INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

A l'initiative de votre commission, l'article 1 er de la loi de 2010 relative à l'action extérieure de l'Etat permet au Parlement de donner un avis sur les propositions de contrats d'objectifs et de moyens (COM) conclus entre l'Etat et les établissements publics contribuant à l'action extérieure de la France.

En ce qui concerne l'Agence française de développement (AFD), votre commission a exercé ce droit une première fois en 2011 sur le COM pour la période 2011-2013. Cet examen a permis la publication d'un rapport de référence sur « l'AFD, fer de lance de la coopération française » 1 ( * ) .

Le Sénat est aujourd'hui saisi de la proposition de COM préparée par le Gouvernement et l'AFD pour la période 2014-2016. Cet exercice s'inscrit, cette année, dans un contexte particulier puisque le Parlement vient d'adopter définitivement, le 23 juin, la première loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale.

Vos rapporteurs ont rappelé à cette occasion que la politique de développement doit s'adapter à un monde en mutation, dont les progrès sont indéniables mais fragiles et inégalement répartis entre pays et entre populations. Un an avant le terme des Objectifs du millénaire pour le développement, les résultats de ces derniers sont encourageants, ce qui doit permettre de renouveler profondément les débats préalables à la fixation des objectifs amenés à leur succéder. L'Afrique, comme de « grands émergents », connaissent un décollage réel mais inégal.

Dans ce contexte, l'aide française qui s'est élevée à 9,4 milliards d'euros en 2012 selon les calculs de l'OCDE se veut ambitieuse alors même qu'il existe un décalage, constaté sur le terrain, entre les ambitions affirmées et les moyens effectivement déployés.

L'AFD constitue l'outil principal de mise en oeuvre de la politique française de développement ; elle est devenue un acteur incontournable du fait de son expertise et de sa capacité de financement. Pour autant, elle est encore mal connue. Après une dizaine d'années de progression accrue de ses engagements financiers - ils ont quadruplé en dix ans pour atteindre 7,5 milliards d'euros en 2013, dont 1,5 milliard pour les outre-mer -, la proposition de COM fixe un objectif de croissance maîtrisée du chiffre d'affaires qui ne devra pas dépasser 8,5 milliards d'euros en 2016. Cette phase de transition devra être utilisée pour consolider les acquis des années passées et envisager l'avenir de la politique française de développement dans un contexte national de contrainte sur les finances publiques et international de mutations profondes en ce qui concerne les besoins et les acteurs.

Sur la proposition de ses rapporteurs, votre commission a émis à l'unanimité un avis favorable à la proposition de COM de l'AFD pour la période 2014-2016 sous plusieurs réserves, notamment : la nécessité de tirer les conséquences dans le COM de la loi définitivement adoptée par le Parlement le 23 juin ; l'inscription explicite dans le contrat des termes de l'arbitrage interministériel relatif au renforcement des fonds propres de l'agence ; l'inclusion d'indicateurs plus pertinents pour mesurer l'effort financier en faveur des pays pauvres prioritaires et du Sahel ; l'approfondissement des objectifs en matière de coordination des bailleurs de fonds.

Le contrôle démocratique de la politique de développement s'est considérablement renforcé ces dernières années, notamment grâce aux actions des commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Comme gage de ce contrôle, il faut se féliciter de la présentation, pour la première fois, d'un projet de loi d'orientation et de programmation relative à cette politique comme du fait que le texte a sensiblement évolué durant les débats parlementaires. Cette évolution doit maintenant se concrétiser dans la reprise, par le Gouvernement et l'AFD, des réserves formulées par votre commission sur la proposition de COM pour 2014-2016.

I. L'AFD : « FER DE LANCE DE LA COOPÉRATION FRANÇAISE »

A. UN ORGANISME SINGULIER, À LA FOIS BANQUE ET AGENCE DE COOPÉRATION

1. Les missions et le fonctionnement de l'AFD

Créée en 1941 en tant que Caisse centrale de la France libre, l'agence française de développement (AFD) est un établissement public de l'Etat à caractère industriel et commercial (EPIC) dont les missions et l'organisation sont fixées aux articles R. 516-3 et suivants du code monétaire et financier.

Elle a ainsi pour mission de « réaliser des opérations de tout nature en vue de contribuer à la mise en oeuvre de la politique d'aide au développement à l'étranger et de contribuer au développement des départements et collectivités d'outre-mer, ainsi que de la Nouvelle-Calédonie » 2 ( * ) .

Le champ des concours que l'agence peut apporter est très large :

- en termes de typologie : sont autorisés les prêts, les avances, les prises de participation, les garanties, les dons ou « toute autre forme de concours financier » ;

- en termes de destinataires : des Etats, des organisations internationales, ainsi que des personnes morales ou physiques.

L'agence peut attribuer des concours soit pour son compte propre, soit pour le compte de l'Etat, soit même pour d'autres organismes français ou étrangers, comme la Commission européenne dans le cadre d'une délégation de gestion.

