Table Ronde 2

Politiques publiques à mettre en oeuvre pour préserver et mettre en valeur les biodiversités ultramarines

Marc Del Grande, Sous-directeur des politiques publiques à la Direction générale des outre-mer (DGOM)
1. La biodiversité des outre-mer : un patrimoine naturel d'une richesse exceptionnelle

La biodiversité en outre-mer est exceptionnelle de par son importance patrimoniale (80 % environ de la biodiversité française), de par son étendue planétaire (régions biogéographiques terrestres et marines situées dans les trois océans de la planète, en zones tropicale et équatoriale, australes, arctiques et antarctiques, souvent dans des points chauds de la biodiversité mondiale 2 ( * ) ) et de par son niveau élevé d'endémisme (plus de 13 000 espèces endémiques recensées, soit plus que dans tout le continent européen 3 ( * ) ).

En matière de milieux forestiers, la France est un des rares États au monde à disposer d'un des 15 derniers grands massifs de forêt primaire équatoriale encore largement préservés en Guyane et non encore fragmentés par les activités humaines. Les massifs forestiers en Nouvelle-Calédonie et à La Réunion ont fortement régressé. Leur richesse biologique impose un effort important pour leur préservation.

Le milieu marin associé à ces collectivités s'étend sur 11 millions de kilomètres carrés, soit la 2 ème zone économique exclusive dans le monde, et présente une richesse biologique exceptionnelle avec notamment 57 000 km 2 , soit 10 % environ de la totalité des récifs coralliens de la planète (4 ème rang mondial) sur un linéaire de plus de 5 000 km intégrant :

- la seconde plus grande barrière récifale au monde en Nouvelle-Calédonie et l'une des très rares doubles barrières à Mayotte,

- 20 % des atolls de la planète en Polynésie française.

Il faut y ajouter la richesse des écosystèmes associés, en particulier les mangroves et les herbiers.

Un dernier chiffre : les récifs et écosystèmes associés concentrent 25 à 30 % de toute la biodiversité marine.

Cette biodiversité exceptionnelle fait de la France un des pays au monde les plus riches en matière de diversité biologique et lui confère une responsabilité particulière à l'échelle planétaire en matière de préservation et de gestion durable de cette biodiversité.

Un grand nombre de ces milieux terrestres et marins demeurent encore très mal connus, tant au niveau des espèces que de leur fonctionnement en écosystèmes, alors qu'on estime qu'il y a eu 60 fois plus d'extinctions d'espèces dans ces collectivités qu'en métropole au cours des 4 derniers siècles.

Ce patrimoine naturel d'une très grande fragilité est menacé, alors qu'il constitue un capital essentiel pour le développement durable de ces collectivités.

Les menaces qui pèsent sur lui sont d'abord d'origine anthropique, à savoir le développement de l'urbanisation, l'intensification de l`agriculture, l'exploitation minière et forestière, la construction d'infrastructures, les aménagements touristiques, les pollutions induites, l'invasion d'espèces, mais aussi le changement climatique.

Le mécanisme est accentué par l'extrême dépendance entre elles des espèces constitutives des écosystèmes ultra-marins, celles-ci ayant développé de façon autonome et autarcique leur vie commune au cours des siècles, d'où une hyper-sensibilité, avec effet domino, de ces milieux naturels.

Le changement climatique commence à influer sur la biodiversité d'outre-mer par l'élévation attendue du niveau de la mer dans les zones littorales et par l'augmentation des phénomènes climatiques extrêmes (cyclones, mouvements de terrains associés, tsunami, etc.).

Les savoirs traditionnels enfin ont été peu pris en compte. Une meilleure association des autorités et communautés traditionnelles, là où elles existent, doit être envisagée pour intégrer aux savoirs scientifiques et économiques modernes une approche pragmatique traditionnelle des milieux naturels, et répondre ainsi en particulier aux exigences de la Convention internationale sur la diversité biologique.

2. La biodiversité des outre-mer : un atout économique favorable à l'atténuation des effets du réchauffement climatique et à la séquestration du carbone

Un travail d'évaluation de la valeur économique des services rendus par la biodiversité dans les outre-mer d'ici 2020 a été annoncé par la France lors de la conférence de la Guadeloupe d'octobre 2014 sur le thème de la biodiversité et du changement climatique. Ce travail a été initié dans le cadre de l'IFRECOR depuis 2011 sur l'évaluation des services rendus par les écosystèmes coralliens et associés (mangroves, herbiers). Il donnera lieu à la publication, début 2016, d'un ouvrage présentant cette évaluation socio-économique des services rendus dans l'ensemble des outre-mer.

Les premiers résultats de cette évaluation :

Martinique : 169 millions d'euros annuels, dont 28 pour la pêche, 67 pour le tourisme et les loisirs, 66 pour la protection côtière et 8 pour la séquestration du carbone. La contribution des écosystèmes coralliens à l'économie locale est équivalente à celle du secteur agro-alimentaire. En Martinique, les récifs et écosystèmes côtiers protègent naturellement de l'érosion littorale 42 km de route et plus de 10 000 logements.

Guadeloupe : 114 millions d'euros annuels dont 25 pour la pêche, 62 pour le tourisme et les loisirs, 17 pour la protection côtière et 10 pour la séquestration du carbone. Deux tiers des poissons frais consommés en Guadeloupe proviennent de la pêche côtière locale. L'aéroport de Pointe-à-Pitre est directement protégé par les récifs et mangroves du Grand Cul de Sac. Chaque année, les mangroves et herbiers de Guadeloupe séquestrent jusqu'à 205 000 tonnes de CO 2 .

Nouvelle Calédonie : 200 à 320 millions d'euros annuels dont 67 % pour la protection du littoral (de 155 à 220 millions d'euros par an), 22 % pour la pêche (de 50 à 70 millions d'euros par an) et 9 % pour le tourisme et loisirs (de 24 à 28 millions d'euros par an). La contribution des écosystèmes coralliens au PIB de Nouvelle-Calédonie est de 100 millions d'euros contre 600 millions d'euros pour le secteur minier. Le récif protège naturellement plus de 11 200 logements, le tourisme lié au récif génère jusqu'à 1 650 emplois directs.

Mayotte : 19 à 37 millions d'euros annuels. Au total, ce sont environ 600 sociétés, 900 emplois et plus de 50 000 personnes qui dépendent à différents degrés des services éco-systémiques des récifs coralliens et écosystèmes associés de Mayotte. Les principaux services en termes économiques sont, en estimation minimale, la protection contre les inondations côtières (11 millions d'euros par an), la production de biomasse (commerciale et d'autoconsommation pour 9 millions d'euros par an) suivie du service d'attributs pour le tourisme « bleu » (6 millions d'euros par an). Le service de séquestration du carbone par les mangroves et herbiers complète ces bénéfices (2 millions d'euros par an).

Globalement les océans jouent un rôle primordial dans l'absorption du carbone rejeté, bien supérieur à celui de l'atmosphère et des forêts. 30 % du CO 2 rejeté est absorbé par les océans, haute mer et littoral côtier. Sur le littoral, les mangroves et herbiers jouent un rôle essentiel pour la séquestration de carbone.

Cette fonctionnalité de puits de carbone a ses limites, en provoquant l'acidification des eaux de mer et notamment la fragilisation des coraux.

Plus l'acidification augmente, plus la capacité d'absorption du CO 2 par les océans diminue, réduisant d'autant son rôle en matière d'atténuation du changement climatique.

Le CO 2 dans l'atmosphère contribue à l'élévation de température : 90 % de la chaleur ajoutée au niveau planétaire depuis 1960 se retrouve dans l'océan, entraînant une diminution de la teneur en oxygène et le blanchissement des coraux sur les littoraux.

Le rôle des océans dans le processus du changement climatique, encore très mal connu y compris dans ses conséquences futures, doit tenir une place plus importante dans les discussions et travaux en cours sur le changement climatique au niveau international comme la future COP 21, mais aussi dans les politiques à mener au niveau local dans les outre-mer pour minimiser les facteurs de stress locaux.

