Deuxième table ronde - L'Ordonnance du 21 avril 1944 et le vote des femmes

Modératrice : Réjane Sénac, chargée de recherche CNRS au CEVIPOF, présidente de la commission Parité du Haut Conseil à l'Égalité
entre les femmes et les hommes

Intervenantes :

Christine Bard, professeure d'histoire contemporaine
à l'Université d'Angers

Anne-Sarah Bouglé-Moalic, historienne,
prix spécial de l'Assemblée nationale en 2011
pour sa thèse Le vote des Françaises . Cent ans de débats, 1848-1944

Mariette Sineau, directrice de recherche CNRS au CEVIPOF

Réjane Sénac, chargée de recherche CNRS au CEVIPOF, présidente de la commission Parité du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes

C'est un beau sourire de l'Histoire que de célébrer le soixante-dixième anniversaire du premier vote et de la première élection des femmes dans cette institution qui a contribué, pour reprendre une expression de Christine Bard, à ce que pendant un siècle, la République française soit une « Ré-mi-publique ».

Comme l'a dit Cécile Goldet, il y a un monde entre 1945 et aujourd'hui. Pour comprendre non seulement ce qui a changé pendant cette période, mais également ce qui résiste, voire se recompose, il est nécessaire d'analyser la persistance des inégalités entre les femmes et les hommes, non pas comme des scories irrationnelles mais comme l'expression de la continuité de l'Histoire. Pour cela, il est important de prendre le temps de retracer le parcours qui a permis aux femmes d'accéder au droit de vote et d'éligibilité par l'ordonnance du 21 avril 1944. Pour ce faire, nous accueillons deux historiennes et une politiste.

Christine Bard retracera l'« histoire du suffragisme » au prisme de la question du militantisme féministe et de son rôle dans ce qui a permis, à travers l'obtention du droit de vote et d'éligibilité des femmes, de parachever la République.

Parmi les nombreux travaux de cette professeure d'histoire contemporaine à l'Université d'Angers, je citerai Les filles de Marianne. Histoire des féminismes, 1914-1940 (1995), Les femmes dans la société française au XX ème siècle (2001), Une histoire politique du pantalon (2010), ou encore Les insoumises et la révolution du féminisme (2012).

À travers ses recherches, Christine Bard nous enseigne que même là où nous ne percevons que de l'accessoire, il y a du politique. Or, comme l'illustrent les témoignages qui ont enrichi la première table ronde et les entretiens vidéo qui ont été projetés, la tentation est grande de penser que pour atteindre l'égalité la fin justifie les moyens : « On m'appelle «Monsieur le Sénateur» ? On commente ma coiffure ou mes vêtements ? Ce n'est pas grave, l'essentiel est que je sois là ».

En ma qualité de politiste, j'analyse cette tentation comme l'expression d'une « égalité sous conditions » de performance de la différence pour celles et ceux qui ont été exclu.e.s historiquement et théoriquement de la fraternité républicaine : les femmes et les non-blancs 7 ( * ) . Le regard de Christine Bard nous permettra d'éclairer la dimension historique du sexisme républicain en s'inscrivant dans le temps long.

Ce regard historique sera complété par celui d'Anne-Sarah Bouglé-Moalic, qui a obtenu en 2011 le prix spécial de l'Assemblée nationale pour sa thèse d'histoire Le vote des Françaises. Cent ans de débats, 1848-1944 , publiée aux Presses Universitaires de Rennes. Anne-Sarah Bouglé-Moalic éclairera l'histoire du droit de vote et d'éligibilité des femmes à travers le prisme cette fois, non pas des luttes féministes, mais des débats parlementaires. Ces deux éclairages historiques seront donc complémentaires.

Ce parcours n'aurait pas été complet sans le regard d'une politiste. Mariette Sineau est directrice de recherche CNRS au CEVIPOF. Nous lui devons de nombreux travaux, parmi lesquels Femmes et pouvoir sous la V e République. De l'exclusion à l'entrée dans la course présidentielle (2011) et La force du nombre. Femmes et démocratie présidentielle (2010).

Mariette Sineau nous livrera une analyse de l'évolution du vote des femmes entre 1945 et aujourd'hui. Je rappelle en effet que l'une des raisons de la résistance à la reconnaissance aux femmes de ce droit fondamental tenait à la crainte, qui s'exprimait en particulier au Sénat et parmi les radicaux-socialistes, que celles-ci votent « comme le leur dirait le curé », c'est-à-dire à droite. Cette crainte révélait avant tout une négation de la capacité des femmes à émettre un jugement autonome et libre. Ainsi, derrière cette explication électoraliste, nous mesurons bien les raisons profondes de l'exclusion des femmes de la vie publique et de leur cantonnement à ce qui était alors considéré comme leur destin « naturel » : celui de procréer et d'éduquer les enfants.

Avant de donner la parole à Christine Bard, permettez-moi de citer Louise Weiss, cette militante féministe qui avait distribué une paire de chaussettes aux sénateurs, de manière à leur dire en substance : « Ne vous inquiétez pas, si nous accédons au droit de vote et d'éligibilité, nous continuerons à repriser vos chaussettes ! ».

Aujourd'hui, nous constatons que l'implication des femmes dans l'espace public n'a pas remis en cause leurs « devoirs de bonnes mères et de bonnes épouses ». Si elles ne reprisent plus les chaussettes, elles continuent à assumer les trois-quarts des tâches ménagères et domestiques. Les sénateurs avaient donc tort de craindre les droits politiques des femmes !

Ce rappel historique nous permet de mesurer à la fois le chemin accompli, comme le soulignait Cécile Goldet, mais également le chemin qu'il nous reste à parcourir.

Christine Bard, nous vous écoutons avec le plus grand intérêt.

Christine Bard, professeure d'histoire contemporaine à l'Université d'Angers

Avant de commencer, je rappellerai aussi que Louise Weiss distribuait aux sénateurs non pas seulement des chaussettes, mais aussi des bouquets de myosotis porteurs de ce message symbolique : « Ne m'oubliez pas » !

J'en viens à mon propos d'aujourd'hui.

UNE HISTOIRE DU SUFFRAGISME

Bien que l'histoire du suffragisme soit actuellement mieux connue qu'il y a quelques années, il n'est pas inutile de battre en brèche quelques idées reçues qui ont la vie dure et de souligner le déficit mémoriel dont elle est encore victime. De manière assez paradoxale, le mouvement pour la citoyenneté des femmes est associé à la défaite récurrente de sa revendication au Parlement. Il est aussi privé des bénéfices de son succès tardif en 1944 : le vote et l'éligibilité sont enfin accordés aux Françaises, dans des circonstances politiques d'exception, et sous la forme d'une récompense accordée à la Résistance féminine.

C'est dès lors un peu l'image de « vaincues de l'histoire » qu'ont les suffragistes d'une III ème République que l'on veut oublier. Simone de Beauvoir ne s'y attarde pas dans Le Deuxième sexe ; les mémoires de Louise Weiss laissent accroire que les Françaises étaient indifférentes à la citoyenneté. Aussi ne faut-il pas se fier à cette postérité bien modeste, si on la compare avec celle des Anglaises. Heureusement en effet, les archives nous réservent de bien belles découvertes.

Rappelons que cette lutte pour la citoyenneté se déroule dans des conditions très difficiles pour les femmes, qui se heurtent à toutes sortes de barrages et d'interdits légaux, moraux ou religieux. Le déni de citoyenneté politique n'est qu'un aspect de la domination qu'elles subissent au travail, dans la famille, dans la culture...

