LES CONSTATS : UNE INSTITUTION ANCRÉE DANS UNE LONGUE HISTOIRE AUJOURD'HUI MODERNISÉE, MAIS TOUJOURS EN QUÊTE DE LÉGITIMITÉ

I. LE POIDS DE L'HISTOIRE ET UNE DIVERSITÉ DE MISSIONS PARFOIS DIFFICILES À CONCILIER

A. UNE HISTOIRE QUASI MYTHIQUE QUI NOURRIT UNE NOTORIÉTÉ À DOUBLE TRANCHANT

1. Une institution ancrée dans une longue histoire
a) Les origines : une académie créée sous l'Ancien régime pour doter la France de peintres, de sculpteurs et d'architectes rompus au style italien

D'abord installée dans une maison près de Sant'Onofrio, sur les pentes du Janicule, l'Académie de France à Rome fut créée en 1666 sous l'impulsion de Jean-Baptiste Colbert, alors contrôleur général des finances du roi, de Charles Le Brun, premier peintre du roi, et du Bernin, peintre italien invité en France par Colbert en 1664 et de retour à Rome à partir de 1665. L'Académie de France à Rome fait partie des premières grandes institutions culturelles françaises et sa naissance s'inscrit dans le contexte de l'émergence des politiques publiques culturelles , avec notamment la création de l'Académie de royale de danse en 1661 et de l'Académie royale de musique, qui deviendra l'Opéra de Paris, en 1669.

La création de l'académie, qui n'avait pas de précédent en France ni dans les autres pays d'Europe, répondait à une ambition royale : il s'agissait de doter la France d'artistes et d'oeuvres qui n'auraient rien à envier à ceux de l'Italie , alors la référence en la matière. La mise en place d'une telle institution doit également être lue au regard du contexte de lancement de grands travaux : le chantier de Versailles débute en 1668, exigeant la réalisation d'oeuvres nombreuses pour décorer le palais à venir.

D'abord restreinte à la peinture et à la sculpture, la sélection s'ouvrit aux architectes en 1720.

Les pensionnaires de l'Académie de France à Rome étaient, pour la plupart, choisis à la suite d'un concours exigeant la présentation d'une oeuvre et tenus de se consacrer, durant leur séjour, à la copie d'oeuvres de l'Antiquité ou de la Renaissance afin de parfaire leur formation.

Les oeuvres réalisées à l'occasion du concours et qui valaient à leur créateur le prix de Rome étaient exposées à Paris pendant le séjour des pensionnaires à Rome , constituant une occasion de faire connaître leur talent.

b) Une renaissance en 1803 coïncidant avec le déménagement au sein de la villa Médicis et une réorganisation administrative

Supprimée en 1793 à la suite du saccage par des contre-révolutionnaires romains du palais Mancini, dans lequel elle était alors installée après plusieurs déménagements, l'Académie fut rétablie par le Directoire en 1795 mais ses activités ne reprirent réellement qu'au cours de la deuxième moitié du Consulat, en 1803, lorsque la France et la Cour d'Étrurie échangèrent le Palais Mancini contre la Villa Médicis.

Le déménagement de 1803 correspondit également à une réorganisation administrative avec le rattachement de l'Académie de France à Rome à l'Académie des beaux-arts , à qui incombait en particulier l'organisation des concours d'entrée.

L 'élargissement progressif du concours à de nouvelles disciplines se poursuivit : en 1803, le concours d'entrée fut ouvert aux musiciens, puis aux différents types de graveurs en 1804 et 1807.

c) Une réforme de grande ampleur au début des années 1970 sous l'impulsion du ministre de la culture André Malraux

L'institution connaît une réforme de grande ampleur à partir de 1970 et surtout de 1971 1 ( * ) sous l'impulsion du ministre de la culture André Malraux.