3. Les politiques publiques en faveur de la biodiversité des outre-mer valorisant leurs potentialités économiques en liaison avec l'atténuation des effets du réchauffement climatique

Différents outils et vecteurs de prise en compte des impératifs de préservation et de mise en valeur des biodiversités ultramarines ont été ou sont mis en place :

• Dans chaque territoire, un réseau d'espaces protégés visant à assurer la conservation patrimoniale et la préservation durables des services éco-systémiques rendus par la biodiversité, associant initiatives de l'État et des collectivités.

Les outre-mer sont les territoires français, proportionnellement à leur superficie, les plus largement couverts en aires protégées :

- création de 3 parcs nationaux, à La Réunion, en Guyane (le plus grand d'Europe), et en Guadeloupe, ce dernier faisant l'objet d'une extension, y compris en mer ; les parcs naturels régionaux de Martinique et de Guyane ; création des parcs naturels marins contigus de Mayotte et des Glorieuses (Îles Éparses, TAAF). Une superficie totale de 100 000 km 2 ;

- des réserves naturelles nationales, comme le réseau de réserves naturelles en Guyane, les réserves naturelles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, la réserve naturelle marine de La Réunion ou bien encore celle des îles subantarctiques des TAAF (22 000 km 2 dont 15 000 en mer, la plus grande réserve nationale française dont le projet de loi biodiversité permet d'envisager l'extension en ZEE) ;

- mise en place par la Nouvelle-Calédonie de la plus grande aire marine protégée française `Mer de Corail' sur la totalité de ses eaux territoriales et en ZEE, soit plus de 1,1 million de km 2 , s'insérant dans un projet international plus vaste de coopération, en particulier avec l'Australie (Grande Barrière) ;

- projet de grandes aires marines en Polynésie française, autour des Marquises et des Tuamotu.

Certaines aires protégées font l'objet d'une reconnaissance internationale via les inscriptions de l'UNESCO au Patrimoine mondial (lagons de Nouvelle-Calédonie, Hauts de La Réunion ; projet aux Marquises) et au Programme Homme et Biosphère (Guadeloupe ; Fakarava en Polynésie) et de multiples sites sur la liste RAMSAR (zones humides d'importance internationale).

• La politique de recherche :

- création d'un ERA-NET Biome dédié à l'outre-mer européen avec l'appui financier de l'Agence nationale de la recherche (ANR) ;

- adoption d'une stratégie spécifique à l'outre-mer (STRATOM) 2011-2020 pour le développement de l'enseignement supérieur et de la recherche, avec un volet sur la biodiversité ;

- pérennisation de l'appel annuel à projets recherche du ministère des outre-mer, centré en 2015 sur la thématique du changement climatique.

• L' adaptation aux outre-mer du dispositif trame verte et bleue et leur insertion, désormais, dans les schémas d'aménagement régionaux (SAR) des départements d'outre-mer (DOM) avec un volet spécifique dédié, en lien avec les politiques de création et d'évolution d'aires protégées. L'intégration des questions d'érosion côtière et de changement climatique dans le volet schéma de mise en valeur de la mer (SMVM) est engagée.

• L'IFRECOR :

Affiliée à l'Initiative internationale pour les récifs coralliens (ICRI) dont la France fut un des membres fondateurs, l'Initiative française pour les récifs coralliens (IFRECOR), seul réseau d'action existant dans tous les outre-mer français, dont les travaux ont été reconnus à l'échelle internationale (notamment par le World future council rassemblant des organisations internationales comme la Convention sur la diversité biologique, le Fonds pour l'environnement mondial et la FAO), participe à l'action de l'ICRI ou vient enrichir et alimenter en précurseur ses réflexions.

Le programme d'action en cours 2011-2015 a permis de travailler sur :

- la connaissance avec 22 850 espèces récifales désormais répertoriées contre 1000 en 2008 ; l'initialisation d'un travail de typologie partagée des habitats ; la mise en place d'un réseau d'observatoires de suivi de l'état de santé des récifs et écosystèmes associés et la mise en commun des informations recueillies sur une base de données partagée ;

- l'évaluation des services éco-systémiques rendus ;

- le changement climatique avec le développement principalement de deux outils innovants : la création d'observatoires de suivi des effets du changement climatique sur les récifs coralliens avec mise en réseau permettant le recueil, la mise en commun et l'analyse des données sur une base commune portée par l'Université de la Nouvelle-Calédonie et l'élaboration d'un guide méthodologique à destination des décideurs locaux sur la prise en compte du changement climatique dans les politiques et projets d'aménagements côtiers ultra-marins (publication en français et en anglais pour la COP 21) ; la mise en place du concours de la Palme IFRECOR à destination des élus locaux et axée depuis 2014 sur des projets en lien avec le changement climatique.

Ces thématiques seront poursuivies et développées dans le cadre de la phase 2016-2020 (programme en cours de construction avec la mise en place de 14 groupes de travail associant experts locaux, nationaux et internationaux, sachant que la volonté est d'avoir des sites expérimentaux dans les outre-mer pour chaque thématique). Le changement climatique est en soi une des thématiques retenues et constituera par ailleurs un fil rouge transversal à toutes les thématiques.

• Le travail sur la valorisation économique de la biodiversité : outre l'évaluation de la valeur économique des services éco-systémiques rendus (en cours sur les récifs dans le cadre de l'IRECOR), le développement de filières de valorisation des ressources naturelles et de l'éco-innovation (grappe d'entreprises Tahiti Fa'ahotu en Polynésie, déchets agricoles en Martinique, etc.)

• La signature en juin 2013 d'un nouvel accord-cadre 2013-2016 de Partenariat entre l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et la France intégrant un volet spécifique sur les outre-mer, océans et îles et l'organisation, dans ce cadre, de la Conférence internationale sur biodiversité et changement climatique dans les outre-mer européens (22 au 25 octobre 2014 en Guadeloupe).

Organisée en partenariat avec le secrétariat de la Convention sur la diversité biologique, la Commission de l'Union européenne et l'Union internationale pour la nature, les outre-mer européens, de nombreux États insulaires de la Caraïbe mais aussi des océans Indien et Pacifique au titre des Petits États insulaires, la conférence a réuni quelque 250 participants. Différents ministres dont, pour la France, les ministres en charge des outre-mer et de l'écologie, ainsi que Brice Lalonde, représentant du Président de la République, y ont été présents.

À son issue, a été adopté le « Message de la Guadeloupe » intégrant des orientations stratégiques, avec une première déclinaison opérationnelle d'actions sur la période 2015-2020.

La France a présenté, sur la base de ce document, une première série d'engagements intégrant la mise à disposition de l'observatoire du changement climatique dans le cadre des outre-mer européens et, au niveau régional, la mise à disposition du guide d'aménagement des zones littorales dans les collectivités d'outre-mer, la généralisation de l'évaluation des services éco-systémiques rendus par les ressources naturelles ultramarines, la cartographie régulière des habitats forestiers ultramarins, la mobilisation de la communauté scientifique sur l'acidification des océans et ses conséquences, la mise en place d'un dispositif législatif pour l'accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles (APA), la finalisation du recensement des espèces de la liste rouge UICN et la constitution d'un répertoire des espèces menacées dans les outre-mer, un objectif de protection de 35 000 ha de mangroves d'ici fin 2015, un objectif chiffré ambitieux de protection des récifs coralliens (75 % désormais et dont l'IFRECOR est en charge pour l'atteindre d'ici fin 2020) avec l'appui d'un mécanisme de financement européen s'inspirant du fonds BEST.

Des groupes de suivi sont en cours de constitution au niveau européen pour assurer le suivi et l'animation de la mise en oeuvre du Message de la Guadeloupe au niveau européen dans le cadre de ce volet océans, outre-mer et îles du Partenariat France-UICN.

