AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le protocole dit « PPCR » pour « modernisation des parcours professionnels, des carrières et des rémunérations » a été signé à l'automne 2015 par cinq syndicats (CFDT, CFTC, CGC UNSA et FSU) représentant 49 % des personnels de la fonction publique.

Il a été précédé d'une quarantaine de réunions thématiques entre les organisations syndicales et les employeurs publics représentés au Conseil commun de la fonction publique.

Comme indiqué, le protocole n'a pas recueilli l'approbation de trois organisations (CGT, FO, Solidaires) de sorte qu'il ne peut être considéré comme un accord au sens formel du terme, puisqu'il n'a pas réuni la majorité exigée. Toutefois, dans la fonction publique d'État, ce seuil a été dépassé (59 % des suffrages).

En toute hypothèse, le Premier ministre a annoncé sa décision d'appliquer l'intégralité des mesures du protocole à l'ensemble des fonctionnaires.

Cette décision a trouvé une traduction dans la loi de finances pour 2016 avec l'article 148 qui a transposé dans la loi certains aspects importants de l'accord.

Celui-ci a ouvert un lourd chantier réglementaire déjà concrétisé par une série de décrets publiés au mois de mai 2016.

Enfin, des groupes de travail ont été réunis pour arrêter la portée exacte de certaines clauses du protocole.

Ainsi, si celui-ci a d'ores et déjà connu des prolongements pratiques d'ampleur, tout n'est pas définitivement arrêté.

C'est dans ces limites que votre rapporteur spécial vous propose une évaluation des effets du protocole centrée sur son impact sur les équilibres des régimes de retraite des fonctionnaires et son prolongement sur la capacité de financement des administrations publiques.

Les mesures prévues par le protocole auront pour effet, par la revalorisation des grilles indiciaires, qui est leur objet même, d'élever les rémunérations sur lesquelles les mécanismes du régime des pensions publiques sont appliqués.

En cela, le protocole contraste avec la tendance qui voit une part de plus en plus élevée des rémunérations des fonctionnaires exclue du régime de base des pensions publiques.

Cependant, alors que la déformation de la structure des rémunérations publiques au profit des éléments indemnitaires, en réduisant la prégnance du régime des pensions publiques, a créé une situation de relative marginalisation de l'assurance vieillesse de base des fonctionnaires, le protocole ne devrait pas modifier substantiellement cet effritement progressif.

Ce n'est pas à dire que le protocole sera sans effet sur les équilibres des régimes de retraite du secteur public, ni sur les situations individuelles des retraités de la fonction publique.

Il ressort des simulations réalisées à la demande de votre rapporteur spécial que le protocole devrait exercer des impacts globaux sur les régimes et des effets individuels sur leurs affiliés, qui ne sont pas négligeables.

Pour autant, par l'ampleur limitée de la reconquête des éléments indiciaires de rémunération qu'il concrétise, le protocole PPCR ne devrait qu'atténuer les effets de son effacement sur l'économie des retraites de la fonction publique.

I. LE CONTEXTE DU PROTOCOLE : UN RECUL DU RÔLE DE LA GRILLE INDICIAIRE QUI AFFAIBLIT LA PORTÉE DES RÉGIMES DE BASE DE RETRAITE DU SECTEUR PUBLIC

Le protocole de modernisation des parcours professionnels, des carrières et des rémunérations (PPCR) a pour effet de revaloriser la grille indiciaire de la fonction publique.

En ce sens, il énonce, tout d'abord, un principe de priorité accordée aux revalorisations indiciaires dans les processus futurs d'amélioration des rémunérations mis en oeuvre dans la fonction publique, il procède à des ajustements des grilles allant dans le sens d'une revalorisation de celles-ci et enfin prévoit une conversion de primes en points d'indice.

De ce fait, il contraste avec une évolution qui a vu la composante indiciaire des rémunérations débordée par le foisonnement de régimes indemnitaires censés refléter les particularités des missions exercées par telle ou telle administration et, de plus en plus au cours du temps, introduire des éléments d'individualisation des salaires à mesure que se déployait « l'esprit » de performance dans la fonction publique.

Il convient de s'attarder un peu sur ces évolutions dans la mesure où, les régimes de pensions publiques ne couvrant pas les primes et indemnités, ni en recettes, ni en dépenses, elles ont réduit l'étendue pratique de ces régimes et, par-là, créé des situations problématiques auxquelles le protocole PPCR devrait apporter une forme d'atténuation.

