II. L'INFLUENCE POSITIVE DU SÉNAT AU COURS DES NÉGOCIATIONS SUR LES TEXTES EUROPÉENS

1. Rappel sur les propositions de résolution européennes

L'article 88-4 de la Constitution permet au Sénat, comme à l'Assemblée nationale, de voter des résolutions sur les textes européens avant qu'ils ne soient adoptés par les institutions européennes et deviennent des directives, des règlements ou des décisions de l'Union.

À cet effet, le Gouvernement doit soumettre au Sénat tous les projets d'actes de l'Union européenne, dès leur transmission au Conseil. Mais le Sénat peut également, de sa propre initiative, et depuis la révision constitutionnelle de 2008, se saisir de « tout document émanant d'une institution de l'Union » , par exemple un rapport, un livre vert ou un document préparatoire.

La commission des affaires européennes est chargée d'examiner systématiquement les projets d'actes de l'Union soumis au Sénat par le Gouvernement, afin de déterminer ceux d'entre eux qui ont un enjeu important et soulèvent des difficultés. Elle peut prendre l'initiative d'une résolution européenne, qui est alors soumise à l'approbation de la commission compétente au fond, ou de la séance plénière du Sénat.

La réserve d'examen parlementaire

Afin de garantir la possibilité de prendre en compte les résolutions des assemblées , des circulaires du Premier ministre ont mis en place une « réserve d'examen parlementaire » .

Ce mécanisme assure au Sénat, comme à l'Assemblée nationale, un délai de 8 semaines pour manifester sa volonté de se prononcer sur un projet d'acte législatif européen. Lorsqu'une telle volonté s'est clairement manifestée, le Gouvernement doit, dans la mesure du possible, s'opposer à ce qu'une décision définitive soit prise à l'échelon communautaire, avant l'adoption de la résolution envisagée.

Par une résolution européenne, le Sénat prend position sur un texte à l'intention du Gouvernement , en lui indiquant des objectifs à poursuivre pour la négociation au sein du Conseil.

Mais que fait le Gouvernement des résolutions européennes votées par le Sénat ?

Ce rapport démontre que les résolutions européennes du Sénat ont des conséquences directes sur les négociations qui conduisent à l'élaboration de la législation européenne et donc, du fait de la transposition des directives, sur la législation française. Ces résolutions constituent un instrument efficace dans l'établissement d'un véritable dialogue avec le pouvoir exécutif , même si ce dialogue demeure perfectible.

Ainsi, l'étude du Conseil d'État, en 2015, intitulée Directives européennes : anticiper pour mieux transposer , parmi les propositions qu'elle avance, évoque la meilleure information du Parlement tout au long de la négociation car « l'information du Parlement pendant la phase de négociation elle-même reste trop souvent insuffisante. Cet « angle mort » ne favorise pas la transposition des directives qui apparaissent dès lors trop souvent comme des contraintes purement extérieures ». En outre, l'étude propose (proposition n° 29) de « réunir le comité de liaison 5 ( * ) à un niveau politique une fois par semestre et prévoir à cette occasion un point sur les négociations en cours, en fonction du programme de travail prévisionnel de la présidence du Conseil de l'Union européenne ». Les rapporteurs de la commission des affaires européennes auraient toute leur place dans cette enceinte, ce qui permettrait de nourrir un dialogue régulier tout au long de la négociation des textes européens.

Il n'en reste pas moins vrai que, d'ores et déjà, les positions arrêtées par le Sénat ne restent pas lettre morte .

2. Les suites données aux résolutions européennes du Sénat

Les suites données aux résolutions européennes votées par le Sénat ne sont pas encore nécessairement toutes connues , dès lors que l'état d'avancement des négociations varie d'un dossier à l'autre.

Du reste, les résolutions du Sénat peuvent connaître des suites d'autant plus favorables qu'elles sont mises en avant, voire soutenues par le Gouvernement au cours des négociations au Conseil.

Enfin, les suites données s'apprécient différemment selon le texte de la résolution elle-même qui peut porter sur un sujet plus ou moins circonscrit et sur un projet d'acte de nature législative ou non. Ainsi, certaines résolutions poursuivent un dessein plus politique que technique, par exemple lorsqu'il s'agit de se positionner dans un débat public, et leur portée pratique est alors moins évidente. Il est dès lors logique que l'information sur leur suivi revête une dimension moins opérationnelle.

D'une façon quelque peu schématique, il est possible de classer les résolutions européennes du Sénat en trois catégories quant aux suites qu'elles ont reçues : une prise en compte complète, ou presque complète, une mise en oeuvre partielle et une absence de suites.

a) Le Sénat a été suivi dans plus de la moitié des cas

Sur les dix-sept résolutions analysées dans le présent rapport, neuf, soit plus de la moitié , ont été prises totalement ou très largement en compte au cours des négociations, voire dans le texte européen définitif.

Sur les médicaments vétérinaires et les aliments médicamenteux pour animaux , il est intéressant de noter que, même si l'examen des textes n'est pas achevé, les autorités françaises ont défendu les principaux points de la résolution du Sénat, à la fois auprès du Conseil et auprès de la rapporteure de la commission de l'environnement du Parlement européen, Mme Françoise Grossetête.

Ainsi, et comme le souhaitait le Sénat, les autorités françaises ont proposé un amendement visant à ce que, dans le cadre de la lutte contre l'anti-biorésistance, l'utilisation préventive des antibiotiques soit désormais restreinte au sein de l'Union européenne à des situations exceptionnelles qu'il appartiendra à la Commission de définir. Elles ont également défendu le principe d'interdire la vente en ligne de médicaments vétérinaires soumis à prescription et demandé que les mesures supplémentaires que les États membres peuvent imposer sur leur territoire pour des raisons de santé publique, en application du principe de subsidiarité, soient proportionnées et non discriminatoires afin de limiter les distorsions de concurrence entre États membres et les risques de contentieux. Sur l'importation des médicaments vétérinaires, elles ont demandé l'application d'exigences équivalentes aux animaux importés de pays tiers ainsi qu'aux denrées qui en sont issues et proposé l'insertion, dans les deux propositions de règlements concernées, de dispositions spécifiques sur l'utilisation de médicaments vétérinaires contenant des antibiotiques pour les animaux et les denrées provenant des pays tiers. Enfin, elles ont formulé des propositions conformes à la résolution du Sénat pour le contrôle des procédures d'autorisation de mise sur le marché (notamment le rétablissement de la règle de majorité qualifiée dans la procédure de réexamen par le groupe de coordination, l'ouverture des demandes de réexamen scientifique aux États membres et le respect des règles de vote au sein du comité de gestion).

