II. L'ACCÈS AUX DOCUMENTS ADMINISTRATIFS : DES PROGRÈS SUBSTANTIELS, DES ADMINISTRATIONS SOUVENT PEU DILIGENTES

La commission d'accès aux documents administratifs a clarifié au fil des années, et de ses nombreux avis, la portée du droit d'accès aux documents administratifs, et a su acclimater progressivement l'obligation de communication auprès des administrations (A). Pour autant, celles-ci manquent encore trop souvent de diligence dans le traitement des demandes, voire persistent dans leur inaction, ce qui se traduit par des délais de communication anormalement longs (B).

A. UN ACCÈS GRANDEMENT FACILITÉ PAR LA COMMISSION D'ACCÈS AUX DOCUMENTS ADMINISTRATIFS

Conscient tout à la fois du changement considérable introduit par l'affirmation d'un droit général d'accès aux documents administratifs, dans la culture et les pratiques administratives, ainsi que des difficultés d'interprétation des exceptions et de leur portée, la législateur a pris soin, en 1978, de mettre en place une instance d'interprétation de ce droit.

Conseil de l'administration et « institution destinée à nous aider en cas de conflit avec l'administration » 144 ( * ) , la Cada a joué un rôle crucial dans la mise en oeuvre effective de ce droit : tout à la fois interprète de la loi, filtre des demandes de communication en amont de la saisine du juge et médiateur entre l'administration et le public, elle s'est imposée comme un interprète efficace de la loi (1) et a su mettre en oeuvre, dans le même temps, une approche pédagogique (2) pour simplifier et favoriser la mise en oeuvre effective du droit d'accès aux documents administratifs par une gestion raisonnée des flux (3).

1. Un interprète efficace de la loi

Le bilan de 35 ans d'application de la loi par la commission d'accès aux documents administratifs est incontestablement positif : ses avis, précisément documentés et motivés, sont généralement suivis par les administrations et le plus souvent confirmés par le juge (a). En outre, les interprétations qu'elle a fait prévaloir vont dans le sens d'une interprétation extensive de la loi (b), conforme aux intentions de ses auteurs, même si subsistent quelques difficultés juridiques résiduelles (c).

a) Des avis généralement suivis par les administrations et le plus souvent confirmés par le juge administratif

Au cours de la dernière décennie, la Cada a été formellement saisie, en moyenne, de quelques 5 000 demandes d'avis chaque année . Au vu des éléments statistiques figurant dans ses rapports d'activité, il peut être considéré que son intervention précontentieuse s'est avérée fort efficace : seulement un peu plus de 10% des dossiers sur lesquels elle s'est prononcée sont en effet allés au contentieux, la plupart temps (70% des recours) lorsque l'administration avait maintenu sa position alors que la commission avait formulé un avis favorable.

• Une accélération de la communication du seul effet de sa saisine

La commission joue tout d'abord un rôle d'accélérateur : l'administration qui a négligé de répondre fait souvent droit à la demande de communication dès lors que son auteur a saisi la Cada.

Il est certes difficile de faire la distinction entre les cas dans lesquels la communication tardive serait intervenue quand bien même la commission n'aurait pas été saisie, et les transmissions de documents que sa saisine a accélérées, voire déclenchées. Pour autant, l'examen des avis dits "sans objet" rendus en 2012, qui correspondent à 31,4 % des saisines, montre que 12,8 % d'entre eux résultent de désistements 145 ( * ) et 54,2 % de demandes satisfaites avant qu'elle ait rendu son avis 146 ( * ) .

La commission s'efforce d'amplifier cet effet d'accélération en joignant dorénavant des éléments d'information sur l'interprétation de la loi lors de la notification de sa saisine à l'administration 147 ( * ) , ce qui permet de lever les incertitudes éventuelles de celle-ci ou de l'inciter à communiquer immédiatement le document pour prévenir tout contentieux inutile.

• Un taux de suivi des avis favorables a priori satisfaisant

Le taux de suivi des avis de la commission favorables à la communication serait un bon indicateur de l'efficacité de son intervention, malheureusement l'exigence d'informations sur le suivi des avis n'est souvent pas remplie par les administrations. Le taux d'information sur les suites a même eu tendance à se dégrader au cours des dernières années 148 ( * ) , plus d'un tiers des administrations s'abstenant d'informer la commission. Pour autant, il est probable que certaines d'entre elles ont en fait procédé à la communication mais négligent de le faire savoir à la commission.

