3.4. HENRI HAZAËL-MASSIEUX, ADMINISTRATEUR CIVIL HC HONORAIRE DU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE, CHARGÉ DE MISSION MÉMOIRE LES COLONIES DANS LES DEUX GUERRES MONDIALES

Les vieilles colonies ont toujours connu la guerre. Il aura fallu se défendre contre les ennemis de la France qui aspiraient à se les approprier, selon les périodes, Espagnols, Anglais, Hollandais.

Au début du XVIII e siècle, pendant la guerre de succession d'Espagne, les Anglais disaient d'ailleurs : « Mieux vaut avoir affaire à deux diables qu'à un seul habitant français ».

Les colons, organisés en milices, n'hésitaient pas, en ce temps-là, à faire appel aux gens de couleur et aux esclaves noirs pour participer aux combats. Ce fut le cas en Guadeloupe en 1759.

Les esclaves qui s'étaient fait remarquer pour leur bravoure étaient alors affranchis en récompense de leurs services.

De même, la guerre d'indépendance des États-Unis puis la Révolution française furent l'occasion d'engager des troupes aussi bien parmi les colons que parmi les esclaves.

L'armée fut donc très tôt considérée par ces derniers comme une passerelle pour sortir de la servitude et un instrument de promotion sociale.

Il en fut ainsi à Saint-Domingue avec Toussaint-Louverture, en Martinique avec Pélage et en Guadeloupe avec plusieurs des nombreux officiers noirs ou de couleur qui s'engagèrent dans la rébellion de 1802, après s'être battus sur les champs de bataille européens.

Cependant, les colons avaient, plus que tout autre, le goût des armes.

Quoi qu'il en soit, aussi bien dans l'armée de terre que dans la marine, des noms sont restés dans l'histoire comme ceux du général Dugommier, du colonel Joseph Bologne, dit chevalier de Saint-Georges de la Guadeloupe, du général Alexandre Dumas, de l'amiral et ministre de la marine Eustache de Bruix de Saint-Domingue, du général et baron d'empire Pierre César Dery de la Martinique, etc.

Tout au long du XIX e siècle, nombreux furent également les originaires des colonies qui participèrent, parfois à des niveaux élevés, aux différents conflits qui l'émaillèrent, qu'il s'agisse de répression de révoltes internes à la France, de conquêtes coloniales, de l'expédition du Mexique ou de la guerre de 1870. On peut citer pêle-mêle les généraux guadeloupéens : Begin, Levassor-Sorval (répression de la Commune), Sonis, La Jaille, Bouscaren, Bossant, De Lacroix ; martiniquais : Dubourdieu, Brière de l'Isle, Vassoigne, Reboul (qui s'illustrèrent en 1870 à Bazeilles) ; guyanais : Virgile ; réunionnais : Lacaze (expansion coloniale sous la III e République : campagnes de Tunisie, de Madagascar, du Sénégal et de l'Indochine), Bornier (premier général d'aviation de l'armée française), Rolland (expédition du Mexique et guerre de 1870).

Dès l'instauration de la République, les élus des vieilles colonies, aussi bien dans les Caraïbes qu'à La Réunion n'eurent de cesse que la conscription leur fût appliquée. Les conseils généraux prirent même des délibérations dans ce sens, estimant que c'était là la meilleure manière d'être « assimilés » et de devenir des citoyens à part entière, que de se faire tuer pour la « Mère Patrie » .

Le 15 juillet 1889 fut votée la nouvelle loi militaire, appliquant le service militaire à tous les coloniaux.

Dans une conférence à l'École coloniale à Paris, le 30 mars 1919, Gratien Candace, député de la Guadeloupe, devait s'écrier : « C'est la loi du 15 juillet 1889 à l'élaboration de laquelle nos députés ont pris une part active, qui est le triomphe des idées d'assimilation et du service obligatoire pour tous. »

Mais cette loi ne devint effective qu'en 1913, lorsque les régiments de tirailleurs commencèrent à se multiplier. Une carte postale bien connue montre le départ en 1903 de Basse-Terre en Guadeloupe des premiers conscrits guadeloupéens.

Rappelons que l'un des pionniers de l'utilisation de troupes coloniales fut le général Faidherbe au Sénégal.

En 1857, Louis Faidherbe, en manque d'effectifs venus de la métropole sur les nouveaux territoires d'Afrique, pour faire face aux besoins de maintien de l'ordre générés par la phase de colonisation, crée le corps des tirailleurs sénégalais. Le décret fut signé le 21 juillet 1857 à Plombières-les-Bains par Napoléon III. Jusqu'en 1905, ce corps intègre des esclaves rachetés à leurs maîtres locaux, puis des prisonniers de guerre et même des volontaires ayant une grande diversité d'origines.

