EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 7 octobre 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a entendu une communication de M. Philippe Dominati, rapporteur spécial, sur les moyens consacrés au renseignement au sein des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale ».

M. Philippe Dominati , rapporteur spécial . - En janvier 2015, notre pays a été une nouvelle fois touché par le fléau du terrorisme.

À la suite de ces événements dramatiques, notre commission a décidé de me confier une mission de contrôle sur les moyens consacrés au renseignement intérieur au sein des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale ».

J'ai fait le choix d'ordonner ce contrôle budgétaire autour de deux grandes questions. Les services ont-ils les moyens d'assurer leurs missions ? L'efficacité de l'organisation administrative du renseignement intérieur pourrait-elle être améliorée à moyens constants ?

Avant de vous présenter mes conclusions, permettez-moi tout d'abord un bref rappel concernant l'organisation du renseignement intérieur. Désormais, quatre services y concourent.

Parmi ces quatre services, trois relèvent de la police nationale. La DGSI, le « navire amiral » rattaché directement au ministre, est principalement responsable du contre-espionnage, de la prévention du terrorisme et de la protection du patrimoine économique et scientifique. Le Service central du renseignement territorial (SCRT), rattaché à la sécurité publique, reprend 90 % des missions des renseignements généraux (RG) et a été récemment chargé de la détection des « signaux faibles » en matière de terrorisme. La Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) est chargée du renseignement de proximité et de la prévention du terrorisme et des extrémismes à Paris.

La gendarmerie dispose quant à elle depuis peu de son propre service - la sous-direction de l'anticipation opérationnelle (SDAO) - qui doit permettre à la gendarmerie de disposer d'une capacité propre d'appréciation des situations.

À l'issue de ce contrôle, mon premier constat est globalement positif : les services sont actuellement en mesure d'assurer leurs missions.

J'ai pu constater le dévouement et le professionnalisme des agents rencontrés à l'occasion des déplacements et des auditions, que je tiens ici à saluer.

Sur le plan de l'organisation administrative, les réformes de 2008 et 2013 ont permis dans une certaine mesure de rationaliser et d'adapter l'architecture du renseignement intérieur à l'évolution de la menace.

Sur le plan juridique, la loi du 24 juillet 2015 a utilement renforcé les moyens à la disposition de nos services.

Sur le plan des moyens humains, même avant les attentats de janvier, la France ne souffrait pas d'un sous-investissement dans le renseignement intérieur. Avec environ 6 200 postes, les effectifs des services français, pondérés par la population, apparaissent en effet comparables aux effectifs canadiens et supérieurs à ceux de nos principaux voisins européens - même si les comparaisons sont toujours délicates dans ce domaine.

Toutefois - et c'est ma deuxième observation - ce diagnostic doit être relativisé sur la période récente par l'accroissement de la menace terroriste, qui pèse de manière asymétrique sur les différents pays européens.

La crise syrienne a conduit à un « changement d'échelle » de la menace terroriste qui fragilise nos services. La France fait partie des pays européens les plus touchés : le nombre de combattants étrangers pour un million d'habitants est deux fois plus élevé dans notre pays qu'au Royaume-Uni et en Allemagne et dix fois plus élevé qu'en Espagne et en Italie.

Or, cette augmentation de la menace se traduit par un surcroit d'activité important pour les services. À titre d'illustration, le nombre d'affaires de terrorisme liées au conflit en Syrie a connu une augmentation de 200 % en moins d'un an en France.

Dans ce nouveau contexte, le renforcement des effectifs des services de renseignement est prioritaire. Aussi, l'annonce de la création de 1 735 emplois supplémentaires au sein des services dans le cadre des plans de lutte contre le terrorisme de 2013 et 2015 devra être concrétisée.

Surtout, compte tenu de la fragilité de la situation actuelle, il est nécessaire d'anticiper l'évolution de la menace et de mettre en place dès à présent une stratégie permettant d'accroître l'efficacité du renseignement intérieur à moyens constants.

À cette fin, - c'est ma troisième observation - une nouvelle évolution de l'organisation administrative du renseignement intérieur semble indispensable.

Nos principaux alliés - à l'exception du cas très particulier des États-Unis - ne comptent en général qu'un seul service de renseignement intérieur. Nous en avons quatre.

