II. LA MISE EN OEUVRE DE LA PHASE I PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE

Prenant acte des propositions contenues dans le rapport des cinq présidents, la Commission européenne a présenté, le 21 octobre 2015, une communication sur les mesures destinées à compléter l'Union économique et monétaire au cours de la phase I 3 ( * ) . Elles concernent l'Union économique (autorités nationales de la productivité), l'Union budgétaire (comité budgétaire européen et semestre européen rénové), l'Union politique (représentation unifiée de la zone euro au sein du FMI) et l'Union financière.

S'agissant de cette dernière, la communication rappelle comme le rapport la nécessité de compléter l'Union bancaire via la transposition complète dans le droit national de la directive relative au redressement des banques de mai 2014 4 ( * ) et de la directive sur la garantie des dépôts d'avril 2014 5 ( * ) et la mise en place d'un mécanisme de financement-relais et d'un dispositif de soutien commun dans le cadre du Fonds de résolution unique. La Commission a, en outre, présenté, le 24 novembre 2015, un projet de règlement visant à établir un système européen d'assurance des dépôts 6 ( * ) . La Commission européenne souhaite, par ailleurs, que l'ensemble des dispositions contenues dans sa communication soient mises en oeuvre en 2016, en particulier les conseils nationaux de la compétitivité et le comité budgétaire européen devant être opérationnels.

La phase II devrait, quant à elle, faire l'objet d'un livre blanc, qui sera présenté en mars 2017. Il s'appuiera notamment sur les travaux d'un groupe d'experts, chargé d'examiner les conditions juridiques, économiques et politiques préalables devant inspirer des propositions à long terme.

A. VERS UNE UNION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE ?

1. Les autorités nationales de la productivité : nouvel outil ou renforcement de la complexité ?
a) La proposition de la Commission européenne

Envisagées par le rapport des cinq présidents dans le cadre de l'Union économique, les autorités de la compétitivité seraient en charge de suivre les performances et le rythme des réformes au niveau national. De telles structures existent déjà pour partie en Allemagne (Conseil des experts économiques), en Belgique (Conseil central de l'économie sur la question des salaires, Bureau d'analyse de la politique économique - CPB), au Danemark, en France (Conseil d'analyse économique, la Commission européenne citant même le Conseil économique, social et environnemental, France Stratégie et le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, comme pouvant à l'avenir également se muer en conseil national de la compétitivité), en Irlande (Conseil national de la compétitivité - NCC) et aux Pays-Bas.

Dans le projet de recommandation qu'elle a présenté le 21 octobre 2015, conjointement à sa communication sur l'approfondissement de la zone euro, la Commission européenne a insisté sur l'impact de la compétitivité sur la croissance, la correction des déséquilibres macroéconomiques, l'ampleur des mesures d'ajustement aux chocs à mettre en oeuvre et, in fine , les conditions de remboursement de la dette 7 ( * ) . Le semestre européen fournit déjà un cadre pour une meilleure coordination des politiques économiques et inciter, en conséquence, les États membres à adopter des réformes en la matière. Il s'agit désormais d'aboutir à une appropriation plus large de ces recommandations au plan national, et celle-ci passe, selon la Commission européenne, par le biais d'une expertise indépendante. Elle reprend, en cela, le principe retenu pour les structures indépendantes en charge de l'évaluation des budgets nationaux prévues par le Two Pack et le Traité sur la stabilisation, la coordination et la gouvernance. La Commission européenne n'envisage pas de modèle unique pour ces organes, seule l'indépendance devant être garantie par les États membres : ils devront ainsi être indépendants des ministères ou des entités publiques en charge de ces questions (article 6). Si un organisme unique doit être mis en place, il peut s'appuyer sur plusieurs dispositifs déjà existants (article 4).

Ces autorités nationales devront évaluer les réformes mises en oeuvre et fournir des conseils stratégiques en la matière, en tenant compte des particularités nationales et des pratiques établies.