Quant aux administrations qui tiennent la commission informée des suites réservées à ses avis, elles les suivent dans la grande majorité des cas, même si le taux moyen de suites favorables de 80 % constaté au cours des quatre dernières années tend à diminuer.

• Un taux de confirmation élevé par le juge administratif

La commission ne dispose pas non plus de données précises sur les suites contentieuses de ses avis. Elle a toutefois interrogé à plusieurs reprises les présidents des juridictions administratives sur ce point : il résulte des réponses qu'elle a reçues que plus de 56 % des jugements rendus après avis favorable ont donné lieu à l'annulation de la décision de refus de l'administration, et seulement 18 % au rejet de la requête au fond .

Au vu d'une analyse détaillée des jugements qui lui ont été transmis, la commission estime que les cas de divergences au fond, sur des questions de droit, n'excèdent pas quelques unités chaque année 149 ( * ) .

b) Des interprétations extensives, conformes à l'esprit de la loi

Mises à part les demandes irrecevables (5,7 %) ou pour lesquelles la commission se déclare incompétente (7,8 %), notamment les demandes internes à l'administration ou émanant d'élus locaux au titre de leur droit d'information préalable aux séances de l'organe délibérant dont ils sont membres 150 ( * ) , 45,3 % des demandes de communication font l'objet d'un avis favorable .

L'examen attentif des avis montre que la commission a habituellement privilégié une interprétation extensive du droit à communication, conforme à l'esprit de la loi.

• La limitation de la durée d'opposabilité du caractère préparatoire d'un document

Sauf exception, un document préparatoire n'est communicable qu'à compter de l'intervention de la décision qu'il prépare. Dans le cas où aucune décision de l'administration ne suit sa production, elle considère qu'à l'issue d'un délai raisonnable, il peut être considéré que l'administration a décidé de ne pas prendre la décision que ce document préparait.

C'est ainsi qu'elle a estimé que l'avis du service des domaines sur la valeur vénale d'un bien communal devait être communiqué alors même qu'aucune délibération du conseil municipal n'était intervenue pour décider la vente du bien, dans la mesure où six ans s'étaient écoulés et que, de ce fait, la commune devait être regardée « comme ayant décidé de ne pas procéder à cette vente sur la base de cette estimation » 151 ( * ) .

• La communication de tout type de support, y compris de bases de données

La Cada a confirmé que le droit d'accès portait non seulement sur des documents stricto sensu mais également sur des bases de données , dont elle estime qu'elles revêtent le caractère de documents administratifs au sens de la loi du 17 juillet 1978.

Elle a en outre précisé que ces données présentent un caractère achevé dès lors qu'elles sont entrées dans la base et qu'elles sont donc immédiatement communicables de plein droit, sous réserve des exceptions prévues par la loi 152 ( * ) .

En 2006, considérant que celle-ci ne soulevait pas de difficultés techniques, elle a ainsi donné un avis favorable à la communication, par voie électronique, des données brutes du recensement des actes graves de violence survenus à l'école et à ses abords, pour chacun des collèges et lycées publics au cours de l'année 2004/2005. Elle a en outre invité le ministère de l'éducation nationale à compléter la communication de la base de données par celle du dictionnaire des codes qui permet de comprendre les données. Enfin, elle a recommandé au ministre, qui craignait « que des erreurs ne soient commises, soit dans l'exploitation technique de ces données brutes pour en obtenir des statistiques, soit dans l'interprétation qu'il convient donner, (...) de procéder lui-même au traitement des données demandées, (...) et d'indiquer au demandeur les précautions à prendre pour leur interprétation » 153 ( * ) .

De même, elle a émis en 2008 un avis favorable à la communication, par le ministère de la culture et de la communication, de la base de données relative à l'état sanitaire des monuments historiques classés 154 ( * ) .

• La clarification de l'articulation entre le droit général et les régimes autonomes

La Cada a par ailleurs clarifié les problématiques de combinaison entre la loi générale de 1978 et les régimes autonomes d'accès aux documents administratifs.

Elle a distingué à cet effet trois types de situations : le cumul, l'exclusion et la succession 155 ( * ) .

En cas de difficulté d'articulation entre deux législations, elle s'est efforcée de mettre en oeuvre une approche équilibrée entre la bonne information du citoyen et la nécessaire protection des personnes.

c) Quelques difficultés juridiques résiduelles

Le législateur a amélioré à plusieurs reprises l'articulation de la loi de 1978 avec des législations concurrentes, notamment en matière d'accès aux données personnelles, ce qui a permis de régler l'essentiel des divergences d'interprétation entre la Cnil et la Cada.

