Rapport d'information n° 420 (2014-2015) de Mme Fabienne KELLER , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 16 avril 2015

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N° 420

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 avril 2015

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la place du Royaume - Uni dans l' Union européenne ,

Par Mme Fabienne KELLER,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, MM. Michel Delebarre, Jean-Paul Emorine, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, MM Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, MM Louis Nègre, Mme Patricia Schillinger, secrétaires , MM. Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrere, Gérard César, René Danesi, Mmes Nicole Duranton, Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, MM. Claude Haut, Jean-Jacques Hyest, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Jean-René Lecerf, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Michel Mercier, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard.

AVANT-PROPOS

Ce rapport d'information tend à présenter la position du Royaume-Uni face à l'actuelle répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres et la manière dont le Royaume-Uni conçoit sa place au sein de l'Union européenne.

Il se veut le relevé aussi fidèle que possible de l'audit de cette répartition entrepris par le gouvernement britannique depuis 2012. De ce tableau se dégage l'impression d'une irréductible singularité propre à nos voisins britanniques dont l'adhésion à l'Union européenne n'est pas une affaire de coeur mais de tête. Pas de lyrisme, pas de romantisme, simplement du bons sens au service d'intérêts bien compris.

L'ensemble des auditions et des rencontres qui ont ponctué cette mission n'ont fait que renforcer cette impression et surtout ancrer la certitude que les Britanniques défendaient une position singulière au sein de l'Union et obéissaient majoritairement à un tropisme libéral insulaire. Cette particularité affichée sans complexe les conduit à considérer que le projet européen est un projet économique et doit le rester.

Pour faire en sorte que ce projet conserve sa finalité économique, libérale, et avant toute chose, pragmatique, les Britanniques, à l'exception d'une infime minorité qui s'est tournée vers le Parti extrémiste United Kingdom Independence Party (UKIP), envisagent une réforme de l'Union européenne ou du moins un nouveau départ (« a fresh start ») mais, contrairement à ce qu'écrit trop souvent la presse continentale, ce nouveau départ n'est pas une sortie de l'Union. Il s'agit plutôt d'un nouveau départ sur de nouvelles bases plus « raisonnables ». Le Marché unique doit rester l'Alpha et l'Omega du projet européen lequel est essentiellement au service du désir d'entreprendre et de l'énergie créatrice.

Ce rapport relève également les pistes de réforme de l'Union européenne auxquelles le Royaume-Uni aspire dans le cas où s'ouvriraient des négociations pour rééquilibrer les liens entre l'Union et ses membres. Sur la nécessité de réformer, il existe un consensus dans la classe politique et dans l'opinion, mais il y a quelques nuances d'un parti à l'autre et assez de lucidité chez tous pour comprendre que ces réformes ne peuvent être, dans un premier temps, qu'à la marge puisque la modification des Traités est un exercice laborieux et périlleux.

QUELQUES CHIFFRES RÉVÉLATEURS SUR LA GRANDE-BRETAGNE EN 2014-2015

Population : 63 millions d'habitants

Population urbaine : 82 %

Croissance : 2,8 % (3,5 % prévu en 2015)

Inflation : 2 %

Chômage : 5,7 % de la population active

Progression du salaire moyen depuis un an : 2,1 %

Déficit budgétaire : 5 % du PIB

Dette publique : 80 % du PIB

Dépenses publiques : 42 % du PIB (objectif des Conservateurs : 35 %)

Services financiers : 35 % du PIB

Contribution nette au budget européen : 7,2 milliards d'euros

Immigration nette annuelle : 298 000 personnes

Part dans les exportations mondiales : 2,4 %

Déficit de 115 000 logements par an

Principal client : Allemagne

40 % des échanges se font en euros

Depuis 2004 : entrée de 1 million de Polonais et de 200 000 Baltes

I. L'AUDIT DU PARTAGE DES COMPÉTENCES POSE LES JALONS D'UN STATUT SPÉCIAL POUR LE ROYAUME-UNI

A. UN EXERCICE EXCEPTIONNEL ET OBJECTIF MAIS NON DÉNUÉ D'INTENTIONS POLITIQUES

1. L'originalité de l'exercice et ses intentions politiques à long terme

Cet audit a été lancé par le gouvernement britannique en 2012 et il s'est achevé en 2014. Il vise à évaluer la manière dont sont réparties l'ensemble des compétences d'un État moderne entre l'État britannique et l'Union européenne en fonction des traités existants et de leur pratique. Aucun autre membre de l'Union, à l'exception des Pays-Bas et de la Finlande - mais d'une manière moins approfondie - ne s'est livré à cet exercice d'analyse et de transparence.

Cet exercice a d'abord été conçu comme une mise au point à usage interne, non dénuée d'arrière-pensées politiques. Toutefois il apparaît maintenant, à la lecture des rapports, que ce travail particulièrement équilibré et objectif, qui a mis à contribution l'ensemble de la haute administration britannique, le Parlement et tous ceux qui ont bien voulu apporter leur témoignage grâce à un processus ouvert de consultations et d'auditions, débouche sur des conclusions essentiellement favorables à la répartition existante sans pour autant s'abstenir d'énumérer tous les domaines où cette répartition n'étant pas satisfaisante, il est nécessaire de la modifier, soit au profit de l'État britannique, soit au profit de l'Union. Cependant d'une manière générale, le ton est factuel et impartial et dans chaque rapport, la parole est donnée aux positions minoritaires.

Ainsi, ce travail qualifié par tous d'objectif, et seulement de « technocratique » par ses détracteurs, a l'immense mérite, aux yeux du gouvernement actuel, de venir soutenir, preuves à l'appui, les positions britanniques traditionnelles en matière de réforme de l'Union européenne.

L'opinion publique n'y a prêté qu'une attention modérée dans la mesure où un certain consensus existe déjà, dans l'opinion britannique, sur la nécessité de réformer l'Union européenne et que le principe que cette réforme doive être à l'initiative du Royaume-Uni est confusément sinon parfaitement intégré par l'opinion.

Le gouvernement britannique attache la plus haute importance à cet audit et c'est la raison pour laquelle les rapports de cet audit ont été présentés aux ambassades des États membres de l'Union européenne par le ministre des affaires européennes lui-même (David Lidington, européen convaincu que votre rapporteur a rencontré à Londres lors de sa mission) en présence de Lord Wallace (également rencontré lors de la mission), président du Groupe parlementaire Libéral Démocrate, et de Jill Morris, directeur Europe au Foreign Office , car le Foreign Office pilotait l'ensemble de l'exercice.

Cet exercice singulier se voulait une description exacte de l'existant, mais il s'avère que les conclusions des rapports seront cependant très utiles pour soutenir l'agenda des réformes de l'Union européenne souhaitées par le Royaume-Uni. La France et l'Allemagne ont refusé de participer à l'audit, peu enclines à alimenter le débat et gênées à l'évocation de possibles rapatriements de compétences. Une explication plus simple de ce refus tient au faut que ni l'Allemagne ni la France ni les autres États membres ne souhaitent communiquer sur leur position avant d'éventuelles négociations.

La Commission européenne a pris connaissance de l'ensemble des rapports et saisi l'occasion de réaffirmer son désir de voir la Grande Bretagne rester dans l'Union et participer à la poursuite de l'intégration européenne. La Commission considère que l'audit et les conclusions qui en sont tirées relèvent seulement du débat politique interne britannique.

Le ministre britannique des affaires européennes a insisté sur la nécessité, mise en lumière par ces rapports, d'introduire plus de flexibilité et de transparence, et surtout sur la nécessité d'améliorer le processus de décision en Europe, ce qui correspond très exactement à l'agenda réformateur défendu par les Britanniques et, dans une certaine mesure aussi, à l'agenda de la Commission Juncker.

2. Les réactions européennes à l'audit

La discrétion de l'Allemagne et d'autres États membres comme la Suède, les Pays-Bas, le Danemark ou la Finlande, et l'indifférence affectée par la France ne signifient pas que l'audit des compétences soit passé inaperçu dans les chancelleries.

La Grande-Bretagne sait qu'elle peut compter sur un soutien allemand à sa demande de renégociation. Ce soutien repose sur des liens historiques et culturels anciens mais aussi sur des intérêts convergents en matière économique et commercial. Londres a toujours su habilement mettre en avant les initiatives germano-britanniques, en particulier en matière budgétaire. Georges Osborne et Wolfgang Schaüble ont exhorté ensemble leurs partenaires communautaires à mener des réformes profondes de leurs finances publiques et du marché du travail.

Berlin toutefois n'est pas dupe : le Royaume-Uni est un acteur majeur de l'Union et il est de l'intérêt de tous de le conserver dans l'Union, mais cette position ne saurait justifier n'importe quelle concession. Berlin sait qu'une réforme des Traités sera nécessaire pour y introduire tout ce qui a été fait pour la zone euro depuis la crise et qui relève plus de la pratique que des textes fondateurs. Cependant, il n'y a pas pour Berlin d'urgence ni de nécessité de saisir cette occasion pour modifier la nature de la construction européenne pour satisfaire Londres.

Sur la question de la libre circulation des personnes qui est un point de fixation pour Londres, Berlin a toutefois fait preuve de fermeté en déclarant qu'il était intangible même si les abus devaient être examinés et sanctionnés à l'aide d'instruments efficaces.

Ainsi, la réouverture des Traités semble difficile et Londres l'a bien compris qui évoque plutôt le recours à des mécanismes juridiques ad hoc pour éviter une révision. Londres a entrepris de rendre ses demandes plus acceptables aux yeux de Berlin.

En clair, Berlin saura maintenir un subtil équilibre pour éviter la réouverture des Traités tout en donnant satisfaction à Londres afin d'éviter une sortie de l'Union. Berlin a déjà accepté trois axes de réforme : compétitivité, subsidiarité, simplification. Berlin a reconnu être sensible à l'inquiétude britannique sur l'articulation entre États membres et non membres de la zone euro. Enfin, Berlin affiche une convergence de vue avec Londres sur l'approfondissement du Marché intérieur et le traité de libre-échange avec les États-Unis.

La France, de son côté, a pris le parti d'attendre l'issue des élections du 7 mai pour examiner les demandes du Gouvernement Cameron, partant de l'idée que ces demandes pourraient être infléchies après les élections, analyse qui semble hasardeuse dans la mesure où un réel consensus britannique existe autour de ces demandes, comme cela nous est apparu pendant notre mission. Paris pense s'aligner, le moment venu, sur la position allemande pour contenir les demandes britanniques à un niveau acceptable.