Les positions du Sénat ont également été largement reprises par le Gouvernement dans le dossier sensible et complexe des projets d' accords commerciaux entre l'Union européenne, le Canada et les États-Unis . La résolution du Sénat dénonçait une disposition commune à ces deux accords de libre-échange, à savoir le procédé de règlement d'un différend entre, d'une part, un investisseur de l'un des deux États partenaires et, d'autre part, l'État partenaire, lieu d'accueil de l'investissement, dit règlement des différends investisseur/État (RDIE) . Ce procédé consiste à recourir à un système de justice « privée » pour juger et arbitrer le conflit pouvant résulter de l'impact sur les bénéfices attendus de son investissement par une entreprise, d'une législation ou d'une réglementation édictée par le gouvernement de l'État hôte, alors même que la législation adoptée a pour objet l'intérêt public, la santé, la protection du consommateur, etc. Interprétés comme une sanction financière illégitime imposée par une entreprise privée à un État souverain, les jugements émis par de telles juridictions arbitrales sont considérés comme des atteintes à la souveraineté des États qui sont ainsi financièrement pénalisés par l'exercice souverain de leur droit à légiférer et à règlementer. De surcroît, aucun dispositif d'appel n'est prévu, les « juges/arbitres » ne sont soumis à aucun code de déontologie et les notions de « préjudice » ou de « bénéfices attendus » sont plus que floues.

La proposition de résolution demandait au Gouvernement de presser la Commission européenne, en charge des négociations commerciales, pour soit réformer ce modèle de justice arbitrale en le réglementant strictement pour éviter toute dérive, soit l'écarter purement et simplement des accords de commerce, pour s'en remettre aux tribunaux judiciaires nationaux. Le gouvernement français, avec d'autres, dont le Parlement européen, avait du reste déjà manifesté sa réserve à la perpétuation du RDIE. En juin 2015, il a proposé une importante réforme de ce dispositif, reprise presque intégralement à son compte par la Commission, et qui comprend les points suivants :

- la mise en place d'un système juridictionnel public des investissements, composé d'un tribunal de première instance et d'une cour d'appel ;

- les arrêts seront rendus par des juges hautement qualifiés nommés par les pouvoirs publics - qualifications requises comparables à celles des membres des juridictions internationales permanentes, telles que la Cour internationale de justice et l'organe d'appel de l'OMC ;

- les principes de fonctionnement de la nouvelle cour d'appel seront semblables à ceux de l'organe d'appel de l'OMC ;

- une définition précise est faite de la capacité des investisseurs à saisir la juridiction, limitée à des cas précis tels que la discrimination ciblée fondée sur le sexe, la race, les convictions religieuses ou la nationalité, l'expropriation sans indemnisation ou encore le déni de justice ;

- la consécration et la protection du droit des États de réglementer, par son inscription dans les accords de commerce et d'investissement.

La Commission a soumis cette proposition à la partie américaine dans le cadre de la négociation du TTIP. La nouvelle version du dispositif RDIE a été très récemment intégrée dans l'accord conclu avec le Canada.

Les positions exprimées par le Sénat sur la création d'un PNR 6 ( * ) européen ont fini par être suivies d'effet, même si ce fut après une trop longue période de négociations - le contexte issu des attentats terroristes du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis a indéniablement contribué à accélérer le processus. Sa résolution estimait urgente l'adoption de cette proposition de directive qui vise à prévenir et détecter des infractions terroristes et des formes graves de criminalité, en coordonnant de façon efficace les PNR nationaux dans le respect des garanties indispensables à la protection des données personnelles. Ce texte devrait être adopté d'ici la fin avril 2016.

Sur le plan d'investissement pour l'Europe, dit « Plan Juncker » , les positions défendues par le Sénat dans ses deux résolutions successives ont été très largement reprises, qu'il s'agisse des modalités de financement du plan, des secteurs et projets financés ou de la gouvernance du plan d'investissement.

Le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS), le bras financier du plan d'investissement, va bénéficier en partie de ressources additionnelles qui s'ajoutent aux montants prélevés sur les crédits initialement alloués au Mécanisme d'interconnexion en Europe et à Horizon 2020, eux-mêmes réduits au cours de la négociation, étant entendu que le FEIS poursuit des objectifs cohérents avec ceux poursuivis par ces deux programmes. Alors que le Sénat avait émis des doutes sur la crédibilité de l'effet levier de 1 à 15 pour mobiliser des fonds privés à partir de crédits publics, le règlement relatif au FEIS prévoit que le rapport présenté par la BEI au Parlement européen et au Conseil sur les investissements réalisés inclura une évaluation de l'effet levier obtenu par projet soutenu par le FEIS. Ce règlement ne mentionne pas non plus, suivant en cela le souhait du Sénat, l'interdiction de sélectionner un projet requérant des subventions. De même, un des volets du FEIS, doté de 5 milliards d'euros, est spécifiquement dédié au financement des PME : le Fonds européen d'investissement (FEI) de la BEI est chargé de sa mise en oeuvre, à travers des participations dans des fonds de capital investissement, ainsi que des opérations s'appuyant sur le volet « garantie de prêts » du programme COSME et des opérations s'appuyant sur le volet « garanties pour les PME » du dispositif InnovFin. Le FEIS permet ainsi de renforcer l'activité du FEI en faveur des PME.

Le Sénat s'était inquiété de l'impact des modalités de financement proposées pour le « Plan Juncker » sur l'utilisation des fonds structurels déjà alloués à la politique de cohésion, en particulier sur l'articulation entre le FEIS et les fonds structurels et d'investissement européens, dans un contexte marqué par la réduction drastique des dotations financières nationales aux collectivités territoriales. Or, il convient de se féliciter de ce que les fonds structurels alloués à la politique de cohésion n'aient pas été réduits pour permettre le financement du FEIS.

De même, une déclaration de la Commission sur son appréciation des contributions exceptionnelles au titre du FEIS précise que ces contributions nationales « devraient en principe être qualifiées de mesures ponctuelles au sens » du pacte de stabilité et de croissance.

