II. LE RENFORCEMENT CAPACITAIRE EN COURS DOIT ÊTRE CORRECTEMENT CIBLÉ ET ACCOMPAGNÉ D'UNE STRATÉGIE ADAPTÉE EN MATIÈRE DE RECRUTEMENT ET DE FORMATION

A. LE RENFORCEMENT EN COURS DES MOYENS CONSACRÉS AU RENSEIGNEMENT INTÉRIEUR DOIT ÊTRE CORRECTEMENT CIBLÉ POUR ÊTRE EFFICACE

1. Une priorité devrait être donnée au renforcement des effectifs du renseignement territorial

Le constat de la faiblesse des moyens humains du renseignement territorial est ancien : dès 2011, la Cour des comptes notait ainsi que la charge de travail des SDIG en matière de renseignement représentait « environ 90 % de celles des anciennes DDRG » 59 ( * ) , alors même que l'information générale n'a conservé en 2008 que de 45 % des effectifs des RG.

L'organisation du SCRT permet ainsi de donner un bon aperçu du champ particulièrement large de ses attributions :

En dépit du renforcement progressif des effectifs du SCRT depuis 2009 , ses personnels ne représentaient à la veille des attentats de janvier que 60 % des effectifs des RG avant la réforme de 2008 :

Évolution comparée des effectifs du Service central du renseignement territorial (SCRT)

(en millions d'euros)

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Effectifs au 31 décembre

1564

1728

1868

1944

1885

1847

1980

Évolution

+ 10,5 %

+ 8,1 %

+ 4,1 %

- 3 %

- 2,1 %

+ 7,2 %

Source : commission des finances (d'après les réponses du SCRT au questionnaire)

Dans le cadre de ses déplacements et de ses entretiens, votre rapporteur spécial a pu observer que ce manque de moyens humains se traduit par des difficultés opérationnelles importantes dans certains départements, alors même que les personnels du renseignement territorial sont désormais en première ligne pour détecter les « signaux faibles » de radicalisation.

À titre d'exemple, votre rapporteur spécial a constaté lors de ses déplacements que le manque d'effectifs ne permet pas toujours aux agents du SDRT d'exploiter des sources humaines pour obtenir certains renseignements en « milieu fermé ». En effet, dans certains SDRT, tous les agents sont affectés sur des activités en « milieu ouvert ». Ces activités impliquant généralement une présence sur la voie publique de nature à les compromettre, il est alors particulièrement difficile pour les agents de réaliser en parallèle des missions relevant du « milieu fermé ».

Il est important de noter qu'il ne s'agit pas de cas isolés : au 31 décembre 2014, les effectifs du SDRT demeuraient inférieurs à dix dans vingt-six départements 60 ( * ) .

Il existe ainsi de nombreux départements dans lesquels le SDRT n'a pas atteint une « taille critique » lui permettant d'assurer correctement l'ensemble de ses missions et de spécialiser certains agents sur les activités relevant du milieu « fermé ».

En conséquence, il apparaît aujourd'hui indispensable que le renforcement des effectifs annoncé soit davantage ciblé sur le renseignement territorial, qui doit constituer la principale priorité budgétaire au cours des prochains exercices.

Recommandation n° 4 : donner la priorité au renforcement des effectifs du renseignement territorial, qui reste le « parent pauvre » du renseignement intérieur.

2. La capacité opérationnelle des services concourant au renseignement intérieur doit être garantie

Si votre rapporteur spécial se félicite du renforcement annoncé des effectifs des services concourant au renseignement intérieur, une inquiétude demeure s'agissant de l'évolution des moyens mis à la disposition des personnels.

Certes, le plan de renforcement de la lutte contre le terrorisme annoncé en janvier 2015 prévoit également 233 millions d'euros supplémentaires de crédits d'investissement, d'équipement et de fonctionnement pour le ministère de l'intérieur entre 2015 et 2017.

Il est toutefois difficile de savoir quelle fraction de ces moyens supplémentaires sera consacrée au renforcement du budget hors titre 2 des services concourant au renseignement intérieur , une partie de ces crédits devant notamment servir au renforcement de la sécurité des policiers municipaux et à l'achat d'armements et d'équipements plus adaptés.