Faire du suffrage une priorité de l'émancipation des femmes ne va pas de soi. Au XIX ème siècle, le mouvement pour le droit des femmes met en avant l'éducation et la réforme du code civil, qui créeraient les conditions de l'autonomie féminine. Hubertine Auclert raisonne différemment, convaincue que le droit de vote serait la clé de voûte de tous les autres droits à conquérir. Première militante à employer le qualificatif « féministe » en 1882, elle est aussi la première suffragiste en France.

Le fait féministe précède l'invention du mot. On peut remonter loin, à Christine de Pisan ou à Olympe de Gouges et à sa Déclaration des droits de la Femme et de la citoyenne en 1791. Quand le mot est employé pour la première fois dans un sens moderne, en 1872 par Alexandre Dumas fils, c'est un siècle plus tard, dans un sens péjoratif. Il s'inspire d'un terme médical, le féminisme désignant alors « l'aspect d'un individu mâle présentant certains caractères secondaires du sexe féminin ». Ce sens originel n'est pas anodin, quand on songe à quel point le féminisme a été vu comme une pathologie. Ses militantes sont décrites comme des femmes « masculinisées ». D'emblée, le féminisme interroge l'identité sexuelle. L'égalité entre les sexes remet en effet en cause la vision traditionnelle des rôles sociaux impartis à chaque sexe, au nom de la nature, qui est aussi le nom de la loi divine pour les religieux.

Aussi faut-il toujours bien mesurer la force de l'antiféminisme, qui modèle les représentations dominantes du féminisme. Les adversaires de l'émancipation des femmes participent à la controverse sur l'égalité des sexes avec le bénéfice de positions de pouvoir politique, institutionnel, médiatique et intellectuel. Ils diffusent avec efficacité un portrait-type des suffragettes : laides, aigries, frustrées, agressives et ridicules. Cet antiféminisme, malgré la diversité de ses ancrages idéologiques, dépasse les clivages politiques.

On peut en dire autant des féminismes et des mouvements suffragistes : pluriels, qu'il s'agisse des modes d'organisation, de leur répertoire d'actions ou de leur orientation.

1) La faiblesse du suffragisme français est une des idées reçues les plus courantes.

À l'appui de cette idée sont mis en avant le faible nombre de militantes, l'absence de leader , le caractère bourgeois du recrutement, les divisions internes et l'inexistence de soutien masculin. Autant d'idées fausses ou de constats à relativiser et à contextualiser.

Le combat d'Hubertine Auclert, née en 1848 et décédée en 1914, n'a rencontré l'adhésion des féministes que dans la première décennie du XX ème siècle. La première grande association suffragiste est l'Union française pour le suffrage des femmes (UFSF), créée en 1909 et adhérente du Conseil national des femmes françaises, fondé en 1901. La France rejoint alors le mouvement international : Conseil international des femmes et Alliance internationale pour le suffrage des femmes. Cécile Brunschvicg incarne ce féminisme attaché à l'égalité des droits. Organisatrice hors pair, elle développe l'UFSF, qui compte 100 000 membres entre les deux guerres, colonies incluses. Membre du Parti radical, elle sera l'une des trois secrétaires d'État en 1936.

Aux côtés de ce féminisme réformateur, républicain, de sensibilité laïque et sociale, existe un féminisme plus radical, révolutionnaire, associé à des engagements syndicaux ou socialistes. Cet engagement est d'ailleurs source de tensions pour les militantes. Le mouvement ouvrier considère en effet le féminisme comme un mouvement bourgeois. Les féministes radicales influencent néanmoins le cours de l'histoire en obtenant des partis de gauche des engagements suffragistes. Madeleine Pelletier fait ainsi entrer le vote des femmes au sein du programme de la SFIO dès 1906.

Troisième tendance : le féminisme modéré, qui se constitue dans les années vingt autour d'associations proches de partis de droite et catholiques. Tout en défendant un rôle traditionnel, il revendique le droit de vote, s'y sentant encouragé par l'approbation du Vatican. C'est là une grande nouveauté, car le mouvement féministe, jusqu'à cette date, est exclusivement le fait de militantes laïques, souvent protestantes, juives, libres-penseuses. Il est de ce fait une avant-garde, coupée de la majorité des Françaises qui restent, beaucoup plus que les hommes, attachées à l'Église.

A l'instar du syndicalisme, mobilisant surtout l'aristocratie ouvrière des ouvriers qualifiés, le féminisme mobilise essentiellement des femmes socialement et culturellement privilégiées. Ce qui ne permet pas pour autant d'accepter sans discussion l'expression péjorative de « féminisme bourgeois » diffusée par l'Internationale socialiste. On trouve en effet dans la tendance réformiste des enseignantes, des journalistes, des avocates, des doctoresses, pionnières dans ces professions autrefois réservées aux hommes, mais aussi des femmes des classes moyennes et supérieures qui n'exercent pas toutes une activité professionnelle, mais qui ne sont pas pour autant des recluses. Elles ont souvent été amenées au féminisme par leurs activités philanthropiques. Dans la tendance radicale, les institutrices sont nombreuses. La tendance modérée recrute dans des milieux très privilégiés.

Les féministes sont surtout des femmes, mais plusieurs associations sont mixtes et les soutiens masculins sont recherchés. Ils sont diversifiés sur le plan politique et philosophique. La franc-maçonnerie apporte sa contribution, ainsi que le Parlement. Entre les deux guerres, Justin Godart, député puis sénateur radical, Louis Marin, député de la droite républicaine, Louis Martin, sénateur radical, sont d'actifs militants. Les hommes militants sont à cette époque moins nombreux qu'au début du mouvement fondé par Léon Richer et Maria Deraismes ; ils existent néanmoins. L'UFSF met sur pied en 1911 une Ligue des électeurs pour le suffrage des femmes, présidée par le député radical de Paris Ferdinand Buisson 8 ( * ) .

Le débat sur la mixité et la non-mixité des luttes est récurrent, mais retenons le rôle stratégique de légitimation et d'appui joué par les hommes dans les partis et au Parlement, ainsi que la valeur des apports intellectuels et symboliques des grands féministes du passé : François Poullain de la Barre, Condorcet, John Stuart Mill, Victor Hugo.

2) Des moyens d'actions inefficaces ?

Une deuxième idée reçue est l'inefficacité des moyens d'action des suffragistes 9 ( * ) .

La campagne suffragiste utilise les moyens habituels de mobilisation de l'opinion publique : réunions publiques, campagnes de presse, d'affiches... Les moyens sont certes limités par le manque d'argent, un problème lié à la spécificité du statut sociojuridique des femmes, leur dépendance financière, l'infériorité de leurs ressources.

La campagne des Françaises est moins pittoresque que celle des Anglaises, qui privilégient des actions spectaculaires, parfois violentes, dans la rue. Avant 1914, elles sont plus d'un millier à être arrêtées, emprisonnées, elles font la grève de la faim et sont nourries de force dans les prisons anglaises. Rien de tel en France, où les féministes rejettent ces méthodes qui, estiment-elles, nuisent à l'image de la cause. En réalité, les Anglaises se montrent tout aussi divisées sur le choix des moyens d'action.

En France, les manifestations de rue sont peu nombreuses. La plupart du temps, elles sont interdites. Celles qui bravent l'interdiction sont rares. Plusieurs ont lieu devant le Palais du Luxembourg et se terminent au poste de police.

Anecdote révélatrice : en 1928, une suffragiste s'enchaîne sur un banc du Sénat en criant des slogans. Cet acte audacieux est jugé très inconvenant pour une femme. Et la militante le sait. C'est pourquoi, non sans humour, elle attire l'attention sur un détail : sa chaîne, précise-t-elle, est gainée d'une soie assortie à la couleur de sa toilette. La malheureuse est cependant admonestée par les huissiers. La presse rapporte l'événement, le trouve savoureux et apprécie particulièrement ce détail vestimentaire. Nous abordons là un autre aspect des handicaps des féministes françaises, qui ont intériorisé l'injonction d'être féminines et élégantes. La duchesse Edmée de La Rochefoucauld, présidente de l'Union nationale pour le vote des femmes, disait ainsi : « Nous ne voulons pas nous départir de la modestie, de la mesure qui sied à notre sexe ».