Plus inquiétant encore, certaines évolutions récentes ont accru l'éclatement de notre organisation. L'exception parisienne a été étendue à la petite couronne en 2009 avec la réforme de la police d'agglomération. Le sentiment de « marginalisation » de la gendarmerie a conduit à créer en son sein un service de renseignement spécifique en 2013, alors même que le renseignement territorial devait bénéficier d'un monopole sur le renseignement de proximité et constituer un laboratoire du rapprochement entre police et gendarmerie.

Dans ce contexte, les dispositifs de coordination entre les services ont été opportunément renforcés, en complément du rôle de coordination interministérielle traditionnellement assuré par l'Unité de coordination de la lutte anti-terroriste (UCLAT), rattachée au DGPN.

Toutefois, l'organisation administrative actuelle est confrontée à trois faiblesses structurelles pour lesquelles les dispositifs de coordination mis en place n'apportent pas réellement de solution.

Premièrement, l'efficacité des mécanismes de coordination repose avant tout sur la « bonne volonté » des différents directeurs.

Deuxièmement, la multiplication des dispositifs de coordination ne semble pas avoir permis de mettre fin au climat de défiance entre les services au plan territorial, notamment entre policiers et gendarmes.

Troisièmement, la complexité de l'organisation actuelle impose la mise en place d'une multiplicité de mécanismes de coordination qui peuvent apparaître comme coûteux en termes d'effectifs, dans un contexte budgétaire contraint.

Aussi, je suggère dans ce rapport une évolution ambitieuse visant à passer de quatre à deux services de renseignement intérieur.

Dans cette perspective, le repositionnement du SCRT constitue une première étape indispensable.

En effet, les intérêts des directeurs départementaux de la sécurité publique (DDSP) et des agents du renseignement territorial sont souvent contradictoires. Dans certains cas, il arrive même que le DDSP filtre les notes du renseignement territorial destinées au préfet lorsqu'elles remettent en cause son action. Par ailleurs, le rattachement à la sécurité publique se traduit par une faible autonomie budgétaire et de recrutement. Ce rattachement suscite également une réaction de défiance de la gendarmerie, qui a notamment conduit à la création d'un service de renseignement dédié en son sein.

Aussi, un rapprochement entre le SCRT et la SDAO pourrait être envisagé.

Une possibilité serait de fusionner la SDAO et le SCRT en contrepartie d'un rattachement de la nouvelle entité aux deux directeurs généraux de la police et de la gendarmerie.

Une alternative consisterait à faire de la nouvelle entité une direction générale du ministère de l'intérieur - ce qui aurait pour avantage supplémentaire d'accroître son indépendance et son autonomie budgétaire et de recrutement.

Cette réorganisation pourrait ouvrir la voie à une évolution de plus grande ampleur visant à achever l'évolution débutée en 1965 avec le transfert de la mission de contre-espionnage de la préfecture de police de Paris à la DST.

Concrètement, il s'agirait de mettre fin à l'exception parisienne que constitue la DRPP. Sa mission de lutte contre le terrorisme et les extrémismes violents pourrait être confiée à une direction zonale de la DGSI. Sa mission d'information générale pourrait être confiée à une direction zonale de la nouvelle entité chargée du renseignement de proximité. Sa mission de lutte contre l'immigration clandestine et le travail illégal pourrait enfin être transférée à la police aux frontières.

À plus long terme, il pourrait même être discuté de l'opportunité d'instaurer un seul grand service de renseignement intérieur, à l'image de ce qui existe chez nos principaux voisins.

S'agissant de l'UCLAT, son rattachement à la DGPN semble contradictoire avec la nature interministérielle de ses missions et source de rivalités entre forces de police et de gendarmerie. Aussi, je propose dans ce rapport de clarifier son positionnement.

Au-delà de la question de l'organisation administrative, les moyens consacrés au renseignement intérieur doivent être mieux ciblés afin de gagner en efficacité. C'est ma quatrième observation.

Tout d'abord, je remarque que le renseignement territorial demeure le « parent pauvre » du renseignement intérieur.

Ses personnels ne représentaient fin 2014 que 60 % de ceux des RG, alors que dès 2011 la Cour des comptes notait que le renseignement territorial a conservé 90 % des missions des RG. Depuis, il s'est même vu confier une mission supplémentaire de détection des « signaux faibles » en matière de prévention du terrorisme.

