Table ronde 1

Panorama des biodiversités ultramarines et des milieux menacés et problématique de la connaissance

Pascale Joannot, Déléguée à l'outre-mer du Muséum national d'Histoire naturelle (MNHN)

L'outre-mer est pluriel, sa biodiversité aussi !

Je vous remercie de m'accorder ce temps de parole sur la biodiversité des outre-mer. Cette table ronde est centrée sur la problématique de la connaissance de la biodiversité des collectivités d'outre-mer mais, auparavant, permettez-moi de rappeler combien les collectivités d'outre-mer sont variées. On ne peut parler d'elles comme d'un bloc. L'outre-mer ne peut pas être compris au sens global comme on peut le faire en métropole, souvent tout simplement par facilité. Leur géographie, la diversité de la faune et de la flore, les populations, la démographie, l'environnement régional et les statuts sont d'une grande diversité.

C'est pourquoi les orientations en matière d'environnement, de développement durable, d'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation doivent, pour permettre le développement social et économique, tenir compte des caractéristiques identitaires et statutaires de ces collectivités. Il faut également considérer le souhait des collectivités d'outre-mer de développer les relations avec les pays voisins de leur région. L'outre-mer n'est pas unique et, si les ultramarins sont très solidaires, ils sont aussi très divers et présentent une mosaïque de cultures et d'identités à travers ses populations, qui représentent deux millions d'habitants.

Les questions de biodiversité outre-mer doivent donc faire l'objet d'approches spécifiques et valorisantes pour les collectivités d'outre-mer.

Aujourd'hui l'état de nos connaissances permet d'affirmer que plus de 98 % des espèces endémiques de vertébrés et 96 % des espèces endémiques de plantes vasculaires de la France sont concentrés dans les collectivités d'outre-mer.

Grâce à ses outre-mer, la France, présente dans quatre océans, est le deuxième pays au monde pour sa zone économique exclusive après les États-Unis d'Amérique.

Les écosystèmes naturels de l'outre-mer font partie - comme la Nouvelle-Calédonie ou la Guyane - des « points chauds » de la biodiversité et sont considérés comme les zones les plus riches mais aussi les plus menacées de la planète.

Dans chacune des collectivités situées outre-mer, la connaissance sur la biodiversité est le fruit du travail des naturalistes et des écologues, mais pas seulement car, avant eux, les populations locales ont écouté la nature, ont appris et ont transmis les savoirs locaux. De même, participent à la connaissance le grand public et le monde associatif.

Chaque collectivité d'outre-mer est un terrain exceptionnel pour concevoir et réaliser une exploitation raisonnée des ressources naturelles, pour équilibrer l'observation et l'expérimentation, zones protégées et zones exploitées, pour comprendre l'origine des changements et pertes de biodiversité.

En 2014, le comité outre-mer de l'Alliance nationale de recherche pour l'environnement (AllEnvi) a piloté la réalisation du recensement pour l'année 2012 des activités de recherche des membres de l'AllEnvi dans les collectivités d'outre-mer et nous avons mesuré la production scientifique correspondante au moyen d'une analyse bibliométrique. Bien que les données collectées soient hétérogènes et parfois insuffisantes, elles permettent d'avoir un bon aperçu des implantations outre-mer des membres d'AllEnvi et des forces pérennes sur place. L'étude est un document de travail qui peut être obtenu auprès du secrétariat de l'AllEnvi. L'enquête recense au total 2 442 agents présents outre-mer.

Sur un total global déclaré de 1 275 équivalents temps plein (ETP), 90 % des activités scientifiques sur l'outre-mer sont réalisées par les agents sur place et seulement 10 % des activités sont réalisées par des agents basés en métropole. Ces valeurs sont très différentes avec des organismes tels que l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA) ou le Muséum national d'Histoire naturelle qui n'ont pas ou peu d'implantations en outre-mer. Le Muséum a en effet une activité outre-mer importante, mais il n'a qu'une seule antenne, en Guyane.

Pour les organismes de recherche, les deux thématiques les plus importantes sont l'agrobiologie et l'élevage, qui représentent 31,2 % de leur activité, et l'écologie et la biodiversité, pour 25,4 % des activités. Vient ensuite la thématique des ressources marines (9,2 %). On constate que les thématiques des énergies, des sciences humaines et sociales et du climat sont très peu développées.

Pour les universités, les thématiques les plus traitées sont les sciences sociales (32 %), suivies de l'écologie et de la biodiversité (23 %). Le climat et les géosciences occupent 55 et 34,5 ETP, soit 9 % et 5 % respectivement des activités, alors que les autres thématiques sont moins développées.

La production scientifique globale sur l'outre-mer dans les thématiques d'AllEnvi et pour la période 2008-2012 compte 7 187 publications.

La Nouvelle-Calédonie fait l'objet de 21 % des publications. Avec la Guyane (20 %) et La Réunion associée à Mayotte (19 %), cela représente 60 % des publications. Viennent ensuite les études associées aux Antilles (17 %), puis à la Polynésie française (14 %) et aux Terres australes et antarctiques françaises (8 %).

Les trois thématiques les plus étudiées sont la biodiversité, l'agro-écologie et les géosciences.

Quand bien même cette étude reste à compléter, les chiffres montrent que la thématique de la biodiversité est bien présente dans la recherche relative à l'outre-mer.

Compte tenu des difficultés méthodologiques rencontrées, il serait utile de mettre en place au sein de l'Alliance une procédure concertée de collecte annuelle des données sur les activités outre-mer de ses membres. Et il serait aussi utile aujourd'hui d'établir pour chacune des collectivités d'outre-mer le recensement des publications relatives à la thématique de la biodiversité .

Le Muséum national d'Histoire naturelle participe à la progression de la connaissance relative à la biodiversité des outre-mer. Sa présence outre-mer est une tradition toujours maintenue. Les collectivités situées outre-mer constituent en effet pour l'établissement un terrain d'activités et des opportunités de partenariat dans tous les domaines, en particulier en matière de connaissance et de gestion de la biodiversité.

Je ne vais vous présenter que deux exemples d'activités du Muséum qui participent à la connaissance de la biodiversité outre-mer : les grandes expéditions naturalistes et les collections du Muséum.

Nous appartenons à la première génération de scientifiques simultanément conscients que les trois quarts des espèces de la planète restent encore à découvrir et à décrire, et qu'en même temps le quart, le tiers ou la moitié des espèces aura probablement disparu d'ici le milieu ou la fin du siècle. Accélérer l'exploration et la découverte des espèces est donc une urgence, non seulement pour les scientifiques, mais également pour les gestionnaires des milieux et des ressources.

En collaboration avec l'organisation non gouvernementale Pro-Natura International, le Muséum s'est engagé, depuis 2006, dans plusieurs projets d'inventaires massifs visant à acquérir de nouvelles connaissances sur la biodiversité et centrés sur les groupes « négligés », notamment les invertébrés, dans le cadre de l'initiative intitulée La Planète Revisitée avec l'aide de différents partenaires publics et privés.

Ce programme à long terme cible plus particulièrement les « points chauds » de la biodiversité sur la planète. La campagne de Guyane vient de se terminer. La Nouvelle-Calédonie constitue également une des destinations privilégiées que nous envisageons d'inventorier, si nous trouvons les financements, fin 2016 ou début 2017.

En 2012, le Parc national de la Guadeloupe, l'Université des Antilles et de la Guyane et le Muséum national d'Histoire naturelle avaient déjà réalisé un grand inventaire des algues et des invertébrés marins des écosystèmes côtiers de Guadeloupe. Avec trente-cinq participants et après des centaines de plongées et une chaîne de tri, les résultats de l'expédition ont dépassé les attentes des organisateurs, puisque plusieurs dizaines d'espèces inconnues ont été découvertes. Par exemple, ont été repérées de nouvelles espèces de mollusques d'une famille que l'on croyait pourtant déjà bien connue aux Antilles, celle des Muricidae. Cela suffit pour établir l'importance de ces inventaires.

Dans la continuité de cette opération, les mêmes acteurs poursuivent l'exploration de la Guadeloupe en ciblant maintenant les environnements profonds, encore moins connus.

Il me semblerait nécessaire que nous fassions ce genre d'expédition pour l'ensemble des collectivités d'outre-mer. Cela permettrait en effet de compléter les inventaires déjà réalisés et certainement de continuer à découvrir de nouvelles espèces outre-mer.

Par ailleurs, le Muséum national d'Histoire naturelle a la garde des collections d'histoire naturelle. À ce jour, nous estimons à plus de soixante- six millions les spécimens en collections.