B. LES CONCLUSIONS D'UN AUDIT TRÈS MODÉRÉ DANS SES EXIGENCES

Aucune compétence ou intervention de l'Union européenne n'a été laissée de côté par l'enquête qui a abouti à 32 rapports, mais il n'est repris ici que les conclusions les plus significatives et surtout les plus intéressantes pour d'éventuelles négociations. Ces conclusions seront classées en trois groupes : les domaines où la réforme s'impose de manière évidente et majoritaire, ceux où la réforme est souhaitable, mais fait encore débat et ceux enfin où le statu quo est satisfaisant. L'ensemble des conclusions témoignent d'une certaine modération dans l'exigence et d'une grande objectivité.

1. Les domaines où la réforme s'impose
a) Subsidiarité et proportionnalité

Dans ce rapport, se trouvent exprimées clairement les inquiétudes du Royaume-Uni quant à l'insuffisance de rigueur dans la mise en oeuvre de ces deux principes. On sent que le Royaume Uni déplore une pratique politique et opportuniste de la Commission, insuffisamment contrecarrée par les autres pouvoirs.

Ainsi le rapport contient des contributions qui soulignent que l'action de l'Union a souvent été menée en s'affranchissant de ces deux principes alors même que cette action n'était pas absolument nécessaire ou qu'elle était poursuivie à des coûts disproportionnés, ce qui ne pouvait manquer d'affaiblir la légitimité de l'Union.

Ce même rapport condamne aussi le recours trop fréquent à l'harmonisation et dénonce le manque de transparence et de contrôle démocratique du processus décisionnel de l'Union. Pour pallier ce manque, le Royaume-Uni suggère un renforcement du rôle des parlements nationaux, proposition de réforme qui a déjà trouvé de nombreux échos chez d'autres États membres. Le Royaume-Uni soutient l'idée d'un carton rouge, c'est-à-dire d'un droit de véto des Parlements nationaux.

S'il est admis que l'action de l'Union est nécessaire et même bénéfique pour tous les aspects ayant une dimension transnationale, il est cependant demandé de maintenir la flexibilité nécessaire pour continuer d'agir au niveau national. Il semble clair que le Royaume-Uni préfèrerait, de manière pragmatique, que l'obligation de résultat soit privilégiée par rapport à l'obligation de moyens.

D'une manière générale, l'audit souligne que si l'action de l'Union européenne peut être utile dans certains domaines, il convient pourtant de savoir discerner où elle ne l'est pas. Aussi par exemple, selon l'audit, la coopération policière transnationale est-elle globalement bénéfique alors que l'action de l'Union n'est pas nécessaire en matière de justice pénale.

Enfin, toujours à propos de la législation européenne, l'audit invite à mieux et moins légiférer en commençant par veiller à mettre en oeuvre pleinement les législations existantes avant d'en introduire de nouvelles. L'audit appelle de ses voeux une amélioration des études d'impact et une association en amont des experts, des gouvernements et des parlements nationaux, et enfin une amélioration du processus de décision qui passe essentiellement par une association des parlements nationaux en amont et à toutes les étapes de la décision.

b) La politique économique et monétaire

L'audit met en lumière une inquiétude britannique fondamentale : le fait que l'intégration toujours plus poussée de la zone euro modifie profondément la gouvernance de l'Union et son cadre d'action.

L'audit soutient l'idée qu'une réforme en profondeur de la gouvernance de la zone euro et de ses structures, via une révision des Traités, de même que des réformes structurelles sont nécessaires afin d'assurer une zone euro forte et stable. Le Royaume-Uni juge qu'il doit soutenir le projet d'une plus grande intégration de la zone euro - à laquelle il ne souhaite en aucun cas appartenir - à la condition expresse que celle-ci ne porte aucunement atteinte à ses propres intérêts.

L'audit recense les préoccupations du Royaume-Uni sur cette question délicate (dont tous nos interlocuteurs nous ont parlé) de la discrimination entre membres de l'Eurozone et non membres. Ces inquiétudes se résument ainsi :

- il y a des risques sérieux de fragmentation du Marché unique et de discrimination entre les membres et les non membres du fait de l'intégration en cours qui donne la prééminence aux décisions prises par la zone euro ;

- le risque que l'évolution des mécanismes de coordination des politiques économiques aille au-delà des compétences de l'Union et n'interfère avec des compétences strictement nationales ;

- le risque enfin d'un déficit démocratique sur la gouvernance économique et monétaire et de tensions entre l'euro-groupe et le Conseil Ecofin.

c) La libre circulation des personnes

La libre circulation des personnes a fait l'objet de vifs débats entre les ministres concernés (Intérieur et Foreign Office ). Ce rapport note en conclusion que la libre circulation a eu un impact largement positif pour le Royaume-Uni et ne confirme pas les allégations d'abus des prestations sociales, faute de preuves tangibles.

On doit toutefois relever la perception généralement négative qu'ont les Britanniques de la libre circulation des personnes qui reste un point de négociation avec Bruxelles aux yeux de toute la classe politique.

d) Le budget européen

L'audit souligne que le budget n'est pas approprié et que la PAC est disproportionnée et pourrait avantageusement faire l'objet d'une « renationalisation » (rapatriement de compétence). L'audit confirme l'hostilité du Royaume-Uni à la création de toute nouvelle ressource propre et réaffirme son soutien aux mécanismes de correction. Le Royaume-Uni, contributeur net, maintient sa position sur le « chèque ».

e) La politique de cohésion

L'audit se contente de renouveler le souhait britannique de ne plus avoir à contribuer à cette politique pour les zones les plus développées de l'Union européenne sans confirmer la position habituellement plus tranchée selon laquelle seuls les nouveaux entrants devraient bénéficier de cette politique et seulement pendant une période de rattrapage limitée dans le temps.

f) La PAC (politique agricole commune)

On pouvait s'attendre à ce que l'audit résume les critiques habituelles du Royaume-Uni à l'égard de cette politique qu'ils jugent trop coûteuse, mal ciblée et trop bureaucratique.

Sur ce sujet, l'audit commence par reconnaître que la PAC a forcément évolué depuis 30 ans et que, sous l'influence bénéfique des Britanniques, la réforme de la PAC a conduit à écarter la plupart des mesures les plus dommageables pour la concurrence et le marché.

Cependant, l'audit met en lumière le fait que les objectifs de la PAC demeurent flous et que les critères d'attribution sont encore largement irrationnels et déconnectés des buts que devrait poursuivre une telle politique.

Les organisations de défense de l'environnement ont fait savoir lors des auditions que les interventions sur les marchés et les paiements directs ont nui à la biodiversité et aux équilibres agricoles, mais elles ont salué le verdissement de la PAC.

L'accès des produits agricoles britanniques au Marché unique est salué comme une conséquence très positive. Toutefois, la PAC reste une politique technocratique récusée par la majorité des acteurs britanniques qui n'hésitent pas à avancer le projet d'une « renationalisation » de la politique agricole.

Le découplage est accusé de conduire au maintien d'exploitations non rentables et de nuire aux efforts d'amélioration de la productivité.

En revanche, l'Union est saluée pour son efficacité en matière de négociations commerciales internationales et de défense des produits agricoles européens.

g) Fiscalité

D'emblée, il est rappelé que l'impôt direct ne saurait être décidé que par les États membres. Il n'est possible de déroger à ce principe que si la dérogation facilite les échanges mondiaux (par exemple, les conventions fiscales sur le modèle de l'OCDE pour éviter la double taxation).

Le partage de cette compétence doit donc résulter d'un équilibre tendu entre, d'une part, la nécessité de permettre à tous de jouer à armes égales sur un marché unique et celle de réduire tous les obstacles aux échanges internationaux, et, d'autre part, la possibilité pour les États membres de réagir à leur environnement national propre en s'appuyant sur leur système fiscal propre. L'Union ne doit intervenir fiscalement que pour améliorer le marché intérieur.

L'audit réaffirme son attachement à la règle de l'unanimité et son hostilité à la coopération renforcée tendant à créer une taxe sur les transactions financières qui n'est dans l'intérêt ni du Royaume-Uni, ni de l'Union.

2. Les domaines où la réforme fait encore débat
a) Le Marché unique

L'audit reconnaît sans ambages que le Marché unique a contribué à la croissance du PIB britannique.

L'audit rappelle avec satisfaction que la libéralisation des marchés depuis vingt ans a permis de créer un marché unique intégré sinon parfait.

Il est souligné qu'il est impossible de déterminer avec précision les compétences de l'Union et celles des États membres dans l'organisation et la gestion du Marché unique. Cependant, il doit être clair que toute situation où apparaît une entrave à la liberté de circulation des personnes, des biens, des services ou des capitaux est une situation potentiellement illégale, susceptible d'un recours contentieux et devant, en tout état de cause si elle devait perdurer, être objectivement justifiée au nom de l'intérêt général.

Selon l'audit, l'intégration a apporté à l'Union et donc au Royaume-Uni d'appréciables avantages économiques. En contrepartie, le cadre réglementaire s'est alourdi et correspond au prix à payer.

L'audit conclut que le Marché unique est au coeur de la construction européenne, qu'il doit le rester et qu'il faut l'approfondir.

b) La libre circulation des services financiers et du capital

L'audit se déclare satisfait du partage des compétences, rappelle cependant le risque de l'intégration de l'Eurozone au détriment du marché intérieur à 28 et espère l'aboutissement du Marché unique des capitaux et des services financiers.

c) La politique sociale et de l'emploi

Il s'agit d'un des domaines d'intervention de l'Union qui soulève les débats les plus houleux au sein de la classe politique et des acteurs économiques. Beaucoup ne partagent pas l'idée qu'il existerait un « idéal social européen ».

D'autres soulèvent la question de savoir si la politique sociale est ou non un élément intrinsèque du Marché unique. Deux écoles existent au Royaume-Uni : celle qui soutient que l'Union étant un projet économique, la politique sociale et la politique de l'emploi ne sauraient relever que des États membres et celle (comprenant le EEF et le CBI, associations patronales) qui préconise que l'Union ne doit intervenir dans ces domaines que lorsque ses interventions permettent d'assurer l'égalité des chances entre les acteurs d'un même marché ou d'assurer le parfait fonctionnement du Marché unique. Les syndicats pour leur part soutiennent l'intervention de l'Union en toute circonstance au nom d'une obligation morale à protéger les salariés et l'emploi.

Ces divergences conduisent les responsables de l'audit à conclure au statu quo, à la réserve près que, là aussi, le processus législatif soit plus transparent et que les États membres puissent y participer davantage.

d) La politique commune de la pêche

L'audit conclut à l'échec de cette politique dans la mesure où les stocks de poisson s'amenuisent et où la pêche n'est plus un secteur économique rentable.

Toutefois, la récente réforme de 2013, poussée par les Britanniques, est considérée comme positive et apte à répondre aux problèmes énoncés. D'autre part, la majorité des acteurs considèrent qu'une forme de gestion supranationale des stocks de poisson est nécessaire.

e) La concurrence et la protection des consommateurs

Les règles concernant la concurrence et les aides d'État et la jurisprudence de la Cour de Justice contribuent à l'efficacité du marché unique et à ce titre, comme elles profitent aux consommateurs et à l'économie en général, elles font l'objet d'une approbation quasi générale dans l'audit.

