IV. LES NOUVEAUX ENJEUX DE L'IMMIGRATION

A. DÉBAT JOINT SUR L'INTÉGRATION

1. Identités et diversité au sein des sociétés interculturelles

La commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias a dressé le constat que les sociétés modernes sont devenues interculturelles : la mondialisation et Internet ont rendu accessibles la plupart des cultures. Les migrations transfrontières ont par ailleurs accru la diversité ethnique dans les pays européens. Les identités individuelles et collectives empruntent ainsi désormais volontiers à différentes cultures. Mais cette proximité engendre aussi un rejet qu'illustre la montée des partis politiques antidémocratiques et xénophobes en Europe. C'est la raison pour laquelle le rapport présenté par M. Carlos Costa Neves (Portugal - PPE/DC) appelle aujourd'hui à élaborer une stratégie globale de l'intégration. Il s'agit désormais de faire évoluer le discours et l'action politiques afin de sensibiliser le public, renforcer la cohésion entre les différents acteurs, lutter contre le racisme, instaurer une véritable diversité au sein des sociétés et mettre en place une économie interculturelle.

M. Pierre-Yves Le Borgn' (Français établis hors de France - SOC) s'est inquiété du succès des formations politiques ouvertement racistes et xénophobes lors des récentes élections européennes. L'Europe est un continent de migrations et, si les barrières culturelles reculent aujourd'hui grâce à l'accélération de la mondialisation, le mouvement vers l'interculturalité, en soi, n'est pas nouveau. Il a remarqué que ce qui est nouveau, en revanche, c'est la défiance de plus en plus affichée à son égard. Cette diversité culturelle est pourtant la réalité d'aujourd'hui et elle est, plus encore, l'avenir. Elle n'est pas un danger, mais au contraire une richesse pour les pays et pour chacun d'entre nous individuellement. L'égalité s'apprend par l'éducation. L'apprentissage de la diversité et du dialogue interculturel doit être intégré au coeur des programmes nationaux d'enseignement. Il faut par ailleurs valoriser et soutenir toutes les initiatives interculturelles, souvent locales et modestes.

M. Jean-Claude Frécon (Loire - SOC ) a salué l'appel contenu dans les projets de résolution et de recommandation à promouvoir la diversité culturelle, aussi nécessaire au genre humain que la biodiversité à l'ordre du vivant. Il a considéré cette démarche comme bienvenue, car peu naturelle. Beaucoup cherchent au contraire à ériger leurs références culturelles, sociales ou religieuses en normes impératives, ce qui accrédite la thèse selon laquelle les conflits entre cultures et civilisations seraient inéluctables. Il a rappelé que l'année 2001 avait vu, en même temps que les attentats du 11 septembre, l'adoption de deux textes importants, visant à réaffirmer l'impératif de diversité culturelle dans nos sociétés. Lors de la conférence des ministres francophones de la culture, la déclaration de Cotonou a affirmé que « la diversité culturelle constitue l'un des enjeux majeurs du XXI e siècle ». Par ailleurs, la Déclaration universelle sur la diversité culturelle de l'Unesco a reconnu pour la première fois la diversité culturelle comme « héritage commun de l'humanité ». Pour autant, cette diversité est un processus évolutif. La diversité culturelle est d'ailleurs moins menacée par l'intolérance, souvent inspirée par la crise, donc conjoncturelle, que par une tendance forte à l'uniformisation des modes de vie. Celle-ci s'observe dans la disparition de langues et de dialectes, dans l'inquiétude de populations quant à la sauvegarde de leurs traditions et par l'intensification de la prééminence culturelle des États-Unis, ou encore dans la consommation de produits quasi standardisés sur l'ensemble de la planète. De ce point de vue, la diversité culturelle, à la défense de laquelle la France est particulièrement attachée dans les négociations économiques internationales, est un rempart contre une uniformité culturelle excessive. Il est important de réaffirmer que le dialogue interculturel constitue le meilleur gage de paix.

2. L'intégration des immigrés : l'Europe en échec ?

Mme Marietta Karamanli (Sarthe - SRC) , rapporteure de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées , a ouvert le débat en présentant le rapport et la proposition de résolution de la commission. L'intégration désigne un mouvement double au terme duquel les immigrés et les sociétés d'accueil ont pour objectif d'inclure progressivement par la langue, le droit et la culture dans le corps social, ceux qui le rejoignent. Évaluer l'intégration et considérer qu'elle a réussi ou échoué est un exercice difficile car celle-ci prend du temps, varie aussi en fonction de la taille du pays et évolue dans le temps. Elle est, par définition, un processus dont la mesure est difficile à manier. Il est donc préférable de dire qu'elle nécessite pour réussir diverses actions sur plusieurs axes d'amélioration. Des écarts significatifs ont été constatés dans trois domaines : le droit au travail, l'éducation et la participation démocratique. L'idée principale des recommandations présentées est de considérer que, dans les politiques d'intégration actuelles, il existe des marges non exploitées et qu'il convient d'explorer les moyens de les utiliser et d'agir concrètement, en particulier grâce à un travail commun entre les gouvernements, les pouvoirs locaux et les organisations non gouvernementales.

