II. RÉGULER SANS ENTRAVER : LE CHEMIN ÉTROIT DES POUVOIRS PUBLICS

A. LES CHOIX DE LA FRANCE : UNE RÉGULATION INACHEVÉE ?

La régulation des monnaies virtuelles apparaît aujourd'hui comme une nécessité , à la fois pour sécuriser les utilisateurs et les acteurs qui prennent le risque d'innover, et pour prévenir les dérives qui, sinon, continueront à décrédibiliser le système dans son ensemble. Toutefois, il est difficile d'apporter une réponse normative à un phénomène qui se joue des frontières géographiques autant que des cadres conceptuels.

L'audition du 15 janvier 2014 au Sénat a montré que certains acteurs privés présents sur le marché du bitcoin étaient en attente d'une régulation , ce dont il faut se féliciter. De nombreux acteurs français, regroupés au sein de l' Association Bitcoin France , ont ainsi appelé le 9 juillet 2014 à l'établissement d'un cadre réglementaire stable 6 ( * ) . Sans surprise, les professionnels demandent un maximum de souplesse et un « moratoire » sur la fiscalité, là où les autorités plaident pour des contrôles plus pointilleux et un traitement fiscal normal. L'enjeu est ici de réguler efficacement sans « tuer » l'innovation .

La France a su réagir assez rapidement en matière de régulation . Le 11 juillet 2014, en se fondant notamment sur les travaux conduits à l'initiative de votre commission ainsi que sur le rapport du groupe de travail piloté par Tracfin 7 ( * ) , le ministre des finances et des comptes publics, Michel Sapin, a annoncé plusieurs mesures très concrètes :

1) Une clarification du régime fiscal applicable aux monnaies virtuelles par l'instruction fiscale du 11 juillet 2014 . Les plus-values seront ainsi imposées au barème progressif de l'impôt sur le revenu , au premier euro, au titre des bénéfices non-commerciaux (BNC) si celle-ci est occasionnelle 8 ( * ) , ou des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) si l'activité d'achat-revente est habituelle 9 ( * ) - le cas devrait être peu fréquent au-delà des plateformes d'échange. Par voie de conséquence, les moins-values seront déductibles sous certaines conditions 10 ( * ) . Les bitcoins et leurs équivalents entreront par ailleurs dans le patrimoine imposé au titre de l' impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et seront soumis aux droits de mutation à titre gratuit (DMTG) . En revanche, la France soutiendra au niveau européen un non-assujettissement à la TVA des échanges de bitcoins 11 ( * ) , afin d'éviter de réitérer l'expérience malheureuse des « quotas carbone » qui ont donné lieu à un gigantesque « carrousel TVA ».

2) Une limitation de l'anonymat : le ministre entend imposer aux plateformes d'échange une obligation de prise d'identité à l'occasion d'une ouverture de compte, d'un retrait ou d'un dépôt. Au niveau européen, il est proposé d'imposer aux professionnels d'identifier l'auteur et le bénéficiaire de chaque transaction, ainsi que l'origine des fonds. Une concertation a été engagée avec les professionnels sur ce sujet.

3) Un plafonnement des paiements en monnaies virtuelles , comme cela existe pour le numéraire 12 ( * ) : dans les deux cas, cela se justifie par l'anonymat qui s'attache aux transactions.

En ce qui concerne la régulation des « services » liés au bitcoin , il faut signaler que l'Autorité de contrôle prudentiel et de régulation (ACPR) considère que les intermédiaires proposant d'échanger des « monnaies virtuelles » contre des monnaies ayant cours légal sont soumis au statut de prestataire de services de paiement (PSP) . À ce titre, ils doivent solliciter un agrément de l'ACPR, respecter diverses obligations prudentielles, et sont assujettis aux règles de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Ainsi, les utilisateurs qui ouvrent un compte auprès d'une plateforme d'échange telle que la française Paymium (anciennement Bitcoin-Central ), ouvrent en même temps un compte auprès de cet établissement de paiement agréé. Trois personnes qui opéraient une plateforme d'échange de bitcoins sans autorisation ont, à l'inverse, été arrêtées le 7 juillet 2014 par les gendarmes de la région Midi-Pyrénées, qui ont à cette occasion « saisi » 388 bitcoins, soit environ 200 000 euros.

D'un point de vue comptable , les bitcoins sont, d'après les éléments transmis à vos rapporteurs, considérés par les entreprises comme des stocks , et inscrits au bilan à leur valeur vénale au moment de l'achat et de la vente. Aucune autorité comptable n'a toutefois pris de position officielle à ce jour.


* 6 Association Bitcoin France, « Quatre propositions pour un développement responsable de Bitcoin en France », 9 juillet 2014.

* 7 Groupe de travail « monnaies virtuelles », « L'encadrement des monnaies virtuelles : recommandations visant à prévenir leurs usages à des fins frauduleuses ou de blanchiment », juin 2014.

* 8 Article 92 du code général des impôts.

* 9 Article 34 du code général des impôts.

* 10 Les moins-values sont déductibles sur la totalité du bénéfice dans le cas des BIC, et seulement dans la même catégorie d'activité dans le cas des BNC.

* 11 Les biens et services vendus en bitcoins restent bien sûr, à l'instar des biens vendus en euros, soumis à la TVA dans les conditions de droit commun.

* 12 Aux termes de l'article article D. 112-3 du code monétaire et financier, le plafond des paiements en espèces à un commerçant est fixé à 3 000 euros, ou 15 000 euros si le domicile fiscal est situé hors de France.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page