La diffusion de l'outre-mer dans la stratégie nationale de la biodiversité 2011-2020, avec un accent particulier sur l'amélioration des connaissances et la valorisation des savoirs traditionnels, la lutte contre les espèces exotiques envahissantes, la protection des espèces menacées et de leurs habitats naturels, la valorisation économique de la biodiversité par l'innovation et la recherche et un objectif dédié « faire de la biodiversité un moteur de développement économique et de coopération régionale en outre-mer ».

• La mise en oeuvre en outre-mer des feuilles de route issues des conférences environnementales de 2013 et 2014 :

- expérimentation en cours de démarrage en Guyane et en Polynésie concernant l'élaboration par les territoires volontaires de plans d'action priorisés pour le rétablissement du bon fonctionnement des écosystèmes marins et littoraux ;

- poursuite de la mise en oeuvre de la stratégie des aires marines protégées : avec 16 % aujourd'hui, l'objectif du Grenelle de 20 % des eaux sous juridiction nationale en 2020 sera atteint grâce aux outre-mer ;

- intégration des outre-mer dans la mise en oeuvre de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte et expérimentation volontaire de relocalisation en cours sur Petit Bourg en Guadeloupe.

4. Le projet de loi pour la biodiversité
a) Les avancées sur les questions de gouvernance

Le projet de loi simplifie les instances administratives en distinguant les instances d'expertise technique et les instances de débat.

Le Conseil national de la biodiversité (CNB) constituera une instance sociétale de concertation, présidée par le ministre chargé de la nature et fonctionnant en assemblée plénière et en commissions spécialisées traitant de thèmes particuliers. Il aura un rôle de conseil auprès du Gouvernement qui pourra le saisir sur tout sujet relatif à la biodiversité. Il contribuera par ses avis et propositions à la coordination des actions publiques dans les territoires.

Il émettra un avis sur :

- les projets de loi, d'ordonnance et de décrets concernant la gestion et la préservation durables de la biodiversité continentale et marine,

- les projets de texte, documents de stratégie nationale, documents nationaux de planification ou projets relevant du niveau national traitant expressément de biodiversité, en particulier des continuités écologiques, ou étant susceptibles d'avoir un effet notable sur celles-ci,

- les conditions d'exercice de la chasse et la gestion des équilibres cynégétiques.

Le CNB aura pour mission de réviser et de suivre la mise en oeuvre de la stratégie nationale pour la biodiversité et pourra formuler des recommandations au Conseil national de la transition écologique et au Conseil national de la mer et des littoraux en ce qui concerne la biodiversité continentale et marine.

L'article 5 du projet de loi prévoit une représentation équilibrée des outre-mer dans sa composition ainsi qu'une représentation significative des spécialistes de la biodiversité.

À l'échelon régional, il est proposé de créer dans les régions d'outre-mer des comités régionaux de la biodiversité. Après la première lecture à l'Assemblée nationale, l'article 7 prévoit une mutualisation de cette instance avec le comité de bassin compte tenu de l'identité de périmètre entre le bassin versant et les limites administrative de chaque région.

Le nouveau Conseil national de protection de la nature (CNPN) constituera une instance scientifique et technique rendant des avis au ministre chargé de la protection de la nature.

Composé de deux catégories de membres (les membres de droit, uniquement issus des établissements publics à caractère scientifique et technique comme l'INRA ou l'IRSTEA, et les membres ès qualité, nommés à titre personnel sur la base de leur compétence scientifique ou de leur expertise technique), le CNPN apportera au ministre, par ses avis, une expertise sur les moyens propres à la connaissance, la gestion, la préservation et la restauration durables de la biodiversité continentale et marine, la protection des espaces naturels, le maintien des équilibres biologiques et des services éco-systémiques, la remise en bon état des continuités écologiques.

b) Les enjeux autour de la création de l'Agence Française pour la biodiversité (AFB)

L'organisation institutionnelle actuelle des opérateurs de l'État dans les secteurs de la biodiversité et de l'eau et des milieux aquatiques est le résultat des initiatives prises au fil du temps par les autorités publiques. Celle-ci est caractérisée par une certaine complexité et la dispersion des moyens.

Le Gouvernement a donc prévu de créer une Agence française pour la biodiversité (AFB). L'État disposera ainsi avec l'ADEME de deux grands établissements pour mener sa politique de transition écologique et énergétique, présents sur tout le territoire.

Les missions de l'Agence porteront sur :

- la formation, l'éducation et la sensibilisation ;

- le dialogue avec les instituts publics de recherche ;

- la collecte et la mise à disposition de connaissances ;

- l'appui technique aux gestionnaires et la coordination des acteurs ;

- un rôle limité de police de la nature ;

- l'appui technique aux actions internationales de l'État.

L'Agence regroupera l'Agence des aires marines protégées (AAMP), l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), Parcs nationaux de France (PNF), le GIP ATEN (opérateur de formation) et les opérateurs chargés de la collecte et de la mise à disposition des connaissances, comme la fédération des conservatoires botaniques.

L'organisation interne s'appuiera sur :

- des directions de coordination (communication, formation, bases de données, prospective et évaluation) ;

- des directions opérationnelles chargées de compétences constitutives de l'agence (milieux marins, milieux aquatiques d'eau douce, milieux terrestres).

L'Agence disposera alors d'environ 1 200 ETP comprenant :

- les personnels contractuels des établissements publics regroupés en son sein (AAMP, PNF, ONEMA) ;

- les personnels fonctionnaires mis à disposition de ces établissements ;

- tout ou partie des personnels rémunérés actuellement par des subventions versées par le MEDDE.

Le budget de l'Agence sera de l'ordre de 190 à 200 millions d'euros.

L'Agence disposera d'un conseil d'administration ainsi que d'un conseil scientifique et technique. Le projet de loi sur la biodiversité précise que la composition du conseil d'administration « concourt à une représentation équilibrée des enjeux liés à la biodiversité, en particulier ultramarine ».

Les débats à l'Assemblée nationale ont permis d'ajouter 5 représentants ultramarins dans le conseil d'administration de l'agence, un par bassin éco-systémique (Antilles, Guyane, Saint-Pierre-et-Miquelon, océan Indien, océan Pacifique).

Pour que l'Agence joue un rôle important sur les terres ultramarines, il convient que son conseil d'administration soit sensible aux enjeux de ces territoires mais aussi que son administration soit organisée pour y répondre sans être entièrement absorbée par les problématiques métropolitaines. Il conviendra donc d'être vigilant pour que son organigramme comprenne des effectifs, y compris au niveau du siège, permettant de suivre les problématiques ultramarines.

Les outre-mer réalisent des performances inférieures aux autres outre-mer européens pour la mobilisation des financements européens et internationaux sur la biodiversité. La création de l'AFB doit permettre d'accroître ces performances en accompagnant les porteurs de projet pour la recherche de financements européens ou internationaux. Il convient que l'Agence joue le rôle d'une cellule d'appui pour la mobilisation des outils de financement de la biodiversité outre-mer (Life, H2020, BEST, mécénat...).

L'État occupe une place importante dans les départements d'outre-mer à travers la palette d'outils déployée en faveur de la biodiversité. La densité des organismes intervenant sur le champ de la biodiversité est très supérieure à celle observée en métropole : DEAL, ONF, 3 parcs nationaux, Agence des aires marines protégées, ONEMA, offices de l'eau, parcs naturels régionaux.

L'AFB doit rapprocher certaines structures à l'échelle de chaque territoire pour en faire une véritable tête de réseau commune aux acteurs de la biodiversité. Elle pourrait assurer l'animation du principal réseau inter-DOM, TEMEUM, qui coordonne la formation des gestionnaires d'espaces naturels.

L'AFB doit aussi contribuer à une réduction du nombre d'acteurs et ainsi franchir une taille critique permettant de concentrer les moyens en faveur de l'eau et de la biodiversité.