Leur champ de compétences devrait être vaste (article 3) et leur permettre d'aborder :

- les questions de productivité et d'investissement ;

- les facteurs « hors coûts » de la compétitivité qui déterminent grandement les écarts observés au sein de la zone euro, à l'instar de l'innovation ou l'attractivité du modèle économique (qualité des infrastructures, etc.) ;

- les aspects sociaux et l'épineuse question des salaires. Le projet de la Commission prévoit en effet que le Conseil national de la compétitivité contribue au processus de fixation des salaires. L'objectif n'est pas, pour autant, de parvenir à une harmonisation des systèmes nationaux de fixation des salaires.

Le projet de recommandation insiste sur le fait que ces conseils de compétitivité ne pourront affecter le droit de négocier ou conclure des conventions collectives ou de recourir à des actions collectives.

La Commission européenne entend, par ailleurs, coordonner les activités desdits conseils, qui devront recenser leurs travaux dans un rapport annuel (article 9). Cette expertise indépendante devrait éclairer l'analyse de la Commission dans le cadre du semestre européen mais aussi dans le cadre de la procédure concernant les déséquilibres macro-économiques (article 10).

b) Les autorités de la productivité

Le projet de recommandation du Conseil a été adopté le 20 septembre dernier. Le Conseil Ecofin a cependant requalifié ces autorités de la compétitivité en autorités de la productivité, prenant ainsi en compte les réserves exprimées par les partenaires sociaux. La recommandation ainsi amendée souligne que les pratiques nationales et les organes compétents en matière de formation des salaires devront être respectés.

Les autorités, qui disposeront d'une autonomie de fonctionnement et d'analyse, seront principalement concentrées sur les facteurs à long terme favorisant les gains de productivité, à l'instar de l'innovation, de l'attractivité et du capital humain. Elles devront également s'attarder sur les rigidités visant le marché du travail et des produits et intègreront dans leur analyse une dimension européenne. Ces autorités pourront faire des propositions ou évaluer des propositions de politiques publiques si leur mandat, fixé au niveau national, le prévoit explicitement.

Il existe aujourd'hui un consensus sur le déficit de compétitivité et de productivité au sein d'une partie de la zone euro et la nécessité d'une plus grande convergence dans ce domaine, qu'il s'agisse des facteurs prix, coûts et hors coûts. Cette question est d'ailleurs au coeur de la procédure pour déséquilibre macro-économique mise en place depuis 2011. Reste à connaître la valeur ajoutée, dans ce domaine, d'une nouvelle instance dont le positionnement, en dépit des précautions de la Commission et du Conseil, peut apparaître flou. La Commission présente le dispositif comme l'équivalent, en matière macro-économique, des organes nationaux indépendants chargés de vérifier la sincérité des projets de budget. Ces autorités émettraient donc un avis régulier sur la situation économique du pays et évalueraient, notamment, la qualité des réformes structurelles mises en oeuvre. On peut, en premier lieu, s'interroger sur la grille de lecture qui sera utilisée pour une telle évaluation. Sera-t-elle homogène pour l'ensemble des autorités de la zone euro, reprenant en cela les indicateurs déjà mis en oeuvre dans le cadre de la procédure pour déséquilibre macro-économique ? Dans ce cas, l'analyse peut-elle différer de celle proposée par la Commission européenne dans le cadre de ladite procédure ? Ce faisant, les autorités nationales de la productivité ne seraient que les porte-voix de la Commission européenne, afin de faciliter l'appropriation par les Etats des réformes recommandées par la Commission européenne. La force de proposition de ces autorités serait, de la sorte, réduite à la portion congrue.

À l'inverse, si ces autorités émettent un diagnostic sur la foi d'indicateurs non harmonisés, comment peut-on envisager, de la sorte, participer d'une forme de convergence entre les économies de la zone ? Quelle sera, par ailleurs, la position de ces autorités, potentiellement en contradiction avec la Commission européenne ? N'y a-t-il pas là un risque de remise en cause du rôle de la Commission dans la conduite de la coordination des politiques économiques et un renforcement de l'illisibilité du semestre européen ? La mise en place de ces autorités ne répond pas, par ailleurs, à la question-clé de l'incitation et du soutien à la mise en oeuvre de réformes structurelles.