Puis vint le théoricien de la Force noire , le général Mangin, qui estimait que la formation d'unités de soldats africains en nombre serait de nature à apporter une aide précieuse à l'armée française en raison, dit-il, des qualités guerrière de certaines ethnies...

Sa thèse ne fut d'abord guère appréciée. Elle ne fera fortune que plus tard...

Il convient de souligner au passage que la fin du siècle aura été également marquée par plusieurs faits non dénués d'importance pour l'avenir. À la politique d'expansion coloniale menée par le gouvernement républicain correspondit en effet l'adoption du code de l'indigénat en juin 1881, imposé dès 1887 à l'ensemble des nouvelles colonies, et la création de l'École coloniale en 1889, laquelle admit, dès ses débuts, des élèves issus, notamment, des vieilles colonies.

1914-1918

Quand éclate la guerre en 1914, toutes les colonies eurent donc vocation à y participer.

Tableau n° 1 : La contribution globale des colonies à l'effort de Guerre

Combattants en Europe

Tués

Travailleurs

Algérie (musulmans uniquement)

173 000

23 000

76 000

Tunisie

58 778

10 500

18 358

Maroc

25 000

2 043

35 010

AOF/AEF

164 000

33 320

Madagascar

45 860

2 368

Indochine

43 430

1 123

49 000

Côte des Somalis

2 000

400

Pacifique

1 000

325

Antilles/Guyane

23 000

2 037

Réunion

14 423

3 000

5 535

Total

550 491

78 116

183 903

Ces chiffres sont, bien entendu, approximatifs. Aujourd'hui encore, on est dans l'incapacité d'en donner qui soient exacts.

Rapport Marin présenté en 1920 devant le Parlement et faisant l'état des pertes subies pendant le conflit de 1914 - 1918

Rapport présenté au Parlement par le baron des Lyons de Feuchin le 24 décembre 1924, soulignant l'importance de l'effort de guerre consenti par le pays.

En Afrique Noire tout d'abord, le commandement français lance de nombreux appels pour recruter. Mais, contrairement aux idées reçues, les Africains ne sont, dans un premier temps, guère enthousiastes pour aller se battre et le commandement français doit même avoir recours à la contrainte, (ce que facilitait bien sûr le code de l'indigénat) quitte à provoquer parfois des révoltes, durement réprimées.

Il faut attendre 1917, avec la campagne de recrutement de Blaise Diagne, député du Sénégal, nommé pour ce faire commissaire de la République, pour que l'Afrique fournisse enfin des contingents importants.

Blaise Diagne n'aura pas ménagé sa peine. À coup de « certificats de manger », qui promettaient aux engagés de devenir promptement « plus gros et plus gras », d'être « logés dans de belles maisons européennes en cas d'hospitalisation », de disposer immédiatement d'un uniforme neuf, 73 000 hommes furent recrutés en quatre mois. Il est vrai que l'entreprise de séduction de Diagne s'était adressée en priorité aux notables, les chefs et leurs fils, à qui des promotions étaient rapidement attribuées, tandis que les Légions d'honneur et les médailles ruisselaient sur les poitrines.

Le Journal illustré quotidien du 21 janvier 1916 publie la photo du sous-lieutenant Dinah Salifou , fils du roi des Malous , engagé comme simple soldat, qui a reçu en 1916 la croix de la Légion d'honneur dans la cour de l'Hôtel national des Invalides.

Les soldats indigènes d'Afrique du Nord , quant à eux - Algériens, Marocains et Tunisiens - ont été engagés dès août 1914. Ils ont combattu sur tous les fronts : en France, aux Dardanelles, dans les Balkans, en Palestine. Ces troupes étaient, semble-t-il, particulièrement redoutées par les Allemands qui les avaient surnommées les « Hirondelles de la mort ».

Madagascar et les Comores, la Somalie fournissent un important contingent de soldats, mais aussi de travailleurs employés dans les usines d'armement. Le nombre de Malgaches et Comoriens tués (3 010) et blessés (1 835), de Somaliens (212 tués et 1 035 blessés sur 2 000 engagés) témoigne de l'effort accompli par ces colonies.

L'Indochine aura principalement fourni des travailleurs, les stratèges de l'armée française estimant, en fonction de l'apparence, que les Indochinois auraient été de piètres combattants. Il est certain que ceux qui devaient vivre plus tard Diên Biên Phu ne furent pas de cet avis...