Ainsi, il existe de nombreux départements dans lesquels le renseignement territorial n'a pas atteint une taille « critique » lui permettant d'assurer correctement l'ensemble de ses missions. Au 31 décembre 2014, les effectifs demeurent ainsi inférieurs à dix agents dans vingt-six départements.

Je recommande donc de donner la priorité au renforcement des effectifs du renseignement territorial.

Par ailleurs, une inquiétude forte existe concernant l'évolution des moyens mis à la disposition des personnels.

Les données disponibles, bien que difficiles à isoler, indiquent par exemple que la part des dépenses de personnel a atteint un niveau critique tant à la DRPP qu'au SCRT.

Ce déséquilibre se traduit déjà par des difficultés opérationnelles importantes. J'ai ainsi pu constater dans un département que le service départemental du renseignement territorial (SDRT) ne disposait que d'un seul poste internet pour treize agents. D'autres exemples de ce type sont mentionnés dans le rapport.

Aussi, il est indispensable d'assurer un équilibre entre la croissance des dépenses de personnel et l'évolution des dépenses de fonctionnement et d'investissement.

Enfin, il apparaît que les implantations territoriales de certains services concourant au renseignement intérieur ont été insuffisamment adaptées à l'évolution de la menace. On reste bien souvent sur l'histoire.

Au-delà de la nécessité du mieux cibler les moyens, le rapport met également en évidence que des contraintes pesant sur la formation et le recrutement des agents continuent de freiner la productivité de nos services. C'est ma cinquième observation.

Les faiblesses du modèle français de recrutement et de formation en matière de renseignement sont bien connues : les concours administratifs existants ne permettent pas toujours de recruter les profils adéquats, alors même la formation continue est peu développée et que le recrutement de contractuels est freiné sur le plan juridique et financier.

Les réformes de 2008 et 2013 ont permis, dans une certaine mesure, de faire évoluer les modalités de recrutement et de formation.

Toutefois, des marges de progrès importantes subsistent.

Sur le plan du recrutement, les opportunités offertes par la transformation de la DCRI en direction générale demeurent insuffisamment exploitées. À titre d'exemple, la part des contractuels y est plafonnée à 15 %, alors qu'elle est déjà de 23 % à la DGSE. S'agissant des autres services concourant au renseignement intérieur, les évolutions sont faibles voire inexistantes, pour des raisons autant administratives que culturelles.

Sur le plan de la formation, l'offre des différents services demeure marquée par son éclatement. Les premiers efforts de mutualisation doivent impérativement être amplifiés.

Il est également regrettable que les liens avec le monde universitaire demeurent aussi faibles.

Enfin - et c'est mon dernier constat - l'effectivité du contrôle parlementaire du renseignement intérieur pourrait être renforcée.

Il est aujourd'hui impossible d'identifier les crédits et les effectifs des services concourant au renseignement intérieur dans les documents budgétaires, ce qui est pourtant déjà possible pour les services relevant du ministère de la défense.

Aussi, je fais dans le rapport plusieurs préconisations pour rénover l'architecture budgétaire du renseignement intérieur.

Par ailleurs, il me semble qu'une plus grande complémentarité des travaux de la Délégation parlementaire au renseignement et des commissions chargées des finances pourrait être recherchée.

Là encore, diverses propositions sont examinées dans le rapport pour renforcer la dimension budgétaire du dispositif de contrôle parlementaire des services de renseignement.

Je vous remercie.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Je remercie Philippe Dominati d'avoir choisi ce sujet d'une actualité particulière. Je pensais que la création de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) avait permis d'aboutir à la constitution d'un service de renseignement unique. Or on s'aperçoit à la lecture du rapport que la situation est plus complexe que cela et qu'il existe un éclatement des moyens qui n'est pas source d'efficacité.

J'aimerais avoir davantage de précisions sur deux sujets qui ont été abordés. Le premier concerne les moyens consacrés à la surveillance d'internet. Vous expliquez, dans votre rapport, que le service départemental du renseignement territorial que vous avez visité ne disposait que d'un poste internet pour treize agents, alors que l'on connaît l'importance de cette activité. Comment cette priorité est-elle prise en compte ? Des moyens spécifiques sont-ils accordés à la surveillance d'internet ?