Il n'en va pas de même de la protection des consommateurs. Cette politique bénéfique au Marché unique, selon l'audit, ne semble pas toujours bien pensée ni bien mise en oeuvre. En effet, l'harmonisation ne tient pas assez compte des conditions sociales, culturelles et économiques de chaque État membre.

3. Les domaines où le statu quo est satisfaisant
a) La coopération en matière de police et de justice pénale

L'audit est globalement positif sur la répartition actuelle des compétences. La possibilité pour le Royaume-Uni d' opt-in au cas par cas est perçue comme positive, permettant au gouvernement d'évaluer au cas par cas l'impact des propositions sur le système juridique interne britannique. Cependant, aucun consensus n'existe en faveur d'une action législative de l'Union en matière de droit pénal.

Ce qui est important est la coopération internationale pour lutter efficacement contre les défis de sécurité (cyber-attaques, terrorisme, crime organisé...).

b) L'élargissement

L'audit reflète la position britannique sur les élargissements passés considérés comme des succès, et sur les élargissements à venir considérés comme des progrès. Certes, il est rappelé qu'il faut oeuvrer pour renforcer la confiance et l'intérêt des opinions publiques devenues méfiantes à l'égard de tout nouvel élargissement, mais l'optimisme reste de mise, car du côté britannique, l'élargissement signifie d'abord l'élargissement du Marché unique.

c) La libre circulation des services

Sur ce chapitre, l'audit émet un satisfecit mais appelle à un approfondissement.

d) L'énergie

Le secteur de l'énergie est un secteur qui intéresse tout particulièrement le Gouvernement britannique qui en a fait une priorité de son action. Cette position le conduit à saluer les avancées du Traité de Lisbonne dans ce domaine.

Un consensus se dégage sur la nécessité de réformer et rendre transparent le marché de l'énergie, de le libéraliser et d'interconnecter les marchés nationaux. Il est également admis que la protection de l'environnement et la lutte contre le changement climatique doivent être intégrées dans la politique énergétique.

La sécurité énergétique, l'indépendance énergétique, ainsi qu'un approvisionnement régulier et bon marché pour soutenir la croissance et la compétitivité sont des objectifs rappelés dans l'audit qui conclut que l'exercice de la « compétence énergie » par l'Union est un avantage non négligeable. En effet, le Marché unique s'en trouve renforcé : le développement des énergies renouvelables, l'efficacité énergétique, le soutien à l'innovation et à la recherche, le poids de l'Union dans les négociations commerciales internationales, la libéralisation du marché de l'énergie sont autant de points positifs cités par l'audit.

e) L'asile et la migration extracommunautaire

Dans ces deux domaines, le Royaume-Uni n'applique pas l'intégralité de l'acquis communautaire du fait des opt-out exercés. L'audit confirme le bien-fondé des opt-out .

Les coûts et avantages pour le Royaume-Uni de conserver un système national de surveillance des frontières et d'octroi de visa en dehors de Schengen sont détaillés dans le rapport. Il apparaît, selon l'audit, que le fait de rester en dehors de Schengen permet de mieux lutter contre l'immigration illégale, le crime organisé et le terrorisme. Les contreparties négatives sont les obstacles apportés au développement du tourisme et des voyages d'affaires. Le rapport n'exclut pas un rapprochement plus grand avec FRONTEX et EUROSUR. Le Royaume-Uni soutient la directive sur les dossiers des passagers des vols aériens, directive dite PNR (Passenger Name Record), mais la politique des visas dans la zone Schengen est jugée trop souple.

En matière d'asile, le rapport prend acte que le partage des compétences, tel qu'il existe aujourd'hui, est satisfaisant.

f) La coopération judiciaire civile

Dans ce domaine, le Royaume-Uni use de son droit d'option et il n'est aucune nouvelle mesure qui puisse s'appliquer sur son territoire si le Royaume-Uni choisit l'opt-out .

g) La protection de l'environnement et le changement climatique

Dans ce rapport, reconnaissant que ces questions dépassent les frontières des États, une majorité se dégage en faveur du rôle prééminent de l'Union et estime que la politique de l'Union a amélioré la protection de l'environnement.

Cependant, une crainte se fait jour, concernant l'augmentation des coûts qui a découlé des nouvelles mesures prises par l'Union et la baisse de compétitivité qui s'ensuit. Le rapport rappelle qu'il doit y avoir une proportion entre les coûts supplémentaires engendrés par les normes européennes et les résultats obtenus sur le terrain de l'environnement.

h) Transports

Le Royaume-Uni soutient pleinement l'action de l'Union dans ce domaine, appelle à un renforcement de la libéralisation du rail et salue la législation libérale qui a permis la création d'une compagnie comme « Easy jet » .

i) Recherche et développement

Le rôle de l'Union dans ce secteur consiste à définir les priorités et à répartir les fonds selon un programme préétabli. Le fait que le Royaume-Uni ait su tirer le meilleur parti de cette politique européenne (Galileo, Copernicus...) conduit à des conclusions très positives dans le rapport qui est consacré à ce secteur.

j) Culture, tourisme et sports

Selon l'audit, les compétences de l'Union dans ces domaines sont négligeables et doivent le rester.

k) La politique étrangère

L'audit se réjouit du fait que la règle de l'unanimité conserve aux États membres toute latitude et qu'aucun soldat britannique ne puisse être envoyé au feu sans l'accord de son pays. En contrepartie, l'audit énumère les inconvénients de cette règle protectrice : difficulté à déterminer une stratégie claire, absence de leadership européen, lenteur de la prise de décision. Dans ce domaine, rien ne semble possible tant que le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne ne sont d'accord, si bien que le rapport s'interroge sur les questions suivantes :

- quel est le lien entre le fait que les États membres conservent une grande partie de leur souveraineté et l'inefficacité de la politique étrangère européenne ?

- le Royaume-Uni doit-il prendre le leadership de la défense européenne ?

- si l'Eurozone progresse vers une plus grande intégration, passant nécessairement par d'autres renoncements à la souveraineté pour les États qui en font partie, ne peut-on pas craindre qu'une politique étrangère de sécurité et de défense plus intégrée écarte les pays non membres de l'Eurozone ?

D'une manière plus générale, l'audit tend à montrer qu'à ce stade, il est dans l'intérêt du Royaume-Uni de travailler à 28 dans un certain nombre de domaines liés à la politique étrangère et de la défense.

L'audit ne salue pas l'action du SEAE, jugée médiocre et d'un coût bureaucratique et budgétaire élevé.

En revanche, à travers cet audit, le Royaume-Uni rappelle son intérêt pour les actions menées à deux ou à trois, et en particulier avec la France.

l) Santé, bien-être animal, sécurité sanitaire

Ce rapport conclut que dans ces domaines, l'action de l'Union apporte de réels avantages. Une seule critique affleure : l'Union attacherait une trop grande importance au principe de précaution.

m) Santé

L'action de l'Union est jugée positive, mais il n'est pas souhaitable de modifier la ligne de partage existant pour cette compétence. Pour le Royaume-Uni, l'action de l'Union n'a pas été déterminante quand il s'est agi d'appliquer l'acquis communautaire dans la mesure où le Royaume-Uni l'appliquait sans y être contraint.

n) Aide au développement et aide humanitaire

L'actuelle répartition des compétences est satisfaisante même si des améliorations en matière de coordination s'imposent. L'action de l'Union permet des économies d'échelle et ses priorités sont très proches de celles du Royaume-Uni.

C. VERS UN AGENDA DE RÉFORME ET UN STATUT SPÉCIAL POUR LE ROYAUME-UNI

Le gouvernement britannique considère que cet audit permet de dégager un agenda de réforme de l'Union sur les quatre points suivants : approfondissement du marché intérieur ; rééquilibrage du partage des compétences ; équilibre et non-discrimination entre membres et non membres de l'Eurozone ; et amélioration du processus législatif.

1. L'approfondissement du Marché intérieur

Le Royaume-Uni souhaite l'approfondissement du marché intérieur, notamment dans la libre circulation des capitaux, les services, le numérique, l'énergie et les transports. Cet approfondissement est jugé prioritaire.

2. Le rééquilibrage du partage des compétences entre l'Union et les États membres

Le Royaume-Uni déplore le décalage existant entre l'accélération de l'évolution des marchés et le manque de réactivité du processus législatif européen, proposant de répartir les compétences de manière à laisser plus de liberté aux États membres mieux placés pour réagir.

Le gouvernement britannique n'insiste plus sur la priorité des rapatriements des compétences au profit des États membres. Sur ce point, il existe une véritable inflexion qui vient du regret d'avoir annoncé des pistes de réforme avant concertation avec les autres États membres qui seraient de potentiels alliés.

3. La non-discrimination entre États membres et États non membres de l'Eurozone

Le Royaume-Uni appelle de ses voeux qu'à l'avenir, les non membres de l'Eurozone soient associés aux décisions prises par l'Eurozone afin que le marché intérieur ne soit pas perturbé et que les intérêts des non membres ne soient pas lésés.

4. L'amélioration du processus législatif européen

Selon l'audit, l'amélioration du processus législatif européen afin de rendre le marché plus efficace, passe par un processus plus rapide, plus transparent et plus démocratique, et un renforcement du rôle des parlements nationaux.

À aucun moment, il n'est question d'accorder un statut spécial au Royaume-Uni et les réformes proposées le sont au profit de tous les États membres. Cependant il est facile de comprendre qu'à défaut de convaincre une majorité d'États membres de la nécessité de réformer l'Union, le Royaume-Uni s'accommoderait de dispositions particulières qui lui seraient propres et finiraient par dessiner les contours d'un statut spécial. Cette idée n'est pas nouvelle et elle affleure aussi bien dans le discours de Bruges que dans le discours de Bloomberg qui sur bien des points se répondent l'un l'autre.

Le discours de Bruges : Une certaine idée de l'Europe

Dans un discours, resté célèbre, du 20 septembre 1988, Margaret Thatcher explique la relation entre le Royaume-Uni et l'Europe telle que la conçoivent les Britanniques en commençant par rappeler que l'Europe n'est pas une création du Traité de Rome, que la communauté européenne n'est qu'une manifestation de l'idée de l'Europe et de son identité et qu'il a existé et qu'il en existera d'autres, enfin qu'une partie de l'Europe se trouve de l'autre côté du Rideau de fer et que les valeurs européennes sont à l'origine des États-Unis qui s'en trouvent, comme les Européens, les dépositaires et les défenseurs.

La Grande-Bretagne réaffirme son destin européen mais soutient par la voix de Margaret Thatcher que son avenir n'est pas seulement européen. L'Europe communautaire n'est pas une fin en soi, mais un moyen qui doit permettre à l'Europe d'assurer sa prospérité et sa sécurité.