Les collections naturalistes ont fondamentalement un double rôle : d'une part, le rôle traditionnel de référence, d'autre part, celui de gigantesque campagne d'observations.

Outre celles du Muséum, les collections naturalistes françaises, dispersées à travers une multitude d'institutions de tailles et de statuts variés, constituent ainsi une source de connaissances unique et irremplaçable enrichies depuis trois cent cinquante ans.

L'infrastructure e-ReColNat se veut l'outil qui permettra de réunir virtuellement l'ensemble des acteurs capables, ensemble, de rendre disponibles et utiles les informations contenues dans les collections. Elle fait partie des onze lauréats de l'appel à projets « Infrastructures nationales en biologie et santé » du programme des Investissements d'Avenir et bénéficie de seize millions d'euros sur cinq ans. Coordonné par le Muséum national d'Histoire naturelle en partenariat avec l'Université Montpellier 2, le pôle de recherche et d'enseignement supérieur Clermont-Université, l'Université de Bourgogne, l'Institut de recherche pour le développement, l'Institut national de la recherche agronomique, le Conservatoire national des arts et métiers, Tela Botanica et Agoralogie, avec le soutien du CNRS et de l'AllEnvi, e-ReColNat a pour objectif de réunir l'ensemble des données des collections françaises d'Histoire naturelle sur une même plateforme informatique, au service de la recherche et de l'expertise sur la biodiversité .

Faciliter l'exploitation de ces masses de données inaccessibles jusque-là va donc permettre d'accélérer l'inventaire de la biodiversité mondiale et les données relatives aux collectivités d'outre-mer seront pour la plupart également recensées.

Dans les deux cas : Planète revisitée en outre-mer et e-ReColNat, les données sont versées au service du patrimoine naturel du Muséum qui alimente l'inventaire national du Patrimoine naturel (INPN).

Dans le cadre de l'Initiative française pour les récifs coralliens, dont M. Del Grande vous parlera, je pilote également l'inventaire de la biodiversité des récifs coralliens de l'outre-mer et, depuis 2008, nous avons pu alimenter la base de l'INPN avec plus de 24 000 données, ce qui est loin d'être suffisant car les récifs coralliens des outre-mer recensent bien plus d'espèces. Nous sommes le quatrième pays récifal au monde grâce aux collectivités d'outre-mer récifales, après l'Indonésie, l'Australie et les Philippines.

Pour conclure, si l'on veut faire progresser la connaissance sur la biodiversité des outre-mer, il nous faut :

- aider chaque collectivité ultramarine à dresser sa carte des connaissances de biodiversité en recensant l'ensemble des publications et des données afférentes ;

- poursuivre et donc financer les grands inventaires de biodiversité dans chaque collectivité d'outre-mer ;

- veiller à une meilleure coordination interministérielle souhaitée par tous les acteurs d'outre-mer. L'inter-ministérialité est exercée au plan local par les services déconcentrés de l'État, parmi lesquels les délégations régionales de la recherche et de la technologie (DRRT) dont les moyens sont limités, les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ;

- veiller à une meilleure transversalité entre les services de l'État et les régions ultra-marines -rappel : la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française sont compétentes en matière d'environnement - et donner aux ultramarins plus de responsabilités et de moyens financiers, ainsi que des personnels stabilisés et bien formés ;

- créer des campagnes d'information des populations sur la protection et la gestion de la diversité naturelle couplée à des campagnes de surveillance. Pour cela le réseau de France Ô doit être sollicité, ainsi que la presse locale.

Enfin, pour terminer et illustrer l'importance et la nécessité de la connaissance, je me permets de soumettre à votre réflexion une citation de Jean-Marie Tjibaou qui, en 1996, disait : « Quand vous marchez dans un jardin sans savoir distinguer la salade de la mauvaise herbe, vous allez marcher sur la salade et la mauvaise herbe. Dans la mesure où on vous explique quel en est l'usage, alors vous faites plus attention. »

Philippe Goulletquer, Ifremer, directeur scientifique adjoint chargé de la coordination biodiversité marine et côtière

Merci de me donner ce temps de parole afin d'expliquer la situation actuelle et future de la biodiversité marine, notamment celle de l'outre-mer.

La problématique de la connaissance en biodiversité marine, en particulier outre-mer, et des milieux menacés représente effectivement un enjeu de premier ordre.

Il apparaît nécessaire de préciser, dans un premier temps, la situation globale de celle-ci, ainsi que les pressions qui s'exercent sur elle.

Si les médias sensibilisent le public essentiellement sur le devenir de telle ou telle espèce ou habitat emblématique, il n'en est pas moins important de rappeler que le bon fonctionnement des écosystèmes marins réside dans les interactions entre les espèces en tant que « système vivant ». À ce jour, les connaissances scientifiques en biodiversité marine restent encore très parcellaires et il est considéré que la majorité des espèces marines comme leurs interactions sont encore méconnues. Environ 250 000 espèces marines sont actuellement répertoriées avec un champ de valorisation potentielle sous-évalué, au-delà des seules activités de pêche et d'aquaculture.

En parallèle, les premières estimations des pressions exercées à l'échelle globale sur les écosystèmes marins ne sont que très récentes et préliminaires. Si peu d'espèces marines disparaissent actuellement, les conséquences des réductions en effectif des populations induisent des modifications profondes et durables du fonctionnement des écosystèmes et des services rendus à l'homme. La vulnérabilité globale du milieu marin et de sa biodiversité s'accroît significativement, et s'accélère en réponse au changement climatique.

Par ailleurs, il est important de souligner le rôle essentiel de la France à l'échelle internationale, avec la seconde zone économique exclusive (ZEE) mondiale (onze millions de kilomètres carrés) derrière les États-Unis. La présence de la ZEE française dans tous les océans est également une caractéristique essentielle.

Globalement, les pressions exercées sur la biodiversité marine, telles que définies par la Convention sur la diversité biologique (CDB), signée en 1992, portent sur :

- la disparition et la dégradation des milieux naturels - les exemples de dégradation des mangroves comme des récifs coralliens aux rôles écologiques et économiques de première importance sont à ce titre emblématiques ;

- la surexploitation des ressources naturelles, qui perturbe durablement les écosystèmes marins. Les exemples de surpêche par des activités industrielles sont bien connus ;

- l'introduction d'espèces exotiques, notamment par le transport maritime, qui a vu son activité s'accroître fortement au cours des dernières décennies, induit des pertes économiques significatives et des perturbations durables du milieu marin. Le déballastage des eaux de cargos transocéaniques est ainsi la source de bon nombre d'introductions sur les côtes européennes comme en milieu insulaire à l'outre-mer. La convention « Gestion des Eaux de Ballast » ( Ballast Water Management ) de l'Organisation Maritime Internationale (OMI) afin de maîtriser la gestion des eaux de ballast fut signée en 2004. Adoptée par la France par la loi n° 2008-476 du 22 mai 2008, cette convention n'est toujours pas mise en oeuvre en 2015 ;

- le changement global, incluant la dérégulation climatique, qui est actuellement particulièrement impactant et amplifie les effets des pressions précédentes.

Les effets induits du réchauffement climatique portent sur des modifications des propriétés physiques et chimiques des océans et des écosystèmes marins. Au-delà des seules modifications physico-chimiques, c'est la rapidité des changements, non observée depuis des millions d'années, qui est ici particulièrement critique. Les capacités d'adaptation de bon nombre d'espèces marines sont très limitées face à la rapidité de ces changements. Le réchauffement des océans induit une augmentation du volume global par dilatation avec des conséquences directes sur les littoraux : érosion côtière, intrusions d'eaux marines en zones estuariennes, inondations de zones côtières, par exemple.

Par ailleurs, ce réchauffement a des conséquences directes sur les distributions géographiques et les abondances des espèces, voire à l'origine d'invasions biologiques par des espèces exotiques. Ainsi, des espèces d'origine subtropicale ou tempérée tendent à migrer vers des zones plus favorables sur le plan climatique, avec des distances de déplacement beaucoup plus importantes qu'en milieu terrestre. Ces migrations étant différentes selon les espèces, on peut assister à des désynchronisations entre celles-ci, telle que la disponibilité réduite de proies pour une espèce prédatrice. Ces conséquences sont encore plus marquées en milieu insulaire outre-mer. À terme, les services rendus par l'environnement à l'homme, appelés services écosystémiques, diminuent, comme, par exemple, la réduction des quantités de poisson pêché.

Pour ces raisons, il est particulièrement important de bien identifier les effets relatifs de chaque pression exercée sur la biodiversité marine. Deux exemples afin d'illustrer mon propos.