La création de l'AFB devrait pouvoir rapprocher certaines structures au sein même des DOM (ONEMA, AAMP...) et en faire une véritable tête de réseau commune pour beaucoup d'acteurs. Il s'agit de réduire le nombre d'acteurs et ainsi approcher ou dépasser la taille critique d'implantation.

Il convient également de ne pas remettre en cause les partenariats existants donnant de bons résultats, la police de l'environnement avec l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) par exemple, même si, à ce stade, ces organismes sont à l'extérieur de l'AFB au niveau national.

Il sera important, lors de la préfiguration des délégations territoriales, de privilégier un modèle intégrant l'ensemble des établissements publics et opérateurs de l'État en associant étroitement les organismes aujourd'hui à l'extérieur de l'AFB (ONCFS, Conservatoire du littoral et ONF).

Outre la concentration des structures et des moyens dans un seul établissement, l'AFB doit aussi être l'occasion d'une association plus étroite des collectivités territoriales dans les politiques publiques en faveur de la biodiversité.

Cette association peut varier d'un territoire à l'autre, en fonction des moyens en présence.

Certains DOM pourront privilégier la création d'un établissement public de coopération environnementale (EPCE) qui sera créé par la loi sur la biodiversité. Cette piste sera d'autant plus facile à diffuser si l'État montre l'exemple en mutualisant toutes ses ressources présentes sur le territoire.

D'autres points sont à travailler pour décliner l'AFB outre-mer :

- quelle articulation entre les délégations territoriales et les offices de l'eau ?

- quelles synergies mettre en place avec les organismes de recherche ?

- quelles connexions mettre en place entre la délégation territoriale de l'AFB et les comités régionaux de la biodiversité ?

c) L'APA : valorisation des ressources locales et retour vers les territoires

Le titre IV du projet de loi s'inscrit dans le contexte de l'entrée en vigueur à venir du protocole de Nagoya à la Convention sur la diversité biologique.

Il s'agit de garantir un cadre juridique clair à la recherche et développement (R&D) sur les ressources génétiques et les connaissances traditionnelles associées à ces ressources génétiques, sur le territoire français. Ce cadre juridique prévoit des règles d'accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles associées à ces ressources génétiques, sur le territoire français, ainsi que des modalités de partage, avec l'État ou des communautés d'habitants, des bénéfices tirés de leur exploitation économique.

C'est en outre-mer que se situent les principaux enjeux d'un dispositif APA. L'importance exceptionnelle de la biodiversité et le niveau encore très parcellaire des connaissances laissent penser qu'il y existe de fortes potentialités de valorisation.

Le Protocole de Nagoya stipule dans ses articles 5.5 et 7 que les « communautés autochtones et locales » consentent à l'accès à leurs connaissances traditionnelles associées aux ressources génétiques et bénéficient du partage des avantages liés à leur utilisation, dans des conditions convenues d'un commun accord.

Les principes d'indivisibilité de la République (article premier de la Constitution), d'unicité du peuple français (article 2 de la Constitution) et d'égalité des citoyens rendent délicate la définition de la notion de « communautés autochtones et locales ».

Dans la mesure où le projet de loi fixe des principes relevant du domaine des libertés publiques, pour lequel l'État demeure compétent dans toutes les collectivités d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie, il est prévu de rendre applicable l'article présentant les différentes définitions (L. 412-4 du code l'environnement) à la Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, compétentes en matière de droit de l'environnement et de droit de la propriété intellectuelle. Il s'agit ainsi de garantir l'application d'un engagement international sur l'ensemble du territoire de la République.

Ce titre IV prévoit donc des règles d'accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles associées à ces ressources génétiques, ainsi que des modalités de partage avec l'État, ou des « communautés d'habitants » 4 ( * ) , des bénéfices tirés de leur exploitation économique (ou « dispositif APA »).

Pour mémoire, l'ensemble du dispositif prévu par l'État d'autorisation préalable à l'utilisation des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles associées sera applicable, en théorie, dans toutes les collectivités où l'État demeure compétent en droit de l'environnement et de la propriété intellectuelle. Cependant, la définition retenue des « communautés d'habitants », qui vise, de par leur mode de vie, les populations autochtones, rendra le dispositif pour les connaissances traditionnelles associées sans objet en Guadeloupe, en Martinique, à La Réunion, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon, collectivités dans lesquelles ne subsistent pas de populations répondant aux critères prévus. Ainsi, dans ces collectivités, des communautés d'habitants ne pourront revendiquer le droit de consentir à l'accès à des connaissances traditionnelles ou de bénéficier du partage des avantages résultant de leur utilisation. Le dispositif relatif à l'accès et au partage des avantages liés à l'utilisation des connaissances traditionnelles serait donc, de fait, applicable uniquement en Guyane.

Les discussions sur le projet de loi ont débuté le 16 mars 2015 à l'Assemblée nationale. Le vote sur l'ensemble du texte a eu lieu le mardi 24 mars. Le texte a été considérablement amélioré, avec l'adoption de deux propositions de rédaction défendues par le ministère des outre-mer et pour lesquelles un arbitrage favorable a été obtenu en réunion interministérielle, le 13 mars 2015.

• La mise en place d'une procédure d'information des « communautés d'habitants » dans le cadre de la procédure de déclaration pour l'accès aux ressources génétiques

Le paragraphe 2 de l'article 6 du Protocole de Nagoya précise que l'accès aux ressources génétiques peut être soumis à l'accord et à la participation des communautés d'habitants dans le cadre de la recherche du consentement préalable en connaissance de cause.

L'article 18 du projet de loi initial du Gouvernement qui fixe les modalités d'accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles associées ne prévoyait aucune information des communautés d'habitants dans la procédure de déclaration pour l'accès aux ressources génétiques.

Le ministère des outre-mer a toutefois défendu la proposition portée par les députés ultramarins, notamment la députée de Guyane, Chantal Berthelot, car il paraissait légitime que les communautés d'habitants soient informées de l'exploitation commerciale de ressources génétiques qu'elles contribuent à préserver sur leur territoire.

À la suite de l'arbitrage interministériel favorable rendu en faveur de l'outre-mer, il a été proposé à l'Assemblée nationale d'adopter les dispositions suivantes :

« Lorsque l'accès aux ressources génétiques mentionné au premier alinéa du présent I implique un prélèvement in situ dans les limites géographiques d'un parc national défini à l'article L. 331-1, l'autorité compétente adresse sans délai le récépissé de déclaration pour information au conseil d'administration de l'établissement public du parc national concerné par le prélèvement. »

Cette rédaction permet d'opérer une articulation juridique entre la souveraineté de l'État sur les ressources génétiques et le droit à l'information des communautés d'habitants qui résident dans le parc amazonien de Guyane.

• Une procédure de consultation des « communautés d'habitants » pour la procédure d'autorisation à l'accès aux ressources génétiques

Si l'utilisation des connaissances traditionnelles associées à des ressources génétiques était bien soumise à une consultation préalable des communautés d'habitants (alinéa 70 du projet de loi), une telle consultation n'était pas envisagée pour l'accès aux ressources génétiques.

Cependant, il s'agissait d'un point particulièrement sensible pour la Guyane dans la mesure où le dispositif APA, déjà existant, relatif au parc amazonien de Guyane (PAG), paraissait plus protecteur concernant les droits des communautés d'habitants que celui prévu dans le projet de loi sur la biodiversité.

En effet, le ministère des outre-mer a fait remarquer que la loi n° 2006-436 du 14 avril 2006 relative aux parcs nationaux, complétée par le décret n° 2007-266 du 27 février 2007 créant le parc amazonien de Guyane, invitait à la coopération avec les communautés d'habitants dans la gestion du parc. Le dispositif APA existant en Guyane tient compte de la présence des communautés d'habitants (les amérindiens et les bushinengue) en leur reconnaissant des droits d'usage collectifs (article 22 du décret précité) pour la pratique de la chasse, de la pêche et de toute activité nécessaire à leur subsistance dans la zone de coeur du parc.