M. Damien Abad (Ain - UMP) a partagé le constat d'échec dressé par la rapporteure. Il a cependant contesté les solutions proposées : après avoir insisté sur le rôle démultiplicateur de la crise économique, extrêmement forte en Europe et qui compromet les conditions d'accueil faites aux migrants, il a mis en doute l'opportunité d'un droit de vote aux élections locales ouvert aux immigrés. Il a ensuite développé tout l'intérêt d'une migration régulière, choisie, qui constitue une véritable richesse pour les sociétés d'accueil européennes. Il a à cet égard évoqué l'hypothèse d'une réforme des accords de Schengen. Il a noté que, si le droit à une vie familiale doit être respecté, il faut aussi que les personnes qui accueillent leur famille soient en mesure de leur garantir un niveau de vie décent et de les accompagner dans le processus d'intégration. La connaissance de la langue du pays d'accueil permet d'aller vers les autres, de sortir de la logique de ghettoïsation et d'acquérir une indépendance indispensable à une intégration réussie. La langue sert aussi à transmettre les valeurs, de la démocratie, de l'État de droit et des droits de l'Homme. C'est pour cela qu'il importe de ne pas créer des sociétés de communautés les unes à côté des autres, mais de construire une véritable société européenne multiculturelle et d'engager les réformes nécessaires pour accueillir peut-être moins mais certainement mieux.

M. Jean-Marie Bockel (Haut-Rhin - UDI-UC) a rappelé que les populations immigrées sont plus vulnérables et stigmatisées que les autres. Il a souhaité revenir sur le cas de la France dont l'identité s'est construite, pour partie, à travers les immigrations successives. Des millions de personnes dont les parents ne sont pas nés en France y habitent actuellement. Un contrat d'accueil et d'intégration est aujourd'hui proposé à toute personne immigrée. Or il y a aujourd'hui clairement un sentiment d'échec partagé par l'ensemble de la société française. Des défis restent à relever : celui des flux migratoires, à résoudre avec les pays d'émigration, celui que constituent les dérives intégristes et communautaristes. Dans un contexte économique et social difficile déjà évoqué par les précédents orateurs, des réponses doivent être apportées. Le Conseil de l'Europe peut jouer en cela un rôle important, car c'est précisément à ce niveau que des solutions peuvent être élaborées conjointement, pour ensuite faire passer des messages aux États et à l'Union européenne et formuler des préconisations. Le simple fait de discuter ensemble peut contribuer à apporter durablement une réponse à ce sujet. Les migrations constituent à la fois un défi et un atout.

Au terme intégration, Mme Pascale Crozon (Rhône - SRC ) a préféré celui « d'inclusion sociale » tout en partageant, elle aussi, le constat d'échec de la rapporteure. Elle a rappelé les conséquences de ce dernier : la ségrégation territoriale, qui s'accompagne d'une dégradation du logement, de la disparition des commerces de proximité et des services publics, c'est-à-dire de la qualité de vie. C'est aussi l'exploitation de la misère, terreau fertile à la délinquance, à l'économie parallèle ou aux discours de repli communautaire. Ce sont les discriminations fondées non plus uniquement sur une appartenance ethnique ou religieuse, mais aussi sur le lieu de résidence. C'est enfin la peur de la relégation et du déclassement qui engendre la peur de l'autre et nourrit le racisme. En s'attaquant aux conséquences et non aux causes sociales de cet échec, les politiques migratoires mises en oeuvre par les États ont aggravé bien plus encore la situation, tout en banalisant les discours d'exclusion. La réduction du débat migratoire au seul prisme de l'immigration irrégulière, les restrictions apportées aux droits fondamentaux et à la prise en charge sociale, n'ont pas tari les flux migratoires. Elles ont, en revanche, précarisé les étrangers en situation régulière, que l'insécurité administrative écarte un peu plus encore de l'emploi, du logement ou du crédit. La réponse à apporter à la vague populiste qui a fait vaciller de nombreux pays aux dernières élections européennes est aujourd'hui dans la contractualisation de droits et de devoirs entre un migrant et sa société d'accueil.

M. René Rouquet (Val-de-Marne - SRC) , président de la délégation française , a souhaité partager son expérience d'élu d'une ville française dont la population compte plus d'un quart d'immigrés. Il a à cet égard rappelé le rôle clé de l'éducation, en prenant pour exemple le dispositif « ouvrir l'école aux parents pour réussir l'intégration » qui a pour objectif de permettre aux parents d'élèves d'origine étrangère de mieux connaître l'école, mais aussi la langue française, afin d'aider et d'accompagner au mieux leurs enfants. Cette initiative importante permet aux femmes immigrées d'être valorisées au sein même de la famille, car elles sont souvent les premières concernées par le suivi des enfants et de leur scolarité. Il a ensuite évoqué la feuille de route du Gouvernement français sur la politique d'égalité républicaine présentée en février dernier. Les objectifs de cette dernière sont clairs : l'accès de tous au droit commun doit être garanti, en particulier dans l'emploi, et la lutte contre les discriminations doit être prise en compte à tous les niveaux de l'action publique.

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