Les coups d'éclat sont rares. Hubertine Auclert brise les vitres d'une salle de vote, renverse une urne et est condamnée à une petite amende. Les féministes évitent toute provocation : elles cherchent avant tout à prouver qu'elles méritent le droit de vote. Louise Weiss estimera qu'il est plus efficace de s'inspirer des suffragettes en utilisant l'action dure et spectaculaire, à la manière des Anglaises, entre 1934 et 1936.

Les périodes électorales sont mises à profit depuis la fin du XIX ème siècle pour présenter des candidatures d'hommes et de femmes féministes aux élections locales. Ces candidatures obtiennent parfois des centaines de voix.

On peut certes penser que des méthodes plus radicales auraient eu plus d'effet. Mais ce serait négliger l'hétéronomie du féminisme, amené à se censurer au nom de causes telles que la défense de la patrie pendant la guerre, de la République ou de la démocratie.

C'est essentiellement par leurs congrès, leurs meetings, leurs journaux et leurs tracts que les suffragistes ont réussi à convaincre l'opinion. Leur cause est en effet populaire, dès la Belle Époque. Des votes sur le vote des femmes, qui ont une valeur de sondage en l'absence de sondages, le montrent.

3) Un argumentaire défaillant ?

Comment convaincre ? Les argumentaires suffragistes jouent sur plusieurs registres. Ils recherchent l'adhésion de fractions opposées dans l'opinion. Ils reflètent aussi la diversité politique et philosophique des militantes.

Deux logiques coexistent. L'une est inspirée par les principes de la Déclaration des Droits de l'Homme, ceux de l'universalité des droits et de l'égalité entre citoyens, quel que soit leur sexe. L'autre, la plus fréquente, justifie le droit de vote des femmes au nom de la spécificité féminine : les femmes doivent être représentées car elles ont une expérience et une sensibilité particulières. Leurs qualités - altruisme, douceur, dévouement... - enrichiraient la vie politique. Le programme que les féministes mettent en avant est essentiellement social : lutte contre l'alcoolisme, contre les taudis, contre la délinquance, contre les maladies vénériennes, contre la tuberculose, pour la protection de l'enfance. Il donne aussi à la défense de la paix une place majeure, estimant que les femmes, parce que mères, sont pacifistes par nature. Ce programme ressemble beaucoup à celui des associations d'anciens combattants, qui défendent eux aussi le vote des femmes comme un moyen de régénérer une vie politique corrompue 10 ( * ) .

Pour résumer ces deux types d'argumentations, on a, dans le premier cas, une justification du type : les femmes sont injustement privées d'un droit  et dans le deuxième cas : les femmes méritent de voter. Cette deuxième justification implique de prouver leur capacité. La propagande féministe y insiste beaucoup. Des cours de droit sont organisés pour les futures électrices ; surtout, des femmes célèbres, des héroïnes de guerre sont proposées en modèles, pour mieux souligner l'iniquité de leur exclusion politique. C'est une vieille stratégie. Marguerite Durand, directrice du quotidien féministe La Fronde , avait organisé un meeting où elle siégeait à la tribune à côté d'un homme un peu simplet, qui, lui, avait le droit de vote...

Les féministes soulignent enfin le retard incroyable que prend la France après la guerre. Les Anglaises obtiennent le droit de vote en mars 1918, les Allemandes et les Autrichiennes en 1919, les Américaines en 1920... Les féministes françaises disent notamment l'humiliation de voir les femmes des ex-pays ennemis devenir citoyennes avant elles.

En France, comme dans d'autres pays, le féminisme s'attaque au différentialisme qui conduit à l'exclusion des femmes de la sphère politique. Il observe la construction de la féminité à travers l'éducation, les préjugés, les limitations de tous ordres imposées aux femmes dans la vie sociale, la vie conjugale et domestique. Mais il ne remet pas en cause pour autant la définition naturaliste du genre : on naît femme.

Cette pensée véhicule toute une mystique du féminin : maternel, altruiste, pacifiste et valorise la complémentarité des sexes, l'équivalence remplaçant alors la notion d'égalité entre les sexes. Ce discours de la différence est bien plus facilement admis et entendu que le discours égalitaire, qui active la peur de la « masculinisation des femmes ».

Comme si le discours antiféministe avait été intériorisé, les féministes valorisent le féminisme « féminin » et « souriant ». Leur marge de manoeuvre est étroite. Tout en rassurant l'opinion sur leur respect des normes de genre, elles les transgressent sans cesse : parler en public, manifester dans la rue, coller des affiches...

Pour conclure, je dirais que la France a bien eu un mouvement suffragiste fort, diversifié, connecté aux organisations internationales, qui a su convaincre l'opinion publique mais pas le Sénat. Le moins que l'on puisse dire est que son rôle historique est peu reconnu. Il s'agit encore d'un autre combat, celui de la place des femmes dans la mémoire nationale et, plus particulièrement, de la place des féministes.

Les consultations réalisées en 2013 sur la panthéonisation ont mis en avant plusieurs féministes, au premier rang desquelles Olympe de Gouges. Les choix faits par le Président de la République repoussent à une date ultérieure cette reconnaissance, qui aurait pourtant eu toute sa place pour les soixante-dix ans de la citoyenneté des femmes.

Réjane Sénac

Merci, Christine Bard, pour cette intervention qui souligne à quel point les mouvements suffragistes et la force de leurs arguments ont pu être occultés dans l'interprétation des faits historiques.

Nous avons vu que ces mouvements pluriels ont porté deux arguments principaux. Le premier, que l'on peut qualifier de « républicanisme critique », consistait à placer la République en procès de cohérence et à avancer l'idée d'une égalité citoyenne qui n'exclurait pas la moitié de la population au nom d'arguments naturalistes mettant en évidence l'incompatibilité des femmes avec la citoyenneté. Le second soulevait l'idée d'une complémentarité entre les hommes et les femmes et vantait les mérites d'une accession des femmes à la citoyenneté, celles-ci pouvant apporter autre chose en politique tout en restant à la place que leur assignait leur « deuxième sexe ».

Je me tourne à présent vers Anne-Sarah Bouglé-Moalic, qui va nous éclairer sur la résonance de ces mouvements militants et de leurs arguments dans les débats parlementaires.

Anne-Sarah Bouglé-Moalic, historienne, prix spécial de l'Assemblée nationale en 2011 pour sa thèse Le vote des Françaises . Cent ans de débats, 1848-1944

CENT ANS DE DÉBATS PARLEMENTAIRES SUR LE VOTE DES FRANÇAISES

Je vous remercie. L'intervention de Christine Bard et la mienne sont en effet complémentaires.

Le chemin fut long entre l'accession des hommes et celle des femmes à la citoyenneté, ainsi que l'a rappelé le président Larcher au cours de son discours d'ouverture. Pendant ce long chemin, on constate un déphasage entre d'une part le mouvement militant, au départ très secret mais qui connut par la suite une forte résonance dans la société, et d'autre part le débat parlementaire.