Les îles du Pacifique ont, elles aussi, répondu à l'appel, aussi bien les Kanak que les Polynésiens. Y seront recrutés un peu plus de 2 000 hommes dont un tiers sera tué au combat.

Le reste de l'empire colonial français , les comptoirs des Indes, Saint-Pierre-et-Miquelon et les vieilles colonies se feront remarquer par l'enthousiasme avec lequel elles partent combattre.

En 1917 le Journal de l'Université des Annales publie même un Hymne créole qui lance, sur un air martial :

« Camarades, le clairon sonne,

Il faut qu'il ne manque personne

Voici ton heure, Impôt du sang,

En avant pour le régiment... »

Les troupes créoles, comme on les appelle, seront, elles aussi, sur tous les fronts, aux Dardanelles, dans l'Yonne, à Verdun, dans la Somme.

Elles auront donné presque 25 % de leur population mâle active à la « Mère Patrie ».

Au total, la participation des colonies au conflit n'aura donc pas été négligeable.

On ne peut pas ne pas signaler in fine que quelques figures originaires des colonies ont marqué le conflit :

• L'amiral Lucien Lacaze, réunionnais, ministre de la marine de 1915 à 1917 sous le gouvernement Briand, et qui contribua sensiblement, aux côtés des Alliés de la France, à la lutte contre les sous-marins allemands.

• Le général Charles Lanrezac , guadeloupéen, qui, en 1914, fut le premier à arrêter l'avance allemande à Guise, sauvant ainsi l'armée française de la déroute.

• Les aviateurs Roland Garros, réunionnais, Henri Cadousteau, tahitien, Pierre Rejon, martiniquais qui contribuèrent à la naissance d'une véritable aviation de guerre française.

Il y a également tous ceux, gazés, mutilés, tués dont la mémoire a été perdue, mais qui ont laissé parfois, tout de même, une petite trace :

• Ainsi celle de Gilbert Béville, le frère aîné d'Albert (alias Paul Niger).

• Au cours d'une cérémonie militaire sur le Champ d'Arbaud (Basse-Terre, Guadeloupe), le 22 février 1916, la citation suivante fut lue par le commandant supérieur, le colonel Landouzy, s'adressant à son père, M. Raoul Béville, conseiller général (qui fut également président de cette collectivité) :

« Béville Gilbert, aspirant au 35 e régiment d'artillerie, jeune aspirant plein de calme et de sang-froid, intelligent et dévoué. A contribué, sous un violent bombardement, à dégager son capitaine grièvement blessé le 2 avril 1916. Blessé à son poste de combat le 4 avril. »

Le colonel rappela alors en quelques mots l'enfance studieuse du jeune héros, qui préparait le concours de l'École polytechnique et sa courte mais brillante carrière dans l'armée, depuis le début de la guerre. Il termina par ces mots :

« Par son caractère affable, et doux, par sa vive intelligence et aussi par sa modestie, votre fils s'était acquis l'affection et l'amitié de ses camarades et de ses chefs. C'est, Monsieur, pour vous son Père, et sa malheureuse Mère, une chose terrible que cette mort, mais soyez, l'un et l'autre, très fiers de votre enfant. Il est tombé en héros pour notre France bien aimée. »

M. Béville, qui pleurait, la tête penchée, se redressa et cria au milieu de ses sanglots : « Vive la France quand même ! »

Le colonel, s'approchant, lui remit la Croix de guerre de son fils et lui donna l'accolade.

(Source : Presse de la Guadeloupe)

Signalons que la fin du conflit aura été marquée par quelques couacs à caractère raciste dans l'ouest de la France (Nantes et Saint-Nazaire) dûment dénoncés (quoique tardivement pour ne pas gêner les négociations de Versailles) par les députés des colonies Achille René-Boisneuf (Guadeloupe) et Joseph Lagrosillière (Martinique).

En 1919, la Guadeloupe et la Martinique se firent marraines de deux communes de France : Neuvilly-en-Argonne et Étain. Des souscriptions avaient été organisées qui aidèrent à la reconstruction de ces communes.

L'entre-deux-guerres

Ce qui est sûr, en tout cas, c'est que le premier conflit mondial aura eu des conséquences notables pour l'empire colonial français. Le passage en France de milliers de soldats d'origines diverses aura, en effet, complètement bouleversé le paysage social et politique du pays, surtout de sa capitale.

Il y eut d'abord une large prise de conscience par les Noirs de leur identité. Le panafricanisme renaît et fait florès pendant deux décennies.