Concomitamment au réchauffement des eaux océaniques, l'acidification devient un facteur essentiel de régulation des écosystèmes marins. Globalement, un tiers des émissions de gaz à effet de serre est absorbé par les océans, augmentant les concentrations en gaz carbonique dissous (CO 2 ) et, par voie de conséquence, une acidification des océans, mesurée par la réduction de la « puissance hydrogène » [pH] (concentration des ions hydrogène dans l'eau).

Considérons les zones favorables où les communautés peu profondes des récifs coralliens se développent normalement. Les résultats des modélisations correspondent à une réduction de ces zones favorables en parallèle à l'augmentation des concentrations en gaz carbonique dans l'atmosphère depuis la période préindustrielle jusqu'au proche avenir défini selon les scénarios « moyens » du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Cette zone favorable à l'échelle mondiale est déjà fortement réduite et tend à disparaître pour des teneurs de l'ordre de 550 ppm 1 ( * ) . Il apparaît donc clairement que les évolutions à l'échelle globale seront déterminantes pour l'avenir de la biodiversité marine, quelles que soient les initiatives - bien que d'intérêt - de conservation menées à l'échelle locale. L'objectif prioritaire est donc bien la réduction des gaz à effet de serre.

Le second exemple porte sur les effets du changement climatique sur l'abondance et la répartition d'une espèce de thon (Listao) à l'échelle mondiale. L'application des scénarios du GIEC sur l'évolution des conditions environnementales et d'alimentation des thons, et par voie de conséquence, la répartition géographique de leurs populations, démontre les modifications induites sur les activités de pêche futures - en l'occurrence, une très forte réduction -, sur l'économie et sur les conditions d'alimentation des populations en zone tropicale. De façon similaire, les conditions d'évolution du climat à grande échelle auront des conséquences directes sur la biodiversité marine et les populations humaines à l'échelle de l'outre-mer.

À la suite de la conférence de Rio en 1992, la mise en oeuvre de la Convention sur la diversité biologique (CDB) a permis de définir des objectifs quantifiés de maintien de la biodiversité à l'échelle mondiale. L'évaluation du millénaire des écosystèmes ( Millenium Ecosystems Assessment ) publiée en 2005 a confirmé le caractère essentiel du maintien de la biodiversité comme support des services rendus par l'environnement pour le bien-être humain. Ainsi, toutes les stratégies internationales, régionales et nationales ont actuellement pour objectif d'arrêter les pertes de biodiversité afin de garantir le futur du bien-être humain.

Pour le milieu marin, la stratégie globale a été notamment de définir un objectif de conservation de 10 % des principaux écosystèmes marins sous la forme de réseaux fonctionnels d'aires marines protégées. En effet, les connaissances scientifiques très limitées ne permettant pas d'envisager la reconstruction d'écosystèmes marins, seule la voie de la préservation restait opérationnelle. La France a adopté cette stratégie par la création de l'Agence des aires marines protégées et le développement de parcs naturels marins (loi n° 2006-436 du 14 avril 2006, désormais codifiée aux articles L. 334-1 et suivants du code de l'environnement). Le Grenelle de la mer, en juillet 2009, a défini une stratégie plus ambitieuse portant à 20 % de la ZEE française, sous statut d'aires marines protégées, dont la moitié en zone de conservation halieutique.

À ce jour, les objectifs, bien qu'hétérogènes selon les secteurs géographiques, sont proches d'être atteints (16,5 % en avril 2014), incluant bon nombre de secteurs ultramarins. Si ces objectifs quantitatifs, en surface, sont presque atteints, le caractère fonctionnel du réseau n'est pas démontré. En effet, il est essentiel d'assurer une connectivité entre les différentes mailles du réseau afin de garantir son caractère fonctionnel. Des connaissances scientifiques supplémentaires sont indispensables afin d'atteindre cette fonctionnalité : l'Ifremer coordonne depuis quelques années un Groupement de recherche scientifique (GDR Marco), porté actuellement à l'échelle internationale, afin de mener des recherches sur les plans méthodologique et opérationnel de la connectivité en milieu marin.

Ces notions font également appel à une compréhension du fonctionnement des écosystèmes ainsi que des usages et des modalités de gestion, notion définie sous l'intitulé « d'approche écosystémique ». Cette approche, complétée par des techniques de modélisation, est particulièrement importante afin d'être en capacité de proposer des modalités de gestion au-delà des seules approches sectorielles et d'évaluer leur efficacité.

À titre d'exemple, la gestion des aires marines protégées doit prendre en compte les effets du changement climatique. Les modalités de gestion des pêcheries doivent prendre en compte à la fois, d'abord, les interactions entre les activités de pêche, ensuite, l'évolution des ressources halieutiques, elles-mêmes sous contraintes, et enfin, le changement climatique. C'est bien l'ensemble des paramètres qui doit être pris en compte pour un développement durable des activités. Des actions de recherche de cette nature ont ainsi été coordonnées par l'Ifremer en Guyane sur la coviabilité des pêcheries de crevettes, afin de développer notamment des modèles de gestion de pêcheries plus complexes et d'évaluer la résilience et la viabilité de celles-ci sur le long terme.

En parallèle, l'évaluation des effets du changement climatique sur la biodiversité marine nécessite des observations pérennes afin d'identifier les différentes tendances et de développer des modèles de fonctionnement des écosystèmes, ainsi que des modèles de gestion pour une valorisation durable de cette biodiversité marine. Des observatoires de recherche sont ainsi développés : à titre d'exemple, le système d'information halieutique (SIH), développé par l'Ifremer en collaboration avec la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, permet d'étudier les activités de pêches professionnelle et récréative au niveau de l'Hexagone et des départements d'outre-mer. Cet observatoire s'est développé, selon l'approche écosystémique, en intégrant différents niveaux d'observation au-delà des seuls usages : les évaluations des stocks exploités et des peuplements sont prises en compte ainsi que les critères environnementaux (y compris les polluants comme les macro-déchets), la flore comme la faune (avifaune, mammifères marins). À titre d'exemple, l'Ifremer développe à une échelle plus régionale :

- un observatoire des espèces invasives sur le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon, en partenariat avec l'Association de recherche et développement pour l`aquaculture (ARDA SPM) et les équipes scientifiques canadiennes ;

- un observatoire des tortues marines dans l'océan Indien avec les associations locales : l'évaluation des voies de migration permet de limiter les impacts des activités de pêche par captures accidentelles de ces espèces protégées.

Par ailleurs, le développement de nouveaux observatoires nécessite des développements technologiques innovants, comme la mise en oeuvre de vidéo sous-marine (360°) in situ déployée dans le lagon néo-calédonien par l'équipe Ifremer locale afin d'observer en temps réel la biodiversité marine. De tels développements applicables dans bon nombre de territoires à l'outre- mer nécessitent un partenariat avec les équipes hexagonales spécialisées en technologie sous-marine.

Différents observatoires en matière de biodiversité marine sont actuellement développés par les organismes et instituts de recherche. On peut souligner ici, pour conclure, l'effort nécessaire de coordination porté actuellement par la Fondation de recherche en biodiversité (FRB) dans le cadre du projet Ecoscope soutenu par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et par l'alliance pour les sciences de l'environnement AllEnvi.

Jean-François Silvain, Directeur de recherches à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD)

La biodiversité, terrestre et marine, des territoires ultramarins français - dont certains sont des points chauds de la biodiversité mondiale - constitue un objet d'étude d'importance pour l'Institut de recherche pour le développement (IRD).

Ces territoires constituent des terrains d'étude privilégiés de la biodiversité par les questions de recherche qu'ils suscitent, mais ils sont aussi des points d'appui et des centres d'excellence (exemple des plateformes de génomique en Nouvelle-Calédonie et Polynésie) pour des travaux à des échelles régionales plus grandes, en lien avec les universités et les partenaires locaux.

La recherche dans l'outre-mer français permet de répondre à des besoins de protection, de gestion et de valorisation de la biodiversité au niveau des territoires. Dans le même temps, elle contribue à répondre à des questions scientifiques majeures d'importance régionale, continentale ou planétaire : dynamique des forêts tropicales, déperdition des coraux, acidification des océans, origine de l'endémisme insulaire, etc. Elle donne lieu à des publications dans les meilleures revues internationales.

Environ 50 chercheurs de l'IRD qui étudient la biodiversité ont un chantier de recherche principal dans les collectivités d'outre-mer. Environ 70 % de ces chercheurs travaillent dans les domaines de la microbiologie, de la biologie et de l'écologie, plus de 10 % en pharmaco-chimie et environ 14 % en sciences humaines et sociales. Plusieurs équipes s'intéressent aussi aux relations entre biodiversité et santé.

