B. LES QUATRE UNIONS

1. L'Union économique

Les cinq présidents insistent sur la nécessité pour les États de mettre en oeuvre des politiques économiques leur permettant de répondre rapidement à un choc conjoncturel. Celles-ci devraient s'appuyer sur le marché intérieur, qu'il convient d'approfondir et d'achever, des secteurs-clés comme l'énergie, le numérique ou les marchés de capitaux ne faisant pas encore l'objet d'une véritable dimension européenne. Il s'agit aux yeux des cinq présidents de lever les obstacles politiques bloquant l'évolution vers une plus grande intégration économique. Il conviendra, dans le même temps, de mener à bien des réformes dites structurelles au sein des États membres afin de moderniser leurs économies.

La première phase doit permettre, à ce titre, un alignement sur les meilleures pratiques et les meilleures performances. La deuxième phase doit, quant à elle, aboutir à une formalisation du processus de convergence. Il s'agira d'établir de façon conjointe des critères ayant un caractère juridique. Leur respect conditionnera l'accès aux instruments financiers mis en place dans le cadre de l'Union budgétaire.

L'Union économique pourrait prendre pour fondement le Pacte pour l'euro plus, adopté en mars 2011 à l'initiative du couple franco-allemand, qui vise à renforcer la coordination des politiques économiques 1 ( * ) . Il est axé sur quatre priorités : la compétitivité, l'emploi, la viabilité des finances publiques et le renforcement de la stabilité financière 2 ( * ) . Le caractère non contraignant du dispositif et la logique intergouvernementale qui le sous-tend ont, pour l'heure, limité son application.

Le rapport des cinq présidents insiste, de fait, sur la nécessité de passer d'une logique de pacte à celle d'un processus concret et contraignant. Il établit, dans cette optique, quatre axes de travail qui devraient être poursuivis au cours de la première phase :

- Comme envisagé dans le Pacte pour l'euro plus , chaque État membre de la zone euro devrait ainsi mettre en place une autorité de la compétitivité . Cette autorité indépendante serait en charge du suivi des politiques et des performances en matière de compétitivité et d'évaluer, notamment, l'alignement du niveau des salaires sur la productivité globale. Un système européen d'autorités de la compétitivité rassemblerait les organes nationaux et la Commission européenne en vue de coordonner leurs actions sur une base annuelle. Il contribuerait également au semestre européen, tant en ce qui concerne l'examen annuel de croissance que la procédure visant les déséquilibres macroéconomiques. Le rapport des cinq présidents insiste, par ailleurs, sur le fait que l'objectif poursuivi n'est pas l'harmonisation des pratiques en matière de formation des salaires. Il invite à s'inspirer des organismes existants en Belgique ou aux Pays-Bas ;

- Le rapport insiste également sur le renforcement de la procédure visant les déséquilibres macro-économiques, afin de détecter lesdits déséquilibres mais aussi encourager les réformes structurelles. Le volet correctif devrait, à cet effet, être mis en oeuvre de manière « résolue » et concerner également les pays disposant d'excédents de la balance courante, imputables à un faible potentiel de croissance ou à une demande intérieure faible. La procédure doit disposer d'une portée globale en visant les déséquilibres concernant l'ensemble de la zone, notamment en matière commerciale ;

- Les cinq présidents entendent mettre en oeuvre une surveillance accrue de l'emploi et des indicateurs sociaux. Les questions sociales sont, en effet, considérées comme une des priorités du semestre européen. Si le document insiste sur l'absence de modèle unique en la matière, il liste les défis communs : contrats de travail flexibles et sûrs, allègement de la fiscalité du travail, apprentissage, formation professionnelle et aide au retour à l'emploi, alignement de l'âge de départ en retraite sur l'espérance de vie. Deux objectifs doivent être poursuivis : le premier concerne l'établissement d'un socle de protection sociale, et le second l'intégration plus poussée des marchés du travail. Celle-ci passe par un accroissement de la mobilité géographique via une meilleure reconnaissance des qualifications professionnelles, l'optimisation de la coordination des régimes de sécurité sociale, et un accès plus ouvert pour les non nationaux aux emplois du secteur public ;

