III. ÉCHANGE DE VUES ENTRE LES PARTICIPANTS

A. OBSERVATIONS DES MEMBRES DE LA DÉLÉGATION

M. Eric Doligé, sénateur

J'ai entendu l'expression de nombreuses bonnes intentions de l'État dans ce dossier difficile. Les principes de l'action sont satisfaisants et des engagements ont été pris sur les chiffres.

Toutefois, il faut s'attendre à ce que le chiffre de 30 000 arrivants soit dépassé : l'État se prépare-t-il à cette situation ?

Les départements gèrent les MIE (mineurs isolés étrangers) et le RSA. Or des engagements sur la répartition géographique des MIE n'ont pas été tenus. On peut donc se demander si la répartition territoriale que vous évoquez sera respectée. Un président de département s'est vu informer récemment que 110 migrants arrivés dans son département avaient vocation au RSA : les départements seront-ils amenés à prendre en charge des migrants basculant rapidement vers ce statut ? Les départements gèrent également les maisons de l'enfance, ainsi que les problématiques des femmes enceintes isolées et des enfants de moins de trois ans ; devront-ils prendre en charge directement les personnes relevant de ces situations parmi les migrants ?

M. Michel Le Scouarnec, sénateur

J'ai apprécié l'humanité qui caractérisait les différentes interventions.

Valérie Létard a insisté justement sur une répartition équilibrée et équitable des réfugiés. Certaines petites communes sont volontaires pour les accueillir, et dans la mesure où elles ne sont pas trop éloignées d'un pôle urbain, cette solution est envisageable. Des solutions sont peut-être à trouver dans l'intercommunalité. La mise en oeuvre de ces dispositifs nécessite néanmoins un travail très important.

Je souhaite également revenir sur la question des profils des migrants. Nous ne devons pas négliger ceux d'entre eux qui ne présentent pas les « profils intéressants » dont a parlé monsieur le préfet, mais qui sont néanmoins menacés.

M. Christian Manable, sénateur

Il a principalement été question des villes dans ce débat, ce qui s'explique par la capacité d'hébergement dont elles disposent. Je souhaite néanmoins évoquer le milieu rural, en m'appuyant sur ma connaissance du département de la Somme, dont la quasi-totalité des communes compte moins de 2 000 habitants, certaines constituant même des micro-communes. La capacité d'accueil de ces villages est faible ; néanmoins, certains habitants de ces communes se portent volontaires pour accueillir des migrants. Nous avons donc organisé une mise en réseau permettant de recenser ces propositions. Les maires des communes concernées s'adressent ensuite aux services de l'État pour assurer le suivi sanitaire, social et éducatif de ces migrants.

En tant qu'ancien président du conseil général de la Somme, je retrouve aujourd'hui les mêmes problématiques qu'avec les MIE, très inégalement répartis. La Somme avait été fortement impactée par ce programme, du fait de sa proximité avec la région parisienne et de sa situation sur la route de Calais. Or nous avons dû parfois accueillir 170 enfants, alors que notre capacité d'accueil était de 100 personnes, et avons été déçus par le Gouvernement, qui nous avait promis une répartition plus équitable de ces jeunes mineurs étrangers isolés. 10 à 12 départements se trouvaient très impactés par le dispositif, quand d'autres n'accueillaient aucun mineur étranger. Une répartition équilibrée des migrants sur le territoire national s'impose absolument, pour assurer une bonne acceptabilité de la situation par les collectivités et par nos concitoyens.

Mme Nelly Tocqueville, sénatrice

Je constate que tout le monde se retrouve autour des valeurs de la République, en particulier de celle de la solidarité.

Je poursuis sur le propos de M. Manable, en regrettant tout d'abord l'absence de représentant de l'Association des Maires Ruraux de France (AMRF), car ces territoires ne doivent pas être exclus de la réflexion.

M. Jean-Marie Bockel, président

L'explication en est simple : nous avons considéré que l'AMF pourrait parler en leur nom. C'était peut-être réducteur.

Mme Nelly Tocqueville, sénatrice

Merci. J'ai conscience que personne ne met en doute le fait que les territoires ruraux soient partie prenante de la réflexion. Les populations des territoires ruraux sont interpellées par la situation des migrants et les traumatismes qu'ils subissent.

