Quatrième table ronde - Les enjeux de l'insertion régionale : saisir les opportunités d'un environnement en mouvement

Animatrice de la table ronde - Véronique BERTILE - Ambassadrice, Déléguée à la coopération régionale dans la zone Antilles-Guyane

PREMIÈRE SÉQUENCE - LE CONSTAT D'UNE INTÉGRATION RÉGIONALE ENCORE TROP LIMITÉE
Marc SCHWEITZER, Responsable de l'Observatoire économique des Instituts d'émission IEDOM-IEOM

La tonalité de mon intervention sera, par nature, plus statistique, ayant été chargé de dresser un tableau rapide des échanges extérieurs des collectivités françaises des Amériques, notamment du point de vue de leur ouverture sur l'extérieur et de leur insertion dans leur environnement régional.

Le premier constat est que les collectivités françaises des Amériques, à l'instar de la plupart des petites économies insulaires, affichent un déficit structurel de leurs échanges commerciaux. D'après les chiffres encore provisoires pour 2015, le déficit global des Départements français d'Amérique (DFA) varie entre 1,1 et 2,3 milliards d'euros, celui de Saint-Pierre-et-Miquelon s'établissant à 83,3 millions d'euros. À noter qu'on ne dispose pas de statistiques équivalentes fiables pour les Îles du Nord.

Chiffres globaux : échanges commerciaux en 2015 (milliards d'euros)

Importations

Exportations

Solde

Guadeloupe

2,5

0,2

- 2,3

Martinique

2,7

0,5

- 2,2

Guyane

1,2

0,1

-1,1

Saint-Pierre-et Miquelon

0,0837

0,0004

- 0,0833

France (pour mémoire)

500,8

455,1

- 45,7

Source : Douanes

Ce déséquilibre s'explique par un niveau élevé d'importations (entre 30 et 36 % du PIB dans les DFA), mais surtout par un taux de couverture des importations par les exportations faible (entre 8,2 et 18,5 % dans les DFA).

Ce niveau significatif des importations est lié aux caractéristiques inhérentes aux petites économies insulaires (taille critique et structure de l'économie, absence d'économies d'échelle, etc.). Il est également possible d'y lire le rattrapage économique caractérisant les DOM depuis de nombreuses décennies. Pour mémoire, la croissance dans les DOM a été beaucoup plus vigoureuse que dans les autres départements au cours de la période récente. Schématiquement, le produit intérieur brut (PIB) par personne y est passé, en 40 ans, de 1/3 de celui de la France entière à 2/3 aux Antilles et à La Réunion, et de 45 % à 55 % de celui de la France entière en Guyane.

Ce rattrapage a été porté par la consommation, elle-même alimentée par l'alignement du SMIC et des minima sociaux sur la métropole. Cette croissance a été très soutenue jusqu'aux années 2000. Le tissu bancaire et financier local a également accompagné cette croissance, en développant son offre de services.

Cette dynamique a également été favorisée par l'investissement (construction de logements, travaux d'infrastructures et investissement des entreprises), aidé par les dispositifs de défiscalisation ayant accompagné la départementalisation sur la période.

Taux d'importation 2010-2014
(Importations de biens) / PIB

Source : Douanes, calcul IEDOM

Taux de couverture 2010-2014
Exportations / Importations

Source : Douanes, calcul IEDOM

D'une certaine façon, on aurait pu s'attendre à ce que les importations soient encore plus importantes, compte tenu du dynamisme de la consommation des ménages qui a porté la croissance des DOM. Cependant, il convient de tenir compte de ce que les économistes appellent l'import-substitution, à savoir le développement d'une offre locale destinée à partiellement se substituer à certaines importations.

En tout état de cause, c'est surtout la faiblesse du taux de couverture des importations par les exportations dans les collectivités françaises des Amériques qui explique le déséquilibre de leurs échanges commerciaux.

Du reste, il convient de noter que les échanges commerciaux ainsi détaillés ne tiennent pas compte des autres échanges impactant les économies domiennes, parmi lesquels les échanges de services. Excepté dans le secteur du tourisme, les données manquent pour évaluer ce potentiel.

Par ailleurs, une focalisation excessive sur les déséquilibres ainsi observés ne serait pas justifiée. En effet, les DOM ne sont pas davantage que les autres collectivités françaises soumis à une contrainte de financement de leur balance des paiements, comme tel est le cas dans les territoires souverains.

Les collectivités françaises des Amériques se caractérisent également par un degré d'ouverture extérieure limité. Ce deuxième constat découle mécaniquement du premier. En effet, on définit conventionnellement le taux d'ouverture extérieure comme le ratio entre les échanges extérieurs et deux fois le PIB.

Taux d'ouverture 2010-2014
(importations + exportations de biens) / 2. PIB

Source : Douanes, calcul IEDOM

On constate que le taux d'ouverture extérieure des DFA est plus élevé que celui de La Réunion, mais moindre que celui de la métropole et, surtout, moindre que le celui des petites économies insulaires de la zone.

Taux d'ouverture aux échanges
(exportations + importations/2*PIB, 2007-2009 ou année la plus récente possible)

Sources : INSEE, ECCB, ECLAC, sources locales

On observe également que les échanges extérieurs des collectivités françaises des Amériques sont globalement concentrés sur l'Hexagone. Ce troisième constat est effectué en analysant les ventilations par produits et par pays de contrepartie des importations et des exportations. L'hexagone apparaît ainsi comme le principal partenaire commercial des DFA. Plus de la moitié des importations viennent de l'Hexagone en Guadeloupe et en Martinique ; en Guyane, ce ratio tombe à 1/3, du fait des importations liées au secteur spatial. Pour ce qui est des exportations, les flux vers l'Hexagone et les échanges entre DFA demeurent prépondérants, mettant en évidence la faiblesse des exportations dans la zone des Caraïbes.

Pour mémoire, les principaux produits importés par les DFA sont :

- en Guadeloupe : des produits pétroliers de Martinique et des États-Unis, ainsi que des médicaments et du vin de métropole ;

- en Martinique : des produits pétroliers de Norvège, des États-Unis et du Royaume-Uni, ainsi que des médicaments et des voitures de métropole ;

- en Guyane : des produits pétroliers de Martinique et de Trinidad-et-Tobago, ainsi que du matériel pour mise à feu des fusées, de métropole, d'Italie et d'Allemagne.

En termes d'évolution, on constate :

- en Guadeloupe : une diminution de la part des échanges avec la métropole au profit de la Chine, des USA et de la Martinique ;

- en Martinique : une diminution de la part des échanges avec la métropole (plus faible que dans les autres DFA) au profit des États-Unis, de la Norvège et du Royaume-Uni ;

- en Guyane : une diminution de la part des échanges avec la métropole et Trinidad-et-Tobago au profit des autres DFA, de l'Allemagne, de l'Italie et des États-Unis.

Les importations : importance de la part de l'Hexagone

Source : Douanes

Symétriquement, l'analyse montre que les principaux produits exportés par les DFA sont :

- en Guadeloupe : des bananes, du rhum et du sucre vers la métropole ;

- en Martinique : du pétrole raffiné vers les autres DFA, ainsi que des bananes et du rhum vers la métropole ;

- en Guyane : de l'or vers la métropole, des machines vers Trinidad-et-Tobago, ainsi que des conteneurs vers la Suisse, l'Italie et l'Allemagne.

Les exportations : les clients des DFA

Source : Douanes

En évolution, la ventilation des exportations par pays met en exergue :

- en Guadeloupe : une baisse de la part de la métropole au profit de la Martinique ;

- en Martinique : une progression des échanges avec la Guyane et les États-Unis ;

- en Guyane : une baisse de la part de la métropole au profit de Trinidad-et-Tobago, de la Suisse, de l'Italie et de l'Allemagne.

Un focus sur Saint-Pierre-et-Miquelon fait ressortir que le taux de couverture des importations y est passé de 10 % au début des années 2000 à 1,7 % en 2014, que le taux d'importation y est élevé - la collectivité étant la seule géographie ultramarine dont le premier fournisseur n'est pas l'Hexagone mais le Canada - et que les exportations y sont très faibles - seulement 1,5 million d'euros en 2014, dont 1 million d'euros exceptionnels constitués de déchets et débris de fer à destination de l'Europe.

En parallèle, on observe que le taux de débarquement direct au Canada des produits de la mer a fortement augmenté. L'Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l'Union européenne devrait toutefois entrer en vigueur en 2017 et entraîner une plus grande libéralisation des échanges commerciaux entre les deux partenaires.

On constate ainsi que l'insertion régionale des DFA demeure limitée. Faute de statistiques disponibles, celle des Îles du Nord ne sera pas commentée.

Les Instituts d'émission IEDOM-IEOM ont publié, il y a quelques années, une série d'études sur les échanges extérieurs des DOM, mettant en lumière et expliquant l'importance de la métropole dans les échanges extérieurs des DOM.

La première étude concernant les DFA mettait en évidence que, dans l'espace Caraïbe, les distances n'étaient pas trop grandes, les PIB assez élevés et que 18 des 23 îles parlaient l'anglais. Le potentiel d'ouverture sur la zone apparaissait donc réel, avec un certain nombre de facteurs le limitant objectivement (la langue, mais aussi le fait que les économies de la zone aient des structures de production comparables).

La deuxième étude concernant l'océan Indien soulignait la faible ouverture globale de La Réunion sur les autres économies de la zone de l'océan Indien, ainsi qu'une part des échanges avec la métropole trente fois plus importante que ce que l'éloignement et la configuration géographique pouvaient laisser augurer à La Réunion et à Mayotte.

Pour rester sur la Caraïbe, l'étude des Instituts relevait que les échanges commerciaux des DFA avec la région Caraïbe étaient globalement limités (7 % du total sur la période 2007-2009) et soulignait que la signature d'un accord de partenariat économique (APE) fin 2008 entre une quinzaine de pays et territoires caribéens et l'Union européenne allait constituer une opportunité historique pour les DFA d'accroître leur insertion régionale.

L'étude citait comme premier facteur structurel de soutien aux échanges intra-régionaux le fait que les distances intra-Caraïbe soient relativement modérées, bien que les infrastructures de transport demeurent insuffisantes dans la zone.

Parmi les autres facteurs de soutien aux échanges intra-zone, étaient cités : le niveau de développement économique et, pour certains pays et territoires, la taille de marché non négligeable, en dépit d'une « base échangeable » souvent plus modeste.