Les activités des chercheurs de l'IRD se partagent entre l'inventaire, la description et l'analyse de l'état de la biodiversité, l'étude de sa dynamique spatio-temporelle et des facteurs qui l'expliquent, et le soutien à la valorisation et à l'usage durable de la biodiversité.

Les outils de télédétection sont aussi utilisés pour étudier les relations entre les écosystèmes et les sociétés humaines à différentes échelles.

Le contexte et les enjeux du changement global, incluant le changement climatique et les pressions d'origine anthropiques, sont très présents dans ces recherches (réchauffement climatique, acidification des océans, changement d'usage des terres et fragmentation des écosystèmes, surexploitation des ressources terrestres ou marines, espèces envahissantes, pollutions chimiques ou écologiques).

L'institut et ses scientifiques contribuent aux dispositifs de suivi et d'évaluation de la biodiversité dans les différents territoires, notamment au travers de réseaux de parcelles permanentes et de stations de recherche, sans oublier les herbiers de Cayenne et Nouméa. Ces dispositifs sont complétés par la disponibilité de navires océanographiques.

Les chercheurs regrettent toutefois l'absence de dispositifs globaux de suivi de la biodiversité, suffisamment pertinents en termes de couverture spatiale et de représentativité de la diversité des milieux.

Un constat est largement partagé par les chercheurs : le manque de connaissances de base pour pouvoir préserver, gérer et valoriser la biodiversité, ce qui sous-entend un investissement conséquent sur le simple inventaire de la biodiversité.

1. PANORAMA DE LA BIODIVERSITÉ ULTRAMARINE

Les connaissances sur l'état et le fonctionnement des écosystèmes guyanais ont fortement progressé au cours des dernières années. L'originalité en matière de diversité botanique de la moitié nord de la Guyane se confirme : cette partie du territoire rassemble des espèces endémiques et des espèces typiques des Guyanes, alors que la partie sud a davantage d'affinité avec le bassin amazonien.

À La Réunion , on retrouve comme milieux des forêts tropicales, des forêts de montagne, ainsi que des récifs coralliens et des herbiers. En milieu terrestre, les records mondiaux de taux d'endémisme sont atteints à La Réunion.

À Mayotte , sont présentes des forêts tropicales et des forêts sèches, ainsi que des récifs coralliens, des mangroves et des herbiers.

Dans les Îles Éparses , la végétation littorale constitue un lieu important de nidification des oiseaux. On y trouve également des récifs coralliens et des mangroves.

La biodiversité terrestre et marine en Nouvelle-Calédonie est absolument hors du commun. En matière de biodiversité terrestre, la Nouvelle-Calédonie se caractérise par une richesse exceptionnelle en espèces et par des taux d'endémisme records pour certain groupes biologiques : une centaine d'espèces de reptiles dont plus de 90 % d'endémiques, 3 400 espèces de plantes vasculaires dont plus de 2 500 sont endémiques, plus de 5 000 espèces d'insectes décrites présentant un taux d'endémisme variant de 35 % à 100 % selon les groupes. À cela s'ajoute la présence de nombreux taxons appartenant à des lignées dites «archaïques» ou d`espèces ayant notamment développé des adaptations particulières aux sols toxiques riches en métaux.

Les écosystèmes littoraux de Nouvelle-Calédonie sont particulièrement développés avec plus de 30 000 km² de récifs et de lagons, incluant les herbiers. La moitié de la surface des écosystèmes est inscrite au patrimoine mondial, attestant du caractère exceptionnel de ces milieux naturels. La faune profonde associée aux pentes externes et monts sous-marins de Nouvelle-Calédonie présente une grande originalité. Les connaissances sur la diversité spécifique et génétique ont progressé avec l`apport des outils moléculaires. Nous avons ainsi pu avoir confirmation du statut de point chaud de biodiversité marine de la Nouvelle-Calédonie avec plus de 20 000 espèces répertoriées à ce jour. Il faut noter un taux important de micro-endémisme, mais également d'endémisme régional.

L'analyse du fonctionnement de ces écosystèmes montre un faible recouvrement de biodiversité d'une zone à l'autre de la Nouvelle-Calédonie et, à l'échelle régionale, des affinités faunistiques et floristiques fortes avec l'arc mélanésien et la région du triangle de corail. Le thème d'intérêt transversal (TIT) « Biodiversité » de l'Initiative française pour les récifs coralliens (IFRECOR) a permis la moisson et la bancarisation des connaissances en taxonomie. Les données versées à l'Inventaire national du patrimoine naturel (INPN) et au Global Biodiversity Information Facility (GBIF) rendent compte de l'état des connaissances des faune et flore marine de la Nouvelle-Calédonie.

En dépit de l'effort porté sur la connaissance de ces milieux, beaucoup reste à faire au regard de la richesse en espèces et en habitats de la Nouvelle-Calédonie.

La Polynésie française présente un certain nombre de particularités pour le milieu marin. La première d'entre elles est la présence d'un grand nombre d'atolls et donc de formations coralliennes d'une grande richesse écologique et encore relativement préservées. Ce sont des habitats aux équilibres fragiles, très sensibles face aux impacts induits par les pressions anthropiques et les changements climatiques. En matière de ressources halieutiques, ces atolls sont considérés comme des zones très poissonneuses, mais toute activité de pêche, même artisanale, autre que celle visant à satisfaire les besoins locaux des populations en place, conduit rapidement à des situations de surexploitation des ressources démersales ou récifales. Le potentiel de ces zones devrait être exploité de préférence par des activités « non extractives » de type touristique comme la plongée sous-marine.

Une deuxième caractéristique particulière de la Polynésie française est l'étendue de sa ZEE qui couvre près de 5 millions de km 2 et qui présente un potentiel halieutique intéressant de ressources thonières, notamment dans la zone des Marquises. Comme troisième caractéristique, il convient de citer la valeur patrimoniale de certaines zones marines dotées d'une abondance exceptionnelle d'espèces très recherchées, comme les raies manta pouvant représenter une richesse à valoriser par des activités non extractives au bénéfice des populations locales.

Pour résumer, on observera que les outre-mer présentent :

- une série de points communs : une diversité biologique terrestre et marine élevée, une originalité historique et biogéographique, un fort endémisme, des espèces patrimoniales et l'importance des savoirs traditionnels. Hors la Guyane, il faut noter l'importance des écosystèmes coralliens et la valeur patrimoniale de certaines zones marines ;

- des originalités pour chaque territoire :

Guyane : originalité botanique de la moitié nord, faune d'une grande diversité (insectes, amphibiens, tortues, oiseaux...)

La Réunion : forêts de montagne et forêts tropicales ;

Mayotte : forêts tropicales, forêts sèches, récifs coralliens, mangroves et herbiers ;

Îles Éparses : végétation littorale importante pour la nidification des oiseaux, récifs coralliens, mangroves ;

Nouvelle-Calédonie : végétation sur terrains ultramafiques, forêts sèches, écosystèmes littoraux, faunes des monts sous-marins ;

Polynésie française : de nombreux atolls relativement préservés et une vaste ZEE au potentiel halieutique important, notamment en ressources thonières aux Marquises.

Enfin, j'appelle votre attention sur l'importance de ne pas oublier les « disservices » associés aux vecteurs de maladies humaines et aux espèces envahissantes terrestres et marines.

2. PANORAMA DES MILIEUX MENACÉS

a) La Guyane

L'anthropisation menace les savanes, les forêts des flats aurifères qui sont en cours d'élimination, les forêts sur sable blanc (de Régina à St Elie via la Montagne des Chevaux).

Compte tenu de ses éléments d'originalité, la partie nord de la Guyane devrait faire l'objet d'une réflexion en matière de protection des milieux. Une attention particulière devra être portée aux conséquences sur la biodiversité, y compris des sols, des déforestations prévues sur les terres hautes de la bande côtière.

b) La Réunion, Mayotte et les Îles Éparses

Tous les milieux à forte biodiversité sont menacés essentiellement par les pressions humaines, auxquelles s'ajoute l'impact important des changements climatiques.

Le gradient d'impact de l'homme croît en fonction de son temps de présence dans les îles : dix siècles à Mayotte, trois siècles à La Réunion et présence non permanente aux Îles Éparses qui présentent un intérêt particulier pour le suivi des effets du changement climatique en l'absence de pression anthropique.

On relève une menace des invasions biologiques accentuées en milieu terrestre et une vulnérabilité des récifs coralliens associés au milieu littoral face aux actions dégradant ce littoral et résultant des pratiques humaines (constructions, rejets d'eaux usées, impacts physiques dus à la sur-fréquentation, ancres des navires...).

c) La Nouvelle-Calédonie

En milieu terrestre :

Certains écosystèmes sont particulièrement menacés ; globalement, on considère que 70 % environ des formations végétales originelles ont été détruites ou largement modifiées.

