B. UNE EXPÉRIENCE RÉUSSIE : LE PROGRAMME MIS EN oeUVRE DANS LA CIRCONSCRIPTION JUDICIAIRE DE MULHOUSE

À l'occasion de leur déplacement à Mulhouse le 1 er juillet 2016, vos rapporteurs ont pris connaissance du programme de prise en charge de la radicalisation violente mis en oeuvre par les chefs de cour de la cour d'appel de Colmar en liaison avec le tribunal de grande instance de Mulhouse, les autres services du ministère de la justice (administration pénitentiaire, protection judiciaire de la jeunesse), la ville de Mulhouse et le groupe hospitalier de la région Mulhouse et sud Alsace, dont le pilotage a été confié à l'association Accord 68 (association d'aide aux victimes).

Ce programme, réservé aux personnes placées sous main de justice, a été mis en oeuvre à la suite du constat d'un nombre important de cas de radicalisations dans la circonscription judiciaire (50 arrestations après les attentats de janvier 2015, forte présence du salafisme, lutte contre la déscolarisation et contre les écoles coraniques illégales avec des procédures pénales en cours).

Le procureur général près la cour d'appel de Colmar a défini la lutte contre la radicalisation violente comme objectif de politique pénale régionale. Cet axe s'est traduit par un projet de juridiction s'appuyant sur la signature, le 16 octobre 2015, d'une convention relative au programme expérimental de prise en charge des personnes soumises aux dérives radicales. Cette convention a été signée par toutes les parties prenantes (juridictions, ville, groupe hospitalier, Accord 68).

L'objet de ce programme est tout d'abord de procéder à une détection des comportements délictuels qui révéleraient une dérive radicale violente. Sont ainsi notamment visées dans la convention les infractions d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse, la provocation d'un mineur à la commission d'une infraction, le délit de soustraction de mineur, l'apologie du terrorisme, la diffusion d'un message à caractère violent ou incitant au terrorisme susceptible d'être vu par un mineur, la provocation publique à la haine, la violence ou la discrimination raciale.

Des cas peuvent également être signalés par les cellules préfectorales de veille.

Quand un tel comportement est détecté, le comité de pilotage du programme, qui se réunit régulièrement pour examiner les dossiers individuels, procède tout d'abord à une évaluation de la situation de l'intéressé afin d'apprécier si l'individu est susceptible de relever, ou non, du programme et si sa prise en charge dans ce cadre apparaît appropriée.

L'objectif du programme est de prendre en charge les dérives violentes, indépendamment de la question religieuse. Ce programme est donc susceptible de concerner aussi bien des individus s'inscrivant dans une démarche d'adhésion à la violence djihadiste, ce qui représente la plupart des cas, que des membres de groupuscules d'extrême droite par exemple.

Même si le placement de ces personnes sous main de justice permet de les contraindre à participer au programme, notamment dans le cadre des mesures alternatives aux poursuites décidées par le parquet ou, en cas de condamnation, dans le cadre des sursis avec mise à l'épreuve 12 ( * ) ou d'une mesure éducative pour les mineurs, il a été souligné que l'adhésion de la personne aux objectifs du programme et sa participation active était indispensable pour en assurer la réussite.

Au cours des huit premiers mois de mise en oeuvre du programme, 22 personnes (dont une moitié de mineurs) ont été prises en charge.

La durée du programme est de trois mois. Il commence par une phase d'évaluation afin de cerner la situation personnelle de l'intéressé et de comprendre les facteurs de sa radicalisation. Cette phase est mise à profit pour expliquer à l'intéressé les raisons de son inscription dans cette démarche et lui présenter les objectifs et le contenu du programme. Un temps d'écoute est également consacré aux proches. La personne, si elle est majeure, peut choisir d'être accompagnée, les mineurs l'étant systématiquement. Le contenu du programme est ensuite élaboré en fonction de la personnalité de l'intéressé.

La deuxième phase a pour objectif de travailler sur l'emprise pour la desserrer et rétablir les liens sociaux de l'intéressé.

Enfin, la troisième phase a pour but de déconstruire les certitudes de la personne et de l'aider à se reconstruire, à la mobiliser sur un projet d'avenir (éducatif, professionnel, etc.), l'objectif étant qu'à la fin de cette phase, la personne ait commencé à acquérir un regard critique sur son engagement radical. Cette phase de déconstruction est la plus critique sur le plan psychiatrique dans la mesure où il convient d'être attentif à l'évolution de la personne qui s'est construite et a été portée par ses convictions radicales. Cette phase de désengagement est sensible car elle peut fragiliser les individus.

Un bilan est tiré à la fin du programme et les personnes sont systématiquement invitées, sur la base du volontariat, à un nouvel entretien dans un délai de six mois à l'issue du programme.

Le bilan de cette expérimentation est particulièrement positif et sa transposition pourrait être simplement déclinée dans d'autres territoires où cela présenterait un intérêt. L'attention de vos rapporteurs a été attirée sur le caractère artisanal et fragile du financement du programme (Accord 68 étant financée sur le budget de l'aide aux victimes, ce qui apparaît surprenant), quand, dans le même temps, des masses budgétaires conséquentes ont été mobilisées au bénéfice de l'administration pénitentiaire dans le cadre du plan de lutte antiterroriste (PLAT).

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Après avoir dressé un premier bilan des politiques de prise en charge de la radicalisation mises en oeuvre par les pouvoirs publics depuis la mi-2014, vos rapporteurs entendent mettre à profit les prochaines semaines pour prolonger leurs réflexions et élaborer leurs recommandations. Elles envisagent à cet égard de poursuivre l'analyse des modes de prise en charge de la radicalisation par les associations sur le territoire national, d'étudier les dispositifs mis en place dans d'autres pays européens dont les caractéristiques pourraient être comparables à celles de notre pays et de consacrer des développements spécifiques à la prise en charge des mineurs radicalisés.


* 12 À cet égard, les acteurs rencontrés ont tous souligné l'intérêt des nouvelles dispositions introduites par le Sénat dans le cadre de la loi du 3 juin 2016 qui permettent, dans le cadre des alternatives aux poursuites, du sursis avec mise à l'épreuve, de la contrainte pénale ou du contrôle judiciaire, de contraindre la personne à participer à un tel programme.

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