VI. ETRE ATTENTIF AU CONTENU DU FUTUR TTIP

L'accès aux marchés en général et aux marchés publics en particulier constitue l'un des trois piliers de la négociation relative au partenariat transatlantique de commerce et d'investissement ( Transatlantic Trade and Investment Partnership , TTIP) 203 ( * ) que mènent la Commission européenne avec les États-Unis depuis l'adoption du mandat de négociation le 14 juin 2013 204 ( * ) . Le mandat précise que la négociation vise « à accroître l'accès mutuel aux marchés publics à tous les niveaux administratifs (national, régional et local) et dans le domaine des services publics » , à l'exception des marchés de défense qui ont été exclus des discussions.

Cette négociation est motivée par un constat simple : alors que 95 % des marchés publics européens sont accessibles aux sociétés américaines , seul le tiers des marchés conclus sur le sol des États-Unis est ouvert aux entreprises des autres pays 205 ( * ) .

Trois verrous juridiques propres aux États-Unis expliquent ce constat :

- treize des cinquante États fédérés ne sont pas partie à l'accord sur les marchés publics de l'organisation mondiale du commerce (OMC) de 1994 qui garantit l'ouverture mutuelle des marchés entre ses signataires ;

- le Buy American Act de 1933 qui accorde un traitement préférentiel à l'égard des produits cultivés, extraits ou fabriqués aux États-Unis pour certains contrats de l'administration fédérale et notamment pour les marchés de fourniture dont le montant est inférieur à 193 000 dollars ;

- le Small Business Act de 1953 qui prévoit des mesures favorables aux PME dans les conditions décrites au début de la présente troisième partie.

L'un des objectifs du TTIP est donc de mettre fin à cette ouverture asymétrique des marchés publics entre l'Union européenne et les États-Unis. Il permettrait d'ouvrir des contrats de la commande publique américaine jusque-là inaccessibles aux entreprises européennes.

La mission d'information estime toutefois qu'il convient de rester particulièrement attentif à ces négociations , susceptibles de remettre en cause des principes importants de la commande publique.

Elle rejoint la résolution n° 57 (2014-2015) du Sénat 206 ( * ) pour regretter le manque de transparence des négociations .

Elle désapprouve en particulier le fait qu' aucune procédure de consultation ne soit menée auprès des acheteurs publics , qui figurent pourtant parmi les premiers concernés par les dispositions du futur traité.

De même, l'information des parlementaires n'est pas assurée. Or, le TTIP pourrait modifier les équilibres de la commande publique communautaire que la mission d'information considère satisfaisants, l'Union étant passée d'un objectif unique de mise en concurrence à une logique de mobilisation des marchés publics au service de l'économie 207 ( * ) .

Il convient de veiller à ce que le TTIP ne fragilise pas certaines avancées récentes de la commande publique comme la consécration de la coopération public-public ou la possibilité d'inclure le cycle de vie du produit dans les critères de notation des offres 208 ( * ) .

Le mandat de négociation ouvre également la possibilité de créer une structure de règlement des différends ( Investor-State Dispute Settlement , ISDS) entre les entreprises et les personnes publiques dans une logique rejoignant celle de l'arbitrage. Or, les recours en matière de commande publique relèvent majoritairement en France du juge administratif, ce qui semble davantage garantir l'équité de la procédure.

Le TTIP ne devra pas être à l'origine d'une nouvelle complication du droit de la commande publique qui viendrait à rebours des efforts de simplification actuellement consentis.

En effet, en plus du contentieux devant le juge administratif et le juge pénal, l'acheteur public pourrait être amené à comparaître devant l'ISDS. Les entreprises susceptibles de saisir ce dernier étant des multinationales pourvues de services juridiques de qualité, l'égalité des armes lors de la procédure n'est d'ailleurs pas garantie.

Le 16 septembre dernier, la Commission européenne a publié sa position sur ce nouveau mode de règlement des différends, qu'elle propose de renommer « l'investment court system » (ICS). De nombreuses avancées sont à signaler :

- proposition de « juridictionnaliser » cette structure en nommant des juges permanents (et non désignés par les parties) et en créant une cour d'appel ;

- précision selon laquelle le droit national peut comporter des « mesures pour mettre en oeuvre des objectifs légitimes de politique publique » .

Toutefois, cette position ne préjuge en rien des orientations américaines et le risque de déstabilisation de la commande publique est encore présent .

Proposition n° 21 : Veiller à ce que le partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) ne remette pas en cause les principes français du droit de la commande publique


* 203 Visant à instaurer une « zone de libre-échange transatlantique » ( Transatlantic Free Trade Area , TAFTA).

* 204 Pour mémoire, les deux autres piliers sont : les barrières non-tarifaires aux échanges commerciaux et les règles applicables aux produits, ce qui comprend notamment le régime de propriété intellectuelle.

* 205 Rapport n° 577 (2012-2013) de M. Simon Sutour fait au nom de la commission des affaires européennes sur l'ouverture de négociations en vue d'un partenariat transatlantique (http://www.senat.fr/rap/l12-577/l12-5771.pdf).

* 206 Résolution européenne du 3 février 2015 sur le règlement des différends entre investisseurs et États dans les projets d'accords commerciaux entre l'Union européenne, le Canada et les États-Unis (http://www.senat.fr/leg/tas14-057.html).

* 207 Cf. la deuxième partie du présent rapport.

* 208 Cf. la deuxième partie du présent rapport.

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