Comme demandé dans la résolution du Sénat, le rôle des banques nationales de développement (BND) dans la mise en oeuvre du « Plan Juncker » est spécifiquement abordé dans une communication de la Commission du 22 juillet 2015 : les BND pourront bénéficier des garanties du FEIS via la BEI et la collaboration BEI/BND pourra se faire sous une variété large de formes financières, sur une base bilatérale ou via des plateformes d'investissement qui, grâce au FEIS, pourront permettre des rehaussements de crédit visant à attirer le secteur privé. De surcroît, les BND pourraient travailler aux côtés des administrations nationales et régionales chargées de la gestion des fonds structurels et d'investissements européen, notamment sous forme d'instruments de partage de risque, garanties de prêts (partielles), capitaux propres, financement mezzanine.

Pour ce qui concerne les secteurs et projets financés par le plan d'investissement, la résolution du Sénat a été suivie d'effet sur le profil de risque plus élevé des projets à financer, mentionné dans le règlement relatif au FEIS. Par ailleurs, les opérations ne peuvent être éligibles au FEIS que si elles répondent à cinq critères cumulatifs, parmi lesquels l'apport d'une additionnalité, c'est-à-dire « le soutien apporté par le FEIS aux opérations qui remédient aux défaillances du marché ou à des situations d'investissement sous-optimales et qui n'auraient pas pu être menées dans la période pendant laquelle il est possible de recourir à la garantie de l'Union » . Les critères de viabilité économique et de compatibilité avec les politiques de l'Union européenne sont également repris dans le règlement. De même, un tableau de bord d'indicateurs mis en place doit permettre de garantir une évaluation indépendante et transparente de l'utilisation de la garantie de l'Union pour l'ensemble des secteurs. Ce tableau de bord comporte des critères de créations d'emplois et une analyse coûts-bénéfices.

Sur la possibilité pour les collectivités territoriales de bénéficier du plan d'investissement, à laquelle le Sénat se montre très attaché, elles peuvent engager des démarches auprès de la BEI. Par ailleurs, alors que la résolution sénatoriale avait appelé à des critères de sélection de projets aboutissant à une couverture équilibrée du territoire européen, le règlement relatif au FEIS dispose que « les opérations soutenues par le FEIS ne sont concentrées sur aucun territoire spécifique à la fin de la période initiale d'investissement. À cette fin, le comité de pilotage adopte des lignes directrices indicatives en matière de diversification et de concentration géographiques. [...] Le FEIS devrait se donner pour but de couvrir tous les États membres » . Enfin, parmi les plateformes d'investissement qui permettent d'apporter une contribution au financement de projets, figurent des plateformes multi-pays ou régionales qui regroupent des partenaires établis dans divers États membres ou pays tiers et ayant un intérêt dans des projets qui concernent une zone géographique donnée.

Enfin, sur la gouvernance du plan d'investissement, le comité d'investissement prévu doit comporter des experts indépendants et de haut niveau. Pour autant, le président du comité de pilotage et le directeur exécutif doivent rendre des comptes au Parlement européen et au Conseil sous la forme d'auditions et/ou de réponses à des questionnaires. Diverses modalités de suivi du FEIS sont également prévues : rapport annuel de la BEI au Parlement européen et au Conseil sur les opérations de financement et d'investissement visées par le règlement, informations par la Commission sur la situation et la gestion du fonds de garantie, évaluation par la BEI, au plus tard le 5 janvier 2017, du fonctionnement du FEIS présentée au Parlement européen, au Conseil et à la Commission, publication par la BEI, au plus tard le 30 juin 2018 puis tous les trois ans, d'un rapport complet sur le fonctionnement du FEIS, qui comporte une évaluation de l'incidence du FEIS sur les investissements dans l'Union européenne, etc.

La résolution du Sénat demandait également des informations complémentaires sur le fonctionnement de la plateforme européenne de conseil en investissement. Cette dernière est une co-initiative de la BEI et de la Commission permettant d'offrir un point d'accès unique d'assistance technique et de conseil, y compris du conseil en financement, qui sera une plateforme de coopération et de dissémination de l'expertise. Cette plateforme a été mise en ligne le 1 er septembre 2015 (www.eib.org/eiah). Elle devrait permettre d'améliorer la visibilité des services de conseil et d'assistance technique déjà proposés par la BEI et la Commission, en proposant notamment une présentation par secteur. Les demandes des utilisateurs de la plateforme permettront également d'identifier de nouveaux besoins, en faisant éventuellement recours à des consultants extérieurs. Les services proposés devraient être gratuits pour les États membres et les collectivités territoriales, alors que des frais pourraient être envisagés pour certains bénéficiaires du secteur privé. Les collectivités territoriales pourront faire appel à la plateforme pour structurer leurs projets.

Sur le volet réglementaire du plan d'investissement auquel faisait référence la résolution du Sénat, les questions traitées relèvent davantage de la prospective. Ainsi, le Conseil ECOFIN est engagé dans une réflexion sur les orientations à donner au troisième pilier du plan d'investissement, qui consiste à créer un environnement plus favorable à l'investissement. La Commission souhaite que ce pilier se décline au niveau national comme au niveau européen, afin de favoriser l'investissement. Au niveau national, cet agenda recouvre une large gamme de mesures allant de la simplification administrative au fonctionnement des marchés de biens. Au niveau européen, la Commission souligne l'importance des projets d'union des marchés de capitaux, de marché unique du numérique et d'union de l'énergie pour favoriser l'investissement.

La seconde résolution votée par le Sénat sur le « Plan Juncker », et qui portait plus précisément sur les débuts de sa mise en oeuvre et l'implication des collectivités territoriales, permet également de mettre en évidence certaines avancées. Ainsi, l'État, au niveau central et déconcentré, assurera une mission d'information et d'accompagnement des acteurs locaux, publics et privés, pour faire émerger des projets éligibles au FEIS. En particulier, il pourra aider à agréger des projets pour constituer des programmes dotés d'une taille critique. Plus particulièrement, le Commissariat général à l'investissement est chargé de la cartographie et du recensement des projets, ainsi que d'une partie de leur suivi opérationnel, en lien avec les porteurs de projets et les équipes du bureau français de la BEI. Il dispose d'un rôle de conseil et d'orientation, même s'il n'est nullement un point de passage obligé pour les projets qui sont présentés par les porteurs de projets à la BEI.