- Le semestre européen doit, parallèlement, être rénové afin de renforcer la coordination des politiques économiques. Il s'agit de poursuivre la réforme de cette procédure en vue de la simplifier, de la recentrer sur quelques priorités et de laisser du temps au débat. Les recommandations devront à la fois être ambitieuses, concrètes et politiques, et contenir des objectifs précis et un calendrier de mise en oeuvre. L'Eurogroupe doit jouer un rôle de coordinateur dans la procédure afin de responsabiliser les États membres. Un accent devra être mis parallèlement en place sur l'étalonnage et les meilleures pratiques. Le semestre européen devra par ailleurs porter plus nettement sur un examen de la situation globale de la zone euro, puis une étude pays par pays. Une optique pluriannuelle devra également être mise en avant.

La seconde phase devrait porter sur la consolidation des acquis obtenus dans ces quatre chantiers. Le rapport des cinq présidents envisage ainsi l'adoption d'un ensemble de normes de haut-niveau, communes aux États membres de la zone euro. Elles porteraient sur la compétitivité, le marché du travail, l'environnement des entreprises, certains aspects de la politique fiscale, à l'image de l'assiette de l'impôt sur les sociétés.

2. L'Union financière

L'ambition affichée est de parvenir à la mise en place d'un système bancaire unifié permettant à la fois une transmission optimale des décisions de politique monétaire et une sécurisation des dépôts en cas de crise. Il s'agit dans le même temps de rompre le lien entre dégradation de la situation des banques et aggravation de la dette souveraine. Le rapport insiste en conséquence sur la diversification du risque entre les pays, la réduction de son coût et la mutualisation de celui-ci . L'Union financière doit être effective au cours de la première phase. Elle reposera sur deux piliers :

- L'Union bancaire, dont le rapport des cinq présidents attend la finalisation via la transposition complète de la directive relative au redressement des banques et à la résolution de leurs défaillances, la mise en place du Fonds de résolution unique au 1 er janvier 2016, et l'institution d'un système européen de garantie des dépôts. Le rapport souligne que ce dispositif sera le plus long à mettre en oeuvre. Il devrait reposer sur des contributions versées par les banques participantes. Il conviendra, au-delà, de réfléchir à la participation du mécanisme européen de stabilité à la recapitalisation des banques, les critères d'éligibilité apparaissant pour l'heure trop restrictifs. Au-delà de ces instruments, le rapport insiste sur la nécessité de prévenir les risques bancaires et de limiter l'exposition des établissements financiers aux titres souverains, en s'appuyant, notamment, sur les travaux du Comité européen des risques systémiques (CERS) et sur la Banque centrale européenne ;

- L'Union des marchés de capitaux répond, de son côté, à plusieurs objectifs : diversification des sources de financement, meilleur partage des risques entre les secteurs privés des États membres, et plus grande intégration des marchés des obligations et des actions. L'ambition affichée est de parvenir à ce que les établissements financiers disposent de structures adaptées pour la gestion des risques. Dans le même temps, le rapport insiste sur la nécessité d'adopter de nouvelles mesures législatives visant le droit de la faillite, l'harmonisation des pratiques comptables, le marché européen de la titrisation ou la simplification des prospectus.

3. L'Union budgétaire

L'Union budgétaire est censée répondre à deux objectifs : garantir la viabilité de la dette publique et permettre le bon fonctionnement des stabilisateurs économiques. La crise de la dette souveraine a, selon les cinq présidents, souligné l'insuffisance des stabilisateurs budgétaires. Dans ces conditions, le rapport insiste sur la mise en place d'un tel dispositif à l'échelle européenne. Celle-ci aura néanmoins pour préalable le renforcement de la convergence économique, de l'intégration financière et de la coordination des budgets nationaux.

