B. AFIN DE SURMONTER CES DIFFICULTÉS, L'ORGANISATION ADMINISTRATIVE DU RENSEIGNEMENT INTÉRIEUR DOIT ÊTRE SIMPLIFIÉE

1. Regrouper les services concourant au renseignement de proximité afin de renforcer l'efficacité de l'organisation administrative du renseignement intérieur
a) Repositionner le SCRT, une première étape indispensable

Alors que le renseignement de proximité a fait l'objet de deux réformes en 2008 et 2013, son organisation ne semble pas stabilisée.

Le rattachement du SCRT à la sécurité publique constitue le principal problème de l'architecture actuelle .

Premièrement, les auditions menées par votre rapporteur spécial ont permis de confirmer que les intérêts et les priorités des DDSP et du renseignement territorial sont souvent contradictoires, comme l'ont mis en évidence différents rapports 56 ( * ) . À titre d'exemple, plusieurs personnes entendues ont indiqué qu'il arrive parfois que le DDSP filtre le contenu des notes concernant les dérives urbaines et l'économie souterraine afin d'éviter de voir le bilan de son action contesté auprès de l'autorité préfectorale. Plus insidieusement, le rattachement à la sécurité publique peut également conduire à un phénomène d'autocensure des personnels du renseignement territorial sur certaines thématiques sensibles pour le DDSP.

Deuxièmement , le rattachement à la sécurité publique se traduit pour le renseignement territorial par une faible autonomie budgétaire et de recrutement . Sur le plan du recrutement, l'évolution de la menace et des compétences du renseignement territorial en matière de prévention des actes terroristes nécessite pourtant un recours accru aux personnels contractuels et une plus grande souplesse dans la gestion des ressources humains. Sur le plan budgétaire, ce manque d'autonomie se traduit notamment par un manque d'individualisation du budget du renseignement territorial. À titre d'illustration, il est aujourd'hui impossible de retracer les crédits affectés aux seuls SDRT, les crédits consacrés au renseignement territorial étant depuis 2008 intégrés dans les budgets alloués aux directions départementales de la sécurité publique.

Troisièmement, le rattachement à la sécurité publique a suscité une réaction de défiance au sein de la gendarmerie, ce qui a conduit à la création d'un service de renseignement spécifique en son sein . Alors que les réformes de 2008 et 2013 visaient à simplifier l'architecture du renseignement intérieur, elles ont ainsi abouti à la création d'un nouveau service, en plus des trois services déjà existants.

Cette situation est d'autant plus surprenante que l'ambition de faire du SCRT un laboratoire du rapprochement entre la police et la gendarmerie demeure, comme en témoigne l'annonce en 2015 de la mise en place d'antennes du renseignement territorial au sein même des compagnies de gendarmerie et les brigades les plus confrontées aux phénomènes de radicalisation.

Aussi, un rapprochement entre le SCRT et la SDAO pourrait être envisagé à moyen terme.

Dans cette perspective, une première possibilité serait de fusionner la SDAO et le SCRT en contrepartie d'un rattachement de la nouvelle entité aux deux directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationale.

Une alternative consisterait à faire de la nouvelle entité une direction générale du ministère de l'intérieur. Une telle évolution permettrait en effet d'accroître l'autonomie budgétaire et de recrutement du service, tout en prenant acte de la divergence des intérêts et des priorités des DDSP, des commandants de groupement et des agents du renseignement territorial. Au niveau local, les agents seraient dirigés indifféremment par un policier ou un gendarme chargé de transmettre directement les informations pertinentes à l'autorité préfectorale.

Si cette option était retenue, il ne s'agirait en aucun cas de reconstituer la dualité entre la DST et la DCRG qui existait avant la réforme de 2008 :

- la DGSI demeurerait le « chef de file » du renseignement intérieur et bénéficierait toujours à ce titre d'un « droit d'évocation » des cibles ;

- la nouvelle répartition des compétences en matière de lutte anti-terroriste resterait inchangée - le renseignement territorial étant uniquement chargée de la détection des « signaux faibles » de radicalisation - alors qu'il n'existait aucune répartition claire des compétences en la matière du temps de la DST et de la DCRG ;

- la DGSI garderait le monopole sur la coopération internationale avec les services étrangers.

b) Une telle réforme pourrait ouvrir la voie à une réflexion plus globale sur l'organisation du renseignement intérieur

La réorganisation du renseignement de proximité pourrait ouvrir la voie à une évolution de plus grande ampleur de l'architecture du renseignement intérieur visant à achever l'évolution débutée en 1965 avec le transfert de la mission de contre-espionnage de la DRPP à la DST :

- la mission de lutte contre le terrorisme et les extrémismes violents pourrait être confiée à une direction zonale de la DGSI ;

- la mission d'information générale pourrait être confiée à une direction zonale de la nouvelle entité chargée du renseignement de proximité ;

- la mission de lutte contre l'immigration clandestine et le travail illégal pourrait être transférée à la DCPAF de grande couronne, dont la « quasi-totalité des enquêtes » débouche déjà sur le ressort de la préfecture de police de Paris 57 ( * ) .

Ainsi, cette évolution ramènerait le nombre de services concourant au renseignement intérieur de quatre à deux .

Elle permettrait surtout de limiter les risques de conflit d'attribution entre les services et de déperdition des moyens liés à la multiplication des structures de coordination et au chevauchement des compétences.