La Commission a publié en janvier dernier un état des lieux complet, avec un détail par secteur et par pays, de la mise en oeuvre du plan d'investissement en 2015. À cette date, le plan avait mobilisé près de 50 milliards d'euros dans 22 pays, dont 25 milliards dans des projets d'infrastructures et d'innovation et autant pour le financement des PME. En France, un total de 1,3 milliard d'euros a été mobilisé par le FEIS, devant catalyser 7 milliards d'investissements dans des secteurs prioritaires tels que la transition énergétique, le développement de l'innovation, notamment par les PME, ou les infrastructures numériques.

Très récemment, le 22 février dernier, les commissaires européens en charge de la politique régionale et du plan d'investissement, respectivement Mme Corina Cretu et M. Jyrki Katainen, ont présenté la première mouture d'une brochure d'information comprenant des orientations pour aider les autorités locales et régionales à utiliser de façon combinée les fonds structurels et le FEIS. Ce document détaille les démarches pour financer des projets, y compris par l'intermédiaire d'un instrument financier, et aussi pour assister les PME dans le recours au fonds de garantie. L'idée générale est de combiner ces deux sources de financement de manière à les compléter et à les optimiser.

À cette occasion, la Commission a dressé un dernier bilan et annoncé que la garantie publique du « Plan Juncker » avait déjà été mobilisée à hauteur de 9 milliards d'euros, soit 6,7 milliards au titre du FEIS, ce qui représente 46 projets, et 2,3 milliards au titre des fonds structurels (le FEI de la BEI). Selon la Commission, ces 9 milliards d'euros ont permis de lever 64 milliards d'euros provenant du secteur privé, soit environ 20 % de l'objectif visé par le plan d'investissement. Les projets concernés seraient toutefois différents selon les États membres : à l'Ouest, ils seraient surtout financés par le FEIS, tandis qu'à l'Est, ils seraient essentiellement supportés par les fonds structurels, pour des raisons liées à la fois à la nature des projets à financer et aux pratiques administratives nationales.

La Commission prépare aussi le lancement du portail européen de projets d'investissement pour la fin février 2016. Ce portail permettra à des promoteurs de projets établis dans l'Union, publics ou privés, de trouver des investisseurs potentiels dans le monde entier, en publiant sous un format standardisé des informations sur leur projet. Pour figurer sur le portail, les projets doivent être d'une valeur d'au moins 10 millions d'euros, pouvoir démarrer dans les trois ans suivant leur dépôt sur le portail, être soutenus par une entité juridique publique ou privée établie dans un État membre et être compatibles avec les législations européennes et nationales en vigueur. Le portail est en phase de pré-lancement : il est déjà possible de soumettre un projet en renseignant le formulaire sur le site dédié (eipp-project@ec.europa.eu).

Enfin, la Commission devrait lancer, au second semestre 2016, selon des modalités techniques qui restent à préciser, une plateforme d'investissements en fonds propres intégrée au volet PME du « Plan Juncker », qui comprendrait notamment un instrument paneuropéen de fonds de fonds de capital-risque, répondant en cela à des revendications françaises.

Les positions défendues par le Sénat ont connu des suites largement positives sur sa résolution relative au paquet « mieux légiférer » . En effet, le compromis trouvé sur l'accord interinstitutionnel relatif à l'amélioration de la réglementation répond aux objections formulées par le Sénat.

Le compromis adopté ne rend ainsi plus obligatoires les analyses d'impact pour les amendements du Conseil et de la Commission, qui sont néanmoins invités à mener de telles études à leur convenance. La résolution était surtout critique quant à la volonté de la Commission d'encadrer la transposition des directives. Toute mesure supplémentaire ou tout ajout du ressort du législateur national devait être motivé et son impact évalué. La Commission entendait éviter surenchère réglementaire et sur-transposition. Si l'intention pouvait paraître louable, un tel encadrement aurait pu affecter le principe même de la directive, qui lie les États membres quant aux résultats à atteindre, mais leur laisse la compétence quant à la forme et au moyen. Au-delà, une telle option n'était pas sans poser de sérieuses difficultés au regard des principes de souveraineté et de subsidiarité. Le Parlement européen étant favorable à un tel encadrement, le compromis trouvé entre les institutions se limite à inciter les États à signaler l'ajout d'éléments sans rapport avec la directive initiale. La résolution demandait que la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne sur les retraits de propositions législatives soit intégrée dans l'accord interinstitutionnel. Le compromis répond à cette demande, puisque la Commission s'est engagée à motiver les raisons du retrait et à indiquer, le cas échéant, les actions ultérieures qu'elle compte entreprendre. La résolution insistait sur la nécessité d'améliorer la transparence pour les actes délégués et les trilogues. Là encore, des avancées notables ont été enregistrées avec l'annonce d'efforts en matière de publicité et de transmission de documents. En outre, si la Commission n'entend pas soumettre les actes d'exécution ou les actes délégués au contrôle de subsidiarité, elle s'engage désormais à consulter les experts nationaux avant de rédiger un projet d'acte.

Seul le volet de la résolution relatif au renforcement du dialogue politique entre la Commission et les parlements nationaux, avec l'émergence d'un véritable droit d'initiative, ou « carton vert », n'a pas été relayé dans le compromis. On doit le regretter, mais les débats en ce sens se poursuivent au sein de la COSAC.

Dans ce domaine aussi, les négociations sur la proposition de règlement établissant, pour 2016, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques ont permis de donner une large satisfaction au Sénat.

Le texte de la Commission visait à réduire de façon drastique les possibilités de pêche au bar . Certes, l'état du stock halieutique justifiait cette proposition car les mesures effectuées par le Conseil international pour l'exploration de la mer révélaient une situation critique et, en 2015, la Commission et le Conseil avaient adopté une série de mesures d'urgence tout à fait justifiées. L'économie générale du texte n'appelait donc pas d'observation. En revanche, le texte de la Commission revêtait un aspect sans doute excessif car il proposait un arrêt total des pêches au bar pendant six mois, une mesure draconienne qui ne tenait compte ni des responsabilités des pêcheries ni du risque qu'elle faisait supporter par une partie des pêcheurs. Le stock de bar a considérablement souffert de l'arrivée de la pêche au chalut, une pêche massive qui s'est accrue de 80 % en dix ans et qui est responsable aujourd'hui de 80 % des pêches professionnelles. Or, la mesure frappait indistinctement la pêche au chalut et les autres pêches, artisanales, notamment la pêche des ligneurs (pratiquée avec des hameçons accrochés à des lignes).