Pour cela, il convient, selon Margaret Thatcher, d'encourager la coopération entre États souverains et de ne pas créer un État fédéral centralisateur, de réformer la communauté européenne, d'ouvrir l'Europe à l'entreprise en rétablissant la liberté des marchés et en réduisant l'intervention des gouvernements et d'ouvrir l'Europe au monde en tournant le dos au protectionnisme.

Margaret Thatcher souligne que la défense de l'Europe passe par l'OTAN et en conclusion, Margaret Thatcher écartant toute forme d'utopie, appelle de ses voeux une famille de nations qui se comprennent et s'apprécient et s'associent en portant la même attention à leur identité nationale qu'à leur entreprise commune.

II. L'EUROSCEPTICISME MAJORITAIRE N'IMPLIQUE PAS UN REJET ABSOLU DE LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE NI UNE SORTIE INÉLUCTABLE DE L'UNION

A. PERMANENCE D'UNE IRRÉDUCTIBLE SINGULARITÉ BRITANNIQUE

1. Euroscepticisme, pragmatisme et insularité

Nos interlocuteurs nous ont demandé de partir de la question simple : « Que représente l'Europe pour les Britanniques ? » Il ressort de nos entretiens que l'Europe pour les Britanniques est d'abord un continent qui, sans leur être étranger, leur apparaît malgré tout différent et surtout irrationnel, comme l'ont amplement montré l'histoire récente du XX ème siècle - avec ses deux conflits suicidaires - et la glaciation communiste de la moitié du continent pendant près de cinquante ans.

Dans ces conditions, tout ce qui vient du continent est regardé, d'une manière générale, non seulement avec amusement, mais avec circonspection et le plus grand scepticisme est de mise dès qu'il s'agit d'affaires sérieuses, et a fortiori d'affaires tout court.

Ainsi, la construction européenne, pour les Britanniques, est un projet économique, un marché commun, un marché intérieur, un Marché unique, bref, une idée simple. Le scepticisme naît dès qu'on en fait un projet politique, romantique et millénariste.

Pour les Britanniques, l'Europe ne doit pas être un projet politique, et encore moins un projet géopolitique. Lorsqu'ils entrent dans l'Europe communautaire, ils ne souhaitent pas changer leur identité ni leur place dans le monde.

Il convient alors de revenir aux origines et au débat de 1975. À cette date, en Angleterre, la gauche s'oppose au projet européen parce qu'elle pense que c'est un projet économique libéral. Aujourd'hui, cette même gauche est favorable à l'Europe parce qu'elle y voit un projet de plus en plus social.

En 1975, les Conservateurs, au contraire, voulaient, selon leurs dires, sortir leur pays du carcan socialiste et l'exposer à la concurrence et à la modernité. Alors, ils soutenaient sans réserve le projet économique européen et incitaient à une réponse positive au référendum. Or, ils pensent maintenant que l'Europe de 2015 nuit au libéralisme et représente un obstacle à la prospérité économique : ils souhaitent moins d'Europe.

En quarante ans, les fronts se sont renversés, mais ce qui n'a pas changé entre 1975 et 2015, c'est qu'en matière d'adhésion à l'Europe, le coeur n'a jamais été de la partie. Les Britanniques ont toujours joui pleinement de la démocratie depuis la fin du XVII ème siècle et ils n'ont jamais connu de traumatisme politique comme la dictature ou l'occupation. C'est pourquoi ils ne comprennent pas qu'on puisse voir l'Union européenne comme un instrument de réconciliation, un gage de paix, un garde-fou, en un mot une protection contre l'Histoire, et qu'à ce titre, on puisse attribuer à une construction supranationale le pouvoir de vous opprimer pour mieux vous défendre. L'idée de construire les États-Unis d'Europe provoque de leur part un sourire amusé, car non seulement ils n'en veulent pas, mais ils pensent que l'idée est une douce utopie.

Les Britanniques se définissent par l'idée de liberté et par celle d'indépendance nationale qui, pour eux, est sa traduction dans les relations internationales et ils regardent avec suspicion les États qui ne se définissent que par la grandeur nationale. Ainsi, pour être clair, ils se méfient d'une Europe qui serait une amplification du modèle français.

Enfin, nos interlocuteurs nous ont rappelé qu'ils gardaient en mémoire toutes les constructions européennes éphémères qui vont de Charlemagne à Hitler en passant par Napoléon, et cultivaient toujours un authentique scepticisme à l'égard de toute entreprise étatique supranationale.

Cette attitude toute britannique serait, selon eux, qualifiée d'euroscepticisme par tous ceux qui ne la partagent pas, mais ils rappellent qu'il est illusoire de vouloir travailler avec les Britanniques sans garder en mémoire cette méfiance naturelle qui est la leur face à toute entreprise humaine où entre plus d'exaltation que de bon sens.

2. Les aspects conjoncturels du sentiment anti-européen

En sus du scepticisme traditionnel britannique à l'égard de la construction européenne, il existe bien aujourd'hui des facteurs conjoncturels qui viennent le conforter et le renforcer, parfois d'une manière qui peut paraître caricaturale, vue du continent.

Tout d'abord, au Parti conservateur, arrive une nouvelle génération dont il faut dire qu'elle a été façonnée par l'ère Thatcher et qu'elle reste fascinée par cette période qu'elle juge glorieuse et dont elle pense que le Royaume-Uni récolte aujourd'hui les fruits. Cela signifie que le libéralisme pratiqué sous Madame Thatcher leur apparaît comme un choix audacieux qui s'est d'abord fait contre l'Europe de Bruxelles. Même si celle-ci lui a, par la suite, emboîté le pas dans certains secteurs, l'Europe de Bruxelles leur apparaît encore comme majoritairement antilibérale, dirigiste et socialisante.

Au même moment, le Parti travailliste continue à s'appuyer sur cette Europe sociale pour faire accepter le projet d'une politique plus sociale ou ouvertement antilibérale, renforçant ainsi l'idée que l'Europe de Bruxelles est essentiellement opposée à ce qui définit le Royaume-Uni aujourd'hui : un libéralisme tempéré et pragmatique.

Cette simplification du débat idéologique joue aujourd'hui contre l'Union européenne et une certaine presse s'amuse du fait que les Conservateurs soient obnubilés par la question européenne (entendre l'oppression anti-libérale de Bruxelles) et que le Labour soit, lui, obnubilé par les dérives du National Health Service , symbole de de l'État-Providence, et son possible sauvetage grâce à une Europe à dominante sociale.

Cette tendance simplificatrice est accentuée par la montée du Parti UKIP ( United Kingdom Independence Party ) qui a réussi un curieux tour de passe-passe en mettant à la charge de l'Union européenne le problème de l'immigration non contrôlée.

Parmi les autres phénomènes conjoncturels qui jouent contre l'Union, il faut ranger naturellement la crise de l'euro et son corollaire actuel, le dossier grec. L'euro continue à être présenté comme un désastre qui affaiblit l'Europe. La presse britannique, hostile à l'Europe, a beau jeu d'ironiser sur le navire qui coule par l'obstination idéologique de son capitaine. La presse financière, plus sérieuse, s'inquiétait jusqu'à une date récente de la surévaluation de l'euro et des sacrifices faits pour maintenir la monnaie unique, au prix d'une stagnation et de déséquilibres Nord-Sud intolérables au sein de l'Europe.

Un sentiment très pernicieux s'est développé dans l'opinion et dans la classe politique devant ce qu'elles jugent être une faute majeure de l'Eurozone. Les Européens s'attachent à sauver l'euro en employant de formidables moyens à cette fin. Comme le Royaume-Uni n'est pas dans l'euro, il court le risque de se marginaliser progressivement, au fur et à mesure que l'Union ne sera plus concentrée que sur l'Eurozone et sa défense à tout prix. Il sera difficile pour la Grande-Bretagne de garder du poids dans l'Union si elle est contrainte de rester aux marches de l'Union. La monnaie unique marginalise objectivement le Royaume-Uni. Il s'agit d'un dilemme embarrassant puisqu'adopter la monnaie unique ou ne pas l'adopter présente de graves inconvénients et nuit aux intérêts du pays. Entre les deux maux, le Royaume-Uni estime avoir choisi le moindre.

Mais en extrapolant, certains imaginent un Royaume-Uni quittant l'Union parce que le Marché unique ne fonctionnerait plus que pour l'Eurozone. Il est ressorti clairement de nos entretiens que depuis la création de l'euro et la crise de l'euro, les Britanniques éprouvent l'impression d'avoir été trahis parce qu'un autre projet européen est maintenant prioritaire et non celui pour lequel ils étaient entrés en 1975.

Enfin, l'immigration a pris des proportions spectaculaires et, pour la première fois de leur histoire, les Anglais sont minoritaires à Londres. Une partie de la population se sent dépossédée de son identité. L'immigration est devenue le premier sujet d'inquiétude pour l'opinion, remplaçant l'économie et le chômage qui connaissent au contraire une véritable embellie (croissance : + 2,6 % ; chômage : 5,7 % de la population active).

3. Les griefs britanniques à l'égard de l'Union européenne

Comme toujours, parmi les craintes éprouvées par l'opinion et la classe politique, certaines relèvent plus de la spéculation ou du fantasme que de la réalité Toutefois, il convient de les prendre toutes en compte, car elles déterminent une atmosphère à un moment donné.

a) « Great Britain » contre « Little England »

Il existe une peur diffuse dans l'opinion que la Grande-Bretagne devienne une petite Angleterre. Cette angoisse se rattache au déclin de l'Occident, à la percée des pays émergents et aux risques de la mondialisation. Au Royaume-Uni, cette crainte a été ravivée pendant la campagne du référendum pour l'indépendance de l'Ecosse et le scénario catastrophique d'un éventuel éclatement du royaume.

Cette inquiétude, où se mêlent « déclinisme » et crise identitaire, n'est pas propre au Royaume-Uni, mais le phénomène qui est propre au Royaume-Uni, c'est qu'une partie très éclairée de l'opinion, habituée à regarder vers le grand large, est parvenue à imaginer que le pays est limité dans son essor par l'Union européenne.

Certains suggèrent qu'une fois en dehors de l'Union, le Royaume-Uni pourrait contracter des accords commerciaux plus avantageux avec le reste du monde et que si le royaume Uni a un destin européen, ce destin n'est certainement pas continental et bruxellois. C'est une sorte d'euroscepticisme élitiste où Londres joue le rôle d'une capitale mondiale et où le Royaume-Uni est présenté comme un grand Singapour.

