du contrat Écomouv', côté État. Nous recevrons le 11 février prochain M. Daniel Bursaux, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer. Nous disposerons donc de deux auditions pour essayer de faire le tour des nombreuses questions que nous nous posons.

Je vous invite, tout d'abord, à nous faire une brève présentation du rôle que la mission de la tarification a tenu, en amont dans la mise en place de l'écotaxe poids lourds et le choix du contrat de partenariat, puis dans la procédure de mise en place du contrat - mise en concurrence, dialogue compétitif, négociation des clauses... - jusqu'à la décision de suspension de l'écotaxe.

Nous attendons notamment que vous nous expliquiez clairement quelle est la situation du contrat aujourd'hui, où en sont les négociations avec Écomouv' et quels sont les risques encourus par l'État à la suite de cette décision de suspension.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Antoine Maucorps et Olivier Quoy prêtent serment.

M. Antoine Maucorps, chef de la mission de la tarification . - Je vais d'abord expliquer l'organisation de l'État et le rôle de la mission de la tarification. L'équipe projet pour la conduite de l'écotaxe poids lourds, qui n'est pas une structure administrative, est composée de la mission de la tarification, au sein de la DGITM du ministère de l'écologie, et de la mission taxe poids lourds, au sein de la sous-direction des droits indirects de la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI). Les deux directeurs généraux ont désigné un directeur de projet commun, moi-même. Je suis administrativement rattaché au ministère des transports en tant que chef de la mission de la tarification.

Pour la conduite de ce projet, je dispose de deux adjoints, Olivier Quoy, ici présent, et Anny Corail, chef de la mission taxe poids lourds au sein de la direction générale des douanes, que vous avez auditionnée la semaine dernière. Cette équipe a piloté les études préalables et la procédure d'attribution du contrat avec Écomouv' et pilote aujourd'hui la première phase de ce contrat, qui consiste en la conception et la réalisation du dispositif.

Pour compléter la description de l'organisation, il faut préciser que des cabinets de conseil ont assisté l'équipe projet. Tout d'abord, pendant la phase du dialogue compétitif, avant la signature du contrat, trois conseils différents sont intervenus, l'un technique, l'autre juridique et le dernier financier. Depuis la signature du contrat, un contrat d'assistance globale a été attribué à la société Capgemini.

Je voudrais également fixer quelques points de repères chronologiques. On peut dater le démarrage du projet de la taxe poids lourds au 1 er janvier 2005 puisque c'est l'entrée en vigueur en Allemagne de la LKW-Maut, qui a entraîné un report de trafic sur le réseau routier français, en particulier sur l'autoroute le long du Rhin, en Alsace. Cet événement a conduit à instaurer, mi-2005, par la loi, la taxe poids lourds en Alsace.

Dès 2006, les premiers travaux ont porté sur la nature du prélèvement en droit national. En effet, au niveau communautaire, il n'y a pas d'ambiguïté, il relève du droit des redevances kilométriques, c'est-à-dire de la directive « Eurovignette », comme l'a écrit, dès janvier 2006, la Commission européenne. En revanche, en droit national, la question n'est pas simple. Les analyses conduites pendant l'année 2006 ont toutes rapidement convergé sur le fait que ce devait être une taxe. La nature fiscale découle du fait que seuls les véhicules de transport de marchandises acquittent le prélèvement et qu'il n'est pas exclusivement affecté à l'entretien de la voirie routière. Ce n'est donc pas un péage en droit français.

En 2007, alors que les perspectives d'extension de l'expérimentation se précisent, l'analyse du projet, tant d'un point de vue technique que juridique, conduisent à s'interroger sur la possibilité de confier ou non à un ou plusieurs acteurs privés les missions de collecte et de contrôle de cette taxe. Cette année de réflexion conjointe entre le ministère des transports et la direction du budget se clôturera par l'avis du Conseil d'État du 11 décembre 2007 qui va jeter les bases et le cadre de cette externalisation en l'autorisant sous de strictes conditions.

Se posera alors la question des modalités pratiques de cette externalisation, qui seront inscrites dans la loi de finances pour 2009, votée fin 2008. Ces choix vont résulter de l'analyse menée avec la mission d'appui aux partenariats public-privé - la Mappp -, et conduira au choix de recourir à un contrat de partenariat public-privé (PPP). Néanmoins, ce contrat, comme vous avez pu le constater lors de vos auditions, a certaines spécificités par rapport à d'autres contrats de partenariat ou avec les concessions autoroutières. En particulier, le montant de la rémunération prévisible d'Écomouv' et les conditions de versement de cette rémunération sont indépendants de la mise en oeuvre de la taxe et n'ont pas de lien direct avec le montant de la taxe collectée.

Ces éléments ont été fixés et exposés, dès le début de la procédure, en 2009. Ainsi, l'appel public à candidature du 5 mai 2009 indique que « la rémunération du titulaire du contrat de partenariat sera versée dès la réalisation complète du dispositif de perception et de contrôle de la taxe poids lourds nationale. Cette rémunération pourra être ajustée en fonction de l'évolution de certains paramètres et sera liée à des objectifs de performance, qui seront déterminés par l'État au cours du dialogue compétitif ». Le déclenchement du paiement de la rémunération au partenaire privé a donc été, dès le début, conditionné à la réalisation complète du dispositif. La rémunération apparaît liée, par ailleurs, à des objectifs de performance, qui est le moyen le plus efficace, pour l'État, de s'assurer que le partenaire privé remplira correctement ses obligations contractuelles, et à certains paramètres - le nombre de redevables, le nombre de véhicules, par exemple -, c'est-à-dire des indicateurs reflétant la volumétrie du contrat.

Concernant la technologie utilisée, l'État avait le choix entre la localisation par satellite ou l'utilisation d'ondes à courte portée, ces deux seules technologies étant autorisées par la directive européenne « Interopérabilité ». Les études préalables n'ont pas montré d'avantages certains entre ces deux technologies. Le choix a donc été fait de conduire la procédure de dialogue compétitif sans favoriser l'une ou l'autre de ces technologies, en laissant les industriels, acteurs les mieux à même d'en déterminer les avantages et inconvénients, de proposer dans leur solution celle qu'ils souhaitaient utiliser.

De fait, le choix d'une localisation par satellite s'est fait dans le cadre de l'établissement des offres en 2010.

S'agissant du montant du marché, sur lequel beaucoup de questions ont été posées, nous pouvons rappeler que l'avis de notification du marché du 16 novembre 2011 précise que la rémunération prévisible est de 52 millions d'euros par trimestre, en valeur constante, hors taxes et en moyenne, soit un peu moins de 210 millions d'euros par an.

Le montant total du marché était, quant à lui, plafonné à 3,41 milliards d'euros, comme indiqué dans le communiqué de presse de l'agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) du 7 septembre 2011, suite à son conseil d'administration autorisant cet engagement. Cette somme correspond à une estimation en euros courants, TVA incluse, conformément aux règles de la comptabilité publique.

Pour remplir ses missions, la société Écomouv' a été créée le 7 mars 2011, c'est-à-dire peu après le choix du candidat le mieux placé, la société Autostrade, par cette seule société, comme l'indique son inscription au registre du commerce, accessible sous forme d'extrait K bis . Les sociétés SFR, SNCF, Steria et Thales ont pris des participations, le 26 octobre 2011, dans le capital de la société Écomouv' après la signature du contrat de partenariat signé le 20 octobre 2011, conformément aux stipulations du règlement de la consultation et dudit contrat.

Enfin, nous souhaitons vous exposer les grands principes et le contexte qui ont guidé ce projet.

En France, la tarification de l'usage du réseau routier national par les poids lourds repose sur les péages autoroutiers pour les autoroutes concédées, la taxe spéciale sur les véhicules routiers - taxe acquittée par les véhicules français en France - et, enfin, d'autres recettes telles que les accises sur les carburants. L'évaluation de l'imputation des coûts d'usage, dont les premières études datent de 1997, a montré l'ampleur du différentiel entre les coûts occasionnés par les poids lourds et les recettes collectées à ce titre, de l'ordre d'un milliard d'euros par an pour le réseau national. Cet écart est de fait couvert, jusqu'à aujourd'hui, par le budget général, c'est-à-dire par la participation du contribuable à travers l'impôt. Ce constat a conduit à un premier projet de tarification kilométrique de l'usage du réseau, proposé en 2003 et examiné dans le cadre du débat sur les grandes infrastructures, mais qui n'a pas abouti.

Les principaux partenaires européens, notamment ceux de grand transit - la Suisse et l'Allemagne dès 1998, l'Autriche dès 2002, la République Tchèque dès 2004 puis, plus récemment, la Slovaquie, la Slovénie et la Belgique - ont mis en place des tarifications kilométriques afin, d'une part, de répondre aux besoins de financement de leurs infrastructures et, d'autre part, de tenter de réguler le trafic routier par une tarification adaptée. L'objectif de ces politiques est d'adopter un système qui soit le plus équitable possible, mettant en application le principe « utilisateur-payeur », notamment en faisant participer les véhicules étrangers circulant sur les réseaux nationaux.

Les questions de la tarification de l'usage des routes ne peuvent être abordées nationalement mais relèvent, par essence, d'un cadre européen. À cet égard, tous les candidats admis à participer au dialogue compétitif étaient européens, soit par l'association de partenaires - notamment pour la construction des équipements embarqués - soit par la composition de l'actionnariat des sociétés participantes. Il existe par ailleurs une certaine réciprocité, les acteurs français étant présents en Allemagne, Slovaquie ou Irlande.

La mise en place de la tarification de l'usage des réseaux routiers par les poids lourds est fortement encadrée au niveau communautaire, la Commission européenne s'attachant, d'une part, à garantir la libre circulation des marchandises par la directive Interopérabilité et, d'autre part, à orienter des politiques en faveur des modes non routiers avec la directive « Eurovignette ». L'Union européenne recherche la mise en place de systèmes unifiés de télépéage permettant aux transporteurs d'acquitter les différents péages à l'aide d'un équipement unique et d'un contrat unique. L'une des principales caractéristiques et différenciations du projet écotaxe, en comparaison de projets européens, éventuellement de taille similaire, est la prise en compte de cette interopérabilité.

Dans tous les pays, la mise en place de dispositifs de télépéage s'est révélée techniquement et juridiquement complexe, notamment en Allemagne, Autriche et Slovaquie. Dans d'autres pays, les projets n'ont pas abouti, comme au Danemark et au Pays-Bas. À l'exception de la Suisse, dont la géographie et la position juridique par rapport à l'Union européenne sont particulières, les systèmes ont été mis en place via des contrats de service très étendus, eu égard à cette complexité.

Pour prendre en compte les contraintes du système européen de télépéage - c'est-à-dire la mise en place de l'interopérabilité - la taxe doit pouvoir être acquittée via un abonnement à une société de télépéage qui est un acteur de droit privé. Cette complexité technique oriente les réflexions vers la recherche de l'externalisation d'une partie des missions de collecte. Concrètement, l'entité responsable de la collecte de l'écotaxe doit contractualiser avec des sociétés de télépéage européennes qui ne sont pas connues a priori . Là réside une des difficultés. Après avoir sollicité plusieurs avis, on a conclu sur le recours à l'externalisation, dont l'une des modalités les plus importantes est la délivrance d'une commission par l'administration des douanes et droits indirects. C'est pourquoi, aujourd'hui, l'équipe projet chargée de mettre en oeuvre le contrat a un aspect bicéphale avec, d'une part, un contrat de partenariat signé entre Écomouv' et le ministre de l'écologie, représenté par M. Daniel Bursaux et, d'autre part, une commission délivrée par l'administration des douanes et droits indirects.

A ce stade, il est important de distinguer l'externalisation de certaines missions du recours à un contrat de partenariat. L'évaluation préalable qui a été soumise à l'avis de la Mappp avait retenu une comparaison entre ce contrat de partenariat et un schéma de maîtrise d'ouvrage publique - marché public global -, pour lequel l'exploitation du dispositif était intégrée pour une durée équivalente à celle du contrat de partenariat et qui n'exclut pas de confier des missions de collecte et de contrôle à des prestataires privés.

L'externalisation de certaines missions a poursuivi un objectif de simplification de la gestion technique du dispositif dans un cadre européen interopérable. Elle permet aujourd'hui une garantie de recouvrement des sommes, en déchargeant l'État d'une partie de ses missions par la garantie des sommes facturées et en fournissant un appui au traitement des réclamations, les missions de recouvrement forcé étant conservées par l'État.

Le recours au contrat de partenariat assure la prise en compte des enjeux d'exploitation dès la conception du dispositif et vise à impliquer fortement les acteurs industriels en les rendant intégralement responsables de la conception et de la réalisation du dispositif - ce qui permet d'optimiser les délais de réalisation, le passage de la phase de réalisation à la phase d'exploitation se faisant immédiatement après la mise à disposition, sans changer d'acteurs. De même, le contrat de partenariat permet de recourir au préfinancement de la réalisation du dispositif. À ce propos, je rappelle qu'aujourd'hui, l'État n'a pas payé Écomouv' pour la réalisation du dispositif.

Enfin, lorsque la procédure a été lancée, le choix technologique n'était pas effectué et donc, a fortiori , l'État n'était pas en mesure de définir précisément un cahier des charges aux différents candidats. Dans cette situation, la procédure la plus adaptée pour choisir le contrat le plus favorable à l'État est le recours à un dialogue compétitif, qui a été organisé sous un contrôle étroit de l'administration. Pour cela, une équipe projet associant les deux ministères les plus impliqués a été mise en place. Un comité interministériel regroupant les différents ministères concernés s'est réuni régulièrement. Une commission consultative, créée par décret, est intervenue aux moments les plus importants de la procédure - choix des candidats, recevabilité des offres et classement des offres.

Les choix et les arbitrages arrêtés en cours de procédure, ou depuis lors, se font en réunion interministérielle. Le contrat a été signé après avoir obtenu l'ensemble des avis requis, en particulier ceux des ministres du budget et de l'économie.

L'avancement du projet a mis en exergue la nécessité d'ajuster la définition de la taxe poids lourds, au sein du code des douanes. Ces ajustements se sont opérés en lois de finances rectificatives pour 2009, 2010, 2011 et 2012, sous le contrôle du Parlement.

Par ailleurs, il convient de rappeler qu'Écomouv' est intégralement responsable de la maîtrise d'ouvrage du contrat, c'est-à-dire de la conception et de la réalisation du dispositif. L'État ne valide pas les spécifications détaillées du dispositif. Il a cependant formulé des remarques qu'Écomouv' a l'obligation de prendre en compte pendant toute la phase de conception-réalisation. En 2013, une fois le dispositif achevé, Écomouv' a fait la recette de son dispositif. L'État y a participé en observant les tests menés. Une fois la recette achevée, l'État effectue les vérifications d'aptitude au bon fonctionnement (VABF), consistant à contrôler que le dispositif permet de remplir les spécifications fonctionnelles du contrat dans le respect du cadre législatif et réglementaire. Cette phase de vérification d'aptitude s'est répétée plusieurs fois en 2013, en raison de la constatation de défauts majeurs dans le dispositif. À l'issue de cette phase, Écomouv' a la responsabilité de conduire des vérifications en service régulier (VSR), c'est-à-dire de faire des tests dans une situation représentative de la réalité, notamment en termes de volume et d'acteurs. A ce stade, interviennent, non plus des techniciens, mais les opérateurs d'Écomouv', afin de s'assurer que le dispositif est prêt à démarrer.

Aujourd'hui, le dispositif a subi de façon positive la dernière VABF qui a été prononcée le 16 janvier dernier. Le dispositif ayant mûri progressivement, Écomouv' a pu procéder, par anticipation, à des tests à l'usage de la VSR, contrairement aux clauses initiales du contrat, si bien qu'Écomouv' nous a remis son rapport de VSR, que nous avons reçu le 20 janvier dernier, les deux dernières phases de tests ayant été menées en parallèle. L'État est en phase de vérification de ce rapport et dispose d'un délai de deux mois. Le contrat, de ce point de vue technique, est conduit de façon nominale eu égard au fait qu'il y a un retard significatif, puisque la fin de vérification de ces tests aurait dû être faite avant le 20 juillet 2013.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - J'ai bien compris qu'il s'agissait d'un sujet complexe, mais je persiste à ne pas bien comprendre pourquoi on l'a complexifié davantage, alors que l'enjeu était de parvenir à une mise en oeuvre rapide du dispositif. Nous avons, à la fois, eu recours à une nouvelle technologie, et intégré au périmètre du contrat la collecte et le contrôle de la taxe, ce qui pose des problèmes juridiques et pratiques puisqu'il s'agit d'une externalisation de fonctions régaliennes. J'ai bien entendu que le Conseil d'État a affirmé que c'était possible, mais je n'ai encore jamais entendu que c'était la meilleure des solutions. Nous avons cumulé les conditions de la complexité. J'ai du mal à comprendre cette articulation.

M. Antoine Maucorps . - S'agissant du choix technologique, des études préalables ont examiné les deux solutions autorisées dans le cadre européen. La localisation par satellite est un équipement un peu plus complexe, mais ne nécessite pas d'infrastructures sur le terrain pour la collecte de la taxe. La technologie des ondes à courte portée (DSRC), aujourd'hui déployée sur les autoroutes, n'exige qu'un simple badge mais crée un besoin d'infrastructures. Or, le réseau taxable comporte beaucoup d'entrées et de sorties. L'arbitrage entre ces deux technologies n'a pu être réalisé par l'État avant le début de la procédure, ce sont les industriels qui ont choisi leur technologie. Les quatre candidats ont tous proposé une solution satellitaire.

M. Olivier Quoy, adjoint au chef de la mission de la tarification . - Il s'agit d'une nouveauté technologique en France, mais qui avait déjà été mise en oeuvre en Allemagne avec la LKW-Maut, dont les premiers principes ont été fixés dès 1998.

S'il avait fallu que l'État assume lui-même intégralement toutes les missions et qu'il définisse l'ensemble des outils, sans passer par un partenaire unique, il aurait fallu opter pour un schéma d'allotissement, comme l'ont fait nos collègues hollandais. L'évaluation préalable compare deux marchés globaux, et ne comporte pas un tel schéma d'allotissement, ce qui aurait été le cas si on avait séparé, d'une part, les systèmes de collecte, avec des prescriptions sur les équipements embarqués et, d'autre part, le système de contrôle, avec des prescriptions spécifiques. C'est ce qui avait été engagé aux Pays-Bas, où un découpage fonctionnel des différentes entités a été opéré. Mais il a posé l'énorme difficulté d'avoir à traiter les spécifications non seulement de chacun des objets, mais aussi de leurs interfaces, ce qui a entraîné un certain retard, même si la décision d'abandon a été plus politique que technique. En Hollande, l'entité chargée de rédiger ces spécifications était dotée de 270 agents, État et conseils compris pour mettre en place ce type de marché alloti.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Pour revenir sur le choix technologique, l'étude préalable chiffre l'investissement à 230 millions d'euros pour la technologie satellitaire et à 530 millions d'euros pour la technologie DSRC. Finalement, on se retrouve avec un investissement de 650 millions d'euros avec la première technologie.

En dehors du choix technologique, pourquoi avoir davantage compliqué le projet en externalisant la collecte et en passant par un contrat de partenariat, alors que notre expertise dans ce domaine est limitée ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - L'équipe projet du côté de l'État comporte trois personnes. Est-ce bien vous qui avez rédigé l'évaluation préalable ?

M. Antoine Maucorps . - La mission de la tarification est composée de cinq personnes, et la mission taxe poids lourds des douanes et droits indirects de sept personnes. Cela représente un noyau dur d'une douzaine de personnes, qui bénéficie en sus d'expertises ponctuelles d'autres services, de bureaux juridiques ou de la mission internationale d'expertise sur les partenariats public-privé (Mieppp) de la DGITM par exemple.

M. Olivier Quoy . - L'évaluation préalable a été rédigée en décembre 2008. À l'époque où j'ai rallié le projet, le 1 er novembre 2007, nous étions un peu moins nombreux. Il y avait trois personnes du côté du ministère de l'écologie et, du côté des douanes, c'était le bureau F1 qui était concerné. Il n'y avait pas encore de structure dédiée. J'étais rattaché à la mission interministérielle pour la tarification routière créée au sein de la direction générale des routes à l'été 2007.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Soyez précis : qui a rédigé l'évaluation préalable ?

M. Olivier Quoy . - Les conseils de l'État et l'équipe de la mission interministérielle pour la tarification routière. Les conseils de l'État ont été KPMG pour les aspects financiers, Clifford Chance pour les aspects juridiques, et les sociétés Rapp Trans, Algoé et Carte blanche pour les aspects techniques. Nous tenons à votre disposition le nom de toutes les personnes concernées.

Pour revenir sur les 231 millions d'euros avancés dans l'étude préalable, l'architecture relative aux équipements embarqués, à leur financement et à leur prise en charge n'était pas exactement la même. À la page 38, une petite note sur le système de perception indique bien que le coût des équipements embarqués pour les abonnés, évalué à l'époque à 96 millions d'euros, doit être ajouté et pris en compte dans l'investissement total. Deuxièmement, le chiffrage des investissements proprement dit ne comprend pas les coûts de portage financier, qui sont inclus dans les 650 millions d'euros évoqués. On compare donc 327 millions d'euros d'un côté, et 600 millions d'euros de l'autre, si l'on retranche les 50 millions d'euros de frais financiers. L'écart se réduit, même s'il reste significatif. Cet écart s'explique par plusieurs éléments.

Premièrement, le dimensionnement du système de contrôle automatique a évolué. Le réseau taxable que nous avons pris comme hypothèse n'est pas aussi étendu que le réseau retenu. Nous sommes partis avec environ 200 points de contrôle automatique fixes, dont seulement 120 environ sur des routes à chaussée séparée. La description technique des contrôles automatiques déplaçables était relativement floue, ce qui explique la variété des éléments proposés par les industriels. Une cinquantaine seulement de dispositifs déplaçables était envisagée. Une partie de l'écart s'explique donc par des différences en termes de volumétrie du dispositif.

Deuxièmement, les coûts unitaires retenus comportent, d'une part, une composante génie civil, normée, dont l'évaluation ne pose pas de difficultés et pour laquelle aucun écart n'a été constaté et, d'autre part, une composante relative à l'équipement électronique des portiques, qui a été assez significativement sous-évaluée à l'époque, à partir de retours d'expériences divers.

Enfin, le réseau de distribution des équipements embarqués et le service mis en place pour les fournir aux non abonnés expliquent aussi cet écart. Il concerne dans l'évaluation préalable environ 200 points de distribution, dont la configuration de service n'a pas nécessairement été chiffrée en détail en l'absence de retours d'expérience suffisants, dans la mesure où des solutions différentes pouvaient être proposées. Il s'agit d'une estimation à grande masse qui s'est effectivement révélée sous-évaluée. C'est le poste qui a été le plus significatif dans les propositions initiales, mais que nous avons réussi à réduire.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Combien y a-t-il de points de distribution aujourd'hui ?

M. Olivier Quoy . - Il y a aujourd'hui 420 points de distribution, dont 330 sur le territoire national en dehors des autoroutes concédées, une cinquantaine sur les autoroutes et une quarantaine à l'étranger.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Qui a demandé ces évolutions ?

M. Olivier Quoy . - C'est lié à une exigence posée par la Commission européenne, pour laquelle n'importe quel véhicule doit pouvoir être équipé à n'importe quelle heure, en vertu du principe de libre circulation des marchandises. Elle exige un service à haut niveau de performance pour les utilisateurs exceptionnels.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Ces exigences n'auraient-elles pas pu être prises en compte dès le début ? Le choix de l'autre technologie aurait-il conduit à de semblables sous-évaluations ? Il me semble que non, puisqu'il ne s'agit pas du tout du même système. Il fallait peut-être plus investir d'entrée de jeu, mais il n'était pas nécessaire de fournir des équipements embarqués, n'est-ce pas ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Le principe de libre circulation s'appliquait déjà au moment de l'évaluation préalable.

M. Olivier Quoy . - Ces exigences ne sont effectivement pas neuves mais leur chiffrage était délicat. Le déploiement en termes d'investissement sur le terrain peut se faire de différentes manières, et le choix était complètement ouvert. Pour distribuer les équipements embarqués, vous pouvez vous appuyer sur des bornes de distribution ou sur des services, via des garages, des stations-service, etc. Bien entendu, les coûts sont différents. Dans un cas, il y a beaucoup d'investissement, dans l'autre, c'est surtout du fonctionnement. Au départ, pour l'évaluation préalable, nous étions plutôt sur des services existants. Cela étant, en ce qui concerne ce service, la distinction entre la solution satellitaire et celle des micro-ondes à courte portée n'avait pas véritablement d'impact. Dans les deux cas de figure, si l'on est dans une logique de distribution d'équipements embarqués, il faut les infrastructures pour les distribuer.

Fallait-il avoir un système partiellement déclaratif, comme en Allemagne par exemple ? La distribution des équipements embarqués peut s'anticiper lorsqu'elle concerne la totalité des véhicules immatriculés en France, comme cela a été prévu. Dans le système allemand, qui permet au transporteur de déclarer un trajet sans avoir d'équipement embarqué à bord du véhicule, cette déclaration lui impose de s'arrêter à des bornes, de déclarer son trajet et ensuite de circuler dans un créneau horaire et sur un itinéraire préalablement déterminés. Cette solution nécessite l'implantation de bornes à tous les points d'entrée et de sortie du réseau. Il y en a à peu près 3 300 en Allemagne. En revanche, dans le cas français, il y en aurait eu un nombre plus élevé en raison de la structure du réseau, qui est plus hétérogène et qui n'a pas les caractéristiques autoroutières en termes d'entrée-sortie. Le système de déclaration personnelle n'est pas apparu comme pertinent car il aurait encore accru les coûts.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Si j'ai bien compris, nous sommes « embêtés » avec les véhicules étrangers : s'ils trichent, nous ne pouvons pas leur faire payer d'amende ou la taxe est éludée. N'aurait-il pas mieux valu avoir recours à des systèmes déclaratifs ou plus coercitifs aux entrées et sorties du territoire ?

M. Olivier Quoy . - Le système déclaratif n'aurait rien résolu, puisque la non-déclaration est tout à fait équivalente à l'absence d'équipement embarqué : de toute façon, il n'est pas envisageable dans le cadre européen d'arrêter les véhicules à l'entrée ou à la sortie du territoire pour vérifier les déclarations effectuées.

M. Ronan Dantec . - Vous avez été au coeur de l'évaluation des différentes offres. Je ne vais pas entrer dans la technique, mais nous pouvons imaginer que la solution satellitaire était la plus logique.

Vous êtes-vous posé la question de l'égalité de traitement entre les transporteurs, les gros et les petits, en ce qui concerne l'accès au système ? Avez-vous vu et analysé correctement cette dimension ?

Dans l'évaluation de projets aussi lourds, l'impact industriel ne peut pas ne pas être évalué, même si cela relève du non-dit. A-t-on envisagé de revendre ce produit ? Cette question a-t-elle été clairement abordée et comment ?

M. Olivier Quoy . - En ce qui concerne l'égalité de traitement, on peut démultiplier le problème. Nous n'avons pas étudié toutes les cas de figures possibles, mais c'est un point sur lequel la Commission européenne est très vigilante. Elle analyse toutes les discriminations possibles et toutes les modalités par lesquelles des distorsions pourraient être créées. L'avis de la Commission sur le projet remis à la fin de l'an dernier rappelle que nous avons fait un certain nombre d'études et de projets sur le traitement des abonnés et des non abonnés, des étrangers et des Français, des conditions économiques de mise à disposition des équipements embarqués...

La totalité des coûts inhérents aux équipements embarqués n'est pas à la charge des transporteurs. Nous avons eu de nombreuses discussions avec les organisations professionnelles à ce sujet. Il peut y avoir des coûts annexes, d'immobilisation du véhicule dans un atelier lorsqu'une installation fixe est souhaitée ou des coûts de trésorerie en raison de la caution. Mais il s'agit de coûts très marginaux par rapport aux coûts des équipements embarqués, qui ne sont pas à la charge des redevables.

M. Ronan Dantec . - Il y a quand même une différence de 10 %, que vous avez estimée acceptable.

M. Antoine Maucorps . - Le montant refacturé aux transporteurs par les différentes sociétés habilitées de télépéage (SHT) de la taxe est le même pour tous. Il n'y a pas de différence en fonction du nombre de kilomètres parcourus. La remise de 10 % est valable pour tous, elle ne dépend pas de la taille des abonnés. La France bénéficie d'une situation favorable parce que quatre sociétés de télépéage interviennent sur les quinze concessions autoroutières. Aujourd'hui s'ajoutent deux acteurs supplémentaires. L'objectif de l'État a été de favoriser la concurrence entre les différentes SHT.

M. Ronan Dantec . - Si vous favorisez la concurrence entre les SHT, elles vont d'abord cibler les gros et non les petits, ce qui est une incitation à la concentration du secteur routier.

M. Antoine Maucorps . - Il existe des abonnements dont le coût est nul pour le redevable.

M. Ronan Dantec . - Les SHT peuvent toutefois refuser de d'attribuer la remise, non ?

M. Antoine Maucorps . - Sur les autoroutes, la remise liée à un abonnement est d'ordre commercial. Ici, elle est fixée par la loi dans la mesure où il s'agit d'une taxe.

M. Ronan Dantec . - C'est un système complet, je parle de l'ensemble de la chaîne.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Qui a décidé du montant de douze centimes par kilomètre ?

Je reprends la page 38 de l'évaluation préalable. Il serait intéressant que nous disposions du coût de déploiement et de mise en service, des résultats obtenus avec la même ventilation.

M. Olivier Quoy . - Nous avons le montant décomposé actualisé et nous vous le transmettrons.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Vous aurez bien listé tous les points de dérive ?

M. Olivier Quoy. - Nous vous communiquerons les éléments les plus détaillés avec le même découpage en grands postes.

Concernant l'impact industriel sur lequel M. Dantec nous a interrogé, il est bien évidemment inenvisageable, dans le cadre d'une procédure de dialogue compétitif à visée européenne, d'avoir la moindre priorité nationale. Le choix qui a été fait de s'inscrire pleinement dans la directive Interopérabilité permet en revanche aux industriels français de se développer puisque la France est le premier et le seul pays à avoir mis en place un système interopérable. Dès 2007, lorsque le télépéage inter-sociétés poids lourds se met en place, certes de manière commerciale et non réglementaire, des sociétés françaises s'organisent pour permettre le paiement unifié sur la quinzaine de domaines à péages constitués par nos autoroutes concédées ; c'est l'embryon de l'architecture interopérable au niveau européen. Ces sociétés de télépéage sont historiquement chez nous des acteurs français, même si le système concédé s'est ouvert aujourd'hui. C'est par le choix de l'ouverture que nous pouvions favoriser le développement d'acteurs français dans ce domaine. Et c'est aujourd'hui pour ces acteurs, qui ont fait des investissements considérables, que la situation est la plus critique. Pour permettre à ces acteurs de se développer au niveau industriel, il a été décidé de ne pas figer les exigences en matière d'équipements embarqués, la fourniture et la conception sont donc libres. Aujourd'hui, il y a trois fournisseurs d'équipements embarqués et non uniquement ceux d'Écomouv' sur le marché. Les industriels ont investi dans une technologie dans le but d'aller au-delà, cet au-delà étant l'Allemagne, mais pas forcément tout de suite.

M. Antoine Maucorps . - Les études préalables sur la motivation de mettre en place cette redevance suivant le principe de l'« utilisateur-payeur » sont parties du constat assez ancien que les taxes payées par le transport routier de marchandises ne couvraient pas l'ensemble des coûts d'usage, avec un manque à gagner d'un milliard d'euros. Selon un des principes mis en place par la directive « Eurovignette », il n'est pas possible, en mettant en place une telle redevance, de dépasser les coûts d'usage. En France, l'évaluation transmise à la Commission européenne a reçu un avis favorable à la fin de l'année dernière, et conduit à un coût de 16 centimes environ par kilomètre, montant maximum qui pourrait être affecté aujourd'hui à l'écotaxe. Le montant choisi en 2008 de 12 centimes par kilomètre correspondait à une recette de 1,2 milliard d'euros, qui était le montant nécessaire pour mettre en place, de la façon la plus proche possible de la réalité, le principe « utilisateur-payeur ». Aujourd'hui, après réévaluation, le montant des tarifs moyens à partir du 1 er janvier 2014 est de 13 centimes, pour une recette attendue globale de 1,15 milliard d'euros.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente. - Je découvre cette réévaluation à 13 centimes...

M. Antoine Maucorps . - Les chiffres ont été publiés par arrêté.

M. Michel Teston . - Il est très important d'obtenir des explications sur les écarts de coûts constatés par rapport aux évaluations initiales. Une autre solution technique n'aurait peut-être pas coûté moins cher à la collectivité, mais pouvez-vous revenir sur la comparaison entre l'externalisation et le marché global ? Quelles sont les conditions formulées par le Conseil d'État dans son avis sur l'externalisation et ont-elles été scrupuleusement respectées ?

M. Olivier Quoy . - Les éléments présentés en termes de coût du dispositif correspondent à des évaluations unitaires, c'est-à-dire le coût d'un équipement embarqué, d'un portique, chiffrées indépendamment de la manière dont les éléments allaient être réalisés. Que les blocs soient pris globalement ou séparément, le coût unitaire du bloc ne change pas. Ce qui change est la durée de passation, les coûts de contractualisation... Les seules différences sont visibles après, dans le cadre du financement global car, dans un contrat de partenariat, il y a un préfinancement et donc, un coût de portage financier qui apparaît et s'ajoute. Au niveau purement technique, la comparaison bloc à bloc, quel que soit le mode de réalisation contractuelle, n'a donc pas d'incidence.

Sur les autres solutions, il n'y a pas d'alternative tant qu'on reste dans le principe « utilisateur-payeur ». Si on s'écarte de ce principe, on peut retomber sur les accises sur les carburants, sur les vignettes qui ne nécessitent pas la même technologie pour la collecte, mais on ne collecte alors pas la même chose. En particulier, les vignettes encadrées par la directive « Eurovignette » et plafonnées conduisent à des ressources très nettement inférieures. S'agissant des accises sur les carburants, nous ne sommes pas sur les mêmes coûts de déploiement car nous ne sommes pas sur le même principe. Le principe « utilisateur-payeur » nécessite des technologies qui visent à identifier de manière précise les trajets, ce sont les technologies que l'on connaît.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente. - Pourquoi avoir demandé l'installation de six portiques sur le réseau non taxable ?

M. Olivier Quoy . - C'est une partie de la réponse sur le contrôle des étrangers. Pour assurer la perception auprès des redevables étrangers, l'interopérabilité avec les sociétés de télépéage est un premier élément de réponse. Aujourd'hui, une majorité de véhicules étrangers ont des abonnements de télépéage. Via les abonnements, avec le schéma de responsabilité qui est mis en place, la taxe sera collectée. Elle est garantie par les SHT et Écomouv'. Il n'y a pas de problème de non-recouvrement pour les abonnés. Subsiste le problème des non abonnés qui peuvent ne pas prendre d'équipements embarqués ou ne pas se déclarer, ce qui est exactement la même chose. Pour ces véhicules-là, il est difficile de les poursuivre. Il faut donc faciliter le contrôle manuel de ces véhicules non immatriculés en France, que les agents des douanes, de la police, des contrôleurs de transports terrestres (CTT) auront pour mission d'intercepter. Le procédé retenu au niveau technique est d'installer des dispositifs de contrôle automatique à certains points stratégiques, en proximité d'une barrière de péage, c'est-à-dire de points où les véhicules peuvent être arrêtés plus facilement. Les portiques donnent un moyen d'information rapide, visuel, sur la nature éventuelle d'anomalies qui auraient été repérées précédemment. C'est une aide au ciblage de véhicules qui est fournie aux agents et améliore l'efficacité du contrôle à pied. Ces dispositifs de contrôle automatique ne fonctionnent pas en continu et en temps réel. Ils n'ont que pour objet d'informer les agents à pied d'une anomalie par l'émission d'un signal visuel.

Il y a en effet six portiques de ce type aux principaux points d'entrée du territoire et éventuellement décalés comme sur l'A8 dans le sud de la France car la frontière est complexe au niveau géométrique.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Pourquoi refaire des portiques et ne pas mettre ce système de contrôle directement aux barrières de péage ?

M. Olivier Quoy . - Au péage, il n'est plus possible de retenir les véhicules. Il est nécessaire d'avoir l'information visuelle avant l'arrivée à la barrière pour éventuellement intercepter le véhicule. En outre, le développement du péage sans arrêt est bien engagé pour les poids lourds. Si on mettait un système de contrôle directement aux barrières de péage sans portique placé avant, l'interception des véhicules obligerait les concessionnaires à stopper le péage sans arrêt, ce qui est problématique.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Quand le véhicule est déjà sur autoroute, les douanes doivent savoir l'arrêter.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente. - Vous avez dit que ce contrôle ne concerne que les camions étrangers ?

M. Olivier Quoy . - Le portique ne fait pas de distinction entre véhicule français et véhicule étranger. Il signale tout véhicule en anomalie. Il appartient ensuite aux agents sur place de compléter leur ciblage.

M. Antoine Maucorps . - Nous avons été assez peu diserts jusqu'à maintenant sur les méthodes de contrôle qu'on envisage. Il n'est en effet pas de l'intérêt de l'État de rentrer trop dans le détail des différentes stratégies de contrôle mises en place. Il est toutefois public que l'on a cinq types de contrôle différents. Il y a les contrôles automatiques fixes, les portiques que tout le monde connaît. Il y a des dispositifs de contrôle automatique déplaçables qui, pour un investissement moindre, permettent d'avoir une couverture de points de contrôle divers sur le territoire avec une moindre prévisibilité pour les éventuels fraudeurs. Ces deux dispositifs de contrôle automatiques sont exploités par Écomouv'. Ensuite il y a deux formes de contrôle sur le terrain : le contrôle à pied avec les quatre forces qui contrôlent les poids lourds et le contrôle manuel mobile avec un dispositif qui doit équiper certains véhicules des douanes et qui pourra contrôler des véhicules en circulation. Il faut rappeler que le contrôle à pied présente comme limite la nécessité d'arrêter les poids lourds, ce qui est une opération extrêmement lourde. Le cinquième dispositif de contrôle est le contrôle a posteriori en entreprise par les douanes et les CTT, mais qui ne concerne que les redevables français. Enfin, pour compléter ce point sur le contrôle vis-à-vis des étrangers, les douanes développent des accords inter-administrations avec les douanes européennes. Évidemment, ces accords ne sont envisagés que pour des montants significatifs. En cas de fraude systématique de véhicules étrangers, le contrôle automatique enregistrant les plaques d'immatriculation permettra de déclencher des interventions, y compris à l'étranger si nécessaire.

Il y avait une question à laquelle nous n'avons pas répondu sur l'encadrement d'Écomouv'. Je ne pense pas avoir dit qu'il y avait trois conditions dans l'avis du Conseil d'État du 11 décembre 2007. Il impose également un encadrement du prestataire. Il a bien évidemment été suivi, d'abord dans la description, qui est dans l'article 153 de la loi de finances pour 2009, des missions externalisables et de celles qui ne le sont pas, comme, en particulier, le contrôle physique qui reste aux forces de l'ordre ou le recouvrement forcé qui reste du domaine des douanes. Ensuite, ce commissionnement a été précisé par un décret en Conseil d'État, à l'instar de la quasi-totalité de la vingtaine de décrets pris en application de la loi sur l'écotaxe. Ce décret sur la définition du commissionnement a été revu et en partie rerédigé par le Conseil d'État qui nous a beaucoup aidé à bien préciser ce qu'il était possible de faire et la façon dont l'État devait contrôler. Un des points notables est que les missions externalisées au partenaire privé titulaire du commissionnement ne peuvent pas être sous-traitées par ce même partenaire privé. Cela recouvre notamment toutes les missions qui nécessitent d'avoir accès aux données fiscales, y compris le centre d'appel puisqu'un redevable peut demander des informations sur son cas précis et peut demander à payer un manquement. Cette obligation du partenaire privé à assurer lui-même ces fonctions explique le nombre de personnels embauchés ou en prévision d'embauche par la société Écomouv'.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je voudrais revenir sur le coût global de ce dossier. Vous avez proposé de nous faire un tableau avec les dérives et le pourquoi des dérives à partir du chiffre de 231 millions d'euros avec la technologie satellitaire. Je suppose que vous pouvez nous produire la même chose avec l'autre technologie étudiée, qui a dû subir le même type d'investigations, modifications et avenants au cours du dialogue compétitif. Aura-t-on les mêmes informations pour l'autre technologie ?

M. Olivier Quoy . - Non. Il faut bien comprendre que toute la procédure de dévolution du contrat, y compris le dialogue compétitif, reposait sur des spécifications ouvertes. Les candidats étaient libres de choisir la technologie avec laquelle ils voulaient répondre. Il se trouve que nous n'avons eu que des réponses en technologie satellitaire. Tout au long du dialogue, nous avons permis un retour en arrière et laissé possible un changement de technologie. On ne l'a pas observé. Au cours du dialogue compétitif, nous n'avons eu exclusivement que des éléments sur la technologie satellitaire.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Mon autre question porte sur les loyers versés à Écomouv'. Lors de leur première audition publique, ils ont ainsi réparti le montant du loyer annuel : 96 millions d'euros de rémunération fixe, 47 millions d'euros de frais de maintenance, 8 millions d'euros de gros entretien et 64 millions d'euros de rémunération variable. Est-ce que vous pouvez nous expliquer quels sont les éléments de variabilité de cette rémunération de 64 millions d'euros ?

M. Olivier Quoy . - La rémunération variable vise à couvrir les coûts, et notamment les coûts d'exploitation du dispositif. Ce qui détermine les coûts d'exploitation dans le dispositif satellitaire, c'est en premier lieu le volume de communications entre les équipements embarqués et les systèmes centraux. À chaque franchissement de points de tarification, il y a un volume de transmission d'informations qui est l'un des principaux coefficients directeurs des coûts d'exploitation. Ensuite, vous avez les équipements embarqués qui sont rémunérés pour le service qu'ils procurent, et évidemment dans la mesure où ils fonctionnent. Aucune rémunération n'est due à Écomouv' pour un équipement embarqué qui est laissé dans un garage. En ce qui concerne le système de distribution, c'est-à-dire la délivrance des équipements embarqués aux redevables, chaque opération (délivrance, retrait, récupération) a un coût qui est aussi couvert par cette rémunération. Ensuite, nous avons les coûts des garanties exigées de la part d'Écomouv' vis-à-vis des sociétés de télépéage et de la part de l'État vis-à-vis d'Écomouv'. Ce sont des garanties financières à première demande qui sont calées sur le volume de la taxe, en règle générale les encours mensuels. Les coûts de ces garanties sont liés à ces encours et varient en fonction des volumes, des transactions, etc. Enfin, vous avez une dernière partie qui concerne le volet performance. L'État paye à Écomouv' des bonus ou pénalités qui sont dimensionnés en fonction de l'atteinte ou non des objectifs de performance prévus au contrat. Voilà schématiquement la part variable de la rémunération liée à l'exploitation.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente . - Il y aurait beaucoup à dire. Il faudrait qu'on parle de la créance « Dailly » qui a été sensiblement accrue au cours du dialogue compétitif. C'était une observation de la Mappp dans son deuxième rapport du 13 octobre 2011 dont il n'a pas été tenu compte. On y reviendra après. Je voudrais profiter de la présence du Président Sueur pour qu'il puisse vous interroger.

M. Jean-Pierre Sueur . - Merci, madame la présidente. Je reviendrai sur certains points évoqués par vous-même et par madame le rapporteur. Vous avez tout à l'heure dit qu'en quelque sorte, il y avait des incertitudes quant aux manières de procéder qui avaient conduit à mettre en place un dialogue compétitif. Traditionnellement, on considère que quand la puissance publique veut mettre en oeuvre un projet, elle définit celui-ci, puis s'emploie à trouver des acteurs pour le réaliser. Avec le dialogue compétitif, tout change. Il n'y a pas une règle du jeu au départ et des concurrents. Il y a des concurrents qui sont coproducteurs de la règle du jeu. À chaque moment, la règle peut changer. C'est la nature du dialogue compétitif. Je ne réussis pas à savoir ce qui s'est exactement passé. Vous allez nous éclairer. Le dialogue compétitif suppose que les candidats puissent faire des propositions. Nous allons avoir le calendrier global du processus nous expliquant comment chaque proposition nouvelle a été faite et comment elle a été signifiée à l'ensemble des concurrents, de telle manière que chaque concurrent soit, à chaque étape, au même niveau d'information, comment, par un processus itératif, on a avancé de suggestion en suggestion jusqu'à une décision finale. Certains auditionnés nous ont dit que les différentes propositions des différents candidats avaient été examinées successivement. D'autres nous ont dit qu'il en avait été tenu compte et que l'État avait in fine présenté un cahier des charges corrigé eu égard aux propositions faites. Qu'en est-il exactement ?

Deuxièmement, êtes-vous intimement persuadés que le partenariat public-privé en l'espèce était une bonne méthode ? Quels sont les arguments décisifs qui ont fait que ex ante , alors qu'on ne savait pas qui serait candidat au PPP ou qui serait candidat à un marché classique, il a été décidé que le mieux serait qu'il y eût un partenariat public-privé ? Êtes-vous à l'aise avec cela ? N'était-ce pas un pari pascalien ?

Enfin, dernier mot, j'ai appris au fil des séances que les fameux portiques servaient uniquement à contrôler, mais en rien à percevoir la taxe. Était-il absolument nécessaire d'installer tous ces portiques pour contrôler ? Ne pouvait-il pas y avoir divers types de contrôle, ne serait-ce par les forces de la police nationale ou de la gendarmerie, qui eussent épargné à notre vue ces portiques, à ceux qui veulent les éliminer la tentation de le faire et à la collectivité publique de dépenser quelques sommes que l'on eût pu investir dans d'autres champs ?

M. Antoine Maucorps . - S'agissant du choix du dialogue compétitif et sur la façon dont il a pu être conduit, sans rentrer dans le détail, puisque nous vous communiquerons des éléments écrits plus précis sur le déroulé, je rappellerais simplement qu'il permet de faire évoluer la règle du jeu et même d'avoir un cahier des charges différent entre les acteurs, ce qui peut rendre la comparaison des offres particulièrement difficile.

M. Jean-Pierre Sueur . - Des cahiers des charges différents selon les acteurs ?

M. Antoine Maucorps . - C'est possible, mais ce n'est pas ce que nous avons fait.

M. Jean-Pierre Sueur . - C'est grave car, personnellement, j'avais compris que le dialogue compétitif permettait aux différents concurrents de faire des suggestions, qui étaient retenues ou non, mais que, à tout moment, les candidats, étaient à égalité. Il n'y avait donc pas une solution sur mesure pour chaque candidat mais une solution soumise à l'ensemble des candidats, fût-elle évolutive.

M. Antoine Maucorps . - Le dialogue compétitif est une procédure très souple, néanmoins, nous n'avons pas utilisé toute la souplesse offerte par ce mécanisme. Nous aurions pu l'envisager si nous avions eu des offres avec des propositions technologiques différentes. Dans ce cas, nous aurions peut-être pu avoir besoin d'un cahier des charges plus fin ou plus compliqué. Mais cela ne s'est pas passé ainsi.

La publication de l'appel à candidature date du 5 mai 2009. Nous avons reçu les candidatures en juin. Nous avons choisi les candidats à l'automne. Nous avons eu une première rencontre avec l'ensemble des candidats. Quatre candidats ont participé à la procédure de bout en bout. Nous avons tenu à ce que chaque audition se fasse dans des délais courts, en deux jours, soit une demi-journée par candidat. Chaque réunion s'est déroulée dans les mêmes conditions : même durée, mêmes sujets et même ordre du jour pour tous les candidats.

Nous avons demandé, à la fin de l'année 2009, une proposition initiale, qui a été remise en janvier 2010 par chacun des quatre candidats. À partir de là, nous avons fait des auditions thématiques sur les sujets techniques pour comprendre leur offre et corriger certaines incompréhensions et en vue d'adapter notre cahier des charges, comme par exemple sur les dispositifs de contrôle automatique, dont nous avons constaté qu'ils étaient plus chers que prévu. Nous avons donc optimisé notre cahier des charges en réduisant le nombre de portiques jusqu'à obtenir un compromis qui nous paraissait le plus efficace possible par rapport à une « pression de contrôle » souhaitable. Il faut noter que si l'on réduit trop la « pression de contrôle » et que l'on a 1 % de fraude supplémentaire, on va perdre 10 millions d'euros de recettes par an, soit un peu plus de 115 millions d'euros sur la durée du contrat.

Nous avons également dû effectuer un arbitrage entre le temps passé à conduire la procédure et la précision du cahier des charges. Le dossier de demande pour les offres finales était strictement identique pour les quatre candidats. Il leur a été remis en juillet 2010. Nous avons alors pu établir le classement entre trois offres, la quatrième offre n'étant pas recevable.

Nous vous transmettrons le calendrier exact de toutes les réunions qui ont été tenues. Le fait de recourir à un dialogue compétitif nous a permis de faire une demande d'offre finale en juillet 2010 et non en mars 2009 au moment où nous avons lancé la procédure.

M. Ronan Dantec . - Vous avez insisté sur l'importance des sociétés de télépéage, y compris dans une logique industrielle. Dans les offres, y avait-il des différences notables dans le lien entre le prestataire à qui l'on confie la perception de la taxe et les sociétés de télépéage ? Dans certains consortiums, y avait-il des sociétés privées qui auraient pu se retrouver des deux côtés, à la fois dans le consortium de perception et dans la société de télépéage ?

M. Antoine Maucorps . - La société de projet, aujourd'hui Écomouv', n'a pas le droit d'avoir de participation dans une autre société, en particulier une société de télépéage. En revanche - et ce n'est pas interdit -, une société de télépéage et le collecteur peuvent avoir des actionnaires en commun. Cela aurait été le cas quel que soit le candidat retenu.

Nous souhaitons par ailleurs que la majorité des transporteurs recourent au service d'une société de télépéage. Autrement dit, du jour au lendemain, 600 000 véhicules seront abonnés en majorité et le marché va se figer. Dès lors, si on laisse ce marché trop libre, trop ouvert, nous aurions pu constater, a posteriori , des dérives. C'est pourquoi, le cahier des charges prévoyait que le titulaire du contrat de partenariat avait l'obligation de signer un contrat cadre s'il était demandé par une société de télépéage. C'est ce que l'on appelle aujourd'hui le contrat type qui existe sous trois options différentes, suivant que l'équipement est fourni ou non par Écomouv'.

M. Ronan Dantec . - L'offre est-elle toujours de même nature ?

M. Antoine Maucorps . - Le contrat type était le même, au dossier de demande d'offres finales (DDOF), pour les quatre candidats. La différence est le montant de la rémunération, mais ce montant, toutes choses égales par ailleurs, est désormais le même pour toutes les sociétés de télépéage.

M. Francis Grignon . - Je viens de l'industrie où l'on m'a appris que la précision coûte cher. À cet égard, une déclaration faite lors d'une précédente audition me trouble. Il m'a semblé comprendre que l'on demandait un minimum d'erreurs, de l'ordre de un pour un million. Est-ce exact ? Cela rejoint la question du président Sueur : est-il bien utile de construire des portiques pour obtenir des taux aussi faibles ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Le taux de un pour un million ne concerne pas les véhicules en infraction, mais les impulsions, c'est-à-dire le franchissement d'un point de tarification.

M. Antoine Maucorps . - Effectivement, il y a un taux d'erreur qui doit être inférieur à un pour un million. Ce taux-là apparaît dans le cadre de l'homologation du dispositif - car le système est homologué, comme celui des radars automatiques - afin de pouvoir assurer l'inversion de la charge de la preuve. Ce taux n'est pas le taux de fraude visé.

En cas de doute dans le dispositif, on ne va pas notifier de manquement au redevable. En réalité, à chaque fois que l'on va notifier un manquement, on sera sûr - à raison d'un pour un million - que ce manquement est réel. Ce taux assure au redevable que la facture qu'il reçoit sera juste.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Vous avez évoqué la vérification en service régulier (VSR) et vous avez parlé de « vérification dans des conditions de volume normales ». Qu'entendez-vous par là et estimez-vous qu'elles sont aujourd'hui réunies ?

Ce dossier a connu beaucoup de modifications. La Mappp a émis des réserves lors de la remise de ses deux avis. En avez-vous tenu compte ?

Avec la récente suspension, compte tenu de la complexité et de l'importance de ce dossier, je suppose que les ministres ont dû se tenir informés. Avez-vous rédigé des notes ? Sur quels sujets ? Pourrez-vous nous les transmettre ?

Des paiements sont-ils intervenus d'Écomouv' vers l'État, notamment dans le cadre de l'occupation des locaux de Metz ?

M. Antoine Maucorps . - La VSR reste une phase de tests. On ne demande pas aux futurs redevables de faire les tests. C'est une situation qui est représentative de la réalité, ce sont donc plutôt des tests en volume. Pour ce qui est, par exemple, du nombre de données remontées au système central, cela se fait par des simulations. Pour vérifier la capacité du système central, il n'est en effet pas nécessaire de disposer de 600 000 véhicules équipés et émettant des données. Sur ce sujet, nous sommes en train d'étudier le rapport remis par Écomouv'. Nous allons y répondre dans quelques semaines mais, à ce stade, il n'y a pas d'inquiétude particulière sur la qualité du travail réalisé par Écomouv'.

M. Olivier Quoy . - Nous avons suivi l'avis de la Mappp relatif à l'étude préalable sur les deux points précités. Le premier point portait sur la criticité du délai de réalisation, notamment l'incitation permettant à l'État de trouver, dans le cadre du dialogue compétitif notamment, les moyens de responsabiliser les candidats en termes de délai de réalisation et de trouver toutes les optimisations possibles.

Le deuxième point concernait l'autorité chargée d'émettre un avis au nom du ministre des finances et du budget, sur le contrat de partenariat, avant sa signature. En 2008, au moment de la rédaction de l'évaluation préalable, nos analyses juridiques ont conclu, sur le fondement des circulaires de 2005 et 2006 du ministère des finances, qu'il revenait au contrôleur budgétaire et comptable ministériel de donner l'avis final avant la signature du contrat. Lorsque, peu de temps avant la signature, ont été posées les questions de couverture et de sécurisation des établissements financiers en cas de nullité du contrat - sujets auxquels la Mappp a bien entendu été associée en réunion interministérielle - est apparue la nécessité de saisir formellement cette dernière pour qu'elle donne un avis. Cette modalité, prévue par un décret de mars 2009, nous avait échappée d'autant plus que rien ne figurait en ce sens sur le site Internet de la Mappp et ce point n'avait d'ailleurs pas été soulevé lors de nos échanges avec celle-ci. Cette saisine n'a pas posé de problèmes particuliers dans la mesure où la Mappp disposait de tous les éléments relatifs au contrat à toutes les phases du dialogue, y compris les offres finales - la Mappp étant le service instructeur des mécanismes financiers de garantie de l'État, dans le cadre du plan de relance de 2009, qui lui avait permis d'instruire certains éléments puisque le recours à cette garantie était permis dans le dossier d'offres finales.

Nous nous sommes retrouvés dans une situation un peu délicate dans la mesure où certains éléments au sein de la Mappp n'ont pas pu être complètement suivis. Un certain nombre de questions, dont certaines sont mentionnées dans l'avis du 13 octobre 2011, n'avaient pas lieu d'être puisqu'elles avaient déjà trouvé des réponses. C'est le cas, en particulier, de la mise à disposition et de son lien avec la cession « Dailly ». Cette question ne figure pas à l'article 22 du contrat, qui fixe la date de mise à disposition du dispositif mais ne précise pas les conséquences qu'emporte l'atteinte de cette date. C'est à l'article 41, relatif à la cession de créances, que le contrat indique que la cession est irrévocable dès l'achèvement des travaux, constaté par la mise à disposition qui a lieu à la fin de la VSR, destinée à s'assurer de la complétude du dispositif. Dans les actes d'acceptation de cession de créances « Dailly », vous retrouverez tous les éléments qui affermissent complètement la structure contractuelle. Nous étions effectivement confrontés à un délai court - je le reconnais tout à fait -, nous avons eu une réunion avec la Mappp, le 14 octobre 2011, pour clarifier un certain nombre de points, répondre à tous ces éléments et démontrer qu'il n'y avait plus de sujets majeurs. Par ailleurs, il convient de rappeler qu'entre l'offre finale et la signature du contrat, l'État ne peut modifier substantiellement les grands équilibres du contrat. En d'autres termes, un certain nombre de clauses résultant de l'offre des candidats ne pouvaient plus être revues. Nous estimons toutefois avoir répondu aux différentes questions soulevées par la Mappp.

S'agissant des clauses de refinancement, au-delà du fait qu'elles figuraient dans le dossier d'offres finales, cette question a fait l'objet de discussions avec la Mappp, dès le début de la procédure. Cette question met en jeu la durée du contrat. En l'espèce, il s'agit d'un contrat à durée relativement courte ; la question se pose différemment sur un contrat portant sur une trentaine d'années.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous ne sommes pas d'accord sur ce point. L'article 9 de l'ordonnance du 17 juin 2004 prévoit une consultation obligatoire de la Mappp. Lorsque nous les avons auditionnés, ils nous ont indiqué avoir bénéficié d'un délai d'à peine 48 heures pour formuler leurs remarques sur le contrat. Ils ont fait des observations, non pas par rapport aux offres comme vous tentez de le dire, mais par rapport à la rédaction du contrat. Il est surprenant que vous n'ayez pas tenu compte des remarques de la Mappp, alors qu'il s'agit d'un PPP souscrit par l'État. On reviendra sur cette question par écrit, afin que vous nous donniez des éléments complémentaires. C'est un point qu'on ne peut pas éluder comme cela.

M. Olivier Quoy . - Nous disposons de tous les éléments de réponse nécessaires. Je ne les détaillerai pas maintenant.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - D'autant plus que la Mappp nous a indiqué ne pas être du tout associée à la décision de suspension du contrat. Vous-même êtes-vous associé à cette décision ?

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Vous n'avez pas répondu à ma question relative aux notes adressées aux ministres sur les dérives et les modifications substantielles du contrat.

M. Antoine Maucorps . - J'ai évoqué précédemment l'organisation de réunions interministérielles sur les points les plus importants. On pourra vous communiquer les comptes rendus. À notre niveau, nous rédigeons régulièrement des notes à notre direction générale. Une partie d'entre elles remontent ensuite au cabinet du ministre. Au-delà, je n'ai pas la visibilité nécessaire.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Au cabinet du ministre des transports ?

M. Antoine Maucorps . - Généralement oui.

M. Éric Doligé . - La marge d'erreur possible était d'une sur un million, ce qui est supérieur aux exigences imposées à l'industrie automobile, afin d'obtenir l'homologation. Sur les marchés passés en Allemagne, Pologne ou Autriche, a-t-on demandé le même taux d'erreur ?

Vous avez indiqué que le délai de livraison prévu initialement au 20 juillet 2013 n'a pas été respecté. Comment voyez-vous la sortie ?

M. Antoine Maucorps . - Sur le taux d'erreur, ce n'est pas l'ensemble du dispositif qui est soumis à cette exigence mais certains éléments précisés par décrets et arrêtés. Il s'agit, par exemple, de s'assurer qu'une photo prise sur un portique parvienne bien dans le système central sans être déformée. Ce taux d'erreur, impressionnant mais ne portant que sur certains points du dispositif, a été obtenu puisque, aujourd'hui, les principales chaînes du dispositif sont homologuées.

M. Éric Doligé . - Mais à quel prix ? Ma question est de savoir si on est plus exigeant que d'autres sur les mêmes systèmes.

M. Antoine Maucorps . - Je n'ai pas la réponse sur les systèmes étrangers. Je communiquerai à la commission les éléments demandés.

Sur le retard, le contrat de partenariat prévoit une réalisation jusqu'à la date de mise à disposition qui marque donc l'achèvement complet du dispositif et qui se matérialise par la fin de l'étude, par l'État, du rapport de VSR. Aujourd'hui, on en est à cette dernière étape de vérification du contrat. La mise à disposition n'est toujours pas prononcée. On a aujourd'hui un peu plus de six mois de retard. Nous sommes en contact avec Écomouv' et je ne peux pas prédire la façon dont ceci va se terminer.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je n'ai toujours pas eu de réponse sur le fait qu'Écomouv' a ou n'a pas, à l'heure actuelle, payé des loyers pour les locaux occupés.

M. Antoine Maucorps . - Aujourd'hui, au titre du contrat de partenariat qui est la partie visible des échanges avec Écomouv', celle-ci n'a pas payé l'État et l'État n'a pas payé Écomouv'.

Pour la mise en oeuvre de ces dispositifs, Écomouv' a contractualisé avec les autorités locales de Metz. J'ai compris qu'ils avaient signé un bail avec Metz Métropole.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Metz Métropole n'est pas propriétaire des locaux. Écomouv' bénéficie d'une autorisation d'occupation temporaire de la part du ministère de la Défense.

M. Antoine Maucorps . - Vous avez eu la gentillesse de nous communiquer cette question auparavant. N'ayant pas les éléments pour y répondre, nous avons saisi le préfet de Moselle pour avoir ces informations.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Écomouv' nous a indiqué avoir payé un loyer à l'État au titre d'une autorisation d'occupation temporaire.

M. Antoine Maucorps . - Ce versement, s'il a eu lieu, ne fait pas partie du contrat de partenariat.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Il s'agit effectivement d'une autre question. Nous souhaitons connaître quel rôle l'État a joué dans cette installation. Êtes-vous intervenus pour favoriser l'installation d'Écomouv' à Metz ? Tout ceci ne nous paraît pas très clair. Pourquoi Écomouv' a-t-elle choisi de s'installer à Metz ?

M. Antoine Maucorps . - Le choix d'implantation du service taxe poids lourds des douanes à Metz a probablement favorisé cette installation. Il existait la volonté de développer ou de maintenir des emplois publics à Metz. Je ne veux pas répondre à la place de la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) sur cette question. Il est vrai également qu'il a été indiqué à Écomouv' que, si leur centre d'exploitation était proche de ce service centralisé des douanes, c'était un avantage. Ensuite, Écomouv', comme elle nous en a informés, a comparé différents sites d'implantation possibles, a conduit des discussions avec les collectivités locales concernées et, au final, a choisi de s'implanter à Metz. La disponibilité de la base aérienne 128 et la proximité du service décentralisé des douanes ont probablement été des facteurs en faveur de ce choix, mais rien n'a été imposé.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Le choix d'Écomouv' était de bénéficier de la proximité avec le service des douanes, ce que je comprends bien.

Pouvez-vous nous indiquer si l'État a une part de responsabilité dans les deux premiers reports de la mise en oeuvre de la taxe poids lourds ? Estimez-vous que l'ensemble des décrets et arrêtés ont été publiés dans les délais ?

M. Antoine Maucorps . - Dans la conduite de ce type de projet, plusieurs chantiers sont conduits en parallèle. La question du retard se pose essentiellement au regard des pénalités de retard dues au titre du contrat. Ce point n'a pas été tranché. Il a été abordé avec Écomouv' avec laquelle nous avons des positions différentes sur ce sujet-là.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Entre Écomouv' et l'État ?

M. Antoine Maucorps . - Exactement. L'enjeu est de 8 millions d'euros par mois de pénalités, renforcé par le fait que le retard est supérieur à six mois ce qui est un élément important dans le cadre de ce contrat.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Il faut distinguer le retard technique éventuel et le retard administratif, avec la publication des décrets et des arrêtés nécessaires. C'est une question sur laquelle il conviendra d'être précis.

Écomouv' a-t-elle déposé une garantie bancaire à la date d'entrée en vigueur du contrat ? Si oui, à combien s'élève cette garantie ?

M. Olivier Quoy . - Il y a plusieurs niveaux de garantie.

La première, et la plus importante, est la garantie de recouvrement des sommes facturées, qui doit en principe être mise en place deux mois avant la mise en service. Il a été considéré que cette garantie devait être établie avant même le début de l'enregistrement des redevables, c'est-à-dire en juillet 2013. Cette garantie se monte à 100 millions d'euros, soit un mois d'encours de la taxe. Du fait de la suspension, l'État a accepté qu'Écomouv' lève cette garantie, pour réduire les frais financiers. Cette garantie a aujourd'hui disparu.

Vient ensuite la garantie pour l'application des pénalités de retard, soit environ 48 millions d'euros. Cette garantie a été mise en place dans les temps par Écomouv' et subsiste encore aujourd'hui.

Enfin, existent d'autres garanties, dont les garanties de parfait achèvement, qui servent en cas de besoin pour corriger des défauts. Toutes ces garanties ont été mises en place par Écomouv'. Elles ne sont pas levées car tout ce qui concerne l'achèvement du dispositif n'est pas réglé.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente . - Et jusqu'à quand jouent ces garanties par rapport à la suspension ?

M. Antoine Maucorps . - Ces garanties sont calées sur la date de mise à disposition. La suspension...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente . - ... vient compliquer les choses ! La suspension change quoi ?

M. Antoine Maucorps . - Aujourd'hui, la seule modification concerne la garantie des sommes recouvrées. Cette garantie sera rétablie avant la nouvelle mise en service de la taxe.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente . - Avez-vous été consulté sur la suspension et ses conséquences sur le contrat de partenariat qui, lui n'est pas suspendu ?

M. Antoine Maucorps . - Nous informons régulièrement nos autorités de la situation et nous avons communiqué tous les éléments qui nous avaient été demandés. Nous n'avons jamais eu de question sous cette forme-là.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente . - Avez-vous indiqué les conséquences précises, financières d'une telle suspension ? Je pense notamment à la créance « Dailly ».

M. Olivier Quoy . - Nous avons fourni des éléments détaillés sur ces points-là dans une certaine chronologie qui n'est pas forcément très antérieure à la suspension.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente . - Nous avons cependant besoin de votre point de vue, de votre réponse écrite sur les sommes en cause si cette suspension continue. Je pense notamment à la créance « Dailly », aux investissements, aux loyers, aux pénalités. Il faut que vous nous répondiez très précisément. La plupart des personnes auditionnées vous ont cités. Vous avez tous les éléments d'appréciation, sur les engagements des uns et des autres et la manière dont ils sont exécutés. Aujourd'hui, la commission d'enquête ne peut s'arrêter au contrat de partenariat et nous devons rajouter les conséquences de la suspension sur ces questions-là.

L'État doit répondre d'ici le 20 mars 2014 sur la mise à disposition.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Le second avis de la Mappp spécifie qu'il y a des clauses avec « des incertitudes génératrices d'ambiguïté » et demandait à ce que soit rétabli « ce qui peut parfois apparaître comme un déséquilibre au détriment de la partie publique ». Nous avons besoin d'éléments précis sur ces questions et les réserves émises par la Mappp.

M. Antoine Maucorps . - La suspension de l'entrée en vigueur de la taxe poids lourds n'a pas d'effet direct sur le déroulé du contrat. La créance « Dailly » est calée sur la date de mise à disposition qui est différente de la date d'entrée en service de la taxe et nécessairement antérieure. Si le dispositif est bien mis à disposition, le contrat est assez clair sur ce qui se passe après, mais on vous l'exposera.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente . - Vous nous le direz, car il y a des sommes, je le répète, qui sont considérables. J'ai le compte rendu d'Écomouv' devant l'Assemblée nationale il y a quelques jours. Ils déclarent qu'ils ne sont pas en mesure de tenir ad vitam aeternam même si la mise à disposition a été clarifiée. Et comme nous l'a dit la DGDDI, si l'on modifie en termes d'environnement administratif les décrets et arrêtés, cela demande des délais considérables, soit quatre à cinq mois. Nous avons besoin d'une réponse écrite sur l'application du contrat. La commission d'enquête doit vérifier la pertinence du choix d'un PPP, les engagements des uns et des autres, la réalisation de ces engagements de part et d'autre, ainsi que les implications en termes de finances publiques par rapport à la suspension.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Le contrat prévoit de mémoire que les entreprises puissent vérifier la facturation. La facture globale est illisible et assez invérifiable car très sommaire. La facture détaillée l'est tout autant par la somme d'informations qu'elle délivre sur une dizaine de pages, pour un seul camion. Je vois mal les entreprises contrôler les factures. Ce point a-t-il été abordé avec Écomouv' ?

M. Antoine Maucorps . - Il n'y a pas à ma connaissance d'obligation dans le contrat de fournir un service de vérification de la facture. Le montant n'est pas celui d'une facture commerciale mais d'une taxe. L'homologation, telle que définie par la loi, impose que le montant émis fasse foi jusqu'à preuve du contraire. Les informations qui sont des franchissements de point de tarification sont la description précise de la façon dont cette taxe est calculée.

Par ailleurs, la proposition que nous avons faite a été soumise à l'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Si nous avons l'obligation de donner des informations pour que le redevable puisse vérifier le montant de sa taxe, qui est un droit qu'on ne remet pas en cause, la CNIL est attentive au fait qu'on ne puisse favoriser l'usage de ces données à d'autres fins que l'établissement de la taxe. Aujourd'hui, je vous concède que les informations données ne permettent pas de le faire.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - C'est important tout de même. Même si ce n'est pas textuellement dans ce contrat, il me semble que tout contrat se doit de respecter la loi et tout contribuable doit pouvoir vérifier la taxe à laquelle il est assujetti. Aujourd'hui, les transporteurs routiers ne peuvent pas vérifier les montants de taxe qu'ils reçoivent.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente . - C'est pour cela qu'a été mise en place une forfaitisation pour la répercussion. Sinon, il aurait fallu embaucher beaucoup de personnes pour analyser la taxe payée et la façon de la répercuter sur le consommateur.