Comme l'indiquait Christine Bard à l'instant, alors que la société était prête à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux femmes, les institutions parlementaires, en particulier le Sénat, ont bloqué cette évolution. Ainsi, en 1932 pouvions-nous lire dans Le Figaro , au sujet du droit de vote des femmes : « La question n'est pas mûre, elle est pourrie. »

En décembre 1922, quelques jours après le rejet par le Sénat du droit de vote des femmes, Adrienne Avril de Sainte-Croix, l'une des cheffes de file du mouvement suffragiste en France, invitée à s'exprimer sur ce sujet, s'entend demander pourquoi les militantes ne vont pas pousser les sénateurs dans les bassins du Jardin du Luxembourg pour les faire réfléchir. Très modérée, elle refuse cette méthode, « au moins jusqu'à la prochaine défaite du droit de vote des femmes », indique-t-elle au comité d'hommes qui l'interroge. Il se trouve que les suffragistes françaises n'ont jamais prôné la violence. Tout au plus, comme nous l'avons vu tout à l'heure, ont-elles lancé à leurs opposants des myosotis, voire des chaussettes. Pourtant, elles ont dû souffrir un certain nombre de défaites face au Parlement avant d'obtenir enfin le droit de vote et d'éligibilité au printemps 1944.

Le débat sur les droits politiques des femmes s'est imposé dans la société alors qu'il était occulté au Sénat. Dès lors, le « retard français », auquel il est régulièrement fait mention, était-il le fait de la société française ou de certaines institutions ? Là est toute la question.

Dans une première période assez étendue, la société française est tout à fait en phase avec les institutions. Si la question du suffrage des femmes a pu être évoquée dans la société dès la deuxième moitié du XIX ème siècle, ce n'est pas une revendication de la majorité. Pendant près d'un siècle, tous les Français votent, mais pas les Françaises. La question du vote des femmes suit l'évolution de la condition féminine dans la société. Cette question est donc utopique au XIX ème siècle et n'est présente dans les institutions qu'à de très rares occasions.

On la retrouve notamment lors de la Révolution de 1848 et de l'instauration de la II ème République. Au moment où le suffrage universel masculin est encore rejeté par les acteurs politiques, même les plus progressistes, il est clair que le suffrage universel féminin est alors loin d'être acquis. Il est revendiqué par quelques femmes, comme Eugénie Niboyet ou Jeanne Deroin, qui sera la première femme à se présenter à des élections législatives en France.

Quelques hommes également essaient par ailleurs de défendre l'idée d'un suffrage « réduit » des femmes, sans prétendre à une égalité politique. Victor Considérant, député socialiste, tente ainsi d'introduire la question du vote des femmes dans la Constitution de la II ème République.

Le 21 novembre 1851, soit quelques jours avant le coup d'état de Louis-Napoléon Bonaparte, le député socialiste Pierre Leroux défend devant l'Assemblée nationale une loi accordant aux femmes le droit de vote aux élections municipales. Les réactions de l'hémicycle, telles que consignées dans le compte rendu de séance, sont très instructives : « exclamations et rires », « hilarité », « hilarité générale », « rires bruyants et prolongés », « explosions de rires », « les rires couvrent la voix de l'orateur », « le Président invite à plusieurs reprises les représentants, tous groupés autour de la tribune, à reprendre leur place ». La fin du discours donne lieu à une « nouvelle et plus bruyante hilarité » et à des « bravos sur quelques bancs ». Bien entendu, le texte n'est pas voté par les députés de 1851. On ne peut même pas dire que l'Assemblée nationale ait été hostile au projet de Pierre Leroux : le fait est qu'elle ne l'a tout simplement pas pris au sérieux.

Si quelques femmes continuent de militer pour le droit de vote sous le Second Empire, notamment celles qui ne se sont pas exilées en Angleterre après le coup d'état de Napoléon Bonaparte, elles sont de plus en plus nombreuses dès les débuts de la III ème République, notamment sous l'impulsion d'Hubertine Auclert.

Hubertine Auclert comprend bien le rôle des parlementaires dans l'accession des femmes au droit de vote et organise donc plusieurs pétitions, qui seront déposées à la Chambre. Néanmoins, ces actions n'aboutissent pas. Dans les dernières années du XIX ème siècle, la question est peu relayée auprès du grand public et n'intéresse guère les parlementaires.

Avant 1906, seules deux interventions en séance publique portent sur l'accession des femmes aux droits politiques.

La première date de 1890, lorsque Joseph de Gasté 11 ( * ) réclame la parité à la Chambre des députés, celle-là même que des intervenants de la première table ronde de ce colloque appelaient encore aujourd'hui de leurs voeux. Puis en 1901, Jean-Fernand Gautret 12 ( * ) dépose une proposition de loi, aussitôt rejetée, sur le vote des femmes majeures, veuves, divorcées ou célibataires.

L'année 1906 marque la création de la section « suffrage des femmes » du Conseil national des femmes françaises. C'est aussi l'année où le droit de vote est reconnu aux femmes dans certains pays, tels que la Finlande nouvellement indépendante, où les femmes accèdent à ce droit en même temps que les hommes. Cette même année, Paul Dussaussoy 13 ( * ) , député du Pas-de-Calais de l'Action libérale (plutôt de centre-droit) dépose une proposition de loi en faveur du vote des femmes aux élections locales. Pour la première fois, une proposition de loi de cette nature est prise en considération. Elle est renvoyée pour examen à la commission du suffrage universel de la Chambre. Le rapporteur Ferdinand Buisson 14 ( * ) , militant féministe, rend son rapport en 1909.

La Première Guerre mondiale ralentit le processus mais ne ferme pas totalement le débat. Dès 1916, apparaissent de nouvelles propositions en faveur du droit de vote des femmes : celle de Maurice Barrès 15 ( * ) pour le vote des veuves et celle d'Henri Roulleaux-Dugage 16 ( * ) en faveur du vote des femmes cheffes de famille.

En octobre 1918, la proposition de Paul Dussaussoy, alors décédé, est reprise par le député Pierre-Etienne Flandin 17 ( * ) . Ce dernier présente, devant la commission du suffrage universel, une proposition restrictive qui ne concerne que le vote des femmes de plus de trente-et-un ans, sans éligibilité, pour les élections des conseils municipaux et généraux. En mai 1919, la Chambre des députés débat de ce texte pendant trois séances.

Trois groupes se dessinent alors à la Chambre. Le premier rassemble des « antisuffragistes rigoureux », qui mettent en avant une nature féminine incompatible avec la politique et arguent que la reconstruction du pays n'est pas le bon moment pour accorder le droit de vote aux femmes. Un deuxième groupe rassemble les partisans d'une solution médiane. Estimant que les compétences féminines pourraient être utiles à la société, ses partisans accepteraient d'accorder des droits partiels aux femmes : celles de plus de trente ans, sans éligibilité. Enfin, un troisième groupe rassemble un certain nombre de députés suffragistes sans compromis, pour qui les femmes doivent avoir les mêmes droits politiques que les hommes, puisque ces droits sont inhérents aux êtres humains.

À l'issue de ce débat, deux députés, Jean Bon 18 ( * ) et Louis Andrieux 19 ( * ) , déposent un amendement accordant l'égalité complète des droits politiques entre les hommes et les femmes. Ce texte, défendu par de grandes figures de la Chambre telles que René Viviani et Aristide Briand, est finalement adopté par 344 voix contre 97.

Certes, on peut affirmer qu'il s'agissait là pour les députés d'un moyen consistant à faire reposer sur le Sénat, réputé hostile au féminisme, le fardeau de la décision. Toutefois, il est à noter que non seulement l'écart de voix est indéniable, mais aussi que le vote a eu lieu à l'issue d'un véritable débat.

Le Sénat montre rapidement son souhait d'éviter la question du vote des femmes. Il attendra quatre ans avant d'inscrire ce texte à son ordre du jour et nommera dès 1919 un rapporteur antisuffragiste, Alexandre Bérard 20 ( * ) , qui rendra un rapport lapidaire. Il y souligne par exemple que « les mains des femmes sont faites pour être baisées », non pour déposer un bulletin de vote dans l'urne.