A. LES RÉMUNÉRATIONS PUBLIQUES SONT MARQUÉES PAR LA PLACE CROISSANTE DES ÉLÉMENTS « INDEMNITAIRES », TENDANCE SYNONYME DE RÉDUCTION DU CHAMP D'APPLICATION DES RÉGIMES DE PENSIONS PUBLIQUES QUE LE PROTOCOLE ENTEND INFLÉCHIR

1. Un tiers des rémunérations publiques serait hors régimes des pensions publiques

Dans son rapport sur la maîtrise de la masse salariale de l'État 3 ( * ) , votre commission des finances, s'appuyant sur le panorama très éclairant dessiné sur ce point par la Cour des comptes 4 ( * ) , en appelait à la rationalisation nécessaire du « maquis » des primes et indemnités.

Elle y relevait que, dans un contexte où la complexité des régimes indemnitaires masque d'importantes disparités entre corps et entre ministères, les variations des primes et indemnités sont moins corrélées aux fonctions exercées, aux sujétions, à l'expertise et aux résultats des agents qu'à leur appartenance statutaire.

De plus, elle mettait en évidence la forte croissance de la contribution des primes à la rémunération des agents , évoquait le « maquis » des régimes indemnitaires et soulignait l'hétérogénéité de ces régimes .

Selon la Cour des comptes, les primes ont connu une progression forte et supérieure à celle des traitements indiciaires de sorte que leur part dans les rémunérations versées aux agents de la fonction publique d'État a suivi une tendance ascendante.

Les éléments indemnitaires représenteraient désormais pour la fonction publique d'État 30 % de la rémunération principale.

La Cour des comptes mentionne, en particulier, que le différentiel de croissance des différentes composantes des rémunérations des fonctionnaires peut s'expliquer par les économies qu'il procure pour les employeurs, dont les contributions sociales, calculées sur les seuls éléments indiciaires (hors exception), se trouvent par-là limitées.

À l'évidence, cette observation vaut tout particulièrement pour les pensions.

Votre rapporteur spécial ajoute que ce choix réduit la contribution de l'ensemble des parties prenantes, employeurs mais aussi « salariés ».

Certes, cet allègement est susceptible d'avoir pour pendant une minoration des pensions versées, mais cet enchaînement théorique appelle des vérifications fines que seules des analyses approfondies des politiques salariales conduites par les employeurs publics permettraient de fournir.

Il conviendrait en particulier d'analyser précisément les évolutions indiciaires effectives des fins de carrière qui peuvent donner lieu à des attributions de points d'indices destinées à améliorer les taux de remplacement particulièrement bas dans la fonction publique, en particulier pour certains cadres.

Les conditions de liquidation des pensions publiques favorisent d'une certaine manière ce type de gestion dans la mesure où les pensions publiques sont assises sur le dernier traitement perçu au cours des six mois précédant le départ en retraite, observation qui n'équivaut pas à attribuer à cette règle un effet automatique d'élévation du taux de remplacement par rapport aux régimes des salariés privés. 5 ( * )

Extraits de l'étude de la Cour des comptes sur la dynamique des primes

La part des primes et indemnités dans la rémunération totale des agents est en augmentation rapide. Pour les agents de l'État, la part moyenne des primes augmente au fil des générations et au cours de la carrière (avec l'indice).

Le rapport entre les primes et la rémunération principale (taux de prime) versées sur le titre 2 a ainsi atteint 30 % en 2013 contre 25,3 % en 2006.

Cette augmentation de la part indemnitaire au détriment de la part indiciaire s'explique par la conjonction de plusieurs facteurs :

- une compensation de la modération puis du gel de l'augmentation de la valeur du point qui a incité les ministères à utiliser l'outil indemnitaire pour compenser en partie le ralentissement du pouvoir d'achat ;

- une politique de ressources humaines qui vise à individualiser davantage les rémunérations ;

- la politique de « retour catégoriel » menée en contrepartie du non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux qui a encouragé les mesures indemnitaires ;

- la négociation collective dans la fonction publique qui ne traite que de l'indiciaire, laissant davantage de marges de manoeuvre pour ouvrir l'éventail des rémunérations via l'indemnitaire ;

- le fait qu'une augmentation des primes et indemnités est relativement moins coûteuse pour l'employeur que celle de la rémunération principale car les cotisations sociales afférentes sont moindres.

Source : Cour des comptes, rapport précité

La Cour des comptes relève que le dynamisme de la part indemnitaire des rémunérations s'observe également dans la fonction publique territoriale (FPT) pour laquelle elle indique avoir constaté une croissance, de 15,1 % depuis 2009, des dépenses liées aux régimes indemnitaires et d'heures supplémentaires si bien que le régime indemnitaire représenterait désormais en moyenne 18,6 % de la rémunération brute des titulaires de la FPT .

La tendance serait comparable dans les établissements publics de santé pour les personnels non médicaux, les primes ayant augmenté de 12,3 % entre 2007 et 2012 contre 9,5 % pour la rémunération principale.