M. Antoine Maucorps . - Sur la répercussion qui est un sujet un peu éloigné du contrat de partenariat, quelle que soit la qualité des informations données, le sujet est intrinsèquement compliqué car les transporteurs chargent et déchargent leurs camions. Il est donc difficile de savoir à un instant donné quel client utilise le camion et pour quelle part.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente . - C'est pour cela que la forfaitisation a été choisie pour la répercussion.

M. Michel Cornil, vice-président d'Écomouv' nous a dit, lors de son audition, que le contrat prévoit que des factures détaillées sont transmises aux entreprises qui en font la demande, sous format papier ou électronique. C'était une des spécifications de l'État sur la structure de la facture.

M. Antoine Maucorps . - Aujourd'hui, nous considérons que cette demande du contrat est satisfaite par Écomouv'.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente . - Nous entendrons les transporteurs sur ce point. Il est certain qu'il n'a pas été tenu compte de cette difficulté pour les petites et moyennes entreprises qui ne pourront rien vérifier sans que cela leur coûte très cher.

Qui a défini le réseau routier national et le réseau routier local soumis à l'écotaxe ?

M. Olivier Quoy . - La mission de la tarification a défini ces réseaux. Il y a plusieurs niveaux. Pour le réseau routier national, le choix initial résulte de la loi. La non-inclusion des autoroutes concédées à péages est une application stricte de l'encadrement communautaire qui ne permet pas de récupérer plus que les péages autoroutiers.

L'établissement du réseau routier local est fort de l'expérimentation alsacienne de 2006. Même s'il n'y a pas eu de collecte, cette expérience a jeté les bases de toute la réflexion sur le dispositif et, en particulier, du fait qu'on ne pouvait envisager la taxation d'un réseau sans se préoccuper des reports de trafic. Dès l'origine, dans la loi, apparaît ainsi la possibilité d'intégrer le réseau des collectivités locales. La loi fixe ce principe en s'appuyant sur la notion de report significatif qui nécessitait d'être précisée ultérieurement. Ces travaux ont été menés sous l'égide de la mission de la tarification, en partenariat avec les services déconcentrés du ministère de l'écologie, les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) notamment et ont donné lieu à une concertation avec les collectivités territoriales, pilotée par les préfets de région.

Le 24 août 2009, le ministre de l'écologie a adressé un courrier aux préfets de région leur demandant d'engager un premier processus de concertation locale visant à associer le maximum d'acteurs, non seulement les collectivités locales, mais également les professionnels, les associations, éventuellement promoteurs de ce type de tarification. Carte blanche a été donnée aux préfets de région qui ont mené ces concertations en tenant compte des spécificités locales. À la fin de l'année 2009, nous avons eu, via les DREAL, des retours de ces échanges, qui ont permis à l'État de définir le réseau routier local à partir de modèles de trafic qui ont été partagés, et nous en avons utilisé trois. Le cadrage général est issu du commissariat général au développement durable (CGDD) avec le modèle « Modev ». Le service d'études sur les transports, les routes et leurs aménagements (Sétra) a mis en place un modèle national et la mission de la tarification, un troisième modèle. Dans un deuxième temps, en mai 2010, les collectivités territoriales ont été saisies sur la base de propositions de délimitation du réseau local taxable, établi à partir des critères de la loi. Enfin, ont été menées des discussions avec les collectivités pour déboucher sur un décret en Conseil d'État mi-2011.

Je rappelle les grandes règles de cet arbitrage. Lorsqu'une collectivité était opposée à la taxation d'une de ses voies, alors même que les études montraient un risque de report, l'État n'allait jamais contre cette volonté - au moins deux collectivités étaient dans ce cas. D'autre part, nous n'avons pas toujours suivi systématiquement l'avis des collectivités, afin de sécuriser le décret constituant le réseau local. Les discussions, échanges, études ont duré deux ans. Le résultat final s'est fait aussi sous l'égide de l'Assemblée des Départements de France (ADF).

Notre réseau a des trous, mais il est relativement cohérent, avec ses 15 000 km - 10 000 km de voies nationales, 5 000 km de voies locales -, et semble avoir bien répondu à l'impératif de la loi d'essayer de limiter au maximum les reports de trafic.

Comme ces éléments sont par nature imparfaits et non définitifs, il a été prévu dans le décret du 27 juillet 2011 fixant la consistance du réseau local et pour appliquer un engagement du Gouvernement, que ce réseau local puisse être révisé, environ un an après l'entrée en vigueur de la taxe. Le Sétra - maintenant le Céréma (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement) - en charge de la collecte de ces études a déjà réceptionné un nombre assez important de comptages réalisés par les collectivités territoriales sur leurs réseaux.

M. Antoine Maucorps. - Sachant que la mission de la tarification, en accord avec le Sétra, a lancé une méthode permettant aux collectivités territoriales de disposer d'un guide pour réaliser ces comptages.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - La Mapp, toujours elle, avait suggéré que des services annexes soient associés aux investissements réalisés pour l'écotaxe. Cela a finalement été abandonné. Pour quelle raison ?

M. Olivier Quoy. - En fait, cela n'a pas été abandonné. Il y a deux éléments. D'abord, formellement, cela n'est pas abandonné puisque cela reste prévu dans le contrat, même s'il n'y a pas d'engagement initial de la part d'Écomouv'. Ensuite, pour nous, la notion de services annexes est plutôt orientée sur l'interopérabilité. Il est vrai que nous n'avons eu aucune proposition de services annexes rémunérés, que ce soit dans l'évaluation préalable ou lors du dialogue compétitif. Mais, à nos yeux, le premier service annexe, qui doit aussi avoir un bénéfice en termes de rémunération, c'est l'interopérabilité. Les échanges que nous avons eus avec la Mappp ont été dans ce sens. Pourquoi ? Plus l'interopérabilité se développera avec le mécanisme de rémunération que nous avons proposé, plus les équipements embarqués seront amortis par différents gestionnaires de réseau et donc, moins la charge résiduelle de ces équipements sera importante au niveau purement français. C'est pour cela que la principale mesure imposée dans le contrat - qui est traduite dans les contrats avec les sociétés de télépéage - est, après trois ans de fonctionnement en service courant, la réalisation par Écomouv' d'un audit des coûts des services de télépéage. L'objectif est de proposer des réductions de la rémunération de ces services, ces réductions étant compensées par un développement de cette interopérabilité et d'autres services, afin de nous permettre de réduire le coût de collecte. C'est prospectif, on ne peut préjuger de l'avenir. Mais dans les travaux auxquels nous participons au niveau européen, cette architecture est promue, justifiée et débattue. D'ailleurs, la Commission européenne défend ce principe puisque, s'il n'y a pas un intérêt économique à développer l'interopérabilité, alors celle-ci ne sert pas à grand-chose. Et cet intérêt économique ne peut passer que par le fait que les équipements embarqués sont mutualisés. Aujourd'hui, c'est le schéma qui a été construit au fil des réflexions et du dialogue et dont on espère tirer les fruits, mais dans un second temps.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - J'avais pourtant compris que le contrat de partenariat public-privé nous imposait un loyer fixe. Donc, où cela va-t-il se répercuter positivement pour l'État si le partenaire privé réalise des bénéfices supérieurs ou des moindres dépenses ?

M. Olivier Quoy . - La rémunération du service de télépéage est fixée dans le cadre du contrat, pour tout le monde et après avis de l'État. Ce n'est pas Écomouv' qui en tirera un bénéfice directement, c'est l'État qui révisera les prix du service, en traitant tout le monde de la même manière à service équivalent, et qui en tirera un bénéfice direct. On est sur la rémunération du service aux abonnés telle que prévue dans le contrat et telle qu'elle se répercuté sur les sociétés de télépéage.

M. Antoine Maucorps . - Il est important de noter que c'est le même montant qui est payé par l'État à Écomouv' et qu'Écomouv' reverse aux sociétés de télépéage. À l'inverse, quand ce dernier montant baisse, la remise revient à l'État.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Et l'effet d'aubaine des autoroutes, l'avez-vous chiffré ? Manifestement, ils vont bénéficier d'un trafic supérieur dans la mesure où il n'y aura plus d'intérêt pour les poids lourds à passer sur le réseau taxable écotaxe et à éviter les autoroutes.

M. Olivier Quoy . - Oui, madame la présidente. Un certain nombre d'évaluations ont été faites. Le volume net d'augmentation des péages peut approcher quelques centaines de millions d'euros, peut-être 300 millions. Le chiffre de 400 millions d'euros qui a été avancé nous parait un peu exagéré. Cela dit, il faut le relativiser parce qu'il y aura des coûts supplémentaires engendrés par l'accroissement de la circulation des poids lourds. Évidemment, ces accroissements de coûts ne compensent pas la recette supplémentaire, j'en conviens. Après, la réflexion quant à la possibilité pour l'État de récupérer une partie de ces recettes supplémentaires se heurte à un certain nombre de questions juridiques et techniques. Là-dessus, je n'ai pas de pistes particulières.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - En ce qui concerne la remise à disposition de l'équipement à l'État à la fin du contrat de partenariat, je n'ai pas trouvé de trace dans le contrat de la vérification de sa mutabilité. Certes, il est dit que l'équipement doit être « non-obsolescent », c'est-à-dire que l'on doit toujours trouver sur le marché les pièces nécessaires pour le maintenir en état, mais cela est loin de signifier qu'on a toujours un matériel performant. J'ai l'impression que l'État va payer excessivement cher un matériel technologique de pointe qui ne sera plus vraiment de pointe quand on le récupèrera, à l'instar du dispositif allemand installé en 2004 et qui n'est plus aux normes d'interopérabilité.

M. Olivier Quoy . - Ce point-là est bien traité dans le contrat à travers un certain nombre d'aspects. Tout d'abord, dans l'article 61 qui concerne la remise à l'État en fin de contrat, une exigence est posée en termes fonctionnels : le dispositif doit être remis en l'état d'atteindre les performances qui lui sont imposées. Par ailleurs, tout au long de la vie du contrat, un programme et un plan de gros entretien et renouvellement sont prévus dont Écomouv' a la charge. Un audit du dispositif est prévu quelques temps avant la fin du contrat qui doit permettre à l'État d'avoir une idée précise de l'état du dispositif et, éventuellement, d'imposer à son partenaire les corrections ou les remises à niveau qui s'imposeraient. Ces clauses-là sont bien prévues.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Qui conduira cet audit ? Qui choisira l'organisme en charge ? L'État ? Un organisme privé ? Est-ce Écomouv' elle-même qui choisira ou qui réalisera ?

M. Olivier Quoy . - Le choix est précisé, mais je vous répondrai par écrit ultérieurement. L'État est de toute façon associé à cet audit et le suivra. À chaque fois, il y a toujours des mécanismes d'échanges en cas de désaccord.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous avons terminé. Merci d'avoir répondu à nos questions.

Audition de M. Laurent Trévisani, directeur général de SNCF Participations et directeur de la stratégie du groupe SNCF (Mardi 4 février 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous entendons M. Laurent Trévisani, directeur général de SNCF Participations et directeur de la stratégie du groupe SNCF. Nous avons souhaité vous auditionner afin de comprendre, d'une part, quelles ont été les circonstances, les conditions et les motivations de l'entrée de la SNCF dans le consortium Écomouv' et, d'autre part, quelles sont ses relations avec la société de projet Écomouv', à la fois en tant qu'actionnaire et en tant que cocontractant, et notamment comment la SNCF est rémunérée.

Enfin, nous avons noté avec intérêt qu'Écomouv' a déclaré le 29 janvier dernier, à l'Assemblée nationale, qu'elle pourrait assumer un report du système de l'écotaxe « jusqu'à la fin de l'année ». Qu'en pensez-vous ?

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Laurent Trévisani prête serment.

M. Laurent Trévisani, directeur général de SNCF Participations et directeur de la stratégie du groupe SNCF . - Je souhaiterais tout d'abord présenter brièvement SNCF Participations, dont je suis le directeur général. Le groupe SNCF est constitué d'un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) et d'environ 900 filiales qui portent l'ensemble des activités du groupe. Ces filiales sont majoritairement rassemblées et placées sous une holding commune qui s'appelle SNCF Participations et qui est détenue à 100 % par l'EPIC SNCF.

SNCF Participations est une société dont les fonds propres sont supérieurs à 2 milliards d'euros et dont l'actif principal est constitué par la détention dans les différentes filiales. C'est donc la structure la plus appropriée, compte tenu de sa mission, pour porter la participation de la SNCF dans la société Écomouv' SAS.

Courant 2009, la SNCF a été approchée par la société Autostrade per l'Italia, qui souhaitait s'entourer de différents partenaires, notamment industriels, pour participer à la procédure de dialogue compétitif engagée avec l'État. Nous avons étudié la proposition qui nous a été faite et avons considéré que, sur un plan stratégique, il y avait un intérêt à poursuivre.

Cet intérêt stratégique repose sur plusieurs raisons. SNCF souhaite être un acteur du développement de nouvelles opportunités dans le secteur de la mobilité et pas seulement dans son activité historique, le transport ferroviaire. Elle souhaite également acquérir un savoir-faire auprès d'entreprises européennes de premier plan en matière de conception et de déploiement de collectes électroniques et, en l'occurrence, Autostrade est un leader européen dans ce domaine.

Notre dialogue s'est poursuivi tout au long des années 2009 et 2010. Au sein de notre groupe, nous avons mené une instruction détaillée sur ce projet. Nous avons ensuite considéré que nous avions un intérêt à prendre une participation de 10 % dans la société Écomouv' SAS. En revanche, nous n'avons pas souhaité prendre une participation dans la société Écomouv' D&B, qui a conçu et construit le système.

Notre participation est minoritaire, conformément au règlement de la consultation, qui prévoit qu'Autostrade reste majoritaire à hauteur de 70 %. Compte tenu des montants des investissements à réaliser, une participation de 10 % conduit à un engagement de notre part à hauteur de 15 millions d'euros en fonds propres et quasi-fonds propres.

Il faut préciser qu'au sein de la SNCF, nous avons institué un process de validation des engagements. Ainsi, la prise de participation au sein d'Écomouv', en tant qu'opération d'acquisition de titres, doit faire l'objet d'une validation par le comité des engagements de l'entreprise. Ce comité est présidé par le directeur général délégué stratégie développement. Il assure un premier niveau de validation. En outre, conformément à un décret de 1983, les opérations de périmètre sont soumises à l'avis d'une mission de contrôle économique et financier. Enfin, le conseil d'administration de SNCF Participations a délibéré sur cette prise de participation. À votre requête, nous vous avons transmis le procès-verbal de la réunion lors de laquelle il s'est prononcé.

Au cours des années 2009, 2010 et 2011, le comité des engagements a validé cette participation à deux reprises, d'abord au stade de l'appel d'offres puis une fois que le consortium dont nous faisions partie s'est vu attribuer le marché, ce qui nous a conduits à prendre une participation dans la société de projet qui a, alors, été créée.

Au sein d'Écomouv', le groupe SNCF a deux rôles. D'abord celui d'actionnaire avisé, à hauteur de 10 %, mais aussi celui de sous-traitant. Deux de nos filiales effectuent des opérations, directement ou indirectement, pour Écomouv'. Geodis assure la logistique des équipements embarqués, pour un montant d'environ 6 millions d'euros. SNCF Infra, en sous-traitance de Thales, assure la maintenance des dispositifs de contrôle fixes, pour un montant de 36 millions d'euros. Au total, la SNCF perçoit environ 42 millions d'euros sur la durée d'exploitation du dispositif.

La rémunération de la SNCF a donc deux composantes. En tant qu'actionnaire, nous avons vocation à percevoir des dividendes, mais également des intérêts au titre des apports d'actionnaires, la dette dite subordonnée. En tant que sous-traitant, nous réalisons une marge sur les contrats commerciaux signés par nos filiales.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Dans le cadre des intérêts stratégiques de votre participation au sein du consortium, vous avez affirmé vouloir développer votre savoir-faire en matière de déploiement des systèmes électroniques, avec une visée européenne. Pourtant, vous n'avez pas souhaité entrer dans le capital d'Écomouv' D & B qui a conçu le système. Je ne comprends pas bien ce choix. Vous souhaitez vous consacrer à la maintenance des systèmes et non à sa conception, est-ce cela ?

M. Laurent Trévisani . - La SNCF souhaite être un acteur de la mobilité et pas uniquement un opérateur de transport ferroviaire. Être acteur de la mobilité signifie vouloir maîtriser et développer des business dans le domaine de la multimodalité avec, à la fois, des opérations physiques de transport, de distribution, de collecte électronique et de paiement. Nous devons développer nos compétences dans ces domaines. On le fait, pour partie, en interne, et pour partie, en s'associant avec différentes sociétés. À travers cette opération de prise de participation dans Écomouv' SAS, nous avons souhaité acquérir ce savoir-faire auprès du groupe Autostrade, qui est un acteur européen important en la matière.

Pourquoi ne sommes-nous pas dans Écomouv' D & B ? Les contrats de sous-traitance sont directement liés à nos coeurs de métier, à savoir la logistique - transports de marchandises - et la maintenance - notamment d'infrastructures. Nous ne disposons pas de compétences spécifiques en matière de conception du système. Or, Écomouv' D & B devait regrouper les sociétés directement liées à la conception de système. Ainsi, il convenait de concilier, d'une part, notre volonté d'intégrer ce partenariat pour les raisons déjà évoquées et, d'autre part, la volonté de nos partenaires qui souhaitaient connaître la valeur ajoutée que nous pouvions leur apporter en étant actionnaire. Notre valeur ajoutée en matière de conception est relativement faible car ce n'est pas notre coeur de métier.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Quelle est la rémunération nette de la SNCF dans le cadre de ce contrat ?

M. Laurent Trévisani . - L'ensemble de ce projet apporte un taux de rendement supérieur au niveau de rentabilité que nous exigeons à travers nos investissements. Nous avons fixé à 8 % le niveau de rentabilité minimum pour prendre des investissements. Le projet dégage donc une rentabilité supérieure à ce taux.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Quel est le chiffre précis ?

M. Laurent Trévisani . - Je ne l'ai pas en tête.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Y-a-t-il eu des facturations, notamment auprès des sous-traitants ? Avez-vous été payé par Écomouv' ?

M. Laurent Trévisani . - Compte tenu de la situation actuelle, la société Écomouv' a suspendu le paiement de l'ensemble de ses fournisseurs actionnaires en raison d'une trésorerie tendue.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Depuis quand date cette suspension des paiements ? Avez-vous pu bénéficier d'une partie des paiements ?

M. Laurent Trévisani . - Nous avons reçu une partie des paiements. Ces derniers sont suspendus depuis novembre ou décembre dernier.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Pourriez-vous nous donner la date précise ?

M. Laurent Trévisani . - Bien sûr.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Comment vivez-vous cette situation ?

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Les reports et les retards constatés relèvent en partie de la responsabilité d'Écomouv'. Dans le contrat qui vous lie au consortium, comment êtes-vous protégé par rapport à cette situation ?

M. Laurent Trévisani . - Nous sommes liés à Écomouv' SAS par les statuts que nous avons signés et par un pacte d'actionnaires. Nous sommes actionnaires minoritaires à hauteur de 10 %, ce qui nous laisse peu de droits et peu d'influence sur la prise de décision. Nous sommes certes protégés par les clauses classiques d'un pacte d'actionnaires. Ainsi, la majorité qualifiée s'élève à 84 % des actions. Nous ne pouvons pas atteindre, seuls, la minorité de blocage nécessaire pour les décisions relevant d'une majorité qualifiée.

La contrepartie de cette situation est que nos engagements sont limités à notre mise de fonds initiale - 15,1 millions d'euros. En d'autres termes, notre risque en tant qu'actionnaire dans cette société est capé à 15,1 millions d'euros.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - A quoi correspond le montant de 787,5 millions d'euros indiqué dans la délibération du conseil d'administration autorisant la prise de participation de la SNCF au sein d'Écomouv' ?

M. Laurent Trévisani . - Cette somme - 15,1 millions d'euros - correspond aux fonds propres et quasi-fonds propres de la société Écomouv' pour 100 % des titres.

Sur les différents documents que nous avons signés et soumis à la validation du conseil d'administration, notre quote-part ne porte que sur 10 % du montant des fonds propres et quasi-fonds propres. Les 787 millions d'euros représentent la totalité du financement du projet - capitaux propres et dette.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Cette somme représente donc la partie « capital » et la participation.

En tant que sous-traitant, vous avez participé à la définition du projet. Dans ce cadre, qu'avez-vous facturé ?

M. Laurent Trévisani . - Nous n'avons pas participé à cette phase du projet puisque la définition et la conception relèvent de la société Écomouv' D & B dont nous ne sommes pas partie prenante. Il existe, au niveau juridique, une frontière étanche entre Écomouv' D & B et Écomouv' SAS.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - À quel stade intervenez-vous ? Lors de la mise en service du dispositif ? Quel est votre rôle avant la mise en service ?

M. Laurent Trévisani . - Nos contrats de sous-traitance concernent la distribution des boîtiers qui relève de notre filiale Geodis, pour le compte d'Écomouv'. Nous ne participons pas à la conception des produits.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Vous n'avez donc pas facturé cette prestation ?

M. Laurent Trévisani . - Ce contrat de 6 millions d'euros a connu un commencement de facturation, notamment pour les prestations qui ont commencé à être réalisées. Mais nous ne sommes pas encore payés de la totalité en raison de la suspension des paiements liée à la situation de trésorerie du consortium.

En plus des opérations que nous assurons via notre filiale Geodis, nous avons également signé un contrat de maintenance du dispositif au sol via SNCF Infra qui s'appliquera pendant la période d'exploitation, pour un montant de 36 millions d'euros sur une période de onze ans. Cette prestation n'a pas encore commencé.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - La situation actuelle de la suspension ne vous crée-t-elle pas trop de soucis ?

M. Laurent Trévisani . - Le montant des impayés, à ce jour, s'élève à 800 000 euros pour Geodis.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - L'extrait du procès-verbal du conseil d'administration du 27 septembre 2011 qui nous a été remis ne nous donne que le résultat du vote final mais aucun élément de la discussion, ni les positions des uns et des autres. Pourrions-nous avoir l'intégralité du document ? Pourrions-nous également disposer de tous les avis des échelons précédents, notamment la mission du contrôle économique et financier, etc., pour comprendre tous les tenants et aboutissants ?

J'ai aussi du mal à comprendre la relation entre 15,1 millions et 787 millions d'euros, la première somme ne représentant pas 10 % de la seconde. Il serait intéressant que vous nous donniez, par écrit, des éléments complémentaires.

M. Laurent Trévisani . - Bien sûr, sans aucun problème.

M. Jean-Jacques Filleul . - Comment pouvez-vous souhaiter devenir un acteur de la mobilité dans la collecte électronique au niveau européen tout en investissant dans Écomouv' SAS qui est complètement étanche d'Écomouv' D & B ? C'est plutôt une prise de participation dans un process capitalistique.

Vous dites que vous bénéficiez d'une rémunération de sous-traitant de Thales dans ce projet. Or, Thales appartient également à Écomouv' SAS. De quel type de rémunération bénéficiez-vous auprès de cette entreprise ?

M. Laurent Trévisani . - L'étanchéité dont je parlais entre Écomouv' SAS et Écomouv' D & B est juridique. Écomouv' SAS porte le contrat de partenariat signé avec l'État et Écomouv' D & B construit le dispositif. C'est dans cette deuxième entreprise que réside le savoir-faire du dispositif.

Cette participation constitue, pour nous, un premier pas pour acquérir un savoir-faire dans la collecte, en s'associant avec Autostrade. C'est une manière de tisser des liens capitalistiques avec cette entreprise.

Quand une entreprise souhaite participer à un consortium, les autres partenaires évaluent la valeur ajoutée qu'elle peut apporter. À l'époque, nous avions relativement peu de savoir-faire sur la conception et le déploiement d'un système embarqué si bien que nous avions peu de valeur ajoutée à apporter à Écomouv' D & B.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - De votre point de vue aujourd'hui, en raison de la suspension de l'écotaxe, la société en difficulté est celle à laquelle vous participez, à savoir Écomouv' SAS ?

M. Laurent Trévisani . - Tout à fait. Les deux sont en difficulté. La première est impactée dans la mesure où c'est celle qui a signé en amont le contrat de partenariat avec l'État, mais la seconde l'est aussi.

Pour répondre à M. Filleul, la branche Infra a passé un contrat de sous-traitance avec Thales, avec des engagements réciproques. Nous assurons une prestation pour laquelle nous sommes rémunérés, avec une marge.

Dans les 36 millions d'euros de chiffres d'affaires, nous avons intégré une marge.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Comment réalisez-vous la prestation de logistique ? À quel endroit, suivant quelles modalités ? Avez-vous dû investir ou s'agit-il de votre matériel propre ? Qu'en est-il du personnel ? Que vous apporte cette opération ?

M. Laurent Trévisani . - La prestation est réalisée par une filiale de Geodis dans un entrepôt que nous possédons déjà : nous utilisons nos moyens propres et nos personnels. Pour la distribution, nous avons utilisé les moyens de distribution de Geodis. Pour mémoire, cette filiale a un chiffre d'affaires de sept à huit milliards d'euros, dont trois à quatre milliards d'euros en France. Elle a les moyens de réaliser ce contrat.

En ce qui concerne la question de savoir ce que ce contrat nous apporte, il y a une augmentation du volume d'affaires qui s'ajoute à celui réalisé par Geodis.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Est-ce que d'autres prestataires interviennent ?

M. Laurent Trévisani . - Thales, Steria et SFR.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - En matière de logistique ?

M. Laurent Trévisani . - À ma connaissance, non.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Vous avez donc obtenu la totalité du marché ?

M. Laurent Trévisani . - Il me semble, oui.

M. Michel Teston . - Dans votre réponse sur les raisons de la participation de la SNCF, vous avez évoqué l'intérêt stratégique de la SNCF. Cet intérêt est-il si fort que cela pour la SNCF ? Ne s'agissait-il pas d'éviter qu'un concurrent, un autre grand opérateur ferroviaire européen par exemple, accepte si vous refusiez ? Est-ce une interprétation soutenable ou est-elle totalement erronée ?

M. Laurent Trévisani . - Nous allons sur un terrain délicat. Je vais prendre une précaution en vous informant que je n'étais pas à ce poste en 2009, au moment des discussions avec Autostrade. Mais à ma connaissance, la raison que vous indiquez n'est pas un argument qui valait et a prévalu. Sur d'autres sujets, peut-être, mais sur celui-là, à ma connaissance, non.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Je repose ma question sur la situation de 2014. Combien de temps peut-on tenir comme cela ? Écomouv' a parlé d'un an devant l'Assemblée nationale : de quelle société s'agissait-il, la première ou la seconde ? Comment vivez-vous cette situation ?

M. Laurent Trévisani . - Compte tenu des décisions de gestion et du pilotage resserré en matière de trésorerie, nous pouvons tenir jusqu'à fin mars 2014. Si j'ai bien compris les propos de M. Castellucci, c'est la position qu'il partage aussi. Si aucune décision n'est prise sur la réception, nous aurons un problème de trésorerie. Les banques prendront leurs dispositions et nous pourrions entrer dans un cas de défaut.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Êtes-vous concernés par la cession « Dailly » ?

M. Laurent Trévisani . - Oui. Depuis courant janvier, ont lieu des discussions tripartites avec l'État, les banques et les actionnaires, qui devraient aboutir à la signature d'un protocole avec des engagements réciproques. Dès que nous connaîtrons la date de réception, nous pourrons discuter avec les banques pour éviter le cas de défaut. Mais ces discussions sont toujours ouvertes et non finalisées. En attendant, nous pouvons tenir jusqu'à fin mars.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Auriez-vous éventuellement la capacité financière et l'autorisation de votre tutelle ou de vos associés pour recapitaliser Écomouv' en cas de problème ?

M. Laurent Trévisani . - C'est un sujet, mais nous n'en sommes pas là aujourd'hui.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - N'avez-vous pas encore abordé cette question ?

M. Laurent Trévisani . - Non. Il est difficile de travailler sur des schémas de refinancement tant que nous ne connaissons pas la date de mise à disposition, qui marque le début du versement de la rémunération. Une fois qu'elle sera connue et que le coût du retard pourra être évalué, nous pourrons qualifier et quantifier le schéma de refinancement et modifier le schéma de remboursement de la dette, par étalement si cela est possible ou par une recapitalisation. C'est un travail qui est devant nous.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Avez-vous eu connaissance des défauts majeurs constatés lors des vérifications d'aptitude au bon fonctionnement (VABF) ? Qu'en pensez-vous ?

M. Laurent Trévisani . - Il y a eu quelques défauts. Nous ne sommes qu'actionnaires minoritaires, et pas dans Écomouv' D & B, mais je ne pense pas que tout le retard pris est imputable à ces défauts. Sur un tel projet, avec une période très courte de construction, de deux ans, et la mise en oeuvre d'une technologie innovante, quelques mois de retard peuvent s'expliquer, même s'ils ont un coût.

Certes, il y a eu des difficultés. Mais la VABF a tout de même été reçue le 17 janvier 2014 ce qui ouvre le délai de deux mois durant lequel la mise à disposition et la réception doivent aboutir.

M. Jean-Jacques Filleul . - Vous êtes actionnaire minoritaire à hauteur de 10 %. Mais cela induit-il que Geodis soit directement entraîné dans cette opération ? Y a-t-il eu un appel d'offres ou bien est-ce le contrat que vous avez passé avec Écomouv' SAS qui permet à Geodis de travailler dans ce projet ?

M. Laurent Trévisani . - La contractualisation s'est faite via la société Écomouv' qui met en oeuvre les règles de passation qui s'appliquent à ce type de structure et qui ne sont pas celles de la commande publique. À ma connaissance, Écomouv' a certes accepté de contractualiser avec Geodis, après avoir fait un benchmark pour s'assurer que la prestation était du niveau de qualité requis et au prix du marché.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous vous remercions pour vos réponses.

Audition de M. Roland Peylet, conseiller d'État, président de la commission consultative créée par le décret du 30 mars 2009 (Mercredi 5 février 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous recevons M. Roland Peylet, conseiller d'État, président de la commission consultative créée par le décret du 30 mars 2009 relatif aux modalités d'application du III de l'article 153 de la loi du 27 décembre 2008 de finances pour 2009, chargée de donner son avis sur « la sélection et le choix des candidats à la dévolution du contrat » mettant en oeuvre l'écotaxe poids lourds. Cette commission pouvait également être saisie pour avis par le ministre chargé des transports, à tout stade de la procédure et dans le respect du principe d'égalité de traitement des candidats, « sur toute question relative au déroulement de la procédure et sur les dossiers présentés par les candidats ». Comment se sont déroulés les travaux de la commission ? Quel a été son rôle exact ?

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Roland Peylet prête serment.

M. Roland Peylet, conseiller d'État, président de la commission consultative . - Tout d'abord, je voudrais vous donner quelques éléments sur le contexte de la mise en place de cette commission consultative. En 2006, le Parlement a instauré par amendement, contre l'avis du Gouvernement, une taxe expérimentale sur les poids lourds en Alsace pour tenter de mettre un terme au report de trafic des poids lourds en transit sur le réseau routier alsacien et lorrain à la suite de l'instauration, en Allemagne, de la LKW-Maut, s'appliquant aux poids lourds d'au moins 12 tonnes et circulant sur le réseau autoroutier fédéral. Le dispositif de cet amendement n'avait pas été soumis à l'avis du Conseil d'État. Il n'y a pas eu non plus de recours devant le Conseil constitutionnel. L'article 27 de la loi du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports a inséré à cet effet un article 285 septies dans le code des douanes, rapidement modifié par l'article 118 de la loi de finances rectificative pour 2006 du 30 décembre 2006 prévoyant notamment l'intervention d'un prestataire privé pour l'établissement de l'assiette de la taxe. Ainsi, c'est dès cette loi de finances du 30 décembre 2006 qu'est prévue l'intervention d'un prestataire, mais dont les missions n'étaient pas aussi étendues que celles prévues par la suite. On peut penser que c'est en raison des difficultés prévisibles de recouvrement d'une taxe de cette nature que le Gouvernement avait donné un avis défavorable à l'amendement instituant son expérimentation en Alsace.

Le Gouvernement, souhaitant étendre la taxe à l'ensemble du territoire, a demandé au Conseil d'État un avis, portant notamment sur la possibilité de confier à un prestataire privé, sous le contrôle de l'État, non seulement la conception, la réalisation et la gestion des moyens électroniques de télépéage, mais aussi l'établissement de l'assiette de la taxe, sa liquidation et son recouvrement. L'avis de la section des finances du Conseil d'État du 11 décembre 2007 indique que « Aucun principe de valeur constitutionnelle ne s'oppose à ce que le législateur confie à un prestataire privé la mission de réaliser les prestations de collecte des éléments d'assiette, de liquidation et de recouvrement de la taxe « poids lourds», sous réserve que cet organisme soit placé dans cette mesure sous le contrôle de l'État, que soient constituées des garanties de nature à assurer le reversement intégral des sommes facturées et que l'exécution du service public soit assurée dans le respect des règles comptables appropriées ». La nature fiscale du prélèvement n'a jamais fait de doute pour personne.

La voie était ainsi ouverte à la généralisation du dispositif, ce qui fut fait avec l'article 153 de la loi de finances pour 2009 maintenant le dispositif alsacien qui sera abrogé seulement par la loi du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transport. Le dispositif national forme le chapitre II du titre X du code des douanes (articles 269 à 283 quinquies ). Le III de cet article, modifié par la loi de finances rectificative pour 2012, a autorisé l'État à confier à un prestataire privé l'exercice, sous son contrôle et dans le cadre fixé par l'avis du 11 décembre 2007, l'essentiel des tâches de recouvrement. Les technologies envisagées, conformément à la directive 2004/50/CE du 29 avril 2004 concernant l'interopérabilité des systèmes de télépéage routier étaient soit celle des ondes courtes soit la technologie satellitaire. Dans les deux cas, le système exige des équipements embarqués à bord des véhicules, plus coûteux avec la technologie satellitaire, laquelle en revanche n'impose pas la réalisation de portiques ou de potences.

C'est là qu'est intervenue la commission consultative que j'ai été amené à présider, dont le Gouvernement a décidé la mise en place par le décret du 30 mars 2009 relatif aux modalités d'application du III de l'article 153 de la loi de finances rectificative pour 2009. Nul texte n'obligeait le Gouvernement à créer cette commission consultative. Il l'a souhaité et le Conseil d'État n'avait rien trouvé à redire sur ce sujet. Les missions de cette commission, selon l'article 2 du décret, consistaient à donner un avis, d'une part, sur la sélection et le choix des candidats à la dévolution du contrat que devait conclure, selon la loi, le ministre chargé des transports - ces missions sont obligatoires - et, d'autre part, sur toute question relative au déroulement de la procédure et sur les dossiers présentés - il s'agit de missions facultatives. Rien ne s'opposant à la création d'une telle commission, le décret n'a pas reçu d'objection de la part du Conseil d'État qui, toutefois, a disjoint l'article soumettant le contrat lui-même à l'approbation de la commission, dès lors qu'elle avait un rôle consultatif. La nature du contrat n'était alors pas précisée parce que, peut-être, le Gouvernement ne souhaitait pas soumettre à l'avis du Conseil d'État cette question. Il n'avait d'ailleurs pas à le faire. Cependant, le Gouvernement avait sans doute déjà décidé de conclure un contrat de partenariat, ce que laisse sous-entendre la présence, au sein de la commission, d'un représentant de la mission d'appui aux partenariats public-privé (Mappp).

La composition de cette commission, définie à l'article 3 du décret, comprenait : un président membre du Conseil d'État - j'ai été désigné par le vice-président du Conseil d'État - le directeur général des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), le directeur général des douanes et droits indirects (DGDDI), le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), le directeur du budget, le président de la Mappp - ou leurs représentants. Son secrétariat était assuré par la DGITM. Il s'agissait donc d'une commission purement administrative et sa mission était à géométrie variable. Le ministre, qui pouvait lui soumettre toute question relative au déroulement de la procédure et aux dossiers présentés, n'a fait usage de cette faculté qu'une seule fois, pour l'élimination d'une offre ne répondant pas au cahier des charges, avant l'examen comparé des offres finales. Les membres de la commission ont pris un engagement de confidentialité.

Au total, le rôle de la commission est demeuré relativement modeste. Elle ne s'est réunie que trois fois : le 28 juillet 2009, pour le choix des candidats invités à participer au dialogue compétitif selon la procédure prévue par l'ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat ; le 14 octobre 2010, pour statuer sur la recevabilité des offres finales - il s'agissait d'un avis facultatif de la commission ; le 13 décembre 2010, pour le classement des offres restant en lice. Chaque séance s'est déroulée en deux temps. D'abord, présentation, par la DGITM, des formalités accomplies et des analyses réalisées par ses services, en présence de ses conseils, puis délibération en présence des seules personnes chargées du secrétariat. Ont été remis à chaque fois aux membres de la commission un rapport écrit circonstancié comparant les candidatures puis les offres, ainsi qu'un document de synthèse sous forme de transparents pour le classement final. Les membres de la commission étaient tous présents lors de la première séance ; le représentant de la DGCCRF était absent lors des deux dernières, sans motif particulier. Les cinq candidats initiaux ont tous été admis à participer au dialogue compétitif, par décision ministérielle du 28 août 2009 - suivant en cela l'avis de la commission -, malgré les qualités techniques moindres de l'un d'eux que la commission n'a pas estimé suffisantes pour l'écarter. Il aurait fallu déclarer ce candidat dans l'incapacité de répondre au cahier des charges mais rien ne nous permettait d'aller jusque-là.

De longs mois ont passé ensuite pendant lesquels l'administration a conduit le dialogue compétitif - qui est une formalité assez longue dans le cadre d'un contrat de partenariat. Il a duré plus d'une année au cours de laquelle la commission n'a pas été sollicitée et n'a pas reçu d'information particulière. Lors de sa deuxième réunion - le 14 octobre 2010 -, elle a pris connaissance d'un rapport sur la complétude des offres finales - il ne s'agissait pas encore de classer les offres -. L'avis de la commission avait été demandé car l'administration pensait qu'il lui fallait éliminer l'un des candidats dont l'offre ne répondait pas aux spécifications du cahier des charges mais a souhaité recueillir l'avis de la commission pour y procéder. Ainsi, elle a constaté la renonciation à poursuivre du candidat A et l'insuffisance de l'offre du candidat E au regard des exigences du cahier des charges - elle a donc proposé de l'écarter. Il en restait trois en lice. Pour finir, la commission a reçu communication d'une analyse très fouillée des trois offres restantes, faisant application des critères fixés par l'ordonnance et le règlement de la consultation, ce qui lui a permis de proposer, le 13 décembre 2010, un classement entre les trois offres, à l'issue d'une discussion critère par critère. Nous avons accepté les notes proposées par l'administration, sous réserve d'une légère modification d'une des notes de l'un des candidats, sans incidence sur le classement.

Pour rappel, cinq critères ont été examinés. Sur le coût global de l'offre (critère pondéré à 25 %) - à savoir la valeur actuelle nette des redevances demandées à l'État - le candidat en tête s'est montré nettement meilleur que les deux autres après uniformisation des modes de calcul, avec notamment la prise en compte des éléments fiscaux et des index de révision de prix. Je précise que le coût pour l'État était, dans les trois cas, supérieur à ce qui avait été estimé initialement. Le deuxième groupe de critère concernait la qualité technique du projet, comprenant la qualité globale des ouvrages, des équipements et des biens immatériels pour 30 %. En troisième lieu, la robustesse du financement, y compris la solidité des garanties et le niveau des engagements éventuellement demandés à l'État (15 %). En quatrième lieu, le délai de mise en service du dispositif, la crédibilité des moyens proposés pour le respecter et les garanties associées proposées par le candidat (15 %) constitue un critère assez complexe à apprécier compte tenu des nombreux aléas présents sur les « chemins critiques » présentés par chaque candidat. Sur ces chemins critiques, il y avait un certain nombre de facteurs sur lesquels la probabilité devait être crédible. C'est sur ce point que la note du candidat en tête a été revue légèrement à la baisse en raison de quelques incertitudes dans la mesure où les délais annoncés dépendaient, dans une petite mesure, de l'attitude de l'État. Étaient également pris en compte des objectifs de performance, y compris en matière de développement durable, appréciés selon plusieurs indicateurs, ainsi que la crédibilité des moyens proposés pour les atteindre (10 %) et, enfin, la part du contrat confiée aux PME (5 %). Au total, l'offre de l'un des trois candidats se détachait nettement des deux autres.

La commission n'a pas eu beaucoup de difficultés à donner son classement, suivi par les ministres - la ministre de l'écologie et le ministre délégué aux transports - qui ont pris une décision ministérielle de classement le 14 janvier 2011.

L'un des candidats évincés a formé un référé précontractuel devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, lequel a annulé la procédure de passation du contrat par une ordonnance du 8 mars 2011, au motif que l'évolution de la candidature de la société retenue aurait contrarié les principes de transparence et d'intangibilité des candidatures, que l'impartialité des conseils de l'État n'aurait pas été suffisamment établie et que certains des critères auraient été trop imprécis. L'État s'est pourvu en cassation devant le Conseil d'État lequel, statuant au contentieux, par un arrêt du 24 juin 2011, a cassé le jugement et écarté l'ensemble des motifs invoqués. Il a jugé que la société Écomouv' n'avait pas succédé au groupement déclaré attributaire, mais constituait la société de projet en application même du règlement de consultation dont le candidat retenu avait proposé la création dans son offre ; que les documents de la consultation énonçaient précisément les attentes de l'État et les obligations des candidats en matière de respect des délais de mise en oeuvre et d'objectifs de performance ; que le critère du coût global de l'offre, pour lequel il n'avait pas été établi qu'il ait pu favoriser l'offre retenue, était énoncé de façon suffisamment précise ; que le ministre avait pu, sans porter atteinte au principe d'égalité des candidats, exiger un second démonstrateur en cours de procédure après modification du règlement ; que le système de notation n'avait pas favorisé le candidat retenu ; enfin - et c'était le point le plus sensible dont la commission n'avait pas connaissance et ne pouvait l'avoir - que le recours à l'assistance technique de sociétés filiales d'un groupe ayant collaboré ponctuellement avec le candidat retenu ne saurait, à lui seul, caractériser un manquement à l'impartialité de la part de ses conseils extérieurs dans le cadre du dialogue compétitif et vu les diligences accomplies par l'État dans la procédure, et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'égalité entre les candidats n'avait pas été rompue par un défaut d'impartialité des sociétés de conseil technique.

Je n'ai pas à commenter cette décision. Il convient de préciser qu'elle a été prise dans le cadre d'un référé précontractuel, lequel ne s'intéresse qu'aux éventuels manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence dans la passation des marchés publics. Dès lors que ces obligations étaient respectées, il ne lui appartenait pas de revenir sur les mérites comparés des offres tels qu'ils ont été appréciés. Il ne faut pas voir dans cette décision quelque appréciation que ce soit sur les mérites comparés de chaque candidat. Ce n'est pas l'objet d'une décision de cette nature. Le référé précontractuel est limité dans sa portée.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - La commission consultative, avec son nom aussi désuet de consultatif, a eu un rôle primordial, celui de soustraire le Gouvernement à l'obligation de passer devant le Conseil d'État. C'était elle qui constituait la seule garantie de passation du contrat dans des conditions satisfaisantes. Vous nous avez signalé que la DGCCRF a été absente aux deux dernières réunions de la commission sans motif : il nous faudra leur demander pourquoi. Les autres directeurs étaient-ils présents en personne ?

M. Roland Peylet . - Ils étaient représentés, à chaque réunion. Les directeurs eux-mêmes ne se sont pas déplacés.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Vous nous avez indiqué la date à laquelle vous avez commencé vos travaux. De quelle nature ont-ils été ? Avez-vous participé à l'étude préalable ? À la rédaction du cahier des charges ?

M. Roland Peylet . - Ce n'était pas notre rôle. La procédure de passation d'un contrat de partenariat n'impose nullement la création d'une telle commission consultative. Or, il se conclut des contrats de partenariat aux enjeux financiers tout aussi importants, sinon bien plus, que dans cette affaire, notamment en matière d'infrastructures de transport. Pour autant, il n'y a pas de commission consultative. Manifestement, le Gouvernement recherchait des garanties. Le rôle de la commission est décrit par le décret qui l'a créée  à savoir donner un avis sur la liste des candidats et le classement des offres. On a commis un rapport sur ces deux points et la commission s'est prononcée au vu des pièces que l'administration lui a soumises. Elle n'a en rien participé, ni au dialogue compétitif, ni à la procédure. Elle ne pouvait pas le faire car elle n'était que consultative, légalement.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Il n'y avait aucune malice dans mes questions. Avez-vous eu connaissance du cahier des charges et vous êtes-vous prononcé sur la conformité des candidatures à ses prescriptions ?

M. Roland Peylet . - Oui. Nous nous sommes prononcés à un stade intermédiaire sur le respect de la conformité de l'offre d'un des candidats au cahier des charges. Donc, il a fallu pour cela effectuer cette comparaison.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Le cahier des charges était-il, à ce moment-là, conforme à l'étude préalable ou avait-il évolué ? Nous avons appris que le coût prévisionnel était passé de 231 millions d'euros, dans l'étude préalable, à 650 millions d'euros. On nous a indiqués qu'il y avait eu des dérives, plutôt des amendements ou des modifications au niveau du cahier des charges. Lorsque vous avez eu connaissance du cahier des charges, toutes ces modifications étaient-elles incluses ?

M. Roland Peylet . - Nous n'avons eu en mains que la version définitive.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - En quoi le candidat retenu se détachait-il nettement des autres candidats ? Qu'entendez-vous par « nettement » ?

M. Roland Peylet . - Sur la totalité des critères, le candidat retenu a obtenu des notes supérieures dans chaque groupe de critères, et globalement.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Pourrez-vous à huis-clos nous communiquer ces notes et nous expliquer en quoi a consisté l'uniformisation des modes de calcul ?

M. Roland Peylet . - Je pourrai vous communiquer des extraits du rapport d'analyse.

M. Éric Doligé . - Vous avez estimé que la présence d'un représentant de la Mappp au sein de la commission consultative laissait sous-entendre que le choix du Gouvernement en faveur d'un contrat de partenariat était déjà pris. On peut dire a contrario que le Gouvernement avait décidé d'inclure un représentant de la Mappp, pour se protéger, dans le cas d'un recours à un contrat de partenariat. Comme il existe plusieurs types de marchés, il a estimé utile de prévoir la présence d'un représentant de la Mappp. Mais peut-être votre analyse est-elle meilleure que la mienne.

M. Roland Peylet . - Sans trahir le secret du délibéré de la section des travaux publics du Conseil d'État auquel j'ai participé, lorsque nous avons discuté le projet de décret du 30 mars 2009 tel que le Gouvernement nous l'a soumis - je ne savais pas encore que je serai pressenti comme président de cette commission - j'avais estimé que l'on prenait beaucoup de précaution, peut-être à tort. La loi n'avait pas prévu la forme du contrat ; elle n'avait pas à le faire car cela ne relève pas du domaine législatif. Le projet de décret ne prévoyait pas non plus la forme du contrat. Il dispose simplement : « pour mener la procédure préalable à la conclusion de tout contrat confiant à un prestataire extérieur tout ou partie des missions ». Il laissait donc la porte ouverte, avec l'expression « tout contrat ». Mais la présence du président de la Mappp met un peu la puce à l'oreille. Nous avons pensé, car nous avons des contacts avec les commissaires du Gouvernement avant l'examen des projets de décret en Conseil d'État, que la décision était déjà prise. Simplement, mon interprétation - je ne peux dire si elle est bonne ou pas - est que le Gouvernement ne souhaitait pas soumettre, à l'avis du Conseil d'État, le choix de la nature du contrat.

M. Jean-Pierre Sueur . - M. Doligé et moi-même sommes élus d'un département qui porte un grand intérêt aux partenariats public-privé. Nous connaissons votre vigilance à l'égard de ces procédures, que vous avez eu l'occasion de démontrer depuis, dans d'autres fonctions à caractère public.

M. Roland Peylet . - En effet, cela est connu.

M. Jean-Pierre Sueur . - Première question : avez-vous eu le sentiment que la question ait été véritablement posée de savoir s'il fallait privilégier un contrat de partenariat ou un marché public classique. Autrement dit, les deux solutions ont-elles été mises en concurrence ? Ce qui pose une question récurrente qui me préoccupe : comment procéder à une évaluation préalable lorsqu'on ignore quels seraient les candidats susceptibles de se présenter aux deux procédures et les conditions qu'ils proposeraient ? Cette évaluation préalable me semble étrange, peu rationnelle.

Deuxième question : quelles analyses faites-vous de la procédure de dialogue compétitif ? Les analyses dont nous avons pris connaissance ne sont pas toutes convergentes les unes avec les autres Voici mon interprétation du dialogue compétitif : en même temps que les entreprises et les groupements sont concurrents, ils peuvent contribuer à modifier le cahier des charges, étant entendu que le principe d'égalité doit être à tout moment respecté. Comment cela s'est-il passé effectivement selon les éléments dont vous disposez ? Les propositions de modifications qu'ils ont formulées ont-elles été immédiatement communiquées aux autres, ou bien ces modifications ont-elles été engrangées pour donner lieu par la suite à la rédaction d'un cahier des charges final ? Comment le dialogue compétitif s'est-il déroulé ?

À ce propos, beaucoup de gens parlent du rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) sur les partenariats public-privé (PPP). Avez-vous eu connaissance de ce rapport ? Je vais demander sa communication à l'Inspection générale des finances par courrier.

M. Roland Peylet . - Votre question amène à porter une appréciation globale sur la procédure de contrat de partenariat et le dialogue compétitif.

Quant à l'IGF, j'ai été auditionné par l'un de ses rapporteurs dans le cadre de ma mission sur les PPP en milieu universitaire. Je connais l'existence de la préparation de ce rapport mais je n'ai pas vu le rapport final. Je suis membre au Conseil d'État de la section des travaux publics qui n'est pas chargée de l'examen des PPP qui relève de la section de l'administration.

Pour revenir sur la procédure de PPP en tant que telle, je ne peux pas porter d'appréciation. Les PPP sont en réalité très variés. Une concession ou une délégation de service public sont des PPP. Ce dont on parle, c'est du contrat de partenariat au sens de l'ordonnance du 17 juin 2004. Dans le cadre d'une concession, par exemple, le risque d'exploitation est pris en charge par le titulaire du contrat alors que ce n'est pas le cas dans un PPP. Il y a des risques liés à l'obtention de certaines performances. Le contrat de partenariat a été créé notamment pour contourner l'interdiction du paiement différé en matière de marchés publics qui était l'une des raisons pour lesquelles les marchés d'entreprise de travaux publics (METP) n'ont pas eu le succès escompté. Je ne veux pas porter d'appréciation globale. Je remarque cependant que le dialogue compétitif suscite un appétit certain de la part des entreprises, au point d'ailleurs que les derniers travaux de la Commission européenne, qui prépare une nouvelle directive sur les marchés publics, vont élargir le champ de la procédure de dialogue compétitif Elle a des inconvénients  mais elle présente également de nombreux avantages. Il est difficile d'entretenir et de maintenir strictement l'égalité de traitement des candidats qui demande une vigilance de tous les instants. Mais elle introduit une souplesse bienvenue dans ce dispositif très rigide. Lorsque vous proposez un cahier des charges, vous ne pouvez plus le faire évoluer, ainsi que les propositions d'offres qui sont faites pour y répondre. Apparemment, la balance semble y être favorable ; je reste quant à moi circonspect.

Dans le cas d'espèce - mais je fais là un procès d'intention -, c'est délicat - mais je crois que le PPP a été décidé dès l'origine. Toutefois, le projet s'y prêtait puisqu'il s'agit de collecter un impôt. C'est tout au long du marché que vont s'équilibrer recettes et dépenses. Le fait d'avoir des paiements qui s'échelonnent au fur et à mesure des rentrées fiscales n'est pas absurde en soi. Dans le cadre d'un marché public classique, l'État aurait dû payer tout de suite la prestation alors même qu'il n'aurait pas bénéficié des rentrées fiscales correspondantes, ce qui l'aurait obligé à recourir à une autre source de financement. C'est pour cela que j'ai tendance à penser que le recours à un contrat de partenariat était envisagé dès le départ. C'est un procès d'intention car je ne dispose d'aucun élément confirmant ce point de vue.

La commission consultative était complètement absente lors de la conduite du dialogue compétitif.

M. Jean-Pierre Sueur . - A l'issue du dialogue compétitif, avez-vous lu les documents qui ont été produits ?

M. Roland Peylet . - Nous avons eu communication du rapport sur les offres finales, mais nous n'avons pas eu connaissance des étapes intermédiaires.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - On nous a dit que, juste avant l'offre finale, le Gouvernement a procédé à un fort recadrage sur tel ou tel point, afin de lisser le dialogue compétitif.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Si l'État n'avait pas recouru à un contrat de partenariat, il aurait dû financer lui-même les investissements nécessaires : cela n'aurait-il pas coûté moins cher que le recours à un contrat de partenariat ? Les PPP éliminent un certain nombre d'investissements des comptes publics, ce qui donne une apparence peut-être plus saine du budget de l'État, mais peuvent s'accompagner de frais financiers plus onéreux. Était-ce le bon choix ?

M. Roland Peylet . - C'est une question très générale sur l'appréciation qu'on peut porter sur tout contrat de partenariat. La question est de savoir si l'État a les moyens de financer à moindre coût...

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Les PPP sont rarement utilisés pour la perception de recettes.

M. Roland Peylet . - Ce que j'ai dit précédemment n'est pas une appréciation sur le recours à un contrat de partenariat. Je me suis contenté de répondre à une question qui visait à savoir si l'État avait pensé, dès le départ de la réflexion, à recourir à ce type de contrat. Il me semble qu'il y a de bonnes raisons à penser que oui car nous sommes dans une situation qui peut plus naturellement appeler ce type de contrat. Mais je n'en ai aucune preuve.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - On disposait de comparaisons avec ce qui se passe dans d'autres pays.

M. Roland Peylet . - S'interroger sur le fait de savoir s'il fallait mieux, en l'espèce, recourir à un contrat de partenariat ou à une autre forme de marché public est une autre question, pour laquelle je ne dispose pas d'information me permettant d'apporter une appréciation. Mais je suis de ceux qui considèrent que, d'une façon générale, l'État doit pouvoir financer à bon compte par l'emprunt, car il bénéficie de meilleures conditions par rapport à des financements de nature privée. Pour autant, dans des circonstances particulières, le contrat de partenariat peut être intéressant. Il repose sur la philosophie de la private finance initiative (PFI) britannique, selon lesquels les personnes privées sont par nature plus efficaces que les personnes publiques et donc, le coût d'un projet est moins élevé.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Pour aller dans votre sens selon lequel le recours à un contrat de partenariat avait été décidé en amont, je rappelle que la Mappp a été saisie sur l'évaluation préalable le 4 décembre 2008. La décision était prise avant la saisine de votre commission. Il y avait des incertitudes sur les études et les tests à faire. On n'était pas sûr de la technique envisagée et de la manière dont on allait l'employer. Laisser cela au privé me semble risqué, quoique je défende plus les PPP que certains...

M. Jean-Pierre Sueur . - Pour ma part, je défends l'interprétation qu'en fait le Conseil constitutionnel, selon laquelle les contrats de partenariat sont adaptés aux cas d'urgence et de complexité. Je ne suis pas favorable à leur généralisation.

Je suis frappé par le fait que les portiques ne permettent en rien de percevoir la taxe, seulement de contrôler. Outre leur intérêt architectural, patrimonial, artistique, environnemental, était-il nécessaire de dépenser autant pour contrôler ? Il existe des gendarmes, des policiers qui auraient pu effectuer ce contrôle... Pensez-vous que ces portiques, eu égard à leur nombre et leur coût, étaient nécessaires pour que le système soit fiable ?

M. Roland Peylet . - L'égalité devant l'impôt étant en jeu, le contrôle doit donc être complet. Quelques gendarmes ou policiers n'y suffiraient pas. Pour percevoir une telle taxe, qui est un péage, il y a diverses techniques : des barrières de contrôle, comme sur les autoroutes ; un système de caméra, comme à Londres pour le péage urbain, ce qui est également très coûteux, la moitié de la recette dit-on.

M. Jean-Pierre Sueur . - Les portiques aussi coûtent cher !

M. Roland Peylet . - La technologie satellitaire était aussi envisageable, elle évite les portiques mais le matériel embarqué est dans ce cas beaucoup plus onéreux. Il y a dans toutes les options des coûts de recouvrement. Je ne pense pas qu'il faille compter sur quelques gendarmes au bord des routes pour cela.

M. François Grosdidier . - Il me semblait que la perception était faite par voie satellitaire et le contrôle par les portiques.

M. Jean-Pierre Sueur . - J'ai aussi compris cela.

M. François Grosdidier . - Pour le contrôle, j'avais compris qu'il fallait recourir, soit à un mode satellitaire, soit à des gendarmes supplémentaires. On peut concevoir qu'en période de réduction des effectifs et, dans un même temps, d'augmentation des besoins de sécurité, on puisse affecter les gendarmes à autre chose qu'à des contrôles de péage. C'est un choix politique. Un mode de contrôle satellitaire est-il envisageable ? C'est ce que j'ai cru comprendre.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Le satellite indique le lieu où se trouve le boîtier, mais si les camions ne sont pas équipés ou si le boitier n'est pas branché, il ne détecte rien...

M. François Grosdidier . - Or, sans contrôle, pas de paiement effectif de l'impôt...

En Lorraine, on a mis un système en place pour endiguer le report de trafic de poids lourds de l'Allemagne vers la France. Les véhicules de 12 tonnes étaient seuls concernés en Allemagne, pourquoi n'en est-on pas resté à ce seuil puisque c'est l'abaissement à 3,5 tonnes qui était source de mécontentement et de protestation de la part des professionnels ?

Dès la loi de décembre 2006, le recours à un partenaire privé a été évoqué, mais pas forcément sous la forme du PPP, disiez-vous. Quelle autre forme aurait été possible ? On peut penser que le choix d'un contrat de partenariat allait de soi compte tenu de la technicité du projet. D'après la jurisprudence du Conseil constitutionnel et quelle que soit notre approche du PPP, la complexité - et nous sommes dans une matière infiniment plus complexe que la construction d'un lycée ou d'une ligne à grande vitesse
- indépendamment du fait qu'il y ait ou pas des recettes futures générées par cet investissement, est l'un des critères qui justifie le recours à un PPP. En 2006, le périmètre de l'intervention privée n'était pas encore défini. Pour tout investissement, on a recours au secteur privé, ne serait-ce que pour construire. Mais le PPP n'était-il pas l'issue naturelle, compte tenu de la complexité et du besoin de financement ? Ces questions ont-elles fait débat et comment ?

Entre l'installation du nouveau Gouvernement en juin 2012 et l'annonce de la suspension de l'écotaxe par le Premier ministre, avez-vous été sollicités par le Gouvernement pour donner des explications sur l'exécution du contrat ? Des zones d'ombre sont-elles apparues alors, ou ces questions n'ont-elles émergé qu'après l'annonce de la suspension pour des raisons très extérieures à la procédure ?

M. Roland Peylet . - Je n'ai pas participé au débat en 2006. L'article 118 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2006 ne concernait que la taxe alsacienne. La généralisation de cette taxe n'était pas encore envisagée. Mais, dès ce moment, l'intervention d'un partenaire privé était envisagée et l'article 118 a corrigé en ce sens l'article 27 de la loi du 5 janvier 2006 : car, dès l'origine, le recouvrement de cette taxe limitée à l'Alsace posait problème aux services de l'État. L'article 118 traite de l'établissement de l'assiette, non de son contrôle.

L'avis du Conseil d'État du 11 décembre 2007 a été rendu par la section des finances du Conseil d'État. Je n'y siège pas et je n'avais jamais entendu parler de cet avis avant d'être nommé président de la commission consultative. Mais je pense que l'idée était admise que le trafic des camions ayant un coût pour la collectivité, ces derniers pouvaient légitimement être appelés à participer au financement des infrastructures de transport et, plus particulièrement, de l'agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), qui n'a plus d'argent. Les travaux du canal Seine-Nord-Europe vers la Belgique, par exemple, sont arrêtés faute de moyens.

J'en viens à votre deuxième question : j'ai plutôt le sentiment, à mon niveau, qu'il y a eu une continuité avant et après juin 2012, entre l'ancien et le nouveau Gouvernement, sur l'écotaxe. Le flux de textes soumis à la section des travaux publics du Conseil d'État, qui est considérable, ne s'est pas interrompu - réduction de 50 % du taux en Bretagne, description du réseau concerné par la taxe, etc. Le Gouvernement, me semble-t-il, comptait vraiment sur les recettes de la taxe à partir du 1 er janvier 2014 pour alimenter l'Afitf. Un membre du cabinet de M. Cuvillier à qui je demandais si cette taxe serait un jour en vigueur m'a fait une réponse très assurée.

M. François Grosdidier . - Il n'y avait pas d'interrogations sur les modalités de mise en oeuvre ?

M. Roland Peylet . - Pas du tout. C'est ce que j'ai, en tout cas, ressenti.

M. Éric Doligé . - Pourrions-nous avoir une description technique du dispositif ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous nous sommes déplacés à Metz où l'on nous a tout expliqué.

M. Éric Doligé . - Je suis allé chez un fabricant de boîtiers par hasard où l'on voit très bien les fonctions du boîtier - satellitaire, péage, repérage, etc. Il faut connaître l'utilité des portiques et des bornes. Il serait bon de connaître aussi le nombre exact de véhicules à équiper : 400 000 ou 800 000 ?

Vous avez dit, Monsieur Peylet, que l'Afitf n'avait plus d'argent pour financer les infrastructures publiques. Vous pourriez ajouter : « et les collectivités non plus ». Elles ne disposent plus des ressources nécessaires pour financer leur réseau et leur politique d'aménagement public, surtout que des routes nationales ont été transférées par l'État aux collectivités, qui comptaient sur les recettes de l'écotaxe pour financer des travaux et sont aujourd'hui dans une situation difficile.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - L'écotaxe est suspendue, mais le contrat continue à produire ses effets. Notre commission d'enquête doit évaluer aussi les conséquences financières de cette suspension si elle se poursuit ou en cas de résiliation du contrat.

Considérez-vous que votre mission a pris fin ? Et si oui, à quelle date ?

M. Roland Peylet . - Elle a pris fin lorsque les ministres ont classé les offres et ont choisi le candidat.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Avez-vous présenté vos conclusions au ministère des transports ?

M. Roland Peylet . - Nous avions produit notre avis. Et c'est la DGITM qui était chargée de présenter les conclusions au ministre.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Quelle distinction faites-vous entre vos avis et celui de la Mappp ?

M. Roland Peylet . - Celui de la Mappp a un effet juridique, il est indispensable pour procéder à la signature d'un contrat de partenariat pour l'État. Ceci dit, dès lors qu'une commission consultative a été créée, son avis est nécessaire, mais il ne s'agit que d'un avis.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - S'agissant du recouvrement, la direction des douanes et des droits indirects nous a indiqué que l'assemblée générale du Conseil d'État avait validé ses modalités.

M. Roland Peylet . - Il y a eu plusieurs avis du Conseil d'État. Tout d'abord, l'avis du 11 décembre 2007, que je vous ai cité précédemment, qui émane de la section des finances, qui valide le recours à un prestataire privé, y compris pour le recouvrement d'un impôt.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - L'avis en question portait sur un projet de loi de finances.

M. Roland Peylet . - Peut-être faites-vous référence à l'avis de l'assemblée générale sur le projet de loi de finances pour 2009, et notamment son article F 22, devenu l'article 118 de la loi, relatif au contrat de partenariat. La seule trace écrite dont je dispose est une fiche de jurisprudence mais qui n'a pas de lien avec le sujet puisqu'il a trait à la répercussion obligatoire de la nouvelle taxe sur les contrats - et applicables aux contrats en cours - conclus avec les chargeurs.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Merci d'avoir répondu à nos questions.

Audition de M. Antoine Caput, représentant de Thales Communications & Sécurité SAS au comité exécutif d'Écomouv' SAS (Mercredi 5 février 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente. - Monsieur Antoine Caput, vous êtes accompagné de M. Edouard Ricard, directeur juridique de Thales Communications & Sécurité (TCS). Vous voudrez bien nous présenter les motivations ayant conduit TCS à rejoindre Écomouv', nous préciser les relations de TCS, actionnaire et sous-traitant, avec Écomouv'; et évoquer les conséquences financières de la suspension de l'écotaxe.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Antoine Caput prête serment.

M. Antoine Caput, directeur du secteur péages routiers, représentant de la société Thales Communications & Sécurité SAS au sein du comité exécutif d'Écomouv' SAS - Je vous remercie de donner à TCS l'opportunité d'expliquer son positionnement dans le montage contractuel et financier, et ses activités industrielles dans le projet de l'écoredevance poids lourds. Thales intervient avant tout en qualité d'expert industriel. À côté de ses activités bien connues dans l'électronique de défense, les communications sécurisées, l'aéronautique, l'espace, la cybersécurité et les composants de haute technologie, le groupe Thales est un leader mondial dans le secteur des solutions offertes aux opérateurs de transport, qu'il s'agisse de signalisation ferroviaire, de contrôle-commande automatisé, de télécommunications spécialisées, de sécurité, de supervision et de sécurisation des revenus à destination des opérateurs de transport. Nous avons développé à ce titre, depuis notre centre de compétence de Brétigny-sur-Orge, des systèmes de péage et de contrôle pour accompagner le développement des réseaux autoroutiers français et européens. Nous avons ensuite mis au point la technologie innovante (badge radio et balises au sol) du télépéage inter-sociétés qui a permis la création de voies dédiées sans arrêt aux gares de péage du réseau français. C'est sur la base de cette expertise que nous offrons des solutions complètes de péage et de contrôle en flux libre. Dès 2008, nous avons remporté le marché de remplacement des barrières de péage traditionnelles des autoroutes périurbaines de Brisbane, en Australie, par 14 portiques multi-voies. Mise en service en juillet 2009, cette réalisation majeure a permis de diminuer fortement les temps de trajet et le nombre d'accidents. Ce système traite 280 000 passages par jour.

Ce précédent nous a amené à nous intéresser au projet français de redevance poids lourds. Nous avons choisi au démarrage de la consultation de nous positionner comme industriel sous-traitant pour l'ensemble du système de contrôle. Nous avons mené des discussions exploratoires avec différents opérateurs ou acteurs candidats, notamment la société Autostrade, qui avait été notre client, comme opérateur autoroutier en Italie. Nous avons décidé de lui apporter notre soutien dès l'étape de l'offre initiale puis de l'accompagner pendant la consultation. Au cours de ce travail d'équipe, il est apparu opportun pour Autostrade, comme pour les principaux sous-traitants industriels, dont Thales, d'utiliser la faculté ouverte par le règlement de consultation d'entrer au capital de la société de projet une fois le contrat signé. Cette disposition, classique pour un partenariat public-privé (PPP), matérialise pour la puissance publique l'engagement des parties, condition du succès, et renforce la cohésion entre industriels et maître d'ouvrage. Ces éléments sont particulièrement importants dans un projet technologique de longue durée dans lequel les risques et les responsabilités sont élevés. On voit bien, dans les turbulences traversées depuis la suspension de la taxe, l'importance d'avoir réuni ainsi les principaux contributeurs.

Le système de contrôle vise à garantir une collecte optimale de la redevance. L'État s'est inspiré des dispositifs existant dans tous les pays européens dotés d'un péage poids lourds. Il a défini les spécifications fonctionnelles des équipements de contrôle automatique et des outils de contrôle manuel et a fixé les niveaux de performance attendus. Ces objectifs de performance sont cruciaux. Ils déterminent la qualité du service, le coût de l'exploitation et une partie de la rémunération de l'exploitant. Ils peuvent aussi, en cas de défaillance, être contractuellement durement sanctionnés. Il était essentiel que le concepteur-constructeur du système de contrôle reste engagé sur la durée de l'exploitation. C'est la raison pour laquelle, au-delà de la livraison du dispositif de contrôle, Thales est engagé sur sa maintenance totale garantissant la supervision technique des équipements, diagnostiquant les anomalies, diligentant les interventions sur site et assurant la logistique de ces opérations au profit d'Écomouv'. Avant le terme du contrat de partenariat, Thales réalisera aussi les opérations spécifiques de maintenance-entretien final du dispositif de contrôle avant restitution des équipements à l'État.

Nous avons du reste beaucoup participé aux étapes de vérification d'aptitude au bon fonctionnement (VABF), d'homologation et de vérification de service régulier (VSR). Le dispositif de contrôle est abouti, conforme aux exigences et parfaitement fonctionnel, ce que vous avez pu constater lors de votre déplacement à notre centre de traitement des anomalies, à Metz. Tous ses éléments constitutifs sont issus d'entités de Thales localisées en France (Brétigny, Cholet, Vélizy), ainsi que d'un large tissu de PME sous-traitantes. Demain la supervision du système et la conduite des opérations de maintenance seront assurées depuis Lambersart.

TCS a consenti des investissements financiers considérables et a mobilisé des équipes entières d'ingénieurs et de techniciens : au pic de charge, fin 2012, 320 personnes travaillaient sur le projet. La réussite des opérations de recette et de test, la délivrance des certificats d'homologation par l'État sont les témoins de leur implication. La suspension de l'écotaxe est très préoccupante pour nous, comme pour Écomouv', car elle nous impacte comme actionnaire de la société de projet et comme industriel, fournisseur et mainteneur du système de contrôle. Nous sommes à l'écoute de nos clients et attentifs aux contraintes qui s'exercent sur le projet. Nous sommes résolus à aider l'État à trouver une solution pour le faire prospérer à nouveau.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Nous n'avons pas reçu les procès-verbaux des réunions du conseil d'administration de TCS au cours desquelles a été décidée l'entrée au capital d'Écomouv'. Pouvez-vous préciser s'il s'agit d'Écomouv' SAS ou d'Écomouv' D&B ?