En revanche, au titre des facteurs pénalisants, étaient cités :

- la « prime métropole » (regroupant tous les impacts du rattachement des territoires à une métropole, en termes de normes, de fiscalité, de coût du travail, etc.), plus importante dans les DFA que dans les autres territoires caribéens rattachés à une métropole - le rattachement institutionnel présentant ainsi des aspects susceptibles de décourager les échanges intra-caribéens ;

- l'absence de participation aux principaux accords commerciaux et économiques de la région jusqu'en 2009 et l'exclusion des produits sensibles du champ de l'APE ;

- l'utilisation d'une langue (le français) et divers facteurs « culturels » minoritaires au sein d'une zone parfois considérée comme un « lac états-unien » - qui semblent des facteurs de frein beaucoup moins importants.

Aujourd'hui, on constate malheureusement que, malgré la signature de l'APE, la part des échanges des DFA avec la Caraïbe dans le total de leurs échanges a diminué depuis la période 2007-2009, pour s'établir à 4 % sur la période 2010-2014.

Ce bref état des lieux montre qu'il existe des marges de progression, pour la concrétisation desquelles les acteurs de terrain se mobilisent, comme en témoignent les échanges de cette journée.

Rémy-Louis BUDOC, Membre du Directoire du Grand port maritime de Guyane, ancien membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE)

De fait, l'intégration régionale des territoires ultramarins demeure trop limitée. Les ports ultramarins évoluent ainsi dans un modèle de développement caractérisé par une croissance sans compétitivité. Cette compétitivité est altérée par l'effet conjugué de l'éloignement de la métropole et de l'étroitesse du marché intérieur - l'éloignement entraînant des difficultés d'approvisionnement et des surcoûts en termes de transports de marchandises, tandis que l'étroitesse du marché intérieur n'autorise pas d'économies d'échelle et restreint les possibilités de diversification des économies.

Les bassins ultramarins abritant de grands ports maritimes affichent un commerce extérieur totalement déséquilibré, avec des taux de couverture du commerce extérieur relativement faibles (18,5 % pour la Guyane, 10,9 % pour la Guadeloupe et 14,5 % pour la Martinique). De plus, on y observe un déséquilibre dans le poids de la métropole dans le total des importations.

L'activité liée aux conteneurs demeure prépondérante pour les ports ultramarins. Ceux-ci constituent ainsi des plateformes d'échange de produits en provenance ou à destination de zones géographiques différentes (Asie, Pacifique, Caraïbe, Europe, Amérique, Amazonie, etc.). S'ajoutent à cette activité celles liées au tourisme, au vrac liquide (hydrocarbures, méthanol, etc.) et solide ( clinker ), à l'import de véhicules, à la réparation navale, à la pêche, etc.

Pour ce qui est des routes maritimes, on observe un basculement de l'économie maritime mondiale vers l'Asie.

Une grande partie des trafics maritimes partent aujourd'hui des centres de production de biens de consommation qui se sont développés en Asie du Sud-Est. Le transport maritime assure ainsi l'essentiel des échanges de marchandises, principalement entre les trois grands pôles de la triade : l'Asie de l'Est, l'Amérique du Nord et l'Europe.

Certains points de passage constituent par ailleurs des lieux stratégiques pour le trafic maritime. Parmi ces points, qui concentrent l'essentiel du trafic mondial de marchandises, on retrouve notamment les canaux de Suez et de Panama, ainsi que les détroits de Gibraltar, de Malacca et d'Ormuz.

Ces points de passage sont en évolution, à travers l'élargissement du canal de Panama - pour des navires de taille croissante, optimaux pour les routes Est-Ouest et vers la côte Est des États-Unis (pour des trafics « commerciaux ») -, l'émergence de nouveaux « hubs » dans le bassin caribéen - pour des transbordements de connexion de l'ensemble des ports/marchés régionaux avec le Pacifique -, le projet du canal du Nicaragua (avec des externalités négatives en matière d'environnement), les travaux sur le canal de Suez, la nouvelle route arctique ou route du Nord et le canal du Mozambique.

Ces évolutions questionnent l'avenir du trafic dans les régions ultramarines, dans un système mondial aux lignes régulières essentiellement Est-Ouest entre les trois grands foyers d'économies développées (États-Unis/Canada, Europe de l'Ouest et Extrême-Orient).

L'ouverture de la troisième écluse du canal de Panama devrait permettre le passage de navires transportant jusqu'à 13 500 conteneurs - le canal n'autorisant aujourd'hui que le passage de navires à la capacité maximale de 4 800 conteneurs.

Du reste, on assiste globalement à une hypertrophie des navires au niveau mondial, avec la construction de navires pouvant transporter plus de 20 000 conteneurs par trajet. Certains navires peuvent ainsi transporter un nombre de conteneurs dont l'alignement couvrirait la distance entre Paris et Rotterdam.

La Guyane figure par ailleurs sur un axe atypique Nord-Sud, reliant l'Europe et le Nord-Brésil (à l'exception de Manaus), avec des problématiques et des enjeux spécifiques : étroitesse des marchés, conditions d'accès nautique contraignantes et infrastructures limitées. Sur cet axe, les infrastructures limitées s'avèrent doublement pénalisantes, en termes maritimes (taux de fret, conditions de service, etc.) et en termes portuaires (dragage, conditions d'escale, etc.).

L'augmentation évoquée de la taille des navires suppose la structuration de « hubs ». D'un point de vue économique, en deçà d'un certain volume à charger ou à décharger, l'escale directe est exclue. L'intérêt majeur et direct d'une compagnie maritime dans un schéma par « hub » réside alors dans l'économie faite sur le coût de slot .

Parmi les 50 ports de la zone Caraïbe, classés en trois niveaux de ports (« tiers »), ceux de rang 1 offrent ou offriront à court terme des capacités supérieures à 1 000 000 équivalents vingt pieds (EVP) - leurs volumes étant largement constitués de transbordements et en forte croissance tendancielle.

Source : MTBS les ports hubs actuels (carte du haut) et Site internet du GPM Guyane (carte du bas)

Parmi ces ports « hubs » de rang 1, on retrouve ainsi :

- Colon (Panama), Cartagena (Colombie) et Point Lisas (Trinidad-et-Tobago, auquel s'ajoute Port of Spain), sur un « arc Sud » entre Panama, le Sud de la Caraïbe et la côte Est de l'Amérique du Sud ;

- Kingston (Jamaïque) et Caucedo (République Dominicaine), qui exercent un rôle plus actif de « hub » au Nord, sur le grand axe Nord Atlantique-Caraïbes-Panama et offrent le plus grand nombre de connexions en raison de leur situation géographique et de leurs capacités.

À l'exception des ports de Trinidad-et-Tobago (sous réserve de la réalisation de leurs plans d'agrandissement), tous ces ports disposent ou disposeront à court terme de profondeurs d'eau et de quais adaptés aux navires New Panamax, avec des prévisions de capacité doublées vers 2020, dans le but affiché de répondre à une forte demande attendue de transbordement.

Pour être desservis par des navires de plus en plus gros, les ports doivent offrir des tirants d'eau importants et être équipés de moyens de manutention performants. Les plus gros porte-conteneurs ne font désormais escale que dans quelques grands « hubs », à partir desquels des navires plus petits dénommés « feeders » assurent les dessertes vers des ports de « rang 2», voire de « rang 3», aux marchés moins importants. Dans ces « hubs », les conteneurs peuvent aussi être transbordés sur d'autres gros navires opérant sur d'autres grandes lignes.

La majorité des 15 ports de rang 2 de la zone Caraïbe ne peuvent pas accueillir des navires de plus de 12 mètres de tirant d'eau, soit jusqu'à 4 500 EVP de capacités. Avec des perspectives d'extension inégales, plusieurs visent des trafics de transbordement régional avec des navires de plus grande taille.

Parmi ceux-ci, certains pourraient s'inscrire, à moyen ou long terme, dans les mêmes schémas de desserte de l'arc Sud que les ports de rang 1.

Plus au Nord, dans les pays insulaires, des projets de développement incluant des transbordements pourraient s'ajouter aux options de « hubs » existants. L'enjeu pour les ports concernés serait de réussir à attirer des lignes aux armements multi-utilisateurs ou dédiés.

De tels projets pourraient concerner les collectivités françaises des Amériques, pour attirer des trafics en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane, voire à Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin et Saint-Barthélemy - le trafic de Saint-Pierre-et-Miquelon demeurant davantage orienté vers le Canada. Du reste, les ports de Pointe-à-Pitre et de Fort-de-France aux Antilles sont déjà connectés avec celui de Dégrad des Cannes en Guyane, dans le cadre d'un service régional de feedering .

Une réflexion s'impose également sur le nouveau paradigme du transport maritime de marchandises via nos ports. Si, dans le secteur du tourisme, il est question d'avantage comparatif, dans le secteur du trafic de conteneurs, il importe désormais de raisonner en termes d'économies d'échelle et de tailles, tant pour les marchés que pour les structures. À cet égard, le trafic mondial et les compagnies maritimes imposent une taille croissante des structures.

Ce gigantisme maritime appelle une modernisation de l'offre portuaire, pour permettre l'agrandissement des chenaux et des infrastructures d'accostage, la sécurisation des accès portuaires (remorquage, dragage, etc.), la mobilisation de capacités foncières (pour le stockage et la logistique) et de moyens de manutention, ainsi que le respect des contraintes environnementales. Dans ce cadre, les ports ont cependant à craindre une obsolescence ou une inadaptation de leurs investissements. Du fait d'un gigantisme de plus en plus important, l'adaptation doit être permanente.

Pour maintenir le rang de nos ports ultramarins, plusieurs défis majeurs apparaissent devoir être relevés.

Il conviendrait tout d'abord de définir la stratégie portuaire de l'État en outre-mer. Le Conseil de coordination interportuaire Antilles-Guyane (CCIAG) se réunira le 2 juin 2016 en Martinique. Dans un rapport du CESE intitulé « Les ports ultramarins au carrefour des échanges mondiaux », j'ai suggéré d'inviter également les autorités portuaires de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, voire de Saint-Pierre-et-Miquelon à participer aux travaux du CCIAG, bien que ces ports n'aient pas le statut de grand port maritime (GPM).

Un autre enjeu serait de maintenir des lignes directes avec l'Europe, en privilégiant les axes suivants :

- bonnes conditions d'approvisionnement et maintien des capacités d'exportation (agricoles, agroalimentaires) ;

- complémentarité Martinique-Guadeloupe face à la concurrence des autres ports de la zone. À cet endroit, la politique de transbordement de containers nécessiterait d'être encouragée, bien que les volumes ne répondent pas à une demande des marchés domestiques, mais à des solutions très volatiles d'optimisation des dessertes (réduction de coûts directs et indirects) ;

- pour un « hub » de transbordement à Saint-Pierre-et-Miquelon : anticiper sur les potentialités d'activité et de développement que la position géographique de ce territoire lui offrirait d'ici quelques années, avec en particulier l'ouverture de la route du Nord-Ouest ;

- troisième étape d'extension du port de commerce de Galisbay à Saint-Martin : le port cherche à avoir l'envergure adéquate pour se positionner sur le transbordement qu'il fait déjà à petite échelle, mais l'ambition serait de le positionner comme une véritable plateforme de distribution vers les îles voisines ;

- projet de plateforme portuaire off-shore multi-usages en Guyane (POMU) et port énergétique à vocation industrielle notamment pour l'industrie minière dans l'Ouest Guyanais.