Ces idées sont véhiculées, telles des ballons d'essai, par des lobbies comme Business for Britain ou des personnalités comme Boris Johnson, le maire de Londres. Il y entre naturellement une part de fantaisie et de provocation, mais aussi une grande part d'exaspération devant la manière désespérément lente avec laquelle l'Union a négocié le traité de libre-échange avec le Canada et dont elle négocie maintenant celui avec les États Unis.

b) La mystique répulsive de l' « ever closer union »

Tous nos interlocuteurs, à des degrés divers, nous ont alertés sur leur agacement face à ce qu'ils ressentent comme un attachement quasi mystique, de la part de certains europhiles, à l'idée d' « une union toujours plus étroite  entre les peuples européens », concept réintroduit par le Traité de Lisbonne.

La majorité de la classe politique britannique préfèrerait que cette référence ne figure plus dans les Traités ; elle insiste sur le fait que le fédéralisme n'est plus d'actualité et s'oppose vivement à tous ceux qui continuent à évoquer la prétendue inéluctabilité d'une fédération européenne à plus ou moins longue échéance. Ils rappellent que les Danois et les Hollandais partagent ce point de vue.

Pour appuyer leur position, les Britanniques font remarquer en guise d'exemple que, grâce à l'indépendance de la Banque d'Angleterre, ils ont pu pratiquer le « quantitative easing » cinq ans avant la Banque Centrale européenne tandis que Mario Draghi continuait à négocier difficilement pour aboutir à une décision tardive dont l'efficacité risque d'être moins grande.

De même, l'illustration dogmatique la plus négative, selon nos interlocuteurs, du principe d'une union toujours plus étroite est l'obstination de ceux qui ont voulu la création anticipée de l'euro dans le seul but de pousser à cette union politique plus étroite, alors même que cette union plus étroite aurait dû être réalisée avant la création de la monnaie unique. Or une union politique plus étroite doit s'accompagner de contraintes plus fortes et de renoncements plus grands à la souveraineté, ce que certains États membres ne voulaient pas. Selon nos interlocuteurs, les tenants d'une « union toujours plus étroite » ont volontairement pris le risque d'amener les récalcitrants à cette union par la force, sous le coup de la nécessité.

c) L'Eurozone ou comment certains devinrent plus égaux que les autres

Il s'agit d'un grief majeur des Britanniques à l'égard de l'Union. Ils redoutent que la création et maintenant le sauvetage de l'euro entraînent l'Union dans une spirale de renforcement du « Hardcore Europe » où, selon eux, se trouvent les États membres considérés comme plus égaux que les autres États membres simplement parce qu'ils ont adopté la monnaie unique.

C'est pourquoi ils demandent des garanties pour tous les États membres qui n'ont pas souhaité adopter la monnaie unique afin qu'ils ne soient pas traités comme des citoyens de seconde classe.

d) Une application trop idéologique du principe de la libre circulation des personnes

Sur cette question qui occupe le centre du débat européen à cause des conséquences de l'afflux d'immigrés, le gouvernement, quel qu'il soit après les élections du 7 mai prochain, demandera des accommodements.

Aujourd'hui un consensus se dégage contre une application trop idéologique ou trop systématique du principe de la libre circulation des personnes et les déclarations fermes, voire tonitruantes, de la Commission, sur cette question délicate, n'ont fait que galvaniser davantage l'opinion britannique contre ce qui est perçu comme la rigidité de Bruxelles.

4. Le débat sur l'immigration est à l'origine, malgré lui, du consensus sur la réforme de l'Union européenne

Le débat porte non pas sur l'immigration non-communautaire, mais sur l'arrivée d'une immigration communautaire massive au titre de la libre circulation des personnes. Celle-ci a explosé sous le précédent gouvernement travailliste du fait que le Royaume-Uni, à la différence de la France, n'avait pas jugé bon d'imposer une période transitoire après l'élargissement de 2004.

C'est ainsi que le Royaume-Uni a accueilli plus d'un million de ressortissants de l'Europe centrale et orientale. Depuis, le gouvernement actuel n'a pas pu tenir sa promesse de limiter cette immigration à 100 000 entrées par an. Les chiffres actuels avoisinent le double (à cause aussi, il est vrai, d'une immigration venue d'Europe du sud depuis la crise de 2008).

Autrefois, la question européenne au Royaume-Uni tournait tantôt autour des problèmes économiques, tantôt autour des questions de souveraineté. Aujourd'hui, le débat s'articule autour des conséquences de l'immigration. On le doit au chef du parti UKIP, Nigel Farage, qui a déclaré à tort que l'Europe avait fait perdre au Royaume-Uni le contrôle de ses frontières.

Les ressortissants communautaires issus d'Europe centrale, et plus particulièrement les Polonais et les Baltes, ont beaucoup apporté à l'économie britannique, mais l'amalgame est fait avec d'autres immigrations plus problématiques (Roumanie). Ensuite, même si Polonais et Baltes sont suffisamment formés pour bien s'intégrer, ils sont si nombreux que les services publics en pâtissent.

Quatre problèmes importants sont issus de ce phénomène et alimentent la tension du débat sur l'immigration :

- l'abondance de main-d'oeuvre depuis 2004 a pesé à la baisse sur les salaires qui se redressent à peine depuis un an ;

- les services publics n'arrivent plus à suivre et un grand nombre d'autorités locales, d'enseignants, de médecins et d'infirmiers sont mis sous pression par une augmentation importante de leurs administrés ;

- le logement est en crise ; les prix sont partis à la hausse et les listes d'attente pour l'habitat social s'allongent ;

- enfin, l'immigration a été massive et elle ne se fond pas dans le paysage : clubs, pubs, écoles et églises polonaises, par exemple, se sont multipliés sur le territoire, donnant à l'immigration des airs de colonisation.

54 % de la population anglaise, pourtant très tolérante, reconnaît éprouver un malaise devant ce phénomène brutal et rapide qui remet en cause son identité, au moment même où l'immigration non communautaire, même anciennement établie, montre des signes de revendication, où le djihadisme devient un sujet de conversation récurrent et où enfin, les Britanniques prennent conscience que d'avoir cru aux bienfaits du laisser-faire et de la diversité était peut-être une erreur.

Cependant, ce malaise et le débat qui en découle conduisent l'opinion et la classe politique à revenir à l'essentiel : la recherche de solutions. La majorité s'accorde pour considérer que les solutions passent par une réforme de l'Europe.

David Cameron, qui est personnellement favorable au maintien du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne et qui affiche un euroscepticisme de bon ton reflétant seulement le sentiment majoritaire de l'opinion, a dû régulièrement céder aux eurosceptiques de son parti (depuis le retrait du groupe PPE jusqu'à la promesse d'un référendum sur le maintien dans l'Union européenne annoncé en 2013).

Aujourd'hui, David Cameron maintient l'idée d'un référendum qui ferait suite à une renégociation avec Bruxelles sur les points suivants :

- renforcement du rôle des parlements nationaux dans le processus législatif ;

- diminution de l'activité législative et des excès bureaucratiques ;

- aménagement du principe de la libre circulation des personnes ;

- possibilité pour la police et la justice britannique de protéger les citoyens sans interférences inutiles de l'Union européenne ou de la Cour européenne des droits de l'homme ;

- création de nouveaux mécanismes pour empêcher de nouveaux phénomènes migratoires trop importants ;

- renoncement - au moins pour le Royaume-Uni - au principe d'une « union toujours plus étroite ».

L'attitude de l'actuel Premier ministre ne saurait toutefois être simplement analysée comme la conséquence d'un équilibre politique menacé par l'aile la plus eurosceptique de son parti. En réalité, il apparaît que les demandes de David Cameron sont une position de compromis et qu'elles sont soutenues par les trois grands partis de gouvernement. Il est même probable aujourd'hui que si le Labour accédait au pouvoir, il organiserait, sous la pression de l'opinion, le référendum promis par David Cameron, même si le leader travailliste soutient aujourd'hui le contraire.

En effet, les Travaillistes appellent eux aussi de leurs voeux des réformes de l'Union. Aussi faut-il garder en mémoire qu'il existe un consensus britannique sur les questions européennes qui s'étend de la suppression du siège strasbourgeois du Parlement européen à la suppression de la PAC en passant par une redéfinition du principe de la libre circulation des personnes.

Il n'est pas faux de dire qu'il existe un euroscepticisme général et bien ancré chez les Britanniques, mais ce sentiment est insuffisant pour remettre en cause la place du Royaume Uni dans l'Union. Seule une accumulation de graves phénomènes exogènes pourrait conduire à une rupture. À l'heure actuelle, les aspects conjoncturels du sentiment anti-européen ne constituent pas une menace déterminante. Au fond d'eux-mêmes, les Britanniques aspirent à une place spéciale au sein de l'Union européenne qui traduirait leur irréductible et insoumise insularité.

B. ÉTAT DES FORCES POLITIQUES AU GOUVERNEMENT ET AU PARLEMENT : « BETTER OFF OUT » CONTRE « FRESH START »

1. Le Gouvernement recherche le compromis

La coalition au pouvoir étant formée d'un parti ouvertement europhile (les Libéraux démocrates) et d'un parti devenu plus eurosceptique au fil du temps (les Conservateurs), il était nécessaire de trouver un compromis pour se maintenir au pouvoir.

En 2005 déjà, David Cameron avait pris le risque d'inviter son parti à cesser d'être obnubilé par l'Europe et de mettre en avant son euroscepticisme. En effet, cet euroscepticisme trop affiché avait alors deux inconvénients majeurs. Premièrement, en 2005, l'opinion publique ne voyait pas l'Europe comme un sujet prioritaire et ne comprenait pas l'obsession de certains Conservateurs à dénoncer les errements de Bruxelles, et deuxièmement, l'euroscepticisme britannique était sur-interprété par les autres membres de l'Union, ce qui gênait l'action des Britanniques dans les négociations à Bruxelles.

Le programme européen de la coalition conservatrice prévoyait deux mesures phares. La première était la nécessité d'un référendum pour tout changement de traité impliquant un nouveau transfert de souveraineté à l'Union européenne. Il s'agissait d'apaiser les conservateurs qui avaient violemment critiqué l'absence de référendum sur le traité de Lisbonne. Cette mesure a été prise dès 2011 (il s'agit du EU Referendum Act ).

La deuxième mesure phare était la promesse d'une revue (ou audit) du partage et de l'équilibre des compétences entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Cet exercice a été lancé en 2012 et achevé en 2014, et il a débouché sur un rappel - sur le mode mineur, il est vrai - des positions traditionnelles du Royaume-Uni et, de manière inattendue, à une mise en sourdine ou une présentation plus nuancée des renationalisations (ou rapatriements) de compétences de l'Union européenne vers les États membres, ce qui a naturellement agacé les eurosceptiques les plus convaincus. Toutefois cela ne retire rien au succès politique de cette initiative qui a convaincu la grande majorité de la classe politique et de la presse par son objectivité.

L'euroscepticisme le plus fort est revenu sur le devant de la scène politique avec l'évolution du débat sur l'immigration et les positions maximalistes du parti UKIP ( United Kingdom Independence Party ), mais il reste très minoritaire et il n'y a que deux sièges au Parlement.