La loi de 2006 prévoit également une procédure particulière pour l'accès aux ressources génétiques des espèces prélevées dans le parc national et leur utilisation. L'article 11 de cette loi dispose en effet que : « L'accès aux ressources génétiques des espèces prélevées dans le parc national ainsi que leur utilisation sont soumis à autorisation. (...) Les autorisations sont délivrées par le président de l'assemblée de Guyane, après consultation de l'établissement public du parc national, (...). »

La présence des communautés d'habitants est bien reconnue et prise en compte dans le dispositif puisque ces communautés participent au conseil d'administration de l'établissement public. L'article 12 de la loi dispose que : « Les autorités coutumières sont représentées au sein du conseil d'administration de l'établissement public de gestion du parc » . De plus, pour préparer ses décisions, l'établissement public du PAG s'appuie sur les expertises de son conseil scientifique et les débats organisés au sein de son comité de vie locale. Ce comité est une instance consultative qui regroupe les 11 représentants des 11 bassins de vie du parc.

Les communautés d'habitants sont donc consultées automati-quement sur tout projet d'accès aux ressources génétiques ou connaissances traditionnelles associées mené sur le territoire du PAG. Et cela, sans qu'il ne soit porté atteinte au principe selon lequel les ressources génétiques font partie du patrimoine commun de la Nation.

Au regard des arguments présentés en réunion interministérielle par le ministère des outre-mer , un arbitrage favorable a été obtenu sur la mise en place d'une procédure de consultation des communautés d'habitants situées dans un parc national.

Ainsi, le texte de loi adopté par l'Assemblée nationale en 1 ère lecture est le suivant :

« Lorsque l'accès aux ressources génétiques mentionné au premier alinéa du présent I implique un prélèvement in situ dans les limites géographiques d'un parc national défini à l'article L. 331-1, l'autorité compétente transmet pour avis le dossier de demande d'autorisation pour l'accès aux ressources génétiques reçu en application du présent I au conseil d'administration de l'établissement public du parc national concerné par le prélèvement. Le conseil d'administration dudit parc a deux mois maximum pour rendre son avis motivé à l'autorité compétente, faute de quoi il est réputé favorable. »

• La problématique de la préservation des savoirs et pratiques traditionnels a resurgi au cours des débats à l'Assemblée nationale

Il faut distinguer le dispositif issu du Protocole de Nagoya et la problématique plus large de la protection des savoirs traditionnels qui constitue une préoccupation récurrente des élus antillais.

Le Protocole de Nagoya ne concerne que les ressources génétiques et les connaissances traditionnelles des communautés d'habitants. La Martinique et la Guadeloupe ne possédant pas de communautés d'habitants, elles sont mécaniquement exclues du mécanisme de partage des bénéfices découlant des connaissances traditionnelles associées aux ressources génétiques.

Aussi, le député de la Martinique, Serge Letchimy a proposé que soient inclus dans le champ d'application du dispositif APA « toute pratique, savoir-faire traditionnel ou connaissance présentant un intérêt pour la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité et dont l'application est souhaitée sur une plus grande échelle ».

Selon le député, les usages et les savoirs de ces collectivités tirent leur essence même de traditions (la pharmacopée, les médicaments traditionnels ou la valorisation de ressources en produits de beauté) qui constituent désormais une filière économique à préserver.

Si ces explications peuvent être entendues, l'amendement a pour inconvénient d'étendre le champ du Protocole de Nagoya.

Aussi, la ministre Ségolène Royal a demandé le retrait de l'amendement. Mais cette extension du Protocole de Nagoya risque d'être présentée à nouveau devant le Sénat.

Dominique Gamon, Conseiller en charge des outre-mer auprès du directeur général de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS)

L'ONCFS est un établissement public sous la double tutelle des ministères de l'agriculture et de l'environnement. S'il est plutôt mal connu du grand public, il l'est bien mieux des partenaires de terrain et de tous les acteurs oeuvrant en faveur de la biodiversité. Il est un acteur important du service public de l'environnement, son slogan affirmant : « La biodiversité, c'est notre métier . » Plus précisément, la biodiversité implique une palette de métiers qu'il importe de développer. L'ONCFS emploie 1 600 personnes, dont deux tiers d'agents de police appartenant aux corps des techniciens ou des agents techniques de l'environnement et un tiers de personnel à caractère technique et scientifique.

C'est un établissement très original présentant plusieurs forces. Premièrement, il est présent sur le terrain, à travers des équipes dispersées sur différents territoires, dont les outre-mer. Au contact de la faune, de la flore et des hommes, l'ONCFS est un veilleur de la nature et de la biodiversité. Deuxièmement, l'établissement est pluridisciplinaire, à la fois en termes de compétences et de métiers. En effet, il exerce à la fois des métiers de police, d'appui technique, d'expertise et de conseil en matière de gestion des espèces et des espaces. La variété de ses compétences est particulièrement intéressante dans la mise en oeuvre des politiques publiques, le mariage des différentes fonctions étant de surcroît moderne et nécessaire à l'efficacité des politiques publiques sur le terrain. Troisièmement, l'ONCFS est fort d'une double compétence portant sur les espèces chassables et la biodiversité dans son ensemble, dont les espèces protégées, singulièrement en outre-mer.

En outre-mer, l'ONCFS emploie une cinquantaine de personnes. Si les effectifs paraissent faibles, ils ont pourtant été préservés jusqu'à présent, les effectifs totaux de l'établissement diminuant. L'ONCFS est présent à Saint-Pierre-et-Miquelon, dans les départements de Guyane, Martinique, Guadeloupe et de La Réunion, de même qu'à Mayotte grâce aux équipes de l'île de La Réunion. Dans le reste de l'outre-mer français, il bénéficie de collaborations ponctuelles en Nouvelle-Calédonie, dans les TAAF et en Polynésie.

La modestie des effectifs est compensée par de nombreuses collaborations, puisque l'ONCFS travaille avec de nombreux établissements publics oeuvrant sous la tutelle du ministère de l'écologie : les parcs nationaux, le Conservatoire du littoral, la gendarmerie, les douanes, l'ONF, les parcs régionaux et l'ensemble du tissu associatif. Le travail collaboratif sur le terrain fait d'ailleurs la force de l'ONCFS. Ce dernier entretient aussi une grande proximité avec les services déconcentrés de l'État, tant en matière de police qu'en matière technique. Il est aussi en lien direct avec la direction de l'eau et de la biodiversité à travers les directions de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) en application des politiques publiques décidées par le gouvernement.

En matière de police, nous travaillons en collaboration avec l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) dans des services mixtes de police et pour la mise en oeuvre de plans de contrôle élaborés en partenariat avec les DEAL et mis en oeuvre sous l'autorité des préfets. La cohérence de l'action de police de la nature, de l'eau et de la biodiversité au niveau départemental est ainsi assurée. Les métiers de police concernent à la fois : la protection des milieux naturels ; la lutte anti-braconnage, en particulier sur des espèces emblématiques ; l'application de la Convention de Washington (CITES).

En matière scientifique et technique, la palette des métiers de l'ONCFS est très large. En effet, l'ONCFS est responsable des tortues marines, notamment des trois plans nationaux d'action mis en oeuvre en Guadeloupe, Martinique et Guyane, pour lesquels il anime un cortège de partenaires et d'acteurs sur le terrain. Dans certains départements, une deuxième génération de plans est déjà en cours. Le sujet des tortues marines s'inscrit également dans la problématique du changement climatique, les tortues marines étant des bio-indicateurs essentiels.

L'ONCFS agit également dans le cadre d'autres plans nationaux d'action, concernant notamment l'iguane des petites Antilles et le pétrel de La Réunion. Il travaille avec les fédérations départementales de chasseurs, afin que la chasse soit exercée conformément à des plans de gestion basés sur la connaissance des effectifs et des prélèvements raisonnables et soit davantage durable. L'ONCFS mène des travaux scientifiques, en particulier en Guyane, sur des espèces très peu connues, forestières, petites ou grandes et dont la connaissance est primordiale.