La première phase doit, à ce titre, être consacrée au renforcement du cadre établi par le Six Pack , le Two Pack et le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance.

Le Six Pack, le Two Pack et le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance

Le Six Pack est un "paquet législatif" de cinq règlements et d'une directive, adopté en décembre 2011. Il concerne les volets préventif et correctif du pacte de stabilité et de croissance, entré en vigueur en 1997. La procédure de déficit excessif vise désormais un État dont l'endettement dépasse 60 % du PIB d'un État, même si son déficit se situe en dessous des 3 %. L'écart entre son niveau de dette et le seuil de 60 % doit par ailleurs être réduit de 1/20ème chaque année.

Le Two pack est un "paquet législatif" comprenant deux règlements destinés à renforcer le contrôle des budgets nationaux et renforcer la surveillance des États rencontrant des difficultés. Il est entré en vigueur le 30 mai 2013. Il permet à la Commission européenne d'avoir accès, dès le 15 octobre, au projet de budget de l'année suivante de chaque État membre, avant qu'il ne soit soumis au Parlement. Elle vérifiera alors si les États respectent les recommandations adoptées dans le cadre du semestre européen, sous peine de sanction. La Commission peut, en outre, proposer de placer sous surveillance renforcée un pays exposé à de sérieuses difficultés financières ou bénéficiant déjà d'un programme d'assistance financière de l'Union européenne. Cette décision est alors prise par le Conseil à la majorité qualifiée. Un État placé dans cette situation devra adopter, en concertation avec la Commission et la Banque centrale européenne, des mesures visant à remédier aux causes de ses difficultés, et remettre un rapport trimestriel. La Commission aura accès, en outre, aux comptes et informations du secteur bancaire.

Les États membres placés en procédure de déficit excessif sont désormais tenus de se conformer aux recommandations spécifiques que leur adressera le Conseil. Des sanctions financières sont prévues pour les États membres de la zone euro. Celles-ci sont graduées allant du dépôt d'une somme équivalent à 0,2 % du PIB de l'État concerné à une amende. Pour déroger à cette sanction, un État doit désormais réunir une majorité qualifiée (principe de la majorité qualifiée inversée).

Le volet préventif du pacte de stabilité et de croissance fixe désormais pour les États membres des objectifs budgétaires spécifiques à moyen terme (OMT) visant à assurer la soutenabilité des finances publiques. Là encore un système d'amende est mis en place en cas de d'écart majeur avec l'OMT.

Le paquet introduit également une procédure de déséquilibre macro-économique excessif, destiné à identifier un certain nombre de risques pesant sur l'économie d'un État membre.

Signé par 26 États membres de l'Union européenne - le Royaume-Uni et la République tchèque n'ayant pas souhaité l'adopter -, le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, ou Pacte budgétaire européen, est entré en vigueur le 1 er janvier 2013. Il vise à renforcer la coordination des politiques budgétaires des États parties et d'améliorer la gouvernance de la zone euro. La principale innovation du Traité tient à l'introduction en droit national d'une "règle d'or" budgétaire de valeur constitutionnelle, aux termes de laquelle le déficit structurel des États membres ne peut dépasser 0,5 % de leur PIB. Le seuil de 0,5 % ne s'impose pas immédiatement. La règle est en effet considérée comme respectée si le déficit structurel annuel correspond aux prévisions du gouvernement transmises à la Commission via le programme de stabilité quadriennal. Ce programme fixe un objectif à moyen terme (OMT), défini en termes de solde structurel. Le contrôle de la mise en oeuvre de la règle d'équilibre budgétaire doit être assuré par un organe national indépendant, dont l'existence est déjà évoquée dans le Two pack . Le TSCG reprend également une disposition du six pack selon laquelle les États membres de la zone euro dont la dette publique dépasse 60 % du PIB doivent réduire celle-ci de 1/20 e par an. Le Traité institutionnalise enfin la gouvernance de la zone euro, en créant des sommets de la zone euro qui se tiendront deux fois par an, en prévoyant l'élection d'un président desdits sommets. L'article 13 évoque un contrôle parlementaire de l'application du traité, au travers d'une conférence réunissant députés européens et parlementaires nationaux, dite « conférence de l'article 13 ».