Le débat au Sénat occupe plusieurs séances. Les arguments sont relativement similaires à ceux exposés en 1919 à la Chambre des députés. Finalement, le 21 novembre 1922, par 136 voix pour et 150 voix contre, les sénateurs rejettent le passage à la discussion et laissent la Chambre des députés reprendre la main sur la question.

Le suffrage est un élément de clivage entre les chambres, les députés se voulant plus proches de la volonté du peuple et le Sénat se positionnant comme chambre de la stabilité et de la raison, indépendante de l'influence exercée par les émotions populaires.

À partir de 1922, la Chambre des députés cherche à entraîner le Sénat vers le vote des femmes, sans y parvenir. Les députés soumettent ainsi 29 propositions de loi, assez variées, et votent quatre propositions de résolution afin d'obliger le Sénat à étudier la question. Ainsi, la Chambre des députés se prononce en faveur du vote des femmes à quatre reprises : en 1925, 1927, 1935 et 1936. Le Sénat s'y oppose deux fois, en 1922 et en 1932.

Pourtant, la société française est prête à admettre le vote des femmes. Le nombre d'adhérents et de militants des associations suffragistes augmente et l'image de femmes qui votent investit par exemple ce qu'on appelle aujourd'hui la publicité.

L'évolution des mentalités à l'égard du vote des femmes peut s'analyser à travers deux moments de rupture.

Le premier est consécutif au débat de 1922, qui paraît terriblement injuste à un certain nombre de femmes et d'hommes et les motive à s'engager en faveur du suffragisme.

Le second suit la remise, par le sénateur Pierre Marraud 21 ( * ) , d'un rapport antisuffragiste, qui conduira le journal Le Temps , l'un des derniers journaux antisuffragistes de la presse nationale, à publier une enquête sur la question. Les nombreuses lettres et courriers de protestation que le journal recevra par la suite le pousseront, en 1928, à changer de position et à embrasser la cause suffragiste.

Le deuxième débat au Sénat se tient en 1932. Il marque la radicalisation des sénateurs : ceux qui étaient en faveur du droit de vote des femmes le sont encore davantage, ceux qui y étaient opposés continuent d'insister sur le danger que représenterait cette réforme pour la famille et la République. Ces sénateurs craignent finalement que l'ajout d'un grand nombre d'électeurs dont on ignore les affinités politiques ne vienne briser ce que les « pères fondateurs » de la République avaient créé à la fin du XIX ème siècle.

Le dénouement se joue en deux étapes.

Au mois de mars 1944, un débat est organisé à l'Assemblée consultative provisoire d'Alger. Sur une proposition d'amendement de Fernand Grenier 22 ( * ) , l'égalité politique entre les hommes et les femmes est obtenue.

Son application s'appuiera sur l'Ordonnance du 21 avril 1944 du Général de Gaulle, qui concerne l'organisation de la France à la Libération.

Il fallait en quelque sorte faire « table rase » du passé pour reconstruire la République en y intégrant les citoyennes. C'est donc à travers un court article de cette ordonnance, « Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes », que prend fin un débat de plus de cent ans. Cette disposition sonne comme une évidence, un peu perdue dans le vaste mouvement de la refonte des institutions, dans la Libération qui se profile et dans la République à reconstruire.

Réjane Sénac

Merci beaucoup, Anne-Sarah Bouglé-Moalic. Nous avons donc appris grâce à vous que le Sénat est la « Chambre de la raison » ! Il nous le démontre aujourd'hui à travers sa délégation aux droits des femmes et à travers l'initiative qu'il prend en accueillant cet événement ! L'institution sénatoriale est certainement mûre à présent pour que Chantal Jouanno en prenne la présidence et que Gérard Larcher assure celle de la délégation aux droits des femmes !

Je donne à présent la parole à Mariette Sineau, qui va nous éclairer sur la période qui a suivi l'obtention du droit de vote et d'éligibilité pour les femmes. A-t-on assisté à une chute de la République, comme le craignaient les antisuffragistes ? Le vote des femmes a-t-il été plus conservateur que celui des hommes ? Comment ce vote a-t-il évolué jusqu'à aujourd'hui ?

Mariette Sineau, directrice de recherche CNRS au CEVIPOF

LES FRANÇAISES AUX URNES, 1945-2015

Avant même que les femmes n'obtiennent le droit de vote, on a beaucoup spéculé, à droite comme à gauche, sur l'usage qu'elles feraient de ce droit, une fois autorisées à glisser un bulletin dans l'urne. D'ailleurs, sur cette question, les positions des partis politiques renvoyaient non à la reconnaissance d'un droit mais souvent à l'anticipation de comportements électoraux, qu'ils soient espérés ou redoutés.

Dès les débuts de la III ème République, le vote des femmes, supposé pencher vers la droite cléricale, constitue un enjeu capital entre la gauche républicaine et la droite royaliste. C'est la raison pour laquelle les radicaux au pouvoir s'opposent au suffrage féminin. Significative est, à cet égard, l'intervention du Sénateur Isidore Cuminal (Ardèche) au Congrès Radical de 1927 : « Si par malheur vous veniez à instituer le suffrage universel en faveur des femmes, même seulement en ce qui concerne la formation des conseils municipaux, vous pourriez dire adieu aux majorités républicaines de la plupart de vos départements 23 ( * ) ». À cela s'ajoute la peur du « débordement par le nombre », les femmes étant potentiellement majoritaires dans le corps électoral 24 ( * ) .

À la Libération, le contexte politique ayant changé, on spécule cette fois sur le rôle modérateur que pourraient avoir les femmes, enfin devenues électrices. De menace qu'elles étaient hier pour les institutions républicaines, elles sont perçues en 1945 - notamment par les partis et personnalités de droite - comme un rempart de protection contre un éventuel raz-de-marée communiste. Georges Bidault, leader du Mouvement républicain populaire (MRP), aurait confié à Charles d'Aragon (résistant et élu 25 ( * ) MRP) : « Avec les femmes, les évêques et le Saint-Esprit, nous aurons cent députés ». Ces spéculations sur le conservatisme des électrices reposent notamment sur leur surreprésentation parmi les seniors et parmi les catholiques pratiquants.

Quels que soient les calculs auxquels se sont livrés les partis sur l'orientation du vote féminin, on notera qu'à l'heure où l'Ordonnance accorde enfin aux Françaises leurs droits politiques, l'opinion est loin d'être totalement favorable à cette avancée juridique. En octobre 1944, selon un sondage IFOP, plus d'un tiers des hommes (34 %) et plus d'un quart des femmes se déclarent hostiles au vote des femmes.

« Des conservatrices 26 ( * ) »

L'observation scientifique tend-elle à confirmer les calculs et prévisions politiques ? En analysant les élections successives en France à partir des chiffres de sondage, on peut déceler un « effet genre », qui s'est d'abord soldé par un double constat :

Premièrement, les femmes nourrissent un peu plus que les hommes le camp des abstentionnistes, se montrant par ailleurs moins intéressées par la politique.

Deuxièmement, quand elles participent aux scrutins, elles tendent à voter un peu plus souvent en faveur des partis conservateurs et démocrates-chrétiens, affichant leur réticence à choisir les partis de gauche, socialiste et surtout communiste.

Sous la IV ème République, il s'établit ainsi une sorte de partage d'influence entre, à droite, le Mouvement républicain populaire (MRP) d'obédience chrétienne, qui a la faveur des femmes et à gauche, le Parti communiste, qui a celle des hommes. Ainsi, aux élections législatives du 10 novembre 1946, 31 % des femmes ont voté en faveur du MRP, contre moins de 22 % des hommes 27 ( * ) . Au contraire, seules 23 % d'entre elles contre 33 % des hommes ont voté pour le Parti communiste, selon un sondage IFOP.

