COMMENT EN EST-ON ARRIVÉ LÀ ?

Il s'agit d'un long processus qui a pris un tour plus urgent avec d'une part la situation politique en Grande-Bretagne et d'autre part les crises à répétition de l'Europe.

Cependant le Premier ministre ne s'est pas plié au Diktat de l'urgence et il a refusé de se lier les mains en matière de calendrier : il n'a annoncé qu'une date butoir (fin 2017) pour organiser le referendum. Au même moment, les partisans d'une sortie de l'Union européenne en ont profité pour gagner une longueur d'avance en s'organisant et en tentant de lancer la campagne sans attendre les négociations avec Bruxelles.

C'est ainsi que Lord Lawson - ancien ministre des finances conservateur que nous avons rencontré - est devenu président des « Conservatives for Britain » et qu'il a fait état de son scepticisme sur les résultats qu'on pouvait attendre des négociations avec Bruxelles, les jugeant d'avance « insignifiants ».

Lord Blackwell, Président de la Lloyds Bank et membre du Parlement, s'est prononcé solennellement sur l'absence d'arguments économiques valables pour rester dans l'Union si la Grande-Bretagne ne parvenait pas à la réformer. Sa voix porte d'autant plus qu'il est un des rares représentant du secteur économique à soutenir ouvertement cette position. Le lobby « Business for Britain » milite depuis longtemps pour une sortie ordonnée si les exigences qu'il pose ne sont pas satisfaites. Or il sait que ses exigences étant maximalistes et conduisant à la renationalisation de la PAC et de la politique des fonds structurels, elles n'ont aucune chance d'être acceptées par l'Union.

Du côté pro-européen, Lord Rose, ancien patron de Marks and Spencer, a lancé le mouvement « Great Britain stronger in Europe », s'adressant habilement aux consommateurs.

De son côté, David Cameron est longtemps resté très vague sur le libellé exacte de ses demandes de réforme parce qu'il ne souhaitait pas les préciser avant 2016, afin de ne donner cours ni à des espérances excessives qui seraient frustrées lors des négociations ni à des attaques par les eurosceptiques sur l'éventuelle modération de ses exigences. Il s'est maintenant découvert à ses risques et périls.

Sur la scène politique, David Cameron sait qu'il n'a rien à attendre de Nigel Farage et de son parti UKIP qui est violemment anti-européen et qui exige la sortie immédiate de l'Union européenne depuis plusieurs années. Il ne peut plus s'appuyer sur le parti des Libéraux-Démocrates traditionnellement pro-européen, car celui-ci est sorti de la coalition gouvernementale depuis sa cuisante défaite aux dernières élections et ne représente plus grand chose dans l'opinion. Enfin l'élection de l'eurosceptique Jeremy Corbyn à la tête du Parti travailliste complique le paysage politique général dans la mesure où son positionnement personnel est ambigu sur cette question et présente un risque supplémentaire pour le referendum.

Jeremy Corbyn est connu pour son hostilité à l'Union européenne qu'il juge trop libérale et connu aussi pour son hostilité aux politiques d'austérité et d'équilibre budgétaire prônées par Bruxelles. Ses positions ne sont guère éloignées de l'extrême gauche. Après son élection à la tête du Parti, il a laissé entendre qu'il attendrait le résultat des négociations avant de se prononcer ; puis il s'est ravisé sous la pression du Labour et il a assuré très mollement à son entourage qu'il défendrait a priori le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne. On redoute qu'il garde en fait toutes les options ouvertes et qu'il puisse opter pour celle qui gênerait le plus l'actuel Premier ministre. Aujourd'hui 80% des députés travaillistes restent favorables au maintien dans l'Union, mais il y a une frange qui milite ardemment pour la sortie.

Avec Jeremy Corbyn, le Parti travailliste ayant déplacé son centre de gravité, il pourrait ne plus soutenir le maintien inconditionnel du Royaume-Uni dans l'Union européenne. Les adhérents ne sont d'ailleurs pas majoritairement favorables au maintien dans l'Union. On parle de confier la campagne pro-Union européenne à Alan Johnson et non à Jeremy Corbyn.

Sous la houlette d'Alan Johnson, les Travaillistes surmonteraient peut-être leurs réticences face à cette Europe dite « libérale », soutenue par David Cameron. En effet, David Cameron demande à l'Union européenne une accélération des négociations du TTIP, une plus grande compétitivité, une plus grande ouverture à la mondialisation, autant de sujets jugés désormais très négativement par le Parti travailliste qui aurait beau jeu de mettre en exergue que l'Europe libérale - défendue par les Conservateurs - est celle qui sert au mieux les intérêts des milieux économiques et de la City .

Or chacun sait que le patronat (CBI, mais peut-être moins The Institute of Directors ou EEF) et la City sont dans les starting blocks pour lancer la campagne favorable au maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne et qu'à plusieurs reprises déjà, le Premier ministre avait freiné leurs ardeurs pour que le camp du maintien dans l'Union européenne n'apparaisse pas essentiellement comme le camp des milieux économiques. Aujourd'hui ils ont enfin le feu vert pour lancer la campagne et ils l'ont commencée, sans grand éclat cependant.

Si Jeremy Corbyn prenait position contre le résultat obtenu à Bruxelles par David Cameron - hypothèse improbable, nous a-t-on dit -, ou s'il devait même simplement laisser à chaque membre du Parti sa liberté de conscience ou faire une campagne peu active - hypothèse très probable, selon nos interlocuteurs -, les chances d'une issue positive au referendum s'en trouveraient réduites et peut-être même annihilées. Il faut rappeler aussi que les syndicats qui épaulent le Labour sont majoritairement hostiles à l'Union européenne qu'ils assimilent tout à la fois à la politique d'austérité et au laxisme migratoire pesant sur la progression des salaires.

