C. TYPOLOGIE DES INTERVENTIONS ENGAGÉES DEPUIS 2008

Établir une typologie des opérations extérieures menées par la France ou auxquelles elle participe depuis 2008 est relativement simple au regard des deux catégories de finalités définies par les Livres blancs.

1. L'absence d'engagement dans des conflits interétatiques

Aucune opération ne correspond à un engagement dans une guerre interétatique. Même l'opération Daman ouverte en 1978, qui consiste à fournir un contingent, à l'heure actuelle, de 850 à 900 militaires pour constituer la force de réserve d'intervention et armer l'État-major de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) 46 ( * ) ne se rattache que très partiellement à cette typologie. Si une partie de la mission de la FINUL consiste à veiller à la paix et à la sécurité sur la frontière entre deux États souverains Israël et le Liban, elle n'est pas belligérante dans ce conflit et sa mission comporte d'autres aspects d'assistance aux forces armées libanaises qui l'apparente davantage à une mission de stabilisation.

Ce constat est en phase avec la diminution observée des guerres interétatiques depuis la fin du XX e siècle 47 ( * ) , à la fois en raison d'une plus grande stabilité de l'ordre international, sans doute également de la dissuasion nucléaire, mais aussi de la construction d'une nouvelle société internationale dans laquelle le développement du droit international, de la démocratie et des échanges et de l'interdépendance entre les différents acteurs, rend le recours à la force plus exceptionnel. Le dernier engagement de la France dans un conflit de cette nature remonte à la guerre du Golfe en 1991.

Le risque n'a cependant pas disparu. Dans certaines parties du monde, au Moyen-Orient 48 ( * ) et en Asie 49 ( * ) , des risques de conflits demeurent et la récente crise entre la Russie et l'Ukraine a montré le caractère relatif de stabilité de l'Europe de l'après-guerre froide. On voit d'ailleurs figurer au titre du financement des OPEX, les opérations d'assistance à la défense de l'espace aérien des pays baltes (opération Air Baltic) ce qui constitue pour eux une mesure de réassurance et depuis 2014 la participation de la France à l'opération de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) de surveillance du cessez-le-feu dans la région de Donetsk en Ukraine à la suite des accords de Minsk 2, (opération Ambre).

2. La quasi-totalité des opérations concernent des conflits internes

Une diminution générale des conflits internes a pu être constatée depuis la fin des processus de décolonisation et la fin de la Guerre froide, qui permettent une intervention plus fréquente des Nations unies dans le règlement des crises . Les progrès politiques et le développement économique, comme l'action dissuasive des tribunaux internationaux à l'encontre des responsables de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité sont aussi des facteurs de réduction de la conflictualité. Il n'en reste pas moins que les risques demeurent importants en raison de la fragilité et de la défaillance de nombreux États notamment en Afrique, au Levant et en Asie, ce qui explique l'intervention des armées de grandes ou de moyennes puissances ou de forces multinationales dans certains conflits internes pour des opérations de rétablissement, de maintien, de stabilisation ou de consolidation de la paix.

S'agissant des interventions militaires extérieures de la France, elles ont été justifiées :

- par des motifs humanitaires, comme la protection des populations civiles menacées. Le souvenir du génocide des Tutsis du Rwanda (1994) et des massacres de Srebrenica (Bosnie, 1995), comme la relation médiatique des exactions commises par des forces régulières ou irrégulières contre des populations civiles constituent une pression forte pour les dirigeants politiques en faveur d'une décision d'intervention, au nom de la responsabilité de protéger.

Ainsi l'intervention Harmattan en Libye en 2011 avait pour premier objectif d'empêcher les troupes de Kadhafi de massacrer les populations en rébellion de la ville de Benghazi, l'opération Sangaris en RCA en décembre 2014 de faire cesser les exactions et affrontements de groupes armés qui auraient pu conduire à une situation de génocide ; un élément déclencheur de l'intervention en Irak contre Daech a été les massacres de populations civiles. Les motifs humanitaires peuvent également conduire au déploiement de forces militaires pour une assistance aux populations après une catastrophe naturelle comme à Haïti à la suite du séisme de 2010, pour fournir une aide médicale aux populations syriennes réfugiés en Jordanie (opération Tamour en 2012-2013) ou aider les services de santé de Guinée à lutter contre la pandémie du virus Ebola de la fin 2014 à l'été 2015 (opération Tamarin) ;