Au total, le relatif effacement du rôle de la grille indiciaire dans les rémunérations publiques conduit à réduire la portée des régimes de retraite de base à proportion de l'ampleur des régimes indemnitaires.

Se trouve ainsi consacrée une situation de fait où l'assurance vieillesse que ces régimes prennent en charge ne couvre plus qu'une partie des revenus des fonctionnaires.

Cette configuration est équivalente à un choix de politique publique consacrant un système de retraite à plusieurs étages tel qu'il se répand dans un nombre de plus en plus grand de pays.

Au demeurant, le législateur a accompagné ces évolutions en organisant des régimes complémentaires et en favorisant l'épargne prévoyance des fonctionnaires.

Ces tendances, auxquelles le PPCR apporte une inflexion, on le verra, modérée, mériteraient une évaluation d'ensemble au regard de la soutenabilité des régimes de base mais aussi de l'équité de l'économie globale des retraites publiques.

2. Un effet opacifiant et discriminant

La composante indemnitaire de la rémunération des fonctionnaires n'est évidemment pas sans justification. Elle permet de moduler les rémunérations versées aux fonctionnaires en accord avec les objectifs poursuivis par les employeurs publics et offre en ce sens une forme de souplesse que ne présentent pas les éléments de rémunération plus rigides assis sur la grille indiciaire.

Cependant, à force de mesures catégorielles, de négociations ministérielles ponctuelles et dans un cadre calqué sur l'architecture des échelles de perroquet, la progression des éléments indemnitaires, comme instruments les plus sollicités de la politique salariale dans la fonction publique, a conduit à créer un « maquis », selon l'expression de la Cour des comptes, et des inégalités peu justifiables.

En écho à ces observations, il ressort que la prégnance des régimes de retraites publiques est affectée par la diversité des situations de rémunération, dans des conditions à la fois peu transparentes et très disparates .

a) Le « maquis » des régimes indemnitaires

En ce qui concerne la transparence des rémunérations, la Cour des comptes évoque le « maquis » des régimes indemnitaires de la fonction publique.

Extraits de l'étude de la Cour des comptes consacrés au « maquis »
des régimes indemnitaires

La Cour des comptes a noté que « si les grandes entreprises gèrent une centaine de règles de paye, l'État rémunère ses agents sur la base de 1 500 éléments de paye distincts, chacun susceptible d'être diversement décliné suivant les ministères ». Les éléments communs à l'ensemble des fonctionnaires (traitement brut de base, supplément familial de traitement, indemnité de résidence, etc.) n'en constituent qu'une petite partie, les autres étant spécifiques à des corps, des ministères, des fonctions ou des zones géographiques particuliers.

Les trois quarts de ces primes et indemnités sont tellement particulières que le montant versé n'excède pas un million d'euros pour chacune d'elles. Leurs modalités d'attribution sont mal connues de la direction du budget et de la DGAFP et le projet abandonné d'un « opérateur national de paye » avait d'ailleurs pour objectif, entre autres, de limiter les pratiques irrégulières, car ne reposant sur aucun texte réglementaire, que les ministères entretiennent dans l'opacité.

Des observations analogues vaudraient pour les fonctions publiques territoriales et hospitalières.

b) Une source d'hétérogénéité peu justifiée se prêtant à des gestions opportunistes des carrières destinées à optimiser les avantages de retraite

• Quant à l'hétérogénéité des régimes indemnitaires, elle révèle une situation des rémunérations publiques plus inégalitaire que celle résultant des seuls traitements de base, communs aux fonctionnaires de l'État.

Déjà, le rapport sur la fonction publique publié en octobre 2013 soulignait qu' « au-delà de l'éclatement du paysage indemnitaire, les inégalités indemnitaires entre ministères employeurs demeurent » , et se sont même accrues ces dernières années, sous l'effet du « retour catégoriel » qui a accompagné la mise en oeuvre de la politique dite « du un sur deux ». 6 ( * )

La Cour des comptes relève que l'information sur ces points n'est ni exhaustive ni précise.

Elle suggère, à partir d'exemples ponctuels, que la part des primes dans la rémunération des agents, à niveau hiérarchique équivalent, peut varier du simple au double d'un ministère à l'autre, les écarts résultant moins des différences de corps que des différences de rattachement ministériel.

Elle mentionne la situation particulière des enseignants , qui bénéficient peu de primes (excepté toutefois celles liées aux heures supplémentaires) et pour lesquels le taux de prime est particulièrement bas (12,1 % en 2012).

En revanche, elle fait valoir l'importance des primes accordées aux agents des catégories actives (emplois présentant un risque particulier ou de fatigues exceptionnelle justifiant un départ anticipé à la retraite), avec un taux de prime de 54 %.