Par ailleurs, l'ONCFS mène une action de pédagogie afin de sensibiliser les populations. Une exposition portant sur son activité et présentant l'ensemble de ses métiers devrait d'ailleurs être inaugurée au mois de septembre. En matière de changement climatique, des sujets comme l'augmentation du niveau de la mer, des températures et des aléas climatiques, la destruction des habitats, incluant la disparition ou le changement des profils de plage et des courants, influenceront l'évolution des espèces, notamment par le biais de leur reproduction. Le facteur température est par exemple essentiel dans la reproduction des reptiles et la répartition entre mâles et femelles. De même, le changement climatique peut contribuer à introduire des espèces exotiques envahissantes dans des milieux très fragiles. La biologie même des espèces peut être modifiée, ainsi que les circuits migratoires des oiseaux.

Par conséquent, le changement climatique est perçu comme une menace pour la biodiversité de l'outre-mer. En raison de la responsabilité de l'ONCFS en matière de gestion de nombreux programmes de préservation, il importe d'agir.

Serge Urbano, Vice-président de France Nature Environnement

France Nature Environnement est une fédération regroupant environ 3 500 associations, comptant 850 000 à un million d'adhérents et bénéficiant d'un budget d'environ trois millions d'euros partagés entre sources publiques et privées.

Il y a un an, coïncidence, nous préparions la Conférence de la Guadeloupe en concertation avec le ministère de l'écologie, afin de dresser le bilan du « Message de La Réunion » et surtout de préparer celui du futur Message de la Guadeloupe. Aujourd'hui, nous nous retrouvons pour parler de l'outre-mer et de sa biodiversité, avec les enjeux du dérèglement climatique.

France Nature Environnement comprend un réseau d'associations ultramarines couvrant Saint-Pierre-et-Miquelon, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, Mayotte, La Réunion, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie, servant de relais aux constats et aux attentes des populations et constituent un bon référentiel en la matière, eu égard à la couverture géographique et à la diversité des territoires. Le constat fait par ce réseau associatif en 2014 pour la Conférence de la Guadeloupe, quant aux politiques à mettre en oeuvre en termes de préservation de la biodiversité et de lutte contre les dérèglements climatiques, reste aujourd'hui inchangé et j'en serai le porte-parole auprès de vous.

Mon intervention se déroulera selon quatre axes.

La préservation de la biodiversité passe, d'une part, notamment par les aires protégées et la réalisation des objectifs d'Aichi, à savoir la sauvegarde de la biodiversité de 17 % des aires terrestres et de 10 % des aires marines au niveau mondial. À la suite du Grenelle de l'environnement en 2007, la France ambitionne pour sa part de préserver la biodiversité de 20 % des aires marines, dont la moitié en réserves de pêche.

Cependant, la plupart des dispositifs européens ne semblent pas déclinés dans les outre-mer, particulièrement les directives européennes Nature et la directive-cadre sur la mer, introduisant le constat d'un moins-disant environnemental. À cet égard, le projet de loi sur la biodiversité en cours d'examen se devrait de permettre aux outre-mer, afin de relever pleinement les différents enjeux, de s'appuyer sur les dispositifs européens ou d'un imaginer de similaires. Le dispositif Natura 2000 de la Directive Habitats/Faune/Flore, par exemple, est particulièrement concerné et pourrait apporter beaucoup.

En outre, il convient d'élaborer des stratégies de création d'aires protégées et de les prévoir par territoire, ceux de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon n'étant, par exemple, pas confrontés aux mêmes enjeux. Par exemple, la ministre de l'écologie a annoncé un objectif de protection de 35 000 hectares de mangroves lors de sa déclaration dans le cadre de la conférence de la Guadeloupe. Si l'objectif est ambitieux, nous attendons qu'il soit précisé et qu'un plan d'action par territoire soit élaboré.

De même, la conservation de la forêt boréale à Saint-Pierre-et-Miquelon, écosystème unique au niveau national et européen, mérite de s'inscrire dans une stratégie régionale de biodiversité adaptée, en lien avec le tout proche continent nord-américain, ce qui lui donnerait une dimension géographique et stratégique novatrice. Les discussions portant sur la réouverture locale de la chasse à l'eider ont suscité des incompréhensions, l'espèce étant soumise à de forts enjeux de conservation. Nos collègues canadiens ont pour leur part initié un vaste programme de préservation des coraux froids, dans lequel Saint-Pierre-et-Miquelon pourrait jouer un rôle.

Quant à la Nouvelle-Calédonie, elle abrite les dernières forêts sèches, confrontées à de forts risques de dégradation et d'incendie. L'enjeu de conservation y est donc prégnant.

La ministre de l'écologie a également annoncé à la Conférence de la Guadeloupe qu'il conviendrait de réfléchir à la mise en oeuvre d'un des engagements du Grenelle de l'environnement, à savoir la création du troisième parc national prévu, celui dédié à la conservation des zones humides. Une opportunité se présente avec l'amélioration de la protection du marais de Kaw en Guyane. Le réseau associatif soutient totalement la démarche en la matière, de même que l'engagement de la procédure de classement du lagon de Mayotte au patrimoine mondial de l'Unesco.

L'aménagement du territoire , d'autre part, devrait viser à instaurer un nécessaire équilibre entre notamment l'économie et l'environnement dans l'intérêt de la société. Mais certains de ses développements inquiètent le mouvement associatif. Par exemple, l'élargissement du canal de Panama entraînera un logique appel d'air sur la Guadeloupe, la Martinique et aussi Saint-Pierre-et-Miquelon, avec la création ou l'agrandissement de ports pour ce nouveau trafic maritime, avec leurs impacts sur la biodiversité. Or, les dispositifs d'évaluation des enjeux environnementaux et de mises en oeuvre des mesures compensatoires pour de tels projets demanderaient à être en adéquation et à progresser dans l'évaluation des impacts écologiques, de l'application du dispositif « éviter/réduire/compenser », et, en cas de compensation, de l'adéquation ou de la faisabilité des mesures compensatoires.

Les listes rouges de l'UICN constituent évidemment des signaux d'alerte. Cependant, tout signal d'alerte doit être relayé, pour être efficace, par un dispositif réglementaire donnant aux espèces sur liste rouge la même considération qu'aux espèces protégées, à travers l'affirmation d'obligations de protection et du dispositif « éviter/réduire/compenser ».

Le projet pharaonique constitué par la nouvelle route littorale à La Réunion interpelle. Alors que nous sommes confrontés aux impacts du réchauffement climatique et que nous nous engageons dans la transition énergétique, la place de l'automobile individuelle y est prépondérante. Malgré les prouesses de l'ingénierie, la construction de la route ne peut aussi qu'inquiéter, d'autant plus que son coût initial de 1,6 milliard d'euros, soit 133 millions d'euros le kilomètre, est immense. La construction de la route nécessitera, d'une part, l'ouverture de nouvelles carrières, afin d'extraire l'important volume de remblais nécessaires. Une partie de la route sera, d'autre part, construite sur digue, alors qu'il avait été recommandé de privilégier la construction d'un « tout viaduc », afin de limiter l'impact écologique et les volumes de matériaux. La biodiversité marine s'en trouvera notamment notablement affectée.

Les aménageurs ont tendance à n'envisager que la compensation, alors que le dispositif officiel de l' « éviter/réduire/compenser » peine à se généraliser et à pleinement remplir son rôle. Les formidables enjeux de biodiversité de l'outre-mer lui offrirait portant un champ d'application privilégié. À cet égard, il convient d'abord d'étudier les possibilités d'évitement du projet et sa pertinence, en recherchant les alternatives, puis d'en limiter et réduire les effets. Dans un contexte d'érosion et de reconquête de la biodiversité, les mesures compensatoires doivent viser à restaurer et à recréer, et pas à compenser avec de l'existant, si l'on veut maintenir ou rétablir l'état de conservation.