On citera les îlots refuges de biodiversité, les formations de forêts sclérophylles dont 99 % de la superficie a disparu en un siècle, ou encore les forêts denses humides sur substrat ultramafique, très largement impactées et fragmentées.

L'exploitation minière, les incendies volontaires et accidentels et l'extension spectaculaire de certaines espèces animales envahissantes constituent, avec les effets du changement climatique sur les espèces à distribution restreinte, les principales pressions anthropiques qui menacent la biodiversité et les milieux néo-calédoniens.

En milieu marin :

Tous les écosystèmes associés aux littoraux sont potentiellement menacés par la pression croissante des activités humaines, amplifiées par le contexte du changement climatique.

Si l`environnement océanique et climatique de la Nouvelle-Calédonie est plutôt favorable aux conditions d'existence des récifs coralliens, le développement des activités minières demeure une menace sérieuse qui s'ajoute aux autres menaces classiquement déclinées dans les autres régions.

La Nouvelle-Calédonie abrite plusieurs populations d'espèces charismatiques dont le dugong (seconde population après celle d'Australie) qui dépend directement des habitats littoraux (herbiers).

L'isolement génétique des populations calédoniennes pose la question de la vulnérabilité de l'espèce et l'importance de la prise en compte de la valeur écologique des habitats naturels directement menacés par les modifications du littoral calédonien.

Ce constat est transposable aux oiseaux marins et aux tortues dont une partie du cycle de vie se réalise sur la bande littorale des îles et îlots coralliens.

d) La Polynésie française

Les menaces qui pèsent sur les milieux fragiles, notamment les atolls, sont nombreuses.

Au-delà des inquiétudes induites par le changement climatique (réchauffement des eaux, acidification des océans, montée du niveau de la mer...), on peut légitimement s'interroger sur l'impact potentiellement négatif de certains grands projets de développement récemment lancés en Polynésie française, comme le projet chinois de ferme aquacole sur l'atoll de Hao aux Tuamotu.

La société qui investit prévoit une production annuelle de plus de 50 000 tonnes de poissons d'élevage sur cet atoll. Les conséquences environnementales d'une telle activité risquent d'être assez catastrophiques.

Ainsi, pour l'ensemble des outre-mer, on observe que les milieux terrestres et marins à forte biodiversité sont menacés par les activités humaines, le changement climatique et les espèces envahissantes, à l'exception de la Guyane pour ce dernier point. On dénote également :

- des originalités spécifiques :

en Guyane, des savanes, des flats aurifères et des forêts sur sable blanc,

à La Réunion, l'importance de la continuité entre le milieu littoral et les bassins versants,

en Nouvelle-Calédonie, des forêts sclérophylles, des forêts denses humides sur substrat ultramafique et des écosystèmes associés aux milieux littoraux,

en Polynésie française, les atolls ;

- des pressions spécifiques :

en Guyane, un changement d'usage des terres du fait des exploitations aurifères,

en Nouvelle-Calédonie, des incendies volontaires et accidentels liés à l'exploitation minière,

en Polynésie française, une surexploitation des ressources marines.

3. APPRÉCIATION DES DISPOSITIFS DE SUIVI ET D'ÉVALUATION

a) Guyane

Un observatoire global de la biodiversité fait défaut en Guyane. Les dispositifs existants (réseaux de parcelles permanentes et stations de recherche - Nouragues, Paracou, Piste de Saint-Élie - sont des dispositifs de suivi sur le long terme de la biodiversité, de même que les dispositifs d'observation du Parc amazonien de Guyane) ont le mérite d'exister, mais ont soit une représentativité discutable (Zone Naturelle d'Intérêt Écologique, Faunistique et Floristique ou ZNIEFF), soit une trop faible couverture du territoire. Il n'y a pas de surveillance de l'état des différents biomes (forêt, savane, fleuves etc.).

Chez les plantes forestières, la plupart des espèces, notamment les espèces rares, sont associées à des territoires plus ou moins vastes et difficiles à cerner au sein desquels leurs populations semblent se déplacer lentement, mais sûrement. Le fractionnement induit inéluctablement une perte importante de diversité, notamment par la rupture de ce flux permanent d'espèces. Dans ce contexte, gérer fractionnement et intégrité est autre chose que de transposer le raisonnement « trame verte et bleue ».

Les scientifiques soulignent les limites d'un « décalque » des dispositifs métropolitains en Guyane du fait du contexte différent, en particulier en matière de connaissance de la diversité biologique et de sa distribution. En Guyane, les efforts d'inventaires, et donc l'estimation des notions de richesse et de rareté, ont été ponctuels et hétérogènes et les données disponibles peuvent donc difficilement constituer une base objective à la création par exemple de ZNIEFF.

Même si la création du Labex CEBA (Centre d'étude de la biodiversité amazonienne) en 2011 a permis des avancées significatives à ce niveau, il convient donc d'insister sur le manque de connaissances de base pour pouvoir préserver et gérer la biodiversité, ce qui sous-entend un investissement conséquent sur le simple inventaire de la biodiversité.

L'Herbier de Guyane est un dispositif à visée globale sur le territoire, mais il manque de moyens (gestion et investigations).

Un consortium qui associerait les grands acteurs (PNRG, PAG, ONF, DEAL) et les scientifiques permettrait de réaliser un tel observatoire global de la biodiversité.

b) La Réunion, Mayotte et les Îles Éparses

Pour la biodiversité marine, plusieurs dispositifs existent :

- Le Global Coral Reef Monitoring Network (GCRMN) , depuis 1998 : dispositif faisant partie du réseau mondial de suivi des récifs coralliens, en place à La Réunion, Mayotte et les Îles Éparses, et qui s'appuie sur une expertise scientifique de haut niveau ; un très bon outil, qui permet d'effectuer un suivi annuel sur quelques stations, mais qui manque de représentativité spatiale. Cependant, la réplication temporelle constitue un élément très important dans ces suivis ;

- Le Reef Check : suivi plus léger par les clubs de plongée et les associations ; un outil utile mais moins performant. Cet outil présente l'avantage d'une implication citoyenne dans les suivis, qui est essentielle pour sensibiliser les usagers à la vulnérabilité des milieux ;

- La mise en place du suivi Directive Cadre sur l'Eau (DCE) adapté aux outre-mer, avec prise en compte du compartiment benthique des récifs coralliens (coraux, algues) influencé par les masses d'eau. Cet outil manque de réplications temporelle et spatiale, d'où la difficulté de relier les masses d'eaux à l'état de santé des récifs ;

- Le réseau de suivi Island biodiv en forêts tropicales, avec des parcelles permanentes multi-strates (sols, litière, végétation surface) ;

- Le réseau de suivi sentinelle pour le changement climatique, Moveclim. Présentant un gradient de 0 à 3000 mètres, il utilise le groupe des mousses comme indicateur. Plusieurs territoires ultramarins européens sont intégrés dans ce réseau.

Il apparaît important de coordonner tous les suivis pour avoir une analyse globale qui prenne en compte l'ensemble. Les points focaux peuvent être les parcs et les réserves nationales, ce qui est le cas en partie :

- au niveau marin : les parcs marins (Mayotte, les Glorieuses) et les réserves marines (La Réunion) ;

- au niveau terrestre : le parc national des Hauts de La Réunion.

À La Réunion, île tropicale jeune aux flancs abrupts, il est essentiel de prendre en compte la continuité entre milieu littoral et bassins versants. Il est également important de suivre la fragmentation, en particulier en milieu terrestre.

Il existe de très bons outils de suivis pérennes via l'OSU-Réunion qui coordonne des stations d'observation sur le long terme. Exemples :

- SNO-trait de côte, station ERORUN au sein du réseau bassins versants (RBV) qui prend en compte cette continuité terre-mer ;

- SOERE Rivière des pluies avec approche pluridisciplinaire (biologie, physique atmosphère, hydrogéologie, ...) pour modéliser l'impact du changement climatique.

Au niveau régional, la mise en place d'un grand observatoire de l'océan Indien (G2OI) permettrait d'articuler les efforts de suivi entre les différents pays concernés.

c) Nouvelle-Calédonie

Dans le cadre du transfert progressif des compétences, les questions environnementales sont maintenant du ressort principal des trois provinces (Sud, Nord, Îles Loyauté) et du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, qui se sont récemment dotés d'un organisme inter-institutionnel : le Conservatoire des Espaces Naturels (CEN) structuré autour de trois pôles : Lagon/Patrimoine mondial ; Forêts sèches ; Espèces envahissantes.