En outre, le taux de prime des agents de direction et d'encadrement supérieur (catégorie A+) atteint le niveau considérable de 86 %.

La Cour des comptes s'interroge particulièrement sur des comparaisons portant sur les professions intermédiaires.

Pour ceux de catégorie A, elle note que le taux de prime8 est de 5 % pour les professeurs des écoles , de 18 % pour les professeurs de lycée professionnel, de 11 % pour les professeurs de collège d'enseignement général et de 47 % pour les lieutenants et capitaines de police .

Pour les professions intermédiaires de catégorie B , il est de 26 % pour les greffiers , de 38 % pour les secrétaires administratifs et de 40 % pour les corps d'encadrement de l'administration pénitentiaire .

De son côté, votre commission des finances a pu mesurer en plusieurs occasions l'existence de régimes indemnitaires significativement dissemblables pour des fonctions analogues .

Il en était allé ainsi dans le cadre des projets de regroupement des réseaux du ministère de l'économie et des finances dont les différentes administrations concernées bénéficiaient de régimes indemnitaires très inégaux. Cette situation était particulièrement favorisée par le contexte de très grande opacité des régimes indemnitaires de la direction générale des impôts et de la direction générale de la comptabilité publique (d'où est issue la DGFIP) dû à un emploi particulièrement discutable de rattachements de fonds de concours ne correspondant nullement aux conditions énoncées pour ce type de ressources.

Plus récemment, les regroupements de services effectués dans le cadre de la RéATE ont pu procéder à la fusion de personnels exerçant les mêmes missions mais sous des régimes indemnitaires plus ou moins favorables avec des conséquences peu souhaitables sur les climats de travail.

• Dans le cadre du présent rapport, les interrogations sur la légitimité des écarts entre les primes des uns et des autres sont un peu secondes sinon par les répercussions qu'elles peuvent avoir sur les équilibres financiers et sur l'équité des systèmes de retraite.

L'exclusion des primes du mécanisme de détermination des pensions n'est pas illogique d'un point de vue théorique mais se trouve parfois contournée par des pratiques que, dans une mesure très limitée, l'accord PPCR rationalise.

On justifie que les primes ne soient pas généralement intégrées dans l'assiette de liquidation des pensions par des arguments un peu techniques.

Outre qu'elles ne sont théoriquement pas acquises inconditionnellement, il faut aussi tenir compte que leur prise en compte déséquilibrerait la logique de calcul des pensions servies par les régimes publics. Elle conduirait à réputer des primes acquises, à raison de conditions variables dans le cours d'une carrière, comme des éléments stables de la rémunération ce qui viendrait désorganiser l'effort contributif demandé aux pensionnés de la fonction publique.

L'on doit cependant relever que par l'intermédiaire de majorations appliquées aux seuls éléments stables de la rémunération des agents, certains régimes de retraite réalisent une forme d'intégration des primes à l'assiette de liquidation des pensions sans que celles-ci ne fassent l'objet de cotisations.

Un exemple simple permet de mesurer les effets d'une gestion opportuniste des composantes des salaires publics en termes d'équilibre financier pour les régimes de retraite et d'équité pour les fonctionnaires.

Soit deux agents percevant, au cours de leur carrière, une rémunération moyenne de 100 dont l'un (x) reçoit 50 de primes et 50 de revenu indiciaire et l'autre (y) 100 de rémunérations indiciaires, mais qui, en fin de carrière convergent vers une même situation indiciaire, égalisant leurs assiettes de pension, le premier agent se trouve favorisé dans la mesure où il aura cotisé deux fois moins que le second au cours de sa carrière. Son employeur le sera également.

Ces pratiques qui demanderaient un examen systématique sont coûteuses pour les régimes de retraite dans la mesure où elles induisent des surcoûts liés à l'élévation du niveau de la base liquidative. L'impact générationnel du protocole PPCR illustre, à sa manière, ce problème (voir infra ).

Par ailleurs, elles peuvent contrarier l'objectif d'équité horizontale, voire l'équité verticale dès lors qu'elles se trouveraient concentrées sur les indices les plus élevés.


* 3 « La maîtrise de la masse salariale de l'État », rapport n° 675 du 9 septembre 2015 (2014-2015) de M. Albéric de Montgolfier. Sénat. Commission des finances.

* 4 « La masse de l'État, enjeux et leviers », Cour des comptes. Juillet 2015.

* 5 De fait, selon la lettre n° 12 du Conseil d'orientation des retraites, le taux de remplacement est supérieur dans les régimes privés.

* 6 Rapport sur la fonction publique remis au Premier ministre. MM. Bernard Pêcheur, Pascal Trouilly et Nicolas Labrune, membres du Conseil d'État.

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