De manière à faire cette distinction, la résolution du Sénat vise à moduler la durée d'interdiction selon les modes de pêche (6 mois pour les chaluts, 3 mois pour les ligneurs) et à relever le pourcentage autorisé des prises accessoires. Lorsque cette question a été débattue au Conseil, en décembre 2015, la proposition de la Commission a été corrigée dans le sens souhaité par la résolution du Sénat, avant même que ce texte ne devienne définitif : la période d'interdiction de pêche a été modulée selon les types de pêche, soit 6 mois pour les chaluts et 2 mois pour les ligneurs, soit un mois de moins que la mesure préconisée par le Sénat. En revanche, le pourcentage des prises accessoires n'a pas été modifié, mais le poids total des captures a été légèrement relevé.

La position exprimée par le Sénat dans sa résolution sur les conséquences du TTIP pour l'agriculture et l'aménagement du territoire a trouvé un écho extrêmement positif auprès du Gouvernement.

La résolution dénonce la situation de l'agriculture française vis-à-vis de ses concurrents nord-américains dans toute une série de domaines : élevage, filière laitière, indications géographiques françaises, règles sanitaires en matière alimentaire, de bien-être animal, de protection de l'environnement et d'occupation de l'espace. Notre agriculture subit en effet le contrecoup d'écarts de compétitivité qui la confrontent à une concurrence inégale. Enfin, la résolution rappelle les principes de transparence et de contrôle démocratique qui doivent présider aux négociations du TTIP. À l'initiative de la commission des affaires européennes, le texte initial de la proposition de résolution a été complété sur différents points : faire valoir les aspects positifs que la conclusion d'un accord équilibré pourrait apporter au secteur agricole français ; rappeler le nécessaire respect de normes sanitaires et phytosanitaires exigeantes ; mentionner explicitement l'importance de la reconnaissance et de la protection des indications géographiques comme intérêt offensif ; préserver les produits classés sensibles de tout traitement particulier de fin de négociation ; faire en sorte qu'au-delà des actions de transparence et d'information initiées par le Gouvernement, la Commission obtienne du partenaire américain une ouverture et une transparence comparables à celles dont celui-ci bénéficie de la part de l'Union européenne.

Au cours du débat en séance publique, au cours duquel la proposition de résolution a été adoptée par le Sénat, le 4 février 2016, M. Matthias Fekl, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, a notamment déclaré : « Réciprocité, défense de nos préférences collectives, attention portée aux secteurs sensibles et à l'ensemble des secteurs de l'agriculture française, ambition et détermination dans la levée des obstacles au commerce avec les États-Unis - en particulier l'accès au marché : voilà quelques-uns des piliers de la position de la France en matière agricole. Ils correspondent totalement, je crois, à l'esprit de la proposition de résolution européenne qui est soumise aujourd'hui à votre appréciation et dont le Gouvernement partage tant l'esprit que la lettre » .

Enfin, le Sénat a également obtenu gain de cause sur la question des importations de sucre . À la suite des travaux de sa délégation à l'outre-mer, il a adopté une résolution européenne prenant appui sur une disposition de l'accord de libre-échange conclu en août 2015 entre la Commission européenne et le Vietnam, qui prévoit l'octroi au Vietnam d'un contingent de 20 000 tonnes de sucre, contingent incluant les sucres spéciaux qui constituent une filière vitale pour les régions ultrapériphériques (RUP) françaises.

La résolution incite la Commission à agir sur la nécessaire cohérence entre la politique commerciale européenne, d'une part, et les politiques agricole et de cohésion, d'autre part, notamment pour ce qui concerne les RUP. Leurs spécificités doivent être prises en compte et leurs avantages et leurs handicaps comparatifs valorisés. En particulier, les sucres spéciaux doivent être exclus des futurs accords commerciaux. Le texte demandait aussi l'inflexion de l'équilibre négocié avec le Vietnam pour, au minimum, aboutir à un contingent réduit de 280 tonnes de sucres spéciaux. Il soutenait aussi la prise en compte systématique par la Commission des intérêts spécifiques des RUP dans les négociations commerciales.

Les négociations finales conduites par la Commission, à la demande de la France, avec le Vietnam, ont permis que le texte finalisé de l'accord prévoie un contingent de 400 tonnes de sucres spéciaux dans le cadre du contingent initial de 20 000 tonnes de sucre.

b) Le Sénat a obtenu partiellement satisfaction dans 30 % des cas

Dans cinq cas, soit près de 30 % des résolutions européennes ici prises en compte, les positions du Sénat ont été partiellement suivies .

Le retrait par la Commission, le 25 février 2015, du paquet « déchets » peut être considéré comme donnant partiellement satisfaction à la résolution du Sénat.

Dans ce texte, le Sénat avait souligné les conséquences financières du dispositif proposé pour les collectivités territoriales, les communes en particulier, et l'inadéquation des objectifs affichés avec la réalité industrielle de la filière compostage, la Commission ayant adopté une position de principe favorable à la collecte séparée des bio-déchets. La résolution s'était également montrée réservée sur le mécanisme d'alerte précoce prévu en cas de manquement d'un État introduit par la Commission : selon le Sénat, ce mécanisme devait demeurer un simple système d'alerte et ne pas autoriser la Commission à obliger certains États membres à adopter des dispositions, fiscales notamment. Enfin, la résolution était critique sur le renvoi à des actes délégués dans un grand nombre de domaines.

Or, le nouveau dispositif présenté par la Commission, le 2 décembre dernier, prend en compte certaines des observations du Sénat. Ainsi, le nouveau paquet prévoit que la collecte séparée de bio-déchets ne sera mise en place que si elle est réalisable et pertinente sur les plans technique, économique et environnemental. Cette prise en compte du contexte répond pour partie aux réserves exprimées dans la résolution européenne.