Enfin, les autorités de la productivité semblent différer d'un pays à l'autre. Une telle hétérogénéité n'affaiblira-telle pas l'ambition initiale du projet, à savoir la mise en place d'une véritable Union économique ?

Vos rapporteurs s'interrogent sur l'ajout de nouvelles structures qui complexifie un processus qui souffre déjà d'un déficit de clarté (cf supra ). Ils jugent en outre que le contrôle de la qualité des réformes mises en oeuvre et les questions de compétitivité et de productivité relèvent du rôle des parlements nationaux. La coordination des politiques économiques passe, par essence, par un investissement politique à haut niveau. Les autorités de la productivité répondent plus à une logique de diffusion nationale des messages transmis par la Commission qu'au renforcement pourtant indispensable de la convergence des économies. Il s'agit moins d'un processus politique promouvant une véritable Union économique que de la mise en place d'expertises supplémentaires.

2. La procédure pour déséquilibre macro-économique
a) L'extension du nombre d'indicateurs

La Commission européenne a procédé à une révision en deux temps du dispositif visant les déséquilibres macro-économiques. Celui-ci repose sur un mécanisme d'alerte destiné à identifier un certain nombre de risques pesant sur l'économie d'un État membre : déficit de compétitivité, bulle spéculative, endettement privé, etc. 11 indicateurs et 29 indicateurs complémentaires sont retenus à cet effet au sein d'un tableau de bord. Cinq catégories précèdent par ailleurs celle où doit être adoptée une recommandation.

L'une des difficultés de la procédure tient à la multiplicité des indicateurs qui appellent autant de réformes, là où le Pacte de stabilité et de croissance repose sur un instrument unique : le solde budgétaire.

Dans sa communication du 21 octobre 2015, la Commission européenne a annoncé vouloir réformer la procédure. Elle souhaitait clarifier catégories et critères et mieux prendre en compte les aspects liés à la zone euro. Elle ouvre désormais la procédure pour déséquilibres excessifs en cas d'engagement insuffisant à mener des réformes et d'absence de progrès dans leur mise en oeuvre si de graves déséquilibres macroéconomiques venaient à être détectés pouvant mettre en péril le bon fonctionnement de l'Union économique et monétaire, tels que ceux ayant conduit à la crise. Une attention particulière sera toujours portée aux déficits extérieurs, mais aussi sur les pays qui accumulent durablement des excédents élevés de la balance courante.

La communication de la Commission prévoit, en outre, d'ajouter trois nouveaux indicateurs au tableau de bord de la procédure concernant les déséquilibres macro-économiques : taux d'activité, chômage des jeunes et chômage de longue durée. Une plus grande attention doit également être portée à la dimension sociale au sein des programmes d'ajustement macroéconomiques signés avec les pays placés sous assistance financière. Le Conseil a exprimé ses doutes, le 15 janvier 2016, sur l'intérêt d'introduire ces indicateurs. Comme l'a reconnu la Commission elle-même dans son rapport sur le mécanisme d'alerte 2016, l'obtention de résultats défavorables pour ces nouveaux indicateurs n'implique pas une aggravation des risques macrofinanciers et ne peut être prise en compte pour déclencher une procédure de déséquilibre macro-économique.

On peut dès lors s'interroger sur l'extension de cette grille d'analyse. Ce tableau de bord de l'économie ne tient déjà pas forcément compte des interdépendances entre les pays membres et des arbitrages qui doivent être faits entres différents objectifs. Ainsi, la poursuite d'un objectif de réduction de la dette n'est pas forcément compatible avec une politique visant à réduire les coûts pour regagner en compétitivité. Là encore, vos rapporteurs estiment que l'analyse des politiques économiques menées au sein des États membres doit s'appuyer sur une implication plus forte des acteurs politiques plutôt que sur le respect de seuils chiffrés, qui peuvent, en outre, s'avérer contradictoires.

La Commission européenne a, par ailleurs, réduit, le 24 février 2016, le nombre de catégories prévues par la procédure, passant de 6 à 4. Elles sont désormais les suivantes : absence de déséquilibres, déséquilibres, déséquilibres excessifs et déséquilibres excessifs avec mesures correctives.