L'agence est dirigée par un directeur général , nommé pour trois ans par décret.

Le Conseil d'administration , qui se réunit en pratique environ une fois par mois, délibère sur plusieurs sujets importants : orientations stratégiques, conventions avec différents partenaires, état prévisionnel des produits et des charges, comptes annuels et rapport de gestion, montant annuel des emprunts, etc. Il est composé de dix-sept membres :

- un Président, nommé par décret et disposant d'une voix prépondérante ;

- six membres représentant l'Etat ;

- cinq personnalités qualifiées nommés par décret en raison de leur connaissance des questions économiques et financières, ainsi que de l'écologie et du développement durable ;

- deux députés ;

- deux sénateurs ;

- deux représentants du personnel.

L'AFD finance des projets de développement dans quatre-vingt-dix pays ou territoires. Elle dispose d'un réseau de soixante-dix agences dans le monde, dont onze outre-mer. En 2013, elle employait 1 742 personnes, dont 711 étaient en poste à l'étranger.

2. Un modèle original disposant d'une palette d'outils riche mais complexe

Tant du point de vue de son inscription dans le code monétaire et financier que de son bilan comptable, l'AFD est avant tout une banque spécialisée dans le financement de projets de développement . Elle emprunte des ressources sur les marchés financiers à des taux favorables, proches des conditions obtenues par l'Etat. Elle prête ensuite à des conditions qui peuvent être ou non bonifiés par rapport aux taux habituels des marchés ; l'agence applique des marges et commissions, qui varient selon les pays et les projets 3 ( * ) . Sur ses prêts dits concessionnels (avec bonification), l'AFD reçoit elle-même de la part de l'Etat des bonifications correspondant à ce qui est qualifié d'un « coût-Etat » défini dans la convention cadre entre le ministère de l'économie et des finances, celui des affaires étrangères et l'AFD.

Alors que l'activité de prêts sans bonification est aujourd'hui majoritaire dans l'activité de l'agence, son image reste plutôt celle d' une agence de coopération qui octroie des subventions au nom de l'Etat. Ainsi, l'AFD attribue, au nom du ministère des affaires étrangères, les dons destinés à la réalisation de projets dans les secteurs de l'agriculture et du développement rural, de la santé et de l'éducation de base, de la formation professionnelle, de l'environnement, du soutien au secteur privé, des infrastructures et du développement urbain.

Comme l'a relevé la Cour des comptes ainsi que notre commission en 2011 4 ( * ) , la France est pratiquement le seul bailleur important qui ait pour principal instrument une institution financière soumise au régime des établissements de crédit. Plus largement, la Commission européenne, les Etats-Unis ou le Royaume-Uni utilisent uniquement ou quasi-uniquement l'outil des subventions, sans recourir aux prêts. Logiquement, les banques multilatérales recourent très largement aux prêts (Banque mondiale, Banque interaméricaine de développement, Banque asiatique de développement, Banque africaine de développement ou encore Banque européenne d'investissement). L'Allemagne et le Japon ont développé une activité importante de prêts, qui représente cependant une part moins importante du volume d'activité que pour l'AFD : respectivement, environ 55 %, 75 % et 85 %.

Par ailleurs, le mode de financement de l'agence est particulièrement original , y compris pour un opérateur de l'Etat. En effet, elle ne reçoit pas de subvention pour charges de service public ou toute autre « subvention » de l'Etat mais elle se rémunère sur l'ensemble des opérations qu'elle gère . Ainsi, on l'a vu, elle prélève des commissions auprès des bénéficiaires de ses prêts et, pour les autres opérations, l'Etat lui verse des rémunérations censées couvrir ses frais réels. Par exemple, pour les dons versés par l'AFD au nom de l'Etat, celui-ci lui verse une rémunération forfaitaire égale à 10 % sur une assiette fixée par convention. Pour les aides budgétaires globales qu'elle est amenée à verser pour le ministère de l'économie et des finances, elle reçoit 1 % et 2 % pour les contrats de désendettement et de développement (C2D) qui constituent le volet bilatéral français additionnel à l'initiative Pays pauvres très endettés (PPTE). De même, lorsque l'AFD est affectée par des annulations de dette décidées par l'Etat, elle est indemnisée à hauteur de la créance annulée.


* 1 Rapport d'information n° 497 (2010-2011) par MM. Christian Cambon et André Vantomme, Sénateurs, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

* 2 La seconde mission de l'agence dédiée au développement des outre-mer français sera très peu mentionnée dans le présent rapport, car elle ne relève pas de la commission des affaires étrangères.

* 3 Exemple : un récent projet présenté au Conseil d'administration de l'agence prévoit que celle-ci prêtera 96 millions de dollars à un taux de marché (Euribor) plus 21 points de base.

* 4 « L'AFD, fer de lance de la coopération française », rapport d'information précité.

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