M. Antoine Caput . - Les extraits pertinents des deux procès-verbaux des conseils d'administration de TCS et de Thales SAS vous seront adressés dès aujourd'hui.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Nous souhaitons disposer de l'ensemble des discussions pour comprendre comment la décision a été prise, et quelle fut la position du représentant de l'État.

M. Antoine Caput . - Votre observation reprend la question que vous m'aviez adressée sur la position de l'État actionnaire...

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je suis têtue !

M. Antoine Caput . - L'État est membre du conseil d'administration de TCS et de sa maison mère, Thales SAS, dont il détient 26,6 % du capital. L'entrée de TCS au capital d'Écomouv' n'a pas suscité de difficulté particulière, car elle s'inscrit dans la volonté stratégique du groupe Thales d'être présent sur un marché porteur, de créer de la valeur et d'en bénéficier par le biais des dividendes. Il n'y a pas de confusion des rôles : l'agence des participations de l'État (APE) agit comme actionnaire et investisseur avisé, la direction générale des douanes et droits indirects ( DGDDI) et la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) sont responsables d'un marché.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je voudrais juste lire ces procès-verbaux.

M. Antoine Caput . - Les extraits pertinents sont sous pli, prêts à vous être adressés. TCS est l'investisseur et détient les deux contrats en qualité d'industriel. Le règlement de la consultation autorisait la société de projet, une fois attributaire du contrat, à ouvrir son capital à hauteur de 30 % dans les cinq jours suivant la notification du contrat. Ces 30 % ont été répartis, sans difficulté aucune, entre Thales (11 %), la SNCF (10 %), SFR (6 %) et Steria (3 %), à hauteur de leur implication respective dans le projet. Contrairement à ce qui a été avancé de manière outrancière et injuste, la solution globale développée par Écomouv' n'est pas étrangère mais essentiellement française. Elle place la France à la pointe de ce qui a été réalisé en Europe.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je réitère ma question : s'agit-il d'une entrée au capital d'Écomouv' SAS ou d'Écomouv' D&B ?

M. Antoine Caput . - La société de projet est la seule importante. La société de construction n'est pas pérenne. Elle a pour intérêt de conduire la construction et d'isoler le risque de construction vis-à-vis des créanciers du projet. Elle disparaîtra une fois la construction terminée et la période de garantie expirée.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Pouvez-vous préciser la nature du risque ? Dans quelle société est-il localisé ? Qui finance ?

M. Antoine Caput . - Il s'agit des risques qui peuvent survenir au cours de la construction. La société de projet emprunte et rémunère le constructeur pour qu'il construise, mais ce dernier a la responsabilité liée à la construction.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente. - Vous n'avez pas de responsabilité dans la société de construction ?

M. Antoine Caput . - Si : les partenaires qui ont une réelle activité industrielle durant la construction ont également une participation dans la société de construction.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Pourtant la SNCF n'en a pas.

M. Antoine Caput . - Indirectement, elle contribue à la construction par l'intermédiaire de Geodis. Quant à nous, pour les prestations de maintenance pré-opérationnelle (avant la mise à disposition), nous utilisons en sous-traitance les prestations de SNCF-Infra, pour interventions sur les systèmes de contrôle sur les installations déjà déployées. Dans les deux cas, le porteur de l'actionnariat, au sein de Thales, est TCS.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Que représente une participation de 11 % ?

M. Antoine Caput . - Il s'agit du montant total de l'engagement pris par TCS dans la société de projet Écomouv' SAS, qui est de l'ordre de 16 millions d'euros.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Les représentants de la SNCF nous ont indiqué que la société avait emporté le marché de maintenance des dispositifs de contrôle. Vous nous dites la même chose et vous évoqué la sous-traitance de prestations à la SNCF. J'y perds mon latin. Pouvez-vous nous éclairer sur le fonctionnement du système et la répartition des rôles ?

M. Antoine Caput . - SNCF-Infra est le sous-traitant de TCS pour les opérations de maintenance sur site des systèmes de contrôle fixes, c'est-à-dire la maintenance des portiques. La maintenance des dispositifs déplaçables se fait par retour en atelier.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Pouvez-vous définir ce que recouvre cette fonction de contrôle ?

M. Antoine Caput . - Le périmètre ou le système ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous voulons comprendre quelle est votre apport dans le système de contrôle, ce que vous faites...

M. Antoine Caput . - Le système de contrôle se compose de trois niveaux. Le premier niveau, le plus important, est constitué des systèmes de contrôle automatiques, fixes et déplaçables, c'est-à-dire les portiques et les bornes blanches installées en bordure de voie de circulation, qui ne contrôlent qu'une voie mais peuvent être déplacées de mois en mois pour contrôler différents points du réseau taxé. Il s'agit de contrôles exploités par la société Écomouv'.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Qui réalise la maintenance ?

M. Antoine Caput. - La maintenance est réalisée par Thales - et pour partie, celle qui consiste à procéder sur site à des échanges d'équipements en cas de défaillance, ou à l'entretien périodique, par la SNCF ou d'autres sous-traitants. Le second niveau de contrôle est constitué d'outils de contrôle manuels. Il s'agit d'abord de lecteurs portables qui permettent aux corps de contrôle d'interroger les données qui figurent dans l'équipement embarqué. Ces outils sont exploités par les corps de contrôle, douanes, police, gendarmerie.

Il y a aussi des lecteurs mobiles, embarqués dans les véhicules de la douane et qui peuvent faire des contrôles dans le trafic, en circulation. Écomouv' n'exploite pas ces contrôles.

Le troisième niveau est celui de la supervision. Un outil de supervision technique vérifie que l'ensemble du dispositif fonctionne normalement ; il remonte l'information en cas de panne, de manière à ce que les équipes de TCS puissent réaliser un télédiagnostic, préalable à une éventuelle intervention sur site par des agents de SNCF-infra. Enfin, lorsqu'une anomalie est constatée au passage d'un véhicule, l'ensemble des informations collectées sur ce véhicule (plaque d'immatriculation, photo de contexte, classification du véhicule, données figurant à bord de l'équipement embarqué) sont envoyées au centre de traitement des anomalies. Au sein du centre, des opérateurs agréés par la préfecture décident si les anomalies révèlent ou non un manquement susceptible de justifier une sanction. La mission de contrôle d'Écomouv' s'achève à l'émission du rapport de manquement, qui est envoyé aux douanes, lesquelles sont en charge d'infliger les amendes et de les recouvrer.

M. Éric Doligé . - Les portiques et les outils de contrôle manuels visent à contrôler les véhicules et à vérifier s'ils sont en règle. Ces outils sont-ils aussi utilisés pour la facturation ?

M. Antoine Caput . - Le système de contrôle ne joue aucun rôle dans la facturation. Il existe toutefois un lien entre le contrôle et la collecte. Le système de contrôle automatique est discontinu : il existe 173 points de contrôle automatique fixes pour 15 000 kilomètres de route, soit un contrôle tous les 87 kilomètres. L'efficacité du système repose sur le fait que les véhicules assujettis à la taxe transportent un équipement embarqué ; sinon ils sont invisibles pour le système de collecte. Lorsqu'un véhicule assujetti équipé passe devant un portique ou une borne, ceux-ci cherchent à établir un contact radio, selon la norme DSRC, avec l'équipement embarqué. Si le véhicule est équipé, la communication est établie dans la quasi-totalité des cas. Mais il peut arriver, pour diverses raisons, que le contact ne s'opère pas, par exemple en raison de perturbations électriques ou parce que l'équipement embarqué a glissé du tableau de bord. Il serait alors dommageable de sanctionner le véhicule alors qu'il s'agit d'une « fausse » anomalie, car dans ces situations, le véhicule est bien facturé. Pour l'éviter, en l'absence de contact radio, le système de contrôle interroge le système de collecte afin de vérifier si à ce point, une transaction satellitaire de collecte a bien été enregistrée. Si c'est le cas, cela signifie que l'équipement embarqué était bien à bord.

M. Éric Doligé . - Le satellite peut-il avoir une précision suffisante pour distinguer une route taxée d'une autre, très proche, qui ne l'est pas ? Car alors peut-être pourrait-on se passer de portiques.

M. Antoine Caput . - Ce problème est bien connu. Il concerne la collecte - dont TCS n'est pas responsable - et non le système de contrôle. Sans trop m'avancer ou parler à la place de mes partenaires, je crois pouvoir affirmer que le système fourni par Autostrade Technologies à Écomouv' sur la partie collecte répond à cette difficulté. Des balises de localisation sont positionnées à certains endroits spécifiques (routes extrêmement proches, tunnels) ; elles fournissent un signal au sol à l'équipement embarqué. Cette communication radio permet de localiser les véhicules à 20 ou 30 centimètres près. Le but est d'éviter les problèmes qui se sont produits en Allemagne, au début.

M. Éric Doligé . - Sans obligation de contrôler, on pourrait finalement se passer des portiques ?

M. Antoine Caput . - Le système de contrôle ne sert pas à établir la facturation. En tant qu'industriels nous pouvons avoir un avis sur son utilité mais, en tout état de cause, ce système est prescrit par l'État.

M. Éric Doligé . - J'étais sur une fausse piste. Il m'avait été indiqué que la destruction des portiques n'était pas susceptible d'entraver la facturation, mais des intervenants, peut-être juges et parties, m'ont ensuite affirmé l'inverse.

M. Antoine Caput . - Le portique évite de pénaliser indûment certains véhicules dans des circonstances particulières.

M. Éric Doligé . - Il serait donc possible de mettre en place des systèmes de contrôle différents, purement manuels par exemple ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - À mon sens, les portiques sont agressifs.

M. Antoine Caput . - C'est dans la résultante des contraintes technologiques. Dans le cadre du contrôle, nous devons prendre une vue de face du véhicule et une vue de contexte, et établir une communication radio. Seul le portique, positionné au-dessus des voies, permet de satisfaire ces prescriptions sur les axes multivoies. Il en va autrement lorsque le contrôle concerne une seule voie. Les bornes latérales, moins provocantes, sont alors suffisantes. Mais l'essentiel de la taxation est réalisé sur des grands axes à plusieurs voies. Devant les 173 points de contrôle fixes arrêtés par l'État, il passera 610 000 véhicules par jour. Il est totalement illusoire de penser que le contrôle pourrait être efficacement réalisé par des moyens manuels en termes de coût, de moyens et de praticité. Le grand avantage du système proposé par Écomouv' réside dans son faible coût d'exploitation et de maintenance et dans son absence de gêne pour le trafic. Que diraient les transporteurs s'ils devaient ralentir et s'arrêter pour être contrôlés ?

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Dans ce système, celui qui verbalise n'est pas celui qui a constaté l'infraction. Cela pose tout de même une difficulté.

M. Antoine Caput . - La vidéo-verbalisation existe déjà, par exemple à Paris.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Au cours du dialogue compétitif, l'État a-t-il demandé des modifications susceptibles d'augmenter les coûts ?

M. Antoine Caput . - Le dialogue compétitif s'est déroulé entre mars et avril 2010 après la remise des offres initiales. Nous avons - Écomouv' et ses sous-traitants - eu neuf réunions avec l'État sur des thèmes définis. J'imagine que le processus a été le même pour les autres candidats. Puis, l'État a tiré ses conclusions et a modifié le cahier des charges en juillet 2010. Lors des séances, les représentants de l'État n'ont pas formulé de demandes d'ajustement.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - À la fin, le cahier des charges était plus contraignant ?

M. Antoine Caput . - Non pas dans le domaine du contrôle. Le cahier des charges initial prévoyait 300 portiques de contrôle, le cahier des charges final, 173. À contrario, le nombre de contrôles automatiques déplaçables a été augmenté. Les exigences de performance ont été allégées.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Vous n'êtes à ce jour pas encore payé comme actionnaire. L'avez-vous été en votre qualité de sous-traitant ? L'État vous doit-il quelque chose ?

M. Antoine Caput . - La rémunération du capital apporté par TCS se fera sous forme de dividendes lorsqu'Écomouv' le pourra. Les prêts consentis par TCS sont rémunérés par des intérêts qui ont commencé à être versés.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - À quel taux ?

M. Antoine Caput . - Je ne peux vous donner cette information. Il s'agit de taux normaux. En raison de la situation du projet, la rémunération des prêts d'actionnaire est suspendue depuis décembre.

Notre rémunération d'industriel sous-traitant est assurée par la facturation de nos prestations, dans un premier temps auprès de la société de construction puis de la société de projet. Contrairement à la pratique habituelle, l'État n'a pas souhaité la présence d'une société d'exploitation. Il a accepté de déléguer la collecte de la taxe mais a interdit au délégataire de la subdéléguer.

Les prestations industrielles de TCS sont régies par deux contrats : l'un signé avec Écomouv' D&B, concernant la construction du système de contrôle ; le second conclu avec Écomouv' SAS, relatif aux prestations de maintenance. TCS a été réglée jusqu'en juillet 2013 au titre de ses prestations de construction, puis les paiements ont été suspendus. La société n'a pas été rémunérée au titre de la maintenance.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Quelle est la perte subie ?

M. Antoine Caput . - Elle est importante.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Comment ressentez-vous la suspension ? Combien de temps la situation est-elle tenable ?

M. Antoine Caput . - Vous nous avez adressé un questionnaire écrit, où vous formuliez ainsi cette question : « Que pensez-vous des déclarations d'Écomouv' selon lesquelles elle pourrait assumer un report du système de l'écotaxe jusqu'à la fin de l'année ? » Or, ces déclarations d'Écomouv' ont été tronquées. Pour vous répondre, il suffit de citer en entier les propos tenus à l'Assemblée nationale : « en travaillant bien, il n'est pas impossible de tenir jusqu'à la fin de l'année », puis « aujourd'hui les conditions ne sont pas réunies pour tenir très longtemps », enfin « le pronostic vital est aujourd'hui engagé ». Nous sommes surpris de la manière dont ces propos ont été déformés...

Nous participons aux discussions engagées depuis deux semaines entre l'État et Écomouv'. Nous sommes dans un état d'esprit constructif. Des solutions peuvent être trouvées pour traverser la période de suspension. Toutefois, si la situation actuelle devait perdurer, la viabilité d'Écomouv' serait menacée.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - En dehors des 16 millions d'euros d'apport en capital, TCS a-t-elle accordé des garanties ou des sûretés à Écomouv' ? Êtes-vous prêts à envisager une recapitalisation ?

M. Antoine Caput . - TCS a accordé des garanties et sûretés à Écomouv' en qualité d'industriel et d'actionnaire. Je peux vous en donner la liste. Quant à participer à une augmentation de capital, ce n'est pas de ma responsabilité, mais de celle du conseil d'administration !

M. Jean-Jacques Filleul . - Que représente le projet Écomouv' au regard du chiffre d'affaires de Thales ? S'agit-il d'un engagement significatif ?

M. Antoine Caput . - Les deux contrats obtenus par TCS sont d'une valeur conséquente même pour un groupe de la taille de Thales. Ils apportent, en outre, une grande visibilité à l'entreprise.

M. Jean-Jacques Filleul . - Est-ce à dire que l'abandon de l'écotaxe représenterait un manque à gagner substantiel ?

M. Antoine Caput . - Certainement. Le projet comporte un volet construction et un volet exploitation, lequel est intéressant car il nous assure une activité de service pérenne, régulière. En cas de résiliation, la perte pour Thales comme pour les autres partenaires serait importante.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Pouvez-vous nous communiquer des montants ?

M. Antoine Caput . - Je vous remettrai une note chiffrée.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Rémunérez-vous SNCF-Infra directement ?

M. Antoine Caput . - Oui. Vis-à-vis d'Écomouv', TCS assume la responsabilité du système de contrôle et rémunère ses propres sous-traitants, dont SNCF-Infra.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Confirmez-vous que toutes les installations sont prêtes à fonctionner depuis le 17 janvier 2014 ?

M. Antoine Caput . - Le système de contrôle a passé tous les tests requis et a été homologué par l'État fin décembre.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Des défauts majeurs avaient été constatés en juin et en septembre...

M. Antoine Caput . - Des défauts ont été relevés, cela n'était pas étonnant, aucun nouveau système complexe n'en est jamais exempt. L'État ne constate plus de défauts aujourd'hui.

Il y a eu des décalages plutôt que des retards contractuels. L'enchaînement des tâches ne s'est pas toujours réalisé dans les conditions imaginées à l'origine. L'État l'a reconnu. Des discussions sont en cours à ce sujet.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Dans le cadre de ce projet, avez-vous déposé des brevets ?

M. Antoine Caput . - Non. Nous avons décliné sur l'écotaxe des solutions déjà expérimentées pour les péages autoroutiers.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - En l'absence de contestation, la mise à disposition intervient deux mois après la vérification d'aptitude au bon fonctionnement (VABF). Vous nous dites qu'une discussion est en cours avec l'État. Se fait-elle directement entre Écomouv' et l'État ?

M. Antoine Caput . - Oui. Il n'y a pas de tiers intervenant. L'État et Écomouv' sont simplement assistés de leurs conseils. Il s'agit d'une discussion amiable qu'Écomouv' a appelée de ses voeux dès l'annonce de la suspension de l'écotaxe, pour examiner les conséquences de cette décision. Le groupe de travail s'est réuni pour la première fois il y a quinze jours.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - La mise à disposition de l'équipement intervient théoriquement après la vérification de service régulier (VSR) et la VABF. L'État a fait un geste en acceptant que les tests d'homologation démarrent avant que la VABF ne soit constatée.

M. Antoine Caput . - Vous voulez parler sans doute de la VSR. L'homologation a été achevée fin décembre. Elle est indépendante de la VABF ou de la VSR. Avant le 29 octobre 2013, l'État et Écomouv' ont revu le calendrier du contrat pour être en mesure de tenir la date du 1 er janvier 2014, en accélérant les enchaînements de phases. Les contrats prévoient toujours des durées maximales ; les parties sont en l'occurrence convenues de raccourcir les délais. L'État a autorisé Écomouv' à procéder à des tests préparatoires avant que la phase de VSR ne soit ouverte et à exploiter leurs résultats au titre de la VSR. Lorsque la VABF a été prononcée en janvier, le constat de la fin de la VSR a été concomitant car le rapport était déjà prêt ; cela ne signifie pas que la VSR se soit déroulée en un jour !

M. Jean-Jacques Filleul . - Est-ce l'apport en capital que vous avez consenti qui vous amène à travailler avec Écomouv' ?

M. Antoine Caput . - Non, le schéma est inverse. Pour répondre à de grands projets, des entreprises décident d'unir leurs forces. Une fois le rapprochement effectué, on s'accorde sur l'entrée au capital.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - En d'autres termes, Écomouv' vous a contacté en qualité de sous-traitant potentiel. Elle vous a proposé d'entrer au capital dans un second temps.

M. Antoine Caput . - C'est cela. Le calendrier est important : pour être en mesure de démarrer les travaux dès que la décision d'attribution du marché intervient, il faut être mobilisé et parfois avoir réalisé des travaux préparatoires. Les délais sont très brefs.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Je vous remercie. Vos explications ont permis à la commission de mieux comprendre les contours de la fonction de contrôle.

Audition de MM. Jean-Philippe Vachia, président de la 4ème chambre de la Cour des comptes, François-Roger Cazala, conseiller-maître, président de la section « transports » à la 7ème chambre de la Cour des comptes, Vincent Léna, conseiller maître à la 4ème chambre de la Cour des comptes, Nicolas Brunner, conseiller maître, président de la chambre régionale des comptes de Languedoc-Roussillon, et Jacques Schwartz, président de section à la chambre régionale des comptes de Champagne-Ardenne, Lorraine (Mardi 11 février 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous entendrons conjointement MM. Jean-Philippe Vachia, président de la 4 ème chambre de la Cour des comptes, François-Roger Cazala, conseiller maître, président de la section « transports » à la 7 ème chambre de la Cour des comptes, Vincent Léna, conseiller maître à la 4 ème chambre de la Cour des comptes, Nicolas Brunner, conseiller maître, président de la chambre régionale des comptes de Languedoc-Roussillon, et Jacques Schwartz, président de section à la chambre régionale des comptes de Champagne-Ardenne, Lorraine. Ils nous diront quels enseignements tirer à l'issue du contrôle des partenariats public-privé (PPP), en prenant l'exemple des prisons, des hôpitaux et des PPP passés par les collectivités territoriales. Ils détailleront également l'impact des PPP sur le budget de l'État : rappelons qu'ils doivent être retracés hors-bilan en annexe du compte général de l'État.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Jean-Philippe Vachia, François-Roger Cazala, Vincent Léna, Nicolas Brunner et Jacques Schwartz prêtent serment.

M. Jean-Philippe Vachia, président de la 4 ème chambre de la Cour des comptes. - Notre délégation illustre la diversité des juridictions financières et de leurs travaux. La Cour des comptes s'intéresse aux PPP depuis bientôt dix ans, puisque dès 2006 le sujet figurait dans son rapport public thématique Garde et réinsertion-La gestion des prisons . Les juridictions financières se sont penchées sur certaines catégories de PPP à l'occasion de contrôles sectoriels, ainsi que sur le contrat de partenariat générique. Des textes ont institué des formes particulières de contrats de partenariat, comme la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 qui a créé les PPP dans le secteur pénitencier, l'ordonnance de 2003 qui en a créé d'autres dans le secteur hospitalier, ou bien encore l'article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales sur les baux emphytéotiques administratifs. Le contrat de partenariat générique a été défini, de façon plus restrictive que dans les textes spécifiques que j'évoquais, dans l'ordonnance du 17 juin 2004, modifiée en 2008 : c'est là que sont inscrites les trois conditions (non cumulatives) que sont l'urgence, la complexité et le bilan coût-avantage. Le PPP a fait l'objet de réserves d'interprétation de la part du Conseil constitutionnel, exprimées en 2003 et en 2008.

Les juridictions financières, chargées de vérifier le respect du principe constitutionnel de bon emploi des deniers publics, opèrent des contrôles a posteriori sur les PPP. Nous avons aujourd'hui un recul suffisant pour tirer quelques leçons.

Nous avons sur ces contrats, cinq catégories d'interrogations. D'abord la régularité de la procédure, même si c'est d'abord le juge administratif qui en est saisi, notamment lors des nombreux recours contentieux, comme actuellement dans l'affaire du palais de justice de Paris. À ce titre, nous examinons par exemple la coexistence d'un contrat initial et de possibles avenants qui en modifient l'équilibre. Nos juridictions mesurent également l'efficacité du PPP sous deux aspects : l'ouvrage est-il livré dans les délais et répond-il bien aux prescriptions du cahier des charges ? L'exploitation et la maintenance sont-elles assurées selon les exigences imposées initialement ? L'appréciation du résultat ne pouvant se faire que dans la durée, l'administration prend un certain risque, qui doit être mesuré ; elle paye également le risque pris par le cocontractant. Nous évaluons aussi l'efficience du PPP : est-il le meilleur moyen d'atteindre le but recherché, au meilleur coût ? Des comparaisons sont nécessaires entre une construction ou une exploitation en partenariat et une solution en maîtrise d'ouvrage public et en service public direct. Autre aspect auquel nous nous intéressons : la soutenabilité budgétaire. Les dépenses d'investissement, de financement et d'exploitation ont un impact sur le budget de l'État dans la durée. Il y a un avantage au départ, mais un risque de rigidification des dépenses publiques à long terme. Enfin, la comptabilité nationale et générale de l'État doit refléter correctement les engagements pris, au bilan et au hors-bilan.

Nous allons illustrer ces interrogations dans trois secteurs étudiés par la Cour. Nous avons réalisé un rapport, demandé par la commission des finances du Sénat, sur les PPP pénitentiaires. Les PPP hospitaliers font l'objet de développements dans le rapport public annuel de la Cour, présenté ce jour au Sénat par le Premier président M. Didier Migaud. Enfin, une enquête est en cours sur les PPP des collectivités, dont nous pourrons vous dire quelques mots.

M. Vincent Léna, conseiller maître à la 4 ème chambre de la Cour des comptes. - Le rapport d'enquête, établi à la demande du Sénat au titre de l'article 58-2° de la LOLF, date de 2011 et n'a pas été actualisé, mais deux autres l'avaient précédé, en 2006 et en 2010. Le secteur pénitentiaire offre à la Cour, dans la durée, un champ d'observation privilégié des PPP. Car dès 1987, la loi Chalandon a autorisé le recours au privé pour la conception et la gestion de prisons. La sophistication croissante des contrats pilotés par le ministère de la justice a nécessité l'implication de l'agence pour l'immobilier de la justice (Apij) qui, notamment, constitue les cahiers des charges.

Au regard de la grille d'analyse qui vous a été présentée, deux éléments ressortent qui concernent l'efficience de ces contrats et la soutenabilité budgétaire des PPP.

Les investigations menées en 2011 ont mis en évidence un recours très volontariste aux PPP. À partir de 2009 les engagements ont certes été comptabilisés au bilan et au hors-bilan de l'État, mais ces décisions de recours aux PPP répondaient à des arguments de nature budgétaire auxquels s'est ajoutée, depuis 2007, l'idée de contribuer à la relance de certains secteurs économiques prioritaires. La Cour des comptes a émis des critiques sur les évaluations préalables rendues obligatoires par l'ordonnance de 2004. La grille d'analyse de la mission d'appui aux PPP (Mappp) quant au bilan économique a toujours privilégié - c'est compréhensible ! - le recours aux PPP, surévaluant le risque pris en charge par le secteur privé. L'efficacité du recours aux partenariats n'est pas contestable, le travail réalisé par les entreprises privées est bien fait, mais il n'est pas hors de portée d'une gestion publique. Quant à l'efficience, il est difficile de l'apprécier faute de référentiel pour comparer ces contrats avec une gestion entièrement publique.

La soutenabilité budgétaire des partenariats public-privé est au coeur du rapport de 2011, notamment à cause de la forte montée en puissance des crédits consacrés à la gestion déléguée à des entreprises privées, qui concerne de plus en plus de services, tels que la maintenance dans les maisons d'arrêt, ce qui a un effet d'éviction sur les crédits publics. La croissance exponentielle des crédits consacrés aux loyers des PPP fait peser un risque sur le budget, à moyen terme. En 2011, la Cour s'interrogeait sur la soutenabilité du nouveau programme immobilier, qui se traduira par une dépense multipliée par six d'ici 2017. Le programme a été gelé : sans doute est-ce un effet de cette alarme.

M. Jacques Schwartz, président de section à la chambre régionale des comptes de Champagne-Ardenne, Lorraine. - Au sein du rapport annuel de la Cour, rendu public aujourd'hui, figurent les conclusions d'une enquête, réalisée par la Cour des comptes et plusieurs chambres régionales des comptes, dans laquelle nous nous sommes penchés sur le pilotage même des PPP, sur le dialogue compétitif, qui est au centre de ce mode de commande publique, sur les risques pris, sur l'efficacité, et sur la soutenabilité financière et budgétaire de ce dispositif dans le domaine des hôpitaux. Pour apprécier le pilotage et le suivi, nous avons examiné les opérations réalisées dans le cadre du plan « Hôpital 2007 », soit des investissements engagés entre 2003 et 2007 et achevés - un nouveau plan est en cours depuis 2007 (Plan « Hôpital 2012 »). L'enquête montre que le pilotage a été faible, les PPP se réduisant à un mode de financement retracé hors-bilan, ce qui donnait une certaine marge de manoeuvre pour en disposer. Les critères de l'urgence, de la complexité et du bilan économique n'ont pas joué leur rôle sélectif dans le choix de la formule du partenariat-public-privé. En outre, la manière dont les contrats ont été rédigés a ouvert un vaste champ au contentieux. La phase de réalisation des opérations a été rendue difficile par une rédaction elliptique, qui laissait place à des interprétations d'autant plus variées que les contrats portaient sur le long terme - jusqu'à trente ans - dans un secteur où les techniques évoluent rapidement.

En termes d'efficacité, les délais ont été respectés : un opérateur a même été en mesure de livrer son chantier avec six mois d'avance, ce qui lui a valu 600 000 euros de gratification, comme le contrat le prévoyait... L'opération du centre hospitalier sud francilien offre néanmoins un contre-exemple que le rapport détaille largement et qui montre la difficulté du processus des PPP. L'évolution des normes comptables contribue à une meilleure évaluation de la soutenabilité budgétaire : les contrats apparaissent clairement dans les comptes des établissements publics.

M. Nicolas Brunner, conseiller maître, président de la chambre régionale des comptes de Languedoc-Roussillon . - En décembre 2013, 143 contrats de PPP avaient été signés par les collectivités locales, pour un montant total de 3,2 milliards d'euros. Depuis un an ou deux, la tendance est au ralentissement. L'enquête dont je rends compte est encore en cours, et devrait être rendue publique dans un an. Une vingtaine de contrats de partenariat ont été examinés.

Le critère de la complexité juridique est rarement démontré, d'autant que le recours à l'assistance à la maîtrise d'ouvrage est toujours possible. La procédure de dialogue compétitif n'est pas toujours respectée ; les délais sont très serrés ; on ne peut se défaire de l'impression que le bénéficiaire a été choisi à l'avance. Les contrats sont souvent déséquilibrés, avec des durées importantes - vingt à trente ans - et des redevances élevées, qui hypothèquent le budget des collectivités locales pour longtemps. À cela s'ajoute le problème des avenants, qui vont jusqu'à remettre en cause l'équilibre initial du contrat. Le choix du partenariat se fait souvent a priori , sans démonstration préalable de son efficience par rapport à d'autres formules.

L'exécution pose la question de la soutenabilité budgétaire. L'importance des loyers des PPP limite la capacité de financement des collectivités ; le contrat a des effets sur l'endettement des collectivités, voire sur leur notation, pour les grandes villes par exemple. Le bilan financier apparaît plutôt défavorable pour la collectivité et favorable pour les entreprises contractantes, essentiellement à cause des avenants.

Néanmoins, les PPP présentent des avantages dans certains secteurs. Pour l'éclairage public, secteur où les collectivités locales passent volontiers des PPP, les entreprises privées font preuve d'une efficacité indéniable
- l'éclairage est meilleur et s'accompagne d'économies d'électricité, mais ce bon service coûte deux fois plus cher aux collectivités. Celles-ci négligent le suivi des contrats et manquent d'agents formés pour analyser les rapports annuels obligatoires, qui du reste ne sont pas toujours transmis par les entreprises. Dans la phase d'exécution, on ne compte plus les contentieux, les transactions coûteuses, les annulations pures et simples sur le fondement de l'absence de complexité.

M. Jean-Philippe Vachia . - La soutenabilité budgétaire est un sujet important pour la Cour. En témoignent les travaux sur l'exécution de la loi de finances 2013.

Les instruments de la comptabilité nationale, selon des règles fixées par Eurostat, permettent de calculer le déficit maastrichien ainsi que la dette des administrations publiques. Jusqu'à 2009, l'intégration des PPP dans la dette publique des États n'était pas clairement requise, d'autant que le risque était réputé porté par le co-contractant. Depuis, ces contrats sont pris en compte dans le calcul de la dette publique. La comptabilité générale a évolué dans le même sens. Les PPP apparaissaient comme une forme d'externalisation de la dette. Depuis 2011, la norme de la comptabilité générale de l'État - norme n° 6 sur les immobilisations corporelles - établit que les PPP sont une immobilisation contrôlée par l'État et qu'ils constituent une dette à hauteur du financement public. Cette dette doit être inscrite comme telle au passif de l'État. Lors de nos travaux de certification des comptes, nous nous assurons donc de l'exhaustivité du recensement des PPP. En amont de la livraison de l'ouvrage, un engagement hors-bilan doit également figurer en annexe au compte général de l'État. J'ai vérifié, Écomouv' y figure. La même règle vaut pour les hôpitaux ou les collectivités territoriales. Le recours aux PPP ne diminue pas l'endettement comptable des personnes publiques concernées, ils sont de la dette.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - J'ai perçu dans vos propos une légère réserve quant à l'usage immodéré et non contrôlé des PPP. J'ai bien compris que le cas Écomouv' n'avait pas encore fait l'objet d'un examen de la Cour des comptes. Vous avez insisté sur l'importance de la durée des contrats. Celui qui nous occupe dure seulement onze ans et demi, avec deux ou trois ans de travaux préparatoires à la mise en oeuvre. La période de versement des loyers est courte, mais leur montant élevé. N'aurait-on pas dû, pour une bonne gestion des deniers publics, prévoir une durée plus longue ? L'évolution technique du matériel n'est pas ici un argument, puisque les installations doivent être rendues à l'État en bon état de fonctionnement à la fin de contrat.

M. Jean-Philippe Vachia . - Un contrat d'éclairage public n'a pas la même durée qu'un contrat dans le secteur pénitentiaire : tout dépend de la nature de l'ouvrage. Pour vous répondre, il faudrait avoir analysé précisément le contrat, son économie et le début de son existence. Les « délégations Chalandon », c'est-à-dire la privatisation des services à la personne dans les prisons, constituent une expérience intéressante. Dans la durée, sans vigilance totale de la personne publique, les dérives sont courantes et il est rare d'obtenir une pleine satisfaction du service attendu. En plus de la qualité de construction de l'ouvrage, il faut prendre en compte sa maintenance dans la durée.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - La complexité technique ou technologique dans le cas d'Écomouv' est indéniable. L'État, en s'adjoignant les services du ministère de la Défense, aurait néanmoins pu régler ce problème. Du reste, n'est-ce pas l'ajout de missions régaliennes d'exploitation qui a augmenté la complexité du contrat ? La nécessaire interface entre les agents des douanes et le prestataire privé en a augmenté le coût. Croyez-vous que la complexité du PPP puisse être le fait de l'État ?

M. François-Roger Cazala, conseiller maître, président de la section « transports » à la 7 ème chambre de la Cour des comptes. - Pour que le contrat Écomouv' puisse faire l'objet d'un examen approfondi, au vu des critères que l'on vous a présentés, il faut que le système ait commencé à fonctionner. Il ne sera pas nécessaire d'attendre dix ans et demi ou onze ans pour l'apprécier, rassurez-vous.

L'écotaxe est un sujet que nous avons déjà abordé publiquement, dans le cadre d'un référé sur les aspects fiscaux et budgétaires du Grenelle de l'environnement, présenté au Premier ministre en novembre 2011, publié le 18 janvier 2012. La petite partie qui était consacrée à l'écotaxe exprimait notre préoccupation face au retard pris dans la mise en place du système, qui aurait dû fonctionner dès 2011, selon l'injonction législative. Cette urgence imposée a contribué à compliquer la situation. A-t-on pour autant ajouté de la complexité à un système qui aurait pu être plus simple, donc moins sujet aux doutes ? Nous ne pourrons le dire qu'après l'avoir examiné.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Dans l'étude préalable au choix définitif du PPP, une première estimation évaluait le coût du contrat à 231 millions d'euros ; actuellement, il est de 650 millions. Les exigences de l'État en matière de contrôle justifieraient l'augmentation de ce coût. Cette dérive liée à la délégation d'une fonction régalienne n'aurait-elle pu être prise en compte dès le début ?

M. François-Roger Cazala . - Une expertise serait nécessaire pour vous répondre. L'objectif était d'avoir un système opérationnel assurant le rendement de l'écotaxe à la fin de 2011. Cela a peut-être présidé au choix du PPP, en dépit du coût. Un autre système aurait-il été plus efficace ? Cela n'est pas certain.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Connaissez-vous d'autres PPP de même nature, qui rapportent de l'argent ? Cette rentabilité n'a-t-elle pas incité à une certaine négligence, notamment sur les contrôles ? La recette prévue était de 1,2 milliard d'euros, contre 230 millions d'euros de dépenses pour les loyers. L'État était de toute façon gagnant ; il fallait aller vite.

M. François-Roger Cazala . - C'est très exactement ce que je voulais dire. Cependant l'absence d'examen par la Cour des comptes m'empêche d'étayer mon propos. Il n'existe aucun PPP de l'ampleur d'Écomouv'.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - L'État voulait aller vite. Il a pourtant choisi une procédure comportant une phase très longue de dialogue compétitif ?

M. Jean-Philippe Vachia . - Le dialogue compétitif est une forme moderne de dévolution de l'achat public, alternative au marché public classique, prévue par les directives européennes et explicitement inscrite dans l'ordonnance de 2004 sur les contrats de partenariat. Il est précédé d'une phase d'appel à concurrence. On l'utilise justement pour aller vite. Le dialogue compétitif n'est d'ailleurs pas propre aux contrats de partenariat.

Il existe d'autres très gros contrats de partenariat, Balard, le palais de justice de Paris, l'hôpital sud francilien,... À notre connaissance, le contrat écotaxe est le seul dans lequel le prestataire réalise un ouvrage public, l'exploite et organise la perception d'une taxe. C'est un cas particulier dont l'analyse nécessitera un raisonnement particulier de la part de la Cour des comptes.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - La suspension de l'écotaxe ne signifie pas la suspension du contrat. La puissance publique a-t-elle pris la mesure de cette situation particulière ? Comment appréciez-vous le recours de l'État à des conseillers extérieurs ? Les fonctionnaires sont-ils formés à suivre ce type de contrats exceptionnels ?

M. Jean-Philippe Vachia . - En 2006, nous avions recommandé de constituer une capacité interne d'expertise nationale et régionale pour suivre l'exécution des PPP pénitentiaires. Suivre l'exécution d'un contrat de partenariat est en soi un métier. Il faudrait avoir des spécialistes, pour dépouiller le rapport annuel du co-contractant ou faire des vérifications concrètes sur place. En internalisant ce savoir-faire, nous aurions une « puissance de feu » en termes d'expertise. Une expertise juridique et financière est nécessaire pour négocier le contrat, une expertise technique pour en contrôler l'exécution. Une faiblesse dans le suivi d'un contrat peut suffire à le déséquilibrer.

La commission des finances du Sénat a demandé à la Cour une enquête au titre de l'article 58-2° de la LOLF sur le recours aux consultants extérieurs - sans rapport particulier avec les PPP. Nous en aurons les résultats dans huit mois et pourrons alors en reparler.

M. Vincent Léna . - Le recours aux PPP est souvent justifié par le transfert des risques vers le contractant. Deux exemples : un centre de rétention, au Havre, présente une instabilité du sol, constatée après coup. Le ministère de la justice est fier de rappeler que c'est le contractant qui supporte tous les risques ; mais à Nantes, des explosifs ont été trouvés sur un terrain en construction. L'État a versé 6 millions d'euros, car tous les risques n'étaient pas inclus dans le contrat. Il faut en amont une expertise très forte pour évaluer les risques. Prenons le cas des créances « Dailly ». Si la société qui exploite une prison fait faillite, l'État doit continuer de payer les échéances à la banque. Tous les risques ne sont pas suffisamment anticipés. Le suivi, notamment à travers les pénalités de retard ou pour défaillance, est un métier complexe. Pour former ses agents, l'État a dû faire face à des dépenses qui n'étaient pas prévues.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Dans le montage lié à l'écotaxe, le contrôle est confié à une société privée, qui signale aux douanes les manquements. Comment évaluer l'efficacité des contrôles ? Écomouv', ai-je lu dans le contrat, fera elle-même les audits des sociétés habilitées de télépéages auxquelles elle déléguera une partie des tâches... Quels sont les risques pris par l'État dans ce contrat ?

M. François-Roger Cazala . - Vous avez sur nous l'avantage d'avoir lu le contrat ! Nous l'analyserons quand nous l'aurons. Cependant, je signale que le contrôle des prestations fournies par un concessionnaire est une pratique courante et les PPP ne sont pas un cas particulier à cet égard.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Le contrôle est une fonction régalienne, il me semble.

M. François-Roger Cazala . - La perception de l'impôt est une fonction régalienne, mais les modalités de recouvrement sont multiples et la perception matérielle peut être déléguée. Cela a été validé par le législateur. Le Conseil constitutionnel n'y a pas trouvé à redire.

Sans avoir le contrat, nous disposons tout de même d'une évaluation préalable qui présente une matrice de risques très complète, pour choisir entre les différentes modalités juridiques et techniques. J'ai pu constater que les risques qui se sont produits - vandalisme, sabotage, détérioration des équipements, et même « taxe non collectée pendant le fonctionnement » - étaient mentionnés.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Un risque a quand même été oublié : la suspension du contrat !

M. François-Roger Cazala . - J'ignore comment cette matrice de risques a été prise en compte dans la rédaction du contrat de PPP et dans les procédures de contrôle que vous avez mentionnées.

Plus que le ministère de la justice, l'administration de l'équipement et du développement durable a une expérience dans le domaine du contrôle. Cette administration a une structure spécialisée dans les délégations de service public, qui fournit un appui technique et juridique à ceux qui le souhaitent.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Les responsables des douanes nous ont précisé que la collecte et le recouvrement amiable sont confiés à Écomouv', le recouvrement forcé aux douanes.

M. Michel Teston . - La Cour a certainement contrôlé d'autres PPP dont l'environnement était différent. Elle doit avoir une idée précise des domaines et des cas où il vaut mieux ne pas recourir aux PPP. Pouvez-vous vous prononcer dès à présent sur la pertinence du recours au PPP pour la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds ?

M. Jean-Philippe Vachia . - La question est simple, la réponse ne l'est pas. In abstracto , un PPP n'est pas bon ou mauvais. Dans le secteur pénitentiaire, le bilan nous paraît en demi-teinte, mais pas négatif. Utiliser le PPP pour construire un hôpital entier n'est en revanche pas très heureux, les besoins fonctionnels de l'hôpital évoluant trop rapidement, au fil des avancées technologiques. Le choix d'un PPP se justifie plus lorsque la définition du programme fonctionnel est intangible, car alors le contrat ne risque pas d'être ultérieurement déséquilibré. Du reste, les PPP les plus récents dans le domaine hospitalier concernent des ouvrages plus modestes. L'hôpital sud francilien est l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire.

Il est difficile de faire une réponse générale sur les PPP. Les contrats doivent être pris au cas par cas, en comparant ce qui est comparable, et en envisageant les choses dans la durée. Pour pouvoir établir des comparaisons, il est nécessaire de conserver des solutions confiées entièrement au secteur public...

M. Jean-Luc Fichet . - J'ai eu l'occasion de visiter deux prisons, l'une sous contrat, l'autre en régie. Dans le premier cas, les clauses du contrat avaient été respectées, et mon interlocuteur a souligné l'efficacité et la réactivité de l'entreprise privée. Dans l'autre, le directeur ne souhaitait pas de PPP, pour garder la maîtrise de ce qui se passait dans l'établissement. Dans le cas d'Écomouv', je comprends mal les termes de la relation entre l'État et son co-contractant, du fait de la complexité à l'infini du contrat. Vous parliez de la « matrice des risques ». Elle aurait dû permettre d'anticiper un risque aussi énorme que la suspension du contrat. Nous sommes actuellement dans une situation inextricable, un cas d'école pour les juristes. Quelle lecture faites-vous de la situation actuelle ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Écomouv' a demandé la mise à disposition par une lettre du 17 janvier 2014. L'État a jusqu'au 17 mars pour répondre et signaler manquements ou anomalies. C'est un moment capital dans le déroulement d'un PPP.

M. Jean-Philippe Vachia . - Tout PPP appartient à une catégorie spécifique. Celui-ci, en outre, porte sur une mission régalienne et a nécessité une loi.

M. François-Roger Cazala . - Dès lors que la demande de mise à disposition a été faite, c'est au Gouvernement de se prononcer. La suspension de l'écotaxe privera les infrastructures de transport de financements considérables. Déjà, en 2011, le retard pris dans la perception des recettes fiscales prévues par le Grenelle de l'environnement, comme la redevance carbone ou l'écotaxe poids lourds, nous préoccupait : comment les objectifs de financement des infrastructures et de report modal allaient-ils être atteints ? Nos critiques sont encore plus justifiées aujourd'hui.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Monsieur Doligé, souhaitez-vous prendre la parole au nom des départements ? Nombre de collectivités territoriales attendaient cette recette...

M. Éric Doligé . - Hélas ! Pour l'instant, il n'y a que des charges ! La date de mise en application nous importe beaucoup. Par les temps qui courent, toute nouvelle recette est bienvenue et nous comptions sur celle-ci ; certaines collectivités territoriales l'avaient inscrite à leur budget dès 2012. Une compensation financière de l'État aux collectivités territoriales sera-t-elle versée ? L'État a transféré l'intégralité des routes nationales aux collectivités territoriales. Celles-ci, tout autant que l'agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), pouvaient donc attendre de nouvelles recettes substantielles.

M. Jean-Philippe Vachia . - Je n'ai pas d'éléments de réponse sur ce sujet. L'analyse du contrat est une chose, son impact sur les recettes de l'État et des collectivités territoriales en est une autre. Nous reviendrons sur ce dernier aspect, je pense, dans nos prochains rapports annuels sur l'exécution du budget, ainsi que dans le prochain rapport sur les finances publiques locales. Cela nécessitera d'apprécier les relations entre l'État et l'Afitf, et d'évaluer la créance « Dailly » - est-elle suspendue ou non, exigible par les banques ou non ? Les conséquences budgétaires, comptables, juridiques et financières sont bien là. Reste à les apprécier.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Elles s'étendent jusqu'aux contrats de plans État-région : je constatais hier avec le préfet de la région Aquitaine que les opérations relatives aux transports sont toutes conditionnées à la perception des recettes de l'écotaxe. On trouve dans l'évaluation des PPP qui figure en annexe du compte général de l'État pour 2012 le chiffre de 774 millions d'euros, coût de la mise en place de la taxe poids lourds. À quoi s'est exactement engagé l'État ? À quoi correspond cette somme ?

M. Jean-Philippe Vachia . - À la page 225, dans l'annexe du compte général pour 2012, une ligne est consacrée à la mise en place de la taxe poids lourds : une somme de 668,7 millions d'euros est inscrite au titre de garantie de la créance « Dailly » ainsi que les deux loyers, correspondant à la construction et au financement d'une part, à l'entretien, la maintenance et le renouvellement d'autre part. Ce sont des engagements pris en 2012. Au moment où l'ouvrage sera livré, la valeur actualisée du coût de l'investissement devrait figurer dans les immobilisations de l'État, et la dette équivalente devrait être inscrite.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Ce chiffre changera donc sensiblement en 2013, je suppose.

M. Jean-Philippe Vachia . - Je m'exprime sous réserve des travaux de certification des comptes de l'État, qui sont effectués par la première chambre, ainsi que de ceux sur l'exécution du budget de l'État.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - La créance « Dailly » est donc comprise dans ce chiffre.

M. Jean-Philippe Vachia . - Il y a aussi une autorisation d'engagement, depuis 2011, entre l'État et l'Afitf.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Merci pour ces précisions.

Audition de M. Daniel Bursaux, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) (Mardi 11 février 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous recevons M. Daniel Bursaux, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM). Nous avons déjà reçu trois de ses collaborateurs : M. Michel Hersemul, chef du département d'expertise des partenariats public-privé (PPP) et de conduite de projets délégués et MM. Antoine Maucorps et Olivier Quoy, membres de la mission de la tarification. Les auditions précédentes nous ont montré que l'initiative de ce projet et sa conduite relevaient presqu'exclusivement de la DGITM, que vous dirigez depuis le début des opérations. La direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) elle-même nous a renvoyés vers vous dans notre recherche d'explications sur ce projet et sur son coût. Pouvez-vous nous éclairer sur le processus de prise de décision dans ce dossier ? Avez-vous décidé seul ? Avez-vous eu recours à l'expertise d'autres services de l'État ? Comment avez-vous tenu les ministres informés ? Quelle part avez-vous pris à la décision de suspension ? Quel serait votre rôle dans une négociation avec le prestataire ?

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Daniel Bursaux prête serment.

M. Daniel Bursaux , directeur général des infrastructures, des transports et de la mer . - Ce projet, dont vous connaissez désormais l'historique, résulte d'une commande politique forte passée à la DGITM dans le cadre du Grenelle de l'environnement. Les ministres qui se sont succédé ont tous insisté sur l'importance de ce dossier comme sur la nécessité d'aller le plus rapidement possible. Le dispositif répondait à l'objectif, écologique, de favoriser le report modal et d'inciter à la rationalisation des chaînes logistiques. Il s'agissait aussi de mettre en place un financement pérenne de l'agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). L'exemple de l'Allemagne est éloquent : depuis la mise en place de la LKW-Maut, le réseau autoroutier y connaît une nouvelle jeunesse.

Il m'appartenait de mettre en place, en lien étroit et permanent avec la DGDDI et en m'appuyant sur les compétences de nos ministères respectifs, un dispositif répondant, sur les plans technique et juridique, à cette commande. Nonobstant les obstacles de toutes sortes, dont une procédure contentieuse tranchée au Conseil d'État, nous y avons répondu de manière adéquate, en toute légalité et dans la transparence. Certes, depuis la signature du contrat, des retards sont survenus. Ils sont presque tous imputables à la société Écomouv', même si celle-ci le conteste. Jusqu'au mois d'août 2013, aucun des dispositifs de contrôle n'avait été détruit, alors que le premier avait été installé le 31 janvier 2012. Ce projet semblait donc socialement acceptable - vous savez ce qu'il en est advenu en octobre dernier.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Vous attribuez la responsabilité des retards à la société Écomouv', mais ceux-ci n'étaient-ils pas prévisibles ? Les technologies choisies étaient nouvelles, les fonds propres de cette société ne s'élevaient qu'à 30 millions d'euros. Les délais initiaux n'étaient-ils pas trop justes ?

M. Daniel Bursaux . - Le résultat de la consultation a été évalué par mes services. Après avoir examiné leur rapport, la commission consultative a estimé que les délais proposés étaient crédibles. Ceux que proposaient les concurrents n'étaient pas substantiellement supérieurs. Quoiqu'extrêmement serrés, les délais n'étaient pas irréalistes.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Entre l'évaluation préalable et la signature, le coût estimé est passé de 231 millions d'euros à 650 millions d'euros. Avez-vous rendu compte par écrit de cette dérive aux ministres successifs ?

M. Daniel Bursaux . - Je n'ai pas le souvenir de rapports spécifiques. Cette évolution résultant de la consultation menée, les ministres en ont toutefois eu connaissance avant de faire le choix définitif.

Le montant de 231 millions d'euros que vous évoquez, et qui figurait dans l'évaluation préalable, ne prenait en compte que les éléments embarqués des non abonnés, dont le coût était estimé à 71 millions d'euros en utilisant les technologies GNSS, et à 3 millions d'euros en technologie DSRC. Le coût des éléments embarqués des abonnés se montait, lui, à 96 millions d'euros en GNSS et à 14 millions en DSRC, pris en charge par les coûts d'exploitation, à travers la rémunération annuelle des sociétés habilitées de télépéage (SHT). Le chiffre à prendre en compte était ainsi de 327 millions d'euros au mois d'août 2008. Les investissements d'Écomouv', pour lesquels vous évoquez à juste titre un montant de 650 millions d'euros, sont chiffrés en valeur de fin 2011, et comprennent 67 millions d'euros de frais de financement et d'impôts, qui n'étaient pas intégrés dans le calcul de l'investissement brut. Il faut en réalité comparer aux 327 millions d'euros de 2008 les 580 millions de 2011.

L'écart résulte du coût du dispositif de contrôle, passé de 76 millions à 198 millions d'euros, et de celui du système central, passé de 38 millions à 135 millions d'euros. Nous avions d'abord imaginé mettre en place du personnel pour le réseau de distribution avant de décider d'installer un système de distribution automatisé : cela gonfle aussi le montant de l'investissement.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je suis étonnée que sur un dossier aussi complexe les choses n'aient pas été clairement précisées dès le début et soient restées dans le vague. Vous devez rechercher des chiffres pour nous les communiquer !

M. Daniel Bursaux . - Il s'agissait d'estimations sur un système complexe et sans précédent dans notre pays. Nous nous sommes entourés de tous les conseils possibles. Le marché a répondu : les trois concurrents qui se sont manifestés proposaient des prix de cet ordre.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Les premiers montants vous ont-ils surpris ?

M. Daniel Bursaux . - Les premiers chiffres étaient encore plus élevés, et nous ont en effet surpris. Le montant des offres finales correspond, je crois, à des données objectives.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Les surcoûts survenus après la signature du contrat ont-ils été pris en charge par la société Écomouv' ?

M. Daniel Bursaux . - Les prix figurant dans le contrat étant forfaitaires, et le contrat n'ayant pas été modifié, tout surcoût dans la réalisation, même dû à des retards, est à la charge de la société, sauf à ce qu'Écomouv' prouve que l'État en est responsable : nous n'avons pas entamé de discussion sur ce point.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Qu'est-ce qu'un démonstrateur ?

M. Daniel Bursaux . - L'État, dans le cadre du dialogue compétitif, a souhaité s'assurer que les candidats auraient l'expertise et les capacités techniques nécessaires pour développer les composants qui interviendraient dans les sous-ensembles sensibles du dispositif. Aussi leur avons-nous demandé de fournir un démonstrateur pour la proposition initiale, c'est-à-dire tout ou partie d'un système technique, pour en apprécier la robustesse et l'adéquation aux attentes. Les résultats des démonstrateurs initiaux ont été tels que l'État a demandé aux candidats un nouveau démonstrateur pour l'offre finale. Il a alors mis à leur disposition des conditions identiques (local sécurisé, alimentation électrique, surveillance...) pour l'installation de ces démonstrateurs. Il s'agissait alors essentiellement de tester la fonction de collecte de la taxe.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Un prototype, en quelque sorte...

M. Daniel Bursaux . - Si l'on veut, mais à échelle réduite.

M. Yves Krattinger . - Le système français est-il, comme le préconisent les directives européennes, interopérable, en particulier avec les dispositifs mis en place par nos voisins du Nord-est, d'où proviennent le plus grand nombre des poids lourds ? La complexité de ce dossier justifiait-elle le recours à un PPP ? Quels étaient les avantages et les inconvénients des solutions alternatives ? Enfin, fallait-il séparer construction et exploitation ?

M. Daniel Bursaux . - Contrairement au système allemand, dans lequel les systèmes embarqués doivent être achetés à la société cocontractante du PPP, notre dispositif est pensé pour l'interopérabilité : la Commission européenne y a veillé. Nous aurions pu passer par une maîtrise d'ouvrage publique, mais je ne suis pas convaincu que l'administration soit à même d'organiser une consultation sur un système aussi complexe et de s'assurer que toutes les interfaces sont bien fonctionnelles. Si il y avait eu des dysfonctionnements, il aurait été quasiment impossible d'établir les responsabilités  La construction de bâtiments complexes en lots séparés illustre bien ce problème. Mes équipes n'avaient pas les moyens humains de gérer une telle tâche, sauf à avoir recours massivement à des bureaux d'études. Les Pays-Bas, qui ont fait ce choix d'allotissement, ont abouti à une impasse : leur projet a été abandonné en février 2010. Sans aller aussi loin, les difficultés rencontrées par le ministère de la défense français dans la mise en place de son système de paie ont mis en évidence la difficulté de la maîtrise d'ouvrage directe de projets à interfaces multiples. Le recours au PPP était totalement justifié, comme le confirme l'avis de la Mappp.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Avec quels pays d'Europe le système est-il interopérable, exactement ?

M. Daniel Bursaux . - C'est une question d'équipements. Plusieurs sociétés de télépéage ont rejoint le projet et proposent un équipement embarqué. La société Écomouv' n'en a pas le monopole.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Avec ceux de quels pays ces équipements sont-ils compatibles ?

M. Daniel Bursaux . - Ils sont compatibles avec les réseaux français, italien, espagnol et belge. La Belgique est d'ailleurs engagée dans un projet comparable au nôtre. L'objectif est bien sûr que les transporteurs n'aient pas à s'équiper de 28 équipements embarqués différents. Ce sont les SHT qui doivent avoir un équipement embarqué interopérable.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Vous avez évoqué un logiciel du ministère de la défense qui a connu des dysfonctionnements : n'est-ce pas l'une des sociétés de la SAS Écomouv' qui l'a fourni ?

M. Daniel Bursaux . - La société Steria est effectivement intervenue dans ce projet, mais pour le sauver. Je vous renvoie sur ce point au rapport de la mission d'information de l'Assemblée nationale.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Comment les tarifs de l'écotaxe ont-ils été fixés ? Avez-vous d'abord estimé son produit, ou êtes-vous partis des tarifs ?

M. Daniel Bursaux . - Depuis l'origine du projet et lorsque le débat politique s'est ouvert, le chiffre évoqué pour le produit attendu de la nouvelle recette était d'un milliard d'euros, chiffre finalement retenu par le ministre d'alors, M. Borloo. Nous avons procédé à deux calculs. Le premier visait à nous assurer que nous respections les normes fixées par la Commission européenne en matière de taux plafond, celui-ci devant refléter, sans le dépasser, le coût d'usage de l'infrastructure. Nous avons abouti à environ 16 centimes d'euro par kilomètre. Puis, nous sommes descendus à 12 ou 13 centimes afin de remplir la commande.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Vous avez aussi décidé de la charge des camions : 3,5 tonnes au lieu de 12 tonnes en Allemagne. Vous avez déterminé le réseau taxable...

M. Daniel Bursaux . - C'est la loi qui en a décidé.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Une fois ce tarif décidé, il devient difficile de dire qu'un coût de 237 millions d'euros est trop élevé !

M. Daniel Bursaux . - Un tarif supérieur à 16 centimes nous aurait exposés à des risques de contentieux en raison de la directive « Eurovignette ». Si demain les régions doivent fixer leurs taux, il faudrait calculer les plafonds région par région. La Commission européenne est plutôt favorable à la taxation dès 3,5 tonnes, mais le débat sur un seuil de tonnage supérieur reste ouvert.

M. Michel Teston . - Vous estimez que le recours à la maîtrise d'ouvrage publique aurait posé de gros problèmes, mais comment justifier que l'on soit passé de 320 millions à 580 millions d'euros ? Qui a voulu recourir au PPP ? La décision a-t-elle été politique ?

M. Daniel Bursaux . - Le Gouvernement a demandé au Conseil d'État s'il pouvait recourir à un PPP. En posant la question, il avait en tête que cette solution pouvait être retenue. Ensuite, sur proposition de ma direction générale, mais aussi de celles des douanes et droits indirects, du budget, de la législation fiscale, il a décidé de recourir à un PPP.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Pourquoi avoir mis en place une mission de tarification spécifique au contrat écotaxe alors qu'il existe un département d'expertise des PPP au sein de la direction générale ?

M. Daniel Bursaux . - Nous avons créé la mission tarification car il s'agissait d'un projet extrêmement spécifique qui devait faire travailler ensemble deux directions générales. En outre, cette mission a piloté tout le projet. Elle est dirigée par Antoine Maucorps, que nous avons choisi d'un commun accord, assisté d'Olivier Quoy (DGITM) et d'Anny Corail (DGDDI). Le département d'expertise sur les PPP de ma direction générale a été audité par le conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) ; celui-ci a estimé dans son rapport que ce département fonctionnait correctement et il a même proposé qu'il n'ait plus de mission opérationnelle, mais qu'il se consacre uniquement à conseiller les autres services gérant les PPP. J'ai fait le choix, en termes d'organisation que le département traite seulement des PPP routiers, ceux-là même gérés par la direction à laquelle est rattaché ledit département. Les autres PPP sont gérés par des services différents.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Le Conseil d'État n'a jamais dit que le PPP était la meilleure des solutions : il a simplement estimé que ce PPP était possible. Cela dit, était-ce la meilleure solution ?

M. Daniel Bursaux . - Oui. À l'étranger, des systèmes très proches ont été retenus, du fait de la complexité du système.

M. Louis Nègre . - L'Allemagne a instauré une toll tax . Lorsque les autres pays européens ont décidé d'établir une écotaxe, sont-ils passés par la maîtrise d'ouvrage publique (MOP) ou par un PPP ?

M. Daniel Bursaux . - L'Allemagne et la Slovaquie ont choisi un PPP. Je crois que la Belgique est en train de faire de même.

M. Louis Nègre . - Et la MOP ?

M. Daniel Bursaux . - Un seul pays : la Suisse, qui n'appartient pas à l'Union européenne.

M. Louis Nègre . - Son système est spécifique et plus ancien. Le système mis en place en France est très innovant, et des entreprises comme Thales y jouent un rôle important. Aurions-nous pu exporter cette technologie ?

M. Daniel Bursaux . - Certaines SHT françaises auraient pu opérer dans d'autres pays. Thales aurait pu, elle-aussi, exporter en Belgique s'il n'était pas arrivé ce que l'on sait.

M. Louis Nègre . - Si c'était à refaire, referiez-vous la même chose ?

M. Daniel Bursaux . - Sans l'ombre d'un doute. Le vice-président du Conseil d'État a récemment déclaré : « La prudence et la prévoyance sont deux qualités nécessaires dans la prise de décision publique. Elles ne doivent pas être dévoyées au point de devenir de la réticence et de la frilosité, voire de la crainte d'agir. » S'inquiétant de comportements précautionneux, il invitait les décideurs publics à dépasser les contraintes. Mon équipe et moi-même avons pris des risques en conduisant ce projet et je les assume complètement.

M. Éric Doligé . - J'espère que le vice-président du Conseil d'État prendra lui aussi des risques dans le cadre du redécoupage des cantons...

M. Daniel Bursaux . - Dans la suite de l'entretien, il s'inquiétait du développement de comportements précautionneux, et invitait les décideurs publics à « prendre des initiatives et, parfois, des risques ».

M. Éric Doligé . - Le PPP répondait certainement à l'objet du marché. Le dispositif devait être livré le 20 juillet, puis le 1 er octobre 2013 et enfin le 1 er janvier de cette année. Toutefois, une mise en oeuvre plus précoce avait été évoquée lors de précédentes auditions : des recettes étaient prévues dès 2012. Les retards sont-ils toujours dus à Écomouv' ?

J'ai entendu dire que les taux pourraient être fixés par les régions, qui ne sont ni responsables ni propriétaires des routes - veut-on faire disparaître les départements ? Les débats actuels ne sont pas neutres.

Le rapport financier prévu est plutôt positif : 1,2 milliard d'euros de facturation et un gain pour l'État et les collectivités de 900 millions d'euros. Ces dernières devaient percevoir 100 à 160 millions d'euros, selon le trafic. Elles attendent avec impatience les décisions de l'État afin que les recettes arrivent. Percevront-elles des arriérés de recettes ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous traiterons de la suspension à la fin de l'audition.

M. Daniel Bursaux . - Dans une version optimiste, lors du Grenelle de l'environnement, le ministre imaginait avec volontarisme une entrée en application fin 2011, début 2012. Cependant les procédures ont été longues : l'élaboration du cahier des charges puis les échanges lors du dialogue compétitif, pour être sûrs que nous ne fassions pas fausse route, ont demandé un an supplémentaire. Nous avons également perdu la première moitié de l'année 2011 avec le contentieux sur le classement des offres qui s'est terminé devant le Conseil d'État.

En ce qui concerne les coûts, il est difficile de faire les calculs en pourcentage : si le montant au kilomètre diminue de moitié, le coût de collecte devient faramineux. On peut aussi comparer à des systèmes à l'étranger, qui eux ne sont pas interopérables. Enfin, je crois que, par rapport à la recette, le coût du système en place pour les radars automatisés est plus élevé que celui de notre projet alors qu'il n'y a pas de suivi satellitaire. C'est que le but est aussi de renforcer la sécurité routière, tout comme l'écotaxe encourage le report modal et fait payer les transporteurs étrangers circulant dans notre pays. Si d'autres pays ont fait un choix identique, il ne doit pas être si idiot que cela...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - L'État a-t-il une responsabilité dans les deux premiers reports de la taxe poids lourds ?

M. Daniel Bursaux . - S'il y avait demain un contentieux, je défendrais l'idée que l'État n'est pas responsable, ce qui n'est bien évidemment pas la position d'Écomouv'.

M. Francis Grignon . - L'État n'a assuré que la maîtrise d'ouvrage du projet. S'il avait été maître d'oeuvre, le dérapage financier n'aurait-il pas été catastrophique ?

M. Daniel Bursaux . - Je ne peux pas l'assurer. Il aurait fallu recruter du personnel, faire appel à des bureaux d'étude... Pour la construction de bâtiments, on peut avoir, dans un premier temps, des offres assez alléchantes mais lors de l'exécution, des dérapages peuvent survenir au moment des interfaces. La gestion des multiples contrats aurait été beaucoup plus compliquée.

M. Francis Grignon . - Avec la suspension de l'écotaxe, le manque à gagner pour le Bas-Rhin va se monter à un million d'euros voire plus, puisque nous voulions être expérimentateurs. Passer à 12 tonnes nous simplifierait grandement la tâche, mais quel en serait le coût ?

M. Daniel Bursaux . - Si nous passions à 12 tonnes, le manque à gagner serait de l'ordre de 200 millions d'euros. Pour le compenser, il faudrait passer le coût kilométrique à 14 ou 15 centimes. En revanche, les équipements de contrôle fixe devraient être adaptés : les portiques de Thales reconnaissent des masses de 3,5 tonnes. Le coût de la transformation risque d'être élevé.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Combien coûte un portique ?

M. Daniel Bursaux . - Un million d'euros environ.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Les douanes nous ont dit qu'il faudrait quatre à cinq mois pour actualiser les systèmes et les procédures en cas d'évolution des textes législatifs ou réglementaires.

M. Daniel Bursaux . - Il faut effectivement prendre en compte tout l'environnement administratif. Je n'évoquais que la faisabilité technologique, qu'il conviendrait d'évaluer, surtout dans ce contexte.

M. Yves Krattinger . - En application de la loi, 5 500 kilomètres de routes départementales sont taxables. Le réseau routier taxé appartient à l'État et aux départements.

M. Daniel Bursaux . - Le périphérique de Paris appartient à la ville et il y a un tronçon de route à Strasbourg.

M. Yves Krattinger . - Si le barème n'est plus national, il faudra discuter avec les principaux intéressés ! La commande des deux gouvernements successifs a-t-elle toujours été claire et précise ? Les retards n'ont-ils que des causes administratives et techniques ? Pourquoi le décret du 6 mai 2012 était-il incompréhensible ?

M. Daniel Bursaux . - Je ne reviens pas sur le réseau taxable local : nous avons appliqué la loi qui laissait une petite marge d'interprétation. Nous avons défini les tracés département par département et nous sommes parvenus à un quasi-consensus dans le respect du vote du Parlement. Quel que soit le Gouvernement, il m'a toujours été demandé de faire avancer le dossier. Aucun ministre ni aucun secrétaire d'État ne m'a dit de lever le pied.

En ce qui concerne le décret du 6 mai 2012, le Gouvernement sortant a sans doute voulu publier le texte prévu par la loi. Certes imparfait, ce décret a fait l'objet d'un long travail dans mes services : il répondait à la loi telle qu'elle avait été rédigée. Le nouveau ministre délégué s'est étonné, puis son cabinet a fini par convenir que c'était la loi qu'il fallait modifier.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Cela a-t-il retardé l'exécution du contrat Écomouv' ?

M. Daniel Bursaux . - Pas du tout : le décret concernait exclusivement les transporteurs.

M. Roland Ries . - La complexité invoquée pour justifier le choix du PPP résulte-t-elle de problèmes techniques ou bien est-elle due à une forme de perfectionnisme ? Ne pensez-vous pas que pour faire mieux que les autres pays, on a créé une coûteuse usine à gaz, alors qu'il serait moins cher d'accepter un taux de fraude supérieur mais de réaliser des économies sur les portiques et sur le fonctionnement ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Cette question est souvent soulevée par notre rapporteur.

M. Daniel Bursaux . - Incontestablement, le projet est techniquement complexe. Dans l'appel d'offres, nous avions laissé le choix entre un système à ondes comme c'est le cas pour les péages autoroutiers, et un système satellitaire. Toutes les entreprises qui ont répondu ont choisi cette deuxième technique. Il fallait en outre prévoir des contrôles, des systèmes embarqués, l'interopérabilité, un système informatique central sur lequel nos estimations de coûts se sont révélées erronées, ainsi qu'un système de facturation.

Il ne s'agit pas tant de performance du dispositif que de sécurité pour le redevable. Pour éviter des contestations en cascade, nous voulions être sûrs du système, d'où le principe d'une erreur maximum pour un million au détriment du redevable. Les erreurs de facturation, en défaveur des contribuables, auraient créé des polémiques et mis à bas la crédibilité du système.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Votre réponse est adroite, mais vous n'avez pas le même souci pour les amendes de circulation !

M. Daniel Bursaux . - Les premiers contrôles radar ont entraîné beaucoup de contestations, ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Avez-vous rencontré les concurrents lors du dialogue compétitif ?

M. Daniel Bursaux . - Je n'ai pas absolument pas participé à ce dialogue.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Vous étiez représenté à la commission consultative...

M. Daniel Bursaux . - En effet. En revanche, lorsque les offres initiales ont été remises, j'ai demandé à mes services de me fournir les chiffres.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - L'État est-il intervenu pour qu'Écomouv' s'implante à Metz, ville où se trouve le siège social de la Sanef ? Perçoit-il des loyers ?

M. Daniel Bursaux . - Les douanes ont leur site écotaxe à Metz. Lorsque la question s'est posée pour Écomouv', nous leur avons suggéré de s'y implanter, tout en disant clairement qu'ils étaient libres d'aller où bon leur semblait. Calais et Reims avaient remis des propositions à Écomouv'. Je ne sais pas en revanche s'il y a eu des incitations financières. Le ministère de l'écologie ne perçoit pas de loyer ; j'ignore ce qu'il en est pour l'État ou pour la collectivité. J'ai transmis la question au préfet de région.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - La collectivité nous a dit qu'elle n'en percevait pas.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - À Metz, Écomouv' dispose de deux bâtiments distants de quatre kilomètres et l'un des deux est entouré de 6 500 mètres carrés constructibles. Quelle en est l'utilité ?

