QUATRE DEMANDES OFFICIELLES QUI HEURTENT LES PRINCIPES FONDATEURS DE LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE

Pour parler brutalement, on peut dire que les quatre demandes officielles du Royaume-Uni trouvent leur fondement dans le refus du fédéralisme, la situation intérieure du pays en matière d'immigration et dans cette grande particularité qui consiste à avoir sur son territoire la capitale financière de l'UE et l'essentiel des transactions liées à l'euro sans avoir adopté la monnaie unique.

LA NON-DISCRIMINATION ENTRE LES MEMBRES DE LA ZONE EURO ET LES NON MEMBRES

La zone euro doit disposer des instruments de son intégration. Le Royaume-Uni le comprend, mais il exige que les intérêts de ceux qui n'ont pas adopté l'euro ne soient pas menacés par le renforcement inéluctable de la zone euro, ce qui ne manquerait pas de se produire si les règles européennes étaient élaborées seulement par et pour le bloc de la zone euro qui est majoritaire.

Il en découle que le Royaume-Uni souhaite qu'il soit précisé que l'euro n'est pas la seule devise de l'Union européenne. La participation des États membres n'ayant pas adopté l'euro à toute action monétaire ou bancaire doit rester facultative. Enfin, le budget de l'Union ne doit jamais servir à la politique monétaire sans qu'il y ait compensation pour les pays hors de l'euro.

Le Royaume-Uni voudrait adapter le mécanisme dit du « Compromis de Ioannina » aux questions touchant la zone euro. « Ioannina » est une procédure qui permet au Président du Conseil de reporter le vote et d'accorder un délai supplémentaire de réflexion pour entendre le point de vue d'un État membre non favorable à la mesure discutée et favoriser la recherche d'un compromis. La mise en oeuvre et la durée de ce délai sont laissées à la discrétion du Président.

Sur cette demande, nous émettons les plus grandes réserves dans la mesure où prendre acte du fait que plusieurs monnaies circulent au sein de l'Union et le déclarer officiellement est une façon de s'opposer au projet européen vers lequel tendent les traités puisque l'euro a vocation à devenir la monnaie de tous les États membres. En outre, la mise en oeuvre d'un compromis pour protéger les intérêts de la minorité non membre ne doit en aucun cas entraver la plus forte intégration de la zone euro, intégration absolument nécessaire au succès d'une monnaie unique.

L'ACHÈVEMENT DU MARCHÉ UNIQUE ET UNE PLUS GRANDE COMPÉTITIVITÉ

Le Royaume-Uni souhaite un marché unique des capitaux, un marché unique du numérique et un allègement des charges sur les entreprises afin d'assurer la compétitivité et le retour à la croissance. Sur ce chapitre, nous pouvons leur donner acte et la grande majorité des États membres sont prêts à leur emboîter le pas.

En effet, la demande britannique sera aisément acceptée en combinant le programme d'approfondissement du marché unique pour les capitaux, le numérique, l'énergie et les services, avec le projet d'intégration renforcée de la zone euro. Ce compromis prendrait acte de l'existant en l'améliorant : un vaste marché intérieur approfondi au sein duquel on trouverait un sous-ensemble constitué d'une zone économique et monétaire enfin réalisée.

LA DÉFENSE DE LA SOUVERAINETÉ, LA RÉAFFIRMATION DU PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ ET LE RENFORCEMENT DU RÔLE DES PARLEMENTS NATIONAUX

Le Royaume-Uni propose de mettre un terme à la désaffection qui entoure l'Union européenne et son projet en rétablissant la souveraineté des États membres et en renonçant à une « union toujours plus étroite » qui conduirait au fédéralisme dont certains États ne veulent pas. Ce principe étant un des principes fondateurs du projet européen, il semble inenvisageable que l'on puisse y renoncer, mais en l'état, ce principe ne se traduit pas en obligations juridiques.

Il faut rappeler toutefois qu'en vertu des traités, et plus particulièrement de l'article 5 du Traité sur l'Union européenne, le principe d'attribution régit la délimitation des compétences de l'Union et que les principes de subsidiarité et de proportionnalité régissent l'exercice de ces compétences et qu'il n'est pas possible de déroger à ces règles clairement exposées dans le traité.