Il y avait déjà eu un congrès panafricain à Londres en 1900. Mais c'est en 1919 que se tient à Paris, avec l'aide de Clemenceau, le grand congrès panafricain du siècle, qui rassemble des personnalités africaines, caribéennes, américaines : William Edward Burghardt Du Bois, Blaise Diagne , Marcus Garvey, Candace, etc. Il vise à redéfinir les droits des populations noires dans le monde.

La présence nègre en France s'affirme dans tous les domaines.

Entre 1920 et 1939, plusieurs hommes de couleur seront nommés ministres des gouvernements successifs de la France : Henry Lemery, Alcide Delmont, Gratien Candace, Gaston Monnerville ; d'autres deviennent député en France, comme Élie Bloncourt, ou maire, comme Raphaël Élizé, tandis que Félix Éboué est le premier Noir nommé gouverneur des colonies.

En 1921, André Maran, obtient le prix Goncourt pour le « premier véritable roman nègre », Batouala , dont la préface est un implacable pamphlet contre la colonisation française...

Les journaux et revues, les associations pour la défense et la promotion des nègres se multiplient ( La voix des nègres , Le Cri du nègre , le Comité de défense des nègres , etc.) et revendiquent l'égalité de traitement.

Lamine Senghor, fondateur du Comité de défense de la race nègre , peut écrire en 1927 dans La voix des Nègres :

« Nous savons et nous constatons que, lorsque l'on a besoin de nous, pour nous faire tuer ou pour nous faire travailler, nous sommes des Français ; mais quand il s'agit de nous donner les droits, nous ne sommes plus des Français, nous sommes des Nègres. »

L'élite antillaise et africaine à Paris s'engage : à l'occasion de la III e Internationale communiste à Moscou, en 1924, un jeune Guadeloupéen noir, Joseph Gothon-Lunion est photographié par les Soviétiques, assis sur le trône des Tsars. La photo, publiée par L'Illustration , fait le tour du monde en laissant un parfum de scandale...

L'art nègre connaît une pleine reconnaissance de la part des plus grands artistes de l'époque.

La musique de Jazz et des Caraïbes envahit la capitale avec des vedettes noires comme Joséphine Baker et des orchestres antillais comme celui de Stellio, qui se produisent dans de nombreux cabarets parisiens ( La Boule Blanche , le Bal Blomet , dit aussi Bal nègre , etc.), mais aussi en province.

Au début des années 1930, paraît la Revue du Monde Noir , publiée par un cercle fondé par les soeurs Nardal, (Paulette Nardal, martiniquaise, aurait été la première femme noire à être admise à la Sorbonne) et auquel appartiennent des intellectuels antillais et africains. La Revue définit ainsi ses objectifs :

« Ce que nous voulons faire :

« Donner à l'élite intellectuelle de la Race noire et aux amis des Noirs un organe où publier leurs oeuvres artistiques, littéraires et scientifiques.

« Étudier et faire connaître par la voix de la presse, des livres, des conférences ou des cours, tout ce qui concerne la CIVILISATION NÈGRE et les richesses naturelles de l'Afrique, patrie trois fois sacrée de la race noire.

« Créer entre les Noirs du monde entier, sans distinction de nationalité, un lien intellectuel et moral qui leur permette de se mieux connaître, de s'aimer fraternellement, de défendre plus efficacement leurs intérêts collectifs et d'illustrer leur Race, tel est le triple but que poursuivra LA REVUE DU MONDE NOIR .

« Par ce moyen, la race noire contribuera avec l'élite des autres races et tous ceux qui ont reçu la lumière du vrai, du beau et du bien, au perfectionnement matériel, intellectuel et moral de l'humanité.

« Sa devise est et restera :

« Pour la PAIX, le TRAVAIL et la JUSTICE.

« Par la LIBERTÉ, l `ÉGALITÉ et la FRATERNITÉ.

« Et ainsi, les deux cent millions de membres que compte la race noire, quoique partagés entre diverses Nations, formeront, au-dessus de celles-ci, une grande DÉMOCRATIE, prélude de la Démocratie universelle.

« La Direction, 1931 »

C'est dans ce cercle que naîtra, reprise par Léopold Sedar Senghor et Aimé Césaire, l'idée de la Négritude .

Enfin, dans la décennie, auront lieu de grandes manifestations mettant en lumière les colonies : l'Exposition coloniale internationale de 1931 à Paris, les fêtes du Tricentenaire de l'appartenance des Antilles à la France.

Mais c'est alors que se profile le spectre de la Seconde Guerre mondiale. Dans les vieilles colonies, la presse locale se fait, avec inquiétude, l'écho des thèses racistes exprimées par les nazis, préparant ainsi d'une certaine manière l'opinion à l'explosion prochaine.