Les cinq présidents souhaitent la mise en place d'un Comité budgétaire européen consultatif, chargé de coordonner et d'épauler les conseils budgétaires nationaux déjà mis en place, à l'instar du Haut conseil pour les finances publiques en France. Composé d'experts, il fournirait au niveau européen, une évaluation publique et indépendante des budgets nationaux à l'aune des recommandations adressées par le Conseil. Cet avis alimenterait le semestre européen.

La deuxième phase est considérée par les cinq présidents comme l'aboutissement du processus de convergence avec la mise en place d'un mécanisme de stabilisation budgétaire pour la zone euro. Il reviendra à un groupe d'experts de présenter les contours de ce dispositif. Si le format du futur mécanisme n'est pas définitivement arrêté, les cinq présidents souhaitent :

- qu'il soit ouvert et transparent pour tous les États membres ;

- qu'il ne se résume pas à un instrument de gestion de crise, le Mécanisme européen de stabilité n'ayant pas vocation à disparaître, mais bien qu'il contribue à prévenir les crises ;

- que son utilisation soit conditionnée au respect des règles de coordination budgétaire établies durant la première phase ;

- qu'il ne conduise pas à des transferts permanents entre pays ni à des transferts à sens unique ;

- qu'il contribue à des projets d'investissement au sein de la zone euro, s'appuyant dans un premier temps sur le Fonds européen d'investissement stratégique mis en place dans le cadre du plan Juncker.

4. L'Union politique

L'approfondissement de l'Union économique et monétaire va de pair, selon les cinq présidents, avec un renforcement de sa légitimité démocratique. Un certain nombre de mesures sont ainsi à prendre dès la première phase en exploitant, notamment, les dispositions contenues dans le Traité sur la stabilisation, la coordination et la gouvernance ou le Two Pack : intensification du dialogue avec les parlements nationaux dans le cadre de la semaine parlementaire européenne, ou audition par les parlements nationaux des commissaires au moment de la présentation de l'avis de la Commission sur le budget d'un État ou de la publication d'une recommandation dans le cadre de la procédure pour déficit excessif.

Le rapport propose, dans le cadre d'un semestre européen rénové, que la Commission européenne soit auditionnée au Parlement européen avant et après l'examen annuel de croissance et la publication des recommandations pays. La Commission comme le Conseil sont par ailleurs invités à participer aux réunions interparlementaires sur ces sujets, notamment dans le cadre de la semaine parlementaire.

Les cinq présidents souhaitent enfin que la zone euro soit représentée à l'extérieur, au sein du Fonds monétaire international par exemple.

À terme, c'est-à-dire au cours de la seconde phase, les cinq présidents souhaitent que les textes de nature intergouvernementale - pacte euro plus, traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, Mécanisme européen de stabilité, accord sur le Fonds de résolution unique - soient intégrés dans le cadre juridique européen. Dans le même temps, l'Eurogroupe devra disposer de moyens supplémentaires, sa présidence, dotée d'un mandat clair, passant à temps plein. Enfin, le mécanisme de stabilisation budgétaire, envisagé comme un trésor de la zone euro, impliquera des décisions collectives, à rebours de toute tentation centralisatrice. Il s'agira de garantir sa dimension politique, notamment en ce qui concerne la détermination des recettes et des dépenses.


* 1 Conclusions du Conseil européen des 24 et 25 mars 2011.

* 2 23 pays sont signataires du Pacte, 4 n'appartenant pas à la zone euro : Bulgarie, Danemark, Pologne, Roumanie.

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