Un autre enjeu serait de moderniser la manutention. Sur ce sujet, une large concertation serait souhaitable, avec le ministère des outre-mer, le ministère de l'économie et des finances, le ministère des transports, les directeurs généraux des ports, ainsi que l'ensemble des armateurs et des organisations représentatives des salariés concernés, afin de définir une véritable stratégie visant la mise en place d'outils règlementaires et/ou législatifs de régulation et d'encadrement de la manutention portuaire, tenant compte du marché, du cadre social et de la situation économique et financière des ports.

Il conviendrait également de renforcer les pratiques de transparence entre les armateurs, tout en restant vigilant sur les conditions de concurrence, sur les liaisons maritimes touchant les outre-mer, notamment lors de partages de capacité sur des navires affrétés par une seule compagnie.

Autour des questions foncières, l'enjeu serait de développer, à travers l'ensemble des dispositifs existants, en associant l'État, les ports et les collectivités, une planification en profondeur sur un territoire plus vaste que celui fixé par les limites portuaires.

La question de l'exonération des ports de taxes foncières fait également débat. À cet égard, l'enjeu serait de donner des marges de manoeuvre aux plateformes portuaires, pour leur permettre de se développer.

Concernant la biodiversité, l'environnement et l'économie circulaire maritime et portuaire, les efforts d'inventaire et de recherche autour des services rendus par les écosystèmes marins et terrestres nécessiteraient d'être poursuivis prioritairement, afin d'éclairer utilement les parties prenantes des projets stratégiques. En outre, une mutualisation de l'expertise environnementale entre les ports ultramarins apparaît indispensable. Enfin, les ports ultramarins nécessiteraient de s'inscrire dans la réflexion des territoires sur le développement des énergies renouvelables et de l'économie circulaire, en participant aux pôles d'innovation qui les concernent. Une loi sur l'économie bleue sera bientôt en application en ce sens.

Pour le développement du cabotage commercial, une mission d'étude nécessiterait d'être lancée pour analyser, sous l'angle technique, socio-économique, environnemental et financier, la faisabilité d'un système de connectivité par cabotage du Plateau des Guyanes à la Mer des Caraïbes (avec des rotations systématiques).

Il conviendrait également de ne pas occulter la question de l'harmonisation des droits de ports entre nos ports et ceux des pays étrangers d'immédiat voisinage et de tenir compte de la problématique des normes européennes au regard de la réglementation en vigueur dans les pays environnants.

L'Organisation pour l'harmonisation du droit des affaires dans la Caraïbe (OHADAC), en rapprochant les États et les hommes de la Caraïbe pourrait par ailleurs servir le développement économique et l'emploi, en contribuant au développement des échanges commerciaux.

S'agissant du financement des projets portuaires, que les collectivités territoriales ne sauraient assumer seules, la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), les autorités portuaires, les collectivités territoriales, le ministère des outre-mer et l'ensemble des acteurs concernés par les problématiques portuaires pourraient travailler à un grand plan d'investissement dans les ports ultramarins européens ou associés à l'Europe. Ce plan pourrait être proposé à la Commission européenne via les présidents des régions ultrapériphériques (RUP). En 2015, la Conférence des présidents de RUP avait déjà suggéré la mise en place d'un plan Juncker pour les transports ultramarins.

La question de l'évolution des zones franches portuaires se pose également, de même que celle de l'assujettissement des ports à l'impôt sur les sociétés. Cette dernière perspective implique la prise en compte différenciée des missions de service public et celles à vocation commerciale pour faciliter l'accès des grands ports maritimes aux dispositifs de défiscalisation ouverts aux entreprises assujetties dans les outre-mer.

Pour ce qui est de la communication portuaire, une approche multi-sites se justifierait, pour un fonctionnement optimal de l'outil de communication Cargo Community System AP +. Les autorités portuaires pourraient ainsi initier une démarche d'insertion régionale par le biais de la CARICOM, dans la Caraïbe et sur le Plateau des Guyanes.

Outre la définition de la valeur ajoutée portuaire ultramarine non encore réalisée, une étude comparative nécessiterait par ailleurs d'être lancée sur les coûts portuaires ultramarins, en veillant à la transposabilité de la méthode utilisée. Ces travaux pourraient, dans un premier temps, s'appuyer sur la grille d'analyse de l'étude de 2003 sur les ports antillo-guyanais, afin d'en actualiser les données et de permettre des analyses en évolutions. Les observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) nécessiteraient de disposer de moyens matériels et humains suffisants pour atteindre cet objectif. L'enjeu serait ensuite d'inscrire clairement ce type d'études dans la stratégie portuaire des outre-mer, à laquelle les conseils de développement des grands ports maritimes et les conseils portuaires des autres ports devront être associés. Ces observatoires pourraient ainsi partir de la notion de juste prix pour tenter de démontrer, en comparatif sur plusieurs années, si réellement le pouvoir d'achat a diminué ou augmenté, en valeur absolue et en valeur relative.

Enfin, les ports ultramarins nécessiteraient d'amplifier leur participation active aux réseaux d'échanges portuaires de leur bassin respectif ( Caribbean Shipping Association , Port Management Association of the Caribbean , etc.), afin de renforcer leur intégration maritime dans leur zone d'influence.

Pour plus d'informations sur la question portuaire, le rapport intitulé « Les ports ultramarins au carrefour des échanges mondiaux », que j'ai eu l'honneur de présenter en octobre 2015, est disponible sur le site Internet du CESE.

Jean-François TALLEC, Conseiller institutionnel pour la politique maritime du groupe CMA CGM

Pour compléter nos travaux sur les échanges, je parlerai de la mer. Nous, marins, savons que la mer ne sépare pas mais réunit les hommes. Elle les réunit en leur donnant la possibilité de se transporter et de transporter des marchandises. Elle permet aussi des échanges immatériels, à travers des câbles sous-marins. La mer assure ainsi ce lien entre les collectivités insulaires et les continents.

Le groupe CMA CGM s'appuie sur une flotte de 475 navires ainsi que sur 650 bureaux à travers le monde, pour desservir 170 lignes maritimes reliant près de 400 ports. Le groupe CMA CGM se caractérise également par une présence traditionnelle dans nos outre-mer.

Les lignes que nous exploitons vers les outre-mer de l'Atlantique se structurent autour du service PCRF (dédié aux échanges entre le Nord Europe et les Antilles et vecteur principal du transport de la banane des Antilles), du service Guyane (permettant des échanges entre le Nord Europe, Saint-Martin/Saint-Barthélemy et la Guyane), du service MEDCAR (permettant des échanges entre la Méditerranée, les Antilles et l'Amérique centrale) et du service Guyana (reliant Pointe-à-Pitre, Fort-de-France, Port of Spain, Georgetown, Paramaribo et Dégrad des Cannes).

Les grands points d'appui de CMA CGM aux Antilles sont aujourd'hui Kingston et les Antilles françaises. Notre « hub » principal se trouve positionné à Kingston, dans l'axe du trafic Est-Ouest de l'Asie vers la côte Est des États-Unis, avec des perspectives ouvertes par l'élargissement du canal de Panama. Les Antilles françaises, quant à elles, pourraient devenir un « hub » de transbordement, en direction de la Guyane et de la côte Nord-Est du Brésil.

À travers les connexions maritimes développées au niveau des Antilles françaises et de la Guyane, ces collectivités sont aujourd'hui reliées à l'Europe du Nord et à la Méditerranée, ainsi qu'à l'Asie ( via le canal de Panama). Cependant, les acteurs économiques de ces collectivités n'ont pas nécessairement conscience des possibilités offertes par ces connexions.

Alors que 90 % des marchandises échangées à travers le monde transitent par voie de mer, les lignes maritimes d'un réseau mondial tel que celui exploité par CMA CGM sont toutes interconnectées et fonctionnent selon un système de « hubs » - un « hub » pouvant avoir pour fonctions de redistribuer le trafic vers des ports plus petits ou de faire se croiser des lignes mères.

Les lignes maritimes assurent ainsi le désenclavement de nos collectivités d'outre-mer, vis-à-vis de la métropole, de leur environnement régional, mais aussi du reste du monde.

Source : CMA-CGM

Le développement d'une fonction de « hub » dans nos collectivités d'outre-mer pourrait générer des opportunités économiques nouvelles. Tel est déjà le cas à La Réunion, qui constitue le « hub » de CMA CGM dans l'océan Indien et dont le trafic a presque doublé en un an. Aux Antilles françaises, 60 000 conteneurs voués à être redistribués vers d'autres destinations s'ajoutent déjà à un trafic global domestique de 150 000 conteneurs.

Ce développement du trafic pourrait également générer un développement portuaire important. À terme - et je fais ici un rêve -, des pièces détachées pourraient même être acheminées dans nos territoires, pour y être assemblées et réexportées sous forme de produits finis.

Pour cela, la gestion de nos ports nécessiterait d'être modernisée en privilégiant, comme en métropole, un fonctionnement en terminaux portuaires intégrés pour permettre la gestion, sous une même autorité, des opérations de manutention verticale (pour le déchargement des navires) et de manutention horizontale (pour le déplacement des conteneurs sur les quais).

Aujourd'hui, dans nos ports ultramarins, les déplacements verticaux sont encore assurés par les personnels des grands ports maritimes (GPM), tandis que les déplacements horizontaux sont assurés par des sociétés de manutention. Ceci génère des problématiques de statut des personnels et de coordination de la maintenance.

Pour faire face à la concurrence des autres ports de la région, qui ne manquera pas de se développer avec l'élargissement du canal de Panama, l'enjeu serait d'inscrire nos ports ultramarins dans une logique de gestion intégrée de leurs terminaux (sans que celle-ci implique une structuration en monopole).

Si nous intégrons ces possibilités nouvelles d'intégration de nos collectivités d'outre-mer dans l'économie mondialisée, leur insularité, longtemps considérée comme un handicap, deviendra un atout.