Lors de leur audition par la mission commune d'information, le président de la Cada et le rapporteur général ont toutefois mis l'accent sur deux difficultés résiduelles d'articulation entre le droit général d'accès prévu par la loi de 1978 et les régimes particuliers 156 ( * ) .

• Le droit d'accès aux documents communaux

La première difficulté concerne les limites du droit ouvert par l'article L. 2121-26 du code général des collectivités territoriales, aux termes duquel « Toute personne physique ou morale a le droit de demander communication des procès-verbaux du conseil municipal, des budgets et des comptes de la commune et des arrêtés municipaux ».

La commission a toujours considéré que ce texte ne comportant aucune réserve, les documents concernés étaient systématiquement communicables, y compris les mentions susceptibles d'entrer dans le champ de secrets protégés par la loi.

Dans un arrêt récent 157 ( * ) , le Conseil d'État a toutefois considéré que, si la portée de ces dispositions n'est pas limitée aux arrêtés réglementaires, elles ne sauraient être interprétées, eu égard à leur objectif d'information du public sur la gestion municipale, comme prescrivant la communication des arrêtés portant des appréciations d'ordre individuel sur les fonctionnaires communaux.

• Les listes électorales

Une seconde difficulté concerne l'accès aux listes électorales, régi par le code électoral. Celui-ci interdit toute réutilisation à des fins commerciales  des données sensibles que contiennent ces documents mais n'assortit cette interdiction d'aucune sanction.

Il est par ailleurs permis de s'interroger sur la légitimité d'une utilisation de telles données à d'autres fins, mêmes non commerciales, que le contrôle du vote et la communication politique.

2. Une approche pédagogique et incitative

La commission d'accès aux documents administratifs s'efforce d'inciter à une communication rapide, en informant, formant et sensibilisant les agents publics (a), en mettant à disposition des outils d'analyse et des références (b), enfin en renforçant le suivi de ses avis favorables (c).

a) L'encadrement et la formation des personnes responsables de l'accès aux documents administratifs (Prada)

Le titre IV du décret n° 2005-1755 du 30 décembre 2005 prévoit la désignation de personnes responsables de l'accès aux documents administratifs (désignées par leur acronymes : Prada) dans toutes les administrations centrales et les préfectures ainsi que dans les administrations locales (à l'exception des communes de moins de 10 000 habitants), les établissements publics nationaux et locaux et les organismes chargés d'une mission de service public les plus importants.

La mise en place de ces interlocuteurs du public et de la Cada, chargés de veiller à l'instruction des demandes d'accès aux documents administratifs et dont les noms et qualités figurent dans l'annuaire publié sur le site internet de la commission, s'est effectuée lentement et a nécessité de nombreuses relances de la part de la commission.

Les 1 800 personnes responsables désignées à ce jour permettent d'assurer une couverture significative des demandes et de développer au sein des administrations une culture de la transparence : celles d'entre elles qui en disposent sont plus réactives et répondent de façon plus pertinente aux demandes de communication et d'observations.

En 2011-2012, la commission s'est efforcée de constituer les Prada en réseau et s'est associée à l'agence du patrimoine immatériel de l'État (Apie) pour organiser une dizaine de journées de formation dans les régions. En mars 2014, elle a assuré une formation à Paris sur la communication des documents en relation avec les marchés publics. En outre, une lettre d'information électronique est dorénavant établie à l'intention des Prada.

b) La mise à disposition d'outils d'analyse et de références

La Cada a développé des outils pour aider les administrations. Elle a ainsi publié sur son site internet plusieurs fiches techniques pour faciliter l'identification dans les dossiers administratifs des mentions qui doivent être occultées et des documents qui ne peuvent être communiqués à des tiers.

On signalera ainsi tout particulièrement la fiche rédigée en collaboration avec la direction des affaires juridiques du ministère de l'économie, sur l'accès aux documents afférents aux marchés publics, afin d'éclairer la mise en oeuvre de la loi dans le respect des limites imposées par le respect du secret en matière commerciale et industrielle.

Par ailleurs, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'avis, la commission fournit dorénavant immédiatement à l'administration concernée des éléments d'information qui lui permettront très souvent de constater que la question de la communicabilité du document demandé a déjà été tranchée, incitant ainsi à sa communication immédiate, sans attendre un avis favorable.

Les rapports annuels , également accessibles sur le site de la commission, et le guide d'accès aux documents administratifs, qu'elle a publié à la documentation française en 2008, sont également autant de sources d'information précieuses pour les Prada.