Elle est cependant moins nette en ce qui concerne d'autres champs couverts par le paquet. Le recours aux actes délégués reste fréquent et porte sur des éléments essentiels du texte (définition de l'emballage et de la liste des déchets recyclables, seuil quantitatif de déchets non dangereux, désignation d'organismes de préparation en vue de réemploi, systèmes de consigne agréés, etc.). La Commission devrait également établir des lignes directrices pour l'interprétation des termes « valorisation » et « élimination » des déchets, ce qui peut laisser songeur quant au respect des pratiques nationales dans ce domaine. Le système d'alerte précoce est, quant à lui, transformé en un rapport d'alerte qui comprend une estimation de la réalisation des objectifs par chaque État membre et la liste des États qui risquent de ne pas atteindre lesdits objectifs.

C'est pourquoi la commission des affaires européennes a adopté, le 21 janvier dernier, une proposition de résolution portant avis motivé sur le nouveau paquet « déchets », l'estimant contraire au principe de subsidiarité.

La position exprimée par le Sénat sur le programme de travail de la Commission européenne pour 2015 a également reçu des suites partiellement favorables. La communication de la Commission prévoyait l'adoption de vingt-trois propositions, dont quatorze à valeur législative répondant aux dix priorités établies par Jean-Claude Juncker lors de son accession à la présidence de la Commission européenne, en juillet 2014.

La résolution insistait notamment sur la nécessité pour la Commission de proposer de nouveaux dispositifs destinés à doter l'Union européenne de moyens opérationnels de lutter contre le terrorisme. La mise en place d'une Union de l'énergie et la création d'un marché unique du numérique faisaient également figure de priorités. Dans le domaine énergétique, elle invitait ainsi la Commission à introduire un mécanisme de coordination entre les États membres permettant de concourir à l'atteinte d'objectifs globaux visant la baisse des coûts, la sécurité de l'approvisionnement, l'efficience énergétique et la lutte contre le changement climatique tout en garantissant l'autonomie des États membres dans le choix de leur mix énergétique. Pour ce qui concerne le numérique, l'action nécessaire de la Commission devait se concentrer sur la gouvernance de l'Internet, la protection des consommateurs et la promotion d'une industrie européenne dans ce domaine.

Les mesures annoncées le 15 décembre 2015, qu'il s'agisse du renforcement des moyens de l'agence FRONTEX ou de la révision annoncée du code Schengen, répondent pour partie aux demandes de la résolution en matière de terrorisme. L'adoption au Parlement européen et au Conseil d'une base de données européenne des dossiers de réservation des passagers des transports aériens (PNR) va également dans le bon sens. La Commission a, par ailleurs, mis en place des structures visant la prévention de la radicalisation sur Internet. Reste la question du projet de parquet européen. La résolution demandait que celui-ci voie ses compétences élargies à la criminalité transfrontière. Aucune proposition n'a été formulée en ce sens ( cf. infra ).

Au sujet des deux autres priorités, la Commission a, pour l'heure, limité son intervention à deux communications :

- d'une part, sur l'Union de l'énergie : la Commission a annoncé qu'un premier texte visant la régulation du marché de l'électricité ferait l'objet de débats en 2016 ;

- d'autre part, pour donner une suite plus concrète aux objectifs annoncés dans la stratégie pour le marché unique du numérique : un premier texte sur l'économie collaborative devrait ainsi être présenté.

La résolution du Sénat relative à la lutte contre le terrorisme et tendant à l'adoption d'un acte pour la sécurité intérieure de l'Union européenne a connu une mise en oeuvre partielle. Cette situation était relativement prévisible compte tenu à la fois de l'ampleur des thèmes abordés et des sensibilités différentes, voire divergentes qui peuvent s'exprimer sur un sujet aussi sensible tant dans les États membres qu'au sein des institutions européennes.

L'essentiel reste toutefois de constater que le Sénat a obtenu des avancées sur plusieurs points importants qu'il avait mis en évidence dans sa résolution. C'est le cas de sa demande de révision ciblée du code frontières Schengen de manière à autoriser de façon permanente, sur le fondement d'indicateurs de risque appliqués uniformément par les États membres, des contrôles approfondis systématiques de ressortissants des pays membres de l'espace Schengen en tant que de besoin. Un plan d'action en ce sens a été engagé en décembre 2015. Des décisions ont également été prises pour lutter contre le trafic d'armes, avec l'adoption d'un règlement sur la neutralisation des armes à feu, en novembre 2015, et contre les sources de financement du terrorisme, avec un plan d'action en février 2016 pour progresser vers l'adoption de la proposition de directive relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme qui actualise la législation existante. Sur le renforcement de la coopération policière et judiciaire, la résolution sénatoriale a aussi enregistré des progrès. La création d'un nouveau centre européen de contre-terrorisme, annoncée le 25 janvier dernier, concrétise l'accélération demandée de la mise en place, au sein d'Europol, d'une plate-forme européenne de lutte contre le terrorisme, permet de mieux exploiter les capacités d'Europol et conduit les services nationaux des États membres à fournir plus systématiquement les informations nécessaires. De même, il sera possible au centre européen de lutte contre la cybercriminalité, qui dépend d'Europol, d'inscrire dans ses priorités, au même titre que la lutte contre la diffusion d'images et de vidéos pédopornographiques, la lutte contre la diffusion de la propagande et du prosélytisme terroristes. Ce centre verra aussi ses compétences étendues pour porter des contenus terroristes ou extrémistes à la connaissance des réseaux sociaux aux fins de suppression. Par ailleurs, l'adoption, désormais prévue en avril 2016, de la proposition de directive concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de sécurité des réseaux et de l'information dans l'Union, a été accélérée. Enfin, la stratégie de sécurité intérieure 2015-2020 de l'Union européenne a été adoptée et comporte des dispositions relatives à la sensibilisation de l'ensemble des acteurs européens au phénomène de radicalisation.

D'autres aspects de cette résolution du Sénat ont connu une mise en oeuvre partielle. On peut ainsi citer, sur la définition des infractions terroristes, la mise en place d'un cadre juridique européen facilitant la surveillance, les poursuites et les mises en cause des « combattants étrangers », et sur la révision du code Schengen et le contrôle des frontières extérieures, l'instauration de contrôles approfondis quasi systématiques de ressortissants de pays membres de l'espace Schengen lorsqu'ils entrent et sortent de cet espace et le perfectionnement de dispositifs d'identification des personnes tels que le système d'information Schengen (SIS II) et l'uniformisation de son utilisation par les États membres.