La procédure pour déséquilibre macro-économique

Sur proposition de la Commission européenne, le Conseil peut adopter une recommandation constatant l'existence d'un déséquilibre excessif et demandant à l'État membre concerné de présenter, dans un délai imparti, un plan de mesures correctives :

- si les mesures et le calendrier présenté par l'État membre sont jugés satisfaisants, ils sont avalisés par une recommandation du Conseil qui établit alors un calendrier de surveillance ;

- si le plan présenté est jugé insuffisant, le Conseil adopte une recommandation afin que l'État membre présente dans les deux mois un nouveau plan de mesures correctives. Une amende annuelle équivalente à 0,1 % du produit intérieur brut du pays pourra être infligée aux États membres de la zone euro qui échouent par deux fois à présenter un plan satisfaisant.

Une recommandation est réputée adoptée par le Conseil sauf si celui-ci s'y oppose à la majorité qualifiée dans les dix jours suivants son adoption.

La mise en oeuvre des mesures est ensuite évaluée par le Conseil. Si l'État membre n'a pas pris les mesures correctives recommandées, une recommandation constatant l'absence d'adoption de mesures correctives est adoptée, fixant de nouveaux délais. S'il s'agit d'un État membre de la zone euro, il est sanctionné et doit effectuer un dépôt portant intérêt, équivalent à 0,1 % de son PIB. Le dépôt sera transformé en amende annuelle si le pays échoue une deuxième fois à prendre les mesures correctives recommandée. À l'inverse, si l'État concerné a pris les mesures correctives recommandées et que la situation économique du pays est en bonne voie, la procédure est suspendue. Le suivi perdure néanmoins jusqu'à ce que le Conseil constate que le pays ne présente plus de déficit excessif et abroge ses recommandations

b) Comment rendre effectives les recommandations du Conseil ?

L'appropriation par les États des réformes structurelles à mener reste sujette à caution. La Commission européenne estime aujourd'hui que les recommandations du Conseil sont suivies d'effets, insistant sur l'exemple de l'Allemagne qui tend à réviser sa politique salariale et sa stratégie d'investissement. L'examen des messages adressés à la France démontre une réalité plus contrastée, la Commission relevant certaines avancées - marché du travail, réforme des retraites complémentaires - sans pour autant gommer l'absence de progrès dans d'autres domaines : fiscalité, politique salariale, faiblesse du commerce extérieur etc . L'institut Bruegel estime, de son côté, que le taux visant les recommandations adoptées dans le cadre de la procédure pour déséquilibre macro-économiques atteint à peine 32 % 8 ( * ) .

À l'instar de ce qui se pratique dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance pour le volet budgétaire, il est peu probable que la Commission applique les sanctions prévues en cas de non-respect. La Commission table sur les autorités de la productivité pour une meilleure appropriation. Compte-tenu du flou entourant son positionnement, vos rapporteurs estiment qu'une telle solution est, en l'état, insuffisante.

La Commission européenne a parallèlement présenté, en novembre 2015, un projet de programme d'appui à la réforme structurelle pour la période 2017-2020 9 ( * ) . Elle souhaite ainsi que les États membres puissent bénéficier d'une aide dans la mise en oeuvre des réformes institutionnelles, structurelles et administratives qu'ils ont adoptées. Elle entend, de fait, développer le modèle de task force , déjà utilisé à Chypre et en Grèce, pour l'étendre à tous les membres de l'Union européenne.

Il s'agit de soutenir les initiatives des États membres et renforcer leur capacité à formuler, élaborer et appliquer politique et stratégies en matière de gestion des finances publiques, de fonctionnement des institutions et des administrations, de justice, d'éducation et de formation, d'agriculture, d'environnement des affaires et de gestion des flux migratoires.

Un État membre souhaitant bénéficier d'un tel type d'appui devrait introduire une demande en ce sens, notamment dans le cadre du semestre européen. Elle pourrait permettre de :

- satisfaire aux préconisations d'une recommandation du Conseil dans le cadre du semestre européen ;

- répondre aux objectifs d'un mémorandum d'accord en cas d'assistance financière de l'Union européenne ;

- consolider toute démarche réformatrice nationale.