Ma deuxième question porte sur les moyens consacrés à la surveillance des flux financiers, et en particulier aux flux liés au financement du terrorisme. Existe-il des liens entre les services de renseignement et les organismes comme TRACFIN ou les banques à ce sujet ?

Par ailleurs, vous constatez que le moyen normal de recrutement dans la fonction publique qu'est le concours n'est pas toujours adapté en matière de renseignement, par exemple lorsqu'il s'agit de recruter des informaticiens spécialisés ou des personnels parlant certaines langues rares. Il me semble effectivement que faciliter le recrutement de personnels contractuels pourrait être une solution.

M. Philippe Dominati , rapporteur spécial . - S'agissant de la surveillance d'internet, il est difficile d'identifier les moyens mis à la disposition du renseignement territorial puisqu'ils sont regroupés au sein de l'enveloppe globale des directions départementales de la sécurité publique. C'est seulement en visitant ces services que l'on peut se rendre compte de la situation.

Ces services doivent pouvoir agir en milieu fermé comme en milieu ouvert. Or il n'y a parfois pas assez d'effectifs pour assurer ces deux missions. De même, un service départemental que j'ai visité n'était pas en capacité de réaliser des interceptions téléphoniques, le centre d'interception le plus proche étant trop éloigné.

S'agissant de TRACFIN, ce service ne relève pas du renseignement intérieur. Toutefois, il existe des liaisons institutionnalisées entre les services de la communauté du renseignement - à laquelle la DGSI et TRACFIN appartiennent.

M. Philippe Dallier . - J'aimerais revenir sur le cas de Paris et de la police d'agglomération. Il y a quelques années, le préfet de police de Paris n'avait compétence que sur Paris. Désormais, comme je l'avais préconisé dans un rapport d'information de 2008 sur l'avenir du Grand Paris, il est également compétent dans les trois départements de la petite couronne. Dans ce rapport, vous proposez de changer cette l'organisation. Est-ce une si bonne idée que cela ?

M. Antoine Lefèvre . - Je comprends assez mal la suspicion qui semble exister entre les différents services de renseignement. Depuis le film « Le grand blond avec une chaussure noire », il semble que la situation n'a guère évolué.

Par ailleurs, le rapport relève le manque de moyens informatiques des services, qui paraissent pourtant essentiels à la conduite des activités de renseignement.

En ma qualité de rapporteur spécial de la mission « Justice », j'ai visité il y quelques jours la prison de Fleury-Mérogis. Existe-t-il des liens entre l'administration pénitentiaire et les services de renseignement intérieur afin de lutter contre la radicalisation en milieu carcéral ?

M. Éric Doligé . - Je remercie le rapporteur spécial pour la qualité de son rapport. J'aimerais revenir sur le tableau qui montre que, dans les différents pays comparés, il n'existe généralement qu'une seule structure dédiée au renseignement intérieur, contre quatre en France. Or à l'exception du Canada, le nombre d'effectifs pour 100 000 habitants est plus important en France que chez nos voisins. Peut-on en conclure qu'il existe un lien entre le nombre de services et le nombre d'effectifs, et que la réduction du nombre de structures conduirait à un gain d'efficacité ?

M. Francis Delattre . - Comme l'a rappelé Philippe Dallier, la préfecture de police de Paris a élargi son périmètre d'action, ce qui n'était pas une mauvaise solution. Mais entre Épinay, qui se situe en Seine-Saint-Denis, et sa ville voisine d'Argenteuil, située dans le Val-d'Oise, quelle est la différence en termes de besoins de renseignement ? C'est toute la zone urbaine de la région parisienne que la compétence du préfet de police devrait embrasser.

Aujourd'hui, l'organisation géographique du renseignement intérieur est totalement éclatée. Par exemple, les renseignements ne circulent pas entre la police et la gendarmerie.

Par ailleurs, le djihadisme radical est impliqué dans le blanchiment d'argent et le trafic de drogues. Mais qui connaît la situation de ces trafics dans les quartiers ? Ce ne sont ni les services de renseignement, ni la police judiciaire, mais les policiers de terrain. Pourtant, les informations qu'ils détiennent ne sont pas exploitées correctement car lorsqu'une affaire prend de l'ampleur, elle est généralement confiée à un service spécialisé. Les polices municipales doivent également constituer des partenaires importants du renseignement.