- par la nécessité de mettre un terme à des conflits intérieurs à la demande des autorités d'un pays ou du Conseil de sécurité des Nations unies. La France intervient plus particulièrement dans les pays où elle conserve des intérêts et dont elle se sent proche par une histoire commune. Il s'agit alors de mission de stabilisation pouvant inclure des missions de coercition avec pour objectif de rétablir la sécurité nécessaire à la mise en oeuvre d'un processus de transition démocratique, de rétablissement des institutions et de redémarrage de l'économie et d'engager le désarmement des groupes armés. C'est le propos de la mission Licorne en Côte d'Ivoire de 2002 à 2014, celui de la mission Sangaris en RCA depuis décembre 2013, pour partie celui de la mission Serval au Mali de janvier 2013 au 31 juillet 2014, suivi de Barkhane. Cette mission peut être conduite par une force française agissant en autonomie, en lien avec des forces multinationales des Nations unies ou d'organisations régionales (Mali, RCA, Côte d'Ivoire), au sein d'une coalition (opérations Trident depuis 1998 et Pamir de 2002 à 2012 portant la contribution de la France aux forces déployées par l'OTAN au Kosovo, ou en Afghanistan pour ne prendre que les plus significatives. La France peut fournir également des contingents ou des compétences à des forces mises en place par les Nations unies ou l'Union européenne ;

- lutter contre les groupes armés terroristes qui menacent la stabilité de certains États : opération Serval au Mali, à laquelle a succédé, pour l'ensemble des cinq pays de la Bande sahélo-saharienne, l'opération Barkhane depuis le 1 er août 2014, l'opération Chammal en Irak depuis 2014 et en Syrie depuis 2015 pour soutenir la lutte contre Daech. C'était en partie également le sens de l'intervention française en Afghanistan (Pamir jusqu'en 2012 et Héraklès). On notera que cette lutte trouve également une justification en termes de protection de la population sur le territoire national depuis les attentats de janvier et surtout de novembre 2015, expliquant notamment l'autorisation de prolongation et le durcissement de l'opération Chammal en Syrie.

- apporter du conseil et de la formation permettant aux forces armées ou de sécurité de pays fragiles ou fragilisés de reprendre le contrôle de la situation, souvent au lendemain d'une opération de stabilisation ou de se professionnaliser dans la lutte contre le terrorisme, le crime organisé ou les trafics illégaux. La France intervient, soit directement (deuxième volet des opérations Sabre et Barkhane auprès des pays du G5 Sahel, volet de l'opération Chammal en Irak), soit dans la cadre d'une opération des Nations unies (éléments de la mission de la force Daman au Liban, par exemple) soit au sein de missions de l'Union européenne (EUTM 50 ( * ) Mali, EUTM RCA) ;

- se substituer à des Etats défaillants pour assurer la sécurité en mer : certaines opérations, comme la lutte contre la piraterie maritime dans l'océan Indien, opération Atalante, peuvent également être attachées à cette catégorie, car elles consistent à rétablir la sécurité en mer à la suite de l'incapacité à agir d'un État riverain (la Somalie). L'intervention d'EUNAVFOR 51 ( * ) Sophia en Méditerranée au large de la Libye pour lutter contre les transporteurs d'immigrés clandestins relève de la même logique et bientôt pour contrôler le respect de l'embargo sur les armes à destination de ce pays et limiter l'approvisionnement des filières terroristes.

Il est d'ailleurs intéressant d'observer que les motifs d'interventions sont souvent multiples, ce qui est logique s'agissant de la nature des crises auxquelles sont confrontés les États soutenus (guerre civile avec parfois l'implication de groupes armés affiliés à des organisations terroristes internationales, effondrement des institutions, notamment des forces de sécurité intérieure et de l'armée, crise humanitaire en résultant ou en étant à l'origine). Ils justifient de façon assez stricte une opération militaire. Cette opération n'est pas envisagée que sous ce seul aspect et souvent dans l'urgence sans se placer toujours dans une stratégie explicite à plus long terme.


* 46 La FINUL a été mise en place en mars 1978 par les résolutions 425 et 426 des Nations unies, à la suite de l'invasion du Liban par Israël. Elle avait pour objectifs initiaux de confirmer le retrait des troupes israéliennes du Sud du Liban ; rétablir la paix et la sécurité internationales et aider le gouvernement libanais à rétablir son autorité dans la région. Après la crise de 2006, son mandat a été élargi par la résolution 1701. Elle se voit alors confier les missions suivantes : contrôler la cessation des hostilités, accompagner et appuyer les forces armées libanaises à mesure de leur déploiement dans le Sud du pays, fournir une assistance pour assurer aux populations civiles l'accès à l'aide humanitaire et favoriser le retour volontaire des personnes déplacées dans des conditions de sécurité.

* 47 Bruno Tertrais - « La Guerre », Que sais-je - Juin 2014. Il estime que du point de vue purement statistique, la guerre interétatique a pratiquement disparu.

* 48 Les tensions demeurent entre l'Iran et ses voisins arabes sunnites et avec Israël malgré la signature de l'accord avec la communauté internationale sur le nucléaire avec des implications en Irak, en Syrie et au Yémen.

* 49 La rivalité Inde-Pakistan demeure, les tensions en Mer de Chine sont fréquentes, la Corée du Nord représente un risque pour ses voisins (Corée du sud, Japon).

* 50 European Union Training Mission (Mission de formation de l'Union européenne).

* 51 European Union Naval Force (Force navale de l'Union européenne).

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