M. Daniel Bursaux . - Je l'ignore, tout comme je ne peux pas répondre sur les problèmes des salariés sur lesquels vous m'avez interrogé par écrit, et sur lesquels je n'ai pas reçu de mandat pour les traiter.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Vous ne voulez pas que les redevables soient taxés injustement. Des contrôles sont donc nécessaires, d'où les portiques. N'y a-t-il pas eu déficit d'explication ?

M. Daniel Bursaux . - Sans doute. Reste que ces portiques ont été en place pendant dix-huit mois sans que personne ne songe à les attaquer. Des articles de presse ont expliqué à quoi ils servaient. Il n'y avait pas de secret, pas de scoop .

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Écomouv' était en retard et pourtant l'État a autorisé des marches à blanc dès juillet 2013. N'étaient-elles pas vouées à l'échec ?

M. Daniel Bursaux . - Elles ont fonctionné à peu près correctement. Certes, il y avait encore des défauts majeurs, mais elles ont démontré que le système de tarification fonctionnait.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Il y avait des défauts majeurs...

M. Daniel Bursaux . - Ils ont été corrigés, puis la VABF a été prononcée début janvier après les homologations.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - La Mappp a eu 48 heures pour présenter ses remarques sur les procédures de contrôle et de suivi du contrat, notamment sur le respect des indicateurs de performance. Ces réserves n'ont pas obtenu de réponse écrite. Pourquoi ?

M. Daniel Bursaux . - Je vous enverrai le compte rendu de la réunion du 14 octobre 2011 avec la Mappp. L'équilibre économique du contrat, résultant de l'appel d'offres, aurait été profondément modifié si certaines de ses observations avaient été suivies. En revanche, nous avons entamé la négociation avec Écomouv' qu'elle demandait sur un point précis. Quant à l'urgence que vous dénoncez,  le décret de 2009 imposant la consultation des ministres du budget et des finances n'était pas sur le site Internet de la Mappp.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - C'est exact, mais il n'avait pas à y figurer.

M. Daniel Bursaux . - Je consultais le site de la Mappp pour voir quelles étaient les obligations. Certes, nul n'est censé ignorer la loi, mais j'étais resté sur l'idée que seul le contrôleur économique et budgétaire du ministère devait donner son accord, ce qu'il a fait dans des délais raisonnables. Je reconnais que nous avons découvert ce problème une dizaine de jours avant la signature du contrat - mea culpa . Nous avons alors envoyé le projet de contrat aux deux ministres concernés lesquels ont saisi la Mappp. Nous avons très rapidement organisé une réunion sur les points soulevés. À l'époque, nous perdions trois millions d'euros par jour de retard de signature du contrat. En outre, nous craignions un nouveau contentieux si nous ne signions pas rapidement. Les ministres, qui ont dû avoir connaissance des remarques de la Mappp, ont dû estimer que nos réponses étaient satisfaisantes, puisqu'ils ont émis un avis favorable à la signature du contrat.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Avez-vous un bilan financier des détériorations subies par les portiques ? J'ai cru comprendre que les coûts restaient à la charge de l'État.

M. Daniel Bursaux . - Je ne dispose pas de bilan précis, mais on peut estimer le coût des dégradations à une dizaine de millions d'euros. Le contrat prévoyait que lorsqu'il s'agissait de dégradations isolées, les réparations étaient à la charge des assureurs d'Écomouv'. À partir du moment où il y a eu volonté organisée de nuire et de détruire, Écomouv' a estimé que l'État était responsable. Nous allons en discuter avec eux.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Qui négocie avec Écomouv' maintenant ?

M. Daniel Bursaux . - Mes services avec l'aide d'un conseil, ainsi que les douanes. Il a y des allers et retours avec mon cabinet.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Écomouv' a-t-elle payé quelque chose à l'État, mis à part le loyer ? A-t-elle envoyé une facture ?

M. Daniel Bursaux . - Écomouv' ne peut pas demander à l'État de payer quoi que ce soit, puisque la mise à disposition du dispositif n'a pas été prononcée.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - La demande de mise à disposition vous a été demandée par lettre du 17 janvier 2014 et une lettre complémentaire vous a été adressée le 20 janvier. Vous avez jusqu'au 20 mars pour répondre. Jouez-vous la montre ?

M. Daniel Bursaux . - Le cabinet nous a adressé un mandat de négociation.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Tout a-t-il été listé ?

M. Daniel Bursaux . - Je le pense.

M. Louis Nègre . - À Metz, nous avons eu le sentiment qu'Écomouv' ne vous bousculait pas. Pourquoi ce tango ? La suspension est une mesure d'ordre politique qui nous coûte 3 millions d'euros par jour et a des conséquences directes sur l'Afitf. Qu'entend faire le Gouvernement pour remplacer les 800 millions d'euros que l'Afitf ne percevra pas ?

M. Daniel Bursaux . - Nous avions reçu une première facture le 1 er octobre 2013, que nous n'avons pas honorée, compte tenu des événements et du fait que les VABF n'avaient pas été prononcées. J'ai reçu comme consigne de ne pas trop me presser pour signer la VABF. Elle l'a quand même été début janvier 2014, après que l'homologation a été obtenue. Écomouv' estimait d'ailleurs que celle-ci n'était pas nécessaire pour obtenir la VABF, tandis que nous soutenions le contraire. Écomouv' nous a ensuite transmis le rapport de vérification de service régulier (VSR) et le contrat prévoyait fort heureusement des délais. Nous disposons donc d'un délai de deux mois, depuis la remise de ce rapport, pour prononcer la mise à disposition.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Il est difficile de négocier sur la mise à disposition ! Qui va payer ? Est-ce le programme budgétaire 203 ?

M. Daniel Bursaux . - S'il faut payer, ce sera bien sur ce programme 203 alimenté par l'Afitf, puisque dépenses et recettes passent par cet organisme.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Il y aura donc des reports sur toutes les opérations d'infrastructures. Hier après-midi, le préfet de région d'Aquitaine, qui nous réunissait pour les contrats de plan État-région, nous a dit qu'ils étaient conditionnés à une recette de l'écotaxe.

M. Daniel Bursaux . - Je suis prêt à parler de mon mandat de négociation avec Écomouv' mais à huis clos. Si j'ai poussé les feux sur l'écotaxe, c'est parce que j'étais persuadé que c'était le seul moyen, dans le contexte budgétaire actuel, de financer les infrastructures françaises. Avec cette recette pérenne (qui s'ajoutait à la taxe d'aménagement du territoire, à la redevance domaniale et au reliquat des amendes radar), on garantissait le financement de l'Afitf.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Quand on voit les reports des opérations anciennes...

M. Daniel Bursaux . - Nous avons trouvé une solution pour cette année. Un amendement budgétaire été voté, les gels traditionnels épargneront le programme 203. Nous avons trouvé de quoi équilibrer les dépenses prévisionnelles, mais il y aura peu d'engagements pour de nouvelles opérations en 2014, ce qui rend l'exercice de contractualisation entre les préfets et les régions extrêmement compliqué.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Sans doute n'y aura-t-il pas de recettes d'écotaxe en 2014.

M. Daniel Bursaux. - D'autant plus qu'il sera peut-être nécessaire de revoir le cadre légal et règlementaire, ce qui prendra quelques mois.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Le contrat va donner lieu à négociation. Reste qu'il faudra bien que des sommes arrivent sur le programme 203, dont on va d'ailleurs supprimer une recette.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Jusqu'à quand Écomouv' aura-t-elle la capacité de négocier ?

M. Daniel Bursaux. - À mon avis, mais sans que ce soit un engagement, je pense que nous avons deux mois après la VSR, pendant lesquels il n'y a pas grand risque. Ensuite, les discussions, auxquelles participeront les banques, seront plus difficiles.

M. Jean-Jacques Filleul . - Que votre mandat de négociation n'aboutisse pas aurait des conséquences catastrophiques, y compris pour Écomouv'.

M. Daniel Bursaux. - Par définition, un mandat de négociation peut ne pas aboutir.

M. Louis Nègre . - La situation est en effet très difficile. Non seulement on va fragiliser Écomouv', mais encore l'Afitf dispose de 1,8 milliard d'euros de crédits de paiement contre des autorisations d'engagement trois fois moindres, ce qui impacte les contrats de plan ainsi que le troisième appel à projets. Cela affecte également les entreprises de transport qui ont pris leur matériel. Pouvez-vous nous indiquer quelle proportion de la cible représentent les 180 000 camions enregistrés ?

M. Daniel Bursaux. - Nous tablons sur six cent mille abonnés.

M. Louis Nègre . - Ne risquent-ils pas de se retourner contre l'État ?

M. Daniel Bursaux . - Non, la situation est pour l'instant neutre pour les transporteurs, mis à part le temps pris pour les procédures d'enregistrement.

M. Éric Doligé . - Après la négociation, qui reste dans le cadre du contrat, viendra le temps du politique, de la décision. Je suis inquiet de l'importance des conséquences pour les entreprises et pour l'économie. L'allongement des concessions autoroutières pourrait avoir pour contrepartie 3,5 milliards d'euros de travaux. Or, un report pèserait sur l'activité ainsi que sur la sécurité de nos routes - j'attends chaque année 9 millions d'euros de l'écotaxe.

J'aimerais, madame la Présidente, que vous demandiez au Premier ministre de nous donner le rapport rendu il y a quelques mois sur les partenariats public privé. M. Sueur ne parvient pas à l'obtenir du ministre du budget. Auditionner le Premier ministre nous aiderait à obtenir un document qui serait bien utile à notre réflexion.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous l'avons demandé à M. Moscovici et j'invite l'administration à faire le nécessaire pour que nous l'ayons.

M. Daniel Bursaux. - Le propos de M. Doligé explique notre engagement. Le réseau autoroutier allemand, qui était menacé de délabrement, connaît depuis trois ou quatre ans un renouveau avec un rythme soutenu de travaux. Le plan de relance autoroutier, dont le ministre a parlé aux parlementaires, est en cours de discussion devant la Commission européenne parce que les allongements de concession relèvent d'une instruction au titre des aides de l'État. Cela donne une perspective de travaux pour les entreprises de travaux publics.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Vous négociez avec Écomouv'. Toutefois, n'êtes-vous pas inquiet de l'évolution de la relation contractuelle ?

M. Daniel Bursaux. - Bien sûr que si ! Raisonnablement, compte tenu des autres intervenants, notamment financiers, il faut avoir trouvé une solution dans les deux mois. On se parle.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - J'en suis heureuse : ils nous ont dit qu'ils avaient appris la suspension par la presse.

M. Daniel Bursaux. - Vous me taquinez... La suspension a été annoncée à l'issue d'une réunion du Premier ministre avec les partenaires bretons. J'ai été informé par un SMS juste avant la fin de la réunion et je n'ai pas eu le réflexe de prévenir Écomouv' : la décision était alors partout dans les médias.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - J'aurai d'autres questions lorsque nous vous auditionnerons à huis clos.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous tiendrons cette réunion le 11 mars après-midi. Écomouv' et les banques y participeront également.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Cela nous évitera peut-être de poser les mêmes questions plusieurs fois.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions.

Audition de Mme Aline Mesples, présidente, et M. Gilles Mathelié-Guinlet, secrétaire général, Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE) (Mardi 18 février 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous auditionnons à présent les représentants de l'Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE), Mme Aline Mesples, sa présidente, et M. Gilles Mathelié-Guinlet, son secrétaire général.

Nous souhaitons comprendre comment se répercute le système Écomouv' chez les transporteurs. Ce système, de votre point de vue, est-il prêt ? Que pensez-vous des services offerts par les sociétés habilitées de télépéage (SHT) ? Que pensez-vous de la procédure d'enregistrement, d'une manière générale ?

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Aline Mesples et M. Gilles Mathelié-Guinlet prêtent serment.

Mme Aline Mesples, présidente de l'OTRE . - L'OTRE est une fédération patronale, représentative des PME à capitaux familiaux du transport routier, fondée en 2000. Elle a voulu dès sa création, s'inscrire dans une dimension européenne, répondant ainsi à la réalité du marché du transport routier français de marchandises, de par la situation de transit de notre pays.

Concernant le dossier de l'écotaxe, de la délégation de sa collecte et de sa gestion à la société privée Écomouv' pour laquelle vous avez souhaité nous entendre, l'OTRE a toujours eu une démarche constructive sur le projet d'une taxation visant au financement des infrastructures routières. Cet engagement avait une condition : une taxation à iso-fiscalité pour les entreprises de transport routier de marchandises nationales, devant permettre de réduire le différentiel de compétitivité entre les entreprises européennes et les entreprises françaises.

Tout au long des travaux menés sur la mise en place de l'écotaxe, nous avons alerté les pouvoirs publics sur les déviances des choix qui se formalisaient, avec d'un côté une taxation dont la collecte serait sous-traitée à une société privée et des prestataires mandatés, et, d'un autre, le principe d'une taxe dont le transporteur était le redevable, mais qu'il était autorisé à répercuter.

Une fois le choix du contrat de partenariat public-privé fait, la première erreur commise, à notre sens, a été d'écarter les représentants des futurs redevables de l'établissement du cahier des charges. En effet, les particularités de notre secteur et de ses multiples activités n'ont pas été efficacement identifiées à la source et ont contribué à la mise en place d'un système qui s'avère finalement totalement inadapté aux 36 000 entreprises du secteur et, plus globalement, aux propriétaires des quelque 500 000 poids lourds français.

Dès l'appel d'offres, l'OTRE s'est dite surprise de voir dans les candidats en lice une société qui avait dans ses actionnaires une entreprise publique appelée à être une des principales bénéficiaires des recettes de la taxe poids lourds, au nom du report modal, la SNCF, deuxième actionnaire du consortium Écomouv'.

S'agissant des candidats en lice, nous pensons que le choix s'est porté sur l'opérateur qui avait le moins d'expérience sur la mise en place d'un tel système. Ce sont donc les critères financiers qui ont prévalu par rapport aux critères techniques, qui doivent être selon nous prépondérants.

Enfin, une fois Écomouv' désignée, nous nous sommes heurtés à la mise à l'écart de la représentation professionnelle de notre branche et au secret sous lequel cette mise en oeuvre s'est réalisée.

Il est utile, à ce stade, de vous informer de l'absence totale de transparence et d'informations vérifiables émanant du délégataire depuis septembre 2012. Les relations engagées par Écomouv' et les SHT avec les représentants professionnels sont des relations commerciales, basées sur du lobbying , voire des menaces concernant l'obligation d'équiper les véhicules concernés. Il en a été de même avec la mission de la tarification.

Mon propos portera sur les constats que nous avons pu faire tout au long de cette mise en place, à partir de la décision de délégation de ce service public à un consortium privé.

Premier constat : l'obstruction de la mission de la tarification est caractérisée. Durant plusieurs mois, nous avons demandé à la mission de la tarification de nous préciser les éléments techniques et opérationnels du contrat signé, afin de pouvoir appréhender ce qu'allait être la collecte, sans aucune réponse. Elle a refusé de répondre à nos interrogations légitimes, nous renvoyant aux obligations légales, et indiquant même que les litiges éventuels ne pourraient se résoudre que devant les juridictions administratives concernées.

Nous avons donc saisi le 22 mars 2013 les ministres des transports et du budget afin de consulter le contrat de partenariat signé. En l'absence de réponse à cette demande, nous l'avons réitérée, le 3 juin 2013. Une réponse nous est enfin parvenue le 13 août 2013, nous refusant cette consultation au motif du secret industriel et financier de ce partenariat.

Devant une telle obstruction, nous avons saisi la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) le 7 octobre, et obtenu une décision le 5 décembre 2013 et, enfin, une communication de ce contrat le 8 janvier 2014.

Bien évidemment, de nombreux éléments ont été jugés confidentiels et ne permettent pas de connaître la réalité des enjeux juridiques et financiers mais, au-delà, cette obstination à ne pas fournir les informations nécessaires a totalement rompu la confiance de notre organisation, et de nos adhérents, dans le système de perception de taxe qui leur était imposé.

Deuxième constat : les conditions financières sont particulières. Le consortium va percevoir un quart de la taxe pour frais de gestion annuels et retour sur investissement. Pour information, c'est le montant de taxe à l'essieu payé par l'ensemble des propriétaires de poids lourds français... Ceci est purement et simplement inacceptable pour les redevables !

Or, Écomouv' incite les redevables à souscrire un abonnement auprès des SHT et a prévu que 80 % des badges commercialisés le seraient via celles-ci, Écomouv' ne gardant en gestion directe que 20 % du parc poids lourds. Nous constatons donc qu'Écomouv', pour gérer un cinquième du parc, perçoit un quart de la taxe.

Par ailleurs, les SHT ont intégré à leur offre commerciale des frais de gestion, alors même qu'elles perçoivent de l'État pour ce service un loyer annuel par badge délivré, ainsi que les cautions bancaires exigées pour la délivrance des badges. La facture pour les entreprises du secteur est donc particulièrement importante.

Enfin, Geodis, filiale transport de marchandises de la SNCF, a signé un contrat exclusif avec Écomouv' pour la gestion de la logistique du consortium, d'un montant de plusieurs millions d'euros par an, sans aucun appel d'offres.

Comment expliquer de telles dépenses pour percevoir une taxe dans un contexte économique européen et mondialisé très défavorable aux entreprises françaises et, plus particulièrement, aux entreprises du secteur du transport routier de marchandises ? En tant que redevables les entreprises de transport routier sont une clientèle captive et soumise aux diktats d'une entreprise privée, l'administration ne proposant, quant à elle, que le recours, comme je l'ai dit, à la juridiction administrative en cas de litige.

Troisième constat : la sous-traitance par les SHT pose question. Un contrat de délégataire existe entre le consortium et les six SHT. Or, de nombreux prestataires proposent ce type de services par le jeu d'une sous-traitance du contrat initial. Est-ce pertinent et adapté dans le cas de la perception d'une taxe, et réellement prévu par le contrat initial ? Nous contestons cette déviance !

Quatrième constat : la fiabilité du système n'est pas prouvée. En l'absence totale de transparence sur la mise en place de la technologie choisie par le délégataire, la fiabilité du système n'est pas officiellement et contradictoirement vérifiée. En effet, dès le début de l'année 2013, à quelques semaines de la mise en place en Alsace, nous avons recueilli des témoignages de transporteurs indiquant que les tests qu'ils menaient, soit pour les entreprises du consortium, soit pour les SHT, démontraient une absence totale de cohérence des résultats obtenus dans le calcul des kilomètres parcourus, ou le repérage des véhicules par les portiques installés.

Je dois préciser, à ce stade, que les entreprises qui ont témoigné l'ont fait de manière confidentielle, puisqu'elles étaient tenues par des contrats avec les entreprises concernées les obligeant à ne pas révéler les résultats des tests pratiqués.

Pour l'OTRE, les trois reports successifs ne sont que la conséquence de l'impossibilité de pouvoir mettre en oeuvre la technologie choisie, sans incidents.

Le 6 septembre 2013, le ministre des transports convoquait les organisations professionnelles du secteur pour faire le point sur l'avancée du dossier, à trois semaines de la date supposée d'entrée en service. Les quatre organisations ont fait le même constat : le report de la taxe était une nécessité au vu de tous les dysfonctionnements - enregistrements défectueux, fiabilité du système insuffisante, voire inexistante.

Au cours de la réunion, le ministre Cuvillier s'est même étonné, puis offusqué, de l'absence d'engagement des entreprises de transport et de leur non-enregistrement, tout particulièrement pour la société Geodis, dans la démarche de marche à blanc.

Le représentant de la société Heppner s'est étonné, preuves à l'appui, de l'impossibilité pour son entreprise d'entrer dans le dispositif de marche à blanc, alors qu'elle s'était portée volontaire à deux reprises, en juillet, puis en septembre.

Le ministre, répondant à la volonté des organisations professionnelles, a alors décidé de la mise en place d'un comité de suivi de la mise en oeuvre de l'écotaxe. La première réunion de ce comité aura lieu cinq semaines après ! Sur le même principe, des commissions régionales de suivi de cette mise en place et de l'impact de celle-ci sur l'économie du transport devaient être initiées. Au moment de la réunion du comité national de suivi, toutes ces commissions régionales ne s'étaient pas réunies !

Tout ce dispositif d'information et de concertation n'a pas été en mesure de répondre à l'ensemble des questions que la profession se posait, et encore moins de résoudre les problèmes posés.

Cinquième constat : la marche à blanc s'est révélée être un trompe l'oeil. N'ayant jusque-là jamais été sollicitée par Écomouv', l'OTRE s'est engagée pendant la réunion ministérielle à s'inscrire dans la marche à blanc. Au total, ce sont une trentaine d'entreprises, réparties sur le territoire, et de tailles différentes, qui ont tenté de se lancer dans cette phase de test. Seules les PME ayant contracté avec une SHT avaient la possibilité de participer à la marche à blanc. Il n'était pas possible pour une PME non abonnée de récupérer ses badges auprès du délégataire et de tester le dispositif ! La possibilité pour ce type d'entreprises de s'inscrire sur le site Écomouv' est d'ailleurs arrivée bien plus tard, fin novembre 2013.

Au final, sur la trentaine d'entreprises proposées par l'OTRE, une seule arrivera à passer toutes les étapes pour démarrer ces tests grandeur nature. Le bilan de cette phase de marche à blanc est catastrophique. Quant au test mené par l'entreprise Guisnel - 800 cartes grises moteurs - il révèle une incohérence et une inadaptation totales du mode de facturation. Nous avons un dossier à vous remettre au sujet de ce test...

Aujourd'hui, aux dires des déclarations d'Écomouv' lors de son audition devant la mission parlementaire de l'Assemblée nationale, le bilan de la marche à blanc qui aurait été menée sur les véhicules de Geodis serait tout à fait probant. Comment croire qu'une entreprise non badgée en septembre 2013 a pu contribuer à valider le système en si peu de temps ? Si tel est le cas, pourquoi ne pas rendre public ce bilan, si cela doit définitivement asseoir le système retenu ?

Nous avons, à de multiples reprises, demandé communication des résultats, sans succès. Les retours de la société Guisnel et l'article de presse sur les transports Orain, que nous avons joints à notre dossier, démontrent que le système ne fonctionne toujours pas.

En conclusion, l'ensemble des éléments démontrent des dysfonctionnements majeurs dans la phase d'enregistrement que la société Écomouv' est incapable d'assumer, malgré le travail préparatoire et de vérification effectué par les SHT, et dans le calcul de la taxe.

Quant au système de facturation de la taxe, il est faux et invérifiable ce qui est inacceptable : il n'y a pas de mention des kilomètres parcourus, pas de localisation géographique et temporelle des trajets, et pas de mention du tarif kilométrique appliqué.

Enfin, à ce jour, nous ne savons toujours pas si le dispositif correspond au cahier des charges proposé par l'État, et - plus important - s'il est adapté à la réalité du quotidien des entreprises de transport routier.

Le dernier constat concerne l'absence de contrôle périodique de fonctionnement des badges. Alors que le principe de la taxe est un nombre de kilomètres parcourus multiplié par un taux de taxe, en fonction des caractéristiques du véhicule, nous n'avons aucune garantie sur la métrologie des badges et sur leur fiabilité dans le temps.

De nombreux équipements de contrôle ou de comptabilisation sont installés dans les véhicules poids lourds, qu'il s'agisse des temps de travail ou de la limitation de vitesse du véhicule. Tous ces équipements font l'objet de vérifications à échéances périodiques. Nous nous demandons donc pourquoi le badge n'a pu faire l'objet de ce type de vérification.

Au regard de l'ensemble de ces constats, l'OTRE exprime clairement son opposition à l'écotaxe Écomouv' mais, consciente des enjeux relatifs au financement des infrastructures et à la transition énergétique, elle a fait des propositions alternatives en ce sens à la mission parlementaire réunie sur ce sujet.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Votre confiance dans le dispositif actuel semble limitée, si je peux me permettre ce doux euphémisme !

Établissez-vous un distinguo dans les procédures des SHT et les enregistrements directs d'Écomouv', entre redevables abonnés et non abonnés, ou récusez-vous de façon générale les procédures et les enregistrements ?

Mme Aline Mesples . - À ce jour, les relations les plus précises et les plus directes que nous avons eues, en tant qu'entreprises ou organisations professionnelles, ont concerné les SHT, qui ont fait la démarche d'aller dans les entreprises, et de se présenter devant les organisations patronales.

Les relations avec Écomouv' sont plus institutionnelles et moins précises. Nous ne pouvons vous dire comment Écomouv' traite ses abonnés, puisqu'elle n'a permis qu'en novembre 2013 à ceux qui souhaitaient acheter un badge de le faire directement auprès d'elle. Très rapidement, le report sine die a stoppé les démarches.

Concernant les SHT, la phase de préparation du dossier de ceux qui désiraient s'enregistrer s'est déroulée sous une relative bonne assistance. Cependant, la transmission du dossier à Écomouv' et son retour se sont moins bien passés. Le dossier de marche à blanc complet a parfois été renvoyé pour un second examen lorsqu'un véhicule, sur un parc de dix, présentait un problème de papiers, alors que les neuf autres auraient pu être retenus. Il y a également eu un problème important concernant un certain nombre de documents facultatifs, qu'Écomouv' exigeait.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - À combien estimez-vous le temps nécessaire entre le premier contact pour s'enregistrer et le retour du dossier après enregistrement de l'ensemble de la flotte ?

Mme Aline Mesples . - Entre quinze jours à trois semaines au minimum. Certains n'ont jamais eu de retour. Pour Guisnel, on a enregistré 25 jours pour quatre boîtiers : on est donc loin du compte sur les 800 véhicules à équiper !

Il y a également un travail à réaliser en amont. Tout le monde ne peut accéder à l'abonnement auprès des SHT, puisque se pose la question du cautionnement bancaire, c'est-à-dire de l'encours de taxe à payer par le transporteur. Dans ce système, la SHT paye à Écomouv' la taxe due. La SHT, ayant déjà payé Écomouv', veut se garantir des difficultés financières que pourrait rencontrer le transporteur. Alors que toutes les entreprises ont des difficultés économiques - redressement, période d'observation - certaines n'ont pas obligatoirement eu la possibilité de s'inscrire auprès d'une SHT.

En second lieu, les SHT sont les fournisseurs de certains transporteurs en matière de péage et de gasoil. Lorsque les encours sont trop importants, quelques-unes refusent de travailler avec ces sociétés en difficultés. Cela peut arriver à de petites, de moyennes ou de très grosses structures. Plus on est gros, plus l'encours peut être important.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Selon vous, Écomouv' ne dispose donc pas aujourd'hui d'enregistrements réels, mais de tests pour ce qui concerne les redevables non abonnés, qui ne passent pas par les SHT...

Mme Aline Mesples . - D'après ce que nous savons, il n'existe pas actuellement d'enregistrement de non abonnés auprès d'Écomouv'.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Il ne peut donc s'agir que de tests...

Mme Aline Mesples . - Même pas ! Parmi les entreprises proposées pour la marche à blanc, l'une ne souhaitait pas s'abonner ; elle a alors voulu entrer dans la marche à blanc directement avec Écomouv', ce qui n'a pas été possible.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - A quelle période ?

Mme Aline Mesples . - En octobre-novembre 2013...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Estimez-vous que le système pose problème par rapport à l'égalité entre petits et gros transporteurs ?

Mme Aline Mesples . - Je ne suis pas sûre que ce soit un problème de taille. Je pense que c'est surtout un problème d'activité, de situation géographique, et de santé de l'entreprise.

Le problème vient du fait qu'une petite entreprise se voit théoriquement appliquer par ses fournisseurs des tarifs plus élevés qu'une grosse entreprise. Les offres commerciales des SHT vis-à-vis des gros transporteurs sont meilleures que vis-à-vis des petits.

Pour ce qui est de la complexité, la mise en place de 800 badges pour une entreprise comme Guisnel représente quelque chose d'énorme - perte d'exploitation liée à l'installation, mobilisation de personnel dans le cadre d'un atelier intégré, etc. En dehors de l'offre commerciale, il n'y a, selon moi, pas de différence.

La difficulté apparaît dès lors qu'on est un gros utilisateur de réseau écotaxé et qu'on n'a pas la possibilité d'être abonné pour des raisons économiques ou financières. L'obligation d'être client direct d'Écomouv' a quand même un impact : on paye en amont, et il existe une caution. C'est plus complexe, mais c'est dans le cas où l'entreprise s'est vue refuser d'accéder à l'abonnement SHT, à cause de sa mauvaise santé financière ou économique.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Aujourd'hui, certains transporteurs sont pénalisés par la décision de l'État, qui a suspendu l'écotaxe. Quelques-uns avaient fait l'effort de s'équiper. Il n'existe pas de pénalités pour ces gens-là. Ils n'ont rien payé à ce jour...

Mme Aline Mesples . - Ils ont dû payer l'installation. Ceux qui sont aujourd'hui équipés ne sont que des clients de SHT. À ma connaissance, il n'existe pas de badge Écomouv' en service. Tout dépend des relations que les clients ont avec les SHT, et des conditions qu'on leur propose. Certains badges non installés sont stockés en attente ; ceux qui ont été installés et qui ne sont pas utilisés ne font bien souvent pas l'objet de frais de gestion de la part des SHT. On assiste à une guerre commerciale entre les six SHT. Il n'est pas de l'intérêt commercial pour les SHT de facturer des frais de gestion...

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Les dispositifs embarqués d'Écomouv' n'ont donc pu être contrôlés. Auraient-ils pu l'être autrement ?

Mme Aline Mesples . - Il peut y avoir eu des contrôles, mais pas sur des flottes comme les nôtres. Quand nous sommes entrés dans la marche à blanc, nous n'avons pu le faire avec des badges Écomouv'...

M. Gilles Mathelié-Guinlet, secrétaire général de l'OTRE . - La marche à blanc n'a été réalisée qu'avec des badges appartenant à des SHT. La phase d'enregistrement éventuelle des entreprises non abonnées n'aurait pu débuter qu'en novembre 2013, époque à laquelle le Premier ministre a déclaré que la taxe était reportée sine die . Écomouv' était alors dans l'incapacité de permettre aux entreprises non abonnées de s'enregistrer sur son site...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Qu'est-ce qui vous fait dire cela ?

M. Gilles Mathelié-Guinlet . - Nous l'avons vérifié ! La page, à ce moment-là, n'était même pas ouverte ! Un certain nombre d'éléments étaient expliqués, mais la phase d'enregistrement elle-même n'avait pas encore débuté.

Il semble que des entreprises étrangères aient décidé de s'enregistrer auprès d'Écomouv', mais nous n'avons pu le vérifier. Les entreprises françaises, elles, sont en situation d'attente. Il n'y a rien eu de fait auprès des non abonnés s'agissant de la marche à blanc en tant que telle...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Pensez-vous que les autres syndicats de transporteurs soient sur la même ligne que vous ? Vous êtes une organisation un peu plus en pointe dans la contestation... Vous aviez appelé à suspendre l'écotaxe. Pensez-vous être représentatifs de l'ensemble des autres organisations ?

Mme Aline Mesples . - Nous n'avons pas appelé au boycott de l'écotaxe, mais au boycott de l'abonnement et des badges, nos questions opérationnelles ne recevant pas de réponse. Nous avons découvert le contenu du projet et ses incidences financières peu à peu, grâce à des fuites des SHT, et par des informations glanées de ci, de là, mais nous n'avons pas eu d'information directe ni concrète à propos de la façon dont les choses allaient se passer ! C'est en ce sens que nous avons estimé qu'il était trop tôt pour s'abonner.

Toutes les organisations patronales n'ont pas eu la même attitude, au moins dans leur communication, ou lors des réunions avec le ministère des transports. Pour ce qui est des transporteurs, j'affirme que l'ensemble perçoit le système comme trop compliqué, inadapté. Ils ne veulent pas y entrer, d'autant qu'on est dans un contexte économique très fragile. Pour l'instant, tout le monde conserve une attitude attentiste...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Tout le monde est d'accord pour reconnaître la grande complexité de ce système, même si elle n'apparaît pas partout. Il semble que ce soit à l'origine une demande des douanes...

M. Gilles Mathelié-Guinlet . - Nous sentons-nous représentatifs ? La ligne politique des autres fédérations patronales n'était effectivement pas la nôtre. L'association représentant les cinq plus gros groupements économiques de transport routier, l'Alliance pour le transport routier, qui regroupe Astre, Évolutrans, le groupement Flo, le groupement Tred Union, et France Benne, compte 50 000 salariés. Ils nous ont suivis dès le départ, même en matière de communication avec les médias.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous ne travaillons pas sur l'écotaxe, mais sur le contrat Écomouv'.

Je vous crois volontiers lorsque vous dites que vous avez reçu les informations au compte-gouttes. Nous avons le sentiment que les choses se sont définies peu à peu, et n'étaient pas clairement établies au moment de la rédaction du cahier des charges.

S'agissant des sanctions financières, savez-vous à quoi vous vous engagez en cas de non-équipement d'un camion ?

Mme Aline Mesples . - Ce sont des choses que l'on a découvertes par hasard, par des informations des SHT. On en a vraiment eu connaissance lorsque les SHT ont commencé leur campagne commerciale, en nous prévenant que nous risquions 750 euros d'amende par camion si nous ne nous abonnions pas. Nous avons travaillé le sujet, et nous sommes aperçus que tout défaut d'équipement ou de l'appareil lui-même constituait une infraction - badge débranché même temporairement ou défectueux, etc. Chaque passage sous un portique ou devant un radar avec un badge ne fonctionnant pas coûte 750 euros, et peut entraîner l'immobilisation totale du véhicule.

Ce qui nous a beaucoup dérangés, c'est la discrimination entre camions étrangers et camions français concernant l'obligation de détenir un badge, où que l'on soit sur le domaine public. Un transporteur espagnol peut ainsi tout à fait entrer sur le territoire français sans badge, alors qu'un transporteur français qui emprunte la même route tous les jours et qui n'utilise aucune route taxable à l'obligation d'avoir un badge qui fonctionne !

Détenir un badge d'abonné sans jamais utiliser le réseau écotaxé entraîne néanmoins une pénalité trimestrielle des SHT pour non-utilisation. Dans le contrat qui lie les SHT à Écomouv', si le badge ne permet pas aux SHT de percevoir d'écotaxe, elles ne peuvent toucher le loyer qui leur est dû. Elles le font donc payer aux transporteurs ! Le transporteur qui n'utilise pas le réseau écotaxé doit avoir un badge branché 365 jours par an et forfaitairement s'acquitter de 750 euros par an.

En matière de transport routier, les contraventions sont très pénalisantes. Certaines peuvent entraîner une immobilisation du véhicule qui se traduit, pour le chef d'entreprise, par des contraventions de quatrième ou de cinquième classe, qui viennent déprécier son honorabilité. Or, un transporteur doit bénéficier d'un casier judiciaire totalement vierge. Sans honorabilité, on ne peut être transporteur. Une telle montée en puissance de sanctions peut mettre un certain nombre de professionnels en danger, du fait de détails relativement bénins. C'est mon appréciation, et je l'assume !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - C'est le fait des douanes : ce n'est pas Écomouv' qui assure le recouvrement forcé...

Mme Aline Mesples . - Certes, mais la sanction est là !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Pouvez-vous nous dire un mot des portiques ?

Mme Aline Mesples . - Il s'agit d'une discrimination entre transporteurs étrangers et transporteurs français. Il est inacceptable que des portiques aient été installés en dehors des axes écotaxés. Cela signifie que la sanction ne s'applique qu'aux transporteurs français, aucun camion étranger n'ayant l'obligation d'avoir un badge en dehors du réseau écotaxé.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Écomouv' affirme qu'il n'existe que six portiques dans ce cas - dont un dans les Pyrénées-Atlantiques.

Mme Aline Mesples . - Ce sont six de trop !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Les camionneurs ont-ils vraiment plus intérêt à prendre l'autoroute ? Cela va-t-il créer un effet d'aubaine pour les concessions ?

Mme Aline Mesples . - Bien évidemment ! Tout dépend de l'état du réseau routier taxable. Bien souvent, il s'agit d'un réseau national et départemental, qui ne présente pas les mêmes garanties de sécurité, de vitesse, de fiabilité, que le réseau autoroutier. Ce dernier ne permet pas non plus de tout faire, et ne dessert pas toutes les régions françaises, loin s'en faut, mais il offre une certaine sécurité. Entre deux itinéraires parallèles, l'un écotaxé et l'autre autoroutier, il est évident que le choix sera celui de l'axe autoroutier pour les transporteurs français. Tel n'est pas forcément le cas pour les transporteurs étrangers. En effet, nous ne décomptons pas le temps de travail de la même manière. Un étranger qui dégage plus de productivité avec son véhicule peut passer plus de temps sur la route, alors que nous faisons partie des transporteurs européens qui ont le temps de travail le plus contraint, du fait de la réglementation française. Nous avons intérêt à emprunter les trajets les moins chronophages. Il y aura donc un report du réseau, particulièrement en matière de longues distances.

M. Gilles Mathelié-Guinlet . - Il est choquant de considérer a priori les transporteurs français comme des fraudeurs. C'est ce qui nous a été dit lors de l'audience devant le Conseil d'État, à propos du référé suspension que nous avions déposé contre le décret du 26 juillet 2013. Le représentant du ministère l'a clairement exprimé : « Nous sommes partis du fait que les entreprises françaises peuvent frauder ! » C'est assez outrageant, même en termes de droit. Comme l'a dit Mme Mesples, un seul portique, c'est un de trop !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Cela faisait partie du cahier des charges de l'État !

Nos questions portent sur le fait de savoir si on a eu ou non raison de passer par un partenariat public-privé (PPP), sur la nature des engagements entre l'État et Écomouv', la réalisation de ces engagements et le coût de la suspension.

Vous avez été entendus par la mission d'information de l'Assemblée nationale. Je ne sais si vous leur avez fait des propositions. Même si nous dépassons là notre rôle, comment voyez-vous la sortie de crise ?

Mme Aline Mesples . - Il est évident, selon nous, que le système actuel doit être totalement abandonné. Il n'est pas adapté à la réalité des entreprises. On n'a pas tenu compte du fait qu'il existe déjà, en France, un péage autoroutier. On assiste à une multiplication des péages, et deux systèmes totalement différents coexistent. Selon nous, Écomouv' coûte bien trop cher. Un quart de la taxe va à la société privée qui perçoit l'impôt. Philosophiquement, nous avons du mal à l'admettre ! On aurait pu faire bien plus simple.

Les propositions que nous avons formulées auprès de la mission d'information de l'Assemblée nationale sont principalement de deux ordres. La première concerne la taxe à l'essieu, qu'il faudrait modifier afin qu'elle puisse être perçue de la même manière auprès des transporteurs étrangers et des transporteurs français. Elle peut être, comme c'est déjà le cas, journalière, hebdomadaire, mensuelle, trimestrielle ou annuelle. Ceci peut répondre à la demande du transport international ou du transport de transit.

La seconde piste est celle de la taxation des marchandises transportées.

Nous sommes en train de préciser ces deux propositions, avec le volet juridique que nous devons examiner, en particulier concernant la taxe à l'essieu. À ce jour, les éléments dont nous disposons en la matière démontrent que l'on est bien dans le même objectif que la directive européenne qui a conduit à l'écotaxe. On peut fort bien trouver un système, après avoir amendé ce qui existe, pour percevoir cette taxe à l'essieu à la fois auprès des transporteurs français et des transporteurs étrangers. Ceci permettrait des rentrées d'argent très rapides.

Nous sommes conscients que l'argent de l'écotaxe manque au budget des infrastructures ; nous ne sommes pas opposés à tout ceci, bien au contraire, mais les entreprises de transport qui adhèrent à notre organisation gagnent très peu d'argent. Nous n'avons tout simplement pas les moyens de payer la taxe. Une taxe très compliquée à mettre en place, qui coûte cher en frais de gestion et difficile à répercuter, à ce stade, est totalement inenvisageable ! Bien sûr, nous sommes des citoyens comme les autres, et la loi s'applique à tous, mais ce système est d'une grande complexité.

Si nous avions été associés d'entrée de jeu, on aurait pu atteindre un objectif identique avec nettement moins de moyens et de façon bien plus simple ! On a nous-mêmes du mal à comprendre comment la taxe va être perçue et quels sont les critères : comment voulez-vous que l'on répercute auprès de nos clients quelque chose que nous avons du mal à chiffrer ? Le conseil d'administration de notre organisation s'est réuni ce matin. Le message qui en est ressorti est que nous n'avons actuellement pas de visibilité sur nos coûts et sur nos prix de revient. Nous sommes donc incapables de négocier nos prix avec nos clients, faute de savoir ce que nous coûte chaque véhicule qui roule avec son conducteur. C'est là toute la difficulté. La grande complexité de l'écotaxe vient de l'obscurantisme qui règne autour !

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Que pensez-vous d'un fonctionnement sur la base d'un système déclaratif ?

Mme Aline Mesples . - C'est ce que nous proposons avec la taxe à l'essieu. Si celle-ci était à la fois perçue auprès des transporteurs français et étrangers, le portique pourrait servir à contrôler les plaques d'immatriculation et à vérifier, par télédéclaration, que tous les transporteurs ont bien payé la taxe. En outre, notre secteur fait l'objet d'une concurrence déloyale, que je qualifie personnellement de délinquance. Certains opérateurs français et étrangers travaillent en dehors des règles en vigueur sur notre territoire. Les portiques pourraient permettre des opérations de contrôle du cabotage illégal et des véhicules légers, ainsi que la régulation.

Remonter le tonnage à 12 tonnes pour l'écotaxe poids lourds, comme l'ont fait les Allemands, est une très mauvaise idée : à l'heure actuelle, on a une concurrence totalement déloyale des véhicules légers, particulièrement étrangers, en totale contradiction avec le développement durable ! On fait circuler dix véhicules pour transporter ce qui pourrait l'être dans un seul poids lourd. Les dépenses de gasoil et le CO2 sont multipliés par cinq !

M. Gilles Mathelié-Guinlet . - Un certain nombre de personnes opposent à la proposition de taxe à l'essieu qu'il ne s'agit pas d'un droit d'usage, et qu'elle serait en outre très compliquée à mettre en place en France, du fait de l'existence du système de péage autoroutier, qui ne permet pas de fiscaliser le reste des infrastructures.

Les premières analyses de nos conseils en fiscalité vont plutôt à l'encontre de cet argument : les objectifs retenus qu'il s'agisse de l'écotaxe ou de la taxe à l'essieu seraient bien les mêmes, même si l'on est sur un droit d'usage pour la taxe à l'essieu, et sur une redevance kilométrique pour l'écotaxe.

Aujourd'hui, le système allemand permet d'être aussi précis : avant d'entrer sur le territoire allemand, le transporteur doit indiquer exactement le trajet emprunté. S'il modifie ce trajet, la sanction est lourde. Il y a donc bien la possibilité, pour les transporteurs étrangers, de déclarer, soit via Internet, soit via des bornes, le trajet sur autoroute ou sur un réseau taxable emprunté par le camion étranger !

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je vous remercie d'avoir demandé à être entendus par notre commission d'enquête. Cette démarche nous aide à y voir plus clair !

Audition de Mme Anny Corail, chef de la mission taxe poids lourds, et M. Jean-François Heurion, adjoint, direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) (Mardi 18 février 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Pour notre dernière audition de la journée, nous entendons Mme Anny Corail, chef de la mission taxe poids lourds, que nous avons déjà reçue à plusieurs reprises, et M. Jean-François Heurion, son adjoint, de la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI).

Nous avons souhaité entendre de nouveau des représentants de la mission taxe poids lourds pour comprendre comment les procédures de tests et de vérification du système Écomouv' ont été menées par les douanes.

Quel a été notamment le rôle des douanes pendant les vérifications d'aptitude au bon fonctionnement (VABF) et la vérification de service régulier (VSR) ? Comment s'est passé le processus d'enregistrement des dossiers ? Y a-t-il une bonne compatibilité entre les systèmes logiciels des douanes et la gestion électronique des documents d'Écomouv' ? Comment a été vérifiée la base de 190 000 abonnés dont fait état Écomouv' ?

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Anny Corail et M. Jean-François Heurion prêtent serment.

Mme Anny Corail, chef de la mission taxe poids lourds . - Pour la bonne compréhension des actions menées pour s'assurer de la qualité du dispositif construit par la société Écomouv' et expliquer pourquoi la mise à disposition a dû être reportée à deux reprises, il semble d'abord nécessaire de présenter le suivi par l'État de la conception et de la recette réalisées par le prestataire commissionné, puis de préciser comment s'est déroulée la VABF. Je terminerai par un point de situation sur les tests de VSR.

Partant d'un cahier des charges, le déroulé d'un projet est rythmé par un séquencement d'étapes, de conceptions et de tests. Pour l'écotaxe, ces étapes sont toutes précisément prévues dans le contrat signé entre Écomouv' et le ministère de l'écologie.

L'État a ainsi créé une équipe projet, qui a participé à la rédaction du cahier des charges, au dialogue compétitif et au choix du prestataire ; elle est composée d'une douzaine de personnes, appartenant à la mission de la tarification de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), et à la mission taxe poids lourds de la DGDDI. Elle est pilotée par un directeur de projet, Antoine Maucorps, son adjoint à la mission de la tarification, Olivier Quoy, et par moi-même.

J'insiste sur le fait que l'équipe a mis en commun des compétences diverses : ingénieurs, juristes, fiscalistes des douanes. Nous sommes accompagnés par une assistance extérieure, Capgemini, qui propose à la fois des compétences techniques et juridiques. Nous nous sommes également fait assister par la direction des affaires juridiques (DAJ) et par la direction de la législation fiscale (DLF) pour certaines compétences juridiques. La douane s'est en particulier appuyée sur ses services juridiques, comptables, et informatiques.

Nous sommes à cet effet intervenus dès la conception du projet. Dans le cadre d'un contrat public-privé, le prestataire est maître d'ouvrage et maître d'oeuvre. Il lui appartient d'établir les spécifications du dispositif, à partir du cahier des charges élaboré par l'État. Nous avons donc émis des remarques sur les spécifications générales et détaillées.

Les principaux points de désaccord ont donné lieu à des ateliers spécifiques à propos des interfaces, ou de certains aspects du guide de procédure, ce qui nous a permis d'apporter des précisions sur ce que nous attendions.

Une fois la conception effectuée, il s'agit de vérifier si le dispositif répond bien au cahier des charges de l'État. Une recette a été établie par Écomouv', avec des tests unitaires réalisés par des sous-traitants comme Thales, pour le dispositif de contrôle, Steria pour le dispositif de collecte et le système central, Magneti Marelli pour les équipements embarqués, Autostrade pour les bornes de distribution des équipements embarqués

Écomouv' a ensuite procédé aux tests d'intégration pour réunir l'ensemble des modèles dans un système global, ainsi qu'aux tests de non-régression, afin de s'assurer que la nouvelle version était au moins aussi bonne que la précédente, plusieurs versions ayant été réalisées au fur et à mesure de l'avancée des travaux.

La recette a débuté le 30 juillet 2012 ; l'assistant de l'État, Capgemini, a suivi les tests, produisant 23 rapports hebdomadaires du 7 août 2012 au 8 février 2013. Ce suivi a permis à l'État de constater que la recette d'Écomouv' laissait apparaître des défauts majeurs. Leur trop grand nombre nous a conduits à refuser d'entrer en VABF en février 2013. Un mois plus tard, nous avons reçu un rapport complet d'Écomouv', annonçant la correction des défauts identifiés. La VABF a été autorisée à partir du 5 avril 2013.

La VABF est le moment où l'on teste les fonctionnalités d'un point de vue métier. Dans le projet écotaxe, l'État s'est plus particulièrement assuré que le dispositif était conforme aux prescriptions. Écomouv' n'est pas intervenue pour réaliser les tests, mais a tenu certains rôles à notre demande. Nous lui avons ainsi demandé de jouer un opérateur du centre de traitement des anomalies (CTA), afin de voir comment réagissait le système.

Le « défaut majeur » désigne le ou les défauts qui interdisent, par leur ampleur ou par leur nombre, l'usage en condition normale du dispositif. Le défaut mineur désigne, a contrario , le ou les défauts qui, par leur ampleur ou leur nombre, n'interdisent pas l'usage en condition normale du dispositif. La constatation de défauts majeurs a finalement conduit à réaliser trois VABF successives.

L'État a procédé à la définition du plan de tests, que nous avons partagé en différents chantiers identifiant la collecte, le contrôle, la sécurité, l'enregistrement, la formation des redevables, chaque chantier pouvant ensuite être divisé en sous-chantier. Nous avons notamment tenu compte des observations portant sur les spécifications fonctionnelles générales (SFG) et sur les spécifications fonctionnelles détaillées (SFD), dont l'exécution nous paraissait ne pas pouvoir être correcte. Un chantier comme l'enregistrement a été décliné en différents sous-chantiers - enregistrement à une borne automatique, enregistrement par Internet, ou auprès d'un point de distribution avec personnel...

Les tests de VABF se sont déroulés à Paris, chez Écomouv'. Nous avons en outre vérifié le système informatique du prestataire, qui est important pour que les forces de l'ordre puissent obtenir des informations sur les contrôles automatiques, la liquidation de la taxe, l'établissement des avis de paiement, les détails de liquidation.

Au centre de traitement d'Écomouv', à Metz, nous avons vérifié le fonctionnement du CTA sur les rapports de passages issus des tests réalisés sur le terrain lors de campagnes en Alsace.

Nous avons également mené des tests avec le centre d'appel pour simuler la procédure de secours, et des tests d'enregistrement par des agents du service de la taxe poids lourds (STPL).

Nous nous sommes également rendus chez Thales, à Brétigny-sur-Orge, où nous avons vérifié le contrôle automatique des véhicules en fonction de différentes configurations. Nous avons fait circuler des véhicules sur le réseau taxable. Nous avons demandé aux brigades des douanes de Strasbourg, Rouen et des Ulis de réaliser des contrôles routiers.

Une fois les tests rédigés, nous les avons répartis entre une trentaine de testeurs - douanes, DGITM, Capgemini. Le testeur devait nous dire si le test était bon ou non. Si celui-ci s'avérait mauvais, nous demandions au testeur de décrire ce qui ne correspondait pas aux attentes.

Un outil dédié, HP ALM ( HP Application Lifecycle Management ), nous a permis d'intégrer toutes les opérations, et de réaliser un suivi des tests, afin de les qualifier, aucun testeur n'ayant émis d'avis sur la criticité des tests. Nous avons réalisé hebdomadairement une qualification provisoire avec le directeur de projet et nos adjoints.

Nous avions également une fois par semaine un échange avec Écomouv' sur les défauts majeurs identifiés lors des tests de la semaine, l'objectif étant de partager la qualification envisagée, majeure ou mineure, afin d'anticiper les corrections, et de permettre à Écomouv' de ne pas attendre la fin de la VABF pour commencer les corrections. L'objectif était de mettre la taxe poids lourds en oeuvre le plus rapidement possible. À la fin de chaque VABF la qualification définitive était réalisée, au vu de l'ampleur des défauts ou de leur nombre.

La première VABF a commencé le 8 avril 2013 et s'est terminée le 13 juin 2013. Compte tenu du nombre important de défauts majeurs détectés sur divers chantiers - enregistrement, collecte, liquidation... - nous n'avons pas estimé être en mesure de prononcer la VABF. Nous avons donc demandé à Écomouv' d'apporter les corrections nécessaires, ce qu'elle avait déjà commencé à faire, afin de nous permettre de réaliser une VABF complémentaire.

Nous avons scindé les lots en deux, le premier lot spécifique à l'enregistrement et le second sur le reste du dispositif. Le délai estimé était de trois mois minimum.

Le premier lot de la VABF s'est étalé du 24 juin au 12 juillet 2013. N'ayant pas détecté de défauts majeurs, nous avons autorisé Écomouv' à passer en VSR concernant l'enregistrement des abonnés. Nous avons donc, dans un premier temps, pu ouvrir l'enregistrement aux abonnés, puis aux non abonnés. Nous attendions en effet plus d'abonnés que de non abonnés, ces derniers étant plutôt des occasionnels, la majorité des redevables devant passer par une société habilitée de télépéage (SHT).

La VABF du second lot a été réalisée du 2 juillet au 22 août 2013. On a pu constater qu'une grande partie des défauts majeurs avait été corrigée, mais il en restait encore un certain nombre, de nouveaux défauts majeurs étant par ailleurs apparus. En fait, lors de la première VABF, certains défauts majeurs nous avaient empêchés de dérouler les tests jusqu'au bout...

Fin août, il restait encore un certain nombre de défauts majeurs. Nous avons donc estimé ne pouvoir mettre le système en service. Le 2 septembre 2013, l'État a adressé à Écomouv' la liste des défauts majeurs et mineurs restant, en lui demandant de procéder aux corrections, afin de permettre une nouvelle VABF. Le 7 septembre 2013, le report de la mise en oeuvre de la taxe a été annoncé au 1 er janvier 2014 par communiqué de presse.

La VABF finale s'est déroulée du 16 septembre au 8 novembre 2013. Elle a permis de constater la présence de défauts mineurs et d'un seul défaut majeur, lié à l'absence d'homologation des chaînes de collecte et de contrôle. Une non-conformité pouvant entraîner une contestation de masse, l'homologation sécurisait le redevable, mais aussi l'État, la preuve étant à la charge du redevable en cas de contestation.

S'agissant de la VSR elle-même, l'État n'y participe pas, sauf exceptions (CMP, Interfaces SI douane). . On peut toutefois les observer et analyser le rapport de VSR qui doit être produit par Écomouv', l'objectif étant de s'assurer que les tests ne recensent plus de défauts majeurs.

Nous avions autorisé Écomouv' à réaliser les tests de VSR dès l'été ; Écomouv' a retenu pour son rapport les tests réalisés à partir du 8 octobre, ceux-ci portant sur la version devant être mise en oeuvre à partir du 1 er janvier.

Les opérations de VSR se sont déroulées du 15 au 17 juillet 2013 pour l'enregistrement des redevables abonnés. Une VSR a eu lieu pour l'enregistrement des redevables non abonnés du 22 juillet au 4 octobre 2013. La VSR définitive a finalement eu lieu du 8 octobre au 20 décembre 2013. Écomouv' a estimé avoir réalisé suffisamment de tests à cette date, ce qui lui a permis, dès que l'État a prononcé la VABF, le 16 janvier, de fournir le rapport de VSR qui nous a été remis le 20 janvier 2014.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Les rapports de VABF sont-ils disponibles ?

Mme Anny Corail . - Oui.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je souhaiterais pouvoir en prendre connaissance...

Mme Anny Corail . - Je le note.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je voudrais en effet bien comprendre ce que l'État a contrôlé, pourquoi et comment on en est arrivé à la première liste de défauts majeurs. Plusieurs personnes nous ont dit que l'une des causes principales des défauts majeurs constatés dans l'enregistrement tenait à la complexité des pièces demandées par l'administration française, aux difficultés à les réunir, notamment pour le faire comprendre aux transporteurs étrangers. L'administration sait tellement bien complexifier qu'elle a rendu l'exécution des enregistrements extrêmement compliquée !

Quelle était la nécessité de demander toutes ces vérifications et ces garanties, notamment pour les redevables abonnés qui passaient par les SHT, garantes du paiement ?

Mme Anny Corail . - Il faut distinguer deux choses, ce qui relève de la VABF, qui est la vérification du dispositif et de son fonctionnement, et ce qui relève de la procédure de l'enregistrement, qui ne fait pas partie de la VABF. On a bien vérifié qu'Écomouv' a respecté les spécifications fonctionnelles demandées pour l'enregistrement, comme des bornes automatiques fonctionnant correctement et permettant aux redevables de s'enregistrer, mais cela n'a rien à voir avec la liste des documents exigés pour l'enregistrement.

Si l'État, pendant la VABF, a bien vérifié qu'Écomouv' a fourni un dispositif permettant de réaliser l'enregistrement, elle n'a toutefois pas vérifié si Écomouv' réalisait correctement l'enregistrement lors de la phase opérationnelle. Pour ce faire, les douanes ont mené un contrôle inopiné chez Écomouv'. Pour l'instant, nous n'y sommes allés qu'une seule fois.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je ne saisis pas bien : les moyens mis à disposition par Écomouv' sont forcément dépendants des garanties qu'on leur demande de réunir. Si on installe une borne et qu'elle ne fonctionne pas, elle ne sert à rien !

Mme Anny Corail . - C'est cela, en quelque sorte ! La VABF vient bien avant que le dispositif ne soit en production. L'objectif était donc de s'assurer, par exemple, que les bornes permettent de scanner les documents.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Il s'agit donc d'un contrôle d'efficacité, non de performance...

Mme Anny Corail . - En effet. On vérifie s'il est possible de faire comme on l'a demandé, mais non si Écomouv' le fait correctement. Ce sont nos remarques qui nous ont permis d'alléger le dispositif.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Ne vous êtes-vous pas posée la question de savoir pourquoi les pays étrangers ne demandaient pas tous ces documents ? Les SHT vous auraient dit que tous ces documents n'étaient pas nécessaires ailleurs, et se seraient étonnées de tout ce qui leur était demandé...

Mme Anny Corail . - Il ne faut pas tant de documents pour s'enregistrer ! Il est vrai que la liste qui a été dressée est exhaustive...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - J'ai compris que vous vous serviez des documents que vous réclamiez pour créer une base de données sur les clients, alors que les Allemands se contentent du certificat d'immatriculation. C'est une usine à gaz !

Mme Anny Corail . - Les douanes n'ont pas de base de données, bien que tous les véhicules des redevables soient enregistrés.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - À quoi cela vous sert-il ensuite ?

Mme Anny Corail . - Ce n'est pas le but recherché...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Le résultat est là !

Mme Anny Corail . - Il est prévu que tous les véhicules soient enregistrés. On a besoin de connaître le redevable pour lui envoyer la facture.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - On trouve ces renseignements sur les certificats d'immatriculation !

Mme Anny Corail . - Non, pas nécessairement. Le certificat d'immatriculation indique généralement le nom du propriétaire. Ce peut très bien être une banque, ou une société commerciale, sans lien direct avec l'utilisation du camion. Nous avions donc véritablement besoin d'identifier le redevable.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - C'est aux SHT de le faire. Pourquoi avez-vous besoin d'en savoir autant, puisque vous allez être payés ?

Mme Anny Corail . - On ne l'est pas forcément si un manquement est commis. L'objectif est de pouvoir notifier le manquement à la bonne personne. Il ne s'agit pas simplement de notifier l'avis de paiement.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - On est là dans le cas d'un recouvrement forcé.

Mme Anny Corail . - C'est cela. On ne peut notifier une infraction à la SHT. Notifier un avis à une société propriétaire qui n'utilise pas le véhicule n'est pas raisonnable, la société n'ayant elle-même rien à voir avec l'utilisation du véhicule. Je pense aux sociétés de location, et aux sociétés de leasing ...

L'objectif est bien d'identifier celui qui utilise réellement le camion, propriétaire, locataire ou conducteur, pour pouvoir, en cas de manquement, le notifier au redevable que l'on a identifié.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - La VABF concerne la vérification d'aptitude au bon fonctionnement. Or, vous n'avez pas contrôlé le fonctionnement, mais la mise en place des outils...

Mme Anny Corail . - C'est aussi une manière d'en contrôler le bon fonctionnement. L'objectif est de vérifier que l'outil qui est mis à notre disposition répond aux fonctionnalités attendues. Nous avons réalisé des tests en nous mettant à la place du redevable. Il s'agissait donc bien de savoir si cela fonctionnait ou non. Nous n'avons cependant pas vérifié la bonne utilisation que fait Écomouv' de son outil. Ce sont deux choses différentes.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Il s'agissait donc d'un exercice censé déterminer si le système répondait ou non à vos attentes, la VSR, conduite par Écomouv', permettant ensuite de contrôler le bon fonctionnement de l'ensemble. Dans le cas contraire, à quoi pouvait servir la VSR ?

M. Jean-François Heurion, adjoint . - Il faut replacer les différentes phases dans un projet d'ensemble... La VABF est réalisée sur une plate-forme de pré-production, qui n'est pas celle qui sera opérationnelle. On y teste simplement si les fonctionnalités sont réellement mises en oeuvre, et correspondent au fonctionnement qu'on est en droit d'attendre.

À travers la VSR, on s'assure que le système fonctionne correctement à partir de la future plate-forme de production, dans des conditions réelles. Il existe en effet toujours un risque de mauvais paramétrage ou d'absence de composants. On s'assure que l'environnement est capable d'assurer le fonctionnement une fois le service ouvert.

Ces deux phases peuvent, il est vrai, sembler identiques vues de l'extérieur...

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Cela ne me cause pas de soucis. Ce qui m'ennuie davantage, c'est le fait qu'en matière d'enregistrement de redevables, abonnés ou non, on ne soit que sur l'exploitation réelle. Cela signifie que les 180 818 redevables abonnés sont réellement enregistrés par les SHT, et que les 538 redevables non abonnés le sont par Écomouv'.

Ce chiffre de 538 ne me paraît pas correspondre à une charge réelle ; je me demande même comment on a fait pour avoir ce nombre de non abonnés, alors que les moyens pour s'enregistrer n'étaient toujours pas disponibles en décembre ! D'où sort-on ces chiffres ? Est-on certain de l'existence de 180 818 abonnés enregistrés en situation réelle ? Est-on capable de savoir ce qui relève du test et ce qui relève du réel, nominativement ? Cette flotte est-elle réellement enregistrée ou s'agit-il encore d'un test ?

M. Jean-François Heurion . - Vous vous référez au rapport de VSR fourni par Écomouv', que nous sommes en train d'examiner. Vous me permettrez de conserver des réserves tant que nous n'aurons pas fini l'examen de ce rapport... Nous pourrons ensuite en parler en toute sérénité.

Les abonnés auxquels vous faites allusion sont de futurs utilisateurs, enregistrés sur le système opérationnel, et qui ne font pas partie de la VSR en tant que telle. On est à environ 200 000 abonnés pour 520 non abonnés.

Pour ce qui est de l'origine des non abonnés, le mieux est de demander à Écomouv'. Certains non abonnés se sont peut-être inscrits par l'intermédiaire des bornes automatiques. Je ne saurais vous fournir la réponse tout de suite. Quoi qu'il en soit, ce sont de véritables futurs utilisateurs qui sont enregistrés, l'enregistrement ayant été ouvert officiellement le 19 juillet 2013 pour les abonnés, et en octobre pour les non abonnés. Écomouv' est normalement en mesure de faire le distinguo entre les véhicules réellement enregistrés et ceux qu'elle a fait participer au titre de la VSR, étant maître des véhicules qu'elle fait entrer dans la flotte guidée et dans les tests. Elle peut donc supprimer toutes les données correspondant à ces tests.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - En êtes-vous certain ? Avez-vous les moyens de le vérifier ?

M. Jean-François Heurion . - Oui.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Il s'agit donc d'une vérification que vous allez mettre en oeuvre ?

M. Jean-François Heurion . - On a déjà vérifié récemment certains dires d'une société de transport. Nous sommes allés chez Écomouv' pour déterminer ce qui a été effectué ou non. Nous avons également les moyens de voir si Écomouv' a bien supprimé les données de VSR.

Mme Anny Corail . - C'est bien parce que l'enregistrement est aujourd'hui ouvert de façon officielle, tant pour les redevables abonnés que non abonnés, que nous avions anticipé la VABF et la VSR. Tous les redevables enregistrés dans ces bases étaient donc bien prévus pour la mise en oeuvre de la taxe au 1 er janvier 2014, et restent enregistrés tant qu'ils le souhaitent...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Êtes-vous vraiment allés faire des contrôles à Metz, en dehors de la VABF et de la VSR ? Il me semble que c'est de votre responsabilité. Je crois que peu de non abonnés sont équipés. Pouvez-vous me confirmer que les 173 portiques fonctionnent ? L'avez-vous observé ? Qui nous le garantit ?

Certaines personnes estiment aujourd'hui que le système ne fonctionne pas ! Notre rôle est de connaître la teneur des engagements de l'État et d'Écomouv'. Que va-t-il se passer suite à la suspension de l'écotaxe ? Il y a là des engagements financiers à la clé ! Il est très important de savoir si Écomouv' a rempli ses engagements ou non, au-delà de la VABF et de la VSR !

Mme Anny Corail . - Il n'est pas prévu que nous vérifiions un par un le fonctionnement des 173 portiques - qui ne sont d'ailleurs plus 173 aujourd'hui. S'ils étaient actionnés, on saurait s'ils sont opérationnels ou non.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Cette vérification n'a pas encore été faite ?

Mme Anny Corail . - Non, nous n'avons pas encore pu la réaliser puisque la taxe n'est pas encore mise en oeuvre. Tous les dispositifs (portiques et déplaçables) ne sont pas mis en oeuvre en même temps. Il est prévu d'en mettre un certain nombre régulièrement en fonctionnement chaque mois, le nombre, l'heure et les jours changeant. L'objectif, pour les déplaçables, est en fait de les déplacer régulièrement.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Il est bon d'exercer de tels contrôles, mais c'est une course contre la montre ! La question est de savoir si Écomouv' est fondée ou non à demander la mise à disposition ! Les contrôles sont donc essentiels.

Pourquoi l'Allemagne réalise-t-elle l'écotaxe avec un seul document ? Pourquoi en demandez-vous vingt-cinq ? Vous avez monté une incroyable usine à gaz - et c'est peut-être ce qui coûte cher - et l'on vous sent assez frileux pour contrôler si Écomouv' a rempli ses engagements ou non ! Je vous le dis comme je le pense !

Mme Anny Corail . - La règle du jeu, lorsqu'on a un contrat, n'est pas de vérifier si chaque outil fonctionne. On vérifie un certain nombre d'installations, ce qui a été fait. On a d'ailleurs prononcé la VABF.

Par ailleurs, un conducteur peut enregistrer son véhicule avec deux documents qui se trouvent normalement à bord. Vingt ou trente documents ont peut-être été listés, mais il s'agit là de l'ensemble des possibilités. Il faut au maximum six documents pour pouvoir s'enregistrer, pas plus !

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Dans ce cas, il y a un énorme problème de compréhension ! Ce n'est pas le retour que nous en avons ! Il y a au moins un défaut de pédagogie.

Mme Anny Corail . - Je ne conteste pas le fait qu'il faut peut-être faire preuve de plus de pédagogie et de communication sur la manière de s'enregistrer. C'est ce que nous avions commencé à faire, avant que les événements ne tournent différemment.

L'enregistrement d'un véhicule ne nécessite que le certificat d'immatriculation, éventuellement le document relatif à la location, et un document concernant la classe EURO, le taux relevant de celle-ci. Malheureusement, la classe ne figure pas encore sur tous les certificats d'immatriculation. Le détenteur du véhicule, pour bénéficier de la classe EURO qui est la sienne, peut fournir un autre document. On ne demande pas les quatre documents, mais un seul parmi les quatre. L'objectif était de fournir une solution sécurisée pour chacun, et de pouvoir identifier le propriétaire, l'utilisateur ou le locataire. Ces documents se trouvent tous dans le véhicule.

Peut-être y a-t-il eu, dans un premier temps, des applications, par le prestataire commissionné, bien plus restrictives que ce que nous attendions. Nous avons d'ailleurs cherché à savoir quelles étaient les exigences qui posaient problème, et qui n'étaient pas les nôtres. Nous sommes allés faire un contrôle sur place. Des rejets très importants ont existé, du fait que les formats entre les SHT et Écomouv', dans un premier temps, n'étaient pas les bons.

Plus de 50 % des rejets s'expliquent également par le fait que les données n'étaient pas correctement saisies par les SHT. J'ai pu moi-même constater des erreurs dans les noms de redevables, de sociétés, ou dans le numéro d'immatriculation. C'est un dispositif technologique, et l'on est obligé d'être très strict dans l'énoncé des éléments.

Par exemple, la plaque d'immatriculation française est très proche de la plaque d'immatriculation italienne, la différence résidant dans le tiret. Or, si on intègre des tirets alors qu'ils n'existent pas, on enregistre une plaque d'immatriculation française à la place d'une plaque italienne ! Le redevable peut estimer qu'il n'est pas très grave de faire figurer ou non un tiret, mais ce n'est pas le cas, car le dispositif ne reconnaîtra pas le véhicule.

Plusieurs autres détails rendent les choses difficiles pour le redevable, face à un outil qui ne peut faire de différence. Il en va de même pour les documents d'enregistrement. Nous avons eu, fin septembre, des rejets par Écomouv' d'inscriptions de redevables déclarés en qualité de propriétaires, alors que les documents justificatifs joints indiquaient clairement qu'ils n'étaient que locataires. Je pense que les SHT ont appris à être plus rigoureuses, mais il est vrai que les premiers retours ont été massifs, en raison des explications que je viens de vous fournir.

Les questions qui ont été posées par les SHT ont permis d'éclaircir bien des points et d'apporter des assouplissements. Une intervention humaine aurait pu rectifier certaines choses. Avec une saisie entièrement automatique, personne ne peut prendre la responsabilité de changer les données validées par la SHT.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Lors de la seconde VABF, j'ai cru comprendre que les défauts majeurs n'étaient pas aplanis...

Cela étant, êtes-vous informés qu'entre le moment où un transporteur demande à faire son enregistrement et le moment où il est effectivement enregistré, il s'écoule trois semaines à deux mois ?

Mme Anny Corail . - Oui, on nous l'a dit, mais entre le moment où les éléments arrivent chez Écomouv' et la réponse, il ne s'écoule au maximum que 48 heures.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - J'ai cru comprendre qu'Écomouv' disposait d'une zone de stockage de données, et que les traitements pouvaient attendre plus de 48 heures...

Mme Anny Corail . - Oui, mais pas trois jours. En principe, Écomouv' le fait au fur et à mesure...

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Entre 48 heures et deux mois, le laps de temps est important !

Mme Anny Corail . - Mais ce n'est pas forcément du fait d'Écomouv' !