Xavier AUGIER DE MOUSSAC, Président-Directeur général du groupe CEM et des sociétés de transport maritime CARIBBEAN LINE et SOREIDOM

Afin de pouvoir cerner les enjeux maritimes et portuaires des départements français d'Amérique (DFA), il apparait essentiel de prendre en compte le marché de la Caraïbe dans son ensemble, ainsi que d'en observer les particularités et leurs impacts actuels et potentiels sur l'évolution du transport maritime.

La Caraïbe est un marché considérable. De Belize à Cayenne en passant par Cuba, la République dominicaine et Porto Rico, les territoires des Caraïbes rassemblent une population de plus de 43 millions d'habitants, sans compter les populations limitrophes du Nord Brésil.

Ce marché régional est néanmoins caractérisé et conditionné par des déséquilibres internes très forts, tant en termes de développement que de transport maritime. Dans ce contexte, la collaboration entre acteurs privés et publics est d'autant plus essentielle.

La République dominicaine est le plus grand exportateur de l'arc antillais et le premier exportateur vers les DFA (hors pétrole). Il s'agit d'un premier exemple de développement maritime possible dans le bassin caribéen. Malgré un coût de l'énergie très élevé, le tissu industriel y est très développé. Si ce pays bénéficie d'une main d'oeuvre bon marché, il dispose surtout de très nombreux ports, avec les coûts de manutention portuaire les plus compétitifs de la région. On y trouve, de ce fait, des « hubs » très importants.

A contrario , Trinidad, qui constitue un autre grand exportateur de la région, bénéficie de coûts énergétiques très faibles. En revanche, les coûts de manutention portuaire y sont très élevés et donc pénalisent les exportations. Ce pays a donc privilégié le développement d'un quai public sans dockers, permettant de réexporter sur petits caboteurs vers l'ensemble de la Caraïbe.

L'économie des pays de la Caraïbe demeure conditionnée par les importations, en provenance des États-Unis ou de l'Europe. Les productions locales y sont peu nombreuses et souvent limitées au marché de chaque pays - les pays de la CARICOM et les DFA bénéficiant par ailleurs de taxes à l'importation.

En termes de règlementation, la CARICOM constitue un marché commun qui aurait dû permettre le développement de l'industrie transfrontalière. Faute de services maritimes rapides et réguliers, cet objectif n'est cependant pas atteint.

En pratique, le trafic intra-caribéen ne fonctionnera que si un pont est assuré entre les îles, à travers le cabotage, pour que les transports puissent s'effectuer dans un délai maximum de 10 jours.

Nous avons tenu pendant plus de quatre ans une ligne qui participait à l'enjeu du développement du marché de la Caraïbe : nous arrivions à servir tous les pays situés entre Haïti et la Guyane Française dans un délai maximum de 10 jours.

Nous avons choisi de desservir de nombreux seconds ports (parmi lesquels : Jacmel, Galisbay, Basseterre, Plymouth, Le Robert, Vieux Fort, Saint-Laurent-du-Maroni) ce qui participe concrètement au désenclavement de leur hinterland .

Malheureusement nous avons dû suspendre ce service momentanément car les industries des pays desservis n'ont pas encore intégré de façon assez importante cette démarche de commerce transfrontalier.

La desserte de ports secondaires pourrait ainsi permettre à certains produits de développer un commerce trans-caribéen. Parmi ces produits figurent notamment :

- le riz produit au Guyana et au Suriname, actuellement transporté vers certains pays des Caraïbes, et qui pourrait l'être en plus grande quantité, avec plus de fluidité et vers un plus grand nombre d'îles ;

- les engrais de Jamaïque, de Saint-Domingue, de Martinique et de Guadeloupe qui pourraient approvisionner toute la région avec un meilleur service de transport, alors que l'engrais est actuellement largement importé de pays tiers par la majorité des autres îles ;

- une farine de soja très compétitive pour nourrir les volailles est développée à la Barbade mais sa production est coûteuse et trop faible pour fournir la région. Avec une usine correctement dimensionnée, implantée dans un des DOM, nous aurions un produit compétitif pour approvisionner l'ensemble de l'industrie avicole de la Caraïbe ;

- enfin, le granit utilisé dans nos DOM est actuellement importé d'Europe, tandis qu'il existe des carrières de granit brut dans l'Amapa brésilien, limitrophe de la Guyane. Ce granit, actuellement envoyé dans le sud du Brésil, pourrait être usiné en Guyane - avec le renfort de l'expertise métropolitaine - puis distribué dans la région et vers l'Europe.

Beaucoup d'opportunités de créer de la richesse et de valoriser le savoir-faire de nos territoires pourraient ainsi être exploitées, et ce d'autant plus que :

- les îles s'intéressent de plus en plus aux normes européennes notamment en matière alimentaire ;

- ces marchés, par leur taille modeste sont beaucoup plus accessibles que les marchés nord-américains ou européens... et nécessiteront si besoin des investissements modestes ;

- il existe une certaine forme de culture commune entre ces îles.

Par rapport aux autres territoires de la région, nos DFA bénéficient d'un niveau d'éducation très élevé, d'un coût de l'énergie relativement faible, d'un réseau bancaire performant (avec l'appui de l'AFD et de la BPI), de capacités d'investissement très importantes et de taux d'intérêt bas et surtout les DFA peuvent s'appuyer sur le tissu industriel métropolitain pour rayonner dans toute la Caraïbe.

Nous avons ainsi les moyens de développer des industries compétitives dans nos DFA pour servir le grand marché caribéen. L'enjeu est principalement un lien maritime qui permette d'accéder à ce marché !

Maîtriser les coûts de manutention ainsi que la logistique est une condition essentielle pour pérenniser ce pont maritime intra-Caraïbe qui sera déterminant pour le développement trans-caribéen des entreprises de notre région.

L'ensemble des collectivités devraient se mobiliser en ce sens. Ce point figure d'ailleurs à l'ordre du jour du programme INTERREG.

Nicolas SOULIÉ, Directeur business development, Air France KLM Caraïbes, océan Indien, Amérique centrale & Amérique du Sud

Depuis 70 ans, Air France accompagne et soutient le développement régional en outre-mer. Air France relie les DOM à la métropole et au monde entier, avec près de 50 vols par semaine, ce qui participe évidement au développement de ces régions.

Air France est également un employeur privé significatif dans les DOM, avec près de 700 personnels directement employés. Air France est ainsi la compagnie aérienne qui emploie le plus de personnels dans les DOM. Nous sommes également la source de nombreux emplois induits (sociétés d'assistance, aéroports, etc.), ce qui renforce encore notre importance en tant qu'acteur économique local.

Air France exploite aussi un réseau reliant Cayenne, Fort-de-France, Pointe-à-Pitre, Port-au-Prince et Miami, avec deux Airbus A320 et des équipages dédiés. Plus de 30 vols sont effectués chaque semaine sur ce réseau. Air France transporte ainsi plus de 230 000 passagers par an entre les principaux pôles économiques de la région.

Notre ambition est aujourd'hui de rester la compagnie leader sur la Caraïbe, de continuer à améliorer nos produits et services et d'oeuvrer au désenclavement de la zone Antilles-Guyane.

Cette mission demeure néanmoins complexe. Tout d'abord, il nous faut gérer des flux peu importants et morcelés, dans des espaces économiques différents et des espaces culturels utilisant des langues différentes (Antilles françaises, Antilles néerlandaises, Caraïbe hispanophone, Caraïbe anglophone). Cette diversité des espaces structure aussi bien les flux professionnels que les flux de tourisme et de loisirs.

Les infrastructures, quant à elles, soulèvent des problématiques de capacité et d'optimisation de l'exploitation des infrastructures actuelles.

Enfin, les conditions d'exploitation sont parfois difficiles, en lien avec le climat et les phénomènes météorologiques notamment.

Pour faire face à cette complexité, au-delà de ses opérations en propre, Air France a fait le choix, il y a 3 ans, de développer des partenariats locaux avec Air Antilles et Winair. Ces partenariats permettent aujourd'hui à Air France de proposer davantage de destinations et de dessertes dans la Caraïbe.

Depuis avril 2015, six nouvelles destinations sont ainsi proposées au départ de Fort-de-France et Pointe-à-Pitre et en correspondance depuis l'Europe grâce à notre partenariat avec Air Antilles : Sainte Lucie, San Juan, Saint-Domingue, Saint-Martin Grand Case, Sint Maarten Juliana et La Dominique.

Depuis novembre 2015, nous proposons jusqu'à quatre vols quotidiens entre Pointe-à-Pitre et Saint-Barthélemy en partenariat avec Winair.

Que ce soit en propre ou avec ses partenaires, Air France a pour ambition d'élargir encore son réseau régional, notamment vers l'Amérique du Nord et le Brésil. Air France contribuera ainsi à la poursuite de l'intégration des DOM dans leur espace régional.

En conclusion, Air France accompagne et conserve la volonté de soutenir le développement touristique et économique des territoires d'outre-mer, en les reliant entre eux, à leur espace régional et au reste du monde.

Pierre PETILLAULT, Directeur adjoint des affaires publiques du groupe Orange

La connectivité numérique constitue un des éléments importants de l'intégration régionale et mondiale et Orange est un des fournisseurs importants de cette connectivité.

Orange est un employeur important en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane, avec environ 1 500 emplois directs et 900 emplois induits à travers la sous-traitance. Orange s'attache ainsi à développer dans ces territoires des emplois locaux, qualifiés et pérennes. Cette politique s'appuie également sur la formation, avec l'accueil chaque année d'une centaine de jeunes en apprentissage.

Sur le plan financier, Orange investit massivement dans les DOM. 200 millions d'euros d'investissement ont ainsi été réalisés au cours des 5 dernières années ; 300 millions d'euros ont été programmés pour les 5 prochaines années, pour le développement des nouveaux réseaux notamment.

Ces investissements massifs se traduisent dans la qualité de service et les taux de couverture obtenus sur les réseaux 3G, 2G, ADSL et ADSL+, qui atteignent des niveaux similaires à ceux de la métropole (excepté en Guyane où des marges de progrès subsistent).

Ces investissements permettent également à Orange d'être le seul opérateur à proposer à ses clients ultramarins une gamme d'offres aussi complète (ADSL, fibre, fibre destinée aux entreprises, 3G et H+).

Les tarifs proposés en outre-mer demeurent plus élevés que ceux proposés en métropole. Cependant, des progrès ont été réalisés dans ce domaine, avec la suppression des frais d'itinérance sur la voix et les SMS à compter du 30 avril 2016, conformément à la loi en vigueur. Des progrès ont également été réalisés en matière de tarification de la Data.