Face à ses adversaires, le Premier ministre est, jusqu'à présent, resté ferme en assurant qu'il se battrait pour obtenir le meilleur résultat possible à Bruxelles. Il critique à haute voix ceux qui soutiennent le « Brexit » dans l'absolu, avant même l'aboutissement des négociations.

Quant à ces exigences de réforme, telles qu'elles sont désormais connues dans leurs grandes lignes, elles apparaissent pour les eurosceptiques très modestes et pour Bruxelles très floues.

Une question essentielle finira par se poser à David Cameron si la tension devient trop vive par la faute des eurosceptiques conservateurs ou par celle de Bruxelles : faut-il plutôt gagner le referendum ou sauver l'unité du Parti ? Le Premier ministre s'est placé lui-même sur une dangereuse ligne de crête et toute sa légendaire habilité ne suffira pas si ses partenaires conservateurs et ses partenaires européens joignent leurs efforts pour le pousser vers cet ultimatum. Aujourd'hui, il conserve la certitude qu'il obtiendra de bons résultats à Bruxelles lors du prochain conseil (les 18 et 19 février) et qu'il saura les exploiter.

On ne doute pas que David Cameron fera une excellente campagne pour le maintien, s'il a reçu le soutien espéré à Bruxelles ni qu'aujourd'hui, il n'ait opté en son for intérieur - malgré ses propres préventions à l'égard de la construction européenne - pour le maintien de son pays dans l'Union. Mais le camp de la sortie (Vote Leave) qui fédère tous ceux de tous les partis et de toutes les institutions qui veulent une sortie définitive de l'Union est prêt pour une bataille mémorable et ne cherche plus que la personnalité qui prendra la tête de cette grande coalition pour le moins hétéroclite. Si ce chef devait être aussi habile que David Cameron, l'issue du référendum serait douteuse. On parle de certaines grandes figures conservatrices qui n'ont pas encore dévoilé leur jeu, comme par exemple Boris Johnson, maire de Londres.

Si au contraire David Cameron domine la scène, il peut compter sur un capital de sympathie et de confiance élevé qui place les chances d'un succès du referendum au plus haut (55/45) à condition naturellement, selon nos interlocuteurs qui tous s'entendent sur ce point, que le referendum ne coïncide pas avec une nouvelle crise européenne (nos interlocuteurs ont fait allusion à un nouvel afflux d'immigrants sur le continent, une nouvelle crise grecque, une intensification des combats dans les zones en guerre ou une attaque terroriste).

Le Premier ministre n'a pas perdu de temps puisqu'il a fait le tour des capitales européennes et qu'il a rencontré Donald Tusk. Au sein de la Commission, le terrain est prêt et une « task force » dédiée aux demandes britanniques et confiée à un eurocrate britannique expérimenté et très europhile (Jonathan Faull) a été mise en place.

Onze personnes seulement se réunissent à Bruxelles pour trouver une solution juridique habile. Il s'agit de :

- du côté britannique :

M. Yvan Rogers, représentant permanent auprès de l'Union européenne ;

M. Tom Scholar, conseiller spécial de David Cameron,

M. Ed Llewellyn, chef de cabinet de David Cameron,

M. Daniel Korski, conseiller de David Cameron et envoyé spécial auprès des capitales européennes,

M. Mats Perrsons, conseiller de David Cameron, chargé des députés européens.

- du côté de l'Union :

M. Donald Tusk, président du Conseil,

M. Jonathan Faull, chef de la Task Force chargé des négociations,

M. Martin Selmayr, chef de cabinet de Jean-Claude Juncker,

M. Hubert Legal, juriste de l'Union européenne,

M. Piotr Serafin, bras droit de Donald Tusk,

M. Jeppe Tranholm-Mikkelson, secrétaire général du Conseil.

Le résultat de leurs débats n'a pas filtré à ce jour et nous ne pouvons donc procéder que par déduction ou en nous appuyant sur les fuites savamment distillées par la Commission : « Ce sera dur, mais une solution est possible » ; « Le Brexit n'aura pas lieu : nous y travaillons » ; « Un compromis sera trouvé » ; « Nous cherchons à adapter le compromis de Ioannina ».

À Bruxelles, dans les bureaux, on est sceptique sur les grandes lignes annoncées par Londres et on laisse entendre que certaines exigences sont pour ainsi dire déjà satisfaites ou en voie de l'être, et que d'autres sont impossibles à satisfaire. Une seule réforme semble retenir leur attention : la nécessité de garantir au mieux la non-discrimination des États non membres de la zone euro. Sur cette question, on avance un parallèle possible avec le système conçu pour l'Union bancaire. On peut en conclure que les services de la Commission ne sont guère impressionnés et encore moins inquiets des projets de réforme préconisés par Londres. On peut comprendre aussi qu'il apparaît d'assez mauvais augure que le camp eurosceptique et la Commission puissent - avant les négociations - affirmer ou sous-entendre que Cameron n'obtiendra rien de substantiel.

Pour résumer et clarifier l'état des lieux, on ne prend pas de grands risques à dire qu'un compromis est en cours d'élaboration, mais que le référendum britannique, qui peut être gagné au profit d'un maintien dans l'Union européenne, pourrait cependant mal tourner en fonction de la conjoncture européenne au moment du vote.

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