Le changement de République va d'ailleurs rendre manifeste l'audience de Charles de Gaulle auprès des femmes. Dès 1958, et durant les dix années de sa présence à la tête de l'État, elles apportent un soutien appuyé aux partis qui s'en réclament (UNR en 1958, UDR après 1968). La popularité personnelle de Charles de Gaulle auprès des électrices éclate au grand jour lors de l'élection présidentielle de 1965, qui pour la première fois s'exerce au suffrage universel direct. Dans ce face-à-face personnalisé et médiatisé entre un peuple et son leader , l'homme de Colombey est, au second tour, quasi plébiscité par les femmes : 61 % d'entre elles se portent sur son nom, contre 49 % des hommes. Non seulement l'écart selon le genre est accusé (douze points), mais encore, le vote féminin fait la différence. En prenant une valeur marginale, il change la couleur du vainqueur.

François Mitterrand, le challenger malheureux et candidat unique de la gauche l'a déploré : sans les femmes, il aurait gagné l'Élysée dès 1965, puisque, dès cette date, il recueille une majorité absolue de voix masculines.

Ensuite, les femmes voteront davantage en faveur de Georges Pompidou, puis de Valéry Giscard d'Estaing. Leur réticence envers les communistes perdure assez longtemps : en 1969 par exemple, Jacques Duclos, candidat communiste à la présidentielle, ne recueille au premier tour que 15 % des suffrages féminins, contre plus d'un quart des suffrages masculins (26 %).

Glissement vers la gauche et résistance au Front National

Cependant, à partir du milieu des années 1970, l'orientation du vote des femmes amorce un long mouvement de bascule vers la gauche, tandis qu'elles tendent à participer autant que les hommes aux scrutins 28 ( * ) . Ce mouvement reflète la grande mue sociale des électrices lors des Trente Glorieuses (1945-1975). Des électrices qui sont de plus en plus diplômées du secondaire et du supérieur et qui font leur entrée en masse dans les emplois salariés du secteur tertiaire : or, ce sont deux facteurs de participation et d'orientation à gauche.

Dans le même temps, l'évolution du vote féminin réfléchit les valeurs propres aux générations issues du baby-boom . Le déclin de la pratique catholique chez les femmes nées après 1945 explique en partie le « réalignement » des électrices, sachant que vote de droite et intégration religieuse sont liés. Enfin, l'adhésion aux valeurs féministes contribue à expliquer le nouveau comportement électoral des femmes. À partir des années 1970, le féminisme a socialisé les générations de l'après-guerre à refuser l'ordre patriarcal ancien et à adhérer aux valeurs de gauche, même si les féministes des années MLF tiraient de leur origine gauchiste une certaine méfiance vis-à-vis des élections et du parlementarisme...

Cette dynamique a provoqué une sorte d'alignement du vote des femmes sur celui des hommes à partir du milieu des années 1980. C'en est fini de ce que l'on appelle le gender gap traditionnel, qui désigne les femmes comme des « conservatrices ». On passe désormais au gender gap moderne, par lequel les électrices votent aussi souvent, voire plus souvent que les électeurs, en faveur des partis de gauche et des Verts... Ainsi, à la présidentielle de 1988, 55 % des femmes ont voté pour François Mitterrand au second tour, contre 53 % des hommes. À la présidentielle de 2012, 52 % des femmes et 51 % des hommes ont voté pour François Hollande.

Si le genre n'est plus un déterminant de l'orientation gauche/droite du vote, ni de l'abstention 29 ( * ) , en revanche, il reste longtemps une variable prédictive du vote pour l'extrême droite, les femmes accordant moins souvent leur suffrage au Front National. Durant quelque vingt années (1988-2007) et quatre élections présidentielles, les femmes ont fait « rempart » au vote pour Jean-Marie Le Pen. Cela s'est d'ailleurs vérifié de façon spectaculaire à la présidentielle de 2002 : si seules les électrices avaient voté, Lionel Jospin aurait été qualifié pour le second tour et non Jean-Marie Le Pen. Seules 14 % d'entre elles ont alors voté pour ce dernier contre 20 % des hommes.

Deux types d'électrices se montraient alors particulièrement réticentes à accorder leur voix à l'extrême droite : d'une part, les jeunes femmes, diplômées, urbaines et actives, qui refusaient de voter pour un parti porteur d'un projet antiféministe et pour un leader laissant percer une violence à la fois verbale et physique ; d'autre part, les femmes âgées catholiques, rétives à rallier un parti s'écartant des valeurs d'universalisme prônées par la religion catholique.

Vers un nouveau cycle politique...

La présidentielle de 2012 a entamé un nouveau cycle, marqué par l'émergence d'un néo tripartisme. Marine Le Pen, qui a succédé à son père à la tête du Front National en 2011, a rallié alors autant ou presque autant de suffrages de la part des Français que des Françaises à la présidentielle de 2012, soit environ 18 % 30 ( * ) . Ce changement sociologique de la base électorale du Front National est à imputer bien sûr à la stratégie de dédiabolisation élaborée par Marine Le Pen, visant à donner une image honorable de l'extrême droite.

C'est également en jouant de son identité de femme que Marine Le Pen a convaincu une partie des Françaises. Au cours de son allocution d'Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), le 13 mars 2012, elle se pose en femme et surtout en mère (« Présidente de parti, femme, mère de trois enfants, je lutte... ») 31 ( * ) . Elle saura en particulier attirer à elle les voix des femmes en situation de précarité économique face à la crise 32 ( * ) . Elle réalise ses meilleurs scores parmi les non diplômées (29 %), les jeunes de 25-34 ans (près de 25 %), les ouvrières (29 %) et les femmes au foyer (29 %), selon le sondage CSA du 22 avril 2012.

Ainsi, le Front National a cessé d'être le parti le plus mal aimé des femmes, dans le temps même où il a remplacé un leader vieillissant aux accents souvent « machistes » par une présidente jeune et moderne, s'appropriant des thématiques de gauche comme la défense des services publics, des crèches et de la laïcité.

On voit donc que l'identité de genre des candidats peut constituer, dans un contexte de crise, un déterminant clé du vote des femmes.

En conclusion, j'indiquerai qu'il est toujours pertinent d'analyser le vote des femmes en liaison avec l'âge. Car parmi les jeunes, les femmes ont tendance à voter plus à gauche que les hommes, alors que parmi les seniors , les électrices, en surnombre dans l'électorat, sont plus conservatrices que les électeurs. C'est ce que les anglo-saxons nomment le gender generation gap .

L'échec de Ségolène Royal à la présidentielle de 2007 est en partie imputable à cet effet genre/génération. Très parlants sont à cet égard les résultats du second tour. Chez les jeunes de 18-24 ans, près de 70 % des femmes ont voté pour Ségolène Royal, soit douze points de plus que les hommes de cette catégorie d'âge. Chez les seniors au contraire, près de 70 % d'entre elles ont choisi Nicolas Sarkozy, soit sept points de plus que les hommes.

Tout se passe donc comme si, dans l'électorat féminin, l'effet genre et l'effet génération se renforçaient l'un l'autre dans les urnes. Plus les femmes vieillissent, plus elles ont de probabilité de voter à droite ; plus elles appartiennent à des générations âgées, plus elles ont de chance d'adhérer à des valeurs traditionnelles et catholiques.

Cependant, on peut parier qu'à l'avenir, le vieillissement ne sera pas forcément synonyme de conservatisme. L'appartenance aux générations âgées de femmes plus diplômées et moins catholiques pratiquantes que les générations précédentes n'ira plus forcément de pair avec l'adhésion à des valeurs traditionnelles 33 ( * ) .

Réjane Sénac

Merci beaucoup, Mariette Sineau. Vous nous avez démontré que les femmes électrices sont devenues des « électeurs comme les autres ». La différence de vote qui perdurait par rapport à l'extrême droite se résorbe en effet sous l'effet du tournant « social » du programme frontiste.