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Ce n'est pas ce qui nous a été dit...

Disposiez-vous d'une grille pour distinguer les défauts majeurs des défauts mineurs ? Vous nous avez dit que la classification dépendait de la nature du défaut, et de leur quantité. Mais encore ?

Mme Anny Corail . - Tout dépendait du fait de savoir si le défaut répondait, ou non, au cahier des charges et avait, ou non, un réel impact sur la collecte, le contrôle ou la qualité des données nécessaires à la définition du point de tarification. Une mauvaise collecte, une mauvaise liquidation, des notifications erronées, des enregistrements impossibles à réaliser étaient considérés comme des défauts majeurs. À l'inverse, le fait que certaines données d'enregistrement figurent par exemple en haut du document, alors qu'elles auraient dû se trouver en bas, était considéré comme un défaut mineur.

Le dispositif Écomouv' n'est pas seul en cause, ces données devant être traitées par le système informatique des douanes...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Avez-vous testé ces échanges ?

Mme Anny Corail . - Absolument.

Tous les recours - pour refus de remboursement ou contestation d'infraction, par exemple - devront être traités par les douanes selon les règles du code des douanes. Nous n'avons pas besoin d'un dispositif fonctionnant comme un péage ou un réseau concédé, mais de quelque chose qui réponde aux règles du code des douanes, car nous allons devoir défendre le dossier selon celles-ci.

Les recours qui existent et les règles qui les régissent peuvent paraître compliqués, même pour Écomouv', mais ils correspondent aux procédures de traitement des demandes de remboursement et des contestations définis par le code des douanes

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - On a donc fait de l'écotaxe une taxe douanière !

Mme Anny Corail . - C'est en effet ce qu'en a fait la loi.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - A-t-on eu raison de le faire ?

Mme Anny Corail . - Je ne me prononcerai pas sur ce point, mais dès lors qu'on en a fait une taxe douanière, et que celle-ci doit être gérée par les douanes, c'est ainsi que les choses doivent être conduites. C'est peut-être plus compliqué du fait de l'existence de deux intervenants, dont le premier peut apparaître, aux yeux du redevable, comme un prestataire privé, ce qu'il n'est pourtant pas lorsqu'il intervient. Nous le désignons d'ailleurs sous le terme de « prestataire commissionné », car il doit appliquer les règles utilisées en matière douanière.

M. Jean-François Heurion . - Un exemple de défaut mineur : lorsqu'il s'enregistre, le redevable peut recevoir un accusé de réception par mail, ainsi que son document d'enregistrement. Il est arrivé que l'objet de ce mail ne soit pas en accord avec la pièce jointe. L'examen de cette dernière permettant de comprendre le mail reçu, nous avons classé ce fait comme défaut mineur, car il n'empêchait pas la compréhension de ce que l'on venait de recevoir.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Pour illustrer la complexité, on peut aussi noter que vous réclamiez lors de l'enregistrement, l'envoi des pièces par Internet, mais également un PDF...

Mme Anny Corail . - Non, cela peut également n'être envoyé que par Internet. Le document est généralement scanné, voilà tout...

M. Jean-François Heurion . - Les scans sont, par nature, souvent en PDF...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Vous êtes donc en train d'examiner le dossier...

Mme Anny Corail . - ... Avec l'équipe projet !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Les douze personnes ?

Mme Anny Corail . - Non, nous ne sommes pas douze personnes à travailler sur ce sujet...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Qui examine le dernier document pour dire que la demande de mise à disposition est fondée ?

Mme Anny Corail . - Le directeur de projet, ses adjoints, mon adjoint et Capgemini. Ce dernier élabore un pré-projet et une pré-analyse, que nous vérifions et validons ensuite, un peu comme pour la VABF...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Le délai de deux mois vous sera-t-il nécessaire ?

Mme Anny Corail . - Oui.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Les transporteurs ont évoqué une amende forfaitaire de 750 euros pour défaut de branchement ou absence de boîtier. Confirmez-vous ce montant ?

Mme Anny Corail . - Non, la loi parle d'une amende maximum de 750 euros. Mais ce qui est forfaitaire, c'est la taxe réclamée. À partir du moment où le transporteur n'a pas d'équipement embarqué, on ne peut savoir par où il est passé. Dans ce cas, on applique une taxe forfaitaire.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Quel en est le montant ?

Mme Anny Corail . - C'est en fait l'assiette qui est forfaitaire. Elle porte sur 500 km. En revanche, le taux dépend du véhicule en lui-même. Il n'est pas le même pour un véhicule de catégorie III ou de catégorie I. Quant à la classe EURO, on ne la connaît pas, et on ne peut la deviner.

Il est également prévu d'appliquer une valeur de « périphéricité », selon l'endroit où se situe le véhicule.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - 50 % en Bretagne, 25 % en Aquitaine...

Mme Anny Corail . - C'est cela !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Ce n'est pas très simple !

Mme Anny Corail . - Je le reconnais...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Vous rendez-vous compte que vous n'êtes pas capables d'indiquer le montant de l'amende ! Imaginez la réaction du transporteur « lambda » !

Mme Anny Corail . - On ne peut préciser le montant exact de la taxe, mais une taxe forfaitaire est d'environ 75 euros.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - C'est trop compliqué ! On s'étonne du rejet des transporteurs, mais ils nous ont indiqué avoir appris les choses peu à peu, et par la voix des SHT. Ils ont retenu la somme de 750 euros. D'où la tiennent-ils ?

Mme Anny Corail . - Il s'agit de l'amende maximale !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - On a entendu parler d'un doublement de celle-ci...

Mme Anny Corail . - Non, il s'agit du doublement de la taxe.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Tout est donc compris dans les 750 euros ?

Mme Anny Corail . - Non, il existe une taxe qui est due quoi qu'il en soit, dont l'assiette est forfaitaire, mais, pour ne pas léser les véhicules de petit gabarit, ni ceux qui circulent dans une zone périphérique, le taux qui est appliqué tient compte de la catégorie, classe euro et de la périphéricité lorsqu'elles sont connues...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Cette taxe écologique doit-elle être une taxe douanière ? Je me pose de plus en plus la question ! Je vous le dis sincèrement. Pour tuer quelque chose, il n'y a pas mieux !

Comment les choses se passent-elles si on repasse sous un portique après avoir été contrôlé ?

Mme Anny Corail . - On peut être verbalisé une seconde fois...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - En tant que parlementaire, je me dois de vous dire que nous ne pouvons adhérer à des systèmes si peu clairs. J'ai déjà pointé du doigt la complexité de l'enregistrement ; j'y ajoute celle de la sanction !

Vous nous avez fort bien expliqué les choses du point de vue des douanes, mais je pense qu'on a eu tort de transformer une taxe écologique en taxe douanière ! Ce n'est pas une très bonne idée !

Mme Anny Corail . - L'amende elle-même est une amende transactionnelle, certainement moins importante que les 750 euros prévus par la loi.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Les transporteurs ne peuvent travailler avec une telle épée de Damoclès au-dessus de leur tête, en souhaitant obtenir un bon accord transactionnel ! L'économie ne fonctionne pas ainsi !

Mme Anny Corail . - La proposition transactionnelle est toujours un élément favorable au redevable.

Quant au fait que le taux ne soit pas unique, c'est bien parce qu'il s'agit d'une taxe écologique, qui voulait tenir compte de la nature du véhicule. Ce ne sont pas les douanes qui ont fixé les modalités de définition du taux. Ce taux a été appliqué pour tenir compte de la catégorie du véhicule et de la zone géographique. La douane n'a fait qu'appliquer ces règles.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - On a l'impression, au fil des auditions, que l'État a vraiment voulu faire rentrer un milliard d'euros de taxe, quel qu'en soit le coût pour le contribuable, avec si possible une fraude zéro.

Est-ce un sentiment que vous partagez ? Quel lien faites-vous entre une erreur sur un million et le fait que le taux de fraude fiscale est généralement estimé, en France, autour de 3 % ?

Mme Anny Corail . - Il s'agit d'une question de fiabilité du dispositif. Le taux de fraude que nous avons estimé était proche de 5 %.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Pourquoi ne pas avoir choisi un système déclaratif, certainement plus simple à mettre en place, moins compliqué technologiquement, et qui devait pouvoir amener à un taux de fraude similaire ?

Mme Anny Corail . - ... Mais plus difficile à contrôler, sauf à vérifier auprès de chaque entreprise le nombre de kilomètres parcourus ! Je rappelle que le contrôle d'un système déclaratif ne pourrait porter que sur les véhicules immatriculés en France, mais non sur des véhicules étrangers.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - ... Sauf à imposer à tous les véhicules un système identique à celui qui existe en Allemagne !

Mme Anny Corail . - Le système allemand est en grande partie non déclaratif. Il s'agit majoritairement d'un équipement embarqué. Le déclaratif porte davantage sur les occasionnels. Or, le dispositif que vous proposez relève du déclaratif général. Le déclaratif occasionnel ne pourrait éventuellement toucher que les redevables non abonnés, mais suppose un contrôle bien plus important, alors que le déclaratif général ne comporte pas de dispositif de contrôle. Il est nettement moins efficace que le contrôle par portiques. L'Allemagne joue en grande partie sur des équipements embarqués, plus faciles à contrôler. Le nombre de portiques, en Allemagne, est assez élevé.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - On nous a dit que les portiques permettaient de contrôler un grand nombre de camions à l'heure ; en France, vous nous avez dit que les portiques ne fonctionneraient pas tous en même temps. On ne contrôlera donc pas 800 000 camions à l'heure !

Mme Anny Corail . - Il n'a pas été dit que l'on contrôlerait 800 000 camions ! Nous avons dit que le dispositif de contrôle permettait de contrôler 230 000 passages dans la journée. Ce n'est pas la même chose !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - C'est vrai...

Mme Anny Corail . - L'objectif n'était pas de vérifier 800 000 camions.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous nous intéressons à la façon de faire redémarrer ce système. Même si ce n'est pas notre mission, on ne peut s'empêcher d'y penser !

Audition de M. Dominique Buczinski, directeur business and technology de la société Capgemini Technology Services SAS, M. Bruno Richer, directeur de projet, et Mme Violaine Lepertel, directeur de projet adjoint (Mardi 11 mars 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Mes chers collègues, nous finissons notre journée d'auditions en recevant des représentants de la société Capgemini Technology Services SAS, MM. Dominique Buczinski, directeur business & technology , Bruno Richer, directeur de projet, et Mme Violaine Lepertel, directeur de projet adjoint.

J'attire votre attention sur le fait que cette société a remporté l'appel d'offres pour le marché d'assistance à maîtrise d'ouvrage en octobre 2011, c'est-à-dire concomitamment à la signature du contrat avec Écomouv'. Sa mission s'est donc déroulée exclusivement après la signature du contrat et a consisté à accompagner l'État lors de la mise en place du système Écomouv'.

Madame, messieurs, nous avons souhaité vous entendre pour connaître les moyens consacrés par Capgemini pour assurer sa mission. Nous désirons également savoir comment vous avez procédé aux différents tests destinés à s'assurer de la bonne conformité des matériels et du système Écomouv', en coopération avec les douanes et la mission de la tarification. Vous nous direz si, pour vous, Écomouv' est prêt, et ce que vous pensez du fait que la vérification de service régulier (VSR) ait été lancée avant que la vérification d'aptitude au bon fonctionnement (VABF) ne soit prononcée. Voilà les quelques questions que je vous poserai, étant entendu que Mme le rapporteur vous en posera d'autres, naturellement.

(MM. Dominique Buczinski et Bruno Richer, Mme Violaine Lepertel prêtent successivement serment.)

M. Dominique Buczinski , directeur business & technology de la société Capgemini Technology Services SAS . - Madame la présidente, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais brièvement vous présenter notre société. Forte de plus de 130 000 collaborateurs et présente dans plus de quarante pays, la société Capgemini est l'un des leaders mondiaux du conseil, des services informatiques et de l'infogérance.

En 2013, le groupe a réalisé un chiffre d'affaires de 10,1 milliards d'euros. Avec ses clients, Capgemini conçoit et met en oeuvre des solutions business et technologiques, qui correspondent à leurs besoins et leur apportent les résultats auxquels ils aspirent. Le groupe est profondément multiculturel et compte 21 700 collaborateurs en France.

Je veux maintenant vous rappeler de quelle manière Capgemini a été appelé à intervenir dans le cas qui nous intéresse : en mars 2011, appel à candidature, puis réponse à candidature par Capgemini ; le 30 mai 2011, acceptation de la candidature de Capgemini à concourir ; le 31 mai 2011, appel d'offres restreint pour l'assistance à maîtrise d'ouvrage, ou AMOA, pour le suivi de l'exécution du contrat de partenariat relatif à la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds nationale et de la taxe expérimentale alsacienne.

L'appel d'offres d'assistance à maîtrise d'ouvrage comportait trois volets : un volet « gestion de projets », un volet « ingénierie et systèmes d'information » et un volet « assistance juridique », essentiellement axé sur la rédaction des textes réglementaires.

Les deux premiers sujets correspondent aux compétences usuelles de Capgemini, notamment du département dont j'ai la responsabilité. Cependant, pour mieux répondre à la demande sur des sujets pointus comme le télépéage, les normes afférentes et les directives européennes associées, Capgemini a fait appel à des sous-traitants pour renforcer ses compétences. Pour le troisième sujet, Capgemini a également fait appel à des sous-traitants : le cabinet de Me Anne-Sophie Poggi, renforcé ensuite par le cabinet Salans-Dentons.

Nous avons remis notre offre le 8 août 2011 ; le 21 septembre 2011, annonce par la personne publique du choix du candidat retenu ; le 18 octobre 2011, notification du marché d'AMOA pour la société Capgemini.

L'équipe Capgemini s'est mise en place et a démarré ses travaux dès octobre 2011. Elle est organisée en plusieurs parties. La partie « pilotage » assure le secrétariat de projet, le suivi des actions, le suivi des réunions, l'organisation des travaux et de la VABF, le reporting des activités et la gestion documentaire du projet. L'équipe comprend également une partie « expertise et assistance juridique », cette dernière étant en sous-traitance. C'est ainsi que l'on aide l'État pour la rédaction de décrets, d'arrêtés, de déclarations à la CNIL - pour la mise en oeuvre du projet - et de courriers avec Écomouv', pour le suivi contractuel. Je rappelle que la partie liée aux contentieux, s'il devait y en avoir, est exclue de notre contrat.

Sur l'aspect « expertise technique et réalisation des tests », nous apportons notre expertise technique et fonctionnelle sur le dispositif en général. Nous faisons appel à de l'expertise extérieure sur les sujets relatifs aux télépéages, aux normes et au service européen de télépéage, le SET. Nos autres tâches sont les suivantes : participation aux ateliers, relecture des spécifications générales, rédaction du rapport de VABF et relecture du rapport de VSR, participation à la détermination des défauts.

La comitologie des projets a été mise en place par l'équipe Capgemini. Nous participons tout d'abord aux points d'avancement avec l'État. Cette réunion est bimensuelle ; elle s'appelle « point d'avancement Capgemini » et permet à l'État et à Capgemini de suivre tout ce qui se passe sur le projet.

Ensuite, un comité d'avancement est tenu avec Écomouv', auquel participent également l'État et Capgemini. Cette réunion est également bimensuelle. Il s'agit d'une réunion opérationnelle sur le suivi du projet. L'ordre du jour est proposé par l'État, avec l'assistance de Capgemini sur ces actions.

Enfin, une revue de projet est réalisée avec les deux directeurs généraux de l'État, Autostrade, Thales, Écomouv' et Capgemini. Capgemini assure essentiellement la note préparatoire à ce comité et le compte rendu.

Je me propose maintenant de faire un rappel chronologique rapide des événements liés à l'intervention de Capgemini sur le projet écotaxe.

De la fin de l'année 2011 au courant de l'année 2012, plusieurs ateliers sont menés avec la société Écomouv'. Du 17 novembre 2011 au 15 décembre 2011, première livraison de la conception générale par Écomouv', que l'on appelle la « BL1 », pour « B aseline 1 ».

De décembre 2011 à juin 2012, l'équipe procède à la relecture de la conception générale, qui aboutit à 549 remarques, transmises à Écomouv'. Les échanges sur les remarques se poursuivent sur les différentes versions, jusqu'en décembre 2012, avec la version « BL6 ».

À partir de janvier 2012, Capgemini, dans l'exercice de son rôle de conseil, alerte l'État sur la qualité des conceptions générales et détaillées d'Écomouv' - nombre de remarques, complétudes - et les risques que cela fait porter sur le projet en matière de qualité et de délais. Le cadre du partenariat public-privé (PPP) ne permet pas d'exiger qu'Écomouv' corrige immédiatement ; il permet uniquement de formuler des remarques, qu'Écomouv' prendra en compte.

Par ailleurs, les versions successives du planning indiquent un décalage. De janvier 2012 à novembre 2012, Écomouv' transmet à l'État des versions successives de conceptions détaillées. De février 2012 à janvier 2013, à la relecture des spécifications détaillées, on constate 1 211 remarques au total sur les différentes versions, de la BL1 à la BL6. Le 26 juillet 2012, Capgemini, en préparation de la revue de projet numéro 6 du 30 juillet 2012, alerte l'État sur les retards du projet, malgré un planning inchangé, et pointe la non-qualité des travaux.

Le 30 juillet 2012, lors de cette revue de projet, Écomouv' présente des hypothèses d'aménagement du calendrier. Le 2 août 2012, Capgemini alerte l'État sur le manque de préparation de la recette de la part d'Écomouv', notamment la non-complétude du plan de test, la non-stabilisation des versions, les versions multiples. Capgemini préconise que l'État rappelle les conditions d'entrée en recette et de déroulement de cette dernière.

D'août 2012 à mars 2013, observation de la recette. Nous avons organisé 26 visites - une par semaine en moyenne - afin d'observer la recette des différentes versions, de la BL3 à la BL6. C'est assez technique, mais il était important de le signaler.

Mi-novembre 2012, à l'issue de la relecture de la conception générale - la BL6 -, il reste encore une centaine de points de désaccord entre l'État et Écomouv'.

Le 28 février 2013, le ministre délégué chargé des transports annonce, dans un point de presse, le report au 1 er octobre 2013 de l'entrée en vigueur de l'écotaxe poids lourds, initialement prévue pour le 20 juillet, la suppression de la taxe poids lourds alsacienne, la TPLA, prévue pour le 20 avril, et l'installation d'une marche à blanc.

Le 3 avril 2013, Écomouv' transmet son rapport de recette, qui est accepté par l'État le 5 avril, pour le démarrage de la VABF le 8 avril 2013.

Du 8 avril 2013 au 13 juin 2013, première VABF, effectuée sur dix semaines au lieu de douze permises par le contrat. Le 23 juin 2013, la première partie du rapport de VABF sur l'enregistrement est envoyée à Écomouv'. Les tests, effectués du 8 avril au 30 mai 2013, sont transmis à Écomouv' en temps réel via des saisies dans l'outil de gestion des tests qu'Écomouv' met à disposition de l'État, ils permettent de démarrer la VABF complémentaire sur ce sujet. À ce moment, l'État souhaite démarrer dès que possible l'enregistrement, afin que les redevables soient enregistrés pour la mise en service, prévue le 1 er octobre 2013.

Le 1 er juillet 2013, l'État transmet son rapport global de VABF (enregistrement ainsi que tous les autres sujets testés), faisant apparaître 989 défauts détectés, 523 majeurs et 466 mineurs.

Du 24 juin 2013 au 12 juillet 2013, VABF complémentaire : l'enregistrement des redevables abonnés donne lieu à un rapport de VABF complémentaire le 15 juillet 2013, et permet, après la VSR de ce service, le début de l'enregistrement des redevables abonnés le 19 juillet 2013.

Du 2 juillet 2013 au 22 août 2013, VABF complémentaire sur le reste du périmètre fonctionnel, donnant lieu au rapport global de VABF complémentaire le 30 août 2013. Ce rapport fait apparaître 156 défauts majeurs, et 254 défauts mineurs, détectés en VABF initiale, non corrigés et 177 défauts majeurs et 105 défauts mineurs détectés lors de la VABF complémentaire.

Le 5 septembre 2013, annonce du report de l'écotaxe du 1 er octobre 2013 au 1 er janvier 2014.

Le 16 septembre 2013, entrée en VABF finale pour une durée prévisionnelle de huit semaines, avec une exécution en priorité des tests sur l'enregistrement des redevables non abonnés, afin de permettre aux redevables de s'enregistrer avant la mise en service prévue le 1 er janvier 2014.

Le 14 octobre 2013, l'État autorise Écomouv' à procéder aux enregistrements des redevables non abonnés, décision faisant suite à l'avancée des opérations de vérification et à la constatation de l'absence de défauts majeurs sur l'enregistrement des redevables non abonnés. Écomouv' le fait dès le 15 octobre 2013.

Le 29 octobre 2013, annonce de la suspension de la taxe par le Premier ministre. Le 22 novembre 2013, l'État transmet son rapport de VABF finale, faisant apparaître 278 défauts mineurs, dont 25 défauts résiduels de la VABF initiale, 50 défauts résiduels de la VABF complémentaire, et 203 défauts nouveaux. Un défaut majeur apparaît également sur l'absence d'homologation.

Le 16 janvier 2014, levée du défaut majeur par l'obtention de l'homologation d'une partie significative des chaînes, permettant à l'État de prononcer la fin de la VABF.

Le 17 janvier 2014, l'État l'ayant autorisée à faire des tests dont les résultats pourront être utilisés pour la VSR - courriers transmis en juillet 2013 et novembre 2013 -, Écomouv' déclare la fin des opérations de VSR et produit son rapport de VSR, officiellement remis à l'État le 20 janvier 2014.

Jusqu'à la mi-mars 2014, Capgemini fournit des analyses du rapport de VSR à l'État, ainsi que la liste des défauts résiduels. L'État dispose d'un délai contractuel de deux mois - jusqu'au 20 mars 2014, donc - pour se prononcer sur la VSR et transmettre à Écomouv' la liste des défauts de VSR. Aucun défaut majeur n'a été détecté à ce jour.

Madame la présidente, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes prêts à répondre aux questions que vous voudrez bien nous poser.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Merci de cette chronologie très précise, monsieur Buczinski. Pourrez-vous nous communiquer votre exposé ?

La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je commencerai par une question de synthèse : si j'ai bien entendu ce que vous avez dit à l'instant, l'ensemble des retards constatés jusqu'à aujourd'hui, indépendamment de la suspension de l'écotaxe, est uniquement dû à des défauts - mineurs ou majeurs - constatés dans tout ce qu'a rendu Écomouv' et non à des spécifications nouvelles ou demandes nouvelles de l'État ?

M. Dominique Buczinski . - Je vais répondre que oui.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je vous remercie.

J'ai commencé à lire le rapport de VSR mais je ne dispose pas de son analyse. Pourriez-vous, s'il vous plaît, nous faire part de vos analyses sur le sujet, vous qui avez un oeil de technicien beaucoup plus exercé que le mien, et nous expliquer, pour que nous comprenions bien, en quoi consiste ce dispositif de VSR : quelle est son étendue ? Fallait-il vérifier que tous les portiques et tous les points d'enregistrement de France fonctionnaient ? S'agissait-il d'un échantillonnage ? Cela se faisait-il uniquement à partir de véhicules tests ou d'enregistrements tests ? S'appuyait-on également sur une part de réel ? Comment distingue-t-on le tout dans le rapport de VSR ?

Bref, comment cela se passait-il, de façon très concrète ?

M. Bruno Richer, directeur de projet, Capgemini Technology Services SAS . - Ce que l'on appelle VABF, c'est la vérification d'aptitude au bon fonctionnement d'un système, c'est-à-dire que l'on doit vérifier que le système fonctionne. Cela n'implique pas de notion de volumétrie ni de vraie production et cela se fait dans un environnement de test, proche du système de production.

La VSR, c'est la vérification du service régulier : on vérifie que le système, dans une configuration proche de celle de la production, mais pas vraiment en production, fournit un service régulier.

Il ne s'agit effectivement pas de vérifier tous les portiques, mais de s'assurer que l'ensemble du système donne un service assez régulier, sans interruption, sans aucun problème.

Ce qui est important aussi dans la VSR, c'est de vérifier que toute la partie procédure relevant d'Écomouv' est bien en place.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - J'imagine qu'il y avait un protocole ?

M. Bruno Richer . -Selon les termes du contrat, la VSR est à la charge d'Écomouv'.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Certes, mais y avait-il un protocole ?

M. Bruno Richer . - Absolument.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Avez-vous validé ce protocole ?

M. Bruno Richer . - Il a été fourni à l'État, lequel, au fur et à mesure, l'a approuvé.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Un protocole fourni au fur et à mesure à l'État ? Il n'y avait donc pas de protocole général a priori ?

Dans mon autre vie, il y a quelques années de cela, j'étais scientifique. Si je reprends bêtement les expériences que j'ai pu mener alors, je me souviens que, pour vérifier quelque chose, on partait tout d'abord du simple postulat matériel et méthode : on décrivait le matériel et les méthodes que l'on allait utiliser, ce que l'on allait mesurer et comment on allait étudier, analyser les résultats et les comparer.

En l'espèce, y avait-il, oui ou non - peut-être n'était-ce pas adapté ? - un protocole prévoyant, par exemple, qu'il faudrait vérifier pour la VSR au moins dix portiques répartis sur toute la France, lesquels devraient enregistrer au moins x passages en tant de temps et vérifier tant d'enregistrements concernant tant de points d'enregistrement et tant de méthodes d'enregistrement différentes ? Y avait-il quelque chose d'analogue ?

Mme Violaine Lepertel, directeur de projet adjoint, Capgemini Technology Services SAS . - Écomouv' a livré une stratégie de VSR, qui a été relue par nous et par l'État. En revanche, le détail de chacun des tests a été fourni par Écomouv' au fur et à mesure de leurs tests de VSR.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Peut-on disposer de cette stratégie, dans un premier temps ?

Pouvez-vous nous dire ensuite si vous avez validé, à un moment ou à un autre, la répartition entre ce qui devrait relever du test et ce qui devrait relever du fonctionnement réel dans cette VSR ?

Il est, par exemple, clairement expliqué dans le tableau de résultats du rapport de VSR que certains enregistrements sont uniquement faits via des tests, selon que l'on est sur des redevables abonnés ou non abonnés. On sait donc qu'il s'agit de données « fictives ». Je ne suis d'ailleurs pas choquée que l'on décide d'envoyer un quidam de chez nous avec les papiers nécessaires pour tester telle façon d'enregistrer les camions à l'étranger et voir si cela fonctionne bien dans une configuration normale ou presque normale.

Mais savait-on à l'avance ce qui relèverait du test complet de ce qui relèverait du fonctionnement normal, donc beaucoup plus aléatoire ?

M. Bruno Richer, directeur de projet, Capgemini Technology Services SAS . - Dans la mesure où la partie enregistrement a démarré en production alors que le reste du dispositif était encore en VSR, une confusion est apparue dans les documents fournis par Écomouv' entre les enregistrements des redevables abonnés, lesquels sont en production depuis le 10 juillet 2013, si mes souvenirs sont bons, et les enregistrements des redevables non abonnés, en production depuis octobre 2013 ; mais, compte tenu de l'annonce de la suspension, il y en a eu très peu. Ces redevables-là ne sont pas dans la VSR. Ils sont dans le même système que celui sur lequel on fait la VSR, mais ils ne sont pas à proprement parler dans la VSR. Ils sont en production. Si Écomouv' en fait état dans ce rapport, cela ne compte pas pour la VSR.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Ils en font pourtant état dans leur rapport.

M. Bruno Richer . - Oui, mais ce n'est pas pour ça que...

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Du coup, cela veut dire qu'il y a certaines étapes ou certaines procédures qui n'ont pas été vérifiées en VSR. Je regrette de ne pas avoir le rapport avec moi, mais on voit dans plusieurs tableaux que certains critères et certaines procédures ne sont vérifiés qu'à partir de tests. Je crois qu'il s'agit d'ailleurs de l'enregistrement non abonnés. Cela veut-il dire que l'enregistrement non abonnés n'a pas été réellement testé ?

M. Bruno Richer . - Si, il y a eu une VSR de l'enregistrement non abonnés avant qu'il ne soit mis en service.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Il n'y a pas aujourd'hui d'enregistrement non abonnés en service ? Nous sommes bien d'accord ? En tout cas, il n'y en avait pas dans le rapport de VSR : de mémoire, les seuls enregistrements en service ou en exploitation concernaient les enregistrements abonnés.

M. Bruno Richer . - Non, les enregistrements non abonnés ont été autorisés - je crois - à partir du 14 octobre dernier, date de l'autorisation donnée par l'État, avec une ouverture effective de l'enregistrement par Écomouv' le 15 octobre 2013.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Comme je n'ai pas le tableau sous les yeux, ce n'est peut-être pas la peine de risquer de s'enliser là-dedans. Je souhaiterais simplement disposer de la stratégie initiale et de votre regard éclairé en matière d'analyse.

Y avait-il en outre un nombre, un pourcentage ou un échantillonnage défini dans le cadre de cette VSR permettant de garantir qu'elle soit statistiquement fiable ? A-t-on, par exemple, testé un nombre suffisant de portiques et de bornes, eux-mêmes suffisamment bien répartis sur notre territoire ?

M. Bruno Richer . - Écomouv' a proposé une flotte de tests, un certain nombre de véhicules. Certaines des remarques que nous avons faites sur le rapport de VSR concernent la couverture de cette flotte. Mais ce rapport n'étant pas encore publié, je ne sais si je peux vous en donner la primeur...

Il est toutefois certain que nous avons formulé des remarques indiquant que la couverture des tests n'était pas forcément aussi importante qu'on aurait pu l'espérer, aussi bien en termes de nombre de véhicules que de portiques et de points d'enregistrement...

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Sur un plan d'échantillonnage et d'analyse statistique, cela ne pose pas de problème ?

M. Bruno Richer . Que voulez-vous dire ?

Mme Virginie Klès , rapporteur . - En règle générale, et si je me réfère une nouvelle fois à mon expérience ancienne, quand on veut interpréter des résultats - notamment chiffrés - on choisit a priori la méthode statistique que l'on va utiliser en fonction de l'échantillonnage étudié.

L'échantillonnage et la nature de la donnée que l'on veut analyser
- continue ou discontinue - permettront de déterminer si tel ou tel test est pertinent. Donc, en principe, la méthode statistique que l'on utilise derrière est définie a priori .

M. Bruno Richer . -Oui, mais le cadre d'un système d'information tel que le dispositif actuel ne pose pas les mêmes conditions que celles que vous avez pu connaître auparavant.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - J'entends bien, mais il me semble tout de même que, si l'on veut tirer quelque chose des chiffres, il faut savoir ce que l'on cherche : on veut vérifier qu'il n'y a pas plus de tant de camions qui passent sous le portique sans être détectés, qu'il n'y a pas plus de tel pourcentage d'erreurs parmi les camions qui passent... Tout cela relève, à un moment ou à un autre, d'une analyse statistique et donc d'un échantillonnage.

M. Bruno Richer . - Oui, mais certains des sujets que vous évoquez, notamment la fiabilité de la collecte et du contrôle, relèvent non pas de la VSR, mais de la partie « homologation ».

C'est le fait que le dispositif est homologué qui va garantir un certain nombre de choses. Il ne s'agit pas de refaire en VSR ce qui a été fait lors de la phase d'homologation.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je vous demanderai alors de bien vouloir me fournir également le rapport d'homologation.

Mme Violaine Lepertel . - Nous n'en avons pas la primeur ; il faudra le demander à l'État.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Il faudra alors que nous le demandions.

Mme Violaine Lepertel . - L'homologation résulte de tests effectués par des laboratoires de certification, puis de tests plus compliqués. Il s'agit d'un process très complexe que je ne saurai pas forcément vous expliquer dans le détail.

Pour résumer, des laboratoires procèdent à des tests à l'issue desquels l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux, l'IFSTTAR, rend un avis d'homologation sur les différentes chaînes. Sur la base de cet avis, l'État décide de prononcer l'homologation ou non. Nous n'avons aucune visibilité en ce qui concerne la partie homologation et détail des tests.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - C'est tout de même un élément important si l'on veut non seulement savoir ce qui a été homologué, mais aussi lire avec un oeil suffisamment averti le rapport de VSR ! Il faudrait donc que l'on puisse disposer, à tout le moins, d'un résumé de cette homologation et de ce rapport d'homologation.

Autre question également un peu difficile, et je ne sais si vous pourrez nous répondre : l'État a autorisé le début des enregistrements pour la VSR alors que la VABF n'était pas encore acquise. Compte tenu du nombre de défauts que vous avez soulignés dans votre exposé liminaire concernant le dispositif et la VABF, n'était-il pas un peu risqué - je suis désolée, c'est la statisticienne un peu pure et dure qui réagit - d'analyser avec la même méthode des résultats enregistrés pour la VSR selon des méthodes peut-être différentes, la VABF ayant conduit à des modifications du dispositif ?

M. Bruno Richer . - Il faut déjà savoir que les versions du dispositif sur lequel ont eu lieu la VSR et la VABF étaient les mêmes, c'est-à-dire que l'on n'a pas fait la VSR sur une version N-1 et la VABF sur une version N. Il s'agissait bien de faire des types de tests différents sur la même configuration.

C'est la raison pour laquelle Écomouv' n'a utilisé pour la VSR que les tests réalisés à partir du 8 octobre dernier, si mes souvenirs sont bons, des tests précédents ayant été réalisés sur une version antérieure à celle qui allait entrer en production.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Et cela est-il contrôlable ?

M. Bruno Richer . - C'est-à-dire ?

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Le fait qu'ils n'aient utilisé les enregistrements qu'à partir du 8 octobre...

M. Bruno Richer. - Il ne s'agit pas d'utiliser les enregistrements, mais les tests qu'ils ont réalisés. Écomouv' nous remet un rapport hebdomadaire indiquant ce qu'ils ont fait en VSR. Dans le rapport final de VSR, ils n'ont pris en compte que ce qui a été réalisé à partir du 8 octobre.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Avez-vous participé aux réunions interministérielles qui se sont tenues ces derniers temps en matière de négociations avec Écomouv' sur la suite des événements, sachant que va peser très lourd l'acceptation ou non de la VSR par l'État ?

Mme Violaine Lepertel . - Nous n'avons pas participé à ces réunions. Pesons-nous très lourd sur les décisions de l'État ?... Nous avons un rôle de conseil, mais c'est l'État qui prend la décision derrière. Tout ce que nous pouvons faire, c'est dire quels défauts nous avons identifiés. C'est à l'État de les qualifier de « majeurs » ou de « mineurs », ce n'est pas notre rôle.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Ce n'est pas votre rôle ?...

Mme Violaine Lepertel . - Non, en effet.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Quelles informations fournissez-vous sur les défauts que vous relevez ? Êtes-vous capables - ce n'est pas péjoratif dans ma bouche - d'aller jusqu'à estimer les conséquences éventuelles du défaut relevé ? Sur quoi s'appuie l'État après coup pour le qualifier de « majeur » ou de « mineur » ?

M. Bruno Richer . - Je vais répondre sur la façon dont les défauts sont effectivement qualifiés.

Les gens font des tests et trouvent un défaut qui est une non-conformité du dispositif à l'attendu. Le testeur décrit alors le défaut, les conditions de détection et ainsi que ce qui était attendu et ce qui a été obtenu lors du test. S'engage alors un processus de qualification qui est spécifique à la VABF. Nous avions des réunions hebdomadaires avec l'État au cours desquelles des propositions de qualification étaient formulées. Cela donnait lieu à une première qualification interne, qui permettait d'avoir une vision un peu globale. La qualification qui apparaissait dans le rapport de VABF, que ce soit la VABF initiale, complémentaire ou finale, était figée à la fin. Je vous rappelle que la qualification des défauts dépend à la fois de ce qu'est le défaut lui-même et du nombre de défauts qui peuvent exister.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Comment relève-t-on les défauts ? Écomouv' vous transmet un rapport toutes les semaines, tous les quinze jours, dans lequel vous avez des enregistrements - pas forcément au sens d'enregistrement des camions, mais il s'agit de chiffres : comment pouvez-vous vérifier à partir de ce seul dossier l'existence ou non de défauts ?

Écomouv' peut très bien - une fois de plus, mon propos est imagé - couper les pages où l'on mentionne trop de défauts, oublier les camions qui sont passés sans être relevés... Au final, les défauts sont validés par une personne d'Écomouv' : dans ces conditions, rien de plus facile que de donner des consignes à quelqu'un ou de supprimer des éléments sur un ordinateur. Y a-t-il eu des contrôles sur place ? A-t-on recoupé des informations pour vérifier tout cela ?

M. Bruno Richer . - Déjà, je voudrais faire une différence entre les défauts de VABF et les défauts de VSR.

Selon les termes du contrat, c'est l'État qui fait la VABF, c'est donc lui qui fait les tests de VABF...

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Nous sommes d'accord.

M. Bruno Richer - ... c'est-à-dire nous, avec les différents acteurs de l'État concernés. À ce stade, on constate tout de même les défauts.

En VSR, Écomouv' fournit un rapport sur ce qu'ils ont fait à partir duquel, en fonction de la connaissance préalable que l'on peut avoir du système, nous sommes à même de voir si le comportement décrit est correct ou non.

Bien évidemment, on voit bien dans les rapports qu'ils nous fournissent qu'il y a des choses qui n'ont pas fonctionné d'une façon optimale. Par ailleurs, sur certains sujets dans lesquels l'État a un rôle à jouer, nous avons constaté dans les systèmes d'Écomouv' des choses qui n'étaient pas optimales ou qui l'étaient.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Il est difficile de donner des informations ou des conseils à l'État pour qualifier le défaut de « majeur » ou de « mineur » si la seule chose qui vous est accessible via le dossier est le constat que quelque chose ne se passe pas bien ou semble bizarroïde...

Je suis désolée, mais j'aimerais que l'on comprenne bien.

M. Bruno Richer . - Quand Écomouv' décrit certaines choses ne s'étant pas correctement déroulées, c'est parfois manifeste. Il n'y a pas de véritable ambiguïté.

Par ailleurs, ils doivent nous dire ce qu'ils ont fait et nous devons être à même de vérifier non seulement que la couverture de ce qu'ils ont fait est suffisamment importante, mais aussi que le périmètre est effectivement couvert.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Aviez-vous le loisir de les contrôler sur place, de passer une demi-journée là-bas et de regarder comment tout cela se faisait et comment les informations étaient traitées ?

M. Bruno Richer . - C'est ce que j'ai dit : sur certains sujets, nous sommes allés vérifier sur place ce qui avait été fait.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Pour certains sujets...

M. Bruno Richer . - Pour certains sujets.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Mais vous ne l'avez pas fait de façon inopinée - c'est-à-dire débarquer sans avertir de votre arrivée - afin d'observer, pendant une demi-journée, comment cela se passait.

M. Bruno Richer . - Non.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Peut-être n'en aviez-vous pas la compétence ?

M. Bruno Richer . - Le problème que nous avons rencontré - vous le verrez dans le rapport de VSR - tient surtout à la faible visibilité que nous avions sur les tests que devait mener Écomouv'.

Il était difficile pour nous de prévoir où il fallait être pour observer quoi.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Et pourquoi cela ?

M. Bruno Richer . - Parce qu'Écomouv' ne nous a pas donné la visibilité suffisante, bien qu'on leur en ait fait la demande.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Y étaient-ils normalement tenus ou était-ce pure bonne volonté de leur part ?

M. Bruno Richer . - Ils y étaient contractuellement tenus.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Auriez-vous tendance à dire qu'Écomouv' n'a pas tout à fait joué la totale transparence par rapport à la VSR et au contrôle que vous deviez exercer ?

M. Bruno Richer . -Je ne le dirais pas comme ça.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Et comment le diriez-vous, alors ?

M. Bruno Richer . - Je dirais que les informations que nous avons eues étaient trop tardives pour que nous réussissions à observer ce que nous aurions voulu observer.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je vous remercie.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Je crois que Mme le rapporteur a balayé l'ensemble des sujets.

Pouvez-vous comparer ce système à d'autres systèmes existant en Europe ? Est-il plus innovant, a-t-il des choses que les autres n'ont pas ? Pouvez-vous techniquement l'apprécier ?

M. Bruno Richer . - Les personnes qui sont intervenues auparavant ont déjà dû vous dire beaucoup de choses. Il s'agit du premier système réellement interopérable en Europe. Tous les autres systèmes équivalents ne sont pas interopérables, les contraintes de l'Europe et de l'interopérabilité étant tout de même relativement fortes. Du coup, effectivement, il s'agit du seul système de ce type.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Le système est techniquement interopérable, mais, pour que cela se traduise concrètement, il faut, par exemple, conclure des contrats avec les sociétés habilitées de télépéage, les SHT. On peut donc dire que l'interopérabilité est technique.

M. Bruno Richer . - Non, pas uniquement : ce sont les SHT qui font que c'est interopérable : le redevable ou le transporteur peut contracter auprès d'un partenaire commercial qui va, lui, assurer l'interopérabilité auprès des différents opérateurs de péage.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Les transporteurs nous ont pourtant dit qu'ils avaient finalement plusieurs contrats à conclure et non un seul, en fonction de leur trajet et des différents systèmes de taxation.

M. Bruno Richer . - Dans un cadre européen idéal...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Idéal !

M. Bruno Richer . - ... et à supposer que les SHT jouent bien leur rôle, le transporteur peut contracter avec une seule SHT, laquelle contractera avec les différents opérateurs de péage.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - L'interopérabilité est donc la principale donnée qui caractérise le système français ?

M. Bruno Richer . - Par rapport aux autres systèmes de télépéage, oui.

Après, il y a la volumétrie, l'ampleur du réseau, le fait qu'il s'agisse non pas d'un réseau autoroutier, c'est-à-dire d'un réseau dont le nombre de points d'entrée et de sortie est relativement faible, mais d'un réseau pour lequel ce nombre est assez important... Tout cela rend également la chose assez complexe.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Si je vous ai bien entendu, monsieur Buczinski, votre chronologie montre clairement qu'ils n'étaient pas prêts en septembre 2013 ? Que ce soit vous ou pas vous qui ayez à qualifier les défauts de « majeurs », on peut dire qu'ils n'étaient pas prêts.

De votre point de vue, le sont-ils aujourd'hui ?

M. Dominique Buczinski . - De mon point de vue, ils sont prêts aujourd'hui. Le système, selon moi, est opérationnel.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Il s'agit d'un point important.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Soyons bien d'accord : vous parlez du système tel que vous avez pu le contrôler via le rapport de VSR auquel vous avez eu accès ?

M. Dominique Buczinski . - Tout à fait !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Bien sûr.

M. Dominique Buczinski . - Nous n'avons pas détecté de défauts majeurs, ce qui fait que le système pourrait entrer en production. De mon point de vue - j'ai un peu d'expérience dans les systèmes complexes -, un retard de six mois sur un tel système constitue tout de même une performance.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Cela ne vous paraît pas être rédhibitoire ni constituer un motif de reproche ?

M. Dominique Buczinski . - Non. En tout cas, c'est mon point de vue.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - On le fera sûrement, ce reproche - pour des questions de pénalités ou autres -, mais je sais que ce n'est pas votre rôle ni votre mission.

Vous avez constaté des retards de cette nature dans d'autres opérations en Europe : s'agit-il d'une situation assez classique ?

M. Dominique Buczinski . - C'est classique : il est déjà très difficile, s'agissant d'un système aussi complexe, de faire une prévision, mais il est plus difficile encore de faire une prévision exacte. On constate souvent des décalages parfois beaucoup plus importants que ceux qui apparaissent à l'occasion du projet écotaxe.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous n'avons pas d'autre question.

Il me reste à vous remercier, madame, messieurs, de votre participation à cette audition.

Audition de MM. François Mius, chef de la mission pour la réalisation des actifs immobiliers (MRAI), Jean-Baptiste Saintot, négociateur MRAI - région Est, et Stanislas Prouvost, sous-directeur de l'immobilier et de l'environnement, direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA), ministère de la défense (Mardi 8 avril 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous accueillons à présent trois représentants du ministère de la défense, M. François Mius, chef de la mission pour la réalisation des actifs immobiliers (MRAI), M. Jean-Baptiste Saintot, négociateur MRAI-Région Est, et M. Stanislas Prouvost, sous-directeur de l'immobilier et de l'environnement à la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA), au ministère de la défense.

Nous souhaiterions que vous nous expliquiez comment et sous quelles conditions s'est faite l'implantation de la société Écomouv' sur la base aérienne 128 à Metz, où la commission d'enquête s'est d'ailleurs rendue.

(Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. François Mius, Jean-Baptiste Saintot et Stanislas Prouvost prêtent serment.)

M. Stanislas Prouvost, sous-directeur de l'immobilier et de l'environnement, direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA) . - Madame la présidente, madame le rapporteur, mesdames, messieurs, je commencerai par faire une brève présentation du contexte dans lequel se sont faites les restructurations du ministère de la défense à Metz et dans le département de la Moselle.

Il faut se souvenir que, en 2008, le ministère de la défense a décidé de dissoudre un certain nombre de formations militaires qui étaient implantées à Metz, ce qui a entraîné des pertes d'emplois civils et militaires de l'ordre de 5 000 personnes.

Pour compenser ces pertes d'emplois, l'État a signé avec les collectivités locales, le 8 juillet 2010, un contrat de redynamisation de site de défense, aux termes duquel il a accordé un financement de 32 millions d'euros aux collectivités et, à la suite du vote de la loi de finances de 2009, il a donné la possibilité de céder les terrains libérés à l'euro symbolique. Ce contrat faisait partie des mesures d'accompagnement de ces restructurations.

Par ailleurs, toujours dans le cadre de ces restructurations, le Gouvernement avait à l'époque décidé de délocaliser des emplois publics à Metz pour compenser en partie la perte de ces 5 000 emplois. En effet, l'un des objectifs du contrat de redynamisation de site de défense signé à Metz que se sont fixés l'État et les collectivités est la recréation de ces 5 000 emplois perdus.

Dans ce contexte, il y a eu une mobilisation générale de tous les acteurs locaux, État et collectivités, pour faire venir des emplois à Metz et de l'activité économique. Je pense que c'est ainsi que des contacts ont été pris avec la société Écomouv' pour lui proposer une implantation sur l'agglomération messine, en particulier sur le site de la base aérienne 128.

Il faut le savoir, la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA) est une direction d'administration centrale qui est chargée du pilotage de la politique immobilière du ministère de la défense. Quant à la mission pour la réalisation des actifs immobiliers (MRAI), elle est rattachée au directeur de la DMPA et a pour objet la négociation des cessions de biens immobiliers appartenant au ministère de la défense.

À ce titre, la direction n'a pas eu connaissance de manière approfondie de la mise en oeuvre, au niveau local, des propositions qui ont été faites à Écomouv'.

Pour vous détailler la chronologie des faits telle que nous l'avons reconstituée, nous avons dans notre dossier un courrier du préfet de région daté du 23 décembre 2011, qui demande aux commandants de la base aérienne, à la suite d'une visite du ministre de la défense, de réfléchir aux conditions dans lesquelles la société Écomouv' pourrait être accueillie sur un certain nombre de bâtiments de la base qui restent à identifier.

Les services de la défense ont instruit une demande d'autorisation d'occupation temporaire des bâtiments qui ont été identifiés par la société Écomouv' en lien avec les services de la préfecture, de la direction régionale des finances publiques et des services locaux d'infrastructure de la défense. L'autorisation d'occupation temporaire du domaine public, ou AOT, a été signée le 31 janvier 2012 par le directeur de la DMPA, et ce pour une raison simple : le montant de la redevance fixé par le service France Domaine s'élevant à 67 170 euros par an, le système de délégation de signature au ministère prévoyait que, pour une redevance d'un tel montant, l'AOT devait remonter au niveau du directeur.

À la suite de la signature de cette AOT, un protocole a été signé le 25 avril 2012 par la direction régionale des finances publiques, le service d'infrastructure de la défense, la société Écomouv', Metz Métropole, l'établissement public foncier de Lorraine, ainsi que par la préfecture. Ce protocole avait pour objet, d'une part, de définir plus précisément les travaux que serait amenée à effectuer la société Écomouv' dans les locaux qui lui étaient remis sous AOT, afin qu'elle puisse les occuper, et, d'autre part, de caler la possibilité de prolonger l'occupation temporaire d'Écomouv' dans le cadre de la cession de la base aérienne. À l'époque, l'objectif était de céder la base dans l'année qui suivait. Cette convention signée avec les acquéreurs potentiels de la base fixait les conditions dans lesquelles Écomouv' pouvait être maintenue dans les locaux que l'État lui fournissait sous AOT.

Enfin, deux AOT complémentaires ont été délivrées les 20 et 21 février 2013 : l'une pour un bâtiment supplémentaire et l'autre pour permettre l'utilisation ponctuelle d'une partie des pistes de la base aérienne qui ne sont plus en service pour y faire installer un portique et réaliser des essais techniques avec les poids lourds.

Tels sont les éléments du dossier du point de vue du ministère de la défense.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Vous avez parlé de deux AOT, dont une concernant un bâtiment supplémentaire. La société Écomouv' dispose-t-elle de deux bâtiments plus un, soit trois bâtiments, ou seulement de deux ?

M. Stanislas Prouvost . - Écomouv' dispose de trois bâtiments.

Initialement, deux bâtiments leur avaient été concédés pour un montant fixé à 67 170 euros ; un bâtiment complémentaire a été ajouté à l'AOT initiale sans complément de redevance, une opération validée par les services fiscaux. Ensuite, ils ont eu la possibilité d'utiliser une fraction de la piste pour faire des essais, là aussi sans redevance complémentaire par rapport à la redevance initiale.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - À l'heure actuelle, Écomouv' a donc trois bâtiments à sa disposition, plus la piste pour le même montant que le montant initial, soit 67 170 euros ?

M. Stanislas Prouvost . - Oui !

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Le deuxième bâtiment, est-ce celui que l'on n'a pas vu, celui qui est entouré de 6 000 ou 7 000 mètres carrés constructibles ? On en a vu un avec très peu de terrain autour, mais il y en a un deuxième à trois ou quatre kilomètres de distance que l'on a vu seulement sur plan, et qui est entouré de 6 000 ou 7 000 mètres carrés constructibles.

M. François Mius, chef de la mission pour la réalisation des actifs immobiliers . - Il s'agit là des deux premiers bâtiments qui portaient sur une emprise de 7 700 mètres carrés ; le troisième bâtiment, qui relève de l'avenant numéro 1 du 20 février 2013, porte sur un bâtiment d'une emprise de 910 mètres carrés, si je ne me trompe pas.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - La société Écomouv' est-elle aussi autorisée à réaliser des travaux dans ce bâtiment supplémentaire ?

M. Stanislas Prouvost . - Oui, elle est autorisée à le faire dans les mêmes conditions, puisqu'il s'agit d'un complément à l'autorisation d'occupation temporaire initiale.

Je précise que les travaux autorisés sont normalement des travaux non conséquents, qui ne modifient pas complètement le bâti, puisqu'ils relèvent d'une AOT non constitutive de droits réels. Ce sont donc normalement des travaux mineurs d'aménagement des locaux.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Savez-vous à combien s'élève exactement le montant des travaux effectués jusqu'à présent ?

M. Stanislas Prouvost . - Non, j'ai un document présentant le détail des travaux ou des installations qui ont été réalisés, mais le ministère de la défense n'a pas eu le montant de l'ensemble des travaux effectués.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je crois que ce sont les représentants d'Écomouv', lors de leur première audition, qui nous avaient signalé qu'ils devaient transmettre pour autorisation la liste des travaux qu'ils comptaient réaliser, justement parce qu'ils bénéficiaient d'une AOT non constitutive de droits réels et que le montant des travaux devait aussi être pris en considération, puisque la redevance liée à l'AOT devait éventuellement être revue en fonction du montant des travaux réalisés.

Or il semble que personne n'ait la liste des travaux ni ne connaisse le montant de ceux-ci. Metz Métropole ne l'a pas non plus. C'est pourquoi nous pensions que c'était vous qui l'aviez.

M. Stanislas Prouvost . - J'ai ici une fiche qui m'a été fournie par le service local, sur laquelle figure une liste des travaux, puisqu'on a dû vraisemblablement les autoriser, en particulier les travaux ayant nécessité de creuser des trous, car il y a un problème de pollution pyrotechnique sur la base. Des précautions devaient être prises ; c'est pourquoi certaines demandes d'autorisation avaient été formulées.

En revanche, parmi les éléments qui m'ont été communiqués, je n'ai pas les montants de ces travaux. On peut solliciter le service d'infrastructure pour qu'il nous les trouve.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je veux bien !

M. François Mius . - Jean-Baptiste Saintot me précise à l'instant que c'est France Domaine qui a été destinataire de ces éléments d'information. Nous, nous n'en disposons pas.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - C'est logique !

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Il faut alors qu'on les demande à France Domaine.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Ne vaudrait-il pas mieux que ce soit vous qui les demandiez ?...

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Si vous les trouvez quelque part, je les veux bien. Je voudrais en avoir connaissance.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Le service France Domaine a des quantités et des quantités d'évaluations !

Mme Virginie Klès , rapporteur . - À ce jour, Écomouv' a dû verser sa redevance, au moins une ou deux fois ?

M. Stanislas Prouvost . - Probablement, mais là encore cette question relève de la compétence de France Domaine. Comme il s'agit du domaine public défense, c'est le ministre de la défense qui délivre l'autorisation d'occupation temporaire, mais c'est France Domaine qui a la compétence pour élaborer le montant des redevances liées à l'AOT, les facturer et toucher les redevances, puisque celles-ci sont reversées au budget général de l'État.

Le service d'infrastructure chez nous ne dispose pas des éléments d'information permettant de savoir si le paiement de la redevance a été exigé et si celle-ci a bien été payée.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Aujourd'hui, quelle est la condition mettant un terme à l'AOT ? Le transfert de propriété à Metz Métropole ?

M. Stanislas Prouvost . - Quand l'AOT a été signée, même si l'on imaginait que le transfert de propriété à Metz Métropole interviendrait dans l'année qui suivait, on avait tout de même prévu une durée de cinq ans. Aujourd'hui, l'AOT prend donc normalement fin à la date du transfert de propriété à Metz Métropole. Si jamais ce transfert de propriété prenait encore un peu plus de temps qu'il n'avait été prévu initialement, nous serions amenés à proroger l'AOT, si la société Écomouv' en fait la demande bien sûr.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Ils ont tout de même fait des travaux !

M. Stanislas Prouvost . - Le but du protocole qui avait été signé était de donner des garanties à la société Écomouv' quant à sa capacité de faire des travaux, puisque le futur acquéreur était d'accord pour que la société soit maintenue dans les lieux.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - J'imagine que les procédures de déclassement ont été entamées pour pouvoir céder la base à Metz Métropole à l'euro symbolique. Qu'est-ce qui retarde cette cession ? Cela devrait pourtant aller vite !

M. François Mius . - Cela pourrait peut-être aller plus vite effectivement ! On est en phase de négociation finale avec la collectivité. Ce qui a été difficile à maîtriser, c'était l'accord entre les parties concernant la dépollution ou, plus exactement, la caractérisation des pollutions, qu'elles soient environnementales ou pyrotechniques.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Ils ont trouvé de l'amiante ?

M. François Mius . - Non, il s'agissait principalement d'une pollution pyrotechnique. On est en train de régler ce problème, et on devrait pouvoir conclure, je pense, dans les semaines qui viennent.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Est-ce la totalité du site qui est rétrocédée à Metz Métropole ?

M. François Mius . - C'est la totalité du site, à une petite exception près, très ponctuelle, un terrain conservé par le ministère de la défense pour des raisons de pollutions difficiles à purger, et qui restera dans le domaine de l'État.

M. Jean-Baptiste Saintot, négociateur pour la mission pour la réalisation des actifs immobiliers . - Une autre fraction de la base aérienne 128 d'environ 9 hectares restera dans le domaine de l'État : il s'agit de la fraction occupée par les hélicoptères de la gendarmerie. Cette fraction du site a été retirée assez tôt dans la procédure de cession de l'emprise cessible, puisque les services de la gendarmerie continuent de l'utiliser.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Savez-vous si Metz Métropole a d'ores et déjà des projets pour le reste de la base aérienne, au-delà d'Écomouv' ?

M. Jean-Baptiste Saintot . - Différents axes de reconversion ont été identifiés par Metz Métropole, avec quelques porteurs de projets. Néanmoins, il n'y a pas encore de projets précis pour les 395 hectares que représente la base.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - C'est énorme !

M. Jean-Baptiste Saintot . - À ce jour, Metz Métropole a fait élaborer un zonage du site pour en définir les grandes vocations.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - À l'heure actuelle, comment se répartissent les responsabilités en termes d'entretien et de sécurité, entre autres, entre le ministère de la défense, Metz Métropole, qui n'est pas encore propriétaire, et Écomouv', qui occupe une partie de ces terrains et de ces immeubles ?

M. Stanislas Prouvost . - Aujourd'hui, la responsabilité de l'ensemble du site relève du ministère de la défense. Quelques AOT doivent être données aux collectivités pour la viabilité hivernale : entreposer du matériel, du sel et du sable.

Cela étant, le gardiennage général de l'emprise est encore assuré par le ministère de la défense. Il a été demandé aux titulaires d'AOT d'assurer leur autonomie. Écomouv' en particulier a souscrit ses propres abonnements de fluides - eau et électricité. L'entreprise est autonome et ne dépend plus du budget et de la responsabilité du ministère sur ce plan.

Je précise qu'avait été signée, avant ces mises en autonomie, une convention prévoyant la refacturation, par le ministère de la défense, des frais de fonctionnement du site. C'est là la procédure habituelle pour tout site que la défense est en train d'abandonner. Qu'il s'agisse d'Écomouv' ou de tout autre occupant, on demande le remboursement d'une partie des frais de fonctionnement lorsque les fluides ne sont pas individualisés.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Ainsi, vous avez eu connaissance, par le préfet de région, de l'intérêt exprimé par Écomouv' pour certaines parties de cette base aérienne. Vous a-t-on également indiqué les critères de choix de cette entreprise ? Pourquoi le choix s'est-il porté sur tel bâtiment plutôt que sur tel autre, sur tel secteur plutôt que sur tel autre ? Pourquoi demander un troisième bâtiment ?

M. Stanislas Prouvost . - Au niveau central, nous n'avons eu aucune information, puisque les négociations ont été menées au niveau local. Pour notre part, nous avons pris en compte la demande relative aux bâtiments ciblés lors d'investigations locales. Lorsqu'un bâtiment complémentaire nous a été demandé, nous n'avons pas eu de raison de nous y opposer au niveau central, étant donné que sa base était neuve. Pour autant, nous n'avons pas mené d'analyses visant à déterminer les raisons pour lesquelles la société Écomouv' souhaitait disposer de locaux complémentaires. Des éléments d'information peuvent peut-être être fournis au niveau local.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je trouve tout de même surprenant qu'un bâtiment supplémentaire de 910 mètres carrés soit attribué sans augmentation de la redevance liée à l'AOT, surtout à une époque où l'État cherche de l'argent partout et quand on sait que des frais de dépollution vont devoir être engagés.

J'entends bien que l'on puisse opérer des cessions gratuites pour la reconversion de sites militaires abandonnés. Toutefois, il s'agit, en l'occurrence, de l'occupation de bâtiments et de terrains par une société privée. Ce ne sont pas des emplois publics, mais bel et bien des emplois privés. Les douanes, qui représentaient pourtant des emplois publics, ne s'y sont pas installées. J'ai un peu de mal à comprendre.

M. Stanislas Prouvost . - Je ne peux pas vous apporter de réponse sur ce point. Lorsqu'une société ou une entité publique souhaite obtenir une AOT, c'est le service France Domaine qui calcule le montant de la redevance. Dès lors que France Domaine considère que la redevance demandée initialement n'a pas à être abondée pour l'occupation d'un bâtiment supplémentaire, il n'appartient pas au ministère de la défense de se prononcer.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Mais peut-être avez-vous connu des situations similaires et disposez-vous d'explications ou d'éléments d'explication ? La MRAI sait peut-être ce qui se fait en la matière...

M. François Mius . - M. Prouvost l'a rappelé, il s'agit d'une compétence exclusive de la direction régionale des finances publiques. Nous avons parfois été mis en difficulté pour avoir exprimé le moindre avis sur le sujet ! Aussi, nous nous astreignons aujourd'hui à un total devoir de réserve, et nous laissons ce dossier entre les mains du service France Domaine, qui est le seul compétent.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Je me permets d'insister, il est assez choquant que les douanes n'aient pu s'installer sur la base, à proximité d'Écomouv'. Vue de l'extérieur, cette situation est incompréhensible.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Sans compter qu'il n'y avait plus d'utilité pour le ministère de la défense à conserver des emprises sur ce site, exception faite des emprises que vous avez évoquées ! Si, pour le ministère et pour France Domaine, cela ne posait aucun problème de mettre un troisième bâtiment de 910 mètres carrés à disposition, qui plus est, gratuitement, j'ai réellement beaucoup de mal à comprendre...

M. Stanislas Prouvost . - Concernant le bâtiment complémentaire, un autre élément me vient à l'esprit, même s'il ne s'agit peut-être que d'un facteur périphérique.

Quand Écomouv' s'est installée sur le site, certaines entités du ministère de la défense y étaient encore présentes. Lorsque le bâtiment supplémentaire a été accordé, nous avons dû continuer à vider le site. On s'était également posé la question de l'installation de l'Institut national de la statistique, et des études économiques (Insee) sur le site, qui n'a pas non plus connu de suite. Du point de vue du ministère de la défense, toute occupation du site était bonne à prendre, étant donné qu'il était vide : avoir des occupants sur le site tant qu'il n'est pas transféré aux collectivités permet, d'une certaine manière, de maintenir une activité, donc d'assurer, sinon un gardiennage, du moins une vie, ce qui évite les squats ou les intrusions. En tout cas, les intrusions peuvent être détectées assez rapidement.

Concernant la question de l'occupation du site par les douanes, la défense, pour ce qui concerne la partie que nous représentons, n'a pas été informée d'une réflexion des douanes quant à l'opportunité de s'installer ou non sur ce site.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - À ce jour, les éventuels preneurs ou repreneurs d'autres bâtiments s'adressent-ils à Metz Métropole ou à la MRAI ? Concrètement, comment cela se passe-t-il ?

M. Jean-Baptiste Saintot . - Dans la mesure du possible, les demandes sont orientées vers Metz Métropole, qui, à terme, a vocation à gérer le site. Il arrive parfois que des requêtes soient formulées à l'autorité militaire, en l'occurrence au commandant de la base de défense de Metz. Toutefois, en pareil cas, celles-ci sont instruites en coordination avec Metz Métropole.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Aujourd'hui, le site est-il totalement libéré par le ministère de la défense, à l'exception des quelques emprises indiquées ?

M. Stanislas Prouvost . - Tout à fait ! Le site est totalement libéré par le ministère de la défense depuis près de deux ans.

M. Jean-Baptiste Saintot . - Depuis l'été 2012 !

Mme Virginie Klès , rapporteur . - À votre connaissance, reste-t-il encore des bâtiments « intéressants » pour des entreprises ?

M. Stanislas Prouvost . - Oui, il reste les anciens locaux du commandement des forces aériennes. Il s'agit de bureaux aujourd'hui inoccupés. Il y a aussi une annexe de la base aérienne, qui n'est pas directement sur l'emprise de la base, à savoir le camp de Tournebride. Les collectivités concernées ont un projet de zone d'aménagement concerté, avec l'installation de divers commerces, notamment Decathlon.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Mes chers collègues, avez-vous d'autres questions ?...

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je reste sur ma faim concernant France Domaine... Je vais leur poser des questions !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Je vous comprends !

Messieurs, je vous remercie beaucoup.

Audition de M. Jean-François Carenco, préfet, directeur de cabinet du ministre chargé de l'écologie du 23 avril 2008 au 25 novembre 2010 (Mardi 8 avril 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Mes chers collègues, nous auditionnons à présent M. Jean-François Carenco, préfet, directeur de cabinet de Jean-Louis Borloo, ministre de l'écologie, du 23 avril 2008 au 25 novembre 2010.

Monsieur le préfet, nous souhaitons notamment comprendre le processus décisionnel qui a conduit au choix d'un partenariat public-privé (PPP). Comment s'est faite la répartition des compétences entre les ministères de l'écologie et du budget concernant la mise en oeuvre d'un projet à visée environnementale et à incidence budgétaire ? Nous souhaitons également comprendre pourquoi l'écotaxe est devenue une sorte de taxe douanière.

(Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-François Carenco prête serment.)

M. Jean-François Carenco, préfet, directeur de cabinet du ministre chargé de l'écologie du 23 avril 2008 au 25 novembre 2010 . - Pour ce dont je me souviens, parce qu'on était quand même dans un tremblement de textes permanent, il s'agissait d'un texte ou plutôt d'une affaire très importante.

Je me souviens que ce texte avait été voté à l'unanimité et que déjà
- c'est la même chose aujourd'hui -, et c'était l'une des solutions apportées, l'agence de financement des infrastructures de transport en France (Afitf) était en grande difficulté. Pour l'ensemble du Gouvernement, et notamment pour l'équipe que j'animais sous les ordres de M. Borloo, trouver des recettes pour l'Afitf constituait donc un axe fort. On voit bien aujourd'hui ce qu'il en est.

Tous ceux qui ont participé à ce projet extrêmement difficile étaient enthousiastes. On avait le Graal ! L'idée était que les Allemands le faisaient, et cela leur rapportait beaucoup d'argent ; l'idée était que nous allions enfin taxer les camions étrangers qui passaient sur notre territoire - c'était l'objectif -, que tout cela allait être interopérable non pas au sens étranger mais avec les sociétés d'autoroutes - c'était l'objectif -, et que nous allions en plus pouvoir donner un peu d'argent aux départements de ce pays sans qu'ils fassent rien et sans que cela coûte. Il s'agissait donc d'un beau projet pour tout le monde. Pour tout le monde !

Je ne sais plus s'il s'agissait de la loi Grenelle 1 ou Grenelle 2. En tout cas, elle avait été votée à l'unanimité, tout comme la taxe carbone à l'époque.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Je pense que c'était la loi Grenelle 1.

M. Jean-François Carenco . - Oui, l'unanimité, c'était pour la loi Grenelle 1.

Je rappelle que la taxe carbone avait également été votée à l'unanimité. Dans l'ambiance de l'époque, il s'agissait de trouver des recettes « vertueuses », disait-on alors. Tels étaient les termes qui qualifiaient la taxe carbone comme l'écotaxe transport : une recette vertueuse. Je ne sais pas si on va y revenir ; après, c'est de la politique et ça ne me concerne pas. En tout cas, là-dessus, je rappelle qu'il y avait une unanimité nationale, et plusieurs fois.

Je n'étais pas là quand le Grenelle 1 a été voté. Quand je suis arrivé, le ministre m'a dit que c'était bien. Donc, je m'y suis plongé et mon boulot a été de pousser le sujet. Quels ont été les termes du débat ?

Tout d'abord, se rapprocher des douanes. C'est très clair. J'ai passé mon temps à essayer d'amener les douanes dans le sujet et d'arriver à désigner en commun une mission spécifique. Il me semblait, ainsi qu'à la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), qu'on n'y arriverait pas seuls et que ce ministère n'était pas fait pour recouvrer une taxe, qui s'analysait comme un droit indirect et qui serait, de toute façon, poursuivie ensuite par les douanes. Et on a monté cette mission commune. Cela, je m'en souviens bien.

Le deuxième sujet a très vite été : « comment fait-on ? » De manière unanime, je dois le dire, tout le monde a dit « PPP ». Je n'ai pas souvenir d'une seule voix à l'époque pour dire « MOP », ou maîtrise d'ouvrage publique. Moi qui connais bien l'administration, cela ne m'a pas choqué. J'ai d'ailleurs dit « PPP » comme tout le monde, car, pour être honnête, je pense que l'administration française est incapable de faire cela. Qu'on me donne des exemples équivalents de ce qu'a su faire l'administration française... Je pense qu'on en est incapable. Surtout qu'il fallait aller vite, parce qu'on se disait à l'époque qu'on aurait quelque chose sur le budget de l'Afitf à la fin de 2011.

On avait donc une mission qu'on a définie en commun. On avait des réunions communes avec le directeur général des douanes, Jérôme Fournel, et Daniel Bursaux. Je n'ai aucun souvenir - et donc, je crois que cela n'a pas eu lieu - d'un débat ou d'une discussion avec le ministre des finances de l'époque. Aucun !

Je répète donc que le choix du PPP apparaissait à tout le monde comme une évidence absolue. Ensuite, est venu le coût de ce qu'il représentait. Il me semble, selon mon souvenir, que c'était environ 250 millions d'euros.

Je n'ai volontairement pas lu de notes et de rapports, parce que je pense que c'est ainsi que l'on est le plus honnête et le mieux à même de pointer les choses les plus importantes. Le plus important me semble-t-il est de s'en remettre à ce qui était l'esprit de l'époque.

L'esprit, c'était donc le PPP et un niveau de taxe à 12 centimes... Moi j'étais pour 16 centimes, mais la mission m'a répondu qu'il ne fallait pas aller au-delà de 12 centimes. Il est évident que le rapport entre le coût et le bénéfice dépend du montant de la taxe au kilomètre. Mais on se disait « l'année prochaine, on sera déjà à 15 centimes, puis après à 16 centimes et on s'arrêtera quand on sera comme les coûts autoroutiers ». C'était cela le débat. Et, si vous êtes au niveau des coûts autoroutiers, ce n'est pas cher. Premièrement, on ne sait pas le faire et, deuxièmement, ce n'est pas très cher en PPP.