Dans le Miroir de la Guadeloupe du 1 er février 1939, le journaliste Arsène Cézaire, en parlant de thuriféraires locaux du nazisme, écrivait par exemple sous le titre Mein Kampf et nous :

« On est en droit de s'étonner, même de se révolter, quand on pense que dans un coin de terre comme la Guadeloupe, perdue, égarée sur le globe, des gens qu'Hitler dénonce comme des impurs parce que non-aryens prétendent faire une différence entre les races... et admirent la politique fasciste ! Tout comme Hitler, ils sont de ces nazis haïssant la France »qui descend de plus en plus au niveau des nègres mettant ainsi sans faire d'éclat l'existence de la race blanche en danger« . »

1939-1945

La Drôle de Guerre et la défaite

Au début de la guerre, on compte assez peu sur les colonies. Sur les 5 345 000 mobilisés, il y à peine 10 % de troupes en provenance d'Afrique du Nord et des colonies. Ce n'est qu'après la Drôle de Guerre et la défaite de 1940 qu'apparaîtra leur intérêt stratégique.

Les coloniaux se seront cependant battus comme des lions, au point qu'ils seront en plusieurs endroits les derniers à résister à l'envahisseur. Dans les Alpes, dans l'Eure, dans l'Oise, des tirailleurs sénégalais, parmi lesquels se trouvent souvent des créoles des vieilles colonies, sont massacrés par les Allemands qui, contrairement aux conventions internationales, exécutent sommairement des officiers, simplement parce qu'ils sont noirs. C'est le cas du capitaine Bébel, Guadeloupéen, mort le 11 juin 1940 à Équinvilliers dans l'Oise, à la tête d'un bataillon de tirailleurs sénégalais.

Après l'armistice, il y eut de nombreux prisonniers de guerre originaires des colonies et d'Afrique du Nord.

Ils furent placés dans des camps spéciaux en zone occupée pour éviter, selon les Allemands, la contagion raciale et les problèmes sanitaires.

Les Frontstalags sont, en effet, des camps ouverts par les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale, destinés aux soldats prisonniers issus des colonies françaises. On en dénombre, en avril 1941, 22 sur le territoire occupé qui recueillent environ 69 000 « indigènes » : près de 50 000 Nord-Africains, 16 000 Sénégalais, les autres se répartissant selon les engagements (Malgaches, Antillais, Indochinois, etc.). Ces prisonniers coloniaux d'abord gérés par les Allemands, puis par les autorités françaises, ont des conditions de vie déplorables et sont décimés par la maladie, notamment par la tuberculose.

Notons pour l'anecdote qu'au Frontstalag de Poitiers se seront rencontrés Léopold Sedar Senghor (qui faillit être fusillé lors de sa capture, parce qu'il était nègre), le poète guadeloupéen Guy Tirolien et les fils de Félix Eboué. On n'a gardé aujourd'hui pratiquement aucune trace de ces camps, dont la mémoire aurait été complètement perdue sans les méritoires efforts de quelques chercheurs...

La guerre terminée, la fermeture des Frontstalags débouchera sur la lamentable affaire du camp de Thiaroye au Sénégal où furent tués plusieurs dizaines des anciens prisonniers africains qui s'étaient révoltés parce que les autorités militaires françaises avaient refusé de leur payer l'intégralité de leur pécule.

La défaite de l'armée française accomplie, commence alors le règne de l'État français sous l'autorité du maréchal Pétain. La France est sous la botte de l'Allemagne.

On ne peut passer sous silence que certains représentants des colonies contribuent par leur vote à l'instauration de ce régime : Auguste Brunet pour La Réunion, Gratien Candace et Maurice Satineau pour la Guadeloupe, Henri Lemery pour la Martinique, Jean de Beaumont pour la Cochinchine, Eugène Le Moignic pour les Établissements français de l'Inde.

Mais la réaction ne se fait pas attendre.

Le 18 juin, c'est l'appel du général de Gaulle qui, à partir de Londres se proclame chef de la France libre.

C'est aussi le début de la Résistance sur le territoire de la France.

Dans les deux cas, les originaires des colonies ont manifesté leur présence.

La Résistance des coloniaux sur le territoire de la France

On oublie trop souvent de rappeler qu'ils ont, dès 1940, été nombreux à résister à la présence allemande sur le territoire de la France.

On peut citer « à la pelle » : René Jadfard, Raphaël Élizé, Élie Bloncourt, Tony Bloncourt, le capitaine Pierre Rose et bien d'autres.