Les investissements programmés à l'horizon 2020 devraient être consacrés pour moitié au déploiement du très haut débit fixe et mobile. Des programmes de déploiement de la fibre sur fonds propres ont déjà été lancés pour cela, à Pointe-à-Pitre, Cayenne et Fort-de-France notamment. Orange a également répondu aux appels d'offres lancés pour le déploiement des réseaux d'initiative publique, en Martinique notamment. Des projets de déploiement de câbles sous-marins supplémentaires sont à l'étude. Orange a par ailleurs répondu à l'appel d'offres lancé par l'ARCEP pour le déploiement de la 4G.

La situation spécifique des outre-mer pose toutefois un certain nombre de défis. Tout d'abord, l'industrie des télécoms repose sur des infrastructures physiques, désormais connectées mondialement. Dans des territoires éloignés de la métropole et souvent insulaires, ceci implique de passer par des câbles sous-marins. Orange dispose d'un réel savoir-faire en la matière, avec 15 % des capacités de déploiement au niveau mondial. Cependant, ce déploiement nécessaire génère des surcoûts importants. À cet égard, des mesures sont envisagées par le Gouvernement. Orange collaborera en ce sens avec les pouvoirs publics.

D'autres contraintes géographiques apparaissent également dans les outre-mer, en lien avec le relief et la superficie des territoires notamment, avec une incidence sur le niveau de couverture des réseaux mobiles. À cet endroit, Orange s'efforce de déployer des solutions innovantes, au-delà du cuivre et de la fibre, à travers des liaisons satellitaires notamment.

Ces défis sont d'autant plus importants à relever pour Orange que les territoires d'outre-mer ont des besoins spécifiques. Les populations de ces territoires sont plus jeunes qu'en métropole et donc particulièrement technophiles. En outre, la connectivité permet d'adresser des problématiques liées à la dépendance, à l'isolement et à la santé.

La connectivité est également une nécessité pour le développement économique des territoires d'outre-mer, en vue d'y attirer des investissements et d'assurer la transformation numérique des entreprises ultramarines.

Orange est et demeurera pour cela un partenaire des territoires d'outre-mer, de leurs entreprises et de leurs citoyens.

SECONDE SÉQUENCE - LE DÉVELOPPEMENT DE LA COOPÉRATION ÉCONOMIQUE RÉGIONALE ET LES STRATÉGIES TERRITORIALES
Atlantique Nord
Janick CORMIER, Responsable de l'appui aux entreprises et au territoire de la Chambre d'agriculture, de commerce, d'industrie et des métiers de l'artisanat (CACIMA) de Saint-Pierre-et-Miquelon

L'Observatoire économique franco-canadien, créé entre les îles Saint-Pierre-et-Miquelon et le Canada Atlantique, est pour nous un exemple de bonne pratique en matière de coopération régionale. Il démontre qu'un outil d'information économique peut contribuer à renforcer la coopération économique entre deux territoires.

La coopération régionale entre Saint-Pierre-et-Miquelon et les provinces atlantiques du Canada s'exerce dans le cadre d'un accord signé entre le Gouvernement français et le Gouvernement canadien le 2 décembre 1994. Sur la base de cet accord, une commission mixte de coopération régionale a été créée, avec pour mandat d'étudier les moyens à mettre en oeuvre pour développer la collaboration dans les domaines de l'éducation, de la santé, de la sécurité, du tourisme, de l'agriculture, de l'environnement et des relations économiques et commerciales.

Depuis 2011, la CACIMA assure la co-présidence du sous-comité aux relations économiques et commerciales de cette commission. Dans ce cadre, elle a porté le projet de création d'un observatoire économique franco-canadien, outil permettant de stimuler les relations commerciales entre les deux territoires.

Le projet s'inscrit également dans le cadre du programme de coopération renforcée entre le Canada et la France, renouvelé tous les deux ans depuis 2006. Le plan d'action économique 2014-2015 de ce programme axait les efforts sur trois champs :

- appuyer les entreprises françaises et canadiennes en matière de développement des affaires, d'accès aux marchés et de promotion des investissements croisés ;

- renforcer la coopération en matière de compétitivité et d'innovation, ainsi que dans les domaines scientifiques et technologiques ;

- aider les entreprises à tirer profit de la relation commerciale bilatérale par des activités ciblées et des échanges d'informations.

L'Observatoire économique franco-canadien s'est ainsi positionné sur le volet des échanges d'informations.

Autre élément de contexte, un accord économique et commercial global a été signé entre le Canada et l'Europe, avec une entrée en vigueur prévue pour 2017. Cet accord devrait permettre une hausse du produit intérieur brut (PIB) européen de l'ordre de 12 milliards d'euros, ainsi qu'une augmentation de 20 % des échanges bilatéraux entre l'Europe et le Canada. Le bénéfice de cet accord pour la France est estimé à 2,5 milliards d'euros de PIB.

Dans ce contexte d'ouverture des marchés entre l'Europe et le Canada, l'enjeu pour Saint-Pierre-et-Miquelon serait de tirer profit de l'intensification des échanges économiques entre les deux zones pour mieux faire valoir son intégration régionale, au bénéfice de ses entreprises, répondant ainsi à la nécessité pour l'archipel de trouver des relais de croissance en s'ouvrant vers l'extérieur.

Saint-Pierre-et-Miquelon se trouve à 25 km de la côté la plus proche de Terre-Neuve, à l'embouchure du fleuve Saint-Laurent. L'archipel bénéficie de dessertes aériennes régulières vers Halifax en Nouvelle-Ecosse et St John's à Terre-Neuve, ainsi que d'une desserte maritime vers Fortune. Les entreprises de l'archipel bénéficient également d'une double culture d'affaires car elles travaillent régulièrement avec des partenaires nord-américains et européens.

Du fait de ces spécificités et d'un commerce extérieur marqué par des importations très importantes en provenance du Canada, le choix de Saint-Pierre-et-Miquelon a été de développer une stratégie offensive.

En se fondant sur une démarche d'intelligence compétitive, de veille stratégique et de prospective, la CACIMA, appuyée par CCI France, a conduit une action de sensibilisation des acteurs économiques et décideurs locaux pour impulser la mise en oeuvre d'un outil d'information stratégique partagé entre les provinces atlantiques du Canada et Saint-Pierre-et-Miquelon.

L'objectif était ainsi de disposer d'un outil à même de créer des conditions favorables aux courants d'affaires, d'accroître les coopérations entre les deux pays et de répondre à des commandes d'intérêt collectif en constituant un réseau d'experts, vecteur de coopération régionale et internationale.

La démarche a été réalisée sous forme de séminaires adossés à la Commission mixte de coopération régionale en octobre 2011 à Saint-Pierre-et-Miquelon et en mars 2013 à Dieppe au Nouveau-Brunswick.

À l'issue de ces deux rencontres, l'Agence de promotion économique du Canada Atlantique (APECA), la Préfecture et la Collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon ont validé le projet de mise en oeuvre d'un observatoire d'information économique franco-canadien, reposant sur des veilleurs basés à la CACIMA pour Saint-Pierre-et-Miquelon et à l'Université de Moncton, campus de Shippagan, pour les provinces atlantiques canadiennes.

Après une phase expérimentale de six mois en 2013, financée par les partenaires (l'État français, la Collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, le Gouvernement fédéral canadien et le Gouvernement provincial du Nouveau-Brunswick), l'observatoire économique franco-canadien a officiellement démarré ses activités en 2014 avec la publication de son bulletin mensuel Intell Echo .

Intell Echo est un bulletin d`information économique de 8 pages, traduit en anglais et diffusé auprès de plus de 40 000 récipiendaires (réseau des CCI en France, réseaux économiques au Canada, entreprises françaises et canadiennes).

Intell Echo traite des secteurs économiques représentés au sein des territoires du Canada Atlantique, de la France et de Saint-Pierre-et-Miquelon ; le bulletin aborde par ailleurs des thématiques générales essentielles au monde des affaires (profil régional, les services aux entreprises, l'Accord économique et commercial global (AECG), les pôles de compétitivité, la certification professionnelle, les normes, etc.).

Intell Echo apporte ainsi aux entreprises une information économique stratégique et utile : données économiques sur les marchés, évolutions technologiques, acteurs clés, événements, histoires à succès d'entreprises, programmes incitatifs, etc.

Par ce biais, l'objectif de l'observatoire est aussi de permettre aux acteurs d'identifier des opportunités d'affaires. Le numéro d' Intell Echo du mois d'avril 2016, consacré aux produits de la mer, a ainsi été accompagné d'un appel à partenariat de l'Institut de recherche sur les zones côtières de Shippagan au Nouveau-Brunswick, pour le développement de projets dans les domaines des nanotechnologies et de la cosmétique.

On peut souligner également le rôle d'intermédiaire qu'a joué l'archipel lorsque l'aéroport d'Halifax a exprimé son intérêt pour le développement d'une liaison aérienne avec Paris. Les démarches réalisées par la CACIMA et les parlementaires locaux ont alors permis à la compagnie ASL de se positionner. Une liaison est ainsi assurée chaque été depuis 3 ans. Pour Saint-Pierre-et-Miquelon, cette liaison se traduit aujourd'hui par une réduction de la durée et du coût des trajets vers la métropole.

Intell-Echo est également utilisé à l'occasion des différents événements professionnels de la région et en France (conventions d'affaires, salons professionnels, missions d'affaires en métropole, Journées Pays, etc.). Saint-Pierre-et-Miquelon s'inscrit ainsi pleinement dans une démarche d'intégration régionale.

Caraïbe
Éric KOURY, Président de la commission « nouvelle économie » de la Chambre de commerce et d'industrie de région des Îles de Guadeloupe

L'un des objectifs de la CCI de Guadeloupe est d'apporter une réponse à l'un de nos handicaps : celui de l'étroitesse des marchés accessibles à nos entreprises, qui induit une obligation de se tourner vers notre environnement le plus proche, à savoir la Caraïbe.

Je rêve donc d'un véritable marché caribéen unique. Pour atteindre cet objectif, il nous faudra cependant surmonter de nombreux obstacles, dont l'impossibilité évoquée par Franck Desalme d'exporter de la farine vers Haïti constitue un exemple parmi d'autres.

Il nous faudra notamment surmonter des obstacles institutionnels et juridiques. Pour impulser un développement économique, il est nécessaire de pouvoir s'appuyer, a minima , sur une stabilité juridique. Or notre environnement se compose d'une mosaïque de petits États, en dépit des regroupements opérés et des tentatives de mise en place d'organisations juridiques communes. Nous n'adhérons pas encore à ces organisations juridiques communes, ce qui complexifie la résolution des éventuels conflits inhérents à l'activité commerciale.