J'ajoute qu'il y a eu le débat sur les routes taxables pour les conseils généraux. Globalement, ils en ont demandé plus que ce qu'il fallait. Le débat a été de les restreindre et de leur dire que le dispositif n'était pas seulement fait pour les caisses des conseils généraux : il y a une philosophie ; il faut que ce soit une route avec certains critères, qu'il y ait un report possible sur le ferroviaire.

Le PPP apparaissait donc comme une évidence. Concernant le choix des PPPistes, on m'a très vite dit qu'il y avait trois équipes. J'en étais content. Il valait mieux en avoir trois qu'aucune ou une seule. Ensuite, ni les ministres ni moi-même n'avons mis le doigt dans le choix de la commission. En cinq ans de travail avec Jean-Louis Borloo, je ne lui ai pas parlé une seule fois d'un marché. Ce n'est pas son « truc » et ce n'est pas le rôle du cabinet d'un ministre de suivre les marchés publics des administrations. Nous avons respecté cette vision du rôle du ministre et de son cabinet sans aucune exception durant cinq ans.

Quand j'ai appris, après mon départ du cabinet, que la Sanef avait présenté un recours devant le Conseil d'État - Daniel Bursaux m'en a prévenu -, affirmant qu'elle avait été approchée, j'en ai été meurtri. Cela dit, chacun sait, et je n'en dirai pas plus, qu'un certain nombre d'officines vendent les rendez-vous qu'elles obtiennent par amitié avec tel ou tel responsable. Il n'est donc pas impossible qu'ils aient inventé quelque chose
- je n'en sais rien -, mais j'en ai été très meurtri.

Sur le plan de l'honnêteté, on peut faire des bêtises, mais je pourrais confier à Daniel Bursaux toute ma richesse, je serais certain de la retrouver à la fin. J'en étais donc meurtri pour lui, et un peu pour moi, même si je n'étais pas en cause.

Je voudrais également dire un mot de l'affaire bretonne, afin de fixer les responsabilités de chacun. Au nom de Jean-Louis Borloo, qui avait présidé la première réunion, j'ai négocié avec ceux qui allaient ensuite porter les bonnets rouges fabriqués en Écosse. Nous nous sommes mis d'accord de manière très ferme et très claire sur un rabais de moins 40 %. Il y avait les régions périphériques comme l'Aquitaine, si je me souviens bien...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - 25 % !

M. Jean-François Carenco . - En effet, 25 %... Il devait y avoir Midi-Pyrénées aussi et la Bretagne. Nous étions arrivés à moins 40 %, au nom de la gratuité. Le Premier ministre d'alors a jugé opportun, lors d'un débat budgétaire, je pense, de porter la réduction de 40 % à 50 %.

Je le dis donc très simplement : j'ai le sentiment d'avoir été trompé deux fois. La première quand on est passé de 40 % à 50 % ; la seconde lorsque les Bretons ont lancé la rébellion contre cette taxe. Par deux fois, ils ont renié leur accord. Je le dis comme je le pense.

Aujourd'hui, moi, préfet de région, je porte des projets d'investissement pour les collectivités locales, pour le fer, pour le rail, pour la route, pour les canaux, et je n'ai plus un sou. Voilà la réalité de deux mensonges ! Je suis un peu violent mais on ne peut pas se parjurer comme ça !

Je pense profondément que l'administration française a commis une faute d'application après coup. Dès que je suis arrivé à Lyon, parce que je connaissais le dossier, j'ai réuni un comité régional d'application de la taxe transport rassemblant tous les participants : la grande distribution, le BTP, les camionneurs, les messageries. Je m'honore d'avoir, suivant une idée débattue dans cette commission, exonéré les camions laitiers. C'était une bêtise de les avoir inclus ou en tout cas de ne pas les avoir enlevés.

J'ai souvent demandé au Gouvernement d'instaurer de manière obligatoire ces comités d'application de l'écotaxe transport. Malheureusement, cela est resté de l'ordre de l'initiative individuelle. En tout état de cause, je peux vous dire qu'un accord général, avec des adaptations, avait été trouvé. C'est de chez moi qu'est partie l'idée de la forfaitisation en pied de facture comme l'exonération des camions laitiers. Vous pouvez interroger à ce sujet M. Sibu, président de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR). Au début, il n'était pas content, mais nous avons discuté.

Je suis donc doublement meurtri de ce qui est arrivé. D'abord, parce qu'ils étaient d'accord. Les circonstances ont changé, mais les accords, ce ne sont pas des contrats à la chinoise. Ensuite, parce qu'on aurait pu le faire quand même si on l'avait bien vendu, bien appliqué et bien fait.

Le seul report dont j'ai eu connaissance, c'est à la fin - quand on m'a dit qu'il n'y avait pas assez de transporteurs qui avaient souscrit l'abonnement et qui avaient pris le boîtier. Je me suis dit que c'était retardé de six mois, le temps que ça marche.

En résumé, le vote était unanime, personne n'a contesté le PPP, personne n'a trouvé que c'était cher - on savait que c'était évolutif et, en plus, on n'avait pas besoin de payer l'investissement. J'ai fait les plus grands efforts pour associer la direction des douanes, puisque c'est elle qui allait opérer les contrôles et que ce n'est pas au ministère des transports de gérer les affaires financières, tout en conservant à la DGITM la responsabilité de faire avancer l'opération. D'ailleurs, je me rappelle que la direction des douanes était assez réticente au début, jugeant le projet compliqué. Compliqué, il l'était nécessairement ; on a même envisagé, à un moment donné, un système fondé sur des satellites plutôt que des portiques.

Je le répète : on trouve aujourd'hui que c'est cher. Mais c'est parce qu'on ne le met pas en service ou qu'on le fait à 12 centimes. Nécessairement, ce système aurait été étendu. S'il existait depuis trois ans, que croyez-vous que nous ferions aujourd'hui ? À l'évidence, nous augmenterions un peu le niveau de la taxe et nous étendrions son périmètre.

J'assume tout ce que j'ai décidé, notamment qu'il fallait le faire, qu'il fallait associer la douane et que le PPP n'était pas une mauvaise idée ; pourtant, en règle générale, je ne suis pas très favorable à ce type de truc, mais je ne savais pas comment faire autrement. Qui allait être maître d'ouvrage du projet ? Quel appel d'offres lançait-on ? La construction de portiques ? Et de toute façon, l'Afitf était déjà en faillite. Là, on ne payait rien et on avait 1 milliard d'euros par an, pour commencer. Qui n'aurait pas été pour ? Sans compter que, pour une fois, les étrangers allaient payer.

Je tiens à présenter une autre observation au sujet des pieds de facture et des transporteurs. En réalité, depuis des années, voire des décennies, toutes les mesures tendent à une concentration dans le secteur des transports, notamment les mesures environnementales. Le passage d'EURO 4, à EURO 5, à EURO 6, avec des camions qui valent 200 000 euros
- c'est à peu près le prix des derniers tracteurs -, exclut les petits transporteurs. C'est pareil pour le système de l'écotaxe. Quant au système des quarante tonnes à l'essieu, le ministre Jean-Louis Borloo avait pris une position, avec laquelle j'étais d'accord, extrêmement hostile, mais il a été imposé par le Premier ministre, et c'est aussi de nature à favoriser la concentration.

Ainsi, la « rébellion » des petits transporteurs est l'aboutissement d'un long processus de concentration. Il y a aussi bien évidemment les règles européennes en matière de cabotage et de concurrence. J'ai la conviction que l'opposition manifestée par les petits transporteurs - on a vu que les gros étaient silencieux - est la conséquence non pas de la seule taxe transport, mais d'une succession de mesures qui aboutissent à des concentrations dans ce secteur. Au demeurant, ne faisons pas de comparaisons avec ce qui se passe actuellement avec Mory Ducros, qui est un messager et qui n'est pas tout à fait un transporteur.

L'objectif, on le rappelle, c'est quand même de réagir à l'effondrement du fret SNCF. Je rappelle que, dans le même temps, et je m'honore d'avoir fait cela, parce que là aussi c'était unanime, il y avait le plan confié Réseau ferré de France (RFF), pour la régénération des petites voies ferrées. C'était la création des trains d'aménagement du territoire. C'était le contournement de Nîmes et de Montpellier - je ne parle pas des TGV -, qui permettait de déverrouiller un système de fret.

Il y avait donc à la fois le développement du fret par régénération des voies, par les autoroutes ferroviaires alpines - dont on n'est toujours pas sorti -, c'était l'époque où on travaillait sur Bettembourg-Perpignan, et où on lançait l'autoroute ferroviaire Atlantique.

Toutes ces mesures formaient un ensemble d'une cohérence totale. Cette cohérence, je la défends très fortement devant vous. Cette cohérence, je le rappelle une fois de plus, avait été celle de la Nation. Ce n'était pas une idée... Borloo l'avait poussée, je l'avais appliquée, mais tout le monde était d'accord sur cette double cohérence : le fret avec ses investissements, ses autoroutes ferroviaires, cette relance de RFF sur les voies, avec des sommes considérables, le contrat de progrès qu'on avait signé à l'époque, et l'écotaxe transport. Personne, vraiment personne, n'imaginait qu'on n'arriverait pas au bout !

Je pense que ceux qui ont contribué à ce projet sont aujourd'hui meurtris, pour tout un ensemble de raisons. Surtout, ce sont souvent les mêmes qui pleurent misère pour faire des infrastructures !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Monsieur le préfet, vous avez dit : « on ne payait rien et on avait 1 milliard d'euros par an ». À ceci près que « on », est un pronom indéfini. Et il faut bien que quelqu'un paie.

Aussi, je voudrais vous demander si, indépendamment du fait que le PPP devait rapporter une recette, dont je ne doute aucunement qu'elle aurait été utilisée à très bon escient si elle avait été perçue, la question du coût s'est posée.

Autrement dit, a-t-on pensé qu'au-delà d'un certain coût, trop important par rapport à la recette attendue, la mesure ne serait pas mise en oeuvre, parce qu'elle ne serait pas acceptable par la population et par les camionneurs ? Ou bien a-t-on considéré qu'on l'appliquerait de toute façon ?

M. Jean-François Carenco . - Les calculs qu'on a faits à l'époque étaient sur ce que payait l'utilisateur. Je me rappelle qu'on rapportait le coût de l'utilisation au kilo de petits pois et on disait aux Bretons : calculez ce que coûte, en réalité, le transport d'un kilo de votre viande jusqu'à Rungis. Rapporté au kilo transporté, ce coût ne représentait rien du tout, de sorte que tout le monde considérait cette taxe comme à peu près indolore pour le payeur final, c'est-à-dire pour le consommateur.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Ce calcul était-il fondé sur l'étude préalable ou sur les coûts figurant dans les contrats signés ?

M. Jean-François Carenco. - On parlait de la taxe elle-même et pas du coût de l'installation du taxeur, c'est-à-dire du système. À cette fin, de toute façon, ce sera entre 12 et 16 centimes du kilomètre. Si vous faites 16 centimes du kilomètre, rapporté au kilo de petits pois transporté de Bordeaux à Rungis, cela ne fait pas cher pour avoir 1 milliard d'euros ! Tel était le raisonnement.

Personne n'a contesté le fait que 250 millions d'euros - je pense que c'était le coût à l'époque - c'était très cher. Cela représentait 20 % du coût total. Mais on se disait que le taux diminuerait dans le temps. Est-ce cher, 20 % ? Oui, dans l'absolu, mais si le produit augmente, c'est moins cher. Cela n'a posé de problème à personne

Et puis, il y avait trois offres, dont aucune ne proposait 5 %. On m'a dit que les trois offres étaient à peu près équivalentes. J'ai su que l'une était présentée par un Italien, ce qui m'a un peu étonné. Il était accompagné par la SNCF et Steria.

Aujourd'hui, on trouve que c'est cher ; mais, à l'époque, je ne me souviens pas que quiconque l'ait dit.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Si on trouve aujourd'hui que c'est cher, c'est aussi parce qu'on n'a pas pu mettre en place la mesure : on a payé des infrastructures sans percevoir aucune recette.

M. Jean-François Carenco . - Exactement !

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Il ressort de nos travaux, qui ne sont pas encore tout à fait terminés, que l'une des raisons du retard dans la mise en oeuvre de l'écotaxe réside dans la grande complexité du système, ainsi que dans les contraintes et les exigences très importantes qui ont été fixées par les douanes en matière de contrôle.

M. Jean-François Carenco . - Oui ! Les douaniers voulaient faire des contrôles, j'en ai le souvenir très précis.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - À un moment ou à un autre, la cellule interministérielle qui était en place a-t-elle envisagé que les contrôles soient réalisés de façon plus pragmatique, avec moins de technologie et un peu plus d'humain, à un coût moindre et d'une manière plus facile à mettre en oeuvre ?

M. Jean-François Carenco . - À aucun moment ils ne l'ont dit.

L'objectif, au ministère des transports, était d'amener les douanes « dans le bateau ». Or les douanes y allaient à reculons, parce que, pour être honnête, ils « faisaient les douaniers de base », même au plus haut niveau.

Notre ambition était que le système fonctionne. Peut-être n'avons-nous pas assez regardé le volet douanier. L'objectif était qu'ils signent.

Par deux fois, madame la rapporteur, vous avez attiré mon attention sur le coût de la collecte. Personne n'a considéré qu'à 20 % c'était cher. Dans le débat politique, il n'est jamais venu à mes oreilles...

Mme Virginie Klès , rapporteur . - À l'époque.

M. Jean-François Carenco . - ... à l'époque, oui, que c'était cher.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Reste que la mise en oeuvre très retardée de l'écotaxe est liée notamment aux contraintes techniques.

M. Jean-François Carenco . - Je n'en sais rien. Je n'étais plus là, puisque je suis parti en novembre 2010. Je pense que le marché n'était pas signé. Après ...

L'important, c'est d'avoir un capitaine dans le bateau  qui a un objectif et qui accepte des contraintes.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Justement : pensez-vous, a posteriori , que la cellule mise en place était suffisamment armée, et son capitaine avec elle, pour tenir le cap, y compris dans la tempête ? Je pense à la DGITM, aux douanes et à la mission de la tarification.

M. Jean-François Carenco . - Il me semble que la mission ne s'est pas donné pour but d'arbitrer : l'arbitrage appartenait aux représentants du politique.

La mission était-elle suffisamment forte ? J'ai envie de répondre non, si j'en juge par la difficulté qu'on a eue pour la constituer et y faire venir les douanes... L'autre sujet, c'est que le ministre des finances n'a peut-être pas été assez impliqué. Le directeur des douanes en référait peut-être à son cabinet, je l'espère du moins.

En tout cas, le DGITM en référait à son cabinet suffisamment, mais pas plus que ce qu'il fallait. À partir du moment où le politique a décidé, où l'Assemblée a voté, où c'est un sujet de la nation, que personne ne conteste le PPP, cela devient une affaire technique. On l'a peut-être trop considéré comme une affaire technique. Ce n'est pas impossible. Mais le reproche principal que je fais s'adresse à ceux, y compris les parlementaires, qui ont donné leur accord et qui l'ont ensuite retiré. Pour un fonctionnaire, c'est un peu compliqué à accepter.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Au sujet du PPP, vous avez été on ne peut plus clair : pour vous, la procédure n'a pas posé le moindre problème.

M. Jean-François Carenco . - En effet.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - En ce qui concerne son périmètre, pensez-vous toujours, a posteriori , qu'il fallait y inclure le recouvrement de la taxe ?

M. Jean-François Carenco . - Oui !

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Ne pensez-vous pas qu'il aurait été plus simple de l'en exclure ? Je pense aussi aux contraintes de contrôle demandées par les douanes.

M. Jean-François Carenco . - Dans mon souvenir, la douane ne le voulait pas. Comment le recueillir ? On ne pouvait pas bloquer les transporteurs pour les contrôler. Ils s'équipaient d'un boîtier, parcouraient la France et on leur envoyait la facture. C'était le principe. Il n'y avait pas de contrôle physique.

J'ai l'occasion d'organiser de temps en temps des contrôles physiques de douanes, c'est la croix et la bannière. Pour contrôler un camion, il faut trouver une aire d'autoroute ! Aujourd'hui, en France, il n'y a plus de contrôle de police et plus de contrôle douanier. Il faut trouver des systèmes automatiques.

Je n'imagine pas que les douaniers aient pu arrêter les véhicules à la frontière. Les Suisses le font, mais c'est un petit pays et vous payez une fois par an votre vignette.

Il me paraissait donc naturel que le système de contrôle soit automatique et qu'il entre dans le périmètre du PPP. En tout cas, cela n'était pas un projet douanier, je peux vous le dire.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Comment est-ce devenu un projet douanier ?

M. Jean-François Carenco . - Parce que nous, on a voulu impliquer les douanes car il n'est pas possible que le ministère des transports recouvre des droits indirects.

Ce n'est pas dans les attributions d'un contrôleur de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Les droits indirects, ce sont les douanes. C'est peut-être trop simple, mais je ne vois pas quelle autre solution on avait.

Et puis l'Allemagne avait un système équivalent en PPP qui fonctionnait bien pour un produit de 4 milliards d'euros, et sans contestation ! On cite toujours l'exemple de l'Allemagne, on a voulu faire comme eux et on a échoué ! La question est pourquoi ? Ce n'est pas dû au choix du système, mais à la mise en oeuvre qu'aurait dû être plus rapide. Le délai de mise en route a été quelque peu « mortel », j'en suis convaincu.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Ce délai de mise en route, une fois de plus, est tout de même fortement lié au fait qu'aucune montée en puissance progressive n'était prévue puisque les douanes exigeaient à la fois un sur 1 million en fausse détection et 99,75 % en taux de recouvrement. Autrement dit : zéro faux positif et zéro faux négatif, si je puis m'exprimer ainsi.

M. Jean-François Carenco . - La preuve, c'est qu'on n'a pas fait en Alsace ce qu'on devait faire.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - On est bien d'accord !

M. Jean-François Carenco . - On aurait fait un effort d'explication tout au long du processus, ça aurait été préférable.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - C'est bien possible.

M. Jean-François Carenco . - Et puis les personnes concernées avaient tenu parole, ça aurait été mieux aussi.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - La parole est à M. Éric Doligé.

M. Éric Doligé . - Monsieur le préfet, vous avez de la chance : vous êtes doublement meurtri. Moi, je le suis au moins septuplement ! Il y a donc un certain nombre de raisons pour lesquelles je ne suis pas du tout satisfait de ce dossier, et je vous remercie d'avoir été clair et précis dans votre expression.

D'abord, je suis meurtri parce que l'État perd 1 milliard d'euros alors que nous en avons besoin.

M. Jean-François Carenco . - Je l'ai dit juste avant que vous n'arriviez.

M. Éric Doligé . - Chaque année, ça sera un peu plus difficile.

Ensuite, le citoyen devra payer à un moment ou à un autre ce milliard si l'on veut réaliser les opérations. On sait bien que l'Afitf rencontre un certain nombre de problèmes et qu'on ne pourra pas réaliser certaines opérations, ce qui parallèlement nous empêchera de donner du travail à des entreprises en cette période difficile : 1 milliard d'euros sur le marché, ça permet quand même de réaliser pas mal d'opérations.

M. Jean-François Carenco . - C'est 10 000 emplois !

M. Éric Doligé . - Voilà !

En outre, j'ai été doublement meurtri quand vous avez parlé des départements, je suis d'ailleurs arrivé juste à ce moment-là. Depuis je me suis calmé, cependant vous avez évoqué les départements en des termes qui n'étaient pas très sympathiques. Peut-être ai-je mal compris le sens de votre phrase, mais vous avez dit : « un peu d'argent pour les départements qui n'ont rien à faire » !

M. Jean-François Carenco . - Qui n'ont rien à faire pour le percevoir. On peut être d'accord sur cette phrase.

M. Éric Doligé . - Chacun sait que si le budget de l'État va mal, les choses ne vont pas bien non plus pour les départements. Pour ma part, j'essaie de voir comment je peux récupérer ces sommes auprès de l'État. Il faut toujours espérer...

Par ailleurs, vous avez souligné une incohérence dans la mesure où cette taxe avait été adoptée à l'unanimité. Effectivement, comme vous, je trouve ce constat particulièrement décevant : on est capable de voter tous un texte précis, qui apporte des évolutions intéressantes, mais qu'on est aussi capable de se renier après. C'est d'ailleurs ce qu'on est en train de faire pour la clause de compétence générale depuis tout à l'heure. Ce qui prouve bien que l'on peut voter des décisions importantes et finalement revenir sur elles assez rapidement.

Je souhaite aborder en aparté un sujet que je vous reproche un peu : celui des deux fois quatre voies, quand vous étiez directeur de cabinet de Jean-Louis Borloo au ministère de l'écologie.

M. Jean-François Carenco . - C'est-à-dire ?

M. Éric Doligé . - Je veux parler de l'interdiction de construire des deux fois quatre voies sur les autoroutes, décision que l'on subit toujours. J'y pense parce que, à Orléans, on avait un bout de voirie à faire.

M. Jean-François Carenco . - Si cette décision a été prise pendant que j'étais directeur de cabinet, j'ai donc validé cette position et je l'assume.

M. Éric Doligé . - Pour en revenir au sujet de l'écotaxe, j'espère que nous parviendrons à sortir de cette situation de blocage, car on ne peut pas continuer comme ça. Monsieur Carenco, pensez-vous qu'il y ait une sortie possible ?

M. Jean-François Carenco . - D'abord, je voudrais publiquement, pour le procès-verbal, dire que je me suis mal exprimé en ce qui concerne les départements lorsque j'ai dit qu'ils n'avaient rien à faire. Ma phrase était peut-être elliptique, mais j'ai voulu dire qu'ils n'avaient rien à faire pour récupérer le produit de la taxe.

M. Éric Doligé . - Vous êtes absous !

M. Jean-François Carenco . - Vous me demandez s'il est possible de s'en sortir, s'il y a des solutions. Je ne suis pas un politique et j'essaie de ne pas faire de politique.

M. Jean-Pierre Sueur . - Vous êtes préfet de la République !

M. Jean-François Carenco . - Exactement, je vous ai d'ailleurs raconté mon arrivée en Haute-Savoie.

Premièrement, on a des infrastructures. Pour avoir été trois fois préfet de région, je peux décrire dans ces trois régions quelles sont les infrastructures nécessaires, qu'elles soient ferroviaires, aériennes dans certains cas, routières ou fluviales. Il est impensable que l'on arrive à tout financer par des impôts directs. À mon avis, ce n'est même pas la peine d'essayer.

Quelles sont les solutions ? Le premier, et je m'en félicite, j'avais proposé l'allongement d'un an des concessions : l'allongement « vert ». Il y a eu des débats très houleux avec les sociétés d'autoroutes.

J'avais lancé l'augmentation de la redevance, je m'y suis cassé les dents. En tout cas, le Gouvernement de l'époque n'a pas voulu me laisser aller au-delà, voire aller au contentieux. Nous avions également initié une petite augmentation de la taxe d'aménagement du territoire.

Ce gouvernement vient d'augmenter de deux ans la durée des concessions pour financer d'autres projets, surtout des petites sections adjacentes plutôt qu'un vrai travail de verdissement de l'itinéraire déjà concédé. Bruxelles ne nous laissera vraisemblablement pas aller au-delà.

Pour ma part, je défends depuis très longtemps, comme je l'ai fait pour les barrages, l'idée d'une remise en concession à nouveau pour cinquante ans des autoroutes en adossement multimodal. C'est-à-dire que celui qui prend l'autoroute A1 finance le canal Seine-Nord et que celui qui prend l'autoroute A7, au sud de Lyon, finance le contournement ferroviaire de Lyon.

Soit on remet en concession comme sur les barrages et là, le danger de cette affaire, c'est Bruxelles avec aussi sur l'appel à concurrence un risque d'entente. Soit, d'autorité, passe par la loi, mais il faut l'accord de Bruxelles. Soit on prolonge de cinquante ans et on impose aux concessionnaires de l'adossement multimodal. Je ne vois pas d'autres solutions.

Je ne crois pas une seconde que l'on renationalisera les autoroutes. Par conséquent, la seule alternative, c'est la prolongation des concessions, d'une manière ou d'une autre, ou la taxe transport, en l'appliquant différemment. Il faudra bien l'adapter et changer quelque chose faute de quoi on n'aura rien !

Je rappelle le caractère absolument indispensable des infrastructures à réaliser. On a dit : on va faire payer les régions. Elles n'ont pas d'argent non plus ! Il faut prendre l'argent de la manière la plus indolore possible, et il y a deux façons pour ce faire : soit la longueur, soit la largeur, c'est-à-dire le périmètre de la perception ou la longueur de la perception.

M. Éric Doligé . - L'allongement des concessions vient d'être plus ou moins accordé.

M. Jean-François Carenco . - Pour deux ans !

M. Éric Doligé . - Oui, mais il n'y a toujours pas de programme derrière ?

M. Jean-François Carenco . - Si, il y a de petits programmes comme l'A480 à Grenoble. Après, vous avez éventuellement des concessions nouvelles, comme l'autoroute du Chablais.

Le schéma de l'écotaxe transport est un schéma autoroutier payant
- pas par les mêmes et pas par tout le monde. Ce n'est pas une invention. De toute façon, on n'avait rien inventé à l'époque, mais on était content de le faire. On pensait qu'on travaillait bien pour le pays.

Vous dites avoir été septuplement meurtri ; moi, je dis que je suis durablement meurtri. Je le dis pour le procès-verbal, j'ose dire ce que je pense : j'ai du mal à admettre que, en Bretagne, des gens qui avaient donné leur accord se soient révoltés contre cela.

Je le dis comme je le pense, parce ce n'est pas bien. Je le répète, ils avaient donné leur accord.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Vous visez les élus ?

M. Jean-François Carenco . - Non, il n'y avait pas que les élus. Il y avait le même collectif - un président de ceci, un président de cela, etc. -, ils étaient tous là et, à la fin, ils ont donné leur accord. Et quand ils ont donné leur accord à moins 40 %, ils sont allés voir le Premier ministre qui a dit moins 50 %, et ils ont de nouveau donné leur accord. Et quand la taxe arrive enfin, ils disent non !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Je me demande si l'erreur n'a pas été de vouloir faire absolument cette refacturation forfaitaire. On n'avait pas s'en occuper, c'était un élément du prix. La refacturation, cela n'existe dans aucun autre pays. Les gens n'ont pas compris, par exemple, qu'on puisse être facturé sans être vraiment passé par le réseau taxable. La facturation forfaitaire, cela posait des problèmes.

M. Jean-François Carenco . - C'est possible.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - C'est nous qui avons légiféré, mais je pense que nous n'aurions pas dû, que nous aurions dû laisser cela en l'état. Les transporteurs auraient forcément refacturé au chargeur le coût de l'écotaxe.

M. Jean-François Carenco . - Vous entrez là dans le débat entre les petits transporteurs et les gros transporteurs, débat qui n'est pas traité en France...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , président . - C'est vrai !

M. Jean-François Carenco . - ... qui n'est pas clair. Toutes les mesures, je le répète, tendent à la concentration...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - C'est vrai !

M. Jean-François Carenco . - ... depuis des années, depuis que je connais le secteur.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Et les élus ont tout confondu : ils ont confondu l'écotaxe et la refacturation. Une grande partie d'entre eux n'ont rien compris. Je vous le dis !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Vous n'avez rien à ajouter sur le rôle particulier de M. Jean-Louis Borloo, sur sa patte personnelle dans cette affaire ?

M. Jean-François Carenco . - Elle a été faible. Une fois votée, c'est une affaire dont on rendait compte plus au cabinet du Premier ministre me semble-t-il qu'au ministre lui-même. C'était un mode de fonctionnement du ministère à l'époque. Et M. Bussereau, notamment, appuyait complètement la mesure quand j'y étais.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous allons l'auditionner, ainsi que Nathalie Kosciusko-Morizet.

M. Jean-François Carenco . - Ce n'étaient pas des choses dont on discutait tous les deux. Pourtant, je rappelle qu'à l'époque, les ministres n'avaient pas la signature.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - J'ai une dernière question : est-ce que vous trouvez que l'administration, d'une manière générale, est formée pour traiter ce type de PPP, a vraiment les capacités de le faire ?

M. Jean-François Carenco . - S'agissant des administrations des ministères, la réponse est non. C'est pour cette raison qu'il y a une mission à Bercy.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Vous parlez de la mission d'appui aux PPP (Mappp) ?

M. Jean-François Carenco . - Oui !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - La Mappp s'est d'ailleurs beaucoup trompée, parce que l'évaluation préalable s'est révélée très en deçà des chiffres réels. Malgré tout, je la défends.

M. Jean-Pierre Sueur . - Moi, je ne la défends pas !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Je ne m'en souvenais plus ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur . - L'évaluation préalable se déroule toujours à un moment où l'on ne dispose pas des moyens d'évaluer. C'est terrible ! Quand se présente une possibilité de PPP ou une possibilité de marché classique, au moment où vous faites l'évaluation préalable, vous ne savez pas qui serait candidat pour un PPP et à quelles conditions, qui serait candidat pour un marché classique et à quelles conditions. C'est pourquoi je trouve qu'il n'est pas très efficace de disposer d'une évaluation préalable. D'ailleurs, quand on lit cette prose, elle est parfois un peu creuse.

M. Jean-François Carenco . - En tout cas, les administrations ordinaires me paraissent mieux formées qu'auparavant - il y a moins de scandales, il n'y en a d'ailleurs quasiment plus, il y a éventuellement des erreurs. Il est vrai que la tendance est de dire : « La Mappp nous a dit qu'on pouvait y aller. »

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - La Mappp fait du lobbying ! Entre nous, je ne l'ai pas souvent entendue dire non dans les évaluations préalables.

M. Jean-François Carenco . - Tout à fait !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Ce sont cinq personnes. Quand on regarde bien, tous les projets dérapent, c'est-à-dire que les prix sont supérieurs aux évaluations préalables.

M. Éric Doligé . - Je ne suis pas d'accord. Vous avez peut-être des exemples, moi j'en ai d'autres.

M. Jean-François Carenco . - Au-delà des prix, la mode en France était au PPP.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - À l'étranger aussi.

M. Jean-François Carenco . - Je ne sais plus quand ça a commencé, il y a eu un pic. Peut-être que c'était...

M. Jean-Pierre Sueur . - En 2003 en 2004.

M. Éric Doligé . - Il y a dix ans !

M. Jean-François Carenco . - Voyez ce qu'on paye aujourd'hui avec les gendarmeries !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - C'est vrai ! Et avec les prisons !

M. Jean-François Carenco . - Sur cette affaire-là, je ne suis pas sûr qu'on sache le faire.

M. Jean-Pierre Sueur . - Monsieur le préfet, ce que vous dites est très important. D'ailleurs, le Conseil constitutionnel, dans sa sagesse, avait dit, dans la décision qu'il a rendue sur la première ordonnance relative aux PPP - décision qui a fait date -, que ceux-ci étaient utiles en cas de complexité ou d'urgence. Après, on a cherché à les généraliser dans certains domaines. Je crois que c'est un instrument utile - je ne dirai jamais que c'est inutile -, mais je ne suis pas sûr que sa généralisation soit une bonne chose.

M. Jean-François Carenco . - Dans l'administration, les PPP ont été très à la mode ces quatre dernières années, puis on est revenu à l'achat des véhicules. La location, c'est une sorte de PPP.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - C'est vrai.

À l'étranger, on a bien vu que, partout, les écotaxes ont fait l'objet de PPP.

M. Jean-François Carenco . - Encore une fois, personne n'a imaginé un instant qu'on le ferait en dehors d'un PPP.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Ça, c'est clair. Et quand on compare avec ce qui s'est passé à l'étranger, ce n'est pas plus cher.

M. Jean-François Carenco . - Nous, on se voyait déjà à 19 centimes, je vous le jure.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Le système aurait pu, un moment donné, concerner l'ensemble des véhicules, non pas seulement les camions.

M. Jean-François Carenco . - Voilà les souvenirs que j'en ai, ils sont assez précis. J'essaie de bien défendre mes ministres bien évidemment et d'assumer ce vers quoi j'ai poussé.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Merci beaucoup, monsieur le préfet.

Audition de M. Frédéric Cuvillier, ancien ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche (Mercredi 9 avril 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous auditionnons aujourd'hui M. Frédéric Cuvillier, qui a été ministre délégué chargé des transports des deux gouvernements Ayrault.

Monsieur le ministre, vous êtes entré en fonction après le choix du PPP et l'attribution du marché à Écomouv'. Vous avez eu néanmoins à gérer le contrat dans sa phase finale : les reports successifs et l'absence de mise à disposition du système, puis la décision de suspension de l'écotaxe.

Qui a décidé, et pour quels motifs, de ne pas accorder la mise à disposition ? Quel est votre regard sur la suspension actuelle, l'état des relations avec Écomouv' et son consortium bancaire et, enfin, les conséquences, notamment financières, de cette situation ? Quel rôle votre ministère a-t-il joué dans la décision de suspension ?

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête , M. Frédéric Cuvillier prête serment .

M. Frédéric Cuvillier, ancien ministre délégué chargé des transports . - Votre commission d'enquête porte sur les modalités du montage juridique et financier ainsi que l'environnement du contrat retenu pour l'écotaxe poids lourds. Or, vous avez eu la bonté de le rappeler, je suis entré en fonction en mai 2012, postérieurement à la signature du contrat. Très rapidement, on m'a informé qu'il en coûterait plusieurs centaines de millions d'euros à l'État de le dénoncer.

Ma mission consistait à mettre en oeuvre l'écotaxe poids lourds, votée dans la loi Grenelle de l'environnement. Son application avait été repoussée à plusieurs reprises. À mon arrivée au ministère, j'ai hérité du décret du 6 mai 2012, dont la date n'est rien moins qu'anodine, et qui était unanimement critiqué par la profession. De fait, le texte était insuffisamment protecteur pour un secteur fort de 40 000 entreprises et 400 000 salariés. Il me fallait donc proposer des modalités simples, sûres et solides ; je me souviens de nos débats constructifs au sein de votre assemblée.

L'inquiétude des professionnels était légitime : le décret du 6 mai 2012, outre qu'il était inapplicable, fragilisait l'économie de l'ensemble du secteur routier. Un travail de simplification était indispensable. L'écotaxe, faut-il le rappeler, a été votée par le Parlement à l'unanimité. Et la loi doit s'appliquer, pourvu qu'elle soit applicable... La solution consistait à s'assurer - ce fut fait par la loi du 23 avril 2013 - que le chargeur, et non le transporteur, paie. Le Conseil constitutionnel a validé ce texte. À compter de cette date, mon souci a été, par la publication de nombreux décrets et arrêtés, d'offrir un dispositif juridiquement sûr, faisant l'objet d'un suivi par des observatoires régionaux. Un dispositif évolutif, également, et souple, car il s'agissait d'une grande révolution en matière de transport et de fiscalité écologique. J'ai souligné ce point dans la lettre que j'ai alors adressée aux préfets : il fallait repérer les éventuelles scories et limites du système pour y remédier.

Ensuite, nous avons connu des reports successifs. Nous avons décidé le premier, du 20 juillet 2013 au 1 er octobre 2013, à la suite du rapport d'avancement d'Écomouv' qui laissait entrevoir les imperfections du système et, donc, l'impossibilité de le valider ; nous ne pouvions imposer aux professionnels un dispositif dont la fiabilité n'était pas assurée. À cette occasion, nous avons signalé à Écomouv' que les dispositions contractuelles relatives aux retards s'appliqueraient. Nous supprimions également l'expérimentation alsacienne pour ouvrir une phase nationale d'essai au mois de juillet. Dans ce cadre, la vérification d'aptitude au bon fonctionnement (VABF) a commencé en avril 2013 ; mon cabinet et moi-même avons suivi l'avancée des travaux et, surtout, l'enregistrement des professionnels. Une étape importante a été franchie le 19 juillet 2013 avec l'ouverture de l'enregistrement pour les redevables abonnés auprès des sociétés habilitées de télépéage. Dans le même temps, nous avons procédé à la publication de décrets, par exemple sur les droits et obligations des redevables et les modalités d'information des sociétés habilitées.

Ainsi la phase d'essai à l'échelon national, sur la base du volontariat et sans perception de la taxe, a-t-elle été lancée le 29 juillet 2013. Nous avons alors constaté que le dispositif n'était pas encore stabilisé. D'où notre décision d'un second report du 1 er octobre 2013 au 1 er janvier 2014, pour préserver la crédibilité de l'écotaxe.

Le 5 septembre 2013, le Gouvernement a donc été contraint de reporter l'entrée en vigueur de la taxe poids lourds au 1 er janvier 2014, là encore pour sécuriser la démarche. L'arrêté a été publié le 5 octobre. Durant cette période, nous avons accéléré le processus d'enregistrement des poids lourds. Le 15 octobre a débuté l'enregistrement des véhicules non abonnés directement auprès d'Écomouv' ; depuis, l'ensemble des professionnels dispose de la possibilité de s'enregistrer soit auprès d'une société habilitée de télépéage soit auprès d'Écomouv'.

La décision de suspension a été prise dans une situation particulièrement agitée. Le 29 octobre, des mouvements d'incompréhension, d'inquiétude, se sont exprimés en Bretagne. Le Parlement a été saisi.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Qui a pris la décision de suspendre l'écotaxe ?

M. Frédéric Cuvillier . - Le Premier ministre ; nous avons compris et accompagné sa décision. D'autant que les députés ont lancé une mission d'information sur l'écotaxe, présidée par M. Chanteguet, le Sénat décidant quant à lui de se pencher sur le cadre contractuel.

Suspension ou application de l'écotaxe, il nous fallait rester attentifs à la vie du contrat. En effet, celui-ci existe et demeure opposable. La procédure de vérification complémentaire devait être menée. Ce fut le cas le 22 novembre 2013. Mes services ont indiqué à Écomouv' que les défauts majeurs identifiés avaient pu être corrigés ; mais ils constataient l'absence de l'homologation des chaînes de collecte des données et de contrôle, qui était pourtant prévue par le contrat. La décision d'homologation ayant été prise dans les premiers jours de janvier, la validation de l'aptitude au bon fonctionnement (VABF) est intervenue les jours suivants. La vérification de service régulier (VSR) a pris la forme d'un rapport rendu à l'État le 20 janvier 2014, que nous avions deux mois pour étudier attentivement. Le ministère et le consortium ont à ce moment-là engagé des discussions pour tirer toutes les conséquences de la suspension de l'écotaxe, qui ouvre une période nouvelle, non inscrite dans le contrat initial. Nous avons souhaité la signature d'un accord actant le préjudice subi par l'État du fait des reports successifs, reconnaissant la conformité du dispositif par rapport aux prescriptions du contrat et comportant une suspension des obligations de paiements par l'État.

Voilà les initiatives que nous avons prises avec la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) et les ministères concernés pour préparer l'entrée en vigueur et, lorsque la taxe a été suspendue, pour revoir les relations contractuelles avec Écomouv'.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Même si vous n'étiez pas ministre à cette époque, vous avez certainement eu connaissance de l'étude préalable relative à l'écotaxe. Il apparaît que les délais avaient été largement sous-estimés, de même que les coûts, initialement évalués entre 250 et 300 millions d'euros. A qui doit-on imputer ces dérapages ? Aux exigences renforcées de l'État en matière de contrôle et de perfection de l'outil technique ? À Écomouv' qui aurait sous-évalué le temps nécessaire à la mise au point de l'outil technique et au déploiement des interfaces ? Ou à une combinaison des deux ? Peut-être ne pourrez-vous pas répondre directement à la question dans le cadre de cette audition publique, mais pensez-vous qu'Écomouv' a plus ou moins volontairement réduit les délais nécessaires pour satisfaire le cahier des charges de l'État ? Bref, disposez-vous d'éléments vous autorisant à penser que la sincérité n'a pas été au rendez-vous ?

M. Frédéric Cuvillier . - Peu de réponses, je le crains, à ces nombreuses questions. Et ce, pour une raison simple : la date à laquelle j'ai pris mes responsabilités de ministre délégué. Ma préoccupation était de garantir la solidité des relations contractuelles entre l'État et Écomouv'. Confronté dans de nombreux programmes, notamment d'infrastructures, au recours aux partenariats public-privé (PPP), je voulais m'assurer que cette procédure garantissait les intérêts de l'État. J'ai constaté que la mission d'appui aux partenariats public privé (Mappp) avait, en son temps, rendu un avis favorable.

Le dépassement des délais s'explique par le caractère très novateur d'un dispositif qui, encore une fois, avait été lancé par d'autres. Peu importe, la responsabilité me revenait d'honorer la parole de l'État puisque la mission d'appui n'avait relevé aucune anomalie. L'écotaxe a beau avoir été suspendue, la prise de conscience est là : il faut un autre mode de financement des nouvelles infrastructures de transport. Les utilisateurs, y compris étrangers, doivent y contribuer.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - C'est une question de directives européennes, on peut le dire !

M. Frédéric Cuvillier . - Tout à fait ! Les États membres sont en train de mettre en oeuvre l'écotaxe sous des formes différentes. L'acceptabilité, c'est peut-être là que le bât a blessé. J'ai souvenir d'avoir vu ériger des portiques alors même que les élus locaux et la population ignoraient tout de leur utilité finale. Manifestement, il y a eu un défaut d'explication, de pédagogie autour de l'écotaxe.

Le dispositif est complexe, la Mappp l'a souligné. D'où le recours au PPP. La complexité peut expliquer l'évolution des coûts, d'autant que le consortium n'avait aucune expérience en ce domaine.

Une offre insincère ? Rien ne me permet d'en juger. À Écomouv' de répondre à cette question. Quoi qu'il en soit, Écomouv' n'avait pas intérêt à multiplier les reports, le contrat prévoyant des pénalités.

Des exigences supplémentaires ou excessives de la part de l'État ? Non, nous avons été simplement rigoureux sur la vérification afin que la crédibilité du dispositif et des factures reçues par les routiers ne puisse être questionnée dans les médias.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - C'est tout à fait respectable : l'État ne peut évidemment pas se permettre de facturer à tort et à travers. Cependant, exiger un taux gigantesque de recouvrement de 99,9 %, n'était-ce pas trop ?

Écomouv' affirme avoir appris la décision de suspension par les médias... De votre côté, avez-vous eu le sentiment d'être tenu à l'écart des informations par le consortium ?

M. Frédéric Cuvillier . - Je questionnais la DGITM sur l'évolution du dossier, en particulier sur la progression de l'enregistrement des professionnels, car beaucoup de retard avait été pris. L'essentiel, à mes yeux, était que la taxe n'entre pas en vigueur au 1 er janvier 2014 sans que les professionnels aient été bien préparés. Je pense notamment aux transporteurs étrangers : j'ai écrit à mes homologues européens pour qu'ils informent leurs ressortissants dans le secteur visé. La publicité autour de l'écotaxe aurait pu être beaucoup plus précoce. Nous avons vu aussi ce qui se passait dans les régions ; les portiques n'y résistaient pas... Des échanges ont eu lieu bien sûr à ce sujet avec notre partenaire.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - À cause des reports successifs, dont les premiers sont le fait d'Écomouv', l'écotaxe allait entrer en vigueur et fonctionner en réel du jour au lendemain. Ce n'est pas ce qui était prévu : l'État avait voulu une expérimentation alsacienne et une phase d'essai sans perception de la taxe. Cela a certainement pesé dans le déclenchement des incendies de portiques. Question corollaire, dans vos discussions avec les camionneurs, avez-vous senti des points de blocage ? Qu'est-ce qui a déclenché la fronde contre l'écotaxe ?

M. Frédéric Cuvillier . - L'État n'a pas formulé d'exigences supplémentaires, je le répète ; il a entendu appliquer le contrat signé. La survenue d'erreurs majeures était perturbante. D'où la décision de report de juillet à octobre : nous ne pouvions pas laisser planer le doute en l'absence de garanties d'Écomouv'.

Les professionnels, dans leur grande majorité, ont abordé la discussion de manière constructive après l'annulation du décret du 6 mai 2012. Leurs inquiétudes étaient justifiées ; je le savais, ayant eu un père routier à son compte. Ils ont compris notre volonté de ne pas pénaliser leur activité économique. Ensuite seulement, cela s'est délité ; des messages fort éloignés de la réalité ont été lancés par des personnes qui, souvent, n'étaient même pas soumises à l'écotaxe. Et la question s'est fondue dans un mouvement général de protestation : l'écotaxe arrivait au mauvais moment. Loin de moi l'idée d'affirmer que le dispositif était parfait ; j'avais du reste demandé aux observatoires régionaux de dresser la liste des difficultés. Nous aurions pu, au fil du temps, procéder aux ajustements nécessaires, mais cela n'a pas été entendu.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Concrètement, le retard qu'a pris Écomouv' est de l'ordre de six mois, neuf mois ?

M. Frédéric Cuvillier . - Je pense que lorsque nous avons décidé un nouveau report le 20 octobre, il était clair que la solidité de l'écotaxe allait poser problème.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Écomouv' n'était pas prête en juillet, l'était-elle en octobre ?

M. Frédéric Cuvillier . - Non plus, il restait des imperfections. Mais je vous parle d'acceptabilité...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Ils ont été prêts plutôt fin novembre, les défauts majeurs étaient alors à peu près corrigés ?

M. Frédéric Cuvillier . - Oui.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Ce qui compte pour nous, c'est de savoir si la mise à disposition va ou non intervenir, car les coûts ne seront pas les mêmes. La question fait-elle partie de vos discussions ? D'après Capgemini, conseil de l'État, un retard de six mois pour un projet aussi complexe n'a rien d'étonnant. Je le répète, l'application du contrat n'est pas identique selon que la mise à disposition est acquise ou non... Pardonnez-moi d'insister là-dessus, mais la question n'est pas neutre pour les finances de l'État.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - L'État devait se prononcer sur la mise à disposition le 20 mars, il ne l'a pas fait. Cela est-il dû à des éléments techniques non élucidés ou cela représente-t-il pour vous un levier de négociation ? Écomouv', contrairement à ce qu'elle avait déclaré, a fini par accepter de négocier sans cette garantie...

M. Frédéric Cuvillier . - Il m'est difficile de vous répondre, moi-même me trouvant, comme ministre, dans une situation de suspension... Au 20 janvier, le retard était de six mois, durant lesquels les anomalies ont été progressivement résorbées. Durant cette période, je demandais une marche à blanc, or celle-ci s'est traduite par des « flops ». À partir du 20 janvier, nous avions deux mois pour vérifier l'ensemble des données d'Écomouv'. Depuis le 20 mars, nous nous trouvons dans une phase de discussion sur un protocole d'accord ; elles ne sont pas achevées car nous ne pouvons pas brader les intérêts de l'État. D'autant que le contrat prévoit des pénalités en cas de retards dus à des anomalies du système.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Soit, mais nous sommes maintenant dans le cadre de la suspension... Et les banques, alors ?

M. Frédéric Cuvillier . - Pour le retard dans la mise à disposition, qui relève de la responsabilité d'Écomouv', l'État ne doit pas être tenu de payer, il faut le prévoir par un avenant au contrat. La suspension est un autre problème ; notre responsabilité est de faire en sorte qu'Écomouv' ne soit pas pénalisée en raison de la suspension. Le protocole vise à assurer la solidité des relations entre l'État et le co-contractant.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Les banques vous ont laissé jusqu'au 15 avril, est-ce bien cela ?

M. Frédéric Cuvillier . - Plutôt le 31 mars lorsque j'ai quitté le ministère, mais elles ont sans doute accepté un délai supplémentaire.

M. Vincent Capo-Canellas . - Merci, monsieur le ministre, de venir nous apporter ces explications dans la situation suspendue qui est la vôtre... Finalement, si je comprends bien, vous n'avez reçu aucune alerte technique ou juridique sur le choix d'Écomouv' lors de votre arrivée au ministère. L'enchaînement des reports s'explique-t-il par un problème de conception de l'appel d'offres ou par les seules difficultés techniques d'Écomouv' ? Quel est votre point de vue sur la suspension actuelle : est-elle entièrement imputable à l'État ou Écomouv' a-t-elle sa part de responsabilité ?

M. Roland Ries . - Je suis très heureux d'assister à ces travaux que j'aurais aimé suivre avec plus d'assiduité, madame la présidente ; les élections municipales m'en ont empêché. Ce sujet me passionne. L'enjeu me paraît moins de déterminer des responsabilités - une procédure judiciaire est en cours - que d'examiner comment nous pouvons sortir de l'impasse. Je suis un partisan convaincu de l'écotaxe, qui faisait d'ailleurs l'objet d'un large consensus entre la gauche et la droite.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - C'est toujours le cas !

M. Roland Ries . - Globalement... Comme souvent dans ce pays, nous avons tergiversé, perdu du temps. Le cahier des charges était difficile à mettre en oeuvre. Résultat, la première version du dispositif a suscité un tollé ; la deuxième a rencontré des difficultés techniques en raison d'un perfectionnisme excessif.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Pour sûr !

M. Roland Ries . - Nous aurions mieux fait d'accepter un taux de fraude de l'ordre de 3 à 5 % plutôt que de monter une usine à gaz coûteuse en visant un recouvrement de 100 %.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Effectivement, l'Allemagne et la Slovaquie ont fait un autre choix que nous.

M. Roland Ries . - Mais il ne sert à rien de se complaire dans l'irréel du passé, pour reprendre un terme de grammaire latine. La ministre nouvellement nommée demande du temps, une remise à plat. Soit, mais à condition de ne pas repartir de zéro et que le délai de réflexion reste acceptable : deux mois, oui ; un an, non. La sortie de crise passe par une perspective régionale. Voyez l'Alsace, elle est demandeuse, et prête, depuis 2005.

M. Francis Grignon . - Oui !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Les représentants des douanes nous ont indiqué que toute modification dans le système actuel exigerait de revoir tout l'édifice juridique, soit six mois de travail au minimum. Mais n'empiétons pas sur le champ d'investigation des députés ; notre commission d'enquête porte sur les conditions contractuelles.

M. Roland Ries . - Hors-sujet ou pas, je suis hostile au PPP, il fut une erreur...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous y reviendrons dans le rapport...

M. Roland Ries . - Le dire ne fait pas avancer le dossier. Esquisser la sortie de crise, voilà l'intérêt de nos travaux.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous devons rendre notre rapport le 27 mai, je ne doute pas que nous y parviendrons. Si nous ne disposons pas alors de tous les éléments, rien ne nous empêchera de créer une autre commission d'enquête, car les conséquences pour les finances publiques sont considérables. En attendant, nous avons besoin de savoir s'il y aura un protocole d'accord car les sommes à verser le 15 avril sont colossales.

M. Ronan Dantec . - Question essentielle à laquelle vous ne pourrez peut-être pas répondre librement : avec le recul politique, la délégation complète de la mise en oeuvre de l'écotaxe au moyen d'un PPP vous paraît-elle une bonne idée ? L'administration avait-elle la capacité de suivre complètement le processus ? Avec un autre montage, l'État n'aurait-il pas été mieux armé et l'acceptabilité politique n'aurait-elle pas été meilleure ?

M. Frédéric Cuvillier . - Lors de mon arrivée au ministère, je n'ai pas été alerté sur d'éventuelles difficultés techniques. Je ne l'ai été que plusieurs mois plus tard. Je n'étais pas initialement sensibilisé au risque de remise en cause du choix d'Écomouv' ni à des irrégularités. Il me fallait mettre en place un dispositif pensé par d'autres, attribué à une entreprise privée par un contrat auquel on ne pouvait toucher. Nous devions honorer la signature de l'État au nom du principe de continuité, et mettre en oeuvre le système le plus efficacement possible.

Le décret du 6 mai a été un point de fixation, à juste titre. J'ai voulu tout de suite le modifier, car le dispositif qu'il traçait était beaucoup trop sophistiqué - contrôle par client, palette par palette ! - et il allait plonger les professionnels dans des difficultés administratives et comptables sans fin. À force de rechercher un rendement maximal, on a abouti à un système incroyablement compliqué, qui ne souffrait aucune exonération. Plus de souplesse aurait sans doute permis une meilleure acceptabilité.

On aurait effectivement pu confier les contrôles aux douanes. Ce n'a pas été le choix de mon prédécesseur, il n'y avait pas à y revenir. Certes, les professionnels ont très tôt vu les difficultés d'application du système et les ont dénoncées ; certes, le contrat a suscité des polémiques au sein même du précédent gouvernement. Mais la justice était passée et je n'avais pas de jugement d'opportunité à avoir sur ces questions.

Mme Royal a parlé d'une remise à plat de l'écotaxe, ce qui a du sens. Je souligne que les députés eux-mêmes ont engagé le mouvement avec une mission d'information qui étudie divers scénarios de sortie par le haut. Repartons des fondamentaux : à quoi sert cette écotaxe ? Ce n'est pas un impôt mais une redevance, justifiée : plutôt que faire payer les nouvelles infrastructures par les seuls contribuables, il est légitime de demander une contribution aux utilisateurs.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Je vous confirme que les élus locaux sont sensibilisés à cette question : les préfets ont annoncé que sans recettes de l'écotaxe, les contrats de plan État-région ne seront pas financés.

M. Frédéric Cuvillier . - C'est vrai. Le Gouvernement n'a jamais voulu faire payer l'écotaxe aux transporteurs routiers : il considérait que la contribution à la modernisation des infrastructures de transport était un élément du prix de transport demandé aux chargeurs.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous auditionnerons Mme Royal le 29 avril. Quoi qu'il arrive, le contrat doit être géré. Merci pour votre témoignage.

Audition de M. Jean-Paul Faugère, conseiller d'État, directeur de cabinet du Premier ministre du 25 mai 2007 au 10 mai 2012 (Mercredi 9 avril 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous auditionnons à présent M. Jean-Paul Faugère qui a été le directeur de cabinet de M. François Fillon, Premier ministre, entre mai 2007 et mai 2012. Nous souhaitons comprendre quel a été le processus décisionnel qui a conduit à la mise en place de l'écotaxe poids lourds et comment ce projet a été piloté.

Nous avons auditionné hier M. Jean-François Carenco, qui était le directeur de cabinet de M. Jean-Louis Borloo et qui nous a indiqué avoir rendu compte à votre cabinet tout au long de la période. Quel a été le rôle du Premier ministre ? Comment s'est faite la répartition des compétences avec les ministères de l'écologie et du budget ? La question de l'inclusion du recouvrement de l'écotaxe dans le périmètre du contrat de partenariat a-t-elle fait l'objet de réflexions particulières au sein du Gouvernement ?

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Paul Faugère prête serment.

M. Jean-Paul Faugère, conseiller d'État, ancien directeur de cabinet du Premier ministre . - Je vais vous présenter les souvenirs personnels que j'ai de ce dossier, même si je ne suis pas le plus compétent pour répondre à vos questions. Car de ce dossier très technique, je n'ai vu que les grandes lignes - à Matignon, il était sur le fond suivi par le conseiller en charge du développement durable et par celui en charge du budget. Je me réfèrerai plus à mes impressions personnelles qu'à des données formelles et administratives.

Avant mon arrivée à Matignon, j'ai été préfet de la région Alsace de 2005 à 2007. À l'époque commençait à s'appliquer la LKW-Maut en Allemagne : je me souviens des réactions des Alsaciens, quand ils ont, du jour au lendemain, vu défiler les camions étrangers sur les autoroutes alsaciennes - gratuites. Celles-ci étaient déjà saturées. Les problèmes se sont accumulés, de sécurité routière, de qualité de l'air - d'autant que l'autoroute A35 traverse presque Strasbourg - ainsi que de nuisances sonores et de dégradation des chaussées.

Les élus alsaciens ont très vite voulu une fiscalité dédiée. Comme préfet, j'ai dû expliquer qu'il était très difficile de ne taxer que les étrangers... Les autorités européennes y auraient vu une provocation ! Les élus locaux prétendaient en outre au produit intégral de la taxe pour leurs collectivités. Là encore, j'ai dû tempérer les enthousiasmes. Quoi qu'il en soit, fin 2005, un amendement a été présenté par les parlementaires alsaciens et voté.

Durant toute l'année 2006, l'administration n'a rien fait car elle ne savait comment s'y prendre pour mettre en oeuvre cette initiative parlementaire qu'elle n'avait pas anticipée : plus elle creusait le sujet, moins elle était à même de répondre. Avec le nouveau quinquennat, le Grenelle a été lancé et le ministère en charge du développement durable a repris l'idée d'une fiscalité écologique - qui comporte fondamentalement une ambiguïté entre l'objectif de rendement et celui d'évolution des comportements.

À l'issue du Grenelle, trois mesures concrètes ont été prises : le bonus-malus automobile, que le ministère aurait voulu étendre à d'autres biens de consommation ; la contribution climat-énergie, à savoir la taxe carbone qui a eu le devenir que l'on sait ; enfin, l'écotaxe poids lourds. Il y avait donc une logique politique, confortée par les conclusions du Grenelle. À quoi s'ajoutait l'impasse budgétaire concernant le financement des infrastructures : cette taxe offrait une solution merveilleuse !

La réflexion sur les modalités, marché classique ou partenariat public-privé (PPP), a été rapide : l'administration, perplexe face à l'ampleur et la complexité du projet, ne se sentait pas à même de le mener à bien dans un délai suffisamment court pour alimenter le budget de l'agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), gravement déficitaire.

Compte tenu de l'avis favorable du Conseil d'État sur la possibilité d'externaliser la perception et la mise en oeuvre de l'écotaxe, la décision a été assez rapide : la mission d'appui aux (Mappp) a souligné que la complexité du projet, l'incertitude sur les choix technologiques, l'ampleur du système informatique, justifiaient naturellement un PPP. Une contrainte juridique a également pesé : compte tenu des directives européennes qui interdisent toute entrave à la libre circulation des marchandises, le système utilisé par les poids lourds devait être interopérable. Enfin, la procédure de PPP comporte une phase de dialogue compétitif, grâce auquel l'administration pourrait comprendre les technologies proposées et décider en toute connaissance de cause. Les expériences des autres pays démontraient la complexité d'une telle écotaxe : son installation en l'Allemagne et l'Autriche avait été laborieuse.

Au-delà des aspects techniques, l'administration ne disposait pas d'un budget d'investissement suffisant ; les PPP ont un coût, mais la charge est étalée dans le temps. En outre, l'administration n'avait pas les moyens humains pour mener à bien un tel projet, ni pour en assurer la maintenance.

Malheureusement, il y eut bien des avatars dans la gestion de ce dossier. D'abord, il s'agissait bien d'un impôt et non d'une redevance puisque les sommes perçues n'étaient pas affectées au réseau autoroutier visé. La loi devait être extrêmement précise, nous avons dû y revenir à plusieurs reprises. Et il y a eu le problème breton : certains des élus de la majorité d'alors se sont montrés particulièrement présents, des négociations à répétition ont eu lieu avec eux et nous avons dû procéder à deux ajustements pour arriver à un compromis, à 40 % puis 50 %. Il fallait leur faire comprendre qu'une exonération totale était impensable sauf à méconnaître le principe d'égalité devant l'impôt. En outre, la variation devait s'inscrire dans les limites autorisées par le droit communautaire au titre des régions périphériques.

Enfin, nous avons dû traiter de la répercussion du coût en pied de facture : on ne pouvait imposer à des transporteurs ayant déjà signé des contrats de supporter un coût supplémentaire. Il a fallu recourir à des dispositions législatives. Puis nous avons dû faire face à un contentieux : le tribunal administratif s'est prononcé en notre défaveur, mais sa position a été infirmée par le Conseil d'État.

Quel a été le rôle de Matignon ? Je n'ai pas suivi ce dossier au jour le jour mais des réunions interministérielles ont régulièrement eu lieu à Matignon sous la présidence des conseillers au développement durable et au budget. Il s'agissait de suivre la mise en oeuvre d'une décision politique actée dans le cadre du Grenelle, vérifier que la procédure se déroulait normalement, sans faille juridique - c'était une obsession alors. Une rumeur s'est répandue quand Médiapart s'est interrogé sur d'éventuelles influences lors du choix du co-contractant. Le Premier ministre a reçu une lettre de la Sanef l'alertant sur le déroulement de la procédure. Matignon n'était pas en charge de l'attribution du contrat, mais le doute véhiculé par ces rumeurs était une musique désagréable aux oreilles du Premier ministre. Pour y mettre un terme, j'ai reçu les représentants de la Sanef pour entendre ce qu'ils avaient à dire : ils m'ont seulement présenté un plaidoyer classique en faveur de leur dossier et ont fait valoir une sorte de préférence nationale. Je les ai renvoyés vers le ministre qui était leur interlocuteur naturel.

Je me suis ensuite assuré que la procédure avait été strictement respectée - à ma demande, le secrétariat général du Gouvernement a présenté son appréciation juridique. J'avais le sentiment que ce dossier avait trop traîné, j'ai demandé des résultats rapides aux cabinets des ministres concernés. Notre plan de financement pour l'Afitf incluait une recette d'écotaxe à partir de 2011 ou 2012. Cette recette allait manifestement manquer, ce n'était pas satisfaisant...

La question du coût a été régulièrement évoquée. La formule du PPP est nominalement coûteuse, le partenaire privé prélevant sa marge bénéficiaire. Dans le cadre juridique choisi, aurait-on pu faire mieux ? La comparaison avec les autres offres et les autres pays m'a démontré qu'il n'en était rien. Soit dit en passant, la comparaison avec l'Allemagne doit prendre en compte les différences de système entre nos deux pays : le tarif au kilomètre n'est pas le même ; le système français est interopérable ; l'amortissement des coûts fixes en Allemagne porte sur une masse bien plus importante ; et tandis nous taxons des nationales, des départementales et quelques autoroutes gratuites, l'écotaxe allemande touche l'ensemble des autoroutes.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Certes, le projet était techniquement complexe et l'état des finances publiques délicat. Un PPP était sans doute une bonne solution, mais fallait-il y inclure le recouvrement et le contrôle ? Cela n'avait jamais été fait ! Les exigences ne sont-elles pas cause de la complexité du système, donc des retards et des incompréhensions qui finalement ont explosé en émeutes ? Y a-t-il eu dérive des exigences, notamment de la part des douanes ?

M. Jean-Paul Faugère . - Ces questions ne sont pas remontées jusqu'à moi. À titre personnel, je pense qu'il n'est pas illogique que l'État ait souhaité déléguer la totalité du projet, car tous les aspects sont imbriqués. La révolte contre l'écotaxe est-elle liée à ces retards ? Je ne le crois pas. Une forme d'hésitation a permis aux mécontentements de se coaguler. Je ne sais si Écomouv' a alerté la puissance publique - ses responsables ne sont pas venus à Matignon. Le contrôle demandé par les douanes excédait-il le raisonnable ? Je ne le sais pas. En revanche, il est clair que les douanes n'ont pas voulu porter ce projet et préféraient une délégation.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - L'écotaxe n'est-elle pas devenue une taxe douanière ?

M. Jean-Paul Faugère . - On peut l'analyser ainsi !

Mme Virginie Klès , rapporteur . - En Allemagne, le taux de recouvrement demandé est de 99 %. En France, de 99,75 % : la différence est considérable, d'autant qu'il était exigé que la détection à tort ne dépasse pas un pour un million ! Les douanes ont voulu un impôt à 100 % de perception et à 0 % d'erreur, mais à quel coût !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Peut-être ne s'est-on guère posé la question du coût dans la mesure où l'écotaxe allait rapporter de l'argent. Souvent un PPP se conclut par une subvention publique d'équilibre : ici, le système devait rapporter un milliard. Cela change le point de vue...

M. Jean-Paul Faugère . - Le ministre compétent avait fixé, d'entrée de jeu, un objectif de un milliard d'euros de recettes. Du reste, le taux au kilomètre a été abaissé pour parvenir à ce montant. Dire que le coût n'a pas été pris en considération est excessif : il était un des éléments d'appréciation pour l'attribution du contrat.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Peut-être a-t-on jugé qu'Écomouv', société qui inclut des entreprises françaises, gagnerait une vitrine technologique précieuse si elle parvenait à mettre au point un système parfait, exportable ?

M. Jean-Paul Faugère . - Je ne sais ce qui se passe dans le cerveau des hauts responsables des douanes ou de Thales...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Pourquoi avoir publié un décret le 6 mai 2012 ?

M. Jean-Paul Faugère . - C'était bien tard. Tous les gouvernements ont connu de ces périodes un peu équivoques. En tant que fonctionnaire, je regrette que les choses se soient passées ainsi mais souvent, un ministre sur le départ souhaite rendre ce service à l'État et à son successeur, en endossant une responsabilité au lieu de la laisser au suivant. Le dossier était bouclé à la fin du quinquennat.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Il était très intéressant d'être revenu sur ces différentes étapes. Je vous remercie d'avoir confirmé le souci de percevoir un milliard d'euros : ce montant était donc une cause, non une conséquence.

M. Éric Doligé . - Pour une fois, il n'y a pas eu d'attaque contre les PPP : je n'ai donc pas besoin de les défendre. Je vous remercie pour cet exposé très clair sur tous les points abordés.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Pourriez-vous revenir sur le rôle de la Mappp ?

M. Vincent Capo-Canellas . - En portant un regard critique sur l'écotaxe, quelle leçon tireriez-vous de sa mise en oeuvre ? Aurait-on pu mieux défendre l'intérêt général ? Emprunter d'autres chemins ?

M. Jean-Paul Faugère . - La première question me place en léger porte-à-faux. Tout le monde a suivi une courbe d'expérience ! Nous n'avions jamais connu d'affaire d'une telle nature auparavant. La Mappp s'est perfectionnée petit à petit. Aujourd'hui, elle réagirait sans doute différemment, mais je ne jetterai pas la pierre à ses membres, qui sont des personnalités très estimables.

J'ai regretté pour ma part que l'on ne passe pas par l'étape de la taxe expérimentale en Alsace, mais je ne l'ai pas défendue outre-mesure car je n'étais pas le représentant de l'Alsace au cabinet du Premier ministre... Le Gouvernement avait choisi un dispositif national et en faisait un objectif politique. En pratique, cependant, je crois que ce fut une erreur de ne pas débuter la mise en oeuvre dans une région qui attendait la taxe avec impatience.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Merci pour votre témoignage.

Audition conjointe de MM. Jean-Claude Plâ, président, Denis Baudouin, membre et prochain président, et Jean-Christophe Gavend, membre, groupement de transporteurs Astre (Mardi 15 avril 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous entendons, à leur demande, MM. Jean-Claude Plâ, président, Denis Baudoin, membre et prochain président, ainsi que Jean-Christophe Gavend, membre du Groupement de transporteurs Astre qui se revendique comme le premier groupement européen des professionnels du transport et de la logistique.

Nous vous rappelons que notre commission d'enquête a été créée pour s'intéresser aux modalités du montage juridique et financier et l'environnement du contrat retenu pour la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds. Nous ne sommes pas là pour réfléchir aux évolutions de l'écotaxe poids lourds.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Jean-Claude Plâ, Denis Baudoin et Christophe Gavend prêtent serment.

M. Jean-Claude Plâ, président d'Astre . - Nous nous exprimons en tant que transporteurs et représentants d'un nombre important d'entreprises de transport. La création de l'écotaxe a suscité, dès mars 2012, la mobilisation de la profession à l'encontre des modalités retenues pour sa mise en oeuvre. Astre, dans sa démarche, est soutenu par un grand nombre de groupements, comme Evolutrans, France-Plateaux, France-Bennes avec lesquels nous avons créé une alliance afin de relayer nos inquiétudes auprès des instances professionnelles et au-delà.

Plus précisément, quatre éléments de ce dossier de la mise en oeuvre de l'écotaxe nous inquiètent.

En premier lieu, la présence de l'opérateur routier Geodis, issu de la SNCF, aux côtés de la société Autostrade dans la société Écomouv' chargée par l'État de la mise en oeuvre et de la collecte de l'écotaxe poids lourds.

Ensuite, le rôle conféré aux transporteurs de percevoir la taxe pour le compte de l'État.

En troisième lieu, les modalités de la facturation, qui s'effectue par petits tronçons de cinq kilomètres, et sa complexité, qui rend difficile sa vérification, nous paraissent susciter un problème d'équité.

Enfin, alors que le secteur routier connaît de réelles difficultés depuis de nombreuses années, la répercussion de la hausse des coûts sur les clients et les chargeurs, qui n'étaient pas informés au départ de la répercussion de l'écotaxe dans la facturation, s'avère malaisée faute du consentement des intéressés.

Alors que la profession peine, en moyenne, à atteindre un résultat net de l'ordre de 0,5 %, l'introduction d'une nouvelle taxe de l'ordre de 5 % du chiffre d'affaires n'est pas de nature à améliorer les choses ! Si la suspension de l'écotaxe nous permet de respirer, sa remise à plat nous laisse entrevoir une meilleure prise en compte des intérêts de notre profession !

M. Denis Baudoin, membre de l'Astre . - Nous sommes contre le principe que les transporteurs deviennent des collecteurs d'impôt, alors que les chargeurs devraient supporter cette taxe en direct puisque sa finalité était de soutenir le report modal. En théorie, le processus instauré par l'écotaxe est transparent : il s'agit de collecter d'un côté et de restituer à l'État de l'autre. En réalité, ce processus est totalement différent puisqu'on aurait dû être facturé par les portiques, si l'écotaxe n'avait pas été suspendue, et nous aurions dû proposer à nos clients et aux chargeurs des pieds de facture de l'ordre de 5 % au risque d'essuyer leur refus. D'ailleurs, on devrait assister logiquement au report du coût de l'écotaxe vers d'autres éléments de la facturation, comme les prix de transport : celui-ci sera indolore pour les chargeurs et les clients tandis qu'il sera pleinement supporté par les transporteurs qui verront ainsi leur rentabilité grevée !

M. Jean-Christophe Gavend, membre de l'Astre . - J'ajouterai simplement qu'au niveau européen, nous ne sommes pas équitables puisque les caboteurs européens empruntent essentiellement des autoroutes et ne sont donc pas assujettis dans les mêmes proportions à l'écotaxe ! Avec leurs charges qui sont moindres, ces caboteurs voient leur compétitivité accrue par l'écotaxe qui est peut-être la taxe de trop pour notre profession !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Le fait que les transporteurs étrangers empruntent nos routes et provoquent leur usure, sans contrepartie aucune, ne vous choquait pas ?