L'Académie se détache de la tutelle de l'académie des Beaux-Arts ; l'organisation et les modalités du concours sont remaniées en profondeur : le prix de Rome est supprimé au profit d'une sélection sur dossier et la durée du séjour passe de quatre à deux ans maximum tandis que les disciplines accueillies s'élargissent encore davantage avec l'ouverture de l'Académie aux écrivains, cinéastes, photographes, scénographes, restaurateurs d'oeuvres d'art et historiens de l'art. Le nombre de pensionnaires, définis comme « de jeunes artistes ou chercheurs » auxquels l'Académie permettra « d'acquérir un complément de formation » augmente et passe de douze à vingt-cinq.

Les statuts dont l'Académie est dotée en 1971 2 ( * ) la chargent d'une nouvelle mission : participer aux échanges culturels et artistiques entre la France et l'Italie à travers l'organisation d'expositions, de concerts, de colloques ou de séminaires sur des sujets relevant des arts, des lettres et de leur histoire.

d) En 2012, une réforme des statuts qui tire les conséquences des évolutions du concours et des missions de l'Académie

Une nouvelle modification significative des statuts intervient en 2012. Plusieurs changements sont opérés : d'une part, l'article 2 du décret de 1971 énumérant les missions de l'Académie est complété par l'ajout d'une mission dite « Patrimoine » consistant à « conserver, restaurer, faire connaître et mettre en valeur la Villa Médicis, ses jardins et dépendances, ainsi que les biens culturels qui y sont conservés et dont elle a la garde ».

Les pensionnaires ne sont plus qualifiés de « jeunes » artistes ou chercheurs : la limite d'âge, d'abord fixée à trente ans, avait été relevée de trente-cinq à quarante-cinq ans en 2006 3 ( * ) (cf. tableau ci-après). La limite d'âge devrait d'ailleurs être totalement supprimée à partir du concours 2017-2018 4 ( * ) .

Évolution des limites d'âge pour la procédure de sélection des pensionnaires
de l'Académie de France à Rome

Base juridique

Limite d'âge

Décret n° 70-854

20 ans à moins de 30 ans

Décret n° 72-321

20 ans à moins de 33 ans

Décret n° 79-648

Décret n° 83-536

20 ans à moins de 35 ans

Décret n° 85-160

20 ans sans limitation d'âge

Décret n° 86-233

Décret n° 86-1219

20 ans à moins de 35 ans

Décret n° 2006-63

20 ans à moins de 45 ans

Source : commission des finances du Sénat

La réforme de 2012 dispose également que l'effectif n'est plus fixé à vingt-cinq pensionnaires mais déterminé par arrêté du ministre chargé de la culture. Il tendra globalement à s'établir aux alentours de vingt avec une diminution au cours des dernières années à une quinzaine de pensionnaires. Les relations entre les pensionnaires et l'administration de l'établissement sont encore davantage institutionnalisées : si depuis 1982, deux représentants des pensionnaires pouvaient assister avec voix consultative aux séances du conseil d'administration de l'Académie, les pensionnaires doivent aussi, à partir de 2012, désigner deux délégués pour les représenter auprès du directeur.

Le statut d'hôte en résidence est remanié : alors qu'il désignait aux termes du décret de 1971, dans sa version initiale, des « personnalités françaises ou étrangères du monde des lettres et des arts », ces personnalités constituent désormais une catégorie sui generis et les hôtes en résidence une autre, dont il est seulement indiqué qu'ils sont reçus « pour des séjours de courte durée ».

Loin de l'image surannée qu'elle peut parfois véhiculer, la Villa Médicis a donc connu de façon quasiment continue des réformes portant tant sur le mode de sélection des pensionnaires et leurs conditions d'accueil que sur l'extension des missions lui étant confiées.