Certains ont été fusillés, d'autres déportés, dont certains morts en déportation, comme en témoigne la liste non exhaustive ci-dessous :

Déportés originaires de la Martinique

ALPHA Isidore, décédé à Wöbbelin le 27 mars 1945

BIDARD Bernardin, décédé à Dora le 8 mars 1945

BILAN Ambroise, présumé mort à Bergen-Belsen en avril 1945

BOEUF Antoine, décédé à Elsdorf le 13 avril 1945

BOLLIN Joseph, libéré le 29 avril 1945

ÉLIZÉ Raphaël, décédé à Weimar (Buchenwald) le 14 février 1945

FACELINA Henri, évadé lors d'un transport vers Dachau le 10 août 1944

GOUSSARD Yves, décédé courant mars 1945 à Bergen-Belsen

MARTINIS Georges, évadé de Hanovre début mars 1945

MEISTER Georges, décédé à Buchenwald le 30 novembre 1944

NATTES Gentil, décédé à Mannheim le 9 octobre 1943

OZIER-LAFONTAINE Victor, libéré le 5 mai 1945

PARFAIT Édouard, décédé à Mauthausen le 5 novembre 1945

VÉSIR Antoine, libéré en avril 1945

VÉSIR Jacques, libéré en avril 1945

Déportés originaires de la Guadeloupe

ABRIAL Jean, libéré en mai 1945

APASSAMY Lucien, libéré le 29 avril 1945

BOGAT Léon dit Jali, libéré en mai 1945

DÉSIRÉ Norbert, date de libération ou de décès inconnue

ÉPITER André, libéré (date en cours de vérification)

FATHOU André, date de libération ou de décès inconnue

GÉDÉON Victor, libéré le 5 mai 1945

NAUDAR Georges, libéré le 23 avril 1945

ROLLIN Michèle, libérée le 7 mai 1945

SAMSON Cyprien, décédé à Wittlich le 22 novembre 1943 (fusillé)

TRIVAL Michel, date de libération ou de décès inconnue

VALMY André, décédé à Flossenbürg le 24 novembre 1944

Déportés originaires de la Guyane

CARLI Jean-Pierre, libéré le 1 er mai 1945

DÉFENDINI Ange, décédé à Buchenwald le 14 septembre 1944

JARRY Pierre, décédé à Gross-Rosen le 31 octobre 1944

JOSEPH-TANCRÈDE Roger, décédé à Ebensee le 30 mars 1944

Déportés originaires de La Réunion

AMPHOUX Léonce Raoul

LE BALLE René

Déportés originaires de Tahiti

ANDRÉ Constantin Victor Adrien Corentin

MAISTRE Jeanne

Déportés originaires de Nouvelle-Calédonie

CABANETTE Louis Gabriel

La France libre

Lorsque le général de Gaulle lance un appel aux Français le 18 juin 1940 à Londres, il est bien seul au milieu de quelques dizaines de résistants qui se sont ralliés à lui, dont quelques Antillais. Les Anglais lui prêtent leur appui, mais chichement.

Aussi lorsqu'il apprend en juillet le ralliement du Tchad à la France libre, par la voix de Félix Éboué, cet administrateur sorti de l'École coloniale et qui avait été le premier noir à être nommé à un poste de gouverneur des colonies (à la Guadeloupe), il comprend immédiatement que c'est la chance à saisir. De fait Félix Éboué donne à la France libre une assise territoriale qui lui confère le statut d'un État. C'est en effet à partir du Tchad que la France libre va s'implanter d'abord en Afrique équatoriale française où elle inaugurera son premier gouvernement et d'où elle partira à la conquête de toutes les autres colonies restées sous la coupe de Vichy.

C'est le nègre guyanais Félix Éboué qui permettra à la France libre de disposer non seulement d'une base territoriale, mais aussi d'un budget fondé sur l'exploitation des richesses africaines, or, caoutchouc, minerais divers etc., budget qui se concrétise au travers de la Caisse centrale de la France libre , créée le 2 décembre 1941 (et considérée alors comme la « banque d'émission de la France libre où que ce fût dans le monde »). Elle est chargée de l'émission monétaire, du Trésor public et du contrôle des changes du gouvernement du général de Gaulle en exil à Londres et des territoires ultra-marins ralliés au Comité français de Libération nationale (CFLN).

La plupart des originaires des vieilles colonies résidant en Afrique, administrateurs et militaires, et Dieu sait s'ils étaient nombreux, se rallièrent alors à la France libre.

Progressivement, la plupart des colonies s'y rallièrent également. Du Pacifique à l'océan Indien, des Caraïbes au Sénégal. Toutes vinrent apporter leur contribution non seulement au budget de la France libre, mais aussi au renfort de ses troupes, lesquelles n'étaient constituées au départ que de noirs africains, n'en déplaise à la légende.

