II. LES CLEFS DU SUCCES DU MODELE D'APPRENTISSAGE GERMANIQUE

Comme l'a indiqué à votre délégation M. Johannes Schweighofer, responsable de la politique internationale du marché de l'emploi au ministère des affaires sociales, il n'existe pas d'explication certaine du succès du modèle d'apprentissage germanique.

Cependant, la plupart des observateurs indiquent que la bonne image dont jouit l'apprentissage dans l'opinion publique, l'orientation précoce des élèves, la place importante accordée aux partenaires sociaux et l'implication du service public de l'emploi jouent vraisemblablement un rôle clef dans le bon fonctionnement de cette formation en alternance.

A. UN SYSTÈME SCOLAIRE QUI ORIENTE PLUS TÔT QU'EN FRANCE LES JEUNES VERS L'APPRENTISSAGE, GRÂCE À UNE IMAGE POSITIVE DE CETTE FORMATION EN ALTERNANCE

1. Une image positive de l'apprentissage

Votre délégation a constaté auprès de tous ses interlocuteurs que l'apprentissage était un sujet qui bénéficiait d'une grande attention et d'un consensus remarquable de la part des partenaires sociaux en Allemagne et en Autriche, ce qui n'exclut cependant pas certaines divergences d'analyse quant aux réformes à mener.

a) En Allemagne

Le cadre juridique du système d'apprentissage allemand a été mis en place dès 1969 et a été révisé une seule fois en 2005.

Cette stabilité tranche singulièrement avec la situation du système français qui a connu ces dernières années, quelle que soit l'orientation politique du Gouvernement, de nombreuses réformes qui ne sont pas parvenues à enrayer son déclin relatif.

Comme l'indique avec raison Bertrand Martinot, l'apprentissage en Allemagne ne constitue ni une voie d'excellence, ni une voie de garage, mais une voie d'accès normal à des centaines de métiers. De fait, l'apprentissage est considéré outre-Rhin « comme le mode d'accès quasi-exclusif aux emplois de qualification moyenne (mais pas supérieure) qui garantissent des débouchés professionnels satisfaisants et des perspectives de progression ultérieure dans des entreprises dynamiques, ce qui peut expliquer sa forte valorisation sociale » 29 ( * ) .

Faisant suite aux pactes nationaux pour l'apprentissage et le développement de la main d'oeuvre qualifiée conclu depuis 2004, une Alliance pour la formation initiale et continue pour la période 2015-2018 a été signée le 12 décembre 2014 par le Gouvernement, la Confédération allemande des syndicats ( Deutscher Gewerkschaftsbund ou DGB), la Confédération des associations patronales allemandes (BDA), l'équivalent allemand de Pôle emploi, plusieurs organisations professionnelles, les chambres de commerce et d'industrie, la conférence des ministres de la culture des Länder, celle des ministres de l'économie, celle des ministres du travail et des affaires sociales. Comme l'a souligné la représentante du ministère fédéral de l'économie et de l'énergie à votre délégation, tous ces acteurs ont clairement conscience d'être « sur le même bateau ».

L'Alliance pour la formation initiale et continue (2015-2018)

Cette Alliance comprend les engagements suivants :

- les entreprises s'engagent à offrir 500 000 postes d'apprentissage chaque année ;

- les syndicats de salariés vont accroître leurs efforts au niveau des Länder pour mieux orienter les jeunes ;

- les Länder devraient quant à eux modifier leurs législations pour améliorer l'accueil des jeunes apprentis et la coopération entre les écoles professionnelles et celles généralistes ;

- tous ces acteurs doivent participer à une semaine nationale de l'apprentissage en début d'année.

b) En Autriche

Parmi les cinq facteurs souvent mis en avant pour expliquer les performances économiques autrichiennes, figurent :

- une forte proportion de TPE et PME dont les capitaux sont détenus par des familles ;

- un positionnement sur des marchés de « niche », peu connus du grand public en général ;

- un dialogue social de qualité au niveau national et de l'entreprise ;

- l'ouverture vers l'international du fait d'un marché intérieur limité ;

- le système d'apprentissage.

En 2013, le diplôme le plus élevé que possèdent 39 % des personnes en activité en Autriche était un certificat de fin d'apprentissage 30 ( * ) . Cette proportion atteint d'ailleurs 71,6 % dans les métiers de l'artisanat, et 63 % pour les monteurs et installeurs de machines.

En outre, de nombreux hauts fonctionnaires ainsi que des ministres de premier rang, comme M. Rudolf Hundstorfer l'actuel ministre du travail, des affaires sociales et de la protection des consommateurs, ont débuté leurs carrières par l'apprentissage, ce qui contribue à valoriser son image dans l'opinion publique.

Parmi les cadres dirigeants, le pourcentage de personnes possédant comme diplôme le plus élevé un certificat de fin d'apprentissage s'élève à 29,2 %, et atteint 6,8 % dans les professions académiques comme les scientifiques.

En outre, de nombreuses entreprises autrichiennes, dans le cadre de leur responsabilité sociale, mettent un point d'honneur à former de nombreux d'apprentis. Ainsi, votre délégation a rencontré le directeur des ressources humaines de Kapsch , qui outre 20 à 25 apprentis de droit commun, accueille cette année 12 apprentis handicapés ou réfugiés politiques dans le cadre de programmes spécifiques.