C'est pourquoi il n'est pas faux de rappeler que la culture du compromis l'emporte et que l'actuel Premier ministre est apparu et apparaît encore comme l'homme de la situation ; il nous a été présenté même par ses adversaire comme « flexible », fin négociateur et pragmatique.

2. Une majorité parlementaire très modérée

La première division essentielle au Parlement se situe entre la minorité (25 % des parlementaires) qui veut sortir de l'Union (sera-t-elle réélue le 7 mai prochain ?) et l'immense majorité qui veut y rester sous conditions.

La minorité favorable à une sortie pense que le Royaume-Uni serait mieux et plus prospère en dehors de l'Union et débat sous la bannière de « Better off out » (« Plus prospère en dehors de l'Union »). Tous les autres évoquent un « Fresh start » (« Pour un nouveau départ »). Une aile centre et centre-gauche (40 %) soutient qu'il faut rester proche du coeur de l'Europe et met en garde contre l'écart qui pourrait se creuser entre le Royaume-Uni et l'Union (« Mind the Gap » ).

Une bonne partie des Conservateurs et des Travaillistes (25 %) évoluent sous une bannière baptisée « Widen the Channel » . Pour eux, il convient de rester dans le Marché unique mais de ne pas partager un destin européen mal parti, mettre un peu d'espace entre l'île et le continent.

Telle est la photographie aujourd'hui des sensibilités trans-partisanes du Parlement britannique. Il nous a semblé juste de l'évoquer, même si ce Parlement vient d'être dissous et sera renouvelé le 7 mai prochain et même si ce qui compte plutôt, c'est la plateforme officieuse dont il sera question plus loin et qui, elle, rassemble 75 % de la classe politique.

Pour résumer la position parlementaire majoritaire, il faut garder à l'esprit que la majorité veut rester dans une Union réformée qui rendra du pouvoir aux États membres dans des secteurs comme la libre circulation des personnes, que pour cette majorité, le coeur de l'Europe ne saurait être que le Marché unique et pas l'euro, et enfin que le Marché unique doit être approfondi, qu'il doit protéger les intérêts de la City et inclure le marché des capitaux et le numérique.

Les scenarios possibles : référendum et renégociation de la place du Royaume-Uni dans l'Union européenne

C. UN RÉFÉRENDUM INÉVITABLE PRÉSENTÉ COMME UNE EXIGENCE DÉMOCRATIQUE COMPORTANT QUELQUES DANGERS

1. Le référendum : une question de démocratie

À propos du référendum sur le maintien dans l'Union, nos interlocuteurs ont insisté sur le fait qu'il était désormais perçu comme une nécessité démocratique, quarante ans après le référendum de 1975.

En 1975, deux ans après leur entrée dans le Marché commun, les quarante millions d'électeurs britanniques ont été consultés pour savoir s'ils souhaitaient rester dans les Communautés européennes. Il est intéressant de se souvenir que la question posée était : « Le gouvernement a annoncé les résultats de la renégociation des conditions du maintien du Royaume-Uni dans la communauté européenne : pensez-vous que le Royaume-Uni doive rester dans la Communauté européenne ? » Il était déjà question de renégociations en 1975.

67,2 % des électeurs répondirent par l'affirmative, après une formidable campagne électorale dépassant les clivages politiques, baptisée « Britain in Europe ». Le Premier ministre britannique Harold Wilson (travailliste) favorable au maintien n'était pas totalement soutenu par sa majorité à laquelle il avait pourtant réussi à imposer le silence.

Quarante ans plus tard, nos interlocuteurs nous expliquent qu'il est normal de retourner vers l'électorat pour rendre au projet européen sa légitimité démocratique mais, ajoutent-ils, comme en 1975, après renégociation avec Bruxelles. C'est là la grande difficulté.

Sans qu'il soit possible de déterminer pour l'instant l'ampleur de cette renégociation, il semble clair que du côté conservateur, on souhaite des accommodements de la part de Bruxelles afin de retirer au projet européen tout ce qui alimente la polémique contre Bruxelles.

2. Les dangers d'un référendum contrebalancés par une opinion publique raisonnable

Au motif que les sondages ont maintenant montré que l'opinion souhaite majoritairement le maintien du Royaume-Uni au sein de la Communauté européenne au prix de quelques concessions, le Gouvernement britannique se rassure sur l'issue de cette consultation dont beaucoup ont pensé sur le moment qu'elle n'était qu'un coup de poker.

L'opinion britannique a toujours pratiqué une certaine forme de détachement à l'égard de la construction européenne. C'est l'héritage d'un ancien empire maritime qui se sent à mi-chemin entre le grand large et le continent et entend bien maintenir cet équilibre sans rien perdre de son poids sur le continent. Comme le disait Henry Kissinger, « Le Royaume-Uni est le seul pays européen que la raison d'État n'a jamais contraint à des visées expansionnistes sur le continent » . Toutefois, le Royaume-Uni s'est trouvé régulièrement dans l'obligation d'intervenir sur le continent pour empêcher l'émergence d'une puissance continentale dominante qui pourrait menacer ses intérêts économiques ou sa sécurité. Ces idées sont solidement implantées dans le subconscient de l'opinion britannique qui considère que le pays est pour l'heure assez puissant pour contenir l'hégémonie bruxelloise. Quand la menace n'est pas trop sensible, l'opinion se satisfait d'une bienveillante surveillance à l'égard de l'Union, version atténuée du « splendide isolement ». Des souvenirs du Commonwealth encore vifs et la « relation spéciale » avec les États-Unis entretiennent l'opinion publique dans l'idée - peut-être fausse - que l'Angleterre ne saurait jamais dépendre totalement de l'Europe. Ainsi, l'opinion britannique reste eurosceptique avec modération. C'est pourquoi tant que l'opinion publique reste confiante dans la capacité du pays à défendre ses intérêts et sa tradition, le référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l'Union ne représente pas un danger.

3. Le risque écossais : populisme et europhilie au service de l'indépendantisme

Le référendum de 2014 a donné des résultats sans ambiguïté contre l'indépendance de l'Écosse (55,3 %). Le leader du Scottish National Party Alex Salmond, se sentant désavoué, a cédé la place à Nicola Sturgeon qui s'est lancée dans une campagne particulièrement active, visant à déstabiliser le Parti travailliste à l'occasion des prochaines élections législatives. En effet, le SNP se propose de transformer ces élections pour les circonscriptions écossaises en un nouveau vote d'adhésion en faveur de l'indépendance.

Il apparaît maintenant probable que le SNP pourrait gagner 56 des 59 circonscriptions écossaises le 7 mai prochain. Dans ces conditions et malgré une campagne ambigüe et populiste, le SNP pourrait servir de force d'appoint à une coalition avec le Parti travailliste. Cette éventualité a été écartée d'un revers de main par le leader travailliste Ed. Miliband qui a fait état d'un désaccord absolu avec le SNP à propos de l'indépendance de l'Écosse à laquelle il s'oppose. En outre, le programme très à gauche et très populiste de Nicola Sturgeon est à première vue incompatible avec le programme du Labour.

Toutefois, la situation est plus grave encore. Lors d'une campagne outrancière (au cours de laquelle Nicola Sturgeon a même réussi la maladresse de mettre indirectement en cause notre Ambassadeur à Londres), le SNP a démontré qu'il était prêt à pratiquer la politique du pire pour parvenir à l'indépendance de l'Écosse. C'est pourquoi, s'il devait y avoir une coalition entre le Labour et le SNP, on s'interroge au Royaume-Uni sur les contreparties qu'exigerait un parti qui ne s'intéresse plus au destin de la Grande-Bretagne dont il veut sortir au plus vite.

Déjà un des arguments les plus inquiétants avancés pendant la campagne du référendum en 2014, consistait à répéter en boucle qu'une Écosse indépendante pourrait non seulement maintenir l'État providence, mais même l'amplifier et l'améliorer. Or, il est clair aujourd'hui, vu l'état économique de l'Écosse et la baisse du cours du pétrole, qu'une Écosse indépendante ne parviendrait même pas à maintenir l'existant ni à boucler son budget.

Le budget d'une Écosse indépendante serait immédiatement en déséquilibre et en tant que nouvel État ne bénéficierait pas d'un taux d'emprunt très favorable. Quant à augmenter la pression fiscale, la mesure ferait aussitôt fuir le travail et le capital vers l'Angleterre.

La comptabilité analytique montre déjà que cette année, le déficit budgétaire de l'Écosse est de 8,6 % contre 4 % pour l'ensemble du Royaume-Uni.

Ainsi, dans le cas où l'Écosse - indépendante ou autonome - aurait un budget parfaitement indépendant, elle serait contrainte de tailler dans les dépenses à hauteur de 10 %. Or, le SNP refuse cette logique de l'indépendance budgétaire et maintient que le principe sur lequel on se serait accordé après l'échec du référendum, est celui d'une plus grande autonomie, sans conséquence négative pour l'Écosse. Cela signifierait en clair, selon le SNP, que l'Écosse pourrait être budgétairement autonome et protégée contre les conséquences négatives de ses décisions budgétaires grâce à une dotation en provenance de Londres. Ainsi, le Royaume-Uni en viendrait à subventionner une politique sociale plus généreuse en Écosse que celle pratiquée dans le reste du Royaume-Uni.

La question qui se pose aujourd'hui est donc celle-ci : en cas de coalition Labour/SNP, le Labour accepterait-il de payer ce prix exorbitant pour gouverner ? En effet, un tel pacte conduirait rapidement à l'éclatement du Royaume-Uni, car l'Angleterre, le Pays de Galles et l'Irlande du Nord seraient en droit d'exiger à leur tour l'autonomie budgétaire et la séparation des comptes...

Quant au tropisme pro-européen du SNP, on comprend qu'il sert d'arme absolue contre Londres. En effet, le SNP demande, en cas de référendum sur le maintien dans l'Union, un vote par nation.

Le SNP prétend vouloir rester dans l'Union et espère pour l'Écosse un schéma idéal sur le modèle de l'accord du Vendredi Saint pour l'Irlande du Nord qui prévoit que si le Royaume-Uni décidait de quitter l'Union, l'Irlande du Nord serait consultée par référendum et pourrait opter entre rester dans le Royaume-Uni hors de l'Union ou rejoindre l'Irlande dans l'Union. L'Écosse, elle, exigerait alors un nouveau référendum sur son indépendance... On comprend que ce parti « europhile » oeuvre en faveur d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne pour assurer à l'Ecosse un accès plus rapide à l'indépendance.

D. BREXIT : BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN

1. La position britannique serait caricaturée

Nos interlocuteurs ont insisté sur le fait qu'ils considéraient que la Commission et la presse continentale s'étaient livrés à une agitation propagandiste afin d'exagérer la probabilité d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne et de mettre en exergue les risques d'un tel scénario.