Certains territoires ruraux présentent en outre des capacités d'accueil en termes d'hébergement diffus, non dispersé ni éloigné des voies de circulation et qui peuvent en ce sens être acteurs dans ce processus d'accueil. C'est le cas des territoires dit « rurbains », situés à proximité de centres urbains et souvent, en seconde périphérie immédiate de petites villes. Or ces territoires font des propositions d'accueil, qu'il convient de recenser. Certaines communes disposent en outre de capacités d'hébergement. Il s'agit de propositions modestes, mais aucune « goutte d'eau » ne doit être ignorée lorsqu'elle va dans le sens de l'engagement et de la démarche collective.

M. Jean-Pierre Vial, sénateur

Je m'associe aux orientations exprimées par les associations et aux propositions de Valérie Létard. J'ai été amené à suivre des démarches mises en place dans le cadre du dispositif dit du « Contingent des 500 ». Ce dispositif est-il toujours en action, et son enveloppe sera-t-elle abondée ? Les publics bénéficiaires étaient identifiés très en amont, dans le cadre du HCR (Haut-Commissariat pour les Réfugiés). J'avais alors pu constater que la difficulté ne résidait pas dans la disponibilité des communes, mais dans leur capacité d'accompagnement. La question de la coordination s'avérera donc décisive dans l'accueil des migrants.

Monsieur le directeur, vous avez indiqué que l'État accompagnerait l'accueil des réfugiés. Parallèlement, Valérie Létard a posé la question du devenir des déboutés. Les responsables m'indiquent sur mon territoire qu'aucune place n'est actuellement disponible en CADA, du fait de la présence de ces familles qui devraient être en position de retour. Par conséquent, nous devrons compter sur les disponibilités d'hébergements des communes. Elles existent, mais le dispositif d'accompagnement sera décisif. Comment les personnes déjà présentes sur nos territoires ou en passe d'arriver seront-elles accompagnées par les services de l'État ?

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, sénatrice

En organisant cette table ronde, notre délégation se trouve au coeur de son rôle. Le sujet qui nous réunit constitue un défi humain, économique, social, politique qui, de surcroît, sera amené à perdurer dans les années à venir. Je me félicite de la qualité de ce débat mené loin de la posture politicienne et de la bien-pensance. Les associations d'élus ont toutes exprimé des positions laïques, républicaines, humanistes et responsables, ce qui est rassurant sur l'état de la démocratie et de la classe politique, souvent décriée. Les dérapages rapportés dans la presse, de celles et ceux qui ont voulu trier les réfugiés selon leur confession, ou prétendu que notre pays n'était pas en état de les accueillir, se révèlent marginaux.

J'aimerais insister sur le fait que si nous devons nous appuyer sur le volontarisme des élus, nous ne pouvons pas nous en tenir à cette dynamique : chacun doit être mis à contribution. Il n'est pas acceptable que dans les départements, certaines des villes les plus importantes, qui disposent du plus grand nombre de logements vacants et de tous les services médicaux ou éducatifs, veuillent s'exonérer de la participation nécessaire à un effort national, humain et politique. J'en appelle donc à un rôle fort de l'État, pour que chacun prenne sa juste part de l'effort collectif.

Ensuite, les difficultés que rencontreront les communes seront à mon sens de tisser le « vivre ensemble ». Elles seront toutefois accompagnées par les services de l'État et des départements. Or c'est à l'échelon départemental que se situera la difficulté. En effet, les départements sont confrontés depuis dix ans à des problèmes comme le financement du RSA, auquel seuls les accords de Matignon en 2013 ont commencé à apporter une réponse, en leur donnant la possibilité de moduler les DMTO (droits de mutation à titre onéreux). La question du financement de la solidarité dans notre pays demeure toutefois entière, et elle sera encore amenée à évoluer avec le nouveau contexte auquel nous sommes confrontés.

M. Antoine Lefèvre, sénateur

Je me réjouis également de l'organisation de cette table ronde, qui constitue une réponse à la mise en cause de la bonne volonté des élus locaux par certains médias, alors que les maires et les départements sont les premiers acteurs de la solidarité de nos territoires. Toutes les villes ne possèdent pas cependant, quelle que soit leur taille, la possibilité de répondre concrètement à cet appel.

Je souhaite revenir également sur la nécessité, soulignée par le préfet Arhoul, de mettre à la disposition des migrants des moyens médico-psychologiques, voire psychiatriques, en particulier pour les mineurs. Je m'interroge sur les capacités de nos structures dans les départements en la matière. Les CAMPS (centres d'action médico-sociale précoce), en particulier, sont très souvent saturés, et il leur sera difficile de faire face à ce besoin sans un accompagnement spécifique de l'État.

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