La proposition de règlement prévoit différents types d'action - séminaires, ateliers, analyses d'impact, visites de travail, appui opérationnel sur le terrain, apport d'expertise - en fonction du degré d'avancement du processus de réforme. Le montant des crédits alloués à ce programme s'élève à près de 143 millions d'euros sur la période.

Le recours à ce programme s'effectue sur une base volontaire et reste donc optionnel. Il vient appuyer des initiatives nationales et non se substituer aux États membres.

Si vos rapporteurs saluent ce type d'initiative, ils en relèvent également la modestie. Il convient de faire émerger des réponses plus ambitieuses en utilisant les instruments déjà existants. Il est ainsi possible de réfléchir à une meilleure allocation des fonds structurels. Seuls 4,3 milliards d'euros sur la période 2014-2020 sont affectés au renforcement des capacités institutionnelles et à la promotion des réformes administratives, soit autant de facteurs hors coûts en matière de compétitivité, soit moins de 1 % de l'enveloppe totale.

De façon plus générale, il apparaît clair que l'appropriation des recommandations du Conseil passe par un meilleur soutien de l'Union européenne à destination d'États membres, qui, pour la plupart, ne disposent plus de marges de manoeuvres budgétaires. Dans ces conditions, il y a lieu de s'interroger sur l'émergence à terme d'un mécanisme de stabilisation budgétaire, appelé de ses voeux par le rapport des cinq présidents, dans le cadre de la phase II. Faute d'un tel mécanisme, les mesures préconisées aujourd'hui par la Commission en vue de renforcer la procédure apparaissent vaines et tendent plus à complexifier le dispositif qu'à le rendre véritablement efficace.

3. Quelle valeur pour le socle européen des droits sociaux ?
a) Principes du socle

La Commission européenne a lancé, le 8 mars 2016, une consultation publique sur un socle européen des droits sociaux 10 ( * ) . Annoncé dans le discours de l'Union prononcé par le président de la Commission européenne le 19 septembre 2015, ce socle doit participer d'une action en faveur d'un marché du travail équitable et véritablement paneuropéen.

La communication du 21 octobre 2015 insistait déjà sur la nécessaire promotion de la convergence sociale dans le cadre de l'Union économique et monétaire, insistant plus particulièrement sur la flexisécurité et indiquant son souhait de mettre au point une « boussole » sociale, fondée sur l'acquis européen en la matière 11 ( * ) . Le rapport des cinq présidents insistait de son côté sur la nécessité pour l'Europe d'obtenir un « triple A social », tout en rappelant qu'il n'existe pas de modèle à taille unique en la matière. Dans ces conditions, le socle doit permettre à la zone euro de surmonter la crise et d'évoluer vers une Union économique et monétaire plus approfondie et plus équitable.

Le socle n'est pas envisagé comme une simple reproduction de l'acquis de l'Union européenne en la matière. La réflexion doit, au contraire, permettre de vérifier la pertinence de l'acquis et de déterminer d'éventuels domaines d'action. Le socle ne modifie pas, pour autant, les droits existants, qui restent intacts 12 ( * ) . Il devra, par ailleurs, respecter les limites juridiques imposées par les traités ; l'article 153 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoit ainsi qu'elle ne peut légiférer sur les questions relatives aux rémunérations, au droit d'association ou au droit de grève.

La Commission européenne rappelle également qu'à ses yeux, les marchés du travail doivent combiner flexibilité et sécurité - la flexisécurité - et permettre de concilier vie personnelle et vie professionnelle, adaptation tout au long de la carrière, et formation continue. Il s'agit aussi de rendre les systèmes de protection sociale plus performants dans un contexte marqué par une réduction des dépenses publiques. L'objectif du socle européen des droits sociaux est donc de garantir le bon fonctionnement et l'équité des marchés du travail et des systèmes sociaux. Il doit permettre d'évaluer les performances des États en la matière, d'accomplir les réformes structurelles à l'échelon national et de faciliter la convergence.

b) Quel contenu ?