M. Jean-Christophe Gavend . - Mon propos concernait les autoroutes.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - L'écotaxe a été instaurée pour tous les camions, et en particulier les camions étrangers sur des grandes distances. Vous avez parlé de la collecte de l'impôt. Je trouve que les débats sur l'écotaxe ne distinguent pas assez entre le dispositif lui-même et ses répercussions. On aurait très bien pu s'en tenir au seul dispositif tout en laissant de côté ces dernières et se contenter d'un ajustement indifférencié par les prix. Est-ce une bonne chose que le législateur, soucieux d'examiner les répercussions de ce dispositif, se soit emparé de cette question de la contrepartie ? Je n'en suis vraiment pas persuadée. Le décret du 6 mai 2014 n'a pas été une réussite et la question de la forfaitisation permettait de résoudre les difficultés de la facturation, mais elle s'est révélée, dans certains cas, inefficace !

Nous sommes quelque peu hors sujet par rapport à notre préoccupation d'analyser la passation du contrat et ses conséquences en termes de finances publiques.

La mission d'information sur l'écotaxe poids lourds de nos collègues de l'Assemblée nationale me paraît plus à même d'entendre votre témoignage sur les effets néfastes de la mise en oeuvre de cette taxe qu'elle évalue pour proposer d'éventuelles améliorations.

M. Jean-Claude Plâ . - Si la profession n'est pas forcément contre l'idée d'une participation financière, la méthode retenue pour la mise en oeuvre de l'écotaxe pose en revanche problème ! L'assiette retenue s'avère trop étroite et les transporteurs étrangers y échappent puisqu'ils utilisent les réseaux autoroutiers ! Les concertations entre transporteurs ont conclu à la nécessité d'élargir l'assiette de l'écotaxe et de taxer la totalité des kilomètres parcourus, mais elles n'ont pas été relayées au-delà des fédérations de transport !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Je comprends votre propos, mais s'agissant de la méthode, celle-ci s'inspirait justement du principe du pollueur-payeur retenu par le Grenelle de l'Environnement !

M. Francis Grignon . - J'entends bien votre remise en cause de la méthode suivie pour la création de l'écotaxe, mais au-delà, deux points que vous venez de soulever me semblent intéresser au premier chef notre commission : d'une part, la sélection d'Autostrade, société étrangère, par les pouvoirs publics à l'issue d'un appel d'offres. D'autre part, la présence de l'opérateur Geodis, filiale de la SNCF, dans le consortium Écomouv' : cette participation soulève-t-elle selon vous le risque d'un conflit d'intérêt et permet-elle à cet opérateur d'échapper à la taxe ?

M. Jean-Claude Plâ . - Sur ces deux points, nous nous sommes fait l'écho de ce qui se dit dans la profession : il est dommage d'avoir désigné un consortium étranger tandis que d'autres prestataires de service basés en France auraient pu remporter cet appel d'offres. En outre, Geodis est aujourd'hui le premier transporteur routier en France...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Mais tout consortium est légitime, quelle que soit sa nationalité d'origine, du moment où il est sélectionné à l'issue d'un appel d'offres régulièrement conduit !

M. Jean-Claude Plâ . - Voilà notre ressenti comme transporteurs ! Nous sommes choqués par la présence de la SNCF et de Geodis dans ce consortium !

M. Ronan Dantec . - Pourquoi dénoncez-vous la présence de Geodis dans ce consortium ? Parce que c'est potentiellement un concurrent ? Est-ce en raison de la présence également de la SNCF susceptible de favoriser sa filiale dédiée au transport routier ? Pensez-vous qu'une telle situation soit de nature à fausser la concurrence en influant sur le mode de tarification retenu et la constitution des sociétés habilitées de télépéage (SHT) ?

M. Denis Baudouin . - Il est vrai que Geodis est la branche routière de l'unique opérateur français de transports ferroviaires. Cette situation est juste de nature à aviver les doutes de la profession qui a déjà connu des distorsions de concurrence avec la SNCF.

M. Jean-Claude Plâ . - En effet, le jeu de la concurrence peut être faussé par ce biais puisque l'écotaxe doit être acquittée par les transporteurs utilisateurs des routes, tandis que Geodis, qui bénéficie du support de la SNCF, est plus à même d'y échapper !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Mais vous ne pouvez pas reprocher que les opérateurs sélectionnés à l'issue d'un appel d'offres légal soient des transporteurs ! Ce n'est pas un argument recevable !

M. Denis Baudoin . - Ce n'est certes pas un argument, mais une telle réaction est de l'ordre du ressenti ! Et vous savez comme moi que la politique est bien souvent faite de plus de ressentis que d'arguments !

M. François Grosdidier . - Il faut bien avoir à l'esprit l'un des principaux objectifs du Grenelle de l'environnement qui était de déplacer tout une partie du transport du fret routier vers le rail ou le fluvial et de faire payer à chaque mode de transport les coûts environnementaux d'une telle démarche ! D'ailleurs l'idée de toute écofiscalité est d'intégrer ces coûts dans le prix de revient et par conséquent dans le prix de vente en économie de marché.

D'ailleurs, il est surprenant de constater que l'écotaxe suscite la plus forte opposition parmi les transporteurs, alors que d'autres prélèvements acquittés par les transporteurs nationaux sont loin de conduire à une telle mobilisation. Il est enfin étonnant que notre nouvelle ministre de l'environnement propose, comme elle vient de le faire, la mise en oeuvre d'une forme de discrimination visant les transporteurs étrangers, alors que le principe de l'écotaxe est de faire participer aussi les étrangers, à l'instar de ce qui se passe avec la TVA sociale où les importations sont aussi taxées. Mais pourquoi pas ? L'écotaxe me paraît totalement recevable, à condition de baisser concomitamment les taxes que seuls les transporteurs français doivent acquitter et de faire payer le transit et non les dessertes locales !

M. Jean-Claude Plâ . - Nous avons déjà demandé la suppression de la taxe à l'essieu en cas d'application de l'écotaxe. Mais cette demande n'a pas été honorée. En outre, le transit n'est pas soumis à l'écotaxe, puisque les transporteurs qui empruntent les réseaux autoroutiers, et parmi eux un grand nombre de transporteurs d'origine étrangère, ne sont pas assujettis. Nous ne sommes pas contre le principe de l'écotaxe, mais nous souhaitons voir son assiette élargie !

M. Denis Baudoin . - Abaissons cette dernière de 12 tonnes à 3,5 tonnes !

M. François Grosdidier . - Mais c'est déjà le cas... le seuil de 12 tonnes prévaut seulement en Allemagne !

M. Jean-Claude Plâ . - Mais les véhicules de 3, 5 tonnes ne paient pas l'écotaxe en France !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Si, c'est déjà le cas ! D'ailleurs, vous avez dans notre commission deux rapporteurs du budget des transports qui savent de quoi ils parlent !

M. Denis Baudouin . - Il existe un dispositif en Angleterre qui assujettit les transporteurs uniquement d'origine étrangère à une taxe. Mais cette situation est peut-être particulière au Royaume-Uni ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Ce qui se fait outre-Manche peut en effet s'avérer très particulier par rapport à ce qui se fait en Europe !

M. Denis Baudouin . - Je n'ai pas compris pourquoi le Grenelle de l'environnement préconise que les utilisateurs consommateurs n'acquittent pas l'écotaxe. Pourquoi ce ne sont pas les chargeurs qui la paient puisqu'ils choisissent le canal d'approvisionnement de leurs clients ? Pourquoi ne pas appliquer directement cette taxe aux industriels ? Quel est le fondement d'une telle méthodologie ?

M. François Grosdidier . - Le principe retenu s'apparente au processus de fabrication.

M. Denis Baudouin . - Mais c'est le chargeur qui choisit le mode de transport et ce n'est pas au transporteur de servir d'intermédiaire ! D'ailleurs, puisqu'on parle de processus de fabrication, mieux vaudrait s'inspirer de la taxe sur l'emballage !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Mais il faut bien prendre en compte les kilomètres parcourus ! Et d'ailleurs, les opérateurs qui assurent par eux-mêmes le transport ne seraient pas assujettis avec un tel dispositif ! Bien que je n'ai pas participé au Grenelle de l'environnement, il existe des dispositifs et des méthodes qui font l'unanimité !

M. Denis Baudouin . - De quelle unanimité parlez-vous, celle des politiques mais pas celle de notre profession ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Celle que prescrit l'intérêt général qui ne se résume pas à la somme des intérêts particuliers ! Nous ne sommes pas là pour nous prononcer sur l'intérêt de l'écotaxe.

M. Denis Baudouin . - Il faudrait également s'interroger sur le coût du recouvrement et de la perception de l'écotaxe !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Sur ce point, nous avons été éclaircis sur la méthodologie qui a présidé à la définition de l'écotaxe : l'objectif était initialement de rapporter un milliard d'euros à la collectivité nationale.

C'est peu en volume lorsqu'on compare ce chiffre aux 4,5 milliards d'euros que rapporte l'écotaxe outre-Rhin, mais ramenés au kilomètre, les coûts de collecte s'avèrent relativement proches entre la France et l'Allemagne ! Mais il est vrai que l'écotaxe suscite un ressenti parmi les transporteurs, sans doute parce que sa mise en oeuvre n'a que trop été retardée !

M. Jean-Claude Plâ . - Les chiffres parlent d'eux-mêmes. En 2007, le fret routier assurait le transport de 195.000 milliards de tonnes de marchandises ; ce chiffre est en 2012 de l'ordre de 168.000 milliards ! Dans un tel contexte baissier, les chargeurs peuvent faire le jeu de la concurrence et les transporteurs étrangers sont bien plus compétitifs ! Il ne reste aux transporteurs français qu'à abandonner le marché ou, s'ils s'y maintiennent, à être voués à disparaître !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - C'est la raison pour laquelle le législateur s'est emparé de la question des répercussions de l'écotaxe. Une telle tendance va bien au-delà de la question de l'écotaxe et conduit à s'interroger sur les marges des transporteurs, comme je l'avais fait dans mon précédent rapport consacré au transport terrestre.

M. Ronan Dantec . - Ne faudrait-il pas plutôt s'interroger sur les rapports de force entre les transporteurs et leurs donneurs d'ordre, parmi lesquels le secteur de la grande distribution, et prendre les mesures législatives adaptées pour restaurer un équilibre qui semble faire aujourd'hui défaut ? D'ailleurs, l'introduction de l'écotaxe peut induire des effets bénéfiques sur l'organisation du secteur des transports, comme la Suisse en fournit l'exemple en matière de rationalisation des tournées ! Cet aspect des choses me paraît tout à fait absent de votre propos ! Avez-vous des propositions qui garantissent que le poids de l'écotaxe soit renvoyé vers les donneurs d'ordre ?

M. Jean-Claude Plâ . - En effet. Nous préconisons une nouvelle forme de taxe que nous dénommons « Ecomax poids lourds » qui reposerait sur une assiette élargie à 3,5 tonnes et qui concernerait tous les kilomètres. Ce nouveau dispositif devrait rapporter jusqu'à 1,6 milliard d'euros annuels. Il permettrait ainsi d'inclure la taxe à l'essieu qui ne rapporte que 250 millions d'euros et dont la collecte spécifique serait supprimée. Nous tentons de nous faire entendre sur ce projet, mais nous n'y parvenons pas !

M. Jean-Christophe Gavend . - De toute manière, on ne peut échapper à une taxe sur la mobilité dans un contexte où près de 30 % du parc sera bientôt composé de véhicules hybrides électriques. Nous sommes bien conscients des conséquences du transfert énergétique auquel nous assistons actuellement ! Nous sommes ouverts !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - À ce titre, je vous indique que nous avons auditionné l'organisation des TPE et des PME du transport routier (OTRE), et que, par ailleurs, nous avons comme rapporteurs du budget des contacts fréquents avec la Fédération nationale des transports routiers.

M. Jean-Claude Plâ . - Il faut régler les problèmes en amont !

M. Denis Baudouin . - Il convient d'être méthodique pour redéfinir un tel rapport de forces puisque nous ne disposons actuellement d'aucun moyen contre les chargeurs !

Audition de M. Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports du 14 novembre 2010 au 10 mai 2012 (Mardi 15 avril 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous auditionnons M. Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports du 14 novembre 2010 au 10 mai 2012, c'est-à-dire au moment de l'attribution du contrat de partenariat à Écomouv' et de sa signature. Monsieur le ministre, nous souhaitons comprendre quel a été le rôle de votre ministère au cours de la mise en place du contrat. Quel a été le rôle du Premier ministre et des autres ministres ? Quels ont été vos éventuels contacts avec Écomouv' et votre appréciation globale de la manière dont les choix ont été effectués, qu'ils soient juridiques (celui d'un contrat de partenariat global) ou techniques (interopérabilité, choix du réseau) ?

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Thierry Mariani prête serment.

M. Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports . - Comme vous l'avez rappelé, j'ai été ministre du 14 novembre 2010 au 6 mai 2012. J'ai donc pris cette procédure en cours de route. Le choix du partenariat public-privé (PPP) était déjà acté avant mon arrivée. Le dialogue compétitif était déjà lancé. En réalité, mon rôle, que j'assume totalement, a consisté en deux choses. Premièrement, à entériner le classement des offres tel qu'il avait été effectué par la commission consultative. Deuxièmement, à faire appel après le jugement du tribunal administratif parce que je pensais
- et je continue à le penser - que ce projet était intéressant pour les infrastructures. Ce projet avait été voté, conformément à la loi Grenelle I, à l'unanimité par le Parlement. J'ai donc relancé la procédure pour que cette taxe puisse être appliquée le plus rapidement possible et j'ai signé le 6 mai 2012 le décret sur le commissionnement par le Parlement pour la même raison.

Je lisais hier L'Opinion dans lequel il était écrit que, toutes les trois minutes, on perdrait cinq mille euros. Je constate que cette taxe n'est toujours pas mise en place et que mon successeur a pris, depuis sa prise de fonctions et jusqu'à la suspension de l'écotaxe, treize arrêtés. La nouvelle majorité n'avait donc rien trouvé, à ce moment-là, à redire à cette procédure. Je trouve que les événements qui ont abouti à la suspension de l'écotaxe sont préjudiciables à l'investissement sur notre réseau routier.

Quant à la procédure elle-même, pourquoi avoir choisi un PPP ? Je le répète, le choix était déjà tranché à mon arrivée. Si je prends, en tant que parlementaire, le coût du fonctionnement des simples radars qui se situe à 25 %, je considère que le coût d'Écomouv' était tout à fait raisonnable. Nous avions d'ailleurs volontairement choisi de ne taxer les poids lourds qu'au-dessus de 3,5 tonnes et à un taux au kilomètre bien inférieur à celui pratiqué en Allemagne - de mémoire 13 centimes contre 16 centimes.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - A votre arrivée, quelles étaient les relations avec les douanes ? Quels étaient les rôles respectifs de votre ministère et des douanes ?

M. Thierry Mariani . - Je n'ai eu aucun contact avec les services des douanes.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Ni même vos services ?

M. Thierry Mariani . - La commission consultative qui a classé les offres était constituée, comme vous le savez, de techniciens, de juristes, de membres du Conseil d'État, d'ingénieurs, etc. Quand vous êtes ministre et qu'une telle commission vous transmet le classement des offres et que vous n'êtes pas vous-même ingénieur, je ne vois pas en quoi j'aurais remis en cause le classement de ces offres.

Pour répondre à votre question précisément, je n'ai eu aucun contact avec les services des douanes.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Ma question n'est pas spécifiquement adressée à vous en particulier, mais à vous ou vos services.

M. Thierry Mariani . - Je ne peux répondre qu'en ce qui me concerne. Je pense que vous avez auditionné un certain nombre de responsables du ministère. Je peux seulement vous répondre que je n'ai eu aucun contact avec le service des douanes. J'avais un contact avec mes services, en l'occurrence le responsable de la (direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), que vous avez auditionné, qui m'a transmis le classement des offres, point final.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Il y a bien eu des réunions interministérielles (RIM) sur le sujet ?

M. Thierry Mariani . - À ma connaissance, je n'ai pas participé à une réunion interministérielle sur le sujet, mais je suis parti sans archives, donc ma mémoire peut me trahir. Personnellement, je n'ai pas participé à ces réunions ou je n'ai pas le souvenir d'y avoir participé.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Il y avait tout de même - et il y a toujours - un aspect important dans ce contrat, qui est la récupération d'argent pour le réinvestir.

M. Thierry Mariani . - Quel est le rôle d'un ministre quand il arrive à un moment où l'appel d'offres est déjà lancé ? C'est de prendre connaissance du classement et, éventuellement, de l'acter ou non. Après, au sein du ministère des transports, il y a des services compétents. Savoir comment la taxe allait être récupérée - pardonnez-moi l'expression - mais c'est leur boulot. Le rôle d'un ministre, c'est de faire des choix politiques.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je réitère ma question qui ne porte pas sur votre rôle précisément, mais il y a forcément eu des arbitrages politiques à certains moments, notamment par rapport aux contraintes et aux demandes des douanes et/ou aux dysfonctionnements relevés dans le cadre de la vérification pour aptitude au bon fonctionnement (VABF) ou de la vérification pour service régulier (VSR).

Je n'imagine pas qu'il y ait pu avoir des arbitrages qui aient pu être rendus sans que vous en ayez été informé. Vos services ont dû parler avec le service des douanes et vous faire remonter des informations. C'est là où je suis un peu étonnée de votre réponse.

M. Thierry Mariani . - Il y a des dizaines de réunions et je n'ai pas le souvenir d'avoir participé à une réunion avec les douanes, ni même que l'on m'ait fait remonter le moindre problème. A priori , il n'y avait pas le moindre problème à signaler.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - En ce qui concerne le réseau taxable, tout était-il déjà acté à votre arrivée ?

M. Thierry Mariani . - C'était déjà acté.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Où en étaient les négociations avec les transporteurs ?

M. Thierry Mariani . - J'ai eu plusieurs réunions avec les transporteurs, notamment avec la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) et son secrétaire général. Leur inquiétude portait essentiellement sur la répercussion. Il y a eu une série de réunions avec mes services pour la transparence de la facturation et c'était d'ailleurs l'un des buts du décret du 6 mai 2012.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Le 6 mai, c'était encore une inquiétude prégnante. Tout n'était pas encore réglé ?

M. Thierry Mariani . - La consultation des transporteurs avait eu lieu et ce décret n'est, ni plus, ni moins, que l'application stricte de la loi puisque c'était la transcription de ce qui était prévu par les textes.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je ne résiste pas à vous poser la question. Le 6 mai 2012, c'est une date particulière. N'aurait-il pas été possible de le signer à une autre date ?

M. Thierry Mariani . - J'attendais le retour du Conseil d'État. Si je ne l'avais pas signé, certains m'auraient reproché d'avoir laissé le cadeau empoisonné à mon successeur.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Ce n'était pas un cadeau empoisonné puisque vous venez de nous dire que tout était réglé.

M. Thierry Mariani . - Aujourd'hui, j'ai l'impression que, pour la majorité, c'est un cadeau empoisonné. Pour moi, ce décret était l'application technique d'un dispositif voté par le Parlement à l'unanimité. Le hasard du calendrier a fait que j'ai été amené à signer, le 6 mai 2012, le décret validé par le Conseil d'État. Je pense que mon successeur n'aurait pas forcément apprécié que je lui laisse le soin de signer ce décret. Cela aurait été un manque de responsabilité de ma part alors que tout était prêt.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Pourtant, cela arrive souvent quand il y a des transmissions de pouvoir que les décrets attendent le successeur pour être signés, surtout quand ils ne posent pas problème.

M. Thierry Mariani . - Oui, mais je pense que les collectivités territoriales attendent les recettes de l'écotaxe depuis un certain temps, que l'on avait déjà subi dans ce processus un retard suite à la décision du tribunal administratif. Donc, tous les responsables de collectivités, de gauche ou de droite, attendaient cette manne financière.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Tout à l'heure, nous avons parlé rapidement de la DGITM, qui faisait partie de vos services. Avez-vous le sentiment que c'est une direction suffisamment structurée, avec des moyens suffisants, pour suivre un dossier qui était, et qui est toujours, important, complexe et lourd ?

M. Thierry Mariani . - Chaque fois que des problèmes étaient soulevés, ils y répondaient avec précision. Oui, les services de la DGITM sont techniquement et intellectuellement équipés pour suivre ce genre de dossier.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Y compris en nombre de personnes employées sur le sujet ?

M. Thierry Mariani . - Est-ce que vous connaissez un chef d'administration qui ne demande pas de fonctionnaires en plus ? Je pense que si vous posez la question à M. Bursaux, son prédécesseur ou son successeur éventuel, il vous dira toujours qu'il a besoin d'avoir d'un peu plus de fonctionnaires dans son service.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - C'est à vous que je pose la question.

M. Thierry Mariani . - Les services de la DGITM à cette époque ont fait leur travail correctement. Je n'ai rien à y redire. Puisqu'ils ont fait leur travail correctement, je pense qu'ils avaient le personnel suffisant.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Aviez-vous des remontées des Bretons à l'époque ? Ils avaient quand même obtenu 50 % de remise. Est-ce qu'ils avaient donné leur accord ?

M. Thierry Mariani . - D'abord, la loi s'applique à tous, qu'on soit breton, provençal ou autre. Deuxièmement, il n'y avait aucune remontée particulière des Bretons à l'époque. Comme vous le savez, il y avait le décret sur la « périphicité », grâce auquel certaines régions, dont la Bretagne et l'Aquitaine, avaient bénéficié de certaines réductions. Je n'ai pas le souvenir du moindre Breton qui soit venu me voir, de gauche ou de droite, en m'expliquant qu'il souhaitait que la taxe ne s'applique pas à la Bretagne.

M. François Grosdidier . - Je note que lorsqu'on fait a posteriori le procès du dossier, les décisions ont toujours été prises ou trop tôt ou trop tard. Certains retards reprochés ont souvent des raisons techniques. Je rappelle que n'importe quelle autorité administrative, y compris un ministre qui prend ses fonctions, peut reporter les décisions prises par son prédécesseur, si elles ne lui conviennent pas. J'aurais aimé savoir si entre vous-même et votre successeur, il y a eu des discussions lors de la passation de fonction. Avait-il des sujets d'inquiétude, des interrogations ou des doutes sur ce dossier, sur la pertinence de l'écotaxe elle-même ou sur les modalités de mise en oeuvre ?

S'agissant des modalités de mise en oeuvre, le refus par la profession est apparu presque deux ans plus tard, après la hausse d'un certain nombre de taxes totalement indépendantes de l'écotaxe. Déjà à cette époque, lors de vos contacts avec les professionnels, avait-il été discuté des difficultés que cette écotaxe pouvait créer au regard de la compétitivité du secteur économique en France, sachant que cette taxe a l'avantage d'être payée par les transporteurs étrangers, comme la TVA sociale qui est aussi payée par les importateurs ? Était-il envisageable de diminuer ou supprimer la taxe à l'essieu ou, en tout cas, d'autres types de prélèvements pesant spécifiquement sur les transporteurs français, pour ne pas accroître leurs difficultés au moment de la mise en place de l'écotaxe qui a l'avantage, je le répète, d'être payée par tous les utilisateurs, y compris étrangers, contrairement aux autres prélèvements ?

M. Thierry Mariani . - Je n'ai pas évoqué ce sujet lors de la passation de pouvoir avec M. Frédéric Cuvillier, avec lequel j'ai des rapports très courtois. Pour ne rien vous cacher, on en a discuté une fois à la sortie de l'hémicycle, après une séance de questions. De mémoire, sa seule remarque était : « Le système n'est pas au point, c'est techniquement compliqué ». Il n'y avait pas d'autres points. J'observe qu'entre l'arrivée de mon successeur au ministère des transports et la suspension du processus de l'écotaxe, il y a eu treize textes réglementaires qui ont été pris, ce qui prouve bien qu'avant cette date, le processus administratif suivait son cours et que le nouveau Gouvernement ne remettait absolument pas en cause l'écotaxe avant le mouvement social qu'on a connu en Bretagne.

Sur la deuxième question concernant l'inquiétude des professionnels, ceux-ci n'étaient bien sûr pas enthousiastes face à une nouvelle taxe sectorielle. Leur principal souci était, comme je l'ai déjà signalé, que la répercussion se fasse réellement. Premièrement, ils demandaient une véritable transparence dans le système de facturation au moyen d'une ligne faisant apparaître le coût de l'écotaxe et, deuxièmement, ils s'inquiétaient du fait qu'on leur demande de raboter sur leurs marges. Leur demande de transparence étant facilement satisfaite, leur véritable souci était économique, que les donneurs d'ordre leur demandent de réduire leurs marges et que, même en cas de transparence et d'affichage du coût de manière bien séparée, cela se répercute sur la profession. Dans les discussions, j'avais évoqué l'idée de mettre un coût au kilomètre plus élevé, avec une compensation sur les charges des transporteurs, ce qui aurait permis de se servir de l'écotaxe comme d'une sorte de TVA sociale. Le coût plus élevé aurait été payé par la totalité des transporteurs qui passaient sur le territoire français, ce qui aurait pu transférer une petite partie des charges sociales sur l'ensemble. Après techniquement, on m'a expliqué que c'était trop compliqué à monter.

M. Jean-Jacques Filleul . - Pour revenir aux transporteurs, malgré tout, il y a eu manifestement défaut d'information. Vous parlez du mouvement social en Bretagne. Dans les contacts que nous avons eus préalablement, nous avons également bien vu qu'il y avait beaucoup d'hésitations, beaucoup de méconnaissance. L'audition précédente du groupement de transporteurs Astre l'a démontré. Qu'avez-vous fait au niveau de votre ministère pour informer sur l'écotaxe, sur ses interférences, pour donner les moyens d'une meilleure compréhension ?

J'ai une question complémentaire. Est-ce vrai que, pour opérer une compensation par rapport à l'écotaxe, la taxe à l'essieu a été baissée à son plus bas niveau et que la circulation des quarante-quatre tonnes sur les routes a été autorisée ?

M. Thierry Mariani . - Sur le premier point relatif à l'information des transporteurs, j'ai la conviction qu'ils étaient suffisamment informés. Les responsables de mon cabinet rencontraient régulièrement les organisations professionnelles. Sincèrement, je pense qu'il y a eu un nombre de contacts fréquents et je vous le répète, la principale inquiétude des transporteurs était la répercussion.

Sur le deuxième point concernant l'abaissement à son plus bas niveau de la taxe à l'essieu, très sincèrement, je ne m'en souviens pas.

M. Vincent Capo-Canellas . - Je souhaite revenir sur ce fameux décret du 6 mai 2012. La leçon aujourd'hui est-elle qu'il ne faut pas signer de décret avant de partir car on peut toujours l'instrumentaliser après coup ?

Aujourd'hui, nous avons une certaine connaissance du sujet grâce aux travaux de la commission d'enquête, au temps qui s'est écoulé. Mais à l'époque, les problèmes techniques étaient-ils sous-jacents et les difficultés politiques prévisibles ? Enfin, l'administration française, qui aime beaucoup les détails, a peut-être engendré un système trop complexe, notamment par rapport à l'Allemagne. Comment réagissez-vous sur ces trois points : le technique, le politique, le zèle de l'administration ?

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Avec un complément sur cette question et sur un point que vous avez soulevé tout à l'heure, relatif à l'importance que les transporteurs attachent à la transparence sur la facture pour la refacturation. Est-ce qu'à l'époque, vous aviez des éléments vous assurant que la transparence serait effectuée avec cette facturation car, avec le regard d'aujourd'hui, on s'aperçoit que la facturation n'est pas si lisible, je ne dis pas transparente, mais pas forcément lisible par les transporteurs ?

M. Thierry Mariani . - La signature d'un décret même dans les derniers jours ne me pose pas de problème et répond à ma conception de l'action politique. J'ai également signé la concession de Notre-Dame-des-Landes et mon successeur ne me l'a jamais reproché ! C'est un processus administratif qui était lancé, tous les élus locaux attendaient ce dispositif, on avait pris du retard, il fallait aller au plus vite. Je me souviens de M. Montebourg m'expliquant qu'il voulait garder l'essentiel de l'écotaxe pour sa région.

Il n'y avait à l'époque aucune difficulté politique. Ce dispositif avait été voté à l'unanimité. Des élus locaux de gauche et de droite venaient dans mon bureau pour bénéficier de plus de recettes compte tenu du trafic dans leur collectivité. Autre preuve de cette absence de difficulté politique : jusqu'au mouvement des bonnets rouges, l'écotaxe n'a quasiment pas été évoquée dans la presse. Le premier portique a été installé en janvier 2012 et cela n'a ému personne.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Et les contentieux sur le contrat non plus n'ont pas posé de problème ?

M. Thierry Mariani . - Non, c'était purement juridique. Le discours général de tous ceux qui parlaient de ce dossier était : « le temps perdu nous coûte cher, le temps que l'on est en train de perdre nous coûte encore plus cher et il faut avancer ». J'ai donc signé ce décret et je le referai si c'était à refaire.

Nous avions conscience des difficultés techniques de ce dispositif. Comme toujours en France, nous voulions faire un système parfait qui ne pénalise pas trop les contribuables, mais qui pénalise quand même les véhicules polluants, qui ne soit pas parmi les plus chers - nous avions choisi un prix au kilomètre plus bas que celui retenu par les Allemands pour que ce soit accessible - et le dispositif est donc techniquement difficile.

Sur la transparence, j'avais la conviction, après ce que m'avaient dit mes services, que le coût de l'écotaxe apparaitrait clairement sur la facture du transporteur. Après, ce n'était pas une difficulté technique, c'était une difficulté économique avec la répercussion de cette écotaxe.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Le coût de l'écotaxe apparaît en effet clairement. En revanche, ce qui n'apparaît pas clairement est ce qui est imputable à tel chargeur ou à tel autre et comment le transporteur peut contrôler la véracité ou la légitimité de sa facturation. C'est certes théoriquement possible, mais nous avons vu des modèles de facturation : c'est concrètement et pratiquement impossible sauf à avoir quelqu'un qui passe un temps complet, voire deux, à éplucher chaque facture.

M. Thierry Mariani . - Ce dispositif, tel qu'il m'a été présenté par la DGITM, semblait le moins imparfait. Mais il est évident qu'il s'agit d'un dispositif compliqué. Si nos voisins allemands ou suisses arrivent à le faire, la France doit bien pouvoir réussir à le faire et trouver un système équivalent.

M. Louis Nègre . - Je confirme que l'information des transporteurs à cette époque-là était connue et qu'effectivement, les transporteurs se posaient la question du transfert de la taxe sur les donneurs d'ordre. Mais le principe de l'écotaxe semblait, à cette époque, accepté.

Est-ce que le politique que vous étiez a pris conscience ou pas que cette complexité, de faire le mieux possible, d'avoir zéro fraude était un bon objectif à atteindre ou était-ce en demander trop à la technique et complexifier trop le dispositif ?

M. Thierry Mariani . - Nous étions conscients de la complexité du dispositif. Lors de nos rencontres avec les transporteurs, ils évoquaient le problème des multiples chargeurs et chargements et de la diversité des routes écotaxées ou non empruntées. Le système était forcément très difficile techniquement. Un ministre prend conscience de la difficulté mais il fait aussi confiance à ses services pour résoudre, avec les moyens modernes la complexité. J'avoue ne pas avoir réfléchi à la manière selon laquelle la comptabilisation allait être effectuée.

Nous avons voulu faire un système irréprochable, comme souvent en France, qui est quelquefois difficile à appliquer.

À l'époque, la seule inquiétude des transporteurs était celle de la répercussion, avec le discours tout à fait compréhensible qu'il s'agit d'une activité de plus en plus soumise à la concurrence, de plus en plus pénalisée par le coût des charges sociales par rapport à leurs voisins européens qui empruntent le territoire national, avec les délocalisations d'entreprises... L'inquiétude des transporteurs était de savoir si le jeu de la concurrence n'allait pas les amener à prendre cette écotaxe dans leur marge.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Vous avez voulu mettre en oeuvre un système parfait - c'est le sentiment que nous avons eu - et en plus, vous avez souhaité attendre qu'il le soit parfaitement pour le mettre en oeuvre. Ailleurs, en Allemagne par exemple, on a commencé avec des systèmes qui ne l'étaient pas. C'est doublement pénalisant.

M. Thierry Mariani . - Nous sommes en 2014, cela fait cinq ans que la décision a été actée. Ce système rapporte quatre milliards d'euros par an en Allemagne. Cela représente une perte pour notre réseau routier. Faut-il démarrer avec un système imparfait ou attendre que le système soit parfait ? En France, nous optons traditionnellement pour la seconde solution.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Il y avait tout de même la possibilité de faire des tests et une expérimentation avec la taxe poids lourds alsacienne. Vous nous avez affirmé ne pas avoir eu de contacts avec les douanes. Il a bien dû y avoir une coordination interministérielle. Quelle répartition des rôles y a-t-il eu entre les transports et l'écologie ?

M. Thierry Mariani . - La coordination avec les douanes devait être effectuée entre les services, il ne revenait pas au ministre de s'en occuper. Je rappelle que beaucoup de textes ont aussi été signés par le ministre du budget et des finances.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Et par rapport à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet ?

M. Thierry Mariani . - Nous travaillions d'un commun accord. Nos cabinets étaient proches, nous nous voyions plusieurs fois par jour.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Quelle a été la répartition précise des rôles ?

M. Thierry Mariani . - Il n'y a pas eu de répartition des rôles. Quand je suis arrivé, tout était déjà acté. Quant à la décision de faire appel à la décision du tribunal administratif, elle était logique - nous n'allions pas recommencer depuis le début -, et nous l'avons prise d'un commun accord.

M. Ronan Dantec . - Il y a une contradiction, ou au moins une tension, entre la volonté d'une mise en place rapide du système et la recherche d'un dispositif quasiment irréprochable, qui constitue une vitrine technologique exportable, avec des entreprises françaises. La stratégie était assez globale : une perception financière importante, le souhait de créer une entreprise globale exportable, les discussions avec la FNTR. On a moins bien considéré d'autres syndicats.

M. Thierry Mariani . - Il y a un syndicat qui représente plus que les autres.

M. Ronan Dantec . - Effectivement, mais vous avez peut-être trop négligé les autres. N'y a-t-il pas eu de tensions avec les grands opérateurs autoroutiers qui auraient pu être concernés par ce système global, avec le système d'habilitation ?

Je ne comprends pas qu'il n'y ait pas eu de contacts avec les services pendant un an et demi, ou d'alerte de leur part, alors que l'on a voulu mettre en place un système à la fois compliqué et parfait. Il y a bien eu des réunions entre les services, le cabinet et le ministre pour affirmer qu'on ne peut pas à la fois aller très vite et avoir un système irréprochable.

M. Thierry Mariani . - Je n'ai pas consulté les autres sociétés autoroutières, mais je n'ai pas eu de remontées de leur part a posteriori .

Nous avons eu des remontées des services nous expliquant que le système était techniquement difficile, puisque l'idée était effectivement d'avoir un dispositif exportable, avec du made in France parfait, et qu'il y aurait peut-être du retard, mais jamais quelque chose de précis. Le seul retard auquel nous avons été réellement confronté a été le retard juridique.

M. Ronan Dantec . - Dans le processus de décision politique, quelle que soit l'appartenance politique des uns et des autres, ne fait-on pas une erreur collective en essayant à tout prix de tenir une date, ce qui a ici eu pour conséquence de fragiliser le système ? On a créé dès le départ une tension difficile à gérer.

M. Thierry Mariani . - Nous savions dès le départ qu'il y aurait des difficultés techniques mais aujourd'hui, le principal retard résulte d'un choix politique, la suspension de la taxe, qui a été décidée alors que le système était quasiment prêt. Je ne nie pas que le dispositif ait pris du retard, les services m'avaient alerté sur un tel risque. Le système était tellement complexe. Le souhait du ministre était que le dispositif s'applique au plus vite, avec le moins de reproches possible.

M. Ronan Dantec . - Il n'est pas discutable qu'il y avait une acceptation globale des acteurs à ce moment-là. Mais il y a peut-être une erreur d'analyse politique, constante d'ailleurs, à dire que le retard pourrait remettre en cause un consensus sur une taxation.

M. Thierry Mariani . - À mon avis, ce qui a brisé le consensus, c'est davantage le ras-le-bol fiscal et les plans sociaux à répétition dans une région. Je n'ai pas l'impression que le consensus politique ait été brisé par les acteurs. En réalité, ce qui a abouti politiquement à remettre en cause ce processus, ce n'est pas la FNTR ou les autres syndicats qui étaient sur les barricades. C'est une partie de la population d'une région qui était, je crois, justement exaspérée par les plans sociaux à répétition et qui s'en est pris à la seule manifestation physique présente sur ses routes avec le paradoxe, que vous avez souligné, que c'est la région qui a le plus fort taux d'exemption.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - 50 % !

M. Thierry Mariani . - Ce qui a brisé le consensus d'acceptabilité, ce n'est pas la complexité technique, mais la situation d' overdose fiscale de ce pays.

M. François Grosdidier . - Un paradoxe supplémentaire était de supprimer l'écotaxe censée réorganiser le transport routier, alors même qu'était dénoncée chez Gad la délocalisation de l'activité d'abattage, de découpe et de conditionnement de la viande.

M. Thierry Mariani . - Je pense qu'il y a eu un manque de courage politique des deux côtés de l'hémicycle, parce que, comme le disait votre collègue, M. François Grosdidier, le but de l'écotaxe était aussi de faire en sorte que la tomate ou la viande bretonne arrive moins cher à Rungis en coût de transport que celle qui vient d'Espagne ou d'ailleurs. L'écotaxe est aussi une sorte de TVA sociale. Alors qu'il y aurait dû y avoir un travail pédagogique de la part de tout le monde, un certain nombre de politiques se sont mis aux abris. Je fais remarquer qu'à l'époque, j'ai été l'un des rares à continuer à défendre l'écotaxe, d'abord par souci de cohérence, et puis parce que je reste persuadé que le principe n'était pas mauvais. Je ne vois pas comment nos assemblées parlementaires seraient contre puisqu'elles l'ont voté à l'unanimité.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Justement, sans vouloir faire le procès de personne, ne pensez-vous pas qu'on a quelque peu oublié l'aspect pédagogique et politique de la chose pour se concentrer sur l'aspect technique, il est vrai, compliqué, et que de ce fait, on a oublié de continuer de parler de l'écotaxe, qui a peut-être semblé en sommeil et, du coup, est réapparue brutalement ?

M. Thierry Mariani . - Comme une partie d'entre vous l'a reconnu, les professionnels ont été informés du temps où j'étais ministre et je suis persuadé que mon successeur a fait la même chose. Après, on a un phénomène de psychose collective. Dans le mot « écotaxe », les deux dernières syllabes sont de trop. Ceux qui se sont levés contre cette écotaxe, à 99 % n'étaient pas assujettis à l'écotaxe, ce qui est le paradoxe le plus total de cette histoire. Je pense qu'on a tous répété dans la presse que l'écotaxe ne s'appliquait qu'aux véhicules à partir d'un certain tonnage. Le Breton ou le Provençal normal qui circulait avec son véhicule savait très bien qu'il n'était pas pénalisé, ou alors il ne voulait pas comprendre ! On sait tous que ce dossier est arrivé à un pire moment pour une région qui souffrait des plans que vous connaissez, Gad ou autres. Je pense franchement que la pédagogie avait été faite avant, mais aussi qu'elle aurait dû continuer à être faite par tous les politiques, par le Gouvernement en premier et l'opposition.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Peut-être Monsieur le ministre, le contentieux a-t-il aussi pesé. Pendant ce temps-là, il est sûr que rien n'a été fait et c'était assez légitime. De mon point de vue, ce contentieux a été aggravant. Le fait d'aller devant le tribunal administratif et le Conseil d'État a pris un temps considérable. Pendant ce temps-là, aucune pédagogie n'a été faite. Il y a là des conséquences qui ne sont pas neutres. Et on ne peut le reprocher à personne !

M. Thierry Mariani . - Je le rappelais tout à l'heure : le processus a commencé en 2009, on est en 2014, il n'est toujours pas appliqué. Je me souviens du moment où le ministère devait prendre la décision de relancer la procédure ou faire appel de la décision du tribunal administratif. Relancer le processus c'était reprendre un temps infini, remettre en cause des choses qui avaient fait l'unanimité. Mais il est sûr que le recours nous a fait perdre, de mémoire, au minimum de huit à dix mois.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Êtes-vous dans la mission d'information sur l'écotaxe poids lourds à l'Assemblée nationale ?

M. Thierry Mariani . - Non. Je pense qu'on ne peut pas être juge et partie.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Sinon, on vous aurait demandé ce qu'il en était car je trouve les députés très avares de paroles.

M. Thierry Mariani . - Si la mission d'information veut m'auditionner, j'irai. Mais je trouve qu'il eût été paradoxal d'être à la fois dans la mission et concerné.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Bien sûr. Mes chers collègues, peut-on en rester là ? Merci Monsieur le ministre de vous être prêté au jeu, avec toute la difficulté que représente le fait de répondre sur un dossier pour lequel vous n'avez plus d'archives.

M. Thierry Mariani . - Je voudrais dire en conclusion qu'il faudrait qu'on sorte vite de cette situation.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Vite, cela paraît difficile. On nous a dit que quelle que soit la modification ou remise à plat, il fallait un délai de six mois pour reconfigurer le dispositif, avec de nouveaux arrêtés, décrets, etc. La remise à plat annoncée, avec une fin éventuelle du contrat Écomouv', n'est-ce pas la fin de l'écotaxe pendant plusieurs années ?

M. Thierry Mariani . - Je ne sais pas quelle sera l'option choisie, mais ce qui est sûr, et vous suivez le dossier mieux que moi, aujourd'hui, c'est que tout cela aura un coût pour les finances publiques ; pour une entreprise, pour une région. Regardant M. Grosdidier, je crois me souvenir qu'une partie des services étaient localisés à Metz, y compris une partie des douanes. Tout cela est un immense gâchis.

M. François Grosdidier . - Si effectivement on remet en cause tout le dispositif pour le plaisir de la remise en cause ou pour justifier a posteriori une décision prise dans la panique, il faudra peut-être six mois, un an, deux ans ou trois ans. Maintenant, nous allons attendre les conclusions de chacune des instances parlementaires. Pour l'instant, si l'on mesure le bilan coût-avantage d'une remise en cause générale, ce que la ministre appelle « remise à plat », le bilan risque effectivement d'être au grand désavantage de la remise en cause, par rapport à une continuité du processus tel qu'il avait été engagé et qui aurait pu être revu à la marge. Je crois que les cocontractants, que nous avons rencontrés, n'auraient pas été opposés à des ajustements à la marge et des avenants au contrat. Plus la remise en cause sera profonde, plus les délais seront longs et préjudiciables à la collectivité.

M. Thierry Mariani . - Une remise à plat complète du dispositif nous fera perdre encore deux ans sur un dispositif qui a été voté en 2009.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Ce n'est pas raisonnable quand on voit nos préfets suspendre la négociation des contrats de plan État-régions dans l'attente de la recette de l'écotaxe, quand on connaît la situation de l'Afitf... Je vous remercie Monsieur le ministre pour vos déclarations.

Audition de M. Dominique Bussereau, ancien secrétaire d'État chargé des transports du 18 mai 2007 au 13 novembre 2010 (Mercredi 16 avril 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous auditionnons M. Dominique Bussereau, qui a été secrétaire d'État chargé des transports du 18 mai 2007 au 13 novembre 2010. Monsieur le ministre, vous étiez en poste lors des discussions du Grenelle de l'environnement, lors du vote de la loi de finances pour 2009 qui instaurait l'écotaxe poids lourds, puis lors du choix du partenariat public-privé (PPP) et du lancement du dialogue compétitif. Quel a été votre rôle en tant que ministre pendant ces différentes phases ? Qui a pris la décision de recours au PPP ? Quels étaient les arguments techniques, financiers ? Quelle est votre appréciation des choix juridiques et techniques effectués ?

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Dominique Bussereau prête serment.

M. Dominique Bussereau, ancien secrétaire d'État chargé des transports . - Tout d'abord, j'assume également les décisions prises lorsque j'étais secrétaire d'État aux transports de 2002 à avril 2004, puis ministre du budget. La réflexion sur l'écotaxe en effet remonte à bien avant le Grenelle de l'environnement. Les différents gouvernements français ont beaucoup travaillé au sein du Conseil des ministres des transports du l'Union européenne et avec la Commission européenne sur l'élaboration des différentes directives « Eurovignette ». Quand nous avons mis en place l'écotaxe, il ne s'agissait pas d'écologie « punitive » mais bien d'une politique de report modal voulue par le Grenelle. Je rappelle que le Sénat a voté cette loi à l'unanimité et que l'Assemblée nationale l'a adoptée, le groupe socialiste s'abstenant. Enfin, grâce à l'écotaxe, nous pouvions financer les infrastructures inscrites dans le schéma national des infrastructures de transport (Snit) et les appels à projets issus du Grenelle : métro, véhicules légers automatiques (Val), bus à haut niveau de service...

Dès 2002, j'ai suivi la mise en place de la taxe LKV-Maut en Allemagne. Dans ce pays, le réseau autoroutier, ancien et parfois de mauvaise qualité, n'est pas soumis à péage. Les Allemands ont rencontré alors les mêmes problèmes que nous aujourd'hui et ils ont dû s'y reprendre à cinq fois entre 2003 et 2005 avant d'installer leur écotaxe.

Nous avons, quant à nous, fait le choix très particulier de taxer seulement 1 % de notre réseau routier national, et à des tarifs très bas : entre 13 centimes et 15,4 centimes du kilomètre, très en-deçà des tarifs pratiqués en Allemagne. Environ 800 000 poids lourds circulent sur notre réseau : 600 000 immatriculés en France et 200 000 à l'étranger, essentiellement dans l'Union européenne, mis à part quelques poids lourds venant d'Europe du Nord, du Maroc ou d'Algérie.

Nous avions également voté dès la loi de finances pour 2006 une expérimentation en Alsace. Nous avons voulu un PPP, non par un parti pris libéral, mais parce que nous ne voulions pas recruter de nouveaux fonctionnaires et parce que les compétences techniques requises étaient très particulières. Le coût de gestion d'Écomouv', de l'ordre de 230 millions d'euros, est élevé par rapport aux 800 à 900 millions d'euros de recettes attendues : en Allemagne, il est de 430 à 450 millions d'euros, pour une écotaxe qui rapporte 4,5 milliards d'euros, le réseau taxable étant beaucoup plus important.

Une commission interministérielle a été mise en place, sous le contrôle juridique du secrétaire général du Gouvernement, M. Serge Lasvignes, pour suivre la mise en place de la nouvelle taxe. Elle associait toutes les administrations concernées, Bercy étant en première ligne. Nous avions adopté le principe d'un paiement par le donneur d'ordre, ce que M. Frédéric Cuvillier a confirmé dans le décret de juin dernier : la presse a prétendu le contraire, de même que quelques démagogues bretons lors de l'épisode des bonnets rouges. Certes, les transporteurs devaient répercuter la taxe sur les prix mais, à l'époque, nous avions estimé qu'il en coûterait au consommateur 1 centime par kilo de tomates venu de Bretagne ou d'Agen.

Nous avons voulu un système satellitaire, sur le modèle allemand. D'autres pays, comme l'Autriche ou la République tchèque, ont choisi des portiques car leur réseau n'est pas très étendu. Contrairement à ce qui a été dit, les portiques servent seulement à vérifier que tous les camions sont bien porteurs de l'appareillage - que nous avons voulu interopérable.

M. Jean-Paul Chanteguet devait remettre ses conclusions au Gouvernement le 30 avril 2014. Entre temps, de nouvelles déclarations ont été faites sur l'avenir de l'écotaxe. Quoi qu'il en soit, si le Gouvernement la relançait, il faudrait une phase d'expérimentation. L'Alsace est très demandeuse, depuis longtemps, pour endiguer le report de trafic en France depuis l'instauration d'une écotaxe en Allemagne ; l'expérimentation du TER a été fructueuse, elle a montré que la régionalisation était possible. Les présidents d'exécutifs locaux aussi sont demandeurs, car il n'y a plus d'argent pour financer le volet mobilité des contrats de plan État-région. Du reste, le troisième appel à projets est bloqué, ce qui interdit aux maires de développer leurs transports publics.

Personnellement, je ne crois pas à la régionalisation, évoquée par M. Ayrault ou d'autres. Les régions les plus riches ou les plus traversées percevraient des fonds et pas les autres. La régionalisation conduirait également à de nouveaux rabais. J'étais contre celui de 50 % pour les Bretons, contre celui de 30 % pour l'Aquitaine, mais le Premier ministre n'a pas arbitré en ma faveur. Nous devons aussi en rester aux 3,5 tonnes, même si les Allemands ne taxent qu'à partir de 12 tonnes. Il serait absurde d'instaurer une vignette : certes, elle existe en Suisse pour les voitures individuelles, mais pas pour les poids lourds. Nous pourrions distinguer les camions étrangers des camions français : mais pourquoi faire l'Europe, alors ? Nous irions à l'encontre de l'esprit de la directive « Eurovignette ».

L'État pourrait reprendre le dialogue avec les départements sur les routes taxables, 5 000 kilomètres seulement aujourd'hui. Le président de conseil général que j'étais n'avait pas réussi à obtenir les kilomètres qu'il demandait au ministre (que j'étais aussi !). Les collectivités souhaitent des recettes supplémentaires. Il faudrait également rouvrir les discussions avec les transporteurs et avec la profession agricole pour certains types de chargements.

Je suis très favorable à l'écotaxe. Il faudra peut-être changer son nom... Dans mon département, quand vous franchissez le pont de l'île de Ré ou prenez le bac pour l'île d'Aix, vous payez une écotaxe, dont le produit va à 50 % à l'entretien de l'ouvrage et 50 % à la politique des espaces naturels sensibles et au développement des transports publics propres.

J'ai été frappé par l'ampleur de la désinformation : l'écotaxe a été considérée comme punitive alors qu'elle était un outil écologique voté à la quasi-unanimité du Parlement. Notre pays doit investir dans les infrastructures de transport pour maintenir son bon niveau d'équipement en ce domaine. Il serait dommage que nous renoncions à ces investissements.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Que fait-on du contrat qui lie l'État à Écomouv' ?

M. Dominique Bussereau . - Je ne suis plus au Gouvernement, mais je pense que la parole de l'État doit être respectée.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Combien de temps devrait, selon vous, durer la phase d'expérimentation ?

M. Dominique Bussereau . - Nous avions prévu six mois pour l'Alsace, mais le système ayant été validé, cette phase pourrait être plus courte.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - D'après vous, il faut garder le système actuel et négocier avec Écomouv'.

M. Dominique Bussereau . - Et punir sévèrement ceux qui détruisent les portiques. Ils sont connus des services de police.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - On ne peut à la fois conserver le contrat en l'état et faire une expérimentation. Il faut forcément renégocier.

M. Dominique Bussereau . - On pourrait expérimenter dans une
- ou plusieurs - région et prévoir concomitamment une phase de validation à blanc.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Certes, mais il n'en faudrait pas moins renégocier le contrat.

M. Dominique Bussereau . - La phase d'expérimentation était prévue au départ et elle n'a pas été annulée par une loi. Cela dit, c'est aux pouvoirs publics de renégocier. Le fond du problème, ce n'est pas Écomouv' mais l'écotaxe.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Vous avez dit que le coût de la gestion par Écomouv' était important parce que le Gouvernement avait voulu taxer faiblement une part réduite du réseau. Avec le recul, pensez-vous que c'était un bon choix ? Les critères retenus à l'époque gagneraient-ils à être modifiés ?

M. Dominique Bussereau . - Je ne sais plus si, lorsque je suis parti du Gouvernement, le nombre de kilomètres taxables (15 000 kilomètres) avait déjà été fixé. Sur la pression des administrations centrales, nous avons choisi un réseau trop petit ; quant au montant, 13 à 14 centimes au kilomètre, il pouvait évoluer. Nous avions décidé que le contrat s'amortirait sur treize ans : il eût été possible de prévoir une plus longue période.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - L'idée était de faire payer les donneurs d'ordre et non les transporteurs, mais ces derniers estiment qu'ils allaient payer de façon indirecte cette écotaxe. Aviez-vous pris en compte cette crispation ?

M. Dominique Bussereau . - Les transporteurs oublient de vous dire que dans les négociations sur l'écotaxe, ils ont obtenu la quasi-suppression de la taxe à l'essieu et l'élargissement du droit de circulation des 44 tonnes, autorisés jusqu'alors au départ des seuls ports maritimes. Malgré ma réticence j'ai étendu cette dérogation aux ports fluviaux.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Mais vous dites aussi que la profession n'était pas concernée par l'écotaxe. C'est contradictoire !

M. Dominique Bussereau . - Il y a eu une négociation. Ils ont parfaitement accepté à l'époque que le coût de l'écotaxe figure en pied de facture. Ensuite, un décret extrêmement complexe a été publié au printemps 2012 - je n'étais plus au Gouvernement. M. Cuvillier a arrangé les choses grâce à un décret plus lisible publié en juin 2013. L'ensemble des syndicats des transporteurs demandait que le paiement de la taxe soit à la charge du donneur d'ordre. J'ai accédé aux demandes sur la taxe à l'essieu et les 44 tonnes.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Quelle était la répartition des rôles entre les fonctionnaires, les membres des cabinets ministériels et les ministres sur ce dossier complexe ? Disposiez-vous de suffisamment d'informations ? Quelle était la répartition des rôles et des responsabilités entre les ministres ?

M. Dominique Bussereau . - Un groupe de travail interministériel composé de hauts fonctionnaires rendait compte aux cabinets et aux ministres. Le climat était très consensuel entre les ministres, mais aussi entre le Gouvernement et le Parlement. Certains députés écologistes reprochaient au président M. Sarkozy et à M. Fillon de repousser la mise en oeuvre de la taxe pour cause d'élection présidentielle. Jusqu'à l'épisode des bonnets rouges, le Parlement a fait pression sur le Gouvernement pour qu'elle entre en vigueur plus rapidement. Tous les élus l'attendaient avec impatience. Au moment de l'explosion sociale en Bretagne, qui avait en fait d'autres causes, 173 portiques avaient déjà été installés sans susciter de problème. Hélas, quelle désinformation ensuite, quelle démagogie...

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Entre les deux objectifs, provoquer un report modal et apporter une ressource financière bienvenue, lequel dominait ?

M. Dominique Bussereau . - La priorité était le report modal. Nous pensions, en maniant la carotte et le bâton, obtenir un report sur le ferroviaire, le maritime et le fluvial : à l'époque, les premières autoroutes ferroviaires et maritimes (comme Saint-Nazaire-Gijon) étaient lancées, le canal Seine-Nord était décidé. Les autorités organisatrices des transports urbains savaient que cette ressource serait également utilisée pour leurs projets de transports publics. L'expérience allemande était intéressante et nous la regardions de près.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - De nos auditions, je retire l'impression que par des exigences de performance très élevées, les douanes ont rendu quasiment impossible la mise en place de l'écotaxe à la date prévue. Pourquoi, si le but était le report modal, avoir été si intransigeant sur les rentrées financières ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - On nous a dit que le Gouvernement voulait un milliard d'euros.

M. Dominique Bussereau . - Ce qui est peu : la ligne grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux coûte 8 milliards d'euros, dont 4 milliards à la charge des collectivités territoriales. L'idée, c'était que le produit de la taxe monte en puissance. Quoi qu'il en soit, la décision définitive a été prise en janvier 2011 et je n'étais plus au Gouvernement.

Aujourd'hui, les douanes conservent deux missions essentielles : la lutte contre la contrefaçon et la lutte contre les trafics de drogue. Avec l'écotaxe, elles exerçaient un contrôle régalien. Donner des missions supplémentaires à ces services de l'État était une bonne chose.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Y a-t-il eu une analyse du coût global des installations, de l'équipement, du développement informatique, de la formation dans le cadre du contrat Écomouv' ? On semble avoir demandé toujours plus à Écomouv' en termes de performances techniques et de résultats.

M. Dominique Bussereau . - J'espère qu'une telle analyse a été menée mais je suis incapable de vous répondre. La décision de retenir Écomouv' a été prise le 14 janvier 2011 et j'avais quitté le Gouvernement le 13 novembre 2010. Je suis solidaire de la décision pour le PPP mais je n'ai pas participé aux décisions ultérieures.

M. François Grosdidier . - Le principe du PPP et le montant de la redevance faisaient-ils l'objet d'âpres discussions au sein du Gouvernement ? Certains s'indignent que les frais de recouvrement représentent 22 % du chiffre d'affaires alors que, pour les radars, le coût s'élève à 25 %.

Hier, certains représentants de la profession de transporteurs routiers nous ont affirmé que l'écotaxe leur coûterait 250 millions d'euros. Or, les transporteurs étrangers acquittent également cette taxe tandis que la quasi-disparition de la taxe à l'essieu renforce la compétitivité de nos transporteurs nationaux.

Vous avez appliqué l'écotaxe à partir de 3,5 tonnes : pourquoi taxer ainsi le trafic local si l'objectif est le report modal ? Et pourquoi avoir encouragé le trafic des 44 tonnes ? Si l'on devait revoir la copie, ne devrait-on pas trouver un compromis entre 3,5 et 12 tonnes ? Et taxer uniquement les axes de transit, non la desserte locale ?

M. Michel Teston . - Le dialogue compétitif a pris fin en octobre 2010 et le marché a été attribué en février 2011. Vous avez quitté le Gouvernement le 13 novembre 2010. À l'issue du dialogue compétitif, étiez-vous convaincu que l'offre d'Écomouv' était la meilleure ou bien aviez-vous des doutes ? Redevenu aujourd'hui parlementaire, qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Jacques Filleul . - Il y a eu sans doute un manque d'information en amont comme en aval. Le ministre Thierry Mariani, hier, l'a nié. Il n'a pas répondu non plus sur les 44 tonnes. Je suis donc reconnaissant à M. Bussereau de son exposé clair et précis. Cette contradiction entre les propos de deux ministres des transports m'étonne.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Hier, nous avons compris que M. Mariani avait sous-estimé le retard dû au contentieux.

M. Louis Nègre . - Je me félicite de votre constance, monsieur le ministre : par les temps qui courent, il est bien courageux de défendre cette redevance. Pourtant, les poids lourds devraient y être favorables, ils seront les premiers à profiter de la construction d'infrastructures de qualité. Je m'étonne que le Parlement ait été à l'époque un partisan fervent de l'écotaxe et que certains de ses membres y soient aujourd'hui si farouchement opposés. Une question : pourquoi avoir voulu faire encore mieux que les Allemands, qui déjà ont dû s'y reprendre à cinq fois pour instaurer leur LKV-Maut ?

M. Éric Doligé . - Les collectivités auront-elles un droit à compensation du fait de l'abandon de l'écotaxe ?

M. Dominique Bussereau . - Lorsque j'ai quitté le Gouvernement, Écomouv' était un candidat parmi d'autres, le classement a été validé en janvier 2011 seulement. Certaines organisations routières ont protesté lors du choix final parce que la SNCF faisait partie du capital d'Écomouv'. M. Chassigneux, ancien directeur de cabinet du président de la République, furieux que la Sanef n'ait pas été choisie, a mené un travail de désinformation.

Le coût de perception des amendes liées aux radars est d'environ 40 %, contre 22 % pour Écomouv'. La diminution de la taxe à l'essieu a été considérable, il n'en reste que le squelette. Le seuil de 3,5 tonnes peut paraître faible mais, au vu des statistiques de trafic en France, ce niveau est acceptable. Les 44 tonnes sont peu utilisés sur les longues distances où ils ne seraient pas rentables : ils transportent par exemple du blé des silos de Lorient à Rouen ou à la Rochelle, ou des matériaux depuis les ports vers de gros chantiers.

Les présidents des conseils généraux, qui voulaient pour la plupart taxer un plus grand nombre de routes départementales, n'ont pas été entendus. Si une renégociation était engagée, il serait bon de discuter de nouveau avec eux.

M. Filleul estime que M. Mariani et moi-même ne tenons pas les mêmes propos. En tout cas, la continuité de l'État a été assurée. Lorsque le gouvernement de M. Ayrault a été mis en place, Mme Batho puis M. Cuvillier ont continué à faire avancer le dossier : treize textes règlementaires ont été publiés avant la suspension de l'écotaxe.

La complexité du dispositif vient du fait que nous avons construit notre réseau d'autoroutes grâce aux péages. Les Allemands, eux, ont un grand réseau gratuit, construit à l'époque hitlérienne. Or, pour les autorités européennes, c'est une taxe ou un péage, mais pas les deux.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Merci pour votre témoignage, monsieur le ministre.

Audition de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie du 19 juin 2007 au 14 janvier 2009 et ancienne ministre de l'écologie du 14 novembre 2010 au 22 février 2012 (Mercredi 16 avril 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous allons entendre Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État chargée de l'écologie du 19 juin 2007 au 14 janvier 2009, puis ministre de l'écologie du 14 novembre 2010 au 22 février 2012.

Madame la ministre, vous étiez donc en poste lors du Grenelle de l'environnement, puis lors de la phase finale de l'attribution du contrat de partenariat. Nous souhaitons comprendre quel a été votre rôle en tant que ministre dans la mise en place de l'écotaxe poids lourds. La décision de recours au partenariat public-privé (PPP) était-elle prise dès l'origine ? Sur quels arguments cette décision était-elle fondée ? L'inclusion du recouvrement dans le périmètre du contrat de partenariat a-t-elle fait l'objet d'une réflexion particulière au sein du Gouvernement ? Quelle est votre appréciation globale de la manière dont les choix ont été effectués et le contrat mis en place ?

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Kosciusko-Morizet prête serment.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie . - J'ai traité de ce que l'on a d'abord appelé l'« éco-redevance poids lourds » à deux moments de mon parcours ministériel. Tout d'abord, en tant que secrétaire d'État à l'écologie, sous la responsabilité de M. Jean-Louis Borloo, je me suis occupée de la définition du programme du Grenelle de l'environnement et de son lancement, j'ai présidé certaines de ses réunions, avant de veiller à sa mise en oeuvre législative. Dans un second temps, alors que j'avais succédé à M. Jean-Louis Borloo au ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, j'ai eu pour tâche de valider le classement des opérateurs pressentis et de purger le recours introduit par l'un d'entre eux, avant de lancer, en collaboration avec le ministère du budget et les douanes, la mise en oeuvre de ce que l'on appelait désormais l'« écotaxe ».

Le Grenelle de l'environnement a été conçu pendant la campagne présidentielle, selon une méthode nouvelle : la recherche d'un consensus fort. Notre ambition était non pas de modifier les choses à la marge, mais en profondeur, par un mouvement fondateur d'une nouvelle politique écologique. Plusieurs collèges avaient été constitués : les élus, l'État, mais aussi les employeurs et entreprises, les syndicats, les associations environnementales. Le Grenelle a été particulièrement fructueux en matière de fiscalité environnementale. J'avais déjà travaillé sur ce sujet au tout début des années 2000. À l'époque déjà, on s'accordait pour considérer que la structure de notre fiscalité était dépassée : elle conduisait à taxer plus lourdement le travail, que l'on voulait pourtant développer, et plus faiblement la pollution, qu'on voulait pourtant réduire.

Nous avons beaucoup de mal à faire évoluer cette structure fiscale. Certains pays, notamment scandinaves, y sont parvenus, toujours par le consensus. C'est pour introduire une démarche semblable en France que le Grenelle de l'environnement a réuni les différents acteurs, en les plaçant face à leurs responsabilités... et sous le regard des médias. L'administration elle-même était peu encline à évoluer. Bercy préfère toujours un taux faible sur une assiette très large, afin de pouvoir prélever le maximum de la manière la plus indolore possible. La fiscalité environnementale, qui vise à faire évoluer les comportements, suit une logique différente.

Le Grenelle de l'environnement a débouché sur le bonus-malus, la taxe carbone et l'éco-redevance, devenue écotaxe lorsqu'on a choisi d'utiliser son produit pour financer non seulement l'entretien des routes taxées, mais toutes les infrastructures de transport via l'agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), donc le report modal. Je ne regrette pas cette évolution, parce que je crois légitime d'organiser un transfert permanent depuis les modes de transport les plus polluants vers les moins polluants, d'autant que certains d'entre eux, comme le ferroviaire, ne peuvent être financés que de cette manière.

L'écotaxe était l'une des mesures les plus populaires du Grenelle. Elle ralliait 85 % ou 90 % d'opinions favorables. La taxation des poids lourds apparaissait alors comme une évidence. On croyait fermement au développement des infrastructures alternatives, par exemple des tramways. Cet engouement était partagé par l'administration. L'écotaxe était une solution au problème alsacien, car la mise en place d'une écotaxe en Alsace était un engagement législatif vieux déjà de plusieurs années, que l'administration ne savait comment remplir. L'écotaxe réglait l'impasse budgétaire du financement de l'Afitf par des ressources pérennes. Le dispositif visait à la fois à taxer les externalités négatives du transport routier, à rentabiliser les routes non couvertes par le péage autoroutier, et à faire contribuer les poids lourds étrangers qui traversent la France sans rien payer des dégâts qu'ils occasionnent. Il s'agissait en somme d'atteindre deux cibles avec une seule flèche : faire payer la route à son vrai coût, y compris environnemental, et financer d'autres infrastructures.

L'engouement de l'administration était cependant modéré par une réserve de taille : tant le ministère des transports que celui des finances et des douanes se déclaraient incapables de concevoir, d'intégrer et de gérer le système. C'est ce qui a déterminé le choix du PPP, beaucoup plus que la contrainte financière. Je n'ai pas participé à ce choix, pas plus qu'à la mise en place de la commission consultative chargée de trancher entre les partenaires potentiels.

À la fin du Grenelle, comme ministre de l'écologie, je n'avais plus à connaître de l'écotaxe, entièrement prise en charge par les départements du ministère consacrés aux transports. J'ai succédé à M. Jean-Louis Borloo au ministère de l'écologie trois ans plus tard, après le dialogue compétitif, le choix d'un PPP et la définition du réseau taxable. Restait à établir le classement entre les trois candidats restant en lice. La note conjointe de l'administration des douanes et de celle des transports proposant un classement des offres a été transmise à la commission consultative, qui l'a validée. Elle plaçait en tête le consortium Autostrade, en second le consortium Sanef et, en troisième position, le consortium mené par France Télécom.

Autostrade arrivait en tête selon les critères principaux, coût bien sûr, mais aussi la place donnée aux PME, et performance. Il faisait jeu égal avec ses concurrents selon les autres critères. Certains interlocuteurs de votre commission d'enquête se sont étonnés de la rapidité de ce classement, validé par la commission consultative en décembre 2010 et signé par moi en janvier 2011. Mais à l'époque, nous étions critiqués pour aller trop lentement, car les recettes étaient attendues ! Le processus avait pris beaucoup de retard. La Sanef a en outre contesté le classement, ouvrant un contentieux qui s'est prolongé pendant six mois. Une fois qu'il a été purgé, la convention a été signée et l'opération lancée. Les premières rentrées financières étaient alors attendues pour la fin de 2012 ou le début de 2013.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Une première question sur l'équilibre entre la carotte et le bâton. Vous l'avez dit, l'écotaxe avait un double objectif : rentrées fiscales et incitation au report modal. En attendant que les structures alternatives existent, comment conceviez-vous cette incitation ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet . - Au moment du Grenelle de l'environnement, la réalisation d'un certain nombre d'infrastructures de report modal a été lancée, sans attendre le bénéfice de l'écotaxe : revivification de certaines infrastructures ferroviaires, lancement des autoroutes ferroviaires comme Bettembourg-Perpignan, rénovation du système des canaux et des ports, etc. La mise à niveau de nos infrastructures alternatives s'est faite en même temps que le lancement de l'écotaxe. Aujourd'hui, toute une partie du programme du Grenelle est arrêtée, faute de ressources pour l'Afitf.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Au moment de l'abandon de la taxe alsacienne, en avez-vous apprécié les conséquences ? Sa mise en oeuvre aurait représenté une expérimentation précieuse.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet . - Oui, hélas, le système n'était pas prêt !