Il existe des moyens pour le renseignement mais ces moyens ne seront pas mobilisés efficacement tant que l'on n'aura pas rationalisé l'organisation des services.

M. Philippe Dominati , rapporteur . - C'est exactement ce que je décris dans mon rapport.

M. Roger Karoutchi . - Les services de renseignement avec lesquels j'ai été en contact m'ont dit être persuadés que la majorité des cas de radicalisation se produit sur les réseaux sociaux. Certes, les moyens des services de renseignement ont été renforcés afin de surveiller internet, mais cette activité reste marginale car elle n'est pas dans la culture de nos services.

Quand j'ai lancé l'alerte il y a quelques semaines sur les nombreux appels au meurtre effectués sur les réseaux sociaux lors de l'opération « Tel-Aviv sur Seine », aucune suite n'a été donnée. En juillet 2014, lorsque des personnes ont manifesté dans les rues de Paris en criant « Mort aux juifs », les services de renseignement m'ont indiqué qu'ils avaient à leur disposition des vidéos et photos qui n'avaient pas été exploitées. C'est une bonne chose de renforcer les moyens du renseignement mais il faut également faire en sorte que nos services aient la capacité d'agir librement.

M. Yannick Botrel . - Il faut saluer la qualité et l'opportunité de ce rapport, qui souligne un certain nombre de points positifs : les services de renseignement sont en mesure d'accomplir leur mission et il n'y a pas de sous-investissement. Pour autant, on constate une certaine complexité de l'organisation.

S'agissant du terrorisme, il y aurait eu, selon les médias, plusieurs tentatives d'attentats déjouées au cours de la période récente, ce qui démontre l'efficacité de nos services.

J'ai entendu l'observation de Roger Karoutchi sur les suites qui sont données lorsque des agissements extrêmement condamnables sont constatés. En réalité, les services de renseignement sont là pour faire du renseignement. Les éléments sont recoupés et c'est dans un second temps que l'on passe à l'exploitation. Entre le recueil et l'exploitation, il y a forcément un délai.

Le rapporteur souligne la bonne volonté des directeurs mais également le climat de défiance entre les services. C'est un phénomène ancien et forcément contreproductif. Je ne sais pas si l'on trouvera un jour le moyen d'y mettre un terme. Faut-il restructurer autour de deux pôles ? L'idée est sympathique. Comment est-on arrivé aux quatre pôles actuels ? Est-ce au nom de la subsidiarité, de la recherche d'une efficacité déconcentrée ? Faut-il faire le chemin inverse ? Je suis intellectuellement intéressé par la réponse que pourra donner le rapporteur.

Un rapport ne peut traiter de tous les sujets, mais il y en a un qui m'intéresse particulièrement. Il s'agit de l'espionnage économique. Dans les Côtes-d'Armor, nous avons un plateau industriel qui travaille avec le monde entier sur des technologies de pointe. Entendre de petites entreprises expliquer qu'elles ont l'impression d'être surveillées par des officines très lointaines m'a quelque peu troublé.

M. Marc Laménie . - Quel est le coût global du renseignement intérieur pour la police et la gendarmerie ?

Le rapporteur décrit le renseignement territorial comme le « parent pauvre » du renseignement intérieur. D'autres services ne peuvent-ils pas venir renforcer le maillage territorial, comme l'administration des douanes ou les groupements d'intervention régionaux (GIR) ?

M. Dominique de Legge . - Je voudrais insister sur le fait que sécurité intérieure et sécurité extérieure sont de plus en plus liées. Bien des menaces qui pèsent sur notre territoire se forment à l'extérieur. Le rôle du ministère de la défense et de ses services de renseignement est à cet égard essentiel. En outre, nos troupes participent directement à la sécurité intérieure, notamment à travers l'opération Sentinelle.

M. Éric Bocquet . - Je voudrais souligner la pertinence de la recommandation selon laquelle il faut remédier au déséquilibre entre la croissance des dépenses de personnel et l'évolution des dépenses de fonctionnement et d'investissement, qui part du constat de difficultés opérationnelles importantes. J'ai pu les constater dans ma région. À titre d'exemple, le parc automobile est composé de véhicules parfois particulièrement anciens, avec 200 000 kilomètres, 300 000 kilomètres voire 400 000 kilomètres au compteur. Certains ne roulent même plus, y compris parfois parce qu'il n'y a pas le carburant nécessaire. Le renseignement, c'est aussi aller sur le terrain.