La longue histoire dont l'Académie est l'héritière constitue à la fois une chance et un fardeau . Elle contribue certes à asseoir sa légitimité, notamment grâce aux « grands noms » que comptent les prix de Rome, mais oblige aussi l'institution à juger son présent à la lumière de ce passé prestigieux tout en tentant de ne pas s'enfermer dans le souvenir complaisant d'un « âge d'or » désormais révolu et, au demeurant, assez largement mythique - Hector Berlioz, pensionnaire de l'Académie pendant deux ans à partir de 1831, évoque déjà dans ses Mémoires une « impossibilité inexplicable, mais réelle de travailler à l'Académie » et un « spleen dévorant » le rendant « méchant comme un dogue à la chaîne » 5 ( * ) .

Le prestige historique de la Villa Médicis nourrit également une notoriété ambivalente , entre respect de l'institution et critique de son caractère obsolète voire vain.

2. Une notoriété à double tranchant

La célébrité de la « Villa Médicis » - le bâtiment désignant par métonymie l'institution qu'il accueille 6 ( * ) - est paradoxale : il s'agit à la fois d'une institution à la fois connue et mal aimée , qui peine à se défaire d'une réputation de fermeture voire de secret.

L'histoire de l'académie de France à Rome est ainsi marquée par des polémiques récurrentes , dont la presse se fait l'écho, sur la personnalité des directeurs, leurs choix artistiques ou les conditions d'accueil des pensionnaires jugées exagérément favorables. De son côté, votre rapporteur spécial a pu constater que l'annonce de ses travaux sur ce sujet a suscité des questions un peu inquiètes sur les motifs de ce choix, dont certains ont pu penser qu'il se fondait sur des soupçons de malversations ou tout du moins d'irrégularités.

Cette notoriété non dénuée d'ambiguïté , sans équivalent dans les autres résidences françaises d'artistes et de chercheurs à l'étranger, contraste avec le poids budgétaire de l'Académie de France à Rome . En effet, la subvention pour charges de service public allouée par l'État s'élève à 4,6 millions d'euros en 2016 7 ( * ) , soit un montant certes un peu plus élevé que celui alloué à la Casa Velasquez mais plutôt modeste au regard des grands opérateurs du ministère. À titre d'exemple, le centre Pompidou, avec 68,5 millions d'euros chaque année, reçoit une subvention pour charges de service public près de quinze fois supérieure à celle de la Villa Médicis.

En outre, la célébrité de l'Académie de France à Rome est toute relative et demeure partielle : si le nom de « Villa Médicis » paraît bien identifié, en revanche le nom des pensionnaires accueillis, la nature de leurs travaux artistiques, et même plus largement la définition des missions accomplies par l'Académie semblent plus confus, ce qui s'explique peut-être par la diversité de ses activités et leur caractère parfois contradictoire.


* 1 À travers une série de trois décrets : le décret n° 70-854 du 16 septembre 1970 fixant les conditions d'admission à l'académie de France à Rome, le décret n° 71-1140 du 21 décembre 1971 portant application du décret du 1 er octobre 1926 conférant la personnalité civile et l'autonomie financière à l'académie de France à Rome, et le décret du 26 avril 1972.

* 2 Par le décret précité du 21 décembre 1971.

* 3 Décret n° 2006-63 du 20 janvier 2006 modifiant le décret n° 86-233 du 18 février 1986 fixant les conditions d'admission à l'académie de France à Rome.

* 4 Le communiqué de presse relatif au concours de sélection des pensionnaires 2016-2017 indique que « Avec le ministère de la culture et de la communication, l'académie de France à Rome est engagée dans la modification du décret fixant les conditions d'admission (décret n° 86-233 du 18 février 1986), afin de supprimer les limites d'âge actuellement en vigueur. Cette réforme s'appliquera à partir de l'année prochaine ».

* 5 Chapitre 36 des Mémoires d'H. Berlioz.

* 6 Dans la suite du présent rapport, les termes « académie de France à Rome », « Académie », « Villa Médicis » et « Villa » seront utilisés indifféremment pour désigner l'Académie de France à Rome. Lorsqu'il s'agira de qualifier le bâtiment, c'est la « villa » (sans majuscule) qui sera évoquée.

* 7 Projet annuel de performances 2016 de la mission « Culture ».

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