À côté de ce dispositif, les provinces sont dotées de plusieurs aires marines protégées aux dimensions et statuts variables. L'effet de ces réserves n'est pas totalement évalué, faute de ressources humaines et logistiques, mais ces dispositifs jouent incontestablement un rôle important dans l'éducation et la sensibilisation des populations.

Le suivi des communautés coralliennes de la Nouvelle-Calédonie repose, comme dans les autres territoires ultramarins, sur deux systèmes de suivi :

- Le Global Coral Reef Monitoring Network (GCRMN), réseau mondial mis en place sur un petit nombre de sites et avec le concours de structures de recherche (Université),

- et le Réseau d'observation des récifs coralliens (RORC), déclinaison calédonienne de Reef Check , qui complète aux échelles locales le suivi avec un protocole allégé et une forte implication citoyenne basée sur le volontariat.

Ces dispositifs mettent en oeuvre des protocoles établis avec le concours de l'expertise scientifique, mais qui mériteraient d'être réévalués à la lumière des séries de données accumulées depuis plusieurs décennies. La critique majeure est celle de la représentativité des sites de suivi et la pertinence de certains paramètres.

L'IFRECOR a joué un rôle important dans le maintien de ces réseaux en apportant les fonds nécessaires au soutien de la formation des volontaires.

La directive cadre sur l'eau (DCE) ne s'applique pas aux provinces calédoniennes.

La Nouvelle Calédonie, et en particulier la province Sud, se sont dotées d'un observatoire de l'environnement en Nouvelle-Calédonie (l'OEIL) qui a pour mission de veiller et d'informer sur l'état de l'environnement et d'optimiser les protocoles d'étude. Ce dispositif était à l'origine associé au suivi des impacts du développement minier du pays.

Côté recherche, l'IRD coordonne depuis 2010 dans un cadre scientifique interinstitutionnel le Grand Observatoire de l'environnement et de la biodiversité du Pacifique Sud (GOPS), sous l'égide duquel un effort récent a été initié afin de structurer un plus grand nombre de dispositifs d'observation de la biodiversité terrestre et marine et de ses modifications sous l'effet des composantes des changements globaux.

Le centre IRD de Nouméa héberge une importante plateforme de collections, avec en particulier un herbier (plus de 70 000 spécimens), une collection entomologique (plus de 40 000 échantillons) et des collections marines.

Plusieurs initiatives, sans grand succès, ont été proposées pour observer et suivre dans un continuum terre-mer les différents compartiments biologiques, physiques et humains.

d) Polynésie française

Il est important de souligner que les suivis sont de la compétence exclusive du gouvernement de la Polynésie française et non de l'État. Ce sont les services du pays qui mettent en oeuvre les suivis lorsqu'il y en a. L'État et ses services ne peuvent intervenir sur le fonctionnement de ces activités de suivi qu'à la demande du pays.

Le secteur de la pêche hauturière en Polynésie française est plutôt bien suivi, avec dans certains cas des mesures de gestion assez exemplaires (interdiction de la pêche industrielle à la senne dans toute la ZEE, interdiction de la pêche des requins ...). C'est moins le cas pour la pêche côtière et les activités lagonaires qui restent sous haute pression, notamment à Tahiti et à Moorea.

Du point de vue des suivis environnementaux, la situation est beaucoup plus problématique. La direction de l'environnement de la Polynésie (DIREN) ne dispose pas des moyens suffisants pour intervenir sur le terrain, surtout avec un territoire grand comme l'Europe et disséminé sur 118 îles et atolls. Des organismes scientifiques comme le CRIOBE (CNRS/ EPHE) effectuent néanmoins des suivis scientifiques récurrents de l'état de santé de certaines zones récifales. Ces séries historiques longues ont une importance cruciale pour évaluer les dégradations dues aux pressions anthropique et climatique.

Ainsi, pour l'ensemble des outre-mer évoqués, on relève des caractéristiques communes :

- de portée négatives :

le manque de connaissances de bases nécessaires à l'établissement de dispositifs de suivi et d'évaluation pertinents - hors formations coralliennes -, et le manque de coordination des dispositifs existants ;

un problème de représentativité, notamment spatiale, des dispositifs et un manque de pertinence des paramètres mesurés ;

la difficulté de transposer aux outre-mer des dispositifs et des concepts métropolitains ;

- de portée positives :

la multiplication des aires protégées, marines et terrestres ;

les dispositifs internationaux de suivi des coraux (La Réunion, Nouvelle-Calédonie) ;

le bon suivi de la pêche hauturière (Polynésie française) ;

l'utilité des réseaux de suivi (Guyane, La Réunion, Nouvelle-Calédonie) et la mise en place de la DCE (La Réunion) ;

les herbiers et les collections (Guyane, Nouvelle-Calédonie).

Certains territoires connaissent des spécificités administratives : questions environnementales sont du ressort principal des trois provinces (Sud, Nord, Îles Loyauté) et du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ; ils sont de la compétence exclusive du gouvernement de la Polynésie française.

La Polynésie doit faire face aux problèmes spécifiques du suivi de la pêche côtière et des activités lagonaires.

Il apparaît globalement nécessaire d'organiser une meilleure coordination de l'existant et de mettre en place de grands observatoires (GOPS, G2OI).

4. PRISE EN COMPTE CULTURELLE DE LA PROBLÉMATIQUE

a) Guyane

D'une manière générale, les chercheurs de l'IRD soulignent l'importance de la prise en compte et de la sauvegarde des savoirs locaux et également de la « réappropriation » par les populations urbaines d'une connaissance des milieux naturels et des espèces. La diversité de la société guyanaise rend toutefois complexe l'appréciation de cette réalité.

Au plan politique, les scientifiques notent le changement majeur qui est intervenu il y a quelques années avec une transition nette entre une vision ancienne où la biodiversité apparaissait comme une source d'exploitation, avec l'extraction minière, et comme un frein au développement agricole et industriel, et une vision moderne, où la biodiversité, perçue comme source de richesse à préserver, est devenue un enjeu politique majeur. Cette nouvelle perception s'accompagne d'un souhait de gestion locale de l'accès à la biodiversité, de son exploitation et de sa valorisation. Cette évolution positive peut toutefois avoir des incidences perçues comme négatives par les chercheurs. Il est important d'insister sur le fait que, pour être valorisée, la biodiversité guyanaise doit d'abord être connue, et qu'il y a là encore un gros effort à réaliser.

b) La Réunion, Mayotte et Îles Éparses

Culturellement, les populations de La Réunion et de Mayotte sont tournées vers la terre, la considération de la dimension maritime étant quasiment inexistante avant les années 90.

L'éducation scolaire apparaît majeure pour la prise en compte de la biodiversité et de sa vulnérabilité. Ainsi, a été par exemple conçue une mallette pédagogique IRD MARECO sur les récifs coralliens qui permet de sensibiliser les élèves à travers des jeux.

La sensibilisation des responsables politiques aux enjeux de la biodiversité et des services écosystémiques est également importante. Même si la biodiversité est devenue pour eux un outil de communication (ex : année de la biodiversité en 2013 pour la Région Réunion), elle est souvent mal comprise et donne lieu à des actions parfois contradictoires.

La création de parcs marins à Mayotte (2010) et aux Glorieuses (2011), de la réserve nationale marine et du parc national des Hauts à La Réunion (2007) montrent une certaine volonté au niveau national de conserver et de protéger les milieux naturels à forte biodiversité.

Atteste également de cette volonté l'initiative française sur les récifs coralliens (IFRECOR) avec une politique plus ou moins active au niveau national, régional et local dans sept collectivités outre-mer.

On doit noter une problématique particulière à La Réunion concernant la «crise requins», avec la création de cellules de concertation entre usagers, scientifiques, État... et d'un centre de ressources sur les requins. Faisant auparavant l'objet d'un déni, cette problématique a été prise en compte à partir de 2011.

c) Nouvelle-Calédonie

La Nouvelle-Calédonie et ses trois provinces, à la différence des départements d'outre-mer, sont quasi exclusivement compétentes en matière de règlementation, de gestion et de protection des ressources naturelles, et de la biodiversité en particulier. Le droit européen de la biodiversité ne s'y applique pas et le droit français que partiellement.

On retrouve toutefois en Nouvelle-Calédonie, point chaud de la biodiversité, tous les habituels sujets de préoccupation sur la biodiversité ultramarine - lutte contre les espèces envahissantes dans des milieux insulaires vulnérables, protection des espèces endémiques en danger, protection juridique de la propriété intellectuelle des savoirs traditionnels, mise en oeuvre du protocole de Nagoya et de la démocratie environnementale, enjeux liés à la marchandisation de la biodiversité.