Les politiques de protection de certains États constituent également un défi. L'Union européenne ouvre nos frontières. Cependant, dans la Caraïbe, il nous faut faire face à des États souverains, dont certains continuent à privilégier un protectionnisme qui empêche les entreprises de nos régions d'en pénétrer les marchés.

Nous sommes par ailleurs confrontés à des obstacles logistiques pour permettre une libre circulation des biens et des personnes. La Caraïbe demeure en effet caractérisée par une discontinuité des transports aériens et maritimes, avec pour conséquence des coûts élevés, liés à des micro-flux entre les îles. La faiblesse des échanges réduit ainsi les flux, ce qui génère des surcoûts.

Il nous faut également faire face à une problématique de visas. Certaines liaisons aériennes ne peuvent ainsi reposer que sur un unique flux de marché, les ressortissants de l'île desservie ne disposant pas de visas pour rejoindre nos régions.

Des difficultés apparaissent aussi sur le plan sociologique et économique, en lien avec des différences culturelles et linguistiques. De fait, nous sommes issus de différentes cultures (anglophones, hispaniques, françaises, hollandaises, etc.).

De même, les disparités de niveau de vie et de pouvoir d'achat peuvent constituer des freins au développement des échanges.

Nous nous battons également pour accroître la propension à exporter de nos entreprises, s'agissant notamment de nos TPE et PME. La faiblesse actuelle de celles-ci pourrait être liée à une méconnaissance des dispositifs d'accompagnement - les CCI mettant tout en oeuvre pour apporter un soutien aux entreprises ayant vocation à exporter.

En dépit de tous ces obstacles, nous sommes aujourd'hui à l'aube d'un changement. Les choses évoluent ainsi positivement car nos territoires disposent d'un certain nombre d'atouts, malgré un léger retard de la Guyane en termes d'infrastructures et de réseaux. Nos entreprises sont à la pointe de l'innovation dans certains secteurs d'activités tels que les énergies propres et les télécommunications (avec des projets de coopération régionale comme le Global Caribbean Network ). Nous disposons également de financements, à travers l'État français et l'Europe. Du reste, à cet égard, il est effectivement regrettable que la déconnexion entre les fonds européen de développement économique régional (FEDER) et fonds européen de développement (FED) freine l'amorçage de projets régionaux.

De réelles perspectives existent également dans le domaine du transport aérien. À cet endroit, je félicite Air France qui adhère à une nouvelle méthode d'implantation sur le marché caribéen au travers de partenariats et d'alliances - méthode permettant d'associer et de compléter les micro-flux des différents marchés, de mettre en commun des réseaux à travers un système de codeshare et d'utiliser les droits de trafic de compagnies caribéennes pour ouvrir des liaisons. Le partenariat entre Air France, Air Antilles et Winair est ainsi à l'origine d'un des plus grands réseaux caribéens, qui devrait générer rapidement de nouveaux investissements conséquents (à hauteur de 45 millions de dollars en 2016 et 2017, pour l'acquisition de 2 appareils) et permettre l'ouverture de nouvelles lignes (Fort-de-France - la Dominique, Fort-de-France - la Barbade, voire Fort-de-France - Trinidad).

L'espoir est donc permis. Nous sommes à la moitié du chemin et il nous faut continuer. Nous aurons besoin pour cela de la coopération régionale, ainsi que de votre soutien, Madame l'Ambassadrice.

Francette ROSAMONT, Présidente de la commission « finance » de la Chambre de commerce et d'industrie de la Martinique (CCIM)

La Chambre de commerce et d'industrie de la Martinique (CCIM) est aujourd'hui constituée en guichet unique à l'export, avec un service export performant et un dispositif d'accompagnement des entreprises (de la consolidation des activités à l'export jusqu'à l'accompagnement sur les marchés en prospection). La CCIM est également le correspondant de Business France et participe aux actions menées par le ministère des outre-mer pour accompagner les entreprises à l'export.

En Martinique, l'export est déjà une réalité pour de grandes entreprises (dont le groupe GBH) et de grands secteurs (dont celui du rhum, avec une AOC et des perspectives offertes par l'intérêt croissant pour les rhums vieux). Cependant, il nous reste à industrialiser les exportations de nos TPE. Celles-ci, qui constituent l'essentiel de notre tissu économique, ne sont pas structurées pour cela. Or, compte tenu de l'étroitesse de nos marchés et du vieillissement de notre population, il devient fondamental de trouver des relais de croissance à l'extérieur.

À cet égard, après des années d'espoir, nous sommes peut-être enfin en train de parvenir, aujourd'hui, à cet instant tant attendu d'ouverture des possibilités d'échanges entre les Antilles-Guyane françaises et leurs voisins immédiats.

Singulièrement pour les Antilles françaises, les premiers pas juridiques viennent d'être franchis avec l'adhésion en tant que membre associé de la Martinique à l'Organisation des États de la Caraïbe orientale (OECS). Le processus pour la Guadeloupe est en cours.

Les Antilles françaises ont adhéré à d'autres organisations caribéennes, mais l'OECS semble être la plus directement intéressante et accessible.

L'OECS, ce sont neuf États des petites Antilles : Antigua-et-Barbuda, Dominique, Grenade, Montserrat, Saint-Kitts-et-Niévès, Sainte-Lucie, Saint-Vincent, les Grenadines, Anguilla et les Îles Vierges britanniques. Indépendants, ces États mènent depuis 1981 une démarche d'intégration originale dans la zone Caraïbe. Leur situation politique est relativement stable. Ils ont une monnaie unique en parité avec le dollar, ce qui constitue aussi un gage de stabilité. Ils ont un système juridique unique, avec un tribunal itinérant et des règles juridiques communes. Ils coopèrent en matière de régulation des télécommunications, d'aviation civile, de représentation diplomatique et se regroupent pour acheter des médicaments et quelques autres produits. Ils ont aussi développé un système commun d'accueil des bateaux qui accostent sur leurs rivages.

Réunis, ces États ont également un périmètre géographique comparable à celui des Antilles françaises : ils représentent quelque 650 000 habitants qui, ajoutés aux 350 000 habitants de la Martinique et aux 400 000 habitants de la Guadeloupe créeraient un ensemble économiquement viable de 1,4 million d'habitants.

Dès son adhésion, l'une des premières actions de la Collectivité territoriale de Martinique a été de placer son agent détaché au sein de la représentation de l'OECS à Sainte-Lucie. Cette présence particulière a déjà porté quelques fruits, notamment pour la gestion post-crise suite aux intempéries du début d'année. Une liste de dix produits à réciproquement échanger est également en cours de validation.

Renforcer les liens avec l'OECS a ainsi de la pertinence, pour la Martinique comme pour la Guadeloupe, parce que les Antilles françaises ont de véritables savoir-faire à proposer en matière de BTP, d'agroalimentaire, de hautes technologies, d'environnement, de santé, de tourisme, etc.

Reste maintenant à lever les obstacles pour fluidifier les échanges et développer cette intégration régionale.

Parmi les tout premiers obstacles, figure la très mauvaise connectique en matière de transport, tant aérien que maritime, entre les îles françaises et celles de l'OECS. Les fréquences sont insuffisantes et peu fonctionnelles. Par exemple, il n'existe pas d'aller-retour dans la journée entre Fort-de-France et Sainte-Lucie ou la Dominique, qui sont pourtant à moins d'une demi-heure de vol. Il en est de même pour les liaisons maritimes. Celles qui existent sont en extrême concurrence et sont mal coordonnées. En outre, le prix des billets d'avion est prohibitif et les rares liaisons effectuées par la compagnie LIAT manquent de fiabilité.

De même, le fret marchandises entre nos territoires et ceux de l'OECS est balbutiant, voire inexistant, ou soumis à des contraintes importantes, en matière douanière notamment. À cet endroit, le cabotage nécessiterait d'être développé. Pour cela, l'absence d'articulation entre les fonds FEDER et FED dans la zone limite cependant les possibilités de financement d'amorçage.

En matière de transport, le ciel de la Caraïbe nécessiterait d'être libéralisé. Aujourd'hui des droits de trafic et de survol y demeurent extrêmement contraignants. Un travail nécessiterait d'être mené en ce sens, à Bruxelles et aux États-Unis notamment.

Il conviendrait ainsi de supprimer le quasi-monopole de la LIAT sur presque toutes les destinations, pour ouvrir l'espace aérien aux compagnies françaises comme Air Caraïbes et Air Antilles Express. Ces vecteurs de concurrence créeront de l'émulation, entraînant la réduction des coûts et l'amélioration du service d'une manière générale. Les répercutions seront favorables tant pour les passagers que pour le fret.

Il faudrait également envisager une prolongation des lignes d'Air Caraïbes et d'Air France depuis la Métropole jusqu'à certains pays voisins, marchés potentiels et au tourisme exponentiel, bénéfiques tant pour les passagers que pour le fret.

Au-delà de ces premiers freins, d'autres sont à prendre en compte : la bureaucratie, la lenteur des administrations locales, la complexité des démarches, la rareté des fonctionnaires aptes à prendre des décisions et à agir à un niveau intermédiaire. Il est souvent indispensable de monter au niveau des directeurs de cabinet, voire des ministres, ce qui n'est pas propice aux affaires. Tel est le cas pour la législation du travail, les contrôles en tous genres (vétérinaires notamment), les taxations diverses, etc. La viabilité des « promesses » données par certains interlocuteurs est donc toute relative.

Autre difficulté non négligeable : le risque en cas de contentieux à cause d'un appareil judiciaire défaillant et peu fiable. À ce titre, il serait pertinent de poursuivre l'expérimentation du droit de l'exécution mené avec la Dominique et Sainte-Lucie en 2013 par la section Martinique des Conseillers du commerce extérieur de France.

La section a en effet initié le rapprochement du droit des affaires avec la Dominique et Sainte-Lucie en août 2012. L'objectif était, à droit constant, de trouver des voies et moyens pour sécuriser les affaires avec ces deux voisins immédiats.

Après une première phase d'échanges à Sainte-Lucie (CCI), en Martinique (préfecture, ambassadeur de la coopération, conseil régional), à Paris (commission Caraïbes Amérique latine, ministère de la Justice, dont une rencontre avec Mme Christiane Taubira, alors ministre de la justice, Garde des Sceaux), en Guadeloupe (conseil régional), à Cayenne (conseil régional, ambassadeurs de France en République Dominicaine et en Jamaïque), nous avons rencontré à Paris les conseillers de Mme Nicole Bricq, alors ministre du commerce extérieur, et de M. Laurent Fabius, alors ministre des affaires étrangères.