Or de l'avis de la classe politique britannique dans son ensemble, seul le Parti UKIP souhaite la sortie inconditionnelle de l'Union. Pour le reste, cette éventuelle sortie n'est qu'un débat interne au Parti conservateur, un débat démocratique qui n'est pas tranché mais qui ne le sera sans doute pas, dans la mesure où les renégociations n'ont pas commencé. Pour cette frange minoritaire du Parti Conservateur, tout dépendra des concessions obtenues à Bruxelles.

Il nous a été précisé que l'euroscepticisme était un sentiment très répandu, mais qu'il n'entraînait pas pour autant le soutien à un quelconque « Brexit » dont le nom seul témoignerait de l'inventivité maligne de la presse dans ce domaine. En somme, beaucoup de bruit pour rien autour d'un concept embryonnaire et, dans certains cas, seul le plaisir de faire peur serait à l'oeuvre. Un de nos interlocuteurs nous a même avoué que « sans les quatre M - Ministers, MPs, Medias, Mandarins », le débat aurait déjà perdu de sa vigueur et le bon sens l'aurait emporté.

En effet, dans l'opinion publique, l'idée ne fait plus recette et il semble que l'on s'attache plutôt à un succès des négociations préalables au référendum.

Sur ce chapitre des négociations, les plus pessimistes remarquent qu'elles peuvent entraîner un changement des Traités ; mais apparemment dans l'actuelle majorité, tous semblent plutôt souhaiter éviter des négociations importantes qui exigeraient des modifications des Traités difficiles à obtenir.

On évoque de préférence des accommodements à la marge au profit du Royaume-Uni. Il semblerait que l'Allemagne et les Pays-Bas soient réceptifs, à la différence de la France qui maintient une position intransigeante et traite la question par le mépris (c'est du moins ce qui est ressenti de l'autre côté de la Manche). On continue, du côté britannique, à évoquer un compromis sur le modèle de la double majorité.

Si le Royaume-Uni obtient les accommodements souhaités, il faudra toutefois prendre aussi en considération le contexte européen au moment du référendum. Il semble évident qu'une majorité favorable au maintien du Royaume-Uni dans l'Union pourrait s'effriter en cas de crise européenne majeure liée à l'euro, au dossier grec - s'il n'est pas réglé -, à la remontée des taux ou à la situation internationale.

Nos interlocuteurs nous ont faire remarquer que la situation internationale avec les menaces qu'elle fait peser sur l'Europe (terrorisme, Proche-Orient déstabilisé et guerre en Ukraine) avait pour l'instant rapproché l'opinion de l'idée d'une certaine solidarité européenne en matière de sécurité. L'affaire ukrainienne en particulier rencontre un écho plus fort au Royaume-Uni qu'en France et l'attitude du Président Poutine est considérée comme une menace sérieuse et durable pesant sur l'équilibre et la paix en Europe.

2. La position de l'Union européenne manquerait d'habileté diplomatique

En résumé, s'il existe un risque de sortie, ce n'est pas parce que les Britanniques seraient plus hostiles que d'autres peuples à l'Union, mais bien parce que l'Union ne réagit pas avec suffisamment d'habileté au débat, certes vif et dangereux, sur une éventuelle sortie du Royaume Uni.

Ce débat a été lancé par des minorités qui ont réussi à le coupler avec les problèmes les plus aigus que connaît le pays comme l'immigration massive ; mais sur place il est perçu comme parfaitement démocratique et les principaux partis politiques y ont répondu en adoptant de fait, sinon de droit, ce qu'il faut bien appeler une plateforme commune officieuse parfaitement compatible avec l'appartenance à l'Union.

De quoi s'agit-il ? Du consensus tacite qui réunit 75 % de la majorité parlementaire autour des pistes de réformes proposées par le Premier ministre (approfondissement du marché intérieur, rééquilibre du partage des compétences dans certains secteurs, non-discrimination entre États membres et non membres de la zone euro et amélioration du processus législatif européen).

Que l'Union réfléchisse un instant avant de déclarer, comme cela a été fait, qu'elle peut parfaitement fonctionner sans la Grande-Bretagne (tout en déclarant au même moment que la zone euro ne saurait fonctionner sans la Grèce !). Que l'Europe prenne garde de ne pas créer un problème britannique ! Voilà ce que nos interlocuteurs très optimistes sur l'issue positive du référendum nous ont déclaré.

Comme il a déjà été dit, l'euroscepticisme leur semble une attitude britannique parfaitement compatible avec l'appartenance à l'Union. Le manque d'enthousiasme ne marque pas un refus de participer, mais seulement la suggestion que les règles pourraient être un peu changées.

Au fond, ce qui frappe Bruxelles et les autres capitales européennes, c'est que Londres s'offre un débat sur l'Europe qui mobilise essentiellement des élites très eurosceptiques et très passionnées alors que toutes les élites européennes sont europhiles ou prétendent l'être face à des opinions publiques très eurosceptiques.

Il conviendrait plutôt de reconnaître que la situation est au Royaume-Uni exactement l'inverse de celle des autres États membres. Toujours affectées d'une singularité insulaire, les élites britanniques se disputent sur la question européenne avec un véritable entrain - ce qui est considéré comme un sacrilège ailleurs - et l'opinion publique britannique regarde la question européenne avec une indifférence bienveillante - alors que les autres opinions publiques sur le continent rejettent de plus en plus massivement Bruxelles.

Il y a un débat passionné parmi les parlementaires, mais sur la question de savoir si le parlement britannique devait disposer d'un veto sur toute la législation européenne, il ne s'est trouvé que 95 parlementaires pour voter cette disposition qui fut massivement rejetée. Certes, 95 parlementaires peuvent finir par former une minorité agissante et menacer l'unité d'un grand parti, mais ce n'est pas encore le cas.

Aujourd'hui, même les Britanniques europhiles reprochent à Bruxelles de souhaiter et d'entretenir l'idée d'une Europe plus intégrée, car cette idée a pour corollaire, chez certains Eurocrates, l'éviction du Royaume-Uni qui constituerait, à leurs yeux, un obstacle sur le chemin du fédéralisme, comme si la France et l'Allemagne - libérées de l'entrave britannique - étaient désireuses de ne plus former qu'un seul État.

Selon les Britanniques, il est illusoire de croire qu'une Europe sans eux retrouvera un élan et fera avancer des dossiers comme la défense commune et la politique étrangère commune.

Même les europhiles britanniques appellent Bruxelles à changer d'attitude vis-à-vis du Royaume-Uni et à entrer sans tabou dans le débat des meilleurs moyens pour réformer l'Union plutôt que de s'accrocher au statu quo .

Le Discours de Bloomberg

En écho au célèbre Discours de Bruges de Margaret Thatcher, le 23 janvier 2013, dans un discours sur l`Europe David Cameron s'est engagé, s'il obtient un deuxième mandat le 7 mai prochain, à organiser avant la fin de 2017 un référendum dont l'enjeu sera le maintien ou la sortie de son pays de l'Union européenne.

Dans l'hypothèse où se tiendrait un référendum, David Cameron annonce clairement qu'il fera campagne pour le maintien du Royaume-Uni dans l'Union à condition de mener à bien au préalable un aménagement des Traités européens qui aboutirait à octroyer au Royaume-Uni un statut spécial au sein de l'Union.

Dans ce discours de référence, le Premier ministre pose dès le départ que l'Union européenne ne saurait être qu'un moyen et non une fin en soi et que par ce moyen, il cherche à atteindre une fin claire : la prospérité de l'Europe. Pour réussir, il considère que l'Union doit être reformée.

Selon lui, le Royaume-Uni aujourd'hui se sent mal à l'aise dans l'Union telle qu'elle est et plus encore telle qu'elle pourrait évoluer. Le Premier ministre place le développement du marché unique au centre de ses préoccupations. Il met en garde contre une évolution de l'Union dans le sillage de l'évolution de la zone euro qui conduirait à léser les intérêts de ceux qui n'ont pas adopté la monnaie unique. Il n'hésite pas à résumer la position de l'opinion britannique par une question : « Pourquoi n'avons-nous pas ce pourquoi nous avons voté (sous-entendu en 1975) ?

Selon le Premier ministre, trois défis se présentent à l'Union : l'évolution de l'Eurozone, la perte de compétitivité européenne, le fossé entre l'Union et ses citoyens.

Il convient de reformer l'Union en appliquant les cinq principes suivants :

- achever le marché unique dans le domaine des services, de l'énergie et du numérique ;

- introduire la flexibilité dans les relations entre l'Union et les États membres et ne pas craindre que chaque État membre soit lié à l'Union d'une manière différente des autres États membres ;

- quand cela est nécessaire, rapatrier au profit des États membres les compétences transférées à l'Union ;

- renforcer la responsabilité démocratique de l'Union et le rôle des Parlements nationaux ;

- introduire plus de justice et d'équilibre entre les États membres dans la construction de l'Eurozone.

Une citation importante résume sa position :

« Nous croyons en une union simple d'États membres indépendants qui partagent des traités et des institutions et poursuivent ensemble un idéal de coopération. »

CONCLUSION

Si le pragmatisme et le bons sens ont quelques chances de l'emporter et si l'euroscepticisme britannique peut être considéré comme une tournure d'esprit plus propice à la négociation qu'à la fin de non-recevoir, il n'en reste pas moins vrai que le Royaume-Uni est à la veille d'une élection législative rendue incertaine par la montée et les assauts de deux acteurs extrémistes et populistes : M. Nigel Farage (UKIP) et Mme Nicola Sturgeon (SNP). Le premier menace de priver les Conservateurs d'une majorité absolue nécessaire pour gouverner et la seconde joue le même rôle auprès des Travaillistes.

Le bipartisme est donc menacé et cette déstabilisation du système politique britannique pourrait avoir des conséquences malheureuses pour l'ensemble du pays qui ne serait plus gouverné que par des gouvernements faibles et instables. On s'inquiète aussi et, à juste titre, d'une régionalisation du vote et d'une partition politique de facto du pays avec l'Écosse aux mains du SNP, le nord de l'Angleterre votant Labour et le sud, Conservateur.

Aujourd'hui, on annonce une élection serrée et un Parlement sans majorité, car les Conservateurs et les Travaillistes sont donnés au coude à coude avec plus ou moins 35 % des votes chacun ce qui ne les met pas en position d'obtenir une majorité absolue des sièges au Parlement. En outre, l'incertitude se renforce avec le risque d'une abstention qui promet d'être très élevée.

Les Libéraux Démocrates sont crédités de 8 % des voix, l'UKIP de 16 % et les Verts de 5 %. Le scrutin uninominal à un tour jusqu'à présent pénalise toutes les petites formations, mais leur présence dans un très grand nombre de circonscriptions change la donne pour le bipartisme traditionnel. Les petits partis ne peuvent pas vraiment gagner, mais ils peuvent faire perdre.