Également présentée le 8 mars, la première ébauche du socle prévoit une articulation autour de trois chapitres :


• L'égalité des chances et l'accès au marché du travail, la formation tout au long de la vie étant rattachée à ce thème ;


• Les conditions de travail équitables ;


• La protection sociale, censée être adéquate et viable, permettant un accès à des services essentiels de qualité.

L'ensemble couvre in fine 34 droits, en partie inspirés par la Charte des droits fondamentaux.

(1) L'égalité des chances et l'accès au marché du travail

Aux yeux de la Commission européenne, s'appuyant sur l'article 14 de la Charte des droits fondamentaux et la politique européenne de formation continue prévue aux articles 165 et 166 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), toute personne doit avoir accès à une formation de qualité tout au long de sa vie pour développer son niveau de compétences et ainsi accéder au marché de l'emploi.

Soulignant la différence de conditions de travail en fonction de la nature du contrat, la Commission rappelle la nécessité d'empêcher le recours abusif aux relations de travail précaires et non permanentes. Elle appelle de ses voeux des conditions d'emploi flexibles permettant d'ouvrir l'accès au marché du travail. Elle estime par ailleurs indispensable la transition vers des contrats à durée indéterminée.

Une aide personnalisée à la recherche d'emploi, la préservation et la portabilité des droits sociaux et des droits de formation sont aussi considérées comme des droits. Reprenant les objectifs de l'Initiative pour l'emploi des jeunes, lancée en 2013, la Commission insiste sur le fait que tous les jeunes de moins de vingt-cinq ans doivent se voir proposer un emploi de qualité, une formation continue, un apprentissage ou un stage dans les quatre mois qui suivent la perte de leur emploi ou leur sortie de l'enseignement. Des évaluations individuelles approfondies, des conseils personnalisés et un accord d'intégration professionnel (offre de service individualisée et désignation d'un point de contact unique) doivent être proposés au chômeur de longue durée.

Le socle devrait également rappeler le principe d'égalité entre les hommes et les femmes, notamment en matière de rémunération, inscrit à l'article 24 de la Charte des droits fondamentaux. La Commission insiste sur la nécessité pour les parents de pouvoir avoir accès à des conditions de travail flexibles dans la mesure du possible, à des formules de congés adaptés ou à des services de garde. L'article 33 de la Charte des droits fondamentaux met en place, pour l'heure, un droit à être protégé contre tout licenciement pour un motif lié à la maternité et un droit au congé parental.

Le socle mettrait enfin en avant le principe d'une participation accrue des « groupes sous-représentés » au marché du travail, en insistant sur la lutte contre les discriminations (article 21 de la Charte des droits fondamentaux).

(2) L'équité des conditions de travail

La Commission envisage d'étendre la protection contre les licenciements injustifiés, prévue à l'article 30 de la Charte des droits fondamentaux. La période probatoire doit ainsi être d'une durée raisonnable. Le licenciement doit être précédé d'un préavis, lui aussi raisonnable, et assorti d'une compensation adéquate.

Tout emploi doit, par ailleurs, être justement rémunéré et assurer un niveau de vie décent. Dans ces conditions, le salaire minimum doit être fixé au moyen d'un mécanisme transparent et prévisible, préservant à la fois l'accès à l'emploi et la motivation à en chercher un. Les salaires doivent, de façon générale, être corrélés à la productivité, dans le cadre d'une consultation des partenaires sociaux et en accord avec les pratiques nationales.

Au-delà de la rémunération et de la protection contre le licenciement, la Commission s'appuie sur l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux pour insister sur le droit à la sécurité sur le lieu de travail, en particulier dans les micro et petites entreprises.

L'ébauche de socle rappelle par ailleurs la nécessaire consultation des partenaires sociaux sur l'élaboration des politiques sociales et de l'emploi (articles 12, 27 et 28 de la Charte des droits fondamentaux) et le droit à l'information des salariés, quelles que soient leurs conditions de travail (télétravail, travail transfrontalier) et en particulier dans le cas de fusion d'entreprises, de restructuration, de transfert ou de licenciement.