Je propose que nous ouvrions les échanges avec la salle, avant de donner la parole à Yvette Roudy, dont il faut répéter qu'elle a été la première ministre des Droits des femmes. Son engagement et son témoignage font le lien entre le thème du droit de vote et celui de l'éligibilité des femmes, à travers la problématique de la parité.

Catherine Albertini

À l'heure actuelle, le premier parti de France est l'abstention. Les hommes et les femmes ont lutté pour obtenir le droit de vote, mais aujourd'hui, la République se fissure puisque le droit de vote n'est plus exercé et n'est d'ailleurs considéré ni comme un droit, ni comme un devoir.

Réjane Sénac

J'aimerais citer sur ce point l'ancienne sénatrice Cécile Goldet, dont on connaît le combat pour le droit de vote et d'éligibilité, et qui, lorsqu'elle a reçu la délégation aux droits des femmes pour préparer sa participation à ce colloque, a tenu les propos suivants :

« Aujourd'hui, quand j'entends des gens qui disent : « Voter, pour quoi faire ? », j'ai envie de leur rentrer dedans ! Je n'admettrais pas qu'un de mes neuf petits-enfants ne vote pas. C'est un acte citoyen de base absolument essentiel. » Cette question se pose plus que jamais en cette journée anniversaire.

Mariette Sineau

Le climat politique a beaucoup évolué. Aujourd'hui, les politologues ont coutume de distinguer deux types d'abstention : d'une part, une abstention « aliénation », émanant de sujets peu politisés, indifférents à la politique ; d'autre part, une abstention politisée, émanant de personnes qui entendent ainsi protester contre une offre électorale qui ne les satisfait pas. Cette dernière forme d'abstention traduit un certain désabusement face au monde politique qui ne répond plus aux attentes des électeurs, tant en matière d'emploi que d'éducation par exemple.

Il est donc difficile de porter un jugement global sur l'abstention. Il faut aussi distinguer l'élection présidentielle, qui mobilise beaucoup les électeurs et les électrices, des élections « intermédiaires », locales ou européennes, qui déplacent beaucoup moins les foules...

Christine Bard

Je rappelle que le mouvement féministe comptait également, dès le XIX ème siècle, des tendances libertaires, certaines militantes ne croyant ni au pouvoir du bulletin de vote ni au parlementarisme pour transformer la société. Ces doutes s'expriment à nouveau après mai 1968. Le Mouvement de libération des femmes (MLF) compte même de nombreux abstentionnistes pendant une dizaine d'années après 1968 et ne pousse pas les femmes à voter. Il faudra attendre l'année 1981 pour que s'opère un bouleversement.

Chantal Jouanno

À entendre toutes ces présentations et ces réactions, je me pose une question. Il semble que l'argument relatif à la fragilité de la République fréquemment évoqué par des opposants au vote des femmes n'ait finalement été qu'un paravent. La vraie question était probablement, en fait, l'argument naturaliste fondé sur la différenciation entre les hommes et les femmes. Alors pourquoi ces arguments, si forts en France au point de freiner l'adoption du droit de vote des femmes, ne l'ont-ils pas été dans d'autres pays, notamment les pays anglo-saxons et les pays du Nord de l'Europe ?

Anne-Sarah Bouglé-Moalic

Je ne pense pas que cet argument n'ait été qu'un paravent. Les arguments contre le vote des femmes ne relevaient pas uniquement, à mon avis, de la question du genre, mais étaient également proprement politiques. C'est ce que je tente de démontrer dans ma thèse. Cette crainte de faire tomber la République, au contraire très ancrée dans les mentalités des hommes politiques, est bien, je pense, le facteur qui a empêché que le droit de vote des femmes en France soit adopté avant 1944.

Mais les arguments naturalistes étaient, eux aussi, très ancrés dans les convictions des opposants au vote des femmes. Nous les retrouvons également dans les débats tenus dans les autres pays à la fin du XIX ème siècle et au début du XX ème siècle.

Christine Bard

Le retard français dans l'accession des femmes aux droits politiques a des causes très diverses.

De manière générale, la façon de se représenter l'histoire de la France a toujours exclu les femmes. L'imaginaire républicain a, dès 1789, véhiculé l'idée d'une influence nocive des femmes de pouvoir dans le passé. L'imaginaire national républicain est ainsi malheureusement défavorable à la mixité. Il craint l'influence des femmes. La place que tient la séduction féminine dans l'imaginaire politique, pour ceux qui veulent limiter l'influence des femmes, est très importante et semble spécifique à la France.

Néanmoins, il convient de ne pas exagérer cette spécificité française. L'analyse des circonstances de l'obtention du droit de vote par les femmes dans les différents pays est très éclairante. Elle souligne ainsi que les premiers pays à accorder ce droit aux femmes sont aussi ceux dans lesquels les hommes restaient majoritaires dans le corps électoral.

Le temps écoulé entre l'obtention du droit de vote masculin et féminin est également intéressant à analyser. En France, cet écart a été extrêmement long. Il peut s'expliquer par le traumatisme qu'a représenté le premier exercice du suffrage universel masculin pour la gauche, qui a directement conduit à l'Empire. L'inquiétude quant à l'impact du suffrage universel pour la démocratie a perduré longtemps et s'est d'ailleurs réactivée dans la crise des années 1930.

Mariette Sineau

Nous pouvons à cet égard rappeler le bon mot de Georges Clemenceau à propos du vote des femmes : « Nous avons déjà le suffrage universel. Inutile d'aggraver une bêtise ».

Je perçois des raisons politiques et idéologiques du retard français. La Révolution a accordé aux femmes la citoyenneté civile en leur accordant par exemple, le divorce par consentement mutuel, mais leur a refusé la citoyenneté politique. Après ce mauvais départ, les républicains avaient beau jeu de se réclamer des grands ancêtres révolutionnaires pour continuer comme avant. Il est toujours difficile, lorsque l'on rate un train, de le rattraper ensuite.

Réjane Sénac

Ils l'ont raté, non pas par inadvertance mais de manière volontaire et justifiée. Le pays des droits de l'Homme a ainsi exclu la moitié de sa population à grand renfort théorique.

Monique Bouaziz, vice-présidente de l'Association des femmes de l'Europe méridionale (AFEM)

Je souhaite rappeler le nom de Marcelle Devaud, première femme vice-présidente du Sénat et fondatrice de l'Association des femmes de l'Europe méridionale (AFEM) et de l'Alliance internationale des femmes. Il me semble important de mentionner son action aujourd'hui.

Vous évoquiez l'abstentionnisme. Pour lutter contre ce phénomène, la meilleure solution serait selon moi de rendre le vote obligatoire, comme c'est le cas en Belgique.

Marie-Lourdie Chardavoine, Femme Avenir

Le vote étant secret, comment les statistiques genrées sur le vote sont-elles obtenues ?

Mariette Sineau

Elles sont obtenues par des enquêtes d'opinion. Ces enquêtes se sont largement développées en France après la Seconde Guerre mondiale. Les sondages ne sont pas véritablement des outils de prédiction des résultats électoraux, mais ils restent très utiles pour étudier les structures de l'électorat, c'est-à-dire pour observer le vote selon le sexe, l'âge, la profession...

A la même période, quelques communes, me semble-t-il, telles que Vienne, Grenoble, Belfort, ont par ailleurs expérimenté les urnes séparées, ce qui a permis aux politologues de réaliser des monographies locales et d'étudier les différences de comportement entre hommes et femmes. Ces études ont révélé une légère tendance des femmes à voter en faveur des partis de droite et des démocrates-chrétiens, qui faisaient florès dans la France d'après la Seconde Guerre mondiale.