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Alors comment aurait-il pu l'être pour l'ensemble du territoire ? Pourquoi ne pas avoir retardé tout le dispositif, en attendant d'avoir conduit cette expérience à moindre échelle ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet . - L'administration, je l'ai dit, ne savait pas faire. Le projet d'écotaxe nationale était perçu comme une solution au problème alsacien.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - En tant que rapporteure spéciale de la commission des finances pour les transports terrestres, j'ai auditionné les transporteurs. Eux-mêmes déclaraient qu'il n'était pas possible d'instaurer un tel dispositif en Alsace seulement.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet . - C'est plus tard que le choix a été fait de ne pas passer par l'étape préparatoire en Alsace.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - En 2013.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Je voulais souligner par là que cet abandon, comme celui de la facturation à blanc, a été préjudiciable à la mise en place du reste du dispositif.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet . - C'est certain, d'autant plus qu'en Alsace, la taxe était demandée depuis des années, comme d'ailleurs dans d'autres régions de France. Je ne sais pas pourquoi elle y a été abandonnée. Peut-être les transporteurs ont-ils été à l'oeuvre...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Ils n'ont pas aidé.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet . - Cette opposition n'était pas apparue de mon temps.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Vous avez évoqué les réticences de l'administration, notamment celle des douanes. Il n'était pas question pour le pouvoir politique de l'époque de recruter des fonctionnaires. N'était-ce pas une erreur ? Le contrôle et le recouvrement de la taxe ont de ce fait été inclus dans le périmètre du PPP, et les nombreuses contraintes techniques imposées à Écomouv' ont rendu le système de plus en plus complexe, de plus en plus cher et difficile à déployer. Le choix du PPP plutôt que du recrutement de fonctionnaires a-t-il été bien pesé ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet . - Ce n'était pas seulement une question d'effectifs. Les douanes considéraient qu'elles n'étaient pas en mesure de gérer ce système complexe, avec ses interfaces multiples.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Le degré de complexité du travail dépend des relations contractuelles que l'on établit avec le partenaire privé.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet . - Certes, mais les douanes avaient certaines exigences très élevées, notamment en matière de fiabilité du recouvrement. Après le traumatisme qu'avaient été les contentieux liés aux radars, elles tenaient à éviter les erreurs de facturation. Elles ne voulaient en aucune manière avoir à se charger du recouvrement, et exigeaient que le taux d'erreur soit très faible, non pour assurer un maximum de rentrées, comme on l'a dit, mais pour prévenir les contentieux.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Sur un dossier d'une telle importance, avez-vous le sentiment que les fonctionnaires et les ministres se sont suffisamment parlé ? Les exigences des douanes sur le taux d'erreur étaient effectivement très fortes, et assorties d'une obligation de résultat, un taux de recouvrement de 99,75 %. C'est la conjonction des deux qui a rendu le dispositif impossible à mettre en oeuvre, en tout cas dans les délais prévus. À qui appartenait-il de trancher sur un aspect aussi important : aux politiques ou aux administratifs ? Entre les politiques, comment s'est faite la répartition des compétences ? Les interfaces entre les ministres ont-elles bien fonctionné ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet . - Le processus de l'écotaxe a été interministériel depuis son origine. L'ensemble du programme avait été validé à Matignon et de nombreuses réunions se sont tenues avec le secrétaire général de l'Élysée. Sa mise en oeuvre a été intégralement interministérielle. J'ai travaillé avec la DGTIM sur la partie transports, tandis que la question du taux de recouvrement était gérée par Bercy. La coordination interministérielle s'est faite ensuite sous l'autorité du Premier ministre.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - L'information vous est-elle parvenue directement, parliez-vous avec vos collègues ministres, ou seuls les cabinets se sont-ils concertés ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet . - Je me suis tenue directement et personnellement informée de tout ce que j'ai signé.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Vous avez donc eu des échanges avec vos collègues ministres ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet . - Sans doute ! Je me souviens d'avoir évoqué le sujet avec le Premier ministre.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Ce n'est pas ce qui nous a été dit hier.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet . - C'est-à-dire ?

Mme Virginie Klès , rapporteur . - On nous a dit que les ministres ne s'étaient pas rencontrés, et que la coordination ne s'était faite qu'au niveau des cabinets.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet . - Il y a eu des réunions interministérielles entre directeurs généraux d'administration et entre membres des cabinets. J'ai, à titre personnel, évoqué ce sujet avec le directeur de cabinet du Premier ministre et avec le Premier ministre. Quant à une réunion de ministres formelle, je n'en ai pas souvenir, mais il appartient au Premier ministre d'assurer l'interministériel.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Le sentiment que nous avons après les auditions, notamment celle de M. Thierry Mariani hier, est qu'il est bien difficile de déterminer qui faisait quoi. Sur un dossier si novateur, c'est dommage !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet . - Il faut vous procurer les bleus de Matignon, qui retracent ces réunions, tenues sous l'autorité du secrétaire général du Gouvernement et des directeurs généraux. Je me rappelle très bien avoir évoqué cette question avec le directeur de cabinet du Premier ministre et avec le Premier ministre lui-même.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - N'avez-vous pas eu le sentiment que l'on a dérapé à un certain moment vers une taxe douanière ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet . - Pouvez-vous préciser votre question ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Les douanes ont pris la main sur l'ensemble de la mise en oeuvre. Je trouve cela dommage pour la fiscalité écologique.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet . - C'est l'ambigüité commune à ce genre de fiscalité environnementale. Il y a dans cette taxe une double dimension : la compensation demandée aux transporteurs routiers pour les externalités négatives de leurs activités, le prélèvement pour financer les infrastructures alternatives. Le niveau de la taxe et l'assiette reflètent un arbitrage. Le curseur a été placé à 3,5 tonnes ; la liste des routes taxables a été étendue à la demande des collectivités territoriales, qui avaient évidemment des objectifs financiers et invoquaient l'argument d'un probable report de charge. Certaines demandaient à bénéficier non seulement de l'écotaxe prélevée sur leurs routes départementales, mais aussi sur les routes nationales dans leur département.

Quant à la transformation de l'écotaxe en une taxe douanière, le recouvrement relevait bien des douanes, mais l'administration des transports a aussi joué un rôle important, notamment dans la définition de la base taxable, et dans la discussion qu'elle impliquait avec les collectivités territoriales. Chacun a eu sa place.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Résumons, quitte à forcer le trait : pour Bercy, un bon impôt doit avoir une assiette large et un taux faible tandis que, pour les défenseurs de la fiscalité environnementale, il doit avoir une assiette restreinte et un taux fort. Finalement, on a donné à la taxe poids lourds une assiette restreinte et un taux faible. Ce compromis vous parait-il avoir été le meilleur alors que l'objectif financier, fixé d'avance, était de faire rentrer un milliard d'euros ? Les douanes n'ont-elles pas été poussées de ce fait à imposer les contraintes que nous avons évoquées ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet . - Le taux justifié du point de vue environnemental et celui préconisé par Bercy n'étaient finalement pas si éloignés l'un de l'autre ; le débat a davantage porté sur la définition du réseau taxable. Notre base taxable, plus étroite qu'en Allemagne, est le résultat d'un compromis avec les collectivités territoriales. Nombre de conseils généraux ont écrit au ministère pour demander que davantage de leurs routes soient incluses. La mairie de Paris a demandé que le périphérique soit taxé. Les arbitrages ont été rendus au terme d'une concertation placée sous l'égide du président de l'assemblée des départements de France (ADF).

Mme Virginie Klès , rapporteur . - On s'accorde aujourd'hui pour considérer que la contestation violente de l'écotaxe en Bretagne a été largement provoquée par l'entrée en vigueur de cette taxe dans un moment de graves difficultés économiques et sociales dans la région. On s'accorde aussi pour considérer que le calendrier de mise en oeuvre était extrêmement important. Avez-vous, à un moment ou un autre, été personnellement avertie par Écomouv', ou par votre administration, que le calendrier ne pourrait être tenu ? Si oui, quand l'avez-vous été et par qui ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet . - Lorsque je suis revenue au ministère en novembre 2010, du retard avait été pris durant le dialogue compétitif. La convention tripartite a cependant été signée à l'automne 2011, et les premières rentrées étaient attendues pour le début de 2013. L'administration n'avait pas chômé pendant le temps du recours en justice. Mais il est certain que tout délai représentait un risque, puisqu'il nous faisait perdre quelque chose de la dynamique du Grenelle. L'installation des portiques n'a provoqué, pendant les premiers dix-huit mois, aucune protestation. C'est avec le temps que s'est créé un problème, qui avait pourtant été déminé par une négociation avec les Bretons à l'époque de M. Jean-Louis Borloo, puis par une renégociation avec le Premier ministre lui-même.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Ma question ne porte pas sur les causes de ce retard ; j'aimerais savoir si vous avez été alertée à son sujet et, si oui, par qui et à quel moment ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet . - J'avais suivi l'avancement du processus, ne serait-ce que parce qu'il était important pour le financement de l'Afitf. J'ai été informée du nouveau calendrier à l'issue de la phase de dialogue compétitif.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - ... nouveau calendrier qui, de fait, n'a pas été tenu ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet . - Mais qui était sur les rails quand j'ai quitté le ministère en novembre 2012.

M. Michel Teston . - En février 2011, vous avez pris la décision d'attribuer le contrat à la société Écomouv' sur la base du classement auquel avait abouti le dialogue compétitif. Avez-vous pris la précaution de faire effectuer une analyse complémentaire avant de valider le classement ?

M. François Grosdidier . - Nous savons quelles polémiques se sont élevées sur le principe même du PPP, sur la participation au consortium Autostrade de fonds italiens dont on laissait entendre qu'ils pouvaient être suspects, sur l'importance de la redevance... Autant de points noirs qui justifiaient la mise en place de la commission d'enquête parlementaire qui nous réunit aujourd'hui. Avez-vous eu vent de ces polémiques avant l'annonce par le Premier ministre de la suspension de la mise en oeuvre l'écotaxe ?

Vous avez souligné la contradiction qu'il pouvait y avoir entre l'impôt traditionnel, tenu à des critères de rentabilité et même de neutralité sur les comportements, et l'écofiscalité qui vise à modifier les comportements, quitte à entraîner une diminution des recettes escomptées. Quels critères ont présidé au choix par le Gouvernement du seuil de 3,5 tonnes plutôt que de celui de 12 tonnes adopté en Allemagne, alors même que l'objectif du Grenelle était de favoriser le report modal ? Vous paraît-il pertinent, dans la perspective d'une éventuelle refonte, de remonter ce seuil ? Le fait d'avoir accepté, dans un compromis avec les professionnels, la généralisation des 44 tonnes n'a-t-il pas le résultat inverse de favoriser le transport de transit par la voie routière plutôt que ferroviaire ou fluviale ? Enfin, je voudrais connaître votre avis sur l'idée de réserver l'écotaxe poids lourds aux véhicules étrangers au moyen d'une vignette qui ne serait imposée qu'à eux.

M. Éric Doligé . - Plus j'écoute vos interventions, plus je deviens libéral.

M. Jean-Pierre Sueur . - Alors il est temps que cela s'arrête !

M. Éric Doligé . - Je me rappelle les négociations pour les classements des routes : l'État avait alors déclassé les routes nationales pour les transférer aux départements. Toutes les routes nationales parallèles à une autoroute ont été ainsi déclassées : nous demandions bien sûr l'application de l'écotaxe sur ces routes-là.

Au sujet des retards, il serait intéressant de reprendre le texte de certaines auditions conduites à l'époque par la commission des finances. J'avais alors systématiquement interrogé le ministre des transports et le directeur des routes sur la date d'application de l'écotaxe, pour savoir quand nous pourrions l'inscrire dans nos budgets. À chaque fois, on nous annonçait un nouveau retard. Cela a duré jusqu'au début de 2012, mais nous espérions recevoir les premières recettes d'écotaxe dans le courant de 2012. Nous avons donc déjà un an et demi de retard, bientôt deux. Ce sont près de deux milliards d'euros de perdus.

J'en viens aux raisons pour lesquelles je deviens de plus en plus libéral : étant donnée cette succession de reports et de difficultés, ne vaudrait-il pas mieux favoriser des partenariats privé-privé ? Quant aux fonctionnaires, dont notre rapporteur évoquait le recrutement, sachez que si l'État en avait embauché 100 pour les affecter à la mise en oeuvre de l'écotaxe, il aurait fallu les payer chacun pendant quarante ans, plus vingt ans de retraite.

M. François Grosdidier . - Cela aurait fait moins de chômeurs à Metz.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Voilà beaucoup de questions pour Mme la ministre. Permettez-moi d'en ajouter une : quelle a été votre appréciation sur la décision de la suspension de l'écotaxe, et quelles conséquences en tirez-vous ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet . - Le classement, monsieur Teston, avait lui-même été établi au terme d'analyses très fouillées, associant toutes les expertises présentes dans l'administration. Ce classement a été transmis à la commission consultative, qui réunissait elle aussi différentes compétences, et qui l'a validé. Je ne vois pas quelle analyse complémentaire aurait pu être menée. J'ai donc naturellement validé ce classement, qui mettait en avant sans ambigüité l'un des candidats. Du reste, si j'avais choisi un autre ordre que celui retenu par la commission consultative, que n'aurait-on pas dit ! Vous me demandiez, monsieur Grosdidier, si nous avions eu vent des polémiques en amont. La réponse est non. L'écotaxe était l'une des propositions du Grenelle les plus plébiscitées. Tout le monde était d'accord sur l'idée de faire payer aux poids lourds les dommages faits aux routes, et de financer du même coup le report modal.

Le fait que le dialogue compétitif ait été remporté par un consortium italien a été l'un des motifs de la Sanef pour faire un recours. Outre que cet argument n'est pas recevable en droit européen, Autostrade était associé à plusieurs partenaires français, tandis que ses concurrents l'étaient à des étrangers : tous ces consortiums associaient en réalité des Français à d'autres Européens.

La question du coût du recouvrement, maintenant très critiqué, n'avait pas été mise en avant à l'époque. La polémique sur ce sujet est excessive : le consortium retenu était de loin le moins cher ; si d'ailleurs on rapporte ce coût aux véhicules par kilomètre, on constate qu'il est dans la moyenne européenne, alors que notre système est meilleur parce que conçu plus récemment, et surtout interopérable, comme le demande aujourd'hui l'Union européenne.

Rapporté au produit de la taxe, le coût du recouvrement est évidemment important. C'est, d'une part, parce que la base taxable est moins importante en France qu'elle ne l'est par exemple en Allemagne ; d'autre part, parce que le montant de la taxe a été fixé à un niveau modeste, inférieur à ce qu'il pourrait être au regard des externalités environnementales. Le choix du seuil de 3,5 tonnes plutôt que de 12 tonnes a été fait avant mon arrivée au ministère. Je n'en connais pas les tenants et les aboutissants. La généralisation des 44 tonnes n'est pas à mon avis une bonne chose pour l'environnement. C'est là un arbitrage que j'ai perdu.

Quant à l'idée de réserver la taxe aux véhicules étrangers, c'est une tentation évidente, puisqu'ils ne payent pas la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP), et ne sont pas astreints aux mêmes normes sociales que nous. Mais le droit européen n'autorise pas une telle différence de traitement. Le recours à une vignette ne constituerait pas, de toute façon, une incitation environnementale efficace.

Un retard important a été pris au moment du dialogue compétitif, tenant au besoin d'affiner les conditions de mise en oeuvre. Le calendrier établi ensuite n'a guère été modifié pendant la période où j'étais au ministère. Il est vrai que le temps administratif fait que certains projets arrivent à échéance alors que le souffle initial s'est épuisé. Ce décalage a été particulièrement pénalisant pour l'écotaxe.

J'en viens à la question de Mme la présidente sur la décision de suspension. Je reste persuadée que l'écotaxe est une bonne chose, pour des raisons environnementales comme pour des raisons financières. Où prendra-t-on l'argent nécessaire pour refaire les routes et pour développer les modes de transports alternatifs ? Il faudra un milliard d'euros par an. S'il ne vient pas de l'écotaxe, ce sera de la poche des contribuables. Mais pour que la taxe soit bien comprise, il fallait mettre en face des nouvelles recettes fiscales de nouveaux investissements : ceux du plan de relance, des investissements d'avenir, et ceux du Grenelle lui-même en matière d'infrastructures.

La polémique actuelle pose un problème de crédibilité des acteurs dans la durée : crédibilité de l'État, qui s'était engagé dans ce dispositif ; crédibilité des élus qui, tous participants au Grenelle de l'environnement, avaient voté quasi-unanimement la loi Grenelle I, et qui en Alsace demandaient la taxe. J'ai été navrée, à l'automne dernier, de voir l'attitude de certains d'entre eux : ils n'étaient plus au courant de rien. C'est enfin un problème de crédibilité des acteurs économiques, parce que certains de ceux qui protestent aujourd'hui étaient assis autour de la table du Grenelle de l'environnement et avaient négocié les conditions de la mise en oeuvre de l'écotaxe. C'est le cas des transporteurs bretons. On constate, depuis des années, un processus de concentration des transporteurs routiers, qui met en péril la survie des petites structures, mais qui n'est pas lié à l'écotaxe. Celle-ci a servi de bouc émissaire dans les difficultés économiques que traverse la Bretagne. Tous y trouvaient leur compte, les responsables de la concentration des transports routiers comme ceux de l'industrie agro-alimentaire, engagée dans un processus massif de délocalisation vers l'Est.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Pensez-vous que l'on a suffisamment pris en compte les rapports de force entre les transporteurs et les distributeurs ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet . - Je me suis posé la question mais je ne sais vous répondre. Fallait-il une répercussion en pied de facture ? J'ai un doute mais je ne puis trancher.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Merci pour cette audition.

Audition de Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie (Mardi 29 avril 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous entendons Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie depuis le 2 avril 2014.

Je rappelle que notre commission d'enquête porte sur « les modalités du montage juridique et financier et l'environnement du contrat retenu in fine pour la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds », sujet différent de celui dont est saisie la mission d'information de l'Assemblée nationale, qui s'interroge sur les contours d'une nouvelle écotaxe pour financer les infrastructures.

Nous souhaitons, madame la ministre, connaître votre analyse sur le choix de la société Écomouv' pour mettre en oeuvre l'écotaxe ainsi que sur le contenu du contrat signé avec elle, et votre appréciation quant à la conduite de ce projet par vos prédécesseurs. Allez-vous maintenir l'écotaxe dans son principe ? Dans ses modalités ? Allez-vous mettre fin au contrat ? Si oui, comment - déchéance, résiliation pour motif d'intérêt général, résiliation pour faute ? Ou bien entendez-vous poursuivre, en signant un avenant au contrat ? Bref, quelle est votre solution pour régler la situation avec Écomouv' ? Et avec les banques ?

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Ségolène Royal prête serment.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Vous n'étiez pas au Gouvernement lorsque le projet d'écotaxe s'est concrétisé par la signature du contrat avec Écomouv', mais je suppose que vous vous êtes plongée dans le passé afin d'éclairer le futur. Quelle appréciation portez-vous sur le choix de la société Écomouv' et sur l'ensemble des choix qui ont conduit à privilégier, plutôt qu'un système déclaratif ou une vignette, une option technologique mise en oeuvre dans un partenariat public-privé ?

Mme Ségolène Royal, ministre . - Je vous remercie d'avoir souhaité m'entendre et de rappeler ici que je n'ai pas eu part à la signature de ce contrat. Nous sommes aujourd'hui dans une impasse et je suis heureuse que le Sénat et l'Assemblée nationale se soient saisis du sujet, car vos travaux éclaireront le Gouvernement et nous aideront à prendre les bonnes décisions.

La première curiosité, en cette affaire, tient au calendrier. Voilà une réforme qui a été décidée lors de la conférence intergouvernementale de 2007, votée dans la loi Grenelle de 2008, dont elle constituait une mesure emblématique. Le contrat n'est pourtant conclu que fin 2011, et fait l'objet, le 6 mai 2012, d'un décret fixant les modalités de répercussion, pris de façon précipitée en un temps où le gouvernement d'alors aurait dû se contenter d'expédier les affaires courantes, ce qui va déclencher les événements en Bretagne.

Ce dispositif très technique reposait, dans ses grandes lignes, sur une répercussion au réel, mais requérait des calculs a priori de l'écotaxe générée par la prestation de transport, puis des calculs a posteriori de l'écotaxe effectivement générée par la prestation de transport en fonction des trajets réellement entrepris, avec des règles de partage pour les transports mélangeant plusieurs clients. Les transporteurs ont considéré que ce dispositif était complexe et fragilisait leurs relations commerciales puisqu'il supposait une modification a posteriori du coût de la prestation de transport. Solidement organisés, ils avaient, dès 2010, indiqué au Gouvernement qu'ils seraient attentifs à voir retenu un dispositif leur permettant de répercuter l'écotaxe sur leurs clients, c'est à dire les chargeurs. Il y a là une première perversion du système, puisque destiné, à l'origine, à faire payer aux camions le coût d'usage des infrastructures, il conduira, in fine , à faire payer les chargeurs, c'est à dire les producteurs.

À son arrivée, le nouveau gouvernement a souhaité concevoir un dispositif alliant simplicité et garanties pour les transporteurs, mais prenant sans doute insuffisamment en compte la sensibilité pour les chargeurs, exacerbée en Bretagne. Il reposait sur les principes suivants : il était calculé, pour chaque région, le montant total de l'écotaxe générée par tous les transports de la région ; ce montant, rapporté au cumul de tous les transports effectués dans cette région permettait de calculer un taux unique pour la région concernée et toutes les prestations de transport, quel que soit le réseau utilisé, y étaient affectées d'une majoration sur la base du taux calculé. On peut l'illustrer avec l'exemple de la Bretagne, où il est calculé que le montant total de l'écotaxe générée dans la région, une fois inclus l'abattement de 50 % qui lui est reconnu, serait de 45 millions d'euros. L'ensemble des prestations de transport étant de 1 200 millions d'euros, l'écotaxe représente 3,7 % de ce montant. Il est donc décidé que tous les chargeurs de la région acquitteront sur leur facture, pour tous les transports qu'ils commandent, une majoration de 3,7 %. Ainsi pour toutes ces entreprises, l'écotaxe se traduit, simplement et douloureusement, par une majoration uniforme de 3,7 % de leur budget transports. On n'est plus du tout dans le principe de départ : les transporteurs ont obtenu un dispositif sécurisant, mais pour les chargeurs, l'écotaxe se traduit en une simple taxe sur les prestations de transport, comme si avait été créé un taux de TVA majoré sur l'activité transport.

L'entreprise Écomouv' qui a accompagné, et j'imagine conseillé, le Gouvernement qui a édicté le décret du 6 mai 2012 et conduit à ces adaptations porte sa part de responsabilité. Ce qui faisait le coeur du contrat, qui tendait à faire payer les transporteurs, a été perdu de vue.

Deuxième observation, ce contrat comporte des clauses assez exorbitantes, puisqu'il prévoit une rémunération des fonds propres à hauteur de 17 %, à quoi s'ajoute un coût de prélèvement de 25 % - très au-delà des coûts de recouvrement par l'administration fiscale. Est-ce bien défendre les intérêts de l'État que de donner à une entreprise privée le pouvoir de percevoir une taxe à un tel coût ? Sans compter que toutes les péripéties qui ont entouré ce contrat, depuis les retards dans les équipements et leur installation, en passant par les négociations avec les transporteurs, qui ont retardé l'exécution du contrat, signé fin 2011, jusqu'à la remise en cause de son objet initial par le décret du 6 mai 2012 visant à répercuter la taxe sur les chargeurs, ont fait subir un préjudice considérable à l'intérêt général. On entend beaucoup parler, dans cette affaire, du préjudice subi par Écomouv'. J'indique que je ferai valoir aussi celui qu'ont subi l'État et les collectivités territoriales, qui ont besoin du produit de cette taxe pour engager leurs travaux. Il faudra clairement évaluer la responsabilité d'Écomouv' dans ces atermoiements.

L'entreprise, de surcroît, n'a pas été parfaitement opérationnelle. Il y a eu du retard dans les installations. On est là dans un système qui coûte avant de rapporter. Et il n'y a pas même de certitude sur le coût, puisque le contrat peut être révisé en fonction du coût réel et que le chiffre de départ, de 250 millions d'euros, a vite enflé. En regard de quoi on n'a aucune certitude quant au rendement. On est en droit de se demander s'il n'y a pas, là aussi, un déséquilibre.

Il semblerait également que les exigences de la loi informatique et libertés ne soient pas respectées, puisque tous les roulants seront enregistrés, même ceux qui ne sont pas soumis à la taxe, le départ entre les redevables et ceux qui ne le sont pas n'ayant lieu qu' ex post . Pourquoi ce problème que soulève la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) n'a-t-il pas été anticipé par l'entreprise, et quelle solution technique a-t-elle à proposer pour préserver la vie privée des citoyens ?

Je me demande si Écomouv' n'a pas proposé, au total, un système un peu magique : un taux de recouvrement de 99 %, que même nos services fiscaux, aussi performants soient-ils, peinent à atteindre ; des délais qui paraissaient particulièrement courts pour l'installation des équipements ; un rendement assuré par un dispositif technique qui semblait d'une grande simplicité alors que l'on découvre, in fine , qu'il est extrêmement complexe. Sans parler du mécanisme de répercussion qui dévoie le principe initial du pollueur-payeur.

Je me suis interrogée, enfin, sur la sensibilité de l'opinion à ces portiques. Pour constater que ce mobilier, tout de même assez agressif, ne donnait pas lieu à délivrance d'un permis de construire. C'est ainsi que l'on en a vu tout à coup apparaître, dans certaines communes, sans que le maire soit même informé. Quand les citoyens constatent qu'ils doivent demander un permis de construire pour modifier une façade ou installer une clôture, tandis qu'aucune formalité n'est exigée pour installer ces portiques, qui ne sont pas anodins dans le paysage, qui enregistrent tout ce qui passe dessous et dont la raison d'être exigerait bien des explications, on peut comprendre que certaines réactions locales aient été très vives à l'encontre de ces objets non identifiés qui faisaient ainsi leur apparition.

Tels sont, pour moi, les éléments d'appréciation de ce dispositif. La question est maintenant de savoir que faire. Je n'ai pas de solution miracle, je ne suis pas Écomouv', et j'attends beaucoup de vos investigations et des éclairages que vous pourrez, comme l'Assemblée nationale, nous apporter.

Certaines des pistes que l'on a entendu évoquer me semblent, cependant, poser un problème de conformité à la Constitution. L'idée d'exclure totalement certaines régions, comme la Bretagne, du dispositif, ne contredit-elle pas le principe d'égalité devant l'impôt ? On a également parlé d'une prise en compte des spécificités agricoles : c'est là une piste qui me paraît fort complexe et pourrait donner lieu à contentieux, car comment définir quels producteurs doivent être exonérés ? La répercussion « en pied de facture » jusqu'aux grandes et moyennes surfaces (GMS) ne résoudra pas le problème, parce qu'elle sera facultative. Quant à l'idée d'une régionalisation, elle commence à soulever des inquiétudes quant au volet mobilité des contrats de plan État-régions, qui exige de la péréquation et de l'équité dans la répartition de cette taxe.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Vous dites que l'on s'est peu à peu éloigné des objectifs initiaux, mais le principe du pollueur-payeur, retenu par le Grenelle de l'environnement, est bien respecté : les chargeurs sont les donneurs d'ordre.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Vous avez pointé un certain nombre de responsabilités en soulignant le préjudice subi par l'État. S'agit-il là d'un argument que vous entendez faire valoir dans une optique de sortie de crise par la négociation avec Écomouv', afin de remodeler le contrat par avenant, ou envisagez-vous plutôt une sortie complète du dispositif de l'écotaxe, pour lui substituer autre chose, comme une vignette, par exemple ?

Mme Ségolène Royal, ministre. - Il est trop tôt pour trancher. J'ai approuvé le processus de conciliation, qui faisait suite à la dénonciation par le gouvernement Ayrault, mais n'ai pas encore donné de mandat précis au conciliateur, car j'attends le résultat des travaux de votre commission d'enquête pour lui adresser des instructions précises.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Vous avez souligné l'écart que l'on constate entre le consensus de naguère, lors du Grenelle, sur le principe de l'écotaxe, et les fortes réticences qui s'élèvent aujourd'hui sur certains territoires. Cette taxe, dans la version qui a été retenue, reste-t-elle bien une imposition écologique ou faut-il considérer qu'elle est devenue douanière ? À moins encore qu'elle ne cumule les inconvénients de ces deux types de fiscalité...

Mme Ségolène Royal, ministre . - Le retour du mot même d'écotaxe soulèvera toujours la même opposition. L'exemple de la Bretagne, que j'ai évoqué, montre qu'il s'agit, finalement, d'un impôt généralisé à 3,7 %. On est bien loin de la logique de la redevance ou du péage routier, auquel il vaudrait la peine de réfléchir. En particulier pour les transporteurs venus de l'étranger, qui transitent sur notre territoire sans contribuer en rien à l'entretien de nos infrastructures routières, pas même par la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) puisqu'ils font le plein de l'autre côté de la frontière.

Le dispositif financier et technique du contrat peut-il être remis d'aplomb ? C'est un système extrêmement complexe, et qui implique une déperdition de rendement, de l'ordre de 250 à 300 millions d'euros par an, difficilement acceptable tant au regard du contexte de réduction de la dépense publique que de nos besoins en matière d'infrastructures.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Le contrôle et les exigences de l'État - vous avez évoqué le taux de recouvrement - ont beaucoup pesé. Comment envisagez-vous les choses aujourd'hui ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Le taux de 99 % n'a pas été décidé par Écomouv' mais imposé par les services des douanes. C'est un taux très élevé, bien supérieur à celui qui a été demandé en Allemagne, par exemple.

Mme Ségolène Royal, ministre . - Mais les responsables d'Écomouv' se sont déclarés prêts à l'assurer. Nous sommes dans le cadre d'un contrat...

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Mais puisque l'on parle désormais d'aménager ce contrat, envisagez-vous de revoir à la baisse certaines exigences de l'État pour rendre le système moins onéreux et plus acceptable, et préserver son caractère incitatif - car il y a là un arbitrage politique à faire : veut-on une taxe douanière ou une taxe écologique ? Est-ce là une piste que vous envisagez ?

Mme Ségolène Royal, ministre . - Non, car je considère, pour l'instant, que c'est l'État qui a subi le préjudice principal. Et les collectivités territoriales, qui attendent pour engager leurs travaux. Comment l'État pourrait-il revoir à la baisse ses exigences, au risque de remettre en cause la procédure de mise en concurrence qui a présidé à l'attribution du contrat ? Sauf à reprendre le contrôle de l'ensemble du dispositif.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Mais combien de temps peut-on rester dans cette situation ? Écomouv' a demandé la mise à disposition. L'État avait deux mois pour répondre, soit jusqu'au 20 mars. Vous n'y êtes pour rien, mais on est aujourd'hui dans une situation presque précontentieuse. À combien estimez-vous le coût, pour l'État, de la suspension, au-delà de la perte de recettes ?

Mme Ségolène Royal, ministre . - Vous faites allusion à un dédommagement d'Écomouv' ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Je dirais plutôt à l'application du contrat, qui n'est pas suspendu, et comporte des clauses précises...

Mme Ségolène Royal, ministre . - La conciliation va permettre d'intégrer le préjudice de l'État. Il y a tout de même un problème d'opérationnalité de l'entreprise, qui s'est traduit par des atermoiements, des délais, des dysfonctionnements, sans parler de la non-conformité aux exigences de la loi informatique et liberté et de la sous-estimation des risques de réactions locales, alors que cela eût été la moindre des choses de prendre contact avec les maires avant l'installation des portiques. Toutes ces difficultés ont été un peu occultées, et l'on comprend pourquoi, par l'entreprise, mais elle devra, dans le cadre de la conciliation, rendre des comptes. Dans sa façon même de se comporter, l'entreprise a provoqué des retards, donc un préjudice.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Notre commission d'enquête doit impérativement, vous le savez, rendre son rapport le 27 mai. Si j'ai bien compris, le conciliateur n'aura pas reçu, à cette date, son mandat ?

Mme Ségolène Royal, ministre . - Vous avez bien compris. On ne va pas donner de mandat au conciliateur alors que vous êtes en train de travailler.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Mais pensez-vous que les banques vont attendre sans rien exiger ?

Mme Ségolène Royal, ministre . - Si l'on entre dans un contentieux, je ferai valoir le préjudice de l'État. Car on parle beaucoup du préjudice d'Écomouv', mais moins de l'intérêt général. Et je ne suis pas sûre que l'entreprise sera en position de force dans un contentieux.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Chaque partie a désigné un conciliateur, et ces deux conciliateurs devaient en désigner un troisième. L'a-t-il été ? J'ai du mal à discerner si l'on est véritablement entrés dans une période de conciliation, on si l'on est encore dans une période de négociation, sachant que chacun a intérêt à négocier. Nous avons besoin de le savoir, car nos travaux touchent à leur fin.

Mme Ségolène Royal, ministre . - Les deux conciliateurs désignés par chacune des parties en ont désigné un troisième. Il s'agit de M. Labetoulle. Ils peuvent donc dialoguer, mais nous n'avons pas encore donné de mandat précis au conciliateur que nous avons désigné.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Mais le Gouvernement n'a pas encore agréé la mise à disposition ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Dont la demande a été faite en janvier.

Mme Ségolène Royal, ministre . - C'est un élément qui fait partie de la conciliation.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Merci de ces éclaircissements.

M. Michel Teston . - Dans la perspective de la mise en place de l'écotaxe poids lourds, le gouvernement Fillon avait fixé la taxe à l'essieu au niveau minimum. Cela ne constitue-t-il pas, depuis, une importante perte de recettes pour l'État ?

Vous avez évoqué une taxation des poids lourds en provenance de l'étranger. Sachant que les transporteurs français paient la TIPP, serait-il envisageable de mettre en place un dispositif visant à compenser le fait que les transporteurs venus de l'étranger ne la paient pas ?

Mme Ségolène Royal, ministre . - L'eurovignette ne peut être mise en place que s'il n'existe pas d'autres péages d'usage des infrastructures. L'Allemagne a pu le faire, car ses autoroutes sont gratuites. Tel n'est pas le cas en France, où les autoroutes, à la différence des routes nationales, sont payantes. Si l'on incitait les camions à les emprunter - tout en veillant à préserver l'équilibre des flux - l'augmentation induite du chiffre d'affaires des autoroutes pourrait être en partie reversée au bénéfice des infrastructures.

M. Éric Doligé . - Vous avez dit que les maires n'avaient pas été prévenus de l'installation des portiques et que les sensibilités avaient pu en être aiguisées dans l'opinion. Mais dans mon secteur géographique, ils l'ont été largement. Des autorisations d'implantation ont été délivrées à la suite de négociations approfondies, entre eux et la société Écomouv', sur le choix de leur emplacement.

Mme Ségolène Royal, ministre . - Tant mieux, car cela n'a pas été partout le cas.

M. Éric Doligé . - Je lisais le compte-rendu d'un entretien entre le président de la FNSEA, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, et le Premier ministre, qui y indique que le système précédent est complètement abandonné et que vous avez ouvert une réflexion sur la remise à plat du dispositif. Confirmez-vous cet abandon ? En quoi consiste la remise à plat ? Nous sommes tous inquiets de voir trainer ce dossier, vous êtes-vous fixé un délai ?

Vous évoquez les responsabilités. Dans le cadre d'une négociation, elles seront partagées. Or, les collectivités territoriales sont directement concernées, parce que les travaux programmés ne sont pas réalisés, mais aussi parce qu'elles devaient bénéficier de recettes. Il faudra le prendre en compte.

Vous dénoncez, enfin, le terme de taxe, mais je vous rappelle que le gouvernement Ayrault n'a pas témoigné des mêmes réserves lorsqu'il a autorisé les collectivités à augmenter les droits de mutation, en déclarant que cela n'était pas important puisqu'une taxe n'était pas un impôt.

M. François Grosdidier . - Vous parlez de remise à plat, mais n'est-ce pas plutôt une remise en cause ? Pour qu'un dispositif soit remis à plat, encore faut-il qu'il soit entré en vigueur, or ici, il semble qu'il soit plutôt question de l'abandonner.

J'ai noté bien des contradictions dans vos propos. À l'encontre de l'entreprise, vous dénoncez à la fois retards et précipitation. Mais nous avons pu constater ici comment le dossier a été appréhendé : les retards que vous dénoncez ont été négociés entre le partenaire privé et l'État. Et quand vous attribuez les émeutes en Bretagne à la précipitation avec laquelle aurait été pris le décret, faut-il vous rappeler que des observateurs très neutres s'accordent plutôt à les imputer à un ras-le-bol fiscal, cette taxe s'ajoutant à beaucoup d'autres, bien plutôt qu'au système d'Écomouv', qui avait été largement négocié, avec la fédération nationale des transporteurs routiers (FNTR) et les représentants de Bretagne ?

J'aimerais savoir ce qu'est pour vous la différence entre un dispositif incitatif et un dispositif punitif. Dès lors que l'on pose une réglementation assortie de sanctions, on est, en matière d'environnement comme ailleurs, dans le punitif. Or, le principe même de l'écofiscalité, c'est l'incitation. Je comprends donc mal que vous vous offusquiez de la répercussion sur les chargeurs. Le propre de l'écofiscalité, c'est bien d'intégrer les coûts environnementaux dans le prix de revient, donc dans le prix de vente d'un produit. Il s'agit d'éviter que les viandes issues d'animaux élevés en Bretagne, par exemple, n'arrivent dans nos supermarchés, quand elles sont transformées sur place, à un prix supérieur à celles dont la transformation est délocalisée. Les camions qui sillonnent ainsi la France évitent soigneusement la Suisse et l'Allemagne - qui ont choisi de taxer les transports plutôt que le travail - et, passant par l'Alsace et longeant le sillon rhodanien, polluent notre air et détériorent nos routes, sans rien payer.

La suspension du dispositif de l'écotaxe se fait au préjudice de ces régions frontalières, mais aussi de la Bretagne. Il est curieux que la réponse du gouvernement Ayrault à la fermeture de l'abattoir Gad, qui signe la délocalisation de l'aval de la filière agroalimentaire, se solde par l'abandon de l'écotaxe, qui avait précisément vocation à relocaliser les activités... Et si tel est bien votre choix, je crains que ne soient déçus les espoirs que vous fondez sur les conclusions de cette commission d'enquête pour permettre à l'État de s'exonérer de sa responsabilité financière à l'égard d'Écomouv' en cas d'abandon du projet sur un motif d'intérêt général, autrement dit une décision politique.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Il faut conclure.

M. François Grosdidier . - M. Teston a soulevé la question de la taxe à l'essieu. Les transporteurs français ont bénéficié de sa diminution, qui anticipait la mise en place de l'écotaxe. Ils ont aujourd'hui le beurre et l'argent du beurre. Ils acquittent certes la TIPP...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Il est temps de conclure.

M. François Grosdidier . - Un dernier mot sur le site de l'agglomération messine, où Écomouv' devait s'implanter. Qu'adviendra-t-il des emplois qui devaient compenser la restructuration de nos implantations de défense ? Et vous sanctionnez encore ce site en lui refusant l'implantation du projet de centrale solaire qui y était prévu !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - On pourrait aussi s'interroger sur le sort des cent trente douaniers qui ont été transférés.

M. Louis Nègre . - Ceux qui attendaient, depuis 2007 que l'on y travaille, que l'écotaxe soit enfin mise en place, comme cela a été fait dans d'autres pays, ont été un peu surpris par vos déclarations à l'emporte-pièce. Qu'allez-vous mettre à la place ? Tout le monde se le demande et, si j'ai bien compris, vous cherchez aussi. Vous avancez l'idée d'un péage, pourquoi pas. Mais il me semble politiquement délicat, à un mois des élections européennes, de parler, comme vous le faites, de faire payer les étrangers. Ne craignez-vous pas de libérer là des tentations démagogiques comme celles du Front national ? Si vous parlez de pénaliser les camions étrangers, où est l'Europe ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous avons beaucoup de questions...

M. Louis Nègre . - Il est un autre point sur lequel je veux attirer votre attention. Votre idée est, semble-t-il, d'envoyer davantage de camions sur les autoroutes, pour leur faire payer une surtaxe. Mais dans le Midi, et notamment dans les Alpes-Maritimes, dont je suis originaire, 600 000 poids lourds passent déjà sur l'autoroute A8. Alors que ce mur de camions est déjà un massacre pour la région, si vous en rajoutez, où va-t-on ? Je vous ai saisi aujourd'hui même d'une proposition de Philippe Mangeard, qui tend à s'appuyer sur le décret du 24 octobre 2011 relatif à l'information sur la quantité de dioxyde de carbone émise à l'occasion d'une prestation de transport...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Vous sortez du périmètre de nos travaux.

M. Louis Nègre . - Il s'agit de rechercher une solution préservant l'intérêt général.

M. Ronan Dantec . - J'essaierai de m'en tenir au sujet. J'ai pour ma part décelé, dans vos propos, madame la ministre, un souci de continuité de l'action de l'État qui me rassure. Nous sommes ici très nombreux à penser que le terme d'écotaxe était le pire que l'on pouvait retenir, et que celui de péage routier préserve mieux l'esprit de la redevance que nous entendions, de façon assez consensuelle, mettre en place. Il me semble que l'idée d'un péage qui serait, en somme, une taxe kilométrique sur l'usage, tout en visant à dénouer les blocages, est en continuité avec cet esprit. Peut-être pourrait-on aller encore plus loin vers un système au réel, en le faisant accepter par les transporteurs - puisqu'aussi bien ce sont eux qui ont négocié l'idée du « pied de facture » - pour aller vers une sortie de crise. Est-ce là pour vous une piste, ou bien allez-vous plus loin dans la remise en cause du système ?

M. Vincent Capo-Canellas . - Vous avez eu, madame la ministre, un propos liminaire roboratif, qui a le mérite de la franchise et de la clarté, mais j'aimerais que l'on se penche sur les précisions que vous avez apportées. D'accord sur le point de départ : nous sommes dans une impasse. Mais où nous conduisez-vous pour en sortir ? J'observe qu'au terme d'une analyse très critique, vous avez conclu en disant que le dispositif pouvait difficilement être remis d'aplomb. Au sein de notre commission, cependant, une autre option semblait pouvoir tenir la corde, qui était de renégocier avec Écomouv' au mieux des intérêts de l'État et au plus près de l'objectif écologique de départ - favoriser le report modal. Visiblement, vous l'écartez. Est-ce l'option du Gouvernement ? J'aimerais que l'on soit au clair là-dessus. La négociation avec Écomouv', dans laquelle vous commencez un peu haut, comme cela est la règle du jeu, doit-elle déboucher sur une conciliation
- dont notre rapporteur conclut un peu vite de vos propos qu'elle est engagée - ou entendez-vous mettre par terre l'écotaxe, en écartant toute idée de compromis avec Écomouv' ? Et dans ce dernier cas, que faites-vous du risque financier, qui se compte en centaines de millions d'euros, pour l'État ? Comment assurer l'objectif écologique et le financement de l'Afitf ? Faire payer les autoroutes, et, éventuellement, faire payer sur les autres routes, pourquoi pas, mais à quelle échéance, comment ? Et comment, surtout, envisagez-vous de sortir du système actuel ? Car il ne suffit pas de condamner...

M. Philippe Leroy . - L'écotaxe a été votée, il y a deux ou trois ans, sur tous les bancs politiques. Mais on a vu se déliter l'adhésion à ce voeu national, parce que les transporteurs ont « rouspété », parce que les agriculteurs ont « rouspété », parce que chacun s'est employé à démonter le système. Et l'on se rend compte que le principe de continuité de l'État, par manque de fermeté, n'est pas assuré. Et voilà qu'en quelques années, un système que j'estime pour ma part nécessaire et sur lequel chacun s'accordait se trouve remis en cause.

Entendez-vous, madame la ministre, vous engager dans une conciliation ? Je me pose la question. Vous avez dénoncé la rémunération du capital de 17 %, et les frais de recouvrement de 25 % prévus par le contrat. Si vous entendez démarrer la négociation sur ces bases, il est clair qu'elle ne sera pas purement technique, faite d'adaptations mineures destinées à rassurer telle catégorie socio-professionnelle ou tel territoire. Vous placez la barre très haut, comme l'a relevé M. Capo-Canellas. Il serait bon que les chiffres que vous avez mentionnés soient sûrs.

M. Roland Ries . - J'ai été rapporteur sur ce projet de loi et je n'imaginais pas alors que l'on puisse en arriver à cette impasse, tant le consensus était large sur le principe, même si nous avions eu davantage de discussions sur les modalités pratiques de sa mise en oeuvre. Mon souci est à présent, comme c'est ici j'imagine celui de chacun, que nous sortions de cette impasse.

Je suis désormais convaincu que le système qui a été mis en place est un système perfectionniste, qui coûte très cher et dont il se révèle qu'il n'était pas nécessaire. Aurait-on retenu un système déclaratif, avec un taux de recouvrement de 95 % plutôt que de 99 %, ou une vignette, les choses auraient été très différentes.

Il n'y a que deux façons d'en sortir. La première, c'est d'amender le système, en réfléchissant par exemple au tonnage - la préfiguration alsacienne devait porter sur les 12 tonnes, on est ici à 3,5 tonnes - ou en travaillant sur les circuits courts... L'autre hypothèse, c'est d'abandonner le système, ce qui n'est pas sans conséquences financières puisqu'il faudra, même en négociant, indemniser Écomouv'. Et que mettre à la place si l'on veut appliquer le principe, souhaitable, d'un péage pour les poids lourds ? Un système déclaratif ? Une vignette ? Autre chose ?

Bref, nous sommes face à cette alternative. J'aimerais savoir si vous êtes au clair là-dessus.

Mme Ségolène Royal, ministre . - Que de questions ! Je vais tenter de faire la synthèse. Abandon ou remise à plat ? C'est affaire, monsieur Doligé, de vocabulaire. J'ai à gérer, au vrai, une situation de suspension, décidée par le Gouvernement et non pas moi, et dont j'hérite. Il est normal que je recherche, avec votre aide et celle de la mission de l'Assemblée nationale, des solutions, et c'est bien pourquoi j'ai parlé de remise à plat
- déclaration qui n'a rien de tonitruant.

Vous avez eu parfaitement raison d'évoquer le manque à gagner pour les collectivités locales. Il y a des portiques installés sur certaines routes départementales à la demande des conseils généraux, qui devaient rapporter 160 millions d'euros. C'est un vrai sujet...

Je ne polémiquerai pas avec vous, monsieur Grosdidier. Il est vrai que la loi a été votée à l'unanimité, mais on a vu d'excellents dispositifs théoriques connaître des problèmes d'application. On ne peut pas ignorer la réaction qui s'est manifestée dans le pays. La fiscalité écologique doit être comprise et acceptée par les citoyens, et servir à faire évoluer les comportements. C'est aussi là le fond du problème. Il y a eu un déséquilibre dans le dispositif, car une fiscalité écologique ne vise pas seulement à obtenir un rendement, au service des infrastructures, mais veut aussi inciter à des comportements moins polluants. Vous avez cité les Bretons ; ils ne demanderaient pas mieux que de choisir le fret, encore faudrait-il qu'ils aient le choix. Or, il n'y a pas de transport alternatif. J'ajoute qu'avec le système retenu à l'heure actuelle, la répercussion sur le producteur serait de toutes façons la même, qu'il choisisse la route ou le train. On en est arrivé à un système absurde à coups d'aménagements au gré des rapports de force. Sans polémique, reconnaissons que l'on hérite là d'une drôle de « patate chaude » ! La loi a été votée il y a six ans - et non pas trois ans - et c'est aujourd'hui qu'il faut trouver des solutions...Et les trouver ensemble, c'est bien pourquoi je ne veux pas entrer dans la polémique, parce que le volet mobilité des contrats de plan en dépend. À nous de travailler collectivement pour que les travaux, qui créeront des emplois, puissent être engagés.

Je ne vise pas les camions étrangers, monsieur Nègre, mais des camions venus de l'étranger. C'est d'ailleurs le dispositif qu'ont adopté le Royaume Uni et l'Allemagne : l'eurovignette aux frontières, dont le coût de prélèvement et de gestion est bien inférieur à celui d'un système de portiques sur l'ensemble du territoire. Il ne nous est pas permis, en France, parce que les autoroutes, qui ont été privatisées dans le contexte que l'on sait, sont payantes. Cela vaut la peine d'y réfléchir. Il n'est pas normal que les autoroutes fassent deux milliards de bénéfice, payés par les usagers, sans que rien n'en revienne au financement des infrastructures dans le cadre des contrats de plan. Pour ne rien vous cacher, nous sommes entrés en contact avec les actionnaires des sociétés autoroutières. Un prélèvement de moitié seulement de leur bénéfice correspond au rendement prévu pour l'écotaxe. Sans frais de recouvrement et sans passer, pour leur collecte, par le truchement d'une société privée. Cela vaut la peine de réfléchir à un partenariat intelligent, sachant que les actionnaires des sociétés autoroutières le sont aussi des entreprises de BTP qui ont intérêt à voir s'ouvrir les chantiers d'infrastructures routières, ferroviaires et de transports urbains en sites propres dont nous avons besoin. C'est une question d'intelligence collective.

Les fondements du texte, qui a été voté à l'unanimité, monsieur Dantec, sont solides. Considérer qu'il y a un droit d'usage sur les routes au même titre que sur les autoroutes est un raisonnement imparable. Sous réserve qu'existent aussi des transports alternatifs à la route, moins polluants, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. S'il s'avère que l'on s'est écarté à l'excès de ces fondements, il faudra bien renégocier l'ensemble du dispositif, ou bien trouver un système à plusieurs variables. Avec une part de prélèvement sur les autoroutes, négociée à l'amiable, pour éviter les délais d'un processus législatif et pouvoir mettre en oeuvre sans tarder les volets mobilité des contrats de plan. Pour avoir signé, comme présidente de région, ce volet mobilité, je sais que les entreprises attendent les chantiers, et qu'il faut les engager sans tarder. C'est là ma priorité. Cela suppose aussi de réorienter une part du trafic de poids lourds vers les autoroutes, en veillant, ainsi que l'a souligné M. Nègre, à ne pas surcharger les axes qui le sont déjà. Avec aussi des portiques aux frontières, qui, ciblant les camions venus de l'étranger, peuvent jouer le même rôle qu'une eurovignette, et apporter une recette supplémentaire.

J'ai l'intuition que si l'on parvient, par la négociation, à ne retenir ainsi que le versant positif de chaque mesure, on peut peut-être arriver à un paquet financier global, qui, levant l'hypothèque des coûts de recouvrement et de la garantie de retour sur capitaux propres, serait équivalent au rendement attendu de l'écotaxe.

Je n'écarte pas, monsieur Capo-Canellas, toute négociation. La preuve en est que nous avons désigné les conciliateurs. C'est en inventoriant toutes les solutions possibles que l'on parviendra à s'en sortir. Je n'ai pas condamné a priori l'écotaxe, mais je constate que ses complexités et les vives réactions qu'elle a provoquées ont conduit à sa suspension. Il me semble très compliqué de créer un dispositif à géométrie variable. Sous réserve d'examen complémentaire, il me semble que renvoyer la responsabilité aux régions ne serait pas leur faire un cadeau. Imaginez-vous que l'Alsace, par exemple, puisse décider seule d'appliquer l'écotaxe, sans provoquer de réactions ?

M. François Grosdidier . - Mais une expérimentation devait y avoir lieu...

Mme Ségolène Royal, ministre . - Les régions connaissent des configurations très différentes, les sensibilités n'y sont pas les mêmes, non plus que la situation des transporteurs et des chargeurs.

Pour être exacte, monsieur Leroy, après vous avoir rappelé que la loi n'a pas été votée il y a deux ou trois ans mais il y a six ans, je vous confirme que la rémunération sur capitaux propres est bien de 17 % et que lorsque nous estimons le coût de la collecte à 25 %, c'est sur la base d'un rendement attendu de 1,160 milliard d'euros, et d'un coût de collecte de 270 millions d'euros - voire davantage, ainsi que l'on nous l'a laissé entendre... Nous sommes donc bien, au bas mot, à 25 %. Cela signifie, en clair, que ces 25 % n'iront pas aux travaux d'infrastructures. Ce qui ne serait pas le cas dans un système de péage.

M. François Grosdidier . - Mais c'est aussi parce que le taux de la taxe est faible.

M. Vincent Capo-Canellas . - S'il était plus élevé, le taux de recouvrement serait moindre.

Mme Ségolène Royal, ministre . - Ne croyez-vous pas que serait peut-être un peu difficile à faire accepter ?

Oui, monsieur Ries, il faut tenter d'amender le système. C'est à quoi réfléchit la mission conduite par Jean-Paul Chanteguet à l'Assemblée nationale, dont j'attends les conclusions. Peut-être avez-vous des propositions à émettre à la suite de la phase d'observation en Alsace ?

M. Roland Ries . - L'expérimentation n'a pas eu lieu.

Mme Ségolène Royal, ministre . - Mais sa phase de préparation a-t-elle apporté des enseignements ?

M. Roland Ries . - Le seuil retenu était à 12 tonnes... Comme la période d'expérimentation aurait été de moins de six mois, on a décidé d'y renoncer. Reste que la demande est réelle en Alsace, qui pâtit d'un fort report du trafic depuis la mise en place de l'eurovignette en Allemagne.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Je vous remercie, madame la ministre. Nous avons compris que vos préoccupations sont plus centrées sur l'écotaxe que sur le contrat Écomouv', qui occupe notre commission d'enquête, et sur lequel je voudrais vous poser une dernière question. Pour vous, la responsabilité principale tient-elle à la personnalité de la société Écomouv' ou à la nature du dispositif retenu - un partenariat public-privé avec un contrat comportant des clauses complexes ?

Mme Ségolène Royal, ministre . - Il m'est difficile de vous répondre car je n'ai pas eu le loisir de comparer les offres, ni de mesurer les réalisations des entreprises candidates dans d'autres pays. C'est peut-être un tel travail qui vous éclairerait.

Audition de M. Christian Eckert, secrétaire d'État au budget (Mardi 29 avril 2014)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous entendons à présent M. Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget depuis le 9 avril 2014.

Nous avons souhaité vous entendre, monsieur le ministre, pour connaître la manière dont sont gérés budgétairement la suspension de l'écotaxe poids lourds et le contrat Écomouv'. Comment comptez-vous compenser la perte de ressources pour l'agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) pour l'exercice 2014 ? Les collectivités territoriales recevront-elles une compensation du fait de la suspension, qui résulte d'une décision unilatérale de l'État ?

Avez-vous envisagé toutes les conséquences budgétaires des différentes hypothèses de sortie du contrat ? Laquelle vous paraît la plus adéquate ? En cas de faillite d'Écomouv', liée à l'exigibilité de la dette par les banques et à l'absence de versement de loyers, avez-vous estimé le coût d'un plan social ?

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Christian Eckert prête serment.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État au budget . - Je vous remercie de votre accueil et m'efforcerai de vous répondre aussi précisément que possible, à ce bémol près qu'arrivé de fraîche date dans mes fonctions avec une actualité particulièrement chargée, je n'ai encore pu prendre toute la mesure du dossier. J'ajoute que certaines questions touchant à des informations couvertes par la protection du secret des affaires ou fiscal, je ne pourrai y répondre que par écrit, dans les formes habituelles.

Permettez-moi de vous dire d'abord quelques mots des origines de la taxe elle-même, qui marque une nouvelle étape de la fiscalité écologique dans notre pays, et trouve son origine dans le Grenelle de l'environnement décidé par la précédente majorité, mais adoptée par le Parlement, grâce à une très large concertation, de façon transpartisane.

D'un taux relativement faible - 13 centimes d'euros par kilomètre -, cette taxe à visée écologique entend inciter à une rationalisation de l'usage du réseau routier en poussant au report modal - objectif largement partagé sur les bancs de nos assemblées - et en décourageant les parcours à vide, qui restent trop fréquents. Elle doit donner un prix à l'utilisation, par les poids lourds, de la route, dont l'usage n'est pas gratuit, contrairement à ce que l'on s'imagine trop souvent ; elle doit aussi permettre de taxer les poids lourds étrangers, qui empruntent notre réseau routier, parfois pour éviter le paiement des écotaxes qui sont déjà en vigueur depuis longtemps dans certains des États européens voisins, comme l'Allemagne, l'Autriche ou la Suisse.

Sa visée n'est pas uniquement comportementale : elle répond également à une logique de rendement, afin de financer des dépenses d'investissement et de maintenance. C'est dans ce cadre que le contrat Écomouv' a été conclu et qu'il convient d'envisager les différentes options qui sont sur la table.

Vous avez entendu plusieurs témoignages, dans le cadre de vos auditions. Je me contenterai donc de rappeler que ce choix a été opéré sous une triple contrainte technique, juridique et financière. Le dispositif impliquait, techniquement, la mise en place d'un péage sur un réseau ouvert, c'est à dire sans barrière, ce qui supposait un savoir-faire dont l'État ne disposait pas en interne. La directive européenne imposait de toute façon que la taxe soit collectée auprès de sociétés privées de télépéage, et obligeait donc à des intermédiations. Financièrement, enfin, le partenariat public-privé (PPP) permettait un préfinancement par le cocontractant des coûts de construction.

La mission d'appui aux partenariats public-privé (Mappp) avait, pour ces raisons, rendu un avis favorable à l'opération, même si elle a formulé des réserves importantes, notamment quant à la procédure de résiliation du contrat et à son coût. Son directeur, François Bergère, que vous avez entendu, vous a livré des éclaircissements.

En tant que secrétaire d'État au budget, je me dois d'aborder un peu plus en détail les paramètres économiques et budgétaires du contrat. Son équilibre économique a donné lieu à bien des commentaires ; je me bornerai à constater que nous en avons hérité. Nous devons donc nous préoccuper de l'avenir.

Une rupture des relations contractuelles au 1 er janvier 2015 pourrait entrainer le versement d'une indemnité à Écomouv', allant jusqu'à 850 millions d'euros, à laquelle il conviendrait d'ajouter les indemnités de rupture de contrats subséquents tels que ceux conclus avec les sociétés habilitées de télépéage (SHT), ainsi que certains frais financiers. Au total, les montants pourraient avoisiner les 950 millions d'euros, s'ajoutant à la perte de recettes annuelle liée à l'absence de mise en oeuvre de la taxe - environ 800 millions d'euros la première année, et jusqu'à 1,15 milliard d'euros en année pleine, dont 750 millions devaient revenir à l'Afitf, 250 millions aux prestataires et 150 millions aux collectivités territoriales.

Alors que nous avons 50 milliards d'euros d'économies à réaliser d'ici à 2017 dans le cadre du programme de stabilité, ajouter une telle dépense serait une décision très lourde de conséquences. En particulier, la diminution des ressources dévolues aux transports devrait nous conduire à revoir nos priorités en la matière. À cet égard, un abandon pur et simple de la taxe parait difficilement envisageable.

C'est notamment dans cet esprit que le Gouvernement a cherché à maintenir le dialogue avec Écomouv'. Vous savez que la suspension de la taxe décidée par le précédent gouvernement a créé une situation de vide juridique, puisqu'elle n'était pas envisagée par le contrat. Cette situation a ouvert un espace de discussion avec Écomouv', dans lequel le Gouvernement entend, avec bonne foi mais fermeté, faire valoir les intérêts publics. C'est dans ce cadre qu'ont été discutées les questions des retards et des pénalités afférentes, ainsi que du devenir des loyers durant la phase de suspension. Afin de préserver la négociation en cours, vous comprendrez que je ne puisse vous en dire davantage publiquement.

Plusieurs options sont ouvertes quant à l'avenir de la taxe, qui permettent une continuité du contrat, sous réserve, le cas échéant, de certains aménagements. Certaines de ces options sont identifiées de longue date. Il s'agit notamment des possibilités d'exemption qui restent ouvertes au titre de la directive, notamment en matière de transport d'animaux ou de transports agricoles de proximité, et qui peuvent être examinées avec bienveillance par la Commission européenne.

Mais il est également sain que le nouveau gouvernement se saisisse du dossier et puisse faire ses propres propositions. Ma collègue Ségolène Royal, que vous avez entendue, a évoqué des pistes de travail, telles que la reconfiguration de la taxe sous la forme d'un péage de transit, se concentrant sur les grands axes internationaux. Il nous faudra pleinement explorer ces pistes avant de prendre une décision définitive. À ce titre, je tiens à réaffirmer tout l'intérêt que le Gouvernement portera aux conclusions de votre commission.

Dans tous les cas, nous aurons à concilier deux exigences fortes : la compatibilité de la solution retenue avec le droit européen et sa conformité avec le principe constitutionnel intangible d'égalité. Et il est clair que certaines propositions peuvent heurter, de façon orthogonale, ces deux exigences.

Je suis prêt à répondre à vos questions mais je rappelle, encore une fois, que je suis entré en fonction il y a quelques jours. J'ajoute que comme rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, j'avais demandé que me soit communiqué le contrat Écomouv', qui ne m'a jamais été transmis par le ministère des transports.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Qui est aujourd'hui chargé de négocier ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État . - Mon collègue du ministère des transports.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Donc un secrétariat d'État sous l'autorité de Mme Royal, dont il m'a semblé, tout à l'heure, qu'elle n'avait pas une connaissance intime de ce contrat.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État . - Vu l'importance des sommes en jeu, le dossier n'est pas étranger à la compétence de notre ministère, et sera même traité à un étage encore supérieur...

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Merci de votre propos liminaire. Quelle analyse faites-vous des contraintes respectives de la fiscalité écologique - qui ne vise que certains contribuables, via des taux assez dissuasifs pour modifier leurs comportements - et des exigences de rendement qui sont celles de Bercy - supposant une assiette très large et donc des taux très modérés ? L'écotaxe est-elle pour vous une taxe écologique ou douanière ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État . - Il y a toujours un équilibre à trouver. On l'a vu avec la contribution climat-énergie. La décision qui a été prise n'est pas neutre puisque le poids de cette contribution, s'il restera modéré cette année, s'alourdira de façon significative en 2015 et 2016.

La taxe poids lourds a cette vertu qu'elle fait prendre conscience que l'utilisation des grandes voies routières a un coût, et pas seulement d'investissement. Les élus départementaux voire communaux savent bien que les dépenses d'entretien sont récurrentes. Le transfert de routes nationales aux départements a montré combien cette question était aiguë.

La route n'est pas gratuite. Ce sont, in fine , les contribuables français qui la payent. Il est logique que ceux qui l'utilisent, et en particulier ceux qui ne sont pas contribuables dans notre pays, participent. La vocation, ici, est de rendement. La question du report modal exige, me semble-t-il, des outils qui vont au-delà de seules questions de prix. La mise à disposition de grandes infrastructures, comme la liaison ferroviaire qui va de Luxembourg à Hendaye ou l'aménagement des voies fluviales, est extrêmement onéreuse. Il manque encore de telles alternatives à la route, ainsi que le soulignent les transporteurs. C'est pourquoi l'exigence de rendement est ici plus forte que dans le cas d'autres fiscalités environnementales. L'Afitf, qui finance non seulement les routes mais les autres moyens de transport alternatifs, a besoin de moyens.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - La perte de recettes liée à la suspension de la taxe représente, en année pleine, quelque 750 millions d'euros. Sera-t-elle compensée, pour 2014, v ia une réduction de la dépense publique ou envisagez-vous d'autres pistes ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État . - Un abondement de 300 millions d'euros a été décidé pour mettre l'Afitf en mesure de respecter ses engagements. Le budget de l'agence représente cette année un effort en dépense d'environ 1,8 milliard d'euros, comparable à celui du budget précédent. Il est clair qu'en l'absence de recette de substitution, il faudra rapidement se poser des questions quant à de nouveaux engagements, voire à l'engagement de nouvelles tranches de programmes en cours. Alors que le programme de stabilité suppose déjà une économie de 50 milliards d'euros, il est difficilement envisageable de prévoir un nouvel abondement budgétaire sans nouvelle ressource. Le Gouvernement y travaille, ainsi que vous l'a exposé ma collègue Ségolène Royal tout à l'heure.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Les collectivités territoriales, qui attendaient des recettes, recevront-elles, d'une manière ou d'une autre, une compensation ? C'est une question que M. Doligé n'aurait pas manqué de vous poser s'il avait pu être parmi nous...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Surtout que cette perte de recettes fait suite à une décision unilatérale de l'État.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État . - La décision, c'est vrai, a été prise par l'État. Mais reconnaissons aussi qu'il n'a pas reçu tout le soutien qu'il pouvait espérer de certaines collectivités locales au moment de la mise en place de cette taxe. J'ai entendu certains présidents de région ou de conseils généraux dire qu'ils avaient besoin de l'écotaxe pour abonder leur budget, mais j'en ai aussi vu d'autres se joindre sans grande retenue aux mouvements de protestation, et qui posent aujourd'hui la question de leurs ressources... Si je sors là du cadre purement juridique, c'est qu'il y a tout de même dans ce dossier, soit dit sans acrimonie, une composante politique très prégnante. Car de quoi parle-t-on ? D'un principe adopté à la quasi-unanimité du Parlement qui, ensuite, se voit opposer une résistance sur le terrain, relayée par un certain nombre d'élus, y compris des parlementaires... Cela dit, la question des recettes se pose de la même manière que pour l'Afitf : il faut trouver une ressource de substitution. Reste à savoir si elle ira au seul budget de l'Afitf, ou si l'on retiendra un mode de répartition analogue à celui qui était prévu dans le cadre de l'écotaxe.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Mais sur quel fondement juridique le Gouvernement peut-il suspendre une taxe votée par le Parlement ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État . - Vous savez quelles étaient, dans ce dossier, les options. On pouvait dénoncer le contrat, pour faute de l'exploitant. Et des fautes, il y en avait, mais était-ce suffisant pour qu'il soit donné raison à l'État ? On a estimé que le risque ne pouvait être pris. L'autre voie, qui a été retenue, était de discuter avec l'entreprise, sur les questions financières, bien sûr, mais aussi celle des personnels : 300 personnes travaillent pour Écomouv', qui risquent un plan social, et 120 agents des douanes sont également concernés, qui ont déjà été déplacés à Metz, et qui devraient se déplacer à nouveau... C'est une dimension humaine qu'il ne faut pas oublier. Je ne crois pas au vu des informations dont je dispose, que la société Écomouv' soit susceptible d'être mise en difficulté à court terme, mais il n'y en aura pas moins des frais financiers, auxquels nous pourrions être appelés à participer, sur le motif que vous avez indiqué.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Mais combien de temps peut-on tenir ainsi ? J'ai cru comprendre que dans votre esprit, on ne pouvait aller au-delà de cet exercice budgétaire, soit du 1 er janvier 2015.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État . - Face à de tels enjeux, financiers et humains - encore une fois, plusieurs centaines de salariés sont concernés - le Gouvernement serait bien inspiré de prendre une décision politique sans tarder, même s'il faut donner le temps aux nouveaux ministres de prendre la mesure du dossier. S'il devait y avoir des contentieux juridiques, on ne pourra pas, en tout état de cause, attendre leur issue pour trouver une alternative.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Dans les 800 millions d'euros que vous avez évoqués tout à l'heure, vous ne comptez pas de dommages et intérêts contentieux ? C'est un calcul qui ne résulte que de l'application des termes du contrat ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État . - Ce sont les évaluations qui m'ont été fournies, et qui prennent en compte les différents étages de coûts.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Mais qui pourraient être supérieures en cas de contentieux ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État . - Pas forcément, les 950 millions d'euros que j'évoquais constituent l'hypothèse haute. Cela dit, plus le temps passe, plus les frais financiers pèseront lourd.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Au-delà des frais financiers, compte aussi la parole de l'État. On y regarde de près dans toute l'Europe. Il pourrait y avoir, y compris pour des sociétés françaises, des dommages collatéraux, que vous n'aurez pas manqué d'analyser ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État . - Certes. Pour ma part, j'estime que l'Europe eût été bien inspirée de traiter à son échelle ce type de question. Les taxes qui existent dans certains pays posent des difficultés dans d'autres. Il est toujours plus facile de mettre, ex nihilo , quelque chose en place, que d'essayer de concilier des dispositifs qui se sont bâtis sans s'harmoniser...

S'agissant d'une société à majorité italienne, il est sûr que cette affaire comporte un petit volet diplomatique, qui devrait pouvoir se régler...

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Avez-vous analysé le coût global payé par l'État français, en incluant le volet formation, les recrutements pour les douanes, etc. ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État . - Nous disposons d'éléments portant sur l'ensemble des postes - immobilier, fonctionnement, personnel, informatique, mobilier... Je puis vous les faire parvenir par écrit.

Mme Virginie Klès , rapporteur . - Ils incluent toute la phase de préparation et de suivi du PPP ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État . - Oui, on démarre en 2012. Ce sont des sommes qui montent en charge, vous le verrez, et qui se chiffrent, sur certains postes, en dizaines de millions d'euros.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Une fois encore, sur quel fondement une taxe votée par le Parlement peut-elle être suspendue par le Gouvernement ? Je souhaiterais une réponse écrite à cette question. C'est une question légitime à laquelle, à mon sens, notre commission doit répondre dans son rapport. De même que nous aimerions savoir si la Mappp, service de Bercy, a, de votre point de vue, correctement agi dans ce dossier, notamment au moment de l'évaluation préalable.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État . - Je vous préciserai tout cela par écrit, mais je rappelle qu'il y a eu, sur ce contrat, une première contestation.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Mais le Conseil d'État a annulé la décision du tribunal de première instance, qui cassait le contrat.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État . - J'étais alors rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, et m'y étais penché. La Mappp avait, je le répète, rendu un avis favorable, avec cependant des réserves sur la procédure de résiliation et le coût.

Quant à la suspension de la taxe, il me semble qu'on peut la fonder sur un motif d'ordre public. Les évènements qui sont intervenus, et que nous connaissons tous, exigeaient un rétablissement de l'ordre public. Force est de constater que la suspension de l'écotaxe a permis, de façon assez rapide sinon immédiate, de mettre fin à des manifestations dont les débordements commençaient à atteindre, en termes humains et surtout matériels, des proportions importantes.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Je comprends qu'il y a eu une décision politique, mais de mon point de vue, il n'y a pas eu un acte juridique. Si demain, une manifestation contre l'impôt sur le revenu se tient devant le Sénat, vous n'allez pas pour autant le suspendre...

M. Christian Eckert, secrétaire d'État . - On parle ici de manifestations renouvelées de semaine en semaine, avec d'importantes détériorations matérielles.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Je regrette d'insister, mais il faut apporter une réponse au plan juridique.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État . - Je ne conteste pas la légitimité de votre question, mais vous la posez au tout nouveau secrétaire d'État au budget que je suis. Or, elle relève d'un cadre plus large, notamment eu égard à la temporalité du dossier - vous avez certainement entendu les ministres en charge dans les gouvernements antérieurs...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , présidente . - Nous allons en rester là car le débat en séance sur le pacte de stabilité va s'ouvrir. Je ne le dirai pas à la tribune pour ne pas vous mettre en difficulté, mais il me semble que dans l'annexe 9 de ce pacte, il est indiqué que la réduction des dépenses publiques permettra de couvrir l'absence du produit de l'écotaxe...

Il me reste à vous remercier de vous être prêté à ce difficile exercice.

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