Par ailleurs, il serait souhaitable que les aides aux projets d'aménagement en outre-mer, issues de fonds publics, de l'AFD, ...., soient conditionnées à la réalisation d'une évaluation environnementale solide et s'inscrivent dans l'écoconditionnalité. En Nouvelle-Calédonie, un projet de centrale électrique est en cours de réalisation, financé à 50 % par des fonds publics, alors qu'elle fonctionnera au charbon et que l'on parle de transition énergétique et de son projet de loi.

Toujours en Nouvelle-Calédonie, le parc naturel marin de la Mer de corail soulève des inquiétudes, notamment avec les projets d'exploration et d'exploitation de ses ressources sous-marines. La création de formes d'économie bleue ou marine en outre-mer est là aussi source de préoccupations. Le projet de loi sur la biodiversité pourrait par ailleurs répondre à l'amélioration de la gouvernance au sein des parcs naturels marins, en l'instaurant de manière équilibrée sur le modèle d'autres aires protégées.

En matière de recherche , pour terminer, l'enjeu est double : la biodiversité est encore l'objet de nombreuses inconnues et les éventuels impacts du réchauffement climatique dans les territoires ultramarins doivent être précisés. Les principes de prévention et de précaution doivent aussi présider à l'étude et au développement des projets, quels qu'ils soient. Par exemple, pour les projets pétroliers au large de la Guyane, la recherche aurait matière à approfondir les connaissances biologiques locales et l'impact du projet, en construction et en fonctionnement, sur les cétacés, et les autres espèces et habitats concernés, afin que l'ensemble intègre pleinement les enjeux environnementaux, en phase décisionnelle et de réalisation.

En outre, la valorisation de la biodiversité passe notamment par la recherche en pharmacopée. Particulièrement en Martinique et en Guyane, un potentiel doit être identifié et valorisé. Concernant les modalités d'une collaboration efficace entre le monde de la recherche et celui de la conservation, le projet d'Agence française pour la biodiversité a un rôle à jouer, dans la mesure où des liens forts seront établis avec la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) et les conseils scientifiques concernés. À ce titre, nous déplorons la difficulté des ministères à dialoguer sur des enjeux pourtant d'intérêt commun. Le projet de loi sur la biodiversité, avec le projet d'agence française sur la biodiversité, pourrait prévoir de créer les indispensables synergies entre ministères, services et établissements de recherche.

Enfin, dans les territoires ultra-marins, les schémas régionaux climat, air et énergie pourraient être l'occasion d'identifier les éléments devant prioritairement faire l'objet de recherches avec leur spécificité et diversité ultra-marines.

En matière de gouvernance, le monde associatif peine à être entendu dans les outre-mer en raison de sa dispersion, et nous nous employons à FNE à développer une animation fédérale dédiée. Les fonds européens devraient être adaptés pour mieux correspondre en contenu et en disponibilité à la communauté associative des outre-mer. Prévoir de simplifier les dispositifs d'élaboration des dossiers et de garantie financière serait déjà bénéfiques, ces derniers étant très contraignants pour une communauté associative dispersée et avec peu de moyens. Dans le cadre d'une collaboration très fructueuse avec l'AFD, des moyens ont été accordés à FNE pour organiser l'animation des territoires, l'appropriation des enjeux par les acteurs et l'expression citoyenne. En effet, les associations sont des relais des citoyens. Or, dans un contexte de contrainte budgétaire, les moyens qui nous sont octroyés diminuent. Les APNE doivent pouvoir disposer de moyens et de reconnaissance pour jouer leur rôle dans la société, en participant au débat public et en fédérant les citoyens.

Enfin, je souhaite que la communauté associative, dont FNE, soit entendue au cours des discussions menées dans le cadre de la COP21 et que pour cette table ronde, la contribution de FNE soit aussi entendue et serve à son objet, notamment avec des plans d'actions ou des stratégies territorialisés.

Alain Brondeau, Délégué de rivages outre-mer du Conservatoire du Littoral

Le Conservatoire du littoral en outre-mer intervient actuellement uniquement dans les outre-mer situés dans les océans Atlantique et Indien. Quelques enjeux spécifiques pour la biodiversité des littoraux d'outre-mer méritent d'être soulignés.

Les mangroves constituent un enjeu spécifique à l'outre-mer. Elles sont des réservoirs de biodiversité, jouent un rôle majeur dans la protection des côtes et le stockage du carbone et représentent une ressource économique majeure, une partie du cycle de reproduction de la plupart des poissons pêchés dans le monde s'y déroulant. Elles génèrent également des revenus via le tourisme, puisqu'elles peuvent constituer le point de départ d'activités de découverte. Les mangroves sont aussi étroitement liées aux autres écosystèmes marins que sont les écosystèmes coralliens et les herbiers.

La mangrove de Guyane présente la particularité d'être cyclique, présentant des phases de très forte régression et des phases d'accrétion. Elle « respire » à l'intérieur d'une bande mesurant plusieurs kilomètres de large au gré du passage des bancs de sable et des phénomènes d'érosion. Si elle était bloquée, les conséquences pourraient s'avérer désastreuses.

La protection des écosystèmes terrestres est indispensable à la protection des écosystèmes marins. Les tortues marines représentent d'ailleurs un lien entre la terre et la mer. Leur sauvegarde implique de mener des actions de préservation sur leurs écosystèmes marins comme terrestres. Les sites de ponte des tortues sont des territoires d'intervention fréquents du Conservatoire du littoral en outre-mer, au même titre que les mangroves.

Les îlots constituent un autre enjeu majeur en matière de littoral. En effet, la quasi-totalité des îles principales sont entourées de petites îles abritant une biodiversité exceptionnelle y ayant trouvé refuge. C'est par exemple le cas du Rocher du Diamant en Martinique. Des espèces endémiques, tel que l'iguane des petites Antilles, se réfugient régulièrement sur des îlots. Ces derniers représentent aussi des sites de reproduction ou de repos pour les oiseaux marins. Il importe donc d'en préserver la tranquillité et de trouver un juste équilibre entre la valorisation et la fréquentation humaine et le maintien de populations d'oiseaux.

L'îlet du Loup-Garou, en Martinique, qui culmine à 1,50 mètre, a pour sa part la particularité d'être régulièrement submergé, puis de se reconstituer, à l'occasion d'événements climatiques majeurs comme les cyclones. En raison du réchauffement climatique, il est probable qu'il soit de plus en plus souvent submergé, la biodiversité qu'il abrite s'en trouvant menacée. Quant aux îles de la Petite Terre situées en Guadeloupe, elles constituent l'un des derniers refuges de l'iguane des petites Antilles. Or, il est plus facile de mener des actions de préservation sur les territoires circonscrits que sont les îlots.

Les continuités écologiques entre les espaces marins ou littoraux et les espaces naturels de l'intérieur, souvent montagneux, représentent aussi un enjeu. La montagne Pelée en Martinique est un monument de nature partant de la mer et atteignant 1 500 mètres d'altitude. Par conséquent, elle inclut des écosystèmes de moyenne et de haute altitude. Le gradient écologique doit pouvoir continuer à y fonctionner. La Grande Chaloupe, sur l'île de La Réunion, pose également des enjeux de connexion écologique, notamment le long des ravines. Ces dernières sont des corridors écologiques pour les oiseaux et la faune qu'il importe de préserver.

Certains habitats des zones littorales présentent, du fait de leur rareté ou de vulnérabilité particulière, des enjeux majeurs. Ainsi, les habitats de forêt semi-sèche sont menacés quelle que soit leur localisation. Leur préservation est un enjeu de taille pour le Conservatoire du littoral, notamment à La Réunion, à Mayotte et aux Antilles. La Guyane comprend aussi des habitats particuliers menacés, particulièrement les savanes, habitats ouverts plus facilement valorisables en matière agricole ou pour l'installation d'infrastructures.