En revanche, certains aspects de la résolution n'ont pas prospéré, au moins jusqu'à présent. Sur la révision du code Schengen, la définition d'une politique européenne des visas, limitée pour l'instant au court séjour et au transit, n'a pas évolué vers la prise en compte d'indicateurs de risque liés à la menace terroriste. Pour ce qui concerne le renforcement de la coopération policière et judiciaire, le souhait du Sénat d'un recours accru avec une participation effective de représentants d'Europol et d'Eurojust aux équipes communes d'enquête pour lutter contre le terrorisme, pourtant prévues par une décision-cadre de 2002, n'a pas été suivi d'effet. Il en est de même de la mise en place rapide d'un parquet européen collégial et décentralisé dont les compétences seraient étendues à la criminalité grave transfrontière - le texte reste en discussion, aucun compromis n'ayant pour le moment été trouvé. Enfin, sur le renforcement de la coopération internationale, le Sommet de La Valette des 11 et 12 novembre 2015 sur la crise migratoire a à peine mentionné la lutte contre le terrorisme international comme devant constituer une priorité de l'action extérieure de l'Union européenne et de son Service européen pour l'action extérieure, alors que le Sénat avait insisté sur la construction d'un partenariat global avec les acteurs régionaux des parties du monde les plus sensibles et d'un dialogue à même de combiner les impératifs de sécurité et de développement pour réduire la menace terroriste sur la durée.

Des avancées peuvent également être notées sur la résolution du Sénat relative à la stratégie européenne du numérique . Le 6 mai 2015, la Commission européenne a présenté une stratégie pour le marché unique du numérique s'appuyant sur trois piliers : 1. renforcer le marché unique européen en améliorant l'accès aux biens et services numériques dans toute l'Union pour les consommateurs et les entreprises ; 2. créer un environnement propice et des conditions de concurrence équitables pour le développement des réseaux et services numériques innovants (protection des utilisateurs d'Internet et modernisation de la réglementation des télécommunications et de l'encadrement des médias audiovisuels) ; 3. maximiser le potentiel de croissance de l'économie numérique.

La résolution du Sénat poursuit l'objectif de pallier trois grandes faiblesses de l'Union européenne à l'heure numérique : 1. une régulation concurrentielle insuffisante et des outils fiscaux spécifiques au numérique inappropriés ; 2. un niveau de protection trop faible des droits fondamentaux des Européens dans l'espace numérique (protection des données personnelles et droit d'auteur) ; 3. une absence d'une véritable ambition industrielle pour le numérique allant au-delà de la seule amélioration du marché unique. Ces grandes orientations, qui permettraient à l'Europe de devenir un acteur de la révolution numérique mondiale et non pas seulement une « colonie du monde numérique », sont tout à fait cohérentes avec les ambitions affichées par la Commission, même si la résolution insiste plus particulièrement sur certains sujets tels que la sécurisation des données, la cyber-sécurité, la régulation concurrentielle et le respect d'un droit d'auteur « à la française ».

Toutefois, la prudence reste de mise car ces ambitions tardent à se concrétiser. Les trois piliers de la stratégie devaient se décliner en seize initiatives législatives, mais, depuis son annonce, seules quatre initiatives ont été présentées par la Commission, sur certains aspects des contrats de fourniture de contenu numérique, sur certains aspects des contrats de ventes en ligne et de toute autre vente à distance de biens 7 ( * ) , sur la portabilité transfrontière des services de contenu en ligne dans le marché intérieur et sur l'utilisation de fréquences 470-790 MHz dans l'Union.

Du reste, les sujets abordés et la difficulté de légiférer sur une matière qui est à la fois nouvelle et qui bouscule des législations existantes peuvent laisser penser que le processus législatif sera long. D'ailleurs, devant le Parlement européen réuni en session plénière en janvier dernier, le commissaire européen en charge du marché unique numérique, M. Andrus Ansip, a donné des éléments de calendrier concernant de nouvelles initiatives, qui s'échelonnent entre mars et novembre 2016. Ainsi, si 2015 a marqué l'annonce d'une stratégie numérique européenne ambitieuse répondant aux préoccupations exprimées par le Sénat, il conviendra de rester vigilant sur les avancées concrètes réalisées en 2016.

La résolution relative à la situation du secteur laitier , votée dans le contexte de la fin des quotas européens, cherchait clairement à prendre position dans un débat public. Sa partie purement politique, portant par exemple sur la négociation de l'accord de partenariat transatlantique ou sur la stratégie de filière, n'appelle pas de traduction juridique immédiate. Sa partie institutionnelle connaît un sort variable : la résolution évoquait la nécessité d'intégrer les coûts de production dans les futurs contrats laitiers entre éleveurs et fabricants. Cette proposition fait son chemin et certains grands fabricants ne seraient pas opposés à reprendre une clause en ce sens. En revanche, la proposition d'une révision du prix d'intervention sur le beurre et la poudre de lait, si elle a été reprise par le ministre français de l'agriculture et fut même à l'ordre du jour du Conseil agricole de septembre 2015, s'est heurtée à une opposition de plusieurs États membres et à une fin de non-recevoir de la Commission.

c) Le Sénat est rarement désapprouvé

Le Sénat n'a pas obtenu satisfaction sur seulement trois (moins de 18 %) de ses résolutions européennes ici analysées.

La résolution sur la gouvernance mondiale de l'Internet avait pour objectif, dans un contexte marqué par l'affaire Snowden et les révélations de surveillance massive d'Internet par les services de renseignement américains, de formaliser une position politique consécutive à la mission commune d'information du Sénat, instituée en novembre 2013 et ayant rendu ses conclusions en juillet 2014 8 ( * ) . Alors qu'il existait un consensus sur le principe d'une évolution rapide de la gouvernance d'Internet en 2015, force est de constater que les négociations, et plus particulièrement celles relatives au rôle de l'ICANN 9 ( * ) , ont pris du retard.

En septembre 2015, l'Administration Obama avait fait part de sa volonté de lever la « tutelle » américaine sur le seul véritable organe de gouvernance mondiale de l'Internet. Des groupes de travail ont été mis en place au sein desquels ont lieu des négociations pour faire émerger un projet de gouvernance multilatérale mondiale d'Internet. Toutefois, il n'existe pas de consensus parmi les États pour un Internet totalement ouvert et géré au niveau mondial. La place croissante prise par les réseaux sociaux et l'usage qu'une organisation terroriste comme Daech en a fait pour diffuser sa propagande ont amené différents pays à élaborer leur propre législation nationale visant à contrôler l'usage d'Internet et la diffusion de certains contenus. Certains États pourraient vouloir instaurer un système d'adresses national ou régional. Le risque de voir un Internet fragmenté perdure dangereusement.

