B. UNE COMPARAISON INTERNATIONALE

Les réponses au questionnaire adressé par vos rapporteurs aux missions économiques de la direction générale du Trésor montrent que si tous les pays se posent à peu près les mêmes questions, tous n'y apportent pas les mêmes réponses . Pour l'instant, ces divergences sont davantage le reflet d'hésitations que de conceptions opposées de la part des différents pays. Toutefois, à terme, le maintien de qualifications juridiques hétérogènes pourrait poser problème , le phénomène des monnaies virtuelles étant par essence transnational. Il ne faudrait pas que le bitcoin s'ajoute à la liste des « produits hybrides » qui permettent, grâce à une qualification juridique différente selon les pays, d'échapper à toute régulation ou à toute taxation 13 ( * ) .

Les comparaisons avec les treize pays étudiés par les services de la direction générale du Trésor montrent que la France se situe à mi-chemin entre les pays les plus régulateurs et les pays les plus permissifs .

1. La qualification juridique des monnaies virtuelles

Il n'existe pas à ce jour de consensus quant à la nature juridique des monnaies virtuelles , entre les différents pays ou, en « interne », entre leurs différentes administrations. À cet égard, la France évolue dans le même flou que la plupart des autres pays, tels que le Canada, Chypre, l'Inde, Israël, le Japon ou encore le Royaume-Uni.

Toutefois, certains pays comme la Chine, la Thaïlande ou la Corée du Sud considèrent explicitement les monnaies virtuelles comme des « biens » ou des « marchandises », fussent-elles numériques, à l'instar d'un fichier musical « mp3 ». Le gouverneur de la Banque central chinoise a ainsi comparé les bitcoins aux timbres échangés par les philatélistes 14 ( * ) .

La BaFin, l'autorité de supervision financière allemande, fait figure d'exception en qualifiant les monnaies virtuelles d'« unités de compte », qui entrent dans la catégorie des instruments financiers au même titre que les devises. Cette définition sous-entend que le bitcoin s'apparenterait à une quasi-monnaie. En France, l'Autorité des marchés financiers (AMF) a récemment défini la monnaie virtuelle comme une « monnaie non-régulée et numérique », sans toutefois être suivie en cela par le Gouvernement 15 ( * ) .

2. Le régime fiscal applicable aux monnaies virtuelles

Plusieurs pays ont choisi d'imposer la détention et les transactions de monnaies virtuelles, quand bien même celles-ci n'auraient pas reçu de définition légale.

Les régimes fiscaux choisis demeurent toutefois très hétérogènes : assimilés aux gains aux jeux en ligne par la Chine et à ce titre taxés à l'impôt sur le revenu, les bitcoins sont imposés comme des biens immobiliers par l'Allemagne et comme des revenus du capital par les États-Unis, ce qui emporte une taxation des plus-values.

En matière de TVA, il convient de distinguer la vente de biens et de services contre des bitcoins , et les échanges de bitcoins contre des monnaies légales. Dans le premier cas, il semble que la TVA doive s'appliquer dans les conditions de droit commun ; la taxe est alors calculée d'après la valeur en monnaie légale des biens et services. Dans le cas des échanges de bitcoins eux-mêmes et des services liés, les appréciations divergent entre les pays qui se sont exprimés sur le sujet - Allemagne, Royaume-Uni, Singapour etc. Au niveau européen, la France prônera un non-assujettissement , compte tenu des risques de fraude qui s'attachent au remboursement des créances de TVA sur les actifs immatériels.

Enfin, certains pays n'ont émis aucune règle ni donné aucune précision quant au traitement fiscal des monnaies virtuelles : c'est le cas de Chypre, de l'Inde (malgré un projet inabouti), d'Israël, de la Russie ou encore de la Thaïlande.

3. La régulation des échanges de monnaies virtuelles

En ce qui concerne la régulation des transactions et des plateformes d'échange, la plupart des pays ont multiplié les avertissements , d'abord sur les risques encourus par les utilisateurs des monnaies virtuelles, et surtout sur les risques de blanchiment et de financement du terrorisme. Toutefois, tous n'en concluent pas que cela justifie une intervention du régulateur, voire du législateur : beaucoup considèrent, à l'instar du Japon, que réguler revient à légitimer, et donc à encourager . Ainsi des pays comme l'Allemagne, Israël ou le Canada se contentent-ils de prévenir les utilisateurs de bitcoins qu'ils agissent « à leurs risques et périls » , sans garantie publique d'aucune sorte.

Les positions les plus strictes viennent de la Russie, de la Chine et du Japon . La Chine et le Japon interdisent tout usage du bitcoin aux établissements financiers, et notamment l'échange contre des devises ; en Chine, les détenteurs de bitcoins sont toutefois autorisés à échanger cette « marchandise » entre eux. Plus stricte encore, la Russie attache tout simplement à l'usage des monnaies virtuelles une présomption de « participation à des opérations illégales , notamment de blanchiment d'argent et de financement du terrorisme ».

La France fait à cet égard preuve d'un libéralisme prudent , en n'interdisant pas les monnaies virtuelles mais en assujettissant les plateformes au statut encadré de prestataire de service de paiement (PSP) . Un choix comparable a été fait par les États-Unis, les plateformes ayant l'obligation de s'enregistrer auprès du Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN) chargé de la lutte anti-blanchiment.

4. Le soutien à l'innovation

Sans surprise, c'est aux États-Unis, au Canada ou encore en Israël que l'innovation en matière de monnaies virtuelles est la plus dynamique . Les incubateurs, business angels et autres start-ups s'y multiplient, dans un contexte de bienveillance des autorités publiques - aucun fonds public spécifique n'ayant toutefois pu être identifié lors des recherches. Aux États-Unis, près de 100 millions de dollars ont été levés depuis la création du bitcoin en 2009, au bénéfice de 19 start-ups . Au Canada, la ville de Vancouver se targue d'avoir hébergé le premier « distributeur automatique » de bitcoins . En Israël, plusieurs dizaines de commerces acceptent bitcoins et « Isracoins », une monnaie virtuelle locale créée en 2014. À Chypre, l'université de Nicosie accepte le paiement des frais de scolarité en bitcoins , même si peu d'étudiants ont semble-t-il sauté le pas.


* 13 Le projet « BEPS » (« Base Erosion and Profit Shifting ») de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), qui vise à lutter contre l'érosion des bases fiscales et le transfert de bénéfices, considère précisément les produits et dispositifs hybrides l'une des principales « failles » de la fiscalité internationale.

* 14 À noter que la Chine dispose, par ailleurs, d'une définition ad hoc pour les monnaies virtuelles utilisées dans les jeux en ligne.

* 15 Autorité des marchés financiers, « Cartographie 2014 des risques et des tendances sur les marchés financiers et pour l'épargne », conférence de presse du 4 juillet 2014.

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