(3) Une protection sociale adéquate et viable

Prenant appui sur le droit d'accès aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux (article 34 de la Charte des droits fondamentaux), la Commission préconise un droit à l'intégration des prestations sociales, censé permettre d'en accroître la cohérence et l'accès.

L'article 35 de la Charte des droits fondamentaux sur l'accès aux soins de santé sert de référence pour mettre en avant un droit d'accès aux soins de santé préventifs et curatifs, sans qu'ils n'entraînent de difficultés financières. L'ébauche prévoit également un droit à l'accès aux services de soins de longue durée, y compris à domicile, la fourniture et le financement de ceux-ci devant être améliorés. Le texte table également sur un droit d'accès aux services d'accueil à l'enfance, et déclinant l'article 24 de la Charte des droits fondamentaux, insiste sur la protection des enfants contre la pauvreté.

Les systèmes de soins de santé doivent par ailleurs encourager la fourniture de soins de santé d'un bon rapport coût/efficacité. Tout travailleur, quel que soit le type de contrat (y compris les non-salariés), doit se voir garantir des congés maladie convenablement rémunérés et une réadaptation en vue d'un retour rapide au travail. Les handicapés ont, de leur côté, un droit à un revenu minimum garanti, les conditions d'accès à cette prestation ne pouvant constituer un obstacle à l'emploi.

La question des retraites est abordée via le droit à une pension offrant un niveau de vie décent, l'écart entre hommes et femme devant être réduit en tenant compte des périodes de garde d'enfant ou de prise en charge de tiers. Garantir la viabilité financière des régimes de retraite apparaît également comme une obligation et implique de prévoir une large assiette de cotisations, de relier l'âge légal de la retraite à l'espérance de vie et d'éviter les sorties prématurées du marché du travail.

Le droit aux prestations-chômage est également garanti dans le projet de la Commission, mais doit être assorti d'une obligation de recherche active d'emploi. Les incitations nécessaires à un retour à l'emploi doivent également être maintenues. Le revenu minimum est également abordé, cette prestation devant être assortie d'exigences de participation au soutien actif pour les personnes en âge de travailler afin de favoriser leur (ré)intégration au marché du travail.

L'ébauche de socle met en avant un droit d'accès au logement social et à l'aide au logement, assorti d'une protection contre les expulsions pour les personnes vulnérables et une aide à l'accession à la propriété pour les ménages à faibles et moyens revenus. Le texte insiste, en outre, sur l'hébergement des sans-abri. Ces droits vont de pair avec une garantie d'accès aux services essentiels : énergie, communications électroniques, transports et services financiers.

c) Quelle portée pour ce socle ?

Le projet de la Commission, déjà largement étayé avant même le lancement de la consultation publique, apparaît ambitieux et par moments novateur, puisque s'affranchissant des limites de l'article 153 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, à l'instar de la question de la rémunération. Les termes demeurent cependant suffisamment généraux et respectent dans la plupart des cas le principe de subsidiarité. Il serait difficile d'aller au-delà compte tenu notamment des difficultés rencontrées au Conseil pour faire progresser l'acquis social auquel la Commission fait référence dans son exposé des motifs : la révision de la directive sur le temps de travail, lancée en 2010, n'a ainsi toujours pas abouti. La Commission a également annoncé, en juillet 2015, l'abandon du projet de directive sur le congé maternité qui harmonisait, à l'échelle européenne, le dispositif.