Le 20 juin 2013, s'est ensuite tenue la 1 ère journée caribéenne du droit de l'exécution, en présence de M. Ian Douglas, ministre de la justice de la Dominique, de Mme Yasmine Walcott, consul général de Sainte-Lucie, de M. Jean-Jacques Bosc, procureur général, de M. Jean-François Bauvin, vice-président de la chambre nationale des huissiers de justice, de M. Patrick Sannino, vice-président de la chambre nationale des huissiers de justice, de M. Raulston Glasgow, Solicitor general de Sainte-Lucie, de Mme Joëlle Harris, Solicitor general de la Dominique, de M. Patrick Safar, vice-président de l'École nationale de procédure, de M. Matthieu Gama, responsable du Centre ENP Martinique et de M. Michel Prom, ambassadeur de France auprès de l'OECS.

Cette rencontre a abouti à l'inscription dans l'Intranet du ministère de la justice d'une procédure pour traiter les affaires litigieuses avec la Dominique et Sainte-Lucie. Ces deux pays ont en effet, de manière très exceptionnelle, abaissé leur pavillon national pour accepter les jugements rendus par les juridictions françaises contre leurs ressortissants. À partir du moment où ceux-ci sont condamnés, la sanction doit être traduite en anglais, transmise parallèlement à leur juridiction et au justiciable. Elle devient alors exécutable immédiatement. Cette procédure peut être menée en quinze jours. Parallèlement, le jugement est envoyé par voie diplomatique, ce qui prend en moyenne 18 mois s'il n'y a pas de perte dans le circuit.

Reste à poursuivre ce travail en établissant la réciprocité des jugements.

Vis-à-vis des pays de l'OECS, il existe d'autres freins tels que la concurrence vive des entreprises d'Amérique du Nord, du Canada et de certains pays d'Amérique du Sud. Celles-ci obtiennent la majorité des marchés et sont omniprésentes dans des secteurs essentiels comme celui de l'alimentaire.

Cependant, si chacun (l'État, les collectivités territoriales de Martinique et de Guadeloupe, les entreprises des Antilles françaises et leurs organisations patronales) contribue à renforcer le système cohérent que constitue l'OECS, l'intégration des Antilles françaises peut devenir un exemple pour la zone Caraïbe, au bénéfice des populations.

De manière plus générale, nos territoires sont également enserrés par des normes, des législations, des traités et des accords, souvent discutés et décidés par d'autres, qui nous empêchent de commercer avec nos voisins. À cet endroit, il convient de reconnaître que, parce que nous avons été dans une situation de défiance vis-à-vis de l'Europe durant de nombreuses années, nous n'avons pas su nous organiser pour faire remonter les informations concernant les problématiques auxquelles nous sommes confrontés. Un travail nécessiterait aujourd'hui d'être mené sur ce point. Et les choses sont amenées à évoluer dans la mesure où de grands opérateurs se trouvent également confrontés à d'importantes difficultés. Il faudra néanmoins que l'État français, l'Europe et tous les décideurs prenant des décisions en notre nom acceptent de nous faire une place à leur table.

Thierry DUTOUR, Président de la Chambre économique multiprofessionnelle de Saint-Barthélemy (CEM)

La Chambre économique multiprofessionnelle (CEM) de Saint-Barthélemy est un établissement public territorial composé de 14 membres élus et 6 suppléants. Chambre consulaire unique, la CEM couvre à la fois les domaines du commerce et de l'Industrie, des métiers et de l'artisanat, ainsi que de l'agriculture. Ses missions couvrent également le répertoire des métiers, le fichier consulaire, un centre de formation continue, l'accompagnement à l'apprentissage, la délivrance des cartes professionnelles d'agent immobilier, ainsi que la constitution et l'organisation du comité territorial des pêches. Elle participe également au programme Inter-PTOM européen COSME pour le développement des PME.

Traditionnellement enserrées dans une relation quasi exclusive avec l'Hexagone, les économies des outre-mer demeurent peu perméables à leur environnement régional. Or leur développement endogène, du fait de la distance vis-à-vis du marché européen, nécessite des stratégies ambitieuses de meilleure insertion régionale.

Le constat est ainsi celui d'une intégration régionale encore trop limitée, comme en témoigne l'état des lieux de l'orientation des flux commerciaux pour les six outre-mer de l'Atlantique, à l'import comme à l'export.

Saint-Barthélemy importe l'ensemble de ses produits de consommation, essentiellement de métropole et des États-Unis. Son unique industrie exportatrice, la ligne Saint-Barth, qui fabrique des cosmétiques, exporte 90 à 95 % de sa production vers ses distributeurs européens.

Pour ce qui est des infrastructures de communication (infrastructures portuaires et fret maritime, liaisons aériennes, couverture numérique), le territoire de Saint-Barthélemy reste dépendant des ports en eau profonde de Saint-Martin et surtout de Sint Maarten, par lesquels transite l'essentiel de son fret, ainsi que de l'aéroport de Sint Maarten pour le fret aérien.

L'île est essentiellement desservie par deux compagnies aériennes, qui transportent une grande partie de leurs passagers entre l'île et l'aéroport de Sint Maarten Juliana.

La couverture numérique de l'île est un projet majeur de la Collectivité. Si la plupart des entreprises ont dorénavant la possibilité de se raccorder à la fibre optique, le déploiement vers les ménages est en cours de réalisation. À l'horizon 2020, l'ensemble du territoire devrait être couvert.

Du point de vue du développement de la coopération économique régionale et des stratégies territoriales dans la Caraïbe, Saint-Barthélemy, unique PTOM français de la Caraïbe, est un cas atypique dans l'environnement Antillo-Guyanais, voire caribéen, tant en termes d'importations que d'exportations.

Avec une économie essentiellement orientée vers le tourisme de très haut de gamme, l'attractivité de Saint-Barthélemy n'est plus à prouver, en raison de son économie stable et de sa fiscalité historiquement particulière.

L'île s'ouvre par ailleurs à son environnement, en participant à différents programmes de coopération. Dans le cadre de la coopération européenne, Saint-Barthélemy est membre de l'OCTA, qui rassemble tous les PTOM rattachés à des États membres de l'Union européenne (Grande-Bretagne, Pays-Bas, Danemark et France). Cette association a pour objet de représenter les PTOM auprès de l'Union européenne et notamment de la Commission européenne (DG DEVCO).

Depuis son changement de statut, de celui de RUP à celui de PTOM, la Collectivité de Saint-Barthélemy n'est plus éligible aux financements du FEDER. Elle n'est pas non plus éligible à ceux du FED territorial. En revanche, elle est éligible à ceux des FED régional et thématique, qui financent des projets rassemblant tout ou partie des PTOM.

Saint-Barthélemy participe également à plusieurs programmes européens, dont le programme COSME le programme TSI, le 11 e FED et le programme INTERREG.

Dans le cadre du 10 e FED, la Collectivité de Saint-Barthélemy participe directement au programme COSME, qui rassemble les 12 PTOM caribéens (Anguilla, Aruba, Bonaire, les îles Cayman, Curaçao, Montserrat, Saba, Saint-Barthélemy, Sint Maarten, Saint-Eustache, les îles Turks et Caïcos et les Îles Vierges Britanniques). Ce programme a pour ambition d'améliorer la compétitivité des PME locales. Il implique, outre les différents gouvernements, les acteurs économiques organisés tels que les chambres de commerce, facilitant les rencontres entre PME des PTOM caribéens. Des études sont ainsi lancées dans divers domaines, en vue de favoriser la diversification économique, d'inciter les PTOM à se doter d'une règlementation favorable aux PME et d'informer les PTOM sur l'importance de la protection intellectuelle. Dans ce cadre, un appel à projets a également été lancé à destination des PME, qui financera des projets de modernisation de ces dernières à hauteur de 10 000 euros.

Le programme TSI ( Territorial Strategies for Innovation ) vise quant à lui à inciter les PTOM à élaborer leur stratégie d'innovation sur la base d'une concertation avec toutes les parties prenantes de leur territoire. Les acteurs de Saint-Barthélemy ont ainsi été mobilisés (CEM, CESC, CTTSB, Association des Hôtels et Villas de Saint-Barthélemy, PME, etc). Chaque PTOM a également nommé un directeur de l'innovation chargé de l'animation locale du dispositif. Pour Saint-Barthélemy, Pascal Peuchot a ainsi été nommé. Les thématiques retenues pour Saint-Barthélemy dans le cadre de ce programme sont le numérique, l'environnement et les énergies renouvelables, poussant à la mise en oeuvre d'une réflexion sur le modèle de la Smart Island . Le programme offre également la possibilité aux PTOM qui le souhaitent de se voir cofinancer la mise en oeuvre d'un projet pilote innovant. Celui de Saint-Barthélemy est l'implantation, dans un parking public, d'une ombrière photovoltaïque pour le rechargement de véhicules électriques, avec pour but d'inciter les acteurs du secteur touristique à mettre en place ce service pour leurs clients et, en fonction du résultat, envisager la pertinence de telles infrastructures sur des surfaces plus importantes.

Saint-Barthélemy participe également à l'élaboration des documents de programmation du 11 e FED, en fournissant les éléments relatifs à son territoire, nécessaires à l'élaboration d'un diagnostic des territoires caribéens concernés. En raison des thématiques prioritaires retenues, l'Agence territoriale de l'environnement de Saint-Barthélemy aura pour mission de s'assurer que les projets portés par l'île pourront s'insérer dans les programmes régionaux et thématiques, tels ceux ayant trait aux énergies renouvelables et à la protection de la biodiversité marine (faisant l'objet d'une dotation de 40 millions d'euros) pour le FED régional. Dans le cadre du FED thématique, plusieurs projets relatifs à la lutte contre les changements climatiques sont en cours de réflexion.

Enfin, Saint-Barthélemy est partie prenante du programme INTERREG V Caraïbes qui vise à favoriser la coopération entre RUP, PTOM et États indépendants du bassin caribéen.

Nous espérons que cet exposé vous aura fait connaître le rôle et l'implication totale de Saint-Barthélemy dans son environnement régional caribéen.

Jean ARNELL, Président de la Chambre consulaire interprofessionnelle de Saint-Martin (CCISM)

La géographie et l'histoire de Saint-Martin ont produit différents facteurs de différenciation de ce territoire dans l'outre-mer français. La situation de Saint-Martin est organisée par un traité datant de 1648, offrant aux deux côtés de l'île une libre circulation des biens et des personnes, mais aussi par le traité de l'espace Schengen, applicable uniquement à la partie française de l'île.

Ces deux traités coexistent et s'opposent. Saint-Martin est une région ultrapériphérique (RUP) et Sint Maarten un pays et territoire d'outre-mer (PTOM). Les deux territoires abritent ainsi des systèmes sociaux, économiques et monétaires différents.