Christine Bard

Je tiens à rappeler que la France était encore un empire colonial au moment où les Françaises ont obtenu le droit de vote et d'éligibilité. Les « Musulmanes » en Algérie, tel qu'on les appelait à l'époque, n'ont obtenu le droit de vote qu'en 1958. Le décalage de droits entre les hommes et les femmes a donc perduré après 1944.

Réjane Sénac

Les femmes n'étaient pas les uniques exclues de la République à l'époque. Les « Indigènes » l'étaient également, dans une logique coloniale. Vous avez raison, c'est important de le rappeler. La France n'est devenue cohérente et réellement démocratique qu'avec l'obtention du droit de vote pour les femmes mais aussi pour ces racialisé.e.s qu'étaient les habitantes et habitants des colonies.

Merci pour vos riches interventions.

Nous allons maintenant entendre avec beaucoup d'intérêt Yvette Roudy, que j'invite à nous rejoindre à la tribune, sur le sujet « La parité, un combat inachevé ».


* 7 Cf. Réjane Sénac, L'égalité sous conditions. Genre, parité, diversité , Paris, Presses de Sciences Po, 2015.

* 8 La ligne des électeurs pour le suffrage des femmes s'honore de la présence d'un ancien ministre, René Viviani (note de Christine Bard).

* 9 Le terme suffragiste est sans jugement de valeur, contrairement à suffragette, dont on se sert pour évoquer les Anglaises, le plus souvent pour s'en moquer (note de Christine Bard).

* 10 Nous pouvons noter des points communs entre les argumentaires de l'entre-deux-guerres et les argumentaires en faveur de la parité à la fin du siècle (note de Christine Bard).

* 11 (1811-1893), député du Finistère, élu sur un programme comportant le soutien à l'égalité entre hommes et femmes. A Paris, il soutient les candidatures féministes.

* 12 (1862-1912), député de la Vendée.

* 13 (1860-1909).

* 14 (1841-1932), député de la Seine, président de la Ligue de l'enseignement et de la Ligue des droits de l'Homme, prix Nobel de la paix.

* 15 (1862-1923, élu député en 1889 puis en 1906 ; il siège à la Chambre jusqu'à 1923.

* 16 (1879-1932), député de 1910 à 1930.

* 17 (1889-1958), député de l'Yonne de 1914 à 1940, président du conseil en 1934-1935.

* 18 (1872-1944), député SFIO de la Seine de 1914 à 1919.

* 19 (1840-1931), élu député du Rhône en 1876 et député des Basses Alpes en 1885 puis en 1910 et jusqu'en 1924.

* 20 (1859-1923), sénateur de l'Ain (Gauche démocratique) de 1908 à sa mort.

* 21 (1861-1958), sénateur du Lot-et-Garonne (Gauche démocratique) de 1920 à 1933.

* 22 (1901-1992), élu député (communiste) en 1937 puis en 1945 et jusqu'en 1968 ; membre de l'Assemblée consultative provisoire d'Alger puis de l'Assemblée constituante.

* 23 Cité par Jean Touchard, La Gauche en France puis 1900, Paris, Le Seuil (« Points », Histoire), 1977, p. 113. (Les notes sont de Mariette Sineau).

* 24 Cet argument est avancé en mars 1944 par le radical Paul Giacobbi, membre de l'Assemblée consultative d'Alger. Celui-ci y déclare : « Il est établi qu'en temps normal les femmes sont déjà plus nombreuses que les hommes. Que sera-ce à un moment où les prisonniers et les déportés ne seront pas encore rentrés. Quels que soient les mérites des femmes, est-il bien indiqué de remplacer le suffrage masculin par le suffrage féminin ? ». Cf l'intervention de Claire Andrieu lors du colloque « Femmes résistantes » organisé au Sénat le 27 mai 2014 dans le cadre de la première commémoration de la Journée nationale de la Résistance. En mars 2011, on compte 52,6 % d'électrices parmi les 43,2 millions d'électeurs inscrits sur les listes, soit un excédent de plus de deux millions de voix.

* 25 Charles d'Aragon est député des 1 ère et 2 ème Assemblées constituantes, puis de la Chambre des députés de 1946 à 1951.

* 26 Suivant le titre d'un article de Maurice Duverger, Nef , n°26 (38), octobre-décembre 1969, pages 22-24.

* 27 Les prévisions optimistes de Georges Bidault se trouvent vérifiées et au-delà : dans la chambre nouvellement élue, le groupe MRP a 158 députés !

* 28 Lors des municipales de 1977, une étude portant sur le dépouillement de listes d'émargement dans des bureaux de vote parisiens montre que le taux d'abstention des femmes comme celui des hommes se situe autour de 30 %. Cf Janine Mossuz-Lavau et Mariette Sineau, « Sociologie de l'abstention dans huit bureaux de vote parisiens », Revue française de science politique 28 (1), février 1978, pages 73-101. Notons que les sondages sont de médiocres outils pour analyser l'abstention, les interviewés ayant du mal à « avouer » qu'ils ne se sont pas rendus aux urnes. En effet, tant dans la culture catholique que républicaine, le vote est considéré comme un droit mais aussi comme un devoir.

* 29 Aujourd'hui, la différence de participation électorale entre femmes et hommes est faible et dépend surtout de l'âge. Avant 40 ans, les femmes votent plus souvent que les hommes ; entre 40 et 80 ans, il n'y a plus de différence ; après 80 ans, les femmes votent moins souvent que les hommes. Le genre influe en revanche sur le taux d'inscription sur les listes électorales (les femmes étant plus souvent inscrites que les hommes, notamment parmi les jeunes). Cf . Xavier Niel et Liliane Lincot, « L'inscription et la participation électorales en 2012 », INSEE Première , n° 1411, septembre 2012, page 1.

* 30 D'après le sondage CSA/Terrafemina réalisé en ligne le jour du vote, le 22 avril 2012, auprès de 5 969 personnes, 18 % des hommes et 18 % des femmes ont voté en faveur de Marine Le Pen ( www.csa.eu ). D'autres sondages laissent voir la persistance d'un écart de faible amplitude sur le vote Marine Le Pen à la présidentielle 2012, mais tous convergent pour constater que le niveau du vote féminin pour la candidate du Front se situe à un niveau élevé. Ajoutons que, lorsqu'on contrôle le vote Marine Le Pen, suivant l'âge, suivant le diplôme ou suivant la pratique religieuse, alors s'efface toute différence selon le genre.

* 31 Dans ce discours, elle annonce qu' « après un long combat », elle a enfin obtenu les cinq cents signatures de « parrains » nécessaires au dépôt de sa candidature à la présidentielle.

* 32 L'enquête de Céline Braconnier et Nona Mayer montre que la sympathie pour Marine Le Pen augmente avec le niveau de précarité ( Les inaudibles. Sociologie politique des précaires , Presses de Sciences Po, 2015).

* 33 Références bibliographiques indiquées par Mariette Sineau :

Janine Mossuz-Lavau et Mariette Sineau, Enquête sur les femmes et la politique en France , Paris, PUF, 1983 .

Réjane Sénac, Maxime Parodi, « Gender gap à la française : recomposition ou dépassement ? », Revue française de science politique , « Élections 2012 », 63 (2), avril 2013, pp. 225-248.

Mariette Sineau, « Effets de genre, effets de génération ? Le vote hommes/femmes à l'élection présidentielle de 2007 », Revue française de science politique , 57 (3), 2007, p. 351-367.

Mariette Sineau, La force du nombre. Femmes et Démocratie présidentielle , La Tour d'Aigues, L'Aube, 2008.

Mariette Sineau, « Vote/comportements politiques », in Catherine Achin et Laure Bereni (dir.), Dictionnaire Genre et Politique : concepts, objets, problèmes , Paris, Presses de Sciences Po, 2013.

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