À plus long terme, il pourrait même être discuté de l'opportunité d'instaurer un seul grand service de renseignement intérieur , à l'image de ce qui existe chez nos principaux voisins. Il serait composé d'une direction du renseignement intérieur, qui reprendrait les compétences actuellement exercées par la DGSI, et d'une direction du renseignement de proximité, qui exercerait les compétences actuellement dévolues au SCRT et à la SDAO. Ce nouveau service se retrouverait ainsi sur un pied d'égalité avec la DGSE.

Recommandation n° 2 : regrouper les services concourant au renseignement de proximité afin de permettre, à moyen terme, le passage de quatre à deux services de renseignement intérieur.

2. Une clarification souhaitable du positionnement et des missions de l'UCLAT
a) Des missions élargies

Si la création de l'UCLAT en 1984 répondait à la nécessité de mieux coordonner l'action des différents ministères concourant à la lutte antiterroriste, le périmètre de ses missions a été considérablement élargi.

La principale mission de l'UCLAT est désormais d'établir l'actualisation permanente de « l'état de la menace terroriste » pour l'aide à la décision du ministre sur le niveau de sécurité nationale approprié.

Par ailleurs, elle assure la coordination ministérielle de la lutte contre le terrorisme en réunissant chaque semaine les correspondants de chacun des ministères concernés.

En outre, l'UCLAT représente la DGPN dans la coopération internationale multilatérale. À cet égard, elle participe aux travaux des différents organes européens et internationaux consacrés à la lutte contre le terrorisme (ex : Conseil de l'Union européenne, G8, Europol, etc.).

Plus récemment, l'UCLAT a été chargée de la gestion du dispositif général de lutte contre la radicalisation annoncé en avril 2014. En conséquence, un département de lutte contre la radicalisation a été mis en place au sein de l'UCLAT. Il comprend notamment le Centre national d'assistance et de prévention de la radicalisation, qui gère le numéro vert venant en aide aux proches des individus en cours de radicalisation.

b) Un positionnement problématique

En première analyse, le rattachement de l'UCLAT à la DGPN semble contradictoire avec la nature interministérielle de ses missions, comme le soulignait récemment le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe 58 ( * ) .

Plus fondamentalement, ce positionnement fragilise la mission de coordination de l'UCLAT. Ainsi, votre rapporteur spécial a pu constater lors de ses auditions que ce rattachement tend à transformer l'UCLAT en théâtre des rivalités entre les forces de police et de gendarmerie. À titre d'illustration, alors que la gendarmerie participe à l'alimentation d'un fichier permettant à l'UCLAT de centraliser certaines informations, l'impossibilité pour la SDAO d'accéder à ce fichier est vécue par certains gendarmes comme une conséquence du caractère « policier » de l'UCLAT.

Enfin, l'évolution du budget de l'UCLAT interroge sur la réalité du contrôle de la DGPN sur cette structure :

Évolution du budget de l'UCLAT depuis 2008

(en millions d'euros)

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

Budget

0,477

0,384

0,313

0,3

0,297

0,287

0,265

0,231

Source : commission des finances (d'après les réponses de l'UCLAT au questionnaire)

Ainsi, le budget de l'UCLAT a baissé de 51,6 % entre 2008 et 2015.

D'après les réponses de l'UCLAT au questionnaire, cette baisse a été rendue possible par une réduction significative de ses dépenses de fonctionnement courant : baisse des missions à l'étranger, des dépenses de représentation et du parc automobile.

Toutefois, l'ampleur et la rapidité de cette baisse posent la question de la réalité du contrôle de l'autorité de tutelle.

Pour l'ensemble de ces raisons, votre rapporteur spécial suggère de clarifier le positionnement de l'unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT).

Deux options pourraient être envisagées :

- rattacher l'UCLAT directement au ministre de l'intérieur , afin de renforcer son autonomie par rapport à la direction générale de la police nationale ;

- transformer l'UCLAT en formation spécialisée du conseil national du renseignement , afin de prendre pleinement en compte sa dimension interministérielle et d'éviter la multiplication des structures de coordination.

Sur ce point, l'évolution du dispositif de coordination du ministère de l'intérieur annoncée par Bernard Cazeneuve le 30 juin 2015 témoigne d'une prise de conscience des limites inhérentes au dispositif actuel, avec la création d'un état-major opérationnel de prévention du terrorisme rattaché directement au cabinet du ministre de l'intérieur.

Votre rapporteur spécial s'interroge toutefois sur l'articulation de cette nouvelle structure avec l'UCLAT et sera particulièrement attentif à ce que sa mise en place ne se traduise pas une fois encore par une complexification de l'architecture du renseignement intérieur.

Recommandation n° 3 : clarifier le positionnement de l'unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) afin de tenir compte de l'évolution de ses missions et de la création d'un état-major de prévention du terrorisme.


* 56 Voir notamment : Jean-Jacques Urvoas, « Les RG, la SDIG et après ? Rebâtir le renseignement de proximité », Note n°115 - Fondation Jean-Jaurès (2012) ; Rapport de la commission sur le métier du renseignement du syndicat « Alliance Police nationale » (2015).

* 57 Source : réponses de la DRPP au questionnaire.

* 58 Rapport de la commission d'enquête du Sénat sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, 2015, p. 159.

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