2. Une orientation vers l'apprentissage dès douze ans en Allemagne

Alors que le collège unique français a vocation, sauf exceptions, à assurer un enseignement indifférencié aux élèves jusqu'à la fin de la troisième, le système éducatif allemand organise une orientation précoce des élèves dès l'âge de onze-douze ans et même dix ans en Autriche, étant précisé que l'âge légal pour entrer en apprentissage est de 14 ans en Autriche et 16 ans en Allemagne.

a) En Allemagne

En Allemagne, après un tronc commun de quatre ans, les écoliers de dix ans suivent tous un cycle d'orientation de deux ans, à l'issue duquel ils ont le choix entre trois types d'écoles d'enseignement général secondaire 31 ( * ) , eu égard à leurs résultats scolaires et avec l'accord des parents :

- la Hauptschule dispense un enseignement général de base pendant trois ans et débouche sur une formation en apprentissage ou donnant accès à une école professionnelle à plein temps ( Berufsfachschule ) ;

- la Realschule offre le même enseignement que la Hauptschule mais de manière plus approfondie pendant quatre ans, tout en ouvrant le droit d'étudier notamment dans des écoles d'enseignement technique de second cycle ( Fachoberschule ) ;

- le Gymnasium , d'une durée de six ou sept ans, dispense un enseignement généraliste sanctionné par un diplôme équivalent au baccalauréat et donnant accès en règle générale à l'université.

Age théorique
de début
de cursus

6

10

12

16

25

23

19

Figure n° 8 : L'organisation du système scolaire allemand

Fachhochschule

Université

Apprentissage en alternance (Berufschule + entreprise)

Berufsfachschule

Fachoberschule

Gymnasium (2)

Gymnasium (1)

Realschule

Hauptschule

Cycle d'orientation (Orientierungsstufe)

Ecole élémentaire (Grundschule)
(scolarisation obligatoire à partir de 6 ans)

Code couleurs : Les niveaux d'éducation (nomenclature CITE de l'Unesco)

Niveau 5 (et jusqu'à 6 pour les universités) : enseignement supérieur

Niveau 3 : enseignement secondaire de second cycle

Niveau 2 : enseignement secondaire de premier cycle

Niveau 3 : enseignement primaire

D'après Zettelmeier (2006) et European Commission (2009)

Ne sont pas représentées dans ce tableau les formations de niveau 4 (postsecondaire non tertiaire de courtes
durées qui ne relèvent pas de l'enseignement supérieur) et les formations destinées au futur personnel
d'auxiliaire médical et accessibles avec un niveau d'éducation 2

Source : Le modèle dual allemand, Caractéristiques et évolutions de l'apprentissage en Allemagne, Guillaume Delautre (Dares), Numéro 185, septembre 2014.

L'attrait de la Hauptschule a considérablement faibli depuis l'après-guerre. En 1952, près de 80 % des élèves en huitième année de scolarité obligatoire en RFA étaient dans ce type d'école, contre moins de 20 % en 2009. A l'inverse, le Gymnasium a attiré 40 % de ces élèves en 2009, contre moins de 15 % en 1952. Quant à la Realschule , elle regroupait moins de 5 % de ces élèves en 1952, contre 25 % depuis 1995 32 ( * ) .

b) En Autriche

En Autriche, l'accès aux écoles professionnelles, accessible dès 14 ans, se fait soit à la sortie d'une école spécialisée 33 ( * ) , soit à la sortie du collège.

Une première orientation des élèves a lieu dès l'âge de 10 ans, à l'issue de l'école primaire.

Cette orientation très précoce des élèves, qui n'a pas son pendant en France, soulève des interrogations actuellement dans l'opinion publique autrichienne.

Les élèves qui s'orientent vers l'apprentissage et qui se retrouvent en classe polytechnique passent toute l'année à chercher un employeur.

Figure n° 9 : Le système éducatif autrichien

* ISCED : International Standard Classification of Education

Source : Ministère de l'économie autrichien

En Autriche, l'apprentissage donne, depuis 2008, un accès gratuit au baccalauréat professionnel ( Berufsmatura , également appelé Berufsreifeprüfüng ), afin d'augmenter l'attractivité de cette voie de formation. La formation combinée apprentissage et baccalauréat ( Lehre und Matura ) autorise ensuite les jeunes à s'inscrire dans quasiment tous les établissements de leur choix, notamment dans les écoles techniques professionnelles et à l'université. En novembre 2013, 11 061 jeunes ont bénéficié de ce dispositif.


* 29 L'apprentissage, un vaccin contre le chômage des jeunes : plan d'action pour la France tiré de la réussite allemande, étude de l'institut Montaigne, mai 2015, p. 28.

* 30 L'apprentissage, formation professionnelle duale en Autriche, une formation moderne avec de l'avenir, Ministère fédéral pour la science, la recherche et l'économie, http://wissenschaft.bmwfw.gv.at/fileadmin/Publikationen/Berufsausbildung/Die_Lehre_franz_HP.pdf , p. 36.

* 31 La Gesamtschule , répandue dans le nord de l'Allemagne, intègre ces trois types d'établissements.

* 32 Document d'étude de la Dares, op. cit, p. 15. Les autres élèves se répartissent dans les écoles intégrées et les écoles Waldorf.

* 33 Les enfants nécessitant un soutien pédagogique spécial peuvent bénéficier d'un enseignement dispensé selon leurs besoins dans une école spécialisée ( Sonderschulen ) ou dans des classes d'intégration d'une école primaire.

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