L'historien Éric Jennings intitule fort justement un de ses ouvrages : La France libre fut africaine .

La prise en main de l'Afrique noire aura, par ailleurs, opportunément permis au général de Gaulle de devenir encore plus indépendant financièrement des alliés de la France en récupérant les 736 tonnes d'or de la Banque de France cachés à Kayes au Haut-Sénégal (actuellement Mali) et aussi 250 tonnes à Fort-de-France, outre la garantie Or du trésor des vieilles colonies...

Le ralliement des vieilles colonies

Ce n'est qu'en 1943 que les vieilles colonies des Caraïbes se rallièrent officiellement à la France libre. Jusqu'au mois de juillet de cette année-là, elles étaient en effet sous la coupe du régime de Vichy, représenté par le fameux amiral Robert nommé dès la fin de 1939, d'abord commandant en chef de l'Atlantique Ouest puis haut-commissaire de France aux Antilles, à Saint-Pierre-et-Miquelon et en Guyane.

L'amiral Robert exerce de 1940 à 1943 une véritable dictature sur les territoires qu'il dirige, avec l'aide de ses séides, le contre-amiral Rouyer et les gouverneurs des territoires réduits à l'obéissance et à l'impuissance. Il dispose de plusieurs bâtiments, des croiseurs Émile Bertin et Jeanne d'Arc , du porte-avions Béarn , des croiseurs auxiliaires Barfleur et Quercy , du pétrolier Var , de l'aviso Ville-d'Ys , et d'une importante garnison de marins à la Martinique qui bénéficie de toutes ses faveurs.

À ses côtés, le contre-amiral Charles Chomereau-Lamotte, issu d'une famille originaire de la Guadeloupe et de la Martinique, essaye bien de convaincre l'amiral Robert de choisir le camp de la France libre, mais il meurt brutalement en juillet 1940. Le contre-amiral Rouyer, ardent partisan de la Révolution nationale, aurait déclaré au moment de sa mort : « Il aura bu un mauvais café ! »

En Guadeloupe, comme en Martinique et en Guyane, dès la fin de 1940, la population commence à se montrer réticente à l'égard du pouvoir en place. L'application stricte des mesures prises par Vichy à l'encontre des juifs et des francs-maçons n'arrange rien, outre les limitations aux libertés publiques et les restrictions qui frappent les populations les plus pauvres. Déjà quelques hommes s'enfuient pour rejoindre la France libre.

Une anecdote souligne bien l'ambiguïté dans laquelle vivaient les habitants de la Guadeloupe et de la Martinique.

Des agriculteurs des deux îles savaient fort bien que la marine de l'amiral Robert approvisionnait en vivres frais les hordes de sous-marins allemands naviguant dans la zone, en leur fournissant notamment des ignames.

Les contacts entre la marine stationnée en Guadeloupe et en Martinique et les sous-marins allemands furent confirmés lorsque l'amiral Robert fit accueillir par ses hommes dans la rade de Fort-de-France un officier allemand qui avait été blessé lors de l'attaque d'un dépôt de pétrole à Aruba. Cet officier, Dietrich Alfred von dem Borne , qui fut amputé d'une jambe à l'hôpital de Fort-de-France, passa le reste de la guerre en Martinique, où il se fit des amis et revint après la guerre.

L'épisode est d'autant plus intéressant qu'aussi bien le président des États-Unis d'Amérique, Roosevelt, que Churchill, n'ont jamais cessé de considérer que la Martinique était un paradis pour les sous-marins allemands U-Boats.

La dissidence

À partir de 1942, le mouvement de ceux qu'on appellera les Dissidents , devient de plus en plus perceptible. Beaucoup d'hommes et de femmes, appartenant à toutes les classes sociales, s'enfuient vers les îles anglaises voisines, sur de frêles esquifs pour rejoindre la France libre, malgré les dangers de la mer et la surveillance dont font l'objet les côtes par les navires de l'amiral Robert. On compte à peu près cinq mille évadés, dont moins de deux mille rejoindront effectivement les Forces Françaises Libres.

Par la Dominique, Sainte-Lucie, Trinidad, ils rejoignent les États-Unis à Fort Disk (New Jersey) où ils subissent une formation militaire avant de traverser l'Atlantique sur des Liberty Ships jusqu'en Afrique du Nord. Certains iront directement à Londres...