Or, les données disponibles 61 ( * ) indiquent que la part des dépenses de personnel a atteint un niveau critique (97 %) tant à la DRPP qu'au SCRT 62 ( * ) :

Évolution comparée des dépenses de personnel et des
autres dépenses entre 2013 et 2014

(en millions d'euros)

2013

2014

DRPP

Titre 2

61,16

61,84

Hors titre 2

1,85

1,75

Titre 2 / Total

97,1 %

97,2 %

SCRT

Titre 2

115,67

119,34

Hors titre 2

4,28

4,01

Titre 2 / Total

96,4 %

96,7 %

Source : commission des finances (d'après les réponses du SCRT et de la DRPP au questionnaire)

Ce déséquilibre se traduit déjà par des difficultés opérationnelles importantes. À titre d'exemple, votre rapporteur spécial a pu constater à l'occasion d'un déplacement dans un département que :

- le service départemental du renseignement territorial (SDRT) ne disposait que d'un seul poste internet pour treize agents ;

- aucune interception de sécurité ne pouvait être effectuée par le service car la station la plus proche était trop éloignée du service ;

- les agents travaillaient dans un unique open space , ce qui rendait très difficile l'exploitation des sources humaines en « milieu fermé » et posait problème pour certaines enquêtes administratives (ex : entretien préalable à une naturalisation) ;

- l'enveloppe à la disposition du SDRT pour la rémunération des sources était si faible que les agents étaient régulièrement obligés de régler eux-mêmes certaines dépenses inhérentes au travail des sources.

Ce constat est d'autant plus préoccupant que la croissance des dépenses de personnel au sein des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » s'est généralement traduite par une éviction des dépenses d'investissement et de fonctionnement, comme le déplore régulièrement votre commission à l'occasion de l'examen de la loi de règlement du budget et d'approbation des comptes 63 ( * ) :

Évolution comparée des dépenses de personnel et des
autres dépenses depuis 2006 au sein des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale »

(en millions d'euros)

2006

2014

Taux de variation moyen

Évolution 2006 / 2014

Titre 2

12 685

15 427,62

2,7 %

21,6 %

Hors titre 2

2 641

2 116,18

- 2,5 %

- 19,9 %

Titre 2 / Total

82,8 %

87,9 %

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

En conséquence, votre rapporteur spécial tient à rappeler la nécessité d'assurer un équilibre entre la croissance des dépenses de personnel et l'évolution des dépenses de fonctionnement et d'investissement afin de garantir la capacité opérationnelle des services.

Recommandation n° 5 : assurer un équilibre entre la croissance des dépenses de personnel et l'évolution des dépenses de fonctionnement et d'investissement afin de garantir la capacité opérationnelle des services.

3. Les implantations territoriales devraient être adaptées à l'évolution de la menace

Le renforcement annoncé des effectifs des services concourant au renseignement intérieur ne doit pas conduire à différer l'ajustement des implantations territoriales des services à l'évolution de la menace.

Les informations transmises à votre rapporteur spécial dans le cadre des différentes auditions témoignent en effet des marges de progrès qui subsistent en la matière. Comme le rappelle la délégation parlementaire au renseignement, il devient notamment « impérieux d'adapter l'implantation territoriale de la DGSI, issue de choix parfois contestables lors de la réforme de 2008 » 64 ( * ) .

Votre rapporteur spécial tient néanmoins à souligner que certaines structures - notamment l'UCLAT - ont déjà réalisé des efforts importants sur ce point.

Recommandation n° 6 : réexaminer la pertinence des implantations territoriales des différents services concourant au renseignement intérieur afin de tenir compte de l'évolution de la menace.


* 59 Cour des comptes, L'organisation et la gestion des forces de sécurité publique, rapport public thématique, 2011, p. 170.

* 60 Source : réponses du SCRT au questionnaire.

* 61 S'agissant de la DGSI, le niveau et l'évolution des crédits sont protégés par le secret de la défense nationale.

* 62 Les systèmes d'information financière existants ne permettant pas de restituer les crédits affectés aux seuls SDIG, une évaluation a été réalisée par les services à partir des effectifs en affectation opérationnelle dans les SDRT et le coût moyen d'un ETPT.

* 63 Voir par exemple les observations de votre rapporteur spécial dans le cadre du rapport fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2014 : http://www.senat.fr/rap/l14-604-2/l14-604-21.pdf (p. 402).

* 64 Rapport d'activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l'année 2014, p. 110.

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