S'y ajoute, depuis avril 2014, la possibilité de consulter les avis de la commission dans un moteur de recherche et de les réutiliser librement à partir de la plateforme data.gouv.fr .

c) Le développement des moyens de suivi des avis

Depuis mars 2014, la commission a mis en place une relance systématique des administrations pour connaître les suites réservées à ses avis favorables.

Certaines administrations sont en effet peu promptes à suivre ces avis et préfèrent attendre que le demandeur se lasse. Seule la saisine du juge administratif par un requérant opiniâtre est alors susceptible de les faire réagir. Une relance systématique par la commission devrait tout à la fois permettre de mesurer l'ampleur de ces comportements et constituer un rappel supplémentaire de leurs obligations aux administrations.

3. Une gestion raisonnée des flux

Dotée de moyens limités 158 ( * ) , la commission d'accès aux documents administratifs s'est efforcée de rationaliser le traitement des multiples demandes dont elle est saisie, en mettant à la disposition des administrés des informations aisément accessibles (a) et en développant une activité de renseignement qui lui permet de gérer en amont les flux des demandes d'avis (b).

a) L'information des demandeurs

Le site internet de la commission présente de manière très pédagogique, à la fois les éléments utiles de procédure, la portée et les limites du droit d'accès ainsi que les régimes particuliers de communication. Il comporte en outre des fiches thématiques de nature à éclairer les citoyens.

La commission s'est par ailleurs efforcée de simplifier les procédures pour les demandeurs qui la saisissent : les demandes d'avis, qui sont principalement le fait de particuliers, peuvent être introduites par voie électronique, ce qui en simplifie par ailleurs le traitement matériel.

b) Le développement d'une activité de renseignement

Soucieuse de faciliter une communication la plus précoce possible et de circonscrire, autant que faire se peut, aux seules questions non encore tranchées, les demandes d'avis dont le nombre ne baisse pas, la commission a mis en place un dispositif de renseignement dont plusieurs interlocuteurs de la mission ont salué l'efficacité et « la remarquable expertise » 159 ( * ) . Ses 13 collaborateurs permanents traitent ainsi, chaque année, plus de 7 000 demandes de renseignements téléphoniques et plus de 6 000 demandes de renseignements écrits .

Il est permis de penser que bien des démarches inutiles sont ainsi évitées, qu'il est répondu plus rapidement à des demandes d'avis correctement formulées et bien dirigées, enfin qu'un certain nombre de refus infondés sont évités, l'administration étant rassurée quant au caractère communicable, en tout ou en partie, du document sollicité.


* 144 Propos tenu par M. Jérôme Hourdeaux, journaliste à Mediapart, lors de son audition le 29 janvier 2014 dont le compte rendu est reproduit dans le tome II.

* 145 Depuis 2012, la commission a invité les demandeurs à l'informer en cas de communication postérieurement à sa saisine.

* 146 Les autres avis "sans objet" concernent des documents inexistants, détruits ou perdus (33 %) Ces statistiques sont extraites du Rapport d'activité 2012 , La documentation française, 2013, accessible sur le site de la commission cada.fr , pp. 73-74.

* 147 Rapport d'activité 2012 , p. 74.

* 148 Rapport d'activité 2012 , p. 79.

* 149 Voir l'étude complète dans le Rapport d'activité 2011 , notamment pp. 56-57.

* 150 Ce droit résulte en effet dans le cadre des dispositions spécifiques du code général des collectivités territoriales rappelées dans le chapitre liminaire, A, et son application ne relève pas du contrôle de la Cada.

* 151 Avis 2011-1370.

* 152 Le Conseil d'État a ainsi confirmé l'avis défavorable de la Cada à la communication de la base de données CEZAR (connaître l'évolution des zones à risques) constituée par la SNCF, au motif de l'atteinte à la sécurité publique (Conseil d'État, 11 juillet 2008, n° 304752)

* 153 Avis 2006-2862.

* 154 Avis 2088-4349.

* 155 Rapport d'activité 2012 , pp. 14-16.

* 156 Audition du 9 janvier 2014 - compte rendu reproduit dans le tome II. Cette thématique est également traitée dans le Rapport d'activité 2012 , pp. 11 à 13.

* 157 Conseil d'État, 10 mars 2010, commune de Sète , n° 303814.

* 158 Un budget d'un million d'euros pour 13 postes (ETP) et un effectif non permanent de 14 rapporteurs et chargés de mission.

* 159 Voir le compte rendu de l'audition du collectif Regards citoyens , le 16 janvier 2014, reproduit dans le tome II.

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