L'anecdote la plus connue sans doute est celle du fils du gouverneur de la Martinique, Joël Nicol, qui choisit de partir en dissidence avec de jeunes créoles martiniquais, camarades de lycée, Louis Lucy de Fossarieu et Roger Ganteaume. Après avoir emprunté la baleinière à voile dont disposait son père dans l'exercice de ses fonctions, il partit en dissidence et rejoignit Sainte-Lucie au nez et à la barbe des autorités de surveillance des côtes.

On en parle peu, mais le parcours de ceux qui constituèrent le Bataillon de Marche Antillais n° 1 (BMA), devenu plus tard le 21 e Groupe Antillais de DCA , fut plus que remarquable.

Partis volontairement des Caraïbes, ils passent par les États-Unis, rejoignent le Maroc, traversent l'Afrique du Nord, sont intégrés à la Première Division Française Libre (1 re DFL) avant de participer à la campagne d'Italie (certains s'illustrèrent au Monte Cassino), au débarquement de Provence, à la campagne de France, à la bataille des Vosges, et de se retrouver au combat à Herbsheim et à Benfeld lors de la libération de Strasbourg, au prix de nombreux camarades tués ou blessés.

En 1943, les vieilles colonies se rallient à la France libre.

Plusieurs initiatives locales sont à l'origine du départ des représentants du régime de Vichy.

En Guadeloupe et en Guyane, des groupements de résistants s'étaient constitués et avaient essayé à plusieurs reprises de prendre des initiatives de nature à déstabiliser le pouvoir en place, mais sans succès. Les têtes de ces mouvements, comme Paul Valentino en Guadeloupe, avaient été déportées ou bien aux îles du Salut (Guyane) comme ce dernier, ou bien emprisonnées au fort Napoléon aux Saintes (Guadeloupe).

C'est en Martinique que sont menées les actions décisives, grâce aux initiatives de militaires de l'infanterie casernés au camp de Balata, notamment le commandant Tourtet, et d'un comité civil de libération de la Martinique.

L'amiral Robert est contraint de laisser la place à l'envoyé du général de Gaulle, Henri Hoppenot, qui désigne de nouveaux gouverneurs.

Dès lors, le recrutement de soldats peut recommencer et est formé le Bataillon de Marche Antillais n° 5 (BMA 5).

C'est ce bataillon qui participe en 1945, en même temps que plusieurs bataillons de tirailleurs sénégalais, sous le commandement du général de Larminat, à la libération de la poche de Royan. Il y laisse quelques morts, dont le commandant Tourtet, qui reposent dans la nécropole nationale de Rétaud (Charente-Maritime).

Au total, les colonies auront marqué l'histoire de la Seconde Guerre mondiale par quelques noms, outre ceux déjà cités. On notera celui de Jean L'Herminier, guadeloupéen d'origine, né à Fort-de-France, qui réussit en 1942 à soustraire le sous-marin Casabianca au sabordage de la flotte à Toulon.

Il faut retenir également celui plus modeste de Guy Cornély qui débarqua en Normandie. Guy Cornély, avec cinquante autres soldats français, faisait partie de l'équipage du Courbet , un grand et vieux bâtiment de la marine française.

La mission de ces hommes était de saborder leur outil de navigation pour servir de barrage et alimenter l'offensive contre les Allemands. En touchant terre, Guy Cornély se serait écrié : « Schoelcher nous sommes quittes ! ».

Et puis le nom de Philippe Kieffer, haïtien, chef du commando qui porte son nom et qui fut la seule unité française constituée à avoir débarqué en Normandie.

Conclusion

Les deux conflits mondiaux que l'on distingue souvent d'une manière un peu abrupte, car le second est l'évident prolongement du premier, auront profondément changé le devenir de l'empire colonial français.

La France, qui avait organisé en 1944 la conférence de Brazzaville pour envisager enfin quelques changements dans la manière de traiter ses colonies, ne réussit pas à prendre la mesure du problème posé par l'épouvantable choc des deux guerres.

Elle fut dès la fin de la guerre 1939-1945 confrontée à la nécessité de réorganiser l'Empire. Les vieilles colonies furent transformées en d'improbables départements d'outre-mer, le reste des colonies en une Union française qui ne put résister aux tensions nées des conflits indochinois et algériens, puis en une Communauté , fédération entre la France et certaines de ses anciennes possessions, qui n'eut qu'une existence éphémère.

On retiendra in fine que l'indépendance de la plupart des colonies aura entraîné la « cristallisation » des pensions d'invalidité et d'anciens combattants des originaires des anciennes colonies pendant plusieurs décennies, juste le temps d'en laisser mourir le plus grand nombre. On est bien loin de la volonté première des coloniaux de se sacrifier en payant l'impôt du sang afin d'être enfin citoyens à part entière.

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