L'article 153 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

L'article 153 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoit que celle-ci soutient et complète l'action des États membres uniquement dans les domaines suivants: la santé et la sécurité des travailleurs; les conditions de travail ; la sécurité sociale et la protection sociale des travailleurs; la protection des travailleurs en cas de résiliation du contrat de travail; l'information et la consultation des travailleurs; la représentation et la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs, y compris la cogestion, les conditions d'emploi des ressortissants des pays tiers se trouvant en séjour régulier sur le territoire de l'Union; l'intégration des personnes exclues du marché du travail, ; l'égalité entre hommes et femmes en ce qui concerne leurs chances sur le marché du travail et le traitement dans le travail; la lutte contre l'exclusion sociale et la modernisation des systèmes de protection sociale, sans préjudice du point. Les rémunérations, le droit d'association, le droit de grève ou le droit de lock-out ne peuvent faire l'objet d'une intervention de l'Union européenne. Dans les domaines visés l'Union européenne peut, par voie de directives, des prescriptions minimales applicables progressivement, compte tenu des conditions et des réglementations techniques existant dans chacun des États membres. Ces directives évitent d'imposer des contraintes administratives, financières et juridiques telles qu'elles contrarieraient la création et le développement de petites et moyennes entreprises. Elle ne peut porter pas atteinte à la faculté reconnue aux États membres de définir les principes fondamentaux de leur système de sécurité sociale et ne doivent pas en affecter sensiblement l'équilibre financier. Elle ne peut empêcher un État membre de maintenir ou d'établir des mesures de protection plus strictes compatibles avec les traités.

Un certain nombre de dispositions visant le marché du travail ou la viabilité des régimes de protection sociale découlent, quant à elles, des recommandations adressées aux pays dans le cadre du semestre européen. Elles sont donc déjà intégrées dans la grille de lecture de la Commission européenne sur la situation économique et financière des États membres.

On peut de fait s'interroger sur la valeur juridique de ce socle, une fois établi. Disposera-t-il d'une valeur contraignante, comme peut l'avoir aujourd'hui la Charte des droits fondamentaux dont il décline un certain nombre de principes ? Une révision des traités devra alors s'imposer. À défaut, il resterait une grille de lecture supplémentaire, sans réelle valeur ajoutée. Elle viendrait ainsi compléter la liste des indicateurs dont dispose déjà la Commission européenne et dont vos rapporteurs estiment qu'elle prête déjà le flanc aux critiques visant son illisibilité. Il semble pourtant que cette solution soit celle retenue, à l'heure actuelle, par la Commission européenne.


* 3 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen et à la Banque centrale européenne relative aux mesures à prendre pour compléter l'Union économique et monétaire (COM (2015) 600 final).

* 4 Directive 2014/59/UE du 15 mai 2014 établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d'investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) n ° 1093/2010 et (UE) n ° 648/2012.

* 5 Directive 2014/49/UE du 16 avril 2014 relative aux systèmes de garantie des dépôts.

* 6 Proposition de règlement modifiant le règlement (UE) n° 806/2014 afin d'établir un système européen d'assurance des dépôts (COM (2015) 586 final).

* 7 Recommandation de Recommandation du Conseil sur la création de conseils nationaux de la compétitivité dans la zone euro (COM (2015) 601 final).

* 8 Zsolt Darvas ans Alavaro Leandro, The limitations of policy coordination in the euro area under the Européean semester, Bruegel policy contribution, Issue 2015/19, Novembre 2015.

* 9 Proposition de règlement établissant le programme d'appui à la réforme structurelle pour la période 2017-2020 et modifiant les règlements (UE) n°1303/2013 et (UE) n°1305/2013 (COM (2015) 701 final).

* 10 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions, Lancement d'une consultation sur un socle européen des droits sociaux (COM (2016) 127 final). Le processus de consultation lancé par la Commission européenne devrait être achevé au 31 décembre prochain. Les autres institutions de l'Union européenne, les autorités et les parlements nationaux, les syndicats, les associations professionnelles, les organisations non gouvernementales, les prestataires de services sociaux, les universitaires et le grand public.

* 11 La Commission européenne rappelle ainsi, dans un document de travail joint à la communication, les normes adoptées en matière d'égalité de traitement sur le même lieu de travail, les directives sur les femmes enceintes ou sur la durée du temps de travail (48 heures hebdomadaires), la protection de la santé et de la sécurité au travail, les règles entourant le détachement des travailleurs et les migrations des ressortissants des pays tiers, ou la coordination des régimes de sécurité sociale. Document de travail des services de la Commission, Acquis social de l'UE, SWD (2016) 50 final.

* 12 Première ébauche préliminaire de socle européen des droits sociaux, COM (2016) 127 final Annexe 1.

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