Le projet britannique consiste à refonder la légitimité de l'action européenne en renforçant le rôle des parlements nationaux. Il préconise de permettre à une majorité qualifiée de parlements nationaux de repousser les projets législatifs émanant du Conseil ou de la Commission quand ces projets n'ont pas l'appui des parlementaires nationaux. Il s'agirait d'un véritable « carton rouge » pour lequel aucune majorité qualifiée n'a été étudiée pour l'instant.

Sur ce point, force est de constater que les traités précisent que l'action des parlements nationaux est assurée au moyen du contrôle dit de subsidiarité et qu'ils n'ont pas entendu les faire participer davantage à l'élaboration de la législation européenne. En tout état de cause, si l'idée d'un veto semble exclue, il conviendrait sans doute de veiller à une meilleure association des Parlements nationaux au processus de décision européen, notamment sous la forme d'un véritable droit d'initiative appelé « carton vert ».

Quant au principe de subsidiarité, le Royaume-Uni souhaite qu'il soit appliqué strictement et que reste au niveau national tout ce qu'il est possible de faire à ce niveau. Par voie de conséquence, il s'agit de réserver au niveau européen ce qu'il faut y transférer sous le coup de la nécessité. Pour Londres, un renversement copernicien s'impose puisqu'aujourd'hui, on commence par le projet d'intervention émanant de Bruxelles et on examine superficiellement s'il respecte le principe de subsidiarité. Dans la logique britannique, on ne transmet à Bruxelles que ce que les États acceptent de transmettre parce qu'ils jugent ne pas pouvoir faire mieux eux-mêmes.

Sur ce point, il semble que les parlements nationaux peuvent parfaitement agir et veiller au respect d'un bon équilibre entre le niveau national et le niveau européen, en particulier en utilisant pleinement les outils que leur confèrent les traités.

LES AMÉNAGEMENTS DU PRINCIPE DE LA LIBRE CIRCULATION DES PERSONNES

Bien que favorable au principe de la libre circulation des personnes au sein de l'Union dans une économie ouverte, le Royaume-Uni considère que les pressions que le flux migratoire fait peser sur l'État britannique depuis 2004 sont devenues intolérables. Il conviendrait dans ces conditions de limiter l'entrée de nouveaux candidats, le solde net migratoire annuel au Royaume-Uni étant déjà de 336 000 personnes au 25 novembre 2015 (avec une moyenne annuelle depuis 2004 de 240 000 personnes).

Le Premier ministre demande un aménagement du principe de libre circulation des personnes et suggère la mesure suivante : un délai de quatre ans serait nécessaire avant que les travailleurs étrangers puissent bénéficier des allocations liées à l'emploi, à savoir le complément de salaire (impôt négatif), l'aide personnalisée au logement et les allocations familiales.

Sur ce point très délicat, même si nous comprenons que la situation est très tendue dans les services publics britanniques et que les capacités d'accueil sont arrivées à saturation, nous jugeons de notre devoir de réaffirmer avec solennité les principes de la libre circulation des personnes et de l'égalité de traitement des travailleurs. Toutefois, il est sans doute possible d'apporter, pour lutter contre les abus ou les fraudes et en cas de circonstances exceptionnelles, des réponses adéquates dans le cadre du droit dérivé.

On nous a dit à Bruxelles qu'on avait noté une légère inflexion de la position allemande sur cette question des prestations sociales depuis l'arrêt de la Cour de Justice européenne du 11 novembre 2014.

La Cour de Justice de l'Union a validé la décision d'un centre social allemand de ne pas verser des prestations à des migrants communautaires sans travail.

En effet, la Cour de Justice de l'Union 1 ( * ) , en réponse aux questions du Tribunal social de Leipzig, juge que pour pouvoir accéder à certaines prestations sociales les ressortissants d'autres États membres ne peuvent réclamer une égalité de traitement avec les ressortissants de l'État membre d'accueil que si leur séjour respecte les conditions de la Directive « Citoyen de l'Union » (2004/38/CE du 29 avril 2004). Cette directive conditionne le droit de séjour au fait que les personnes économiquement inactives doivent disposer de ressources propres suffisantes. La directive cherche à empêcher que les citoyens de l'Union européenne sans emploi utilisent le régime de protection sociale de l'État d'accueil pour financer leurs moyens d'existence.


* 1 Arrêt dans l'affaire C-333/13 Elisabeta Dano, Florin Dano/Job Center Leipzig du 11 novembre 2014.

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