Est-ce que les crédits de la mission « Sécurités » pour 2016 prennent en compte ce problème et permettent de mettre en adéquation les dépenses de fonctionnement et d'investissement avec la croissance des dépenses de personnel, les unes n'allant pas sans les autres ?

M. Philippe Dominati , rapporteur spécial . - Le renseignement est un domaine délicat pour les parlementaires et parfois même pour l'exécutif. Il n'y a eu aucune évolution majeure de l'organisation du renseignement intérieur entre la création de la DST à la Libération et la réforme de 2008, qui a doté le renseignement intérieur d'un navire amiral - la DCRI. Cette réforme a été amendée en 2013, après avoir fait le constat que l'entité chargée de remplacer les « renseignements généraux » ne fonctionnait plus sur le terrain, nombre de ses effectifs ayant été transférés à la DCRI. On a également autorisé la gendarmerie à créer son propre service. C'est pourquoi il existe désormais quatre services de renseignement intérieur.

Sur ce point, j'observe que les chefs d'État, sous la V e République, ont eu des appréciations variées à l'égard des services de renseignement. On peut se demander si l'exécutif a la volonté de concentrer les services ou au contraire de les morceler.

Aujourd'hui, il y a bien morcellement. Quand on interroge les responsables, on entend : « Tout va très bien Madame la marquise ». Force est de constater qu'il y a des résultats positifs. La plupart des services ne réclament pas de moyens humains supplémentaires. Leurs agents sont extrêmement motivés et responsables.

Pour autant, on peut s'interroger sur l'efficacité des mécanismes de coordination qui visent à faire fonctionner l'organisation complexe que Francis Delattre nous a dit observer sur le terrain.

Par ailleurs, l'efficacité des services dépend autant du niveau de leurs effectifs que de leur capacité à attirer les personnels à la pointe des connaissances utiles. Nous avons besoin de recruter différemment.

S'agissant du problème, soulevé par Éric Bocquet, de l'adéquation des moyens mis à la disposition des personnels, la situation se dégrade pour l'ensemble des forces de police et de gendarmerie depuis plusieurs années. J'aurai l'occasion d'aborder la question du parc automobile à l'occasion de l'examen de la mission « Sécurités » dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016.

Pour répondre à Philippe Dallier, il ne s'agit pas de « casser » un service qui fonctionne mais d'assurer une continuité territoriale. En rationalisant l'organisation du renseignement de proximité, on obtiendra un meilleur « tamis » pour repérer les « signaux faibles » et les faire remonter à la DGSI.

Sur ce point, je suggère plusieurs pistes mais la décision appartient à l'exécutif. En tout cas, je pense qu'on gagnerait énormément à avoir deux services.

Je souligne également que souvent nous avons souvent l'information mais que nous ne parvenons pas toujours à l'analyser correctement. C'est pourquoi les services doivent s'ouvrir sur le plan de la formation et du recrutement.

Marc Laménie demandait combien tout cela coûte. Il y a une certaine discrétion sur le sujet. D'ailleurs, les données sont noyées dans les documents budgétaires, contrairement à ce qui se passe pour le ministère de la défense. Je ne peux pas être très précis mais le coût total est de l'ordre de 450 millions d'euros, d'après les sources ouvertes dont nous disposons - y compris journalistiques.

J'ai fait attention à ce que les informations contenues dans ce rapport ne nuisent pas à l'efficacité des services. C'est par exemple pour cela que je ne donne pas trop de détails concernant l'évolution des implantations territoriales.

Sur ces sujets, c'est au ministre de l'intérieur qu'il revient d'apprécier quel est le bon moment pour faire évoluer nos services. Pour ma part, je constate qu'ils fonctionnent bien mais qu'ils pourraient fonctionner mieux.

Mme Michèle André , présidente . - Je remercie Philippe Dominati pour la manière dont il a abordé cette question délicate. Il ne faut pas rendre publiques des informations qui pourraient servir à des personnes malveillantes. C'est à la fois la grandeur et la fragilité des démocraties.

La commission a donné acte au rapporteur de sa communication et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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