Enfin en Ecosse, comme il a été dit, le SNP (à gauche de la gauche) s'apprête, à déstabiliser les travaillistes pourtant bien implantés.

Avec 35 % des voix chacun, les deux partis principaux n'ont jamais réalisé un score combiné aussi bas si bien que ce scrutin est le plus incertain qu'ait connu le Royaume depuis un siècle. Si ces pronostics sont confirmés par les électeurs le 7 mai prochain, des alliances seront nécessaires comme ce fut le cas pour Cameron en 2010 qui s'est allié aux Libéraux Démocrates au sein d'une coalition qui s'est révélée solide contre toute attente et qui pourrait bien être renouvelée si les Libéraux Démocrates retrouvent leurs sièges, ce qui semble peu probable, car leur électorat s'est effondré.

On sait que le Parti Conservateur ne veut pas s'unir à UKIP qui de toute manière n'obtiendra que 5 sièges, s'il les obtient. L'appui des Unionistes irlandais ne peut être que limité à sans doute 10 sièges. Quant aux Travaillistes, ils ont annoncé qu'ils ne feraient pas alliance avec le Parti Indépendantiste Ecossais qui pourrait obtenir plus de quarante sièges. Ils pourront sans doute se rapprocher des Lib-Dem qui sont prêts à travailler avec les Travaillistes après avoir travaillé avec les Conservateurs.

Si les Travaillistes devaient l'emporter de justesse, ils seraient contraints de s'allier aux Lib-Dem et à tenir en respect le Parti Indépendantiste écossais.

Il y a peu de chance que l'UKIP fasse le plein des voix et entre triomphalement au Parlement et comme il a été dit, le SNP indépendantiste écossais devrait entrer massivement au Parlement mais uniquement pour avancer son projet indépendantiste.

Le scenario le plus probable, mais toujours incertain quinze jours avant le scrutin, est celui d'une reconduction de l'actuelle coalition, ce qui entraînera à terme un référendum sur le maintien de la Grande Bretagne dans l'Union après renégociation des divers points jugés sensibles par les Britanniques.

Si les Conservateurs l'emportent, nous devrons nous préparer à un référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l'Europe ; mais nous devrions cesser d'en parler comme d'une roulette russe, sauf à remarquer, comme nous le disait un fin observateur de la vie politique anglaise, que Cameron a eu l'habileté d'ajouter régulièrement une balle de plus dans le barillet.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 16 avril 2014 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par Mme Fabienne Keller, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean Bizet, président . - En vous écoutant et à la lecture de votre rapport, nous sommes rassurés sur les intentions de nos amis britanniques et nous comprenons que leur intention première n'est pas de sortir de l'Union mais de négocier ce qu'il faut bien appeler la place particulière du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne.

À vrai dire, nous pouvons partager une partie des demandes britanniques. Mais pour nous, l'approfondissement de l'Eurozone est inéluctable et incontournable.

M. Simon Sutour . - Les Britanniques ne sont pas membres de la zone euro, mais ils veulent nous expliquer ce que nous devons faire dans ce domaine. Cela reste toujours un peu surprenant. Cela dit, les positions des uns et des autres évoluent sur cette question comme sur les autres : par exemple, on parle maintenant plus de rigueur que d'austérité.

Il faut attendre le résultat des élections du 7 mai et le système du scrutin uninominal à un tour - que certains voulaient introduire en France alors que ce n'est pas notre tradition - peut réserver de grandes surprises. Je me réjouis du travail accompli par notre collègue et je la remercie, car nous avons eu trop souvent tendance à balayer la position britannique d'un revers de main, alors qu'elle comporte des propositions intéressantes. Il faudra en reparler après les élections.

M. Jean-Yves Leconte . - Nous comprenons que les Britanniques ont une position pragmatique et récusent une grande vision politique à long terme. Il faut le prendre en compte, mais on peut aussi le regretter.

M. Éric Bocquet . - Nous avons là l'illustration de duplicité de nos amis Anglais : ils s'opposent mais ils réussissent à faire nommer Jonathan Hill à Bruxelles. Nous savons tous que le pragmatisme britannique est une force qui leur permet de défendre leur principale industrie : les services financiers qui représentent 35 % de leur PIB.

Mme Colette Mélot . - J'ai lu avec intérêt le rapport de Fabienne Keller et je félicite le rapporteur de son travail. En effet, il était temps de corriger les caricatures que l'on trouve dans la presse. Certes, les Britanniques jouent un jeu dangereux mais ils le font avec une grande habileté. Ils disent haut et fort qu'il y a trop d'Europe, mais ils veulent toujours plus de marché intérieur. Nous sommes avertis et c'est à nous de savoir négocier, car mon avis est que nous ne pouvons pas faire l'Europe sans le Royaume-Uni. Je devine donc que nous finirons par trouver une position négociée même s'il faut aller vers une Europe à deux vitesses comme l'indique M. Valéry Giscard d'Estaing, dans son dernier livre à propos des deux cercles européens.

Mme Fabienne Keller . - La position britannique est paradoxale effectivement à première vue. En tout cas, les Britanniques ont ce mérite que partout ils font en sorte que les choses ne se fassent pas sans eux !

Cette idée d'audit était particulièrement astucieuse parce qu'ainsi, ils posent des socles et ils valident une position consensuelle. C'est une stratégie et elle est, me semble-t-il très efficace.

Naturellement l'élection du 7 mai est très incertaine.

Les Conservateurs et les Travaillistes sont donnés au coude à coude avec plus ou moins 35 % des votes chacun, ce qui ne les met pas en position d'obtenir une majorité absolue des sièges au Parlement. Mais une fois de plus le risque et l'incertitude proviennent surtout de l'abstention qui promet d'être très élevée.

Les Libéraux Démocrates sont crédités de 8 % des voix, l'UKIP de 16 % et les Verts de 5 %. Normalement le scrutin uninominal à un tour pénalise toutes les petites formations, mais leur présence dans un très grand nombre de circonscriptions change la donne pour le bipartisme traditionnel. Enfin en Ecosse, le Parti Indépendantiste (à gauche de la gauche) s'apprête à déstabiliser les travaillistes pourtant bien implantés.

Avec 35 % des voix chacun, les deux partis principaux n'ont jamais réalisé un score combiné aussi bas si bien que ce scrutin est le plus incertain qu'ait connu le Royaume depuis un siècle. Si ces pronostics sont confirmés par les électeurs le 7 mai prochain, des alliances seront nécessaires comme ce fut le cas pour Cameron en 2010 qui s'est allié aux Libéraux Démocrates au sein d'une coalition qui s'est révélée solide contre toute attente et qui pourrait bien être renouvelée si les Libéraux Démocrates retrouvent leurs sièges, ce qui semble peu probable, car leur électorat s'est effondré.

On sait que le Parti Conservateur ne veut pas s'unir à UKIP qui de toute manière n'obtiendra que 5 sièges, s'il les obtient. Quant à l'appui des Unionistes irlandais, il ne peut être que limité à sans doute 10 sièges.

Quant aux Travaillistes, ils ont annoncé qu'ils ne feraient pas alliance avec le Parti Indépendantiste Écossais (SNP) qui est en plein essor malgré son échec cuisant au référendum de 2014 sur l'indépendance. Ils pourront sans doute se rapprocher des Lib-Dem qui sont prêts à travailler avec les Travaillistes après avoir travaillé avec les Conservateurs.

Le scenario le plus probable est celui d'une reconduction de l'actuelle coalition, ce qui entraînera à terme - en 2017, sans doute - un référendum sur le maintien de la Grande Bretagne dans l'Union après renégociation des divers points jugés sensibles par les Anglais.

Si les Travaillistes devaient l'emporter de justesse, ils seraient contraints de s'allier aux Lib-Dem et à tenir en respect le Parti Indépendantiste écossais.

Il y a peu de chance que l'UKIP fasse le plein des voix et entre triomphalement au parlement et comme il a été dit, le SNP indépendantiste écossais devrait entrer massivement au Parlement mais uniquement pour faire avancer son projet indépendantiste.

La France doit garder un lien fort avec le Royaume-Uni, ne pas avoir une vision trop tranchée de la position britannique et garder en mémoire l'efficacité de l'approche britannique qui est plus nuancée qu'il y parait.

M. Jean Bizet , président . - Je pense qu'il était bon de clarifier notre compréhension de l'approche britannique et ce que vous nous dites est au fond très positif pour l'Union. Nous prenons acte de la démarche pragmatique, audacieuse et bien construite du Royaume-Uni.

Mme Fabienne Keller . - Il nous faut respecter la diversité au sein de l'Europe. Or, aujourd'hui ceux qui font l'Europe se connaissent de plus en plus mal et en restent aux clichés. Les Britanniques veulent continuer de profiter du grand marché et apporter leur vision. Il nous appartient d'étayer notre position comme ils étayent la leur.

M. Jean Bizet , président . - Nous vous remercions et nous attendons maintenant les élections du 7 mai.

À l'issue de ce débat, la commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

- Sir Peter RICKETTS , Ambassadeur de Grande-Bretagne en France

- Mme Sylvie-Agnès BERMANN , Ambassadeur de France au Royaume-Uni

- M. David LIDINGTON , Ministre des Affaires européennes

- M. Patrick McFADDEN , « Shadow Minister» , Ministre des Affaires européennes (parti travailliste)

- Lord WALLACE , Whip , Lib Dem, Président du groupe parlementaire, chargé des affaires européennes

- Lord BOSWELL , Président de la Commission des affaires européennes de la Chambre des Lords

- Lord TUGENDHAT , Président de la sous-commission des questions externes de l'Union européenne et de défense de la commission des affaires européennes

- Lord HARRISSON , Président de la sous-commission des affaires économiques de la commission des affaires européennes

- Sir William CASH , Président de la Commission des affaires européennes de la Chambre des Communes

- M. Maurice FRASER , Professeur à la London School of Economics, Institut des études européennes

- M. Damian GREENE , Député à la tête du Groupe pro-UE au sein du Parti Conservateur

- M. Quentin PEEL , Journaliste au Financial Times , membre de Chatham House

- M. Camino MORTERA et John SPRINGFORD , Membre du Think Tank Center for European Reform (CER)

- M. Hans KUNDNANI , Directeur du Think Tank European Council on Foreign Relations (ECFR)

- M. Peter WILDING , Directeur du Think Tank British Influence

- M. Mats PERSSON , Directeur du Think-tank Open Europe

- M. Angus LAPSLEY , Directeur des affaires européennes au Cabinet du premier ministre (Cabinet office) et prochain Représentant permanent du Royaume-Uni à Bruxelles

- M. Tom SCHOLAR , Conseiller spécial pour les affaires européennes auprès du Premier ministre ( Cabinet Office )

- M. Mark BOLEAT , Directeur général de la City of London

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