Enfin, les zones humides du littoral sont très importantes, notamment pour l'avifaune pour laquelle elles représentent un lieu de halte dans le parcours migratoire. Au nord de la Guyane, les rizières de Mana, réserve ouverte d'eau douce, constituent un site d'intérêt international à l'échelle du continent américain pour la préservation des oiseaux : plusieurs millions d'oiseaux s'y arrêtent au cours de leur trajet entre l'Amérique du Nord et l'Amérique du Sud.

De même, les salines de Sainte-Anne en Martinique sont menacées par une activité agricole intensive et consommatrice de matières polluantes, tandis que l'étang du Gol à La Réunion pâtit de la présence d'espèces exotiques envahissantes telles que la jacinthe d'eau. Les marais de Folle Anse situés à Marie-Galante sont aussi concernés par des enjeux de préservation de la biodiversité, au même titre que la lagune du Grand Barachois, située à Saint-Pierre-et-Miquelon et constituant un réservoir de biodiversité d'une surface de plus de mille hectares. La plus grande colonie de phoques « veaux marins » française y a notamment élu domicile.

Face à ces enjeux de préservation de la biodiversité, plusieurs types d'outils peuvent être mobilisés.

L'outil de protection réglementaire peut être nécessaire. Il est largement mis en oeuvre en outre-mer, qui compte ainsi trois parcs nationaux, deux parcs naturels régionaux, un parc naturel marin, une vingtaine de réserves naturelles et autant de réserves biologiques, plus de 35 arrêtés de protection de biotope, des sites classés, .... D'autres outils réglementaires, non spécifiquement créés pour la préservation de la biodiversité, non issus du code de l'environnement et plus généralistes peuvent aussi avoir un rôle majeur.

Le code forestier est par exemple très employé en outre-mer, puisqu'une large partie des écosystèmes terrestres relève du régime forestier. Ce dernier fournit une protection, notamment à travers la présence de l'ONF. De même, le code de l'urbanisme, via les schémas d'aménagement régionaux (SAR) dans les départements d'outre-mer et les plans locaux d'urbanisme dans d'autres territoires, préserve la vocation naturelle des espaces. En la matière, l'outre-mer est d'ailleurs en avance par rapport au reste du territoire français, les SAR en outre-mer ayant une valeur prescriptive beaucoup plus forte que ceux de la métropole. De surcroît, les schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE) constituent désormais l'un des volets des SAR et permettent de définir une vraie politique de préservation de la biodiversité à l'échelle d'un territoire.

Les outils contractuels permettent pour leur part d'intervenir, souvent sur des milieux agricoles. Ils sont néanmoins peu utilisés en outre-mer. Au contraire, les outils de labellisation, de l'Unesco ou Ramsar, sont très utilisés.

L'outil foncier s'inscrit davantage dans le coeur du métier du Conservatoire du littoral. Il est nécessaire à la préservation lorsque la protection réglementaire ne suffit pas. Alors que la réglementation permet d'interdire, de réguler, d'établir des conditions et de prescrire, elle ne contraint pas à l'intervention et n'en donne pas non plus les moyens. Or, agir implique de maîtriser le foncier. Il convient parfois de réaliser des travaux pour faire reculer le stationnement ou de réaliser des opérations de décompactage et de renaturation pour améliorer les sites de ponte des tortues marines par exemple. La maîtrise du foncier est également nécessaire à l'accueil d'un public et à la valorisation et à l'accessibilité des espaces naturels. En effet, de nombreux sites restent encore difficiles d'accès et sont méconnus par le public ; or, la connaissance constitue un gage de protection.

Enfin, le foncier naturel est déjà largement public à l'intérieur des terres. L'outre-mer comprend ainsi de nombreuses forêts départemento-domaniales. Le foncier est maîtrisé par l'État ou par les collectivités locales à travers des politiques d'espace naturel sensible. En revanche, la maîtrise foncière publique est moins forte sur les littoraux, ces derniers ayant été plus souvent privatisés. Dans ce contexte, l'action du Conservatoire du littoral est essentielle et complémentaire des autres outils de maîtrise foncière.

Bien que le Conservatoire fête ses quarante ans en 2015, il n'intervient réellement que depuis vingt ans en outre-mer. Grâce à son équipe de 25 personnes, il maîtrise désormais 40 000 hectares dans huit départements ou collectivités d'outre-mer, dont plus de 30 000 hectares appartenant à l'État, notamment des domaines publics maritimes, et un peu moins de 10 000 hectares acquis. Pour ces derniers, le Conservatoire du littoral s'est doté d'une stratégie d'intervention foncière validée en 2015 permettant de définir les territoires dans lesquels il cherchera à acheter ou à maîtriser par d'autres moyens le foncier. Il ambitionne de tripler sa maîtrise foncière en outre-mer sur une période de 35 ans. À cette fin, des procédures fortes de préemption devront être mises en oeuvre, de nombreuses négociations menées et des mesures d'expropriation prises en dernier recours en l'absence d'autres possibilités.

Les enjeux de biodiversité ont largement influencé la définition de la stratégie, mais des enjeux liés à des attentes sociales ont également été pris en compte, notamment l'ouverture au public de sites privatisés. Le Conservatoire du littoral s'est essentiellement appuyé sur les SAR ayant déjà analysé finement les vocations du sol. Sa stratégie constitue donc un outil de mise en oeuvre des SAR, en particulier la partie concernant les espaces remarquables du littoral.

En matière de biodiversité, la stratégie foncière vise à la fois à préserver des sites dans lesquels des espèces remarquables sont présentes et des continuités écologiques. C'est pourquoi le Conservatoire du littoral est de plus en plus amené à intervenir sur des zones transversales, partant de la mer et jusqu'à l'intérieur des terres. Au-delà de l'acquisition foncière, la politique du Conservatoire consiste à réaliser des travaux de restauration écologique. Par exemple, à La Réunion, au titre du programme LIFE mené par l'Union européenne en collaboration avec le Parc national, des projets ambitieux ont permis de reconstituer quelques dizaines d'hectares de forêts sèches. Des programmes de dératisation sont aussi régulièrement menés sur des îlots pour préserver l'avifaune. Sans maîtrise du foncier, ces programmes n'auraient pas été envisageables. Les travaux menés visent souvent également l'accueil du public, avec des équipements permettant de le sensibiliser aux enjeux de préservation. On constate qu'un site naturel non équipé est moins bien protégé qu'un site aménagé et accessible.

Enfin, si la biodiversité en outre-mer est considérable, les menaces auxquelles elle est confrontée le sont également : forte pression urbaine, croissance démographique supérieure à la moyenne nationale et niveau de connaissances plus faible. La préservation constitue donc une tâche ardue. Dans un contexte de débat portant sur la reconquête de la biodiversité et sur la création d'une Agence française pour la biodiversité, il importe d'unir nos forces, aucun acteur ne pouvant prétendre agir seul significativement. Les collectivités ultramarines ont d'ailleurs une capacité d'initiative plus forte que leurs homologues métropolitaines et la possibilité d'innover, y compris en matière réglementaire. À ce titre, l'outre-mer pourrait être un laboratoire de mise en oeuvre d'actions innovantes en matière de conservation de la biodiversité.

Crédits photographiques : (c) Frédéric Larrey / Conservatoire du littoral ; (c) Nicolas Robin / Conservatoire du littoral ; (c) Marc Duncombe / Conservatoire du littoral


* 2 Neuf d'entre elles sont dans un des 25 points chauds de la biodiversité mondiale dont 2 des 10 points chauds de biodiversité marine (La Réunion et Nouvelle-Calédonie). 14 des 17 éco-régions françaises sont situées outre-mer.

* 3 Un patrimoine naturel unique : elles abritent dans tous les groupes plus d'espèces endémiques que la métropole (100 fois plus de poissons d'eau douce, 60 fois plus d'oiseaux, 26 fois plus de plantes, 3,5 fois plus de mollusques).

* 4 Communauté d'habitants : toute communauté d'habitants qui tire traditionnellement ses moyens de subsistance du milieu naturel et dont le mode de vie présente un intérêt pour la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité.

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