Outre les aires marines protégées provinciales et les zones inscrites au Patrimoine mondial, le 23 avril 2014, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a créé le parc marin de la mer de corail, une aire marine protégée (AMP) de 1,3 million de kilomètres carrés, la plus vaste de France et l'une des plus importantes au monde.

À travers ces initiatives, les aspects culturels sont de plus en plus pris en considération, notamment dans la gestion de ces espaces avec la mise en place de comité de gestion participative impliquant toutes les composantes de la société.

La biodiversité, dont certains éléments étaient source d'identité pour les Kanak, est désormais en Nouvelle-Calédonie une ressource en compétition avec la ressource minière. Elle a pris au fil du temps une dimension patrimoniale où les savoirs traditionnels sont davantage pris en compte, avec toutefois une diversité culturelle et une organisation institutionnelle qui complexifient les processus et qui n'apportent pas nécessairement de solution pour mieux connaître et appréhender la biocomplexité des socio-écosystèmes tels que les récifs coralliens par exemple.

L'étude de savoirs locaux sur la nature, et plus largement des rapports à la nature et à l'environnement des populations de la Nouvelle-Calédonie, et en particulier du peuple kanak, passe par la compréhension de leur signification culturelle, de leurs usages et fonctions (thérapeutique, symbolique, productive...), de leur territorialisation (rapport à l'espace terrestre et marin) et de leurs modes de transmission.

Les chercheurs de l'IRD ont développé spécifiquement des programmes de cogestion des ressources halieutiques adaptés aux régions étudiées et impliquant les populations concernées, les pouvoirs publics et les décideurs. L'appui scientifique à l'élaboration du code de l'environnement de la province des Îles Loyauté témoigne également de la bonne collaboration entre chercheurs de l'IRD et populations et décideurs locaux attachés à leurs valeurs culturelles.

Une meilleure prise en compte des questions de la biodiversité passe par l'éducation, notamment dans un contexte de pluralisme culturel.

Pour l'écosystème corallien, l'initiative nationale IFRECOR déclinée au plan régional à travers les comités locaux installés dans chacun des territoires devrait pouvoir se saisir de ces aspects et renforcer les actions dans ces domaines, comme par exemple la mallette pédagogique MARECO, déjà citée.

Enfin, la biodiversité néocalédonienne est un véritable enjeu au plan de la valorisation. Au moment où se met en place un incubateur adossé à une technopole et un consortium de valorisation thématique (CVT), les substances naturelles issues du domaine marin sont un enjeu qui nécessite le renforcement des actions de recherche pour accompagner correctement l'activité de valorisation et d'innovation.

Dans un contexte où la biodiversité représente une source d'inspiration à des fins d'innovation et de valorisation, les notions de propriétés patrimoniale, intellectuelle, culturelle et industrielle prennent une importance particulière dans la réflexion et la mise en place des dispositifs juridiques du pays.

d) Polynésie française

Concernant l'approche culturelle, la population polynésienne reste très proche de la nature, et de la mer en particulier. Dans les sociétés polynésiennes, culture et nature restent indissociables et les accidents du passé restent profondément inscrits dans les mémoires !

Concernant la dimension culturelle de la prise en compte de la biodiversité, les constats suivants peuvent être dressés pour l'ensemble des territoires évoqués précédemment :

- la biodiversité est devenue un enjeu politique, un outil de communication politique, mais les concepts sont parfois mal compris et les actions contradictoires ;

- la mise en oeuvre du protocole de Nagoya (aspects juridiques : APA, conséquences pour la recherche) et de la démocratie environnementale, enjeux liés à la marchandisation de la biodiversité ;

- l'importance de l'éducation des scolaires ;

- l'importance de la prise en compte des savoirs locaux (Guyane, Nouvelle-Calédonie, Polynésie française) ;

- la biodiversité comme source de richesse et d'inspiration et comme enjeu de valorisation et de développement.

De façon plus spécifique, il faut noter :

- en Guyane, le besoin de « réappropriation » par les populations urbaines d'une connaissance sur les milieux naturels et les espèces ;

- à La Réunion et à Mayotte, dont les populations sont historiquement tournées vers la terre, l'émergence de la crise tenant aux attaques de requins ;

- en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, une prise en compte du pluralisme culturel et une biodiversité en compétition avec la ressource minière ;

- en Polynésie française, une population polynésienne très proche de la nature et de la mer en particulier, culture et nature restant indissociables. Priorité y est donnée au développement d'activités « non extractives » de type touristiques, au bénéfice des populations locales.

Je remercie l'ensemble des représentants et chercheurs de l'IRD qui ont contribué à cette synthèse.

Bernard Cressens, Président du Comité français de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN)

L'UICN, dont le siège se trouve aujourd'hui en Suisse, est née en France il y a une soixantaine d'années à l'initiative de scientifiques désirant partager leurs connaissances et leurs inquiétudes avec les États souverains. Elle vise à améliorer la connaissance, à mieux la partager pour pouvoir gérer durablement les écosystèmes et permettre le maintien des services rendus qu'ils nous donnent. Elle publie par exemple des listes rouges propres à chaque région, rendant compte de l'état des écosystèmes en identifiant les espèces menacées. Des programmes de conservation sont aussi développés, particulièrement à travers l'outil des aires protégées, grâce auxquelles les hommes gèrent la nature dans un intérêt commun. En effet, la présence humaine sur la planète est due à la biodiversité, elle-même à l'origine de l'oxygène. Plutôt que de la nature, dont l'homme se croyait au-dessus, nous parlons désormais de la biodiversité, vision globale du vivant dans lequel s'inscrit l'humanité. Chaque homme constitue lui-même un centre de biodiversité en raison du nombre de virus, de bactéries, de champignons voire d'autres hôtes parasites qu'il porte en lui.

Notre connaissance systématique et scientifique est importante. La France a la chance de disposer de très bons organismes scientifiques. Toutefois, la connaissance systématique doit aussi être pratique et opérationnelle, afin de permettre un vivre ensemble harmonieux avec les communautés animales et végétales.

Dans les outre-mer, la richesse de la biodiversité se double d'une richesse culturelle importante. De nombreuses communautés sont parvenues à vivre en harmonie avec la nature. Parfois comme sur l'île de Pâques, le développement humain a conduit à la destruction de son espace naturel. Il convient de faire en sorte que la planète Terre ne connaisse pas le même sort que l'île de Pâques, même si aujourd'hui un programme intéressant de renaturation des écosystèmes est mis en oeuvre sur l'île de Pâques.

Les outre-mer pâtissent d'un double handicap. Ce sont majoritairement des écosystèmes isolés et lointains. Ils dépendent de l'Europe, alors que les Européens sont continentaux et terriens. Lorsque l'Union européenne (UE) a souhaité élaborer une politique maritime, j'ai assisté à une réunion de travail à Paris où notre représentant au Conseil de l'Europe constatant que la mer n'arrivait pas à Paris, affirmait que la France n'était pas un pays maritime. Or, la France est le deuxième pays maritime au monde grâce à ses outre-mer et elle n'a pas une politique maritime à la hauteur de cet atout considérable.

Quant à la politique de biodiversité des outre-mer, elle a fait l'objet d'une prise de conscience croissante depuis une vingtaine d'années. Les organisations non gouvernementales telles que l'UICN y ont d'ailleurs contribué. Le comité français de l'UICN vient d'éditer un ouvrage présentant l'état des connaissances de la biodiversité dans les outre-mer. Beaucoup reste à faire en la matière, notamment dans le cas des milieux maritimes ou une bonne partie de la biodiversité (espèces, écosystèmes et services rendus) est encore mal connue. Il serait inutile de disposer de cette connaissance après que les espèces et les écosystèmes aient été détruits. Il nous faut donc mieux connaître pour mieux gérer et appliquer le principe de précaution.

Puisque les outre-mer représentent 80 % de la biodiversité française, il conviendrait d'y allouer plus de moyens humains et financiers. Pour gérer le parc naturel marin des îles Glorieuses, non habité de façon permanente mais dont la surface avoisine celle de la Corse, nous disposons d'un budget de 150 000 euros. Nous n'avons pas encore mesuré la nécessité de doter les outre-mer de moyens plus importants et surtout plus efficaces. Les politiques en faveur de la connaissance, de la recherche et du développement soutenable doivent être amplifiées dans les outre-mer où existent des atouts majeurs.