Dans ce contexte, et en dépit du retard pris par les négociations, la résolution du Sénat conserve néanmoins toute sa pertinence. Du reste, le Gouvernement continue de rappeler régulièrement l'enjeu de cette question et de porter la conception française partagée par le Sénat, par exemple lors du sommet mondial sur la société de l'information de l'ONU, le 15 décembre dernier.

En revanche, on peut regretter que l'Union européenne ne soit pas plus présente dans le débat. Malgré ses efforts et en dépit des enjeux, le Gouvernement français peine à entraîner ses partenaires européens vers une position commune. En outre, la faiblesse du dispositif institutionnel européen dénoncée dans la résolution demeure d'actualité, ce qui ampute de fait les discussions sur la gouvernance de leur dimension géopolitique et stratégique. Enfin, on ne peut que déplorer que l'Europe n'ait pas été l'hôte en 2015 d'une nouvelle conférence multipartite prolongeant la conférence NETmundial d'avril 2014 au Brésil.

Il convient de s'interroger sur la prise en compte effective de la position exprimée par le Sénat dans sa résolution portant sur l' expression des parlements nationaux lors du renouvellement de la Commission européenne . Ce texte, qui invite le Gouvernement à agir auprès des institutions européennes pour permettre une expression collective des parlements nationaux au moment de la formation de la prochaine Commission et à prévoir une consultation des commissions des affaires européennes des assemblées françaises avant de proposer un candidat au poste de commissaire européen, ne vaut certes que pour l'avenir, a priori à partir de 2019, date prévisible de la nomination de la prochaine Commission. Il n'en demeure pas moins que, sur un sujet aussi sensible politiquement et aussi important institutionnellement, le Gouvernement aurait pu prendre une position en réponse au Sénat, même si la résolution de ce dernier ne porte pas sur un projet d'acte de nature législative.

Le Sénat avait adopté une résolution relativement critique sur l' union des marchés de capitaux , dont les grandes lignes avaient été annoncées par un livre vert. Selon cette résolution, le projet de la Commission ne doit pas conduire à remettre en cause les réformes adoptées depuis la crise pour renforcer la stabilité financière, doit s'accompagner d'un renforcement de la supervision de l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) et doit se traduire par la mise en place des conditions d'une concurrence équitable dans un souci de réciprocité d'accès aux marchés financiers.

Certes, l'union des marchés de capitaux est un projet de grande ampleur et dont les avancées ne pourront être appréciées que sur le long terme. Les annonces de la Commission revêtent d'ailleurs une dimension prospective certaine et un plan d'action à l'horizon 2019 a été annoncé.

Il est toutefois peu probable que le Sénat soit suivi sur ce dossier, qui, du reste, ne progresse guère. Alors que la résolution appelait à allouer des moyens adéquats à l'AEMF et à lui confier des missions complémentaires de supervision sur les indices de référence, la labellisation de la titrisation ou tout autre segment d'activité pertinent, la Commission, bien qu'elle reconnaisse le manque de moyens, n'envisage pas d'évolutions pour l'AEMF, et en particulier pas de nouvelles missions relatives à la titrisation. Pourtant, le renouveau de la titrisation nécessite une instance de labellisation européenne et pose la question d'une éventuelle intervention publique. De même, la Commission n'a pas fait de propositions visant à instituer un cadre réglementaire relatif au redressement et à la résolution des chambres de compensation centrales, même si ce sujet est mentionné dans son programme de travail.

Au total, le suivi des résolutions européennes du Sénat pourrait être davantage encore amélioré grâce à la mise en oeuvre de quelques recommandations qui ne sont pas nécessairement nouvelles, mais qui n'ont pas vraiment trouvé à s'appliquer jusqu'à présent.

Recommandations pour améliorer le suivi
des résolutions européennes du Sénat

1. Modifier la présentation des fiches de suivi transmises par le SGAE de manière à les rendre plus complètes et précises : les résolutions seraient envoyées au SGAE sous la forme d'un tableau isolant chacune de ses dispositions afin d'obtenir une réponse argumentée pour chacune d'entre elles.

2. Ces fiches de suivi devraient également porter sur des résolutions qui ne visent pas des projets d'acte de nature législative.

3. Elles seraient établies selon un rythme plus régulier et plus seulement lorsque le texte a fait l'objet d'un accord politique au Conseil au cours du trimestre écoulé.

4. Les rapporteurs de la commission des affaires européennes pourraient participer à la réunion semestrielle au niveau politique du comité de liaison chargé de la programmation des travaux législatifs de transposition de manière à être informés des négociations en cours.

5. La commission des affaires européennes pourrait procéder à une audition annuelle du secrétaire d'État chargé des affaires européennes spécifiquement consacrée au suivi des résolutions européennes, entrecoupée d'une ou de deux réunions avec le Secrétaire général des affaires européennes.

6. La commission des affaires européennes pourrait procéder à l'audition des ministres concernés, éventuellement en commun avec la commission permanente compétente, avant les réunions du Conseil abordant des questions ayant fait l'objet d'une résolution européenne.

7. Afin de compléter son information, la commission des affaires européennes pourrait mener une étude comparée, éventuellement avec l'assistance de l'antenne à Bruxelles et/ou du CERDP, sur les procédures et pratiques des États membres en matière de suivi des affaires européennes au sein des parlements nationaux.


* 5 Il s'agit du comité de liaison mis en place dans le but d'échanger sur la programmation des travaux législatifs de transposition et d'en discuter le périmètre.

* 6 Passenger Name Record ou système de protection des données des dossiers passagers.

* 7 Ces deux premières propositions font l'objet d'une proposition de résolution portant avis motivé au titre du contrôle de subsidiarité car elles comportent le risque d'un abaissement du niveau de protection des consommateurs français.

* 8 Rapport d'information (n° 696 ; 2013-2014) établi par Mme Catherine Morin-Desailly au nom de la mission commune d'information « Nouveau rôle et nouvelle stratégie pour l'Union européenne dans la gouvernance mondiale de l'Internet » .

* 9 Association californienne qui gère le système des adresses Internet à l'échelle mondiale, placée sous la tutelle du ministère américain du commerce.

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