D'un point de vue institutionnel, la collectivité de Saint-Martin exerce désormais l'ensemble des compétences dévolues aux communes, aux départements et aux régions, ainsi que les compétences que l'État français lui a transférées.

Structurellement, l'économie de Saint-Martin repose sur trois secteurs : les services, le commerce et le BTP - tous étroitement liés à l'activité touristique. Au 31 décembre 2015, la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Saint-Martin enregistrait 7 233 entreprises sur le territoire. En 2014, le produit intérieur brut (PIB) par habitant du territoire était estimé à 14 700 euros.

Au cours des onze dernières années, Saint-Martin a connu une forte croissance démographique, passant de 29 000 à plus de 40 000 habitants. Son PIB par habitant a ainsi peu progressé au cours de la période.

Depuis une quinzaine d'année, l'économie de Saint-Martin traverse une crise sans précédent, essentiellement du fait d'une accélération des disparités entre les deux parties de l'île, avec des investissements considérables sur la partie néerlandaise et une sortie de défiscalisation pour la partie française. La capacité d'accueil de Saint-Martin est ainsi passée de 4 500 chambres d'hôtel en 1995 à moins de 1 600 aujourd'hui.

Cette dévalorisation de la mono-industrie touristique de Saint-Martin masque toutefois une réelle dynamique entrepreneuriale. Saint-Martin affiche ainsi un solde net de création d'entreprises positif, un volume d'affaires en progression à l'aéroport de Grand Case, ainsi qu'un trafic de passagers soutenu au niveau du port de Marigot. Autant d'éléments porteurs de perspectives, bien que le bilan ne soit pas pleinement satisfaisant.

La reprise aux États-Unis (principal marché source de Saint-Martin) et le rééquilibrage des taux Euro/Dollar laissent présager, à terme, d'une configuration moins pénalisante pour la partie française de l'île.

Reste à faire en sorte que les acteurs économiques publics et privés en profitent pour initier un développement économique durable et à la hauteur des potentiels du territoire.

La priorité sera d'ouvrir Saint-Martin à l'international, pour ménager l'accès à de nouveaux marchés aux entreprises locales. Dans le cadre de cette stratégie, l'accent sera mis sur une intégration régionale structurée, avec trois points d'ancrage : l'accessibilité, les structures de coopération économique et le capital humain.

Saint-Martin dispose de la meilleure accessibilité de tous les territoires français d'Amérique, par l'air, la mer et l'internet.

Pour ce qui est de la coopération économique, si celle-ci doit servir le développement économique, il convient de s'interroger sur ce qui fonde la valeur que nous produisons, sur son adéquation avec la demande, ainsi que sur la manière dont elle complète l'offre existante sur les marchés cibles.

Dans cette optique, il s'est avéré nécessaire d'examiner le marché caribéen, ainsi que les structures de coopération économique existantes (CARIFORUM, CARICOM/CSME, OECS, régimes douaniers et systèmes monétaires en vigueur).

Les 15 pays du CARIFORUM représentent plus de 26 millions d'habitants, avec un indice de développement humain élevé (hors Haïti), mais un PIB par habitant faible.

Les structures de coopération économique, quant à elles, recouvrent des réalités règlementaires et culturelles différentes de celles des territoires français. Au sein du CARIFORUM, 11 systèmes monétaires et régimes douaniers ont ainsi été recensés, induisant une complexité accrue des échanges économiques.

Dans ce contexte, la coopération économique fait néanmoins apparaître des opportunités, dans le domaine des services notamment, représentant 70 % du PIB des pays du CARIFORUM, à condition de faciliter l'accès aux territoires par de nouveaux accords sur les visas et les séjours.

En s'appuyant sur les points d'ancrage évoqués, nous sommes convaincus de pouvoir contribuer à une plus grande intégration des territoires français d'Amérique dans leur espace naturel.

En termes d'accessibilité, les aéroports et ports de Saint-Martin offrent des liaisons directes vers 11 des 15 pays du CARIFORUM. Trois câbles sous-marins desservent également Saint-Martin, qui pourraient permettre d'offrir des services numériques aux territoires environnants.

L'entreprise Dauphin Telecom a ainsi développé le projet CaribComX, grâce au fonds INTERREG, pour interconnecter de petits opérateurs de télécoms des îles de la Caraïbe et leur permettre de profiter de tarifs locaux. La société Computech, quant à elle, a développé, grâce aux fonds européens et au soutien de la collectivité de Saint-Martin, une offre de data center sur le territoire de Saint-Martin, permettant de servir les entreprises et administrations des îles environnantes. Ces deux projets ont un impact sur l'emploi et le chiffre d'affaires des entreprises qui en sont à l'origine.

L'aménagement numérique de Saint-Martin, au même titre que les extensions du port de Marigot et de l'aéroport de Grand Case, sera aussi porteur d'une meilleure attractivité et d'une meilleure compétitivité.

L'intégration dans les structures de coopération économique soulève quant à elle une problématique institutionnelle. Les collectivités françaises des Amériques ne comptent pas de ministère des affaires étrangères ou du commerce extérieur. Les partenaires nationaux à l'export que sont Ubifrance et la Coface n'oeuvrent pas non plus sur leur territoire. L'intelligence économique manque ainsi pour disposer d'une vision macroéconomique des marchés cibles.

Trois exemples illustrent néanmoins les perspectives en la matière. L'État français, la Collectivité de Saint-Martin, le Royaume des Pays-Bas et le Gouvernement de Sint Maarten ont formalisé un comité de coopération quadripartite leur permettant de réaliser des infrastructures communes, à travers un programme opérationnel transfrontalier.

La Collectivité de Saint-Martin et le Gouvernement de Sint Maarten ont également créé un observatoire de santé commun.

Un guichet export a par ailleurs été constitué par la CCI de Saint-Martin, lui permettant de coopérer avec les CCI des autres territoires.

S'agissant du capital humain, dans l'optique de constituer un « hub » de services pour les îles de la Caraïbe, l'accent devra être mis sur la coopération en matière d'éducation, en adaptant aussi l'apprentissage et la formation professionnelle aux nouveaux enjeux d'un monde plus connecté et plus globalisé.

Je conclurai mon propos en citant la Présidente de la délégation de l'Union européenne au Comité consultatif UE-CARIFORUM, Brenda King : « La croissance du PIB à elle seule ne suffit pas pour évaluer l'impact de la coopération économique. Il est nécessaire de développer aussi des indicateurs qui suivent les incidences sociales et environnementales. Les objectifs des Nations Unies en matière de développement durable (ODD) reflètent très bien les défis auxquels les populations des Caraïbes sont confrontées. Ils doivent constituer le socle de ces indicateurs . »

La coopération économique apparaît ainsi comme une opportunité d'accompagner nos voisins dans un développement durable intelligent et socialement inclusif.

Amazonie
Marie-Joseph PINVILLE, Directeur général de la Chambre de commerce et d'industrie de Guyane

Les sénateurs Antoine Karam et Georges Patient ainsi que le président de la CCI de Guyane, Richard Gabriel ont insisté pour que j'intervienne devant vous. Ils prennent un risque ; j'espère que nos relations à la fin de cette intervention n'en seront pas affectées.

Il y a deux semaines, le président de la CCI de Martinique en présence de Madame la Ministre des Outre-mer George Pau-Langevin avait cité le célèbre « Que faire » de Lénine au cours des manifestations fêtant les 250 ans de présence et d'actions de la CCI à la Martinique.

Il y a une solidarité dans le réseau alors souffrez que je débute mon intervention en citant Nelson Mandela : « Nous avons besoin d'une économie capable de répondre aux besoins du peuple, qui donne aux gens de quoi manger, s'abriter, éduquer les enfants et se soigner, qui permette d'assurer la sécurité et tout ce qui rend la vie humaine et joyeuse au lieu d'une confrontation permanente au désespoir . »

Les intervenants de cette journée ont décrit très clairement les situations tendues que nous vivons. L'actualité nous rattrape, alors que des fièvres sociales s'emparent de Mayotte, alors même que les événements de Guadeloupe et de Martinique ne sont pas si lointains.

Nous évoluons dans un environnement où l'argent se fait rare et où l'entreprise est la seule piste pour lutter contre les dérives et les fractures qui nous guettent. Le monde de l'entreprise doit cependant s'inscrire dans son environnement géographique.

L'histoire de la colonisation, faite de sang et de larmes, ne peut nous faire oublier que nous avons des voisins, avec qui nous devons construire et constituer un vaste marché.

Naturellement, en Guyane, nous pensons à notre grand voisin brésilien. Mais nous pensons également au Suriname et au Guyana, ainsi qu'à Trinidad.

Notre réalité est faite de contraintes, de barrières règlementaires et administratives, avec un différentiel qui nous est défavorable en matière de coût de la main d'oeuvre, ainsi qu'un quasi-enclavement terrestre, maritime et aérien que nous tentons de briser.

La viande brésilienne doit aujourd'hui être expédiée en Europe pour revenir en Guyane et y être vendue à des prix excessifs. Ceci résulte d'une absence de structures pour dédouaner et labelliser les productions. Le problème des assurances se pose également, alors que celles-ci ne sont pas obligatoires au Brésil.

Nous avons pourtant des atouts, à la fois français et guyanais - notre première potentialité étant notre jeunesse.

Nous souhaiterions pouvoir nous développer sur le territoire guyanais, avec la possibilité de transformer des produits pour les réexporter, dans le cadre d'une règlementation adaptée. Aujourd'hui, seules dix entreprises de Guyane sont exportatrices à l'international (au-delà de l'Europe et des Antilles). Les conteneurs qui repartent de Guyane servent davantage à la ferraille et au déménagement des fonctionnaires qu'à l'exportation de produits locaux. Un territoire ne saurait se développer dans ces conditions.

Des opportunités se profilent aujourd'hui, avec la loi sur la diplomatie économique territoriale et l'adhésion de la Guyane aux instances internationales notamment. Les chefs d'entreprises de Guyane devraient cependant pouvoir participer aux discussions autour des différents accords, afin que ceux-ci puissent s'inscrire dans le cadre de relations « gagnant-gagnant ».

Au sein de la chambre de commerce et d'industrie et des organisations professionnelles, nous croyons à la coopération et au développement avec nos voisins. Tel est également le discours du président de la collectivité territoriale de Guyane (CTG), Rodolphe Alexandre.

Et pour être dans la même tonalité qu'au début de l'intervention, je citerai à nouveau Nelson Mandela pour conclure en disant que : « L'espoir est une arme puissante et aucun pouvoir sur Terre ne peut t'en priver . »

Page mise à jour le

Partager cette page