Les collectivités territoriales et les services de l'État doivent travailler davantage en synergie. Il faut également que les populations locales soient plus impliquées, une connaissance non partagée par ces dernières ne permettant pas une préservation efficace. Les jeunes d'outre-mer adhèrent désormais à une connaissance internationale grâce à l'usage des techniques modernes de communication, mais sont peu enclins à adhérer à une connaissance de leur territoire. Protéger leur nature et consommer leurs produits locaux ne sont pas forcément valorisant pour eux, dès lors qu'ils n'ont pas conscience du caractère extraordinaire de leur propre biodiversité. Connaître son patrimoine naturel, y avoir ses racines et être fier de sa spécificité culturelle et naturelle sont des atouts pour une gestion durable de la biodiversité ultramarine.

Bernard Deceuninck, Ornithologue, représentant de la Ligue de protection des oiseaux (LPO)

L'outre-mer est essentiellement marin. L'avifaune ultramarine représentant un enjeu mondial comprend de nombreuses espèces présentes dans les espaces marins. Toutefois, d'autres espèces non marines, notamment les espèces endémiques, sont également menacées et méritent que nous nous y intéressions. En effet, la France et ses outre-mer sont un foyer d'endémisme pour l'avifaune.

La connaissance de l'avifaune progresse plus facilement que celle des autres types de faune, les oiseaux étant assez faciles à observer en raison de leurs chants et cris. Des sociétés ornithologiques se sont développées, qui couvrent la plupart des territoires d'outre-mer et contribuent à la connaissance des oiseaux en termes de distribution, d'effectifs et de tendances des populations, qui permettent d'évaluer leur état de santé. D'autres structures diverses s'intéressent aux oiseaux dans l'outre-mer : l'IRD, le Muséum national d'Histoire naturelle, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l'Office national des forêts (ONF), les universités, etc. Si l'inventaire de l'avifaune n'est pas terminé, le niveau de connaissance est, en revanche, suffisant pour dresser un tableau de bord de l'état de conservation des espèces.

La liste rouge est un outil développé et promu par l'UICN. Au niveau mondial, BirdLife International produit les analyses nécessaires à l'établissement d'une liste rouge et à la mesure de l'évolution du statut des espèces d'oiseaux. Dans ce cadre, des foyers de présence d'espèces mondialement menacées ont été identifiés, notamment des espèces endémiques et coloniales localisées, des oiseaux ayant vu leur espace se réduire comme peau de chagrin et ne survivant que dans quelques sites. 9 000 zones importantes pour la conservation des oiseaux et de la biodiversité autour de la terre ont également été définies selon ces critères de confinement, dont 143 concernent l'outre-mer. Parmi ces dernières, certaines sont très étendues, comme le Parc national amazonien en Guyane, par exemple.

Le nombre d'espèces endémiques dans l'outre-mer français, supérieur au nombre d'espèces endémiques présentes dans toute l'Europe, témoigne de l'importance de l'outre-mer en termes de biodiversité. Les îles Canaries et Madère sont des foyers d'endémisme en Europe, celles-ci ne comptant toutefois qu'une vingtaine d'espèces endémiques. Une trentaine d'espèces endémiques ont d'ores et déjà disparu en outre-mer. Quant aux récifs coralliens, 5 des 34 points chauds identifiés se trouvent en outre-mer français.

L'Outre-mer français compte plus de 1 100 espèces d'oiseaux répertoriées, soit 11 % de l'avifaune planétaire et 75 % de l'avifaune française, la majorité se trouvant en Guyane, soit 600 espèces. 11 des 218 zones d'endémisme de l'avifaune se trouvent aussi en outre-mer. L'inventaire complet de l'avifaune française, Métropole comprise, compte environ 1 500 espèces d'oiseaux, dont les oiseaux migrateurs, soit 15 % de l'inventaire mondial.

La richesse de l'avifaune ultramarine s'explique par la variété des habitats, parmi lesquels les mangroves, les récifs coralliens et les forêts boréales à Saint-Pierre-et-Miquelon. Par son biais, un cortège d'espèces nord-américaines est présent en France. Les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) sont surtout concernées par les oiseaux marins, dont des espèces mondialement menacées comme les albatros et manchots. De plus, la richesse en avifaune de la forêt tropicale n'est pas encore intégralement inventoriée, comme c'est le cas en Guyane où elle semble mieux préservée.

La France compte 80 espèces mondialement menacées, soit moitié moins que le Brésil, et se situe à la dixième position mondiale en la matière. 90 % des espèces mondialement menacées que compte la France se trouvent en outre-mer, en particulier en Polynésie.

L'UICN classe en liste rouge les espèces vulnérables, les espèces en danger et les espèces en situation critique. Alors que les espèces vulnérables pourraient disparaître d'ici un siècle, celles étant en danger pourraient disparaître dans quelques décennies, contre quelques années pour les espèces en situation critique si rien n'est entrepris pour les sauvegarder. Dans les TAAF, les oiseaux marins affectés par le changement climatique sont menacés, tandis que la Guyane compte davantage d'espèces quasi menacées : en cas de dégradation du milieu, elles pourraient être ajoutées à la liste rouge. Par conséquent, la Guyane, dont le milieu se dégrade, pourrait rapidement devenir l'outre-mer la plus concernée par les espèces menacées. Si la grive à pied jaune est très répandue en Guadeloupe, sa population s'est dégradée à Sainte-Lucie ; elle est en effet toujours chassée, en dépit de sa vulnérabilité au niveau mondial. Le cagou, présent en Nouvelle-Calédonie, ne se porte pas bien non plus, malgré l'attention dont il fait l'objet.

L'avifaune fait l'objet de menaces similaires à celles auxquelles est confronté le milieu marin et les milieux côtiers : la perte et la dégradation de l'habitat concernant la majorité des espèces ; la surexploitation directe, la chasse par exemple ; les espèces introduites envahissantes, dont le rat qui a causé la disparation de plusieurs espèces d'oiseaux et détruit la végétation de certains îlots ; la pêche à la palangre concernant quasiment tous les albatros présents dans les TAAF ; le changement climatique pouvant affecter potentiellement toutes les espèces menacées ou affaiblies en induisant une réduction de la nourriture et du succès reproducteur de certaines espèces.

Toutefois, le changement climatique n'ayant pas encore entraîné de disparition d'espèces ultramarines, il n'est pas encore considéré comme une menace majeure. En revanche, de nombreux indicateurs montrent que des espèces quittent le territoire français et l'évolution de leur distribution permet de quantifier la façon dont le changement climatique affecte les populations d'oiseaux.

Si l'inventaire de l'avifaune n'est pas terminé, les foyers de biodiversité sont connus. Par exemple, le territoire de la Guyane, probablement le plus difficile à explorer, promet encore sans doute de nombreuses découvertes. Les zones naturelles d'intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF) sont importantes pour l'avifaune, mais aussi pour certains habitats, des groupements végétaux particuliers par exemple. Des outils de protection existent d'ores et déjà et sont appliqués en métropole et en outre-mer. La Guyane, par exemple, compte plusieurs zones protégées : les réserves naturelles régionales ou nationales, le Parc national amazonien, des territoires acquis par le Conservatoire national du littoral. Par conséquent, il est possible d'inventer de nouveaux outils de protection des espaces naturels applicables à l'outre-mer, mais les possibilités offertes par le panel d'outils existant et permettant de protéger les habitats ne sont pas encore épuisées, à appliquer notamment aux ZNIEFF qui ne bénéficient à ce jour d'aucune mesure de protection.

Le Grenelle de l'Environnement a initié une dynamique de protection des espèces les plus mal en point à travers notamment la mise en place de plans nationaux d'action (PNA). À l'occasion d'un séminaire organisé fin 2011 à Bordeaux par le ministère de l'écologie, j'avais réalisé une synthèse consacrée aux PNA et à leurs apports en faveur de l'avifaune. Malheureusement, la dynamique a accusé un ralentissement depuis, faute de crédits. Une vingtaine de PNA avait initialement été mis en place pour les espèces prioritaires de Métropole, mais seuls quatre portaient sur des espèces ultramarines. Or, les PNA fonctionnent et sont peu onéreux, puisque leur coût est équivalent à celui d'un rond-point garni dans mon département. 68 espèces mondialement menacées attendent de bénéficier d'un tel plan d'action.

Par exemple, des progrès ont été enregistrés grâce aux mesures de protection d'urgence dont a fait l'objet l'albatros d'Amsterdam. Cette espèce endémique niche uniquement sur l'îlot d'Amsterdam, où la végétation a été perturbée suite à l'introduction de vaches. Un travail de limitation des introductions d'espèces a produit des résultats très positifs en termes de productivité des couvées, même si la situation reste critique pour cette espèce avec seulement une cinquantaine de